Interview Pierre Etienne
« Tout en étant concurrents, nous sommes partenaires d’un destin commun » Pierre Etienne, président du Private Banking Group Luxembourg de l’ABBL, évoque les enjeux de compétitivité du métier. Au programme : évolution des compétences, transformation numérique, pression réglementaire et réputation…
Comment la clientèle a-t-elle évolué ? La clientèle cible reste européenne, à 85 %. C’est la taille moyenne des clients qui a principalement évolué, avec des profils plus fortunés à la recherche de services de gestion d’actifs, mais aussi de solutions de structuration patrimoniale globales, plus avancées. Nous nous sommes adaptés pour répondre à leurs attentes, en développant notamment un écosystème d’acteurs riche et diversifié. 18
PRIVATE BANKING AVRIL 2021
Les clients davantage dits mass affluent ont rapatrié leurs avoirs dans leur pays ou les ont régularisés, volontairement ou à la demande des banques luxembourgeoises, qui se sont inscrites dans une démarche de transparence totale, et nous sommes partis à la rencontre de nouveaux besoins exprimés par des clients internationaux. Selon vous, quels ont été les principaux facteurs de succès ? Je pense que c’est la combinaison de nombreux éléments. Le triple A du pays, encore récemment confirmé par les agences de notation avec une perspective stable, y est pour beaucoup. Aujourd’hui, le Luxembourg est l’un des derniers pays de l’Union européenne, avec l’Allemagne, à pouvoir afficher un tel niveau de confiance. Les clients viennent au Luxembourg pour sa stabilité économique, politique et sociale qui leur garantit une grande prévisibilité. Alors que le monde est incertain, ils cherchent une zone de refuge. À ces facteurs s’ajoute encore un grand pragmatisme des autorités, qui restent très accessibles. Nous disposons aussi d’un excellent régulateur, d’un excellent superviseur, qui agit pour protéger le client et l’investisseur final. Autrement dit, le Luxembourg apparaît toujours comme un refuge, mais plus pour les mêmes raisons que par le passé… La finance luxembourgeoise n’a plus à rougir de son s tatut. La transparence est là. L’activité se développe en parfaite conformité avec les directives européennes et de l’OCDE. Avec une proposition de valeur réelle et d’importants atouts, Luxembourg parvient à attirer de nouveaux clients. La place financière se distingue par une forte expertise multijuridictionnelle, nous permettant d’accompagner chaque client en considérant sa situation fiscale et la réglementation de son pays de résidence. Cette connaissance transfrontalière, associée au multilinguisme et à la multiculturalité qui prévalent au Luxembourg, est quelque chose d’unique. Comme vous le savez, l’activité de banque privée, c’est avant tout du relationnel. Ici, on peut a ccueillir le client dans sa langue et dans sa culture. Tout cela p ermet d’expliquer la croissance commerciale soutenue des dernières années.
Matic Zorman
Comment l’activité s’est-elle adaptée ? Au départ d’une politique volontariste, les acteurs de la banque privée, en collaboration avec les autorités, sont parvenus à faire évoluer le positionnement de la Place et l’offre de services de la banque privée. Nous avons défini une nouvelle proposition de valeur. Nous sommes passés d’une offre d’asset management, répondant aux attentes de la clientèle de l’époque, à une palette de services plus complète en matière de gestion et de structuration patrimoniale. Cela ne s’est pas fait du jour au lendemain, et s’est construit sur des atouts dont nous disposions déjà par le passé, mais qui étaient occultés jusque-là par d’autres avantages. Avec la disparition de ces derniers, les acteurs se sont donc mobilisés pour aller à la rencontre d’une nouvelle clientèle, désireuse de profiter d’un plus haut niveau d’expertise.
BIO EXPRESS Au service de la banque Pictet & Cie (Europe) SA, à Luxembourg depuis 2002, Pierre Etienne a accédé à la fonction d’administrateur délégué en 2010. Membre du comité de direction de Pictet Luxembourg depuis 2002, il a d’abord géré le volet administratif et opérationnel des activités liées aux fonds de placement. Puis, en 2009, il a intégré le comité de direction chargé, à Genève, des activités de banque dépositaire du groupe. Très investi dans le développement de la place financière, et plus particulièrement de l’activité de banque privée et de gestion patrimoniale luxembourgeoise, il préside actuellement le Private Banking Group Luxembourg. Il est aussi vice-président de l’Association des banques et banquiers, Luxembourg (ABBL).
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Quel regard portez-vous sur l’évolution de l’activité de banque privée au Luxembourg ces dernières années ? Il est en effet intéressant de regarder d’où l’on vient pour mieux envisager vers quoi l’on doit tendre. Si l’on remonte à la précédente grande crise, celle de 2008, qui a fait évoluer vers l’ère d’une plus grande transparence, on constate dans quelle mesure notre activité a changé. À l’époque, beaucoup ont associé la levée du secret bancaire à la fin de l’activité de banque privée et de gestion de fortune au Luxembourg. Aujourd’hui, on peut constater avec fierté que ce n’est pas ce qui s’est produit, bien au contraire. En 2008, les actifs sous gestion confiés à des acteurs de la banque privée avoisinaient 250 milliards d’euros. Aujourd’hui, on flirte avec 500 milliards d’euros. Pour un pays dont le produit intérieur brut est d’environ 60 milliards d’euros, c’est remarquable.