LE MONDE D’APRÈS
DU COVID-19 À VLADIMIR POUTINE
MALI OU LE COUP D’ÉTAT PERMANENT L’ALGÉRIE, 60 ANS DEPUIS ÉVIAN LA FIN DE LA FRANCE EN AFRIQUE ? Assimi Goïta.
L’interview d’Amzat Boukari-Yabara
RDC : LES PIÈCES À CONVICTION par Thierry Michel
CÔTE D’IVOIRE : L’EXIGENCE SOCIALE Un dossier de 27 pages
ABDELLAH TAÏA : « L’ÉCRITURE EST UN FEU » N °4 2 6 - M A R S 2 0 2 2 France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $ DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3000 FCFA ISSN 0998-9307X0
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édito LE MONDE D’APRÈS C’était au pire de la pandémie de Covid-19. On parlait du monde d’après, des options, des solutions, des priorités, du retour à la vie, et aux projets. Le Covid est encore là, peut-être tapi, attendant de distiller son énième variant. Et la guerre, elle, est arrivée, brutalement, dans la nuit du 23 au 24 février. Les forces de la fédération de Russie sont entrées en Ukraine, nation souveraine, pour une « opération militaire spéciale ». En réalité, un conflit majeur aux répercussions systémiques et internationales. Les images de ce monde d’après sont stupéfiantes. Les bombardements, les missiles, les tanks. Les civils sous le feu, les victimes, les villes détruites. Et le spectre de l’arme atomique… Nous voilà donc dans ce fameux monde d’après. On peut comprendre, et admettre, les impératifs de sécurité de la Russie, sa volonté de stopper la progression de l’OTAN vers l’est, de poser sur la table des « exigences » pour un nouvel arrangement sécuritaire en Europe, à ses frontières. Qui dépasse les arrangements post-1945, puis ceux qui suivirent le démantèlement du pacte de Varsovie. Et qui implique la « neutralité » (un concept à définir) de certains de leurs voisins. Et on se doute que les États-Unis auront cherché à pousser leur avantage depuis 1991 et la chute de l’URSS. À élargir l’OTAN. On se doute aussi qu’ils auront soutenu, en Biélorussie, et surtout en Ukraine, les mouvements pro-occidentaux. Et que les États-Unis auront poussé Kiev à manifester une forme d’assurance, de témérité, sans évidemment qu’ils n’aient réellement l’intention de les défendre en cas de catastrophe, les laissant presque à nu face à l’armée russe… On peut se dire qu’il aurait fallu, que oui l’on aurait dû imposer des lignes rouges à la politique d’intimidation russe, à la violence, après la Tchétchénie, et la Crimée, et la Syrie… Que l’on aurait dû trouver les moyens de dire stop à Vladimir Poutine. AFRIQUE MAGAZINE
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426 – MARS 2022
PAR ZYAD LIMAM
Et que cette guerre concerne le « Nord », l’Occident, les Russes, les Européens, les Américains, et que l’indignation est tragiquement sélective, et que lorsque les États-Unis ont quasiment rayé l’Irak (ou d’autres pays) de la carte, personne ne s’est levé, que les Palestiniens sont soumis à l’occupation depuis plus de cinquante ans, que le Yémen est en proie à une guerre menée par l’Arabie saoudite, etc. Et que tout le monde s’en fiche, que tout le monde accepte. Oui, on peut comprendre et décrypter, et relativiser. Mais, à la fin des fins, l’invasion de l’Ukraine reste une agression caractérisée, inacceptable. Une attaque massive sans motif impérieux, envers une nation relativement démocratique, avec des leaders élus. Une attaque à dix contre un, avec la destruction massive et le ciblage des civils comme stratégie militaire. S’appuyant sur des casus belli factices ou surréalistes (« dénazification », protection des citoyens russophones, autonomie du Donbass…). La vérité est ailleurs. Pour Vladimir Poutine, l’idée, ce n’est pas uniquement de repousser l’OTAN (ou la très virtuelle possibilité que l’Ukraine rejoigne un jour lointain l’OTAN). Le projet, l’ambition, c’est d’effacer l’Ukraine indépendante, de l’absorber dans la mère patrie. De repousser l’Occident, d’humilier « cet empire du mensonge », ces pays de « trouillards », de prendre une revanche sur l’histoire, de rétablir la grande Russie – pas celle des communistes, plutôt celle des tsars. C’est de recréer la grande empreinte d’un empire russo-centré, qui réduit au silence ses propres minorités, qui conteste l’existence de l’Ukraine, de la Biélorussie, de la Moldavie, de la Géorgie, et même du Kazakhstan, et peut-être aussi celle des républiques baltes. Et d’autres encore… Sous couvert de sécurité, c’est une guerre impériale, de reconquête, avec un coût humain insupportable. Au XXIe siècle. Une guerre d’autant plus impériale, coloniale même, que la plupart de ces peuples, la grande majorité des Ukrainiens, des Biélorusses, des Géorgiens, des Moldaves veulent intégrer l’Union européenne, le système des démocraties libérales 3
(au moins sur un plan nominal). Les Ukrainiens et les Biélorusses sont des cousins et des frères qui tentent désespérément de s’éloigner de « la famille »… Et la Russie, face à cette contestation, à cette demande d’émancipation, ne propose que la force et la contrainte. Subjugation d’ailleurs nécessaire au maintien, à la survie d’un pouvoir autoritaire à Moscou. Cette guerre, c’est tout d’abord celle d’un seul homme, Vladimir Poutine, maître étonnamment incontestable, qui a su réincarner un rêve de puissance, qui a constamment utilisé la guerre comme une arme politique (en Tchétchénie, en Géorgie, en Ukraine…), qui a dangereusement rallumé les feux du nationalisme russe (et « Le nationalisme, c’est la guerre », disait François Mitterrand…). C’est la guerre d’un homme isolé, rationnel ou irrationnel (les deux ne sont pas incompatibles), qui approche des 70 ans, et qui peut contempler sa finitude, la limite du temps. Un homme solitaire, entouré de quelques oligarques corrompus et soumis et de rares hommes de main fidèles – formés comme lui à l’école du KGB –, qui tiennent le pays. C’est la guerre d’un pays doté d’une formidable puissance atomique, presque égale à celle des États-Unis. L’arme nucléaire, cauchemar de l’humanité, carte ultime de la Russie. C’est aussi la guerre d’un pays « pauvre », dont le nombre d’habitants (144 millions) décline, dont l’économie (1 500 milliards de dollars de PIB) « pèse » moins que celle de l’Italie (1 880 milliards de dollars), dépend des technologies importées, et qui ne vit que de la rente pétrolière et gazière. Un pays fondamentalement en crise, tourné vers les rêves du passé, au lieu de s’investir dans les projets d’avenir. La guerre, on sait comment y entrer, mais on ne sait jamais comment on va en sortir… L’invasion de l’Ukraine ne se déroule pas véritablement comme prévu, les Ukrainiens résistent de manière acharnée. Une nation est née. Un héros aussi, avec Volodymyr Zelensky, président courage, maître de la communication planétaire. Et la Russie, en bombardant « ses frères », donne naissance à des générations de résistants. L’issue de la bataille, déséquilibrée, ne fait pas de doute. Mais comment, hors la négociation et le compromis juste, la Russie pourrait-elle contenir, contrôler un pays foncièrement hostile de 45 millions d’habitants, le deuxième plus grand d’Europe continentale ? Avec quelles ressources ? Avec combien de dizaines de milliers d’hommes en permanence ? Avec quel leader autoproclamé qui ne serait pas haï comme un traître ? Et en faisant face à quelle résistance ? 4
L’OTAN, les États-Unis, l’Europe ne se sont pas engagés dans une confrontation militaire directe aux conséquences potentiellement dévastatrices. Toujours cette option nucléaire, et puis, on ne mourra pas pour Kiev – « Ce n’est pas vital. » Mais en quelques jours, l’Occident a mis en place un « paquet » de sanctions comme jamais vu dans l’histoire moderne. En quelques jours, la Russie a été littéralement coupée d’une grande partie du reste de la planète, économiquement, culturellement, même physiquement (avec la fermeture des espaces aériens). Un débat s’ouvre sur la nécessité de se passer du pétrole et du gaz russes. Ou de réduire cette dépendance. D’asphyxier l’empire… Les embargos et les sanctions sont toujours contournables, la Russie est résiliente, c’est un grand pays, et ce n’est pas demain la veille que l’on pourra se passer de son gaz ou de son pétrole. Mais le prix à payer pour la Russie, par les citoyens russes, va être immense. En particulier pour ces élites urbaines, pour la jeunesse éduquée, pour les créatifs, pour les entrepreneurs qui se retrouvent face à un quasi-no futur. L’exil va devenir une option. En quelques jours, trois décennies d’intégration dans l’économie globale auront été annihilées. La Russie va devenir instable, appauvrie. Acculée et déstabilisée, donc dangereuse. Les parts rationnelles et irrationnelles de Poutine, de son entourage proche, vont devenir des facteurs essentiels de la sécurité ou de l’insécurité du monde. Un dérapage, une fuite en avant, une modification des équilibres intérieurs, une rupture, tout est possible… L’Europe, « bourgeoise », ramollie par plus de soixante-dix ans de paix et de prospérité, se retrouve, elle, avec un ennemi intime puissant et permanent à sa porte. Elle a découvert en elle aussi une unité, un sens du destin commun, par sa fragilité et par la nécessité d’assumer une plus grande part de sa sécurité. Les budgets militaires vont exploser, en premier lieu en Allemagne. Les pays « neutres » (Finlande, Suède…) seront tentés de ne plus l’être. Ou de rejoindre l’OTAN, accentuant les tensions militaires. À court terme, la crise risque de provoquer une tempête économique majeure de part et d’autre de ce nouveau « mur ». L’instabilité, la guerre, l’envolée vertigineuse des prix de l’énergie, l’inflation vont rendre toute reprise post-Covid très hasardeuse. Le cours du blé atteint des hauteurs stratosphériques, comme celui d’autres denrées alimentaires. Les pays émergents, les pays les plus fragiles risquent de payer la facture la plus lourde avec toutes les conséquences politiques possibles. AFRIQUE MAGAZINE
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MIKHAIL KLIMENTYEV/SPUTNIK/AFP
Le président russe Vladimir Poutine avec des hauts gradés de l’armée au Kremlin, à Moscou.
L’ordre géopolitique du monde va bouger. La Russie tentera de se désencercler en s’appuyant sur des puissances secondaires et tertiaires comme l’Inde, le Pakistan, les pays du Golfe, Cuba, le Venezuela… Elle tentera de se poser comme un contrepoids à l’hégémonie occidentale, de générer des vocations en Afrique et aux quatre coins du monde. Ce plan dépendra de la capacité russe à contourner les sanctions, à sortir de la guerre d’Ukraine. Et il dépendra essentiellement de la Chine. La Chine, « ami indéfectible » selon les communiqués, puissance globale, économique et militaire, à portée de Taïwan… Une Chine combative, décidée à promouvoir un nouvel équilibre du monde aux dépens des États-Unis, et de l’économie dollar. Mais une Chine soucieuse aussi et avant tout de sa stabilité interne. Et de son vieillissement, de sa dévitalisation démographique. L’Afrique sera l’un des enjeux de cette désorganisation-réorganisation géostratégique du monde. Elle ne pourra pas rester à l’écart des réalignements, plaider le « cela ne nous regarde pas ». L’impact économique sera là. Et les alliances et les contre-alliances trouveront chez elle un terrain certainement fertile, auprès d’États AFRIQUE MAGAZINE
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fragiles. Comme nous l’avons écrit dans ce magazine, le continent est instable, morcelé, mais il est incontournable. Il est au centre du monde. C’est le continent « jeune », avec une démographie favorable, riche de son sol, de son sous-sol, de ses potentialités. La guerre est une barbarie, la preuve qu’une part de notre humanité est tentée de rejouer éternellement les tragédies du passé, de favoriser la loi du plus fort contre le plus faible, de penser territoires, conquêtes, butins. Mais le monde change. L’économie elle-même se transforme. Aujourd’hui, la connaissance et l’intelligence sont la clé du pouvoir, de la richesse, du progrès, et cela ne se conquiert pas, cela ne se soumet pas. Les enjeux auxquels nous devons faire face, ceux qui menacent notre existence (en dehors de l’arme atomique), dépassent le cadre étroit du monde d’hier. L’usure de notre planète, le réchauffement climatique, la déforestation, la pollution, les migrations massives, le Covid-19 et les virus à venir, tout cela n’a pas de frontières, pas de territoires. Les enjeux du millénaire, le futur devraient nous transcender, nous rassembler, nous éloigner des identités parcellaires et meurtrières. C’est cela, le vrai monde d’après. ■ 5
N °4 2 6 M A R S 2 0 2 2 ÉDITO Le monde d’après
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par Zyad Limam
par Emmanuelle Pontié, Hussein Ba et Boubacar Haïdara
ON EN PARLE
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C’EST DE L’ART, DE LA CULTURE, DE LA MODE ET DU DESIGN
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De retour sur Seine
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PARCOURS Diadié Dembélé
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par Astrid Krivian
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60 ans après Évian par Cédric Gouverneur
Amzat Boukari-Yabara : « La diplomatie française en Afrique est obsolète » par Astrid Krivian
C’EST COMMENT ? C’est déjà trop tard !
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TEMPS FORTS Mali : Le mal d’État permanent
par Emmanuelle Pontié
84 Thierry Michel RDC : Les pièces à conviction
CE QUE J’AI APPRIS Diouc Koma
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par Jean-Marie Chazeau
par Astrid Krivian
114 VINGT QUESTIONS À… Sahad par Astrid Krivian
Abdellah Taïa : « L’écriture est un feu » par Fouzia Marouf
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Luxury Africa par Luisa Nannipieri
DÉCOUVERTE UNE CÔTE D’IVOIRE POUR TOUS par Zyad Limam, Francine Yao et Emmanuelle Pontié
Objectif inclusivité ! Face aux inégalités Accompagner les plus vulnérables 60 Pour une révolution du système éducatif 64 L’adéquation formation-emploi 66 Soutenir et autonomiser les femmes 68 La stratégie Nord 70 Le droit aux soins 72 Judith Didi-Kouko Coulibaly : « Thérapies spécifiques et politique sociale » 74 La carte électricité, le facteur eau 52 56 59
LE MONDE D’APRÈS
DU COVID-19 À VLADIMIR POUTINE
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L’interview d’Amzat Boukari-Yabara
RDC : LES PIÈCES À CONVICTION par Thierry Michel
CÔTE D’IVOIRE : L’EXIGENCE SOCIALE Un dossier de 27 pages
ABDELLAH TAÏA : « L’ÉCRITURE EST UN FEU » N °4 2 6 - M A R S 2 0 2 2 France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $ DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3000 FCFA ISSN 0998-9307X0
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Afrique Magazine est interdit de diffusion en Algérie depuis mai 2018. Une décision sans aucune justification. Cette grande nation africaine est la seule du continent (et de toute notre zone de lecture) à exercer une mesure de censure d’un autre temps. Le maintien de cette interdiction pénalise nos lecteurs algériens avant tout, au moment où le pays s’engage dans un grand mouvement de renouvellement. Nos amis algériens peuvent nous retrouver sur notre site Internet : www.afriquemagazine.com
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FONDÉ EN 1983 (38e ANNÉE) 31, RUE POUSSIN – 75016 PARIS – FRANCE Tél. : (33) 1 53 84 41 81 – Fax : (33) 1 53 84 41 93 redaction@afriquemagazine.com Zyad Limam DIRECTEUR DE LA PUBLICATION DIRECTEUR DE LA RÉDACTION zlimam@afriquemagazine.com Assisté de Laurence Limousin
llimousin@afriquemagazine.com RÉDACTION Emmanuelle Pontié DIRECTRICE ADJOINTE DE LA RÉDACTION epontie@afriquemagazine.com
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Isabella Meomartini DIRECTRICE ARTISTIQUE imeomartini@afriquemagazine.com Jessica Binois PREMIÈRE SECRÉTAIRE DE RÉDACTION sr@afriquemagazine.com Amanda Rougier PHOTO arougier@afriquemagazine.com ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO
Hussein Ba, Jean-Marie Chazeau, Catherine Faye, Cédric Gouverneur, Boubacar Haïdara, Dominique Jouenne, Astrid Krivian, Fouzia Marouf, Olivia Marsaud, Luisa Nannipieri, Carine Renard, Sophie Rosemont, Francine Yao.
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NICOLAS RÉMÉNÉ/LE PICTORIUM - REPORTERS ASSOCIÉS/GAMMA-RAPHO - DOOK PHOTO
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BUSINESS
Sommet UE-UA : Et maintenant ? Meriem Berrada : « Il nous faut collaborer ensemble » Le poids croissant de Moscou en Afrique Énergie : une solution à la crise européenne ?
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par Cédric Gouverneur et Emmanuelle Pontié
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VIVRE MIEUX Fatigue : L’autre vague qui préoccupe Pourquoi a-t-on le hoquet ? Venir à bout de la sécheresse oculaire Les eaux minérales et leurs vertus par Annick Beaucousin et Julie Gilles
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VIVRE MIEUX Danielle Ben Yahmed RÉDACTRICE EN CHEF
avec Annick Beaucousin, Julie Gilles.
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AFRIQUE MAGAZINE EST UN MENSUEL ÉDITÉ PAR 31, rue Poussin - 75016 Paris. SAS au capital de 768 200 euros. PRÉSIDENT : Zyad Limam. Compogravure : Open Graphic Média, Bagnolet. Imprimeur : Léonce Deprez, ZI, Secteur du Moulin, 62620 Ruitz. Commission paritaire : 0224 D 85602. Dépôt légal : mars 2022. La rédaction n’est pas responsable des textes et des photos reçus. Les indications de marque et les adresses figurant dans les pages rédactionnelles sont données à titre d’information, sans aucun but publicitaire. La reproduction, même partielle, des articles et illustrations pris dans Afrique Magazine est strictement interdite, sauf accord de la rédaction. © Afrique Magazine 2022.
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ON EN PARLE
DR (2) - JIM WINSLET
C’est maintenant, et c’est de l’art, de la culture, de la mode, du design et du voyage
Comme pour l’édition précédente, 1-54 prendra ses quartiers dans la maison de vente aux enchères Christie’s.
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ÉVÉNEMENT
DE RETOUR SUR SEINE
Initialement prévue à Marrakech, l’INCONTOURNABLE FOIRE ITINÉRANTE fait à nouveau escale chez Christie’s, à Paris. AVANT LA PANDÉMIE, l’événement, fondé en 2013 par la Marocaine Touria El Glaoui, déclinait ses éditions annuelles à Londres, New York et Marrakech. Les éditions 2021 et 2022 de la ville rose ont malheureusement dû etre annulées pour raisons sanitaires. Cette année, comme « 1-54 », l’année dernière, la manifestation revient Christie’s, donc à Paris, accueillie par la prestigieuse Paris maison de ventes aux enchères de l’avenue (France), du Matignon. Coïncidant avec le rendez-vous 7 au 10 avril. majeur pour l’art moderne et contemporain 1-54.com / Art Paris, 1-54 réunira plus de 50 artistes artsy.net du continent et de la diaspora et 22 exposants internationaux, dont les galeries Cécile Fakhoury, Magnin-A, Nathalie Obadia, The Third Line ou Loft Art Gallery. Devenue incontournable, la foire 1-54, en référence aux 54 pays qui constituent le continent, participe activement à la notoriété et à la cote des artistes africains. Sa mise en ligne, du 7 au 10 avril, sur la plate-forme Artsy, partenaire historique de l’événement, permettra également à toutes les œuvres présentées d’être vues et achetées dans le monde entier. ■ Catherine Faye
La fondatrice Touria El Glaoui.
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ON EN PARLE SOUNDS
À écouter maintenant !
❶ La Bronze
Vis moi, Audiogram/ The Orchard
Depuis 2015 et une reprise très réussie de Stromae, La Bronze façonne un répertoire singulier qui s’affirme ici dans toute sa richesse. Quelque part entre la chanson et une pop parfois contaminée d’électro ou de rock, la chanteuse et actrice montréalaise incarne sa musique aussi bien en français qu’en arabe – en témoigne le superbe « Haram ». Sans oublier de rappeler, dans « Sois ferme, la ferme », qu’elle ne compte pas se laisser marcher sur les pieds…
❷ Ronisia
CHEIKH IBRA FAM Magique afropop
Son premier album officiel international démontre toute la SENSIBILITÉ DU CHANTEUR et multi-instrumentiste sénégalais. N NOUVEAU MENEUR du mythique Orchestra Baobab, puis dans un projet du O nom de Freestyle ; amoureux des sonorités n de son pays natal, le Sénégal, comme de d ll’afrobeat et de l’électro-pop contemporaine. Le voici tel qu’il est, Cheikh Ibra Fam. L Enregistré en Gambie avec son oncle, E lle guitariste Coly Cissé, Peace in Africa CHEIKH IBRA FAM, est une mixture polyglotte et hybride où Peace in Africa, l’on entend cuivres et kora, boîtes à rythmes Soulbeats et guitares sèches, soul, reggae ou encore Music/Safiko. jazz. De quoi rêver, mais aussi (et surtout) danser. Côté collaborations, c’est également très riche : Mo’Kalamity, Cheikh Lô, Mamy Kanouté, le saxophoniste Thierno Koite, et aussi le regretté Balla Sidibé, que l’on entend sur « The Future », enregistré trois jours avant sa disparition, en juillet 2020. ■ Sophie Rosemont 10
D’origine cap-verdienne, cette chanteuse de Grigny, en banlieue parisienne, a seulement 22 ans mais fait déjà preuve d’une belle assurance. Révélée par sa reprise du « Dilemma » de Nelly et Kelly Rowland, ou lors de premières parties de Burna Boy et Dadju, elle propose avec ce premier album un discours averti sur l’état amoureux, nourri de R’n’B et d’afropop. Hormis les duos avec Ninho ou Tiakola, elle assure tout seule. Irrésistible !
❸ Bonga
Kintal Da Banda, Lusafrica
Un demi-siècle de carrière pour le chanteur angolais et portugais d’adoption depuis 1965, qui reste fidèle à la semba de son cœur. Une quarantaine d’albums, un titre de chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres… et un nouvel album qui, face à l’actualité désastreuse de sa contrée natale, prend le parti d’enchanter notre décor, grâce aux vents, aux cuivres et à une belle énergie, toujours contagieuse. En bonus : un joli duo avec Camélia Jordana. ■ S.R.
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IBRAHIMA KHALIOULAH - DR (4)
HYBRIDE
Ronisia, Epic Africa
De gauche à droite, Mona Zaki, Adel Karam, Nadine Labaki et Georges Khabbaz vont jouer à un jeu dangereux…
FILM
CARTES SIM SUR TABLE
RUDY BOU CHEBEL/NETFLIX - DR
Un dîner entre amis qui tourne au cauchemar à cause des téléphones de chacun… Le PREMIER FILM ARABE DE NETFLIX fait s’étrangler les plus conservateurs. DÉCLINAISON D’UN FILM ITALIEN à succès (Perfetti Sconosciuti), un dîner dans la maison bourgeoise d’une famille arabe va mal tourner. Trois couples et un ami venu seul décident en début de repas de poser leurs téléphones portables sur la table, promettant de lire à haute voix et d’écouter avec le haut-parleur les messages qui pourraient arriver. Or, comme le dit l’un des convives : « On a toute notre vie dans ces téléphones ! » Ainsi, tromperies, petits et gros mensonges, et même un coming out vont être révélés. Ce jeu de massacre réjouissant est porté par d’excellents comédiens libanais et égyptiens, mais il a irrité les esprits les plus conservateurs : adultères, homosexualité, contraception, AFRIQUE MAGAZINE
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vin qui coule à flots… Un député égyptien y a vu des « scènes pornographiques » (même s’il n’y a aucune image érotique) portant atteinte aux valeurs de la famille, allant jusqu’à demander l’interdiction de Netflix, dont c’est la première coproduction dans la région. Un avocat a également saisi la justice égyptienne. Mais le succès du film dans le monde arabe ne se dément pas. La version initiale italienne avait d’ailleurs reçu en 2016 le prix du meilleur scénario… au Festival international du film du Caire. ■ Jean-Marie Chazeau ON SE CONNAÎT… OU PAS (Liban-Égypte) de Wissam Smayra. Avec Nadine Labaki, Mona Zaki, Eyad Nassar. Sur Netfl ix. 11
ON EN PARLE Le septième épisode suit des danseurs ivoiriens.
MIX
24 artistes de huit pays du continent, du Maroc au Botswana, démontrent l’étendue de leur talent et la richesse de la NOUVELLE SCÈNE ARTISTIQUE africaine. UN SLAMEUR IVOIRIEN qui déclame en tagwana après avoir cité le dramaturge français Corneille, une plasticienne tunisienne qui utilise le Facebook d’une inconnue pour dessiner sa vie dans une exposition, ou encore un groupe de heavy metal au cœur du Botswana : C’Katcha, Hela Lamine et Skinflint font partie des 24 artistes rencontrés pour la nouvelle saison de Y’Africa. Un titre né de la contraction de « Africa Ya lelo » (« l’Afrique d’aujourd’hui » en lingala), pour une série documentaire initiée en 2020 avec succès : 15 chaînes de télévision africaines avaient diffusé la première saison, dont les extraits via les réseaux sociaux ont dépassé les 13 millions de vues. Une production d’Orange dédiée aux cultures africaines qui s’ouvre au-delà de la francophonie. Ces huit nouveaux épisodes hebdomadaires terminent leur diffusion d’ici avril, selon les pays. Du Maroc à la Sierra Leone, en passant par le Sénégal ou le Liberia, ils et elles sont stylistes, photographes, musiciens, sculpteurs, chorégraphes… et affirment avec talent leur caractère et leur parcours, fruit de beaucoup de travail. Parmi ces fortes personnalités, la rappeuse MC Caro explique dans un bidonville du Liberia comment elle a acquis l’autorité nécessaire pour faire passer ses messages, consciente du pouvoir que les artistes peuvent avoir sur des populations traumatisées par la guerre ou qui se réfugient dans la drogue. Une bouffée de créativité et d’optimisme. Et bonne nouvelle : une troisième saison est en chantier ! ■ J.-M.C. Y’AFRICA, SAISON 2 (France), série documentaire de Dan Assayag. Sur 15 chaînes africaines et la chaîne YouTube d’Orange. 12
RÉFLEXION
REGARDS CROISÉS Un roman à clés, qui tente de démêler le vrai du faux d’une Afrique ambiguë. LEVER LE VOILE. C’est l’image qui vient à l’évocation des ouvrages jubilatoires et sans détours de l’écrivain subversif togolais, lauréat du Grand prix littéraire d’Afrique noire 2004, pour La Fête des masques, et du Prix Ahmadou Kourouma 2007, pour Le Paradis des chiots. Décrivant la candeur et l’extrême violence, le désir et le morbide, ou encore les contradictions d’une Afrique contemporaine excessive, il n’hésite pas à choquer. Dans son dernier texte, le romancier et essayiste convoque les « sommités en anthropologie, en ethnologie et en sociologie, Georges Balandier, Michel Leiris, Pierre Bourdieu, Claude Lévi-Strauss ou Raymond Aron, pour n’en citer qu’un tout petit échantillon », afin de dresser le panorama d’un continent aux frontières du réel, du concept, du fantasme. Au fil des pérégrinations de son personnage, un Français parti pour des recherches doctorales dans un village du Togo, c’est une méditation sur les failles de la connaissance de l’histoire africaine que l’auteur nous propose. Car comment penser une Afrique conforme à la réalité lorsque le regard élaboré par les Européens imprègne jusqu’à l’idée que se font les intellectuels africains de leur propre monde ? Ce n’est pas un hasard si L’Aventure ambiguë, de Cheikh Hamidou Kane, a inspiré ce récit à Sami Tchak : l’histoire d’un jeune Peul confronté à la culture occidentale, qui perd peu à peu la foi, renonce à devenir marabout et entame des études de philosophie. Ce n’est que par une réflexion rationnelle et critique que l’on pourra accéder à une compréhension tangible du monde. Et de soi. ■ C.F. AFRIQUE MAGAZINE
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DAN ASSAYAG - DR (2)
SÉRIE
LE GRAND
SAMI TCHAK, Le Continent du Tout et du presque Rien, JC Lattès, 320 pages, 20,90 €.
Blue Lab Beats FUSION
TERRAIN DE JEU SONORE
Ce duo de producteurs londoniens interroge ses RACINES AFRICAINES tout en explorant le jazz et le R’n’B contemporains. Passionnant. AU PRINTEMPS 2021, leur premier EP paru chez le prestigieux label Blue Note, We Will Rise, intronisait déjà leur art musical, nourri de multiples influences. R’n’B des années 1990, deep soul, dubstep, jazz, afrobeat… « C’est ce qu’écoutaient nos parents quand nous étions plus jeunes, répondent NK-OK et Mr DM. Ces rythmes incroyables de Fela Kuti, John Coltrane, Patrice Rushen, Roy Ayers ou Public Enemy qui résonnaient dans notre foyer sont désormais comme implantés dans nos cerveaux. » De quoi nourrir ce premier album, Motherland Journey, fort de titres imparables tels « Labels », « I’ll Be Here For You », « Sensual Loving » ou le morceau-titre, enregistré à Accra. « Lorsque nous étions au Ghana, nous avons assisté à beaucoup de défilés de rue avec des instruments de percussion traditionnels. La scène des clubs est tellement différente, il y a tellement d’amour et de passion dans l’air… Bien sûr, le nouvel album de Wizkid était également très inspirant. » L’opus de Blue Lab Beats porte bien son nom : il a nécessité plus de deux ans de travail, orchestré par le duo, qui a été rejoint ici et là par d’autres artistes enthousiastes à l’idée d’investir ce foisonnant terrain de jeu sonore : Jerome Thomas, KillBeatz, Tiana Major9, Poppy Daniels, Ghetto Boy et le regretté Fela Kuti, dont la voix et l’énergie résonnent sur « Motherland Journey ». ■ S.R.
BLUE LAB BEATS, Motherland Journey,
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Blue Note.
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KAREN PAULINA BISWELL
ON EN PARLE
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INTE RVIEW
ROKIA KONÉ
ENTRE DEUX CONTINENTS
La ROSE DE BAMAKO publie son premier album international Bamanan, produit par le producteur irlandais à succès Jacknife Lee. Une merveille ! C’EST L’UNE DES AMAZONES D’AFRIQUE, du nom de ce supergroupe féminin qui, formé au Mali en 2015, célèbre le charisme vocal, l’engagement féministe, l’attachement à la poésie et aux traditions, mais aussi la curiosité artistique de ses membres. Née à Dioro, un village près de Ségou, Rokia Koné a grandi entourée de chanteurs… Aujourd’hui, elle s’allie avec le producteur irlandais Jacknife Lee. Ses faits d’armes ? Entre autres, les disques de U2, Bloc Party, Taylor Swift ou encore REM. Avec Rokia Koné, ils ont confectionné le très réussi Bamanan. Entre sonorités synthétiques et rythmes mandingues, il raconte la violence, mais aussi l’amour, rappelle l’inégalité criante des sexes et demande justice. AM : Comment est née cette collaboration avec Jacknife Lee ? Rokia Koné : Il a découvert ma musique
KAREN PAULINA BISWELL
C’est ce qui compte le plus pour vous, d’ouvrir votre culture au monde ?
Oui, car à l’avenir, les gens n’écouteront plus la musique malienne, du moins pas de la façon dont nous l’incarnons aujourd’hui. Il est important d’expérimenter et de développer ses sonorités. En travaillant avec Jacknife Lee, j’ai eu I
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En quoi la culture bambara est-elle cruciale dans Bamanan ?
Au cœur de l’album, trois morceaux font référence à l’histoire et aux histoires du Mali transmises de génération en génération par les griots : « Anw Tile », « Soyi N’galanba » et « Bambougou N’tji ». Ces chansons racontent les parcours des grands héros bamanan de Ségou tels que Biton, N’golo et Bambougou N’tji. Certaines des paroles sont très anciennes, mais j’ai ajouté du texte et changé les mélodies et les rythmes. Il est important d’enregistrer ces vieilles chansons car ce sont elles qui nous rappellent nos origines et notre culture.
Bamanan, DECCA.
alors qu’il faisait partie du jury d’un concours de remix pour Les Amazones d’Afrique. Nous n’avons pas eu la chance de nous rencontrer de visu car il a travaillé sur l’album depuis la Californie, où il réside, pendant la pandémie. Je ne connaissais rien de lui, ni des groupes avec lesquels il a collaboré ! Mais en écoutant le travail qu’il a fait avec ma musique, je l’ai aimé parce qu’il la rend accessible à de nouveaux publics.
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l’occasion d’explorer une autre façon de faire. Cela apporte du sang neuf à la musique en général, mais aussi, Inch Allah, ouvre de nouvelles opportunités pour ma carrière…
Pouvez-vous nous raconter la genèse, l’objectif du superbe morceau « N’yanyan » ?
Nous l’avons enregistré en août 2020, au Mali, durant la nuit du coup d’État. Nous n’avons pu faire qu’une seule prise avant qu’ils ne coupent l’électricité dans la ville et n’imposent un couvre-feu. « N’yanyan » fait référence à un étranger dont personne ne connaît l’origine. C’est quelque chose que nous ne pouvons pas concrètement appréhender, que l’on ne peut ni voir ni toucher. Les griots affirment qu’ils ne savent pas ce dont il s’agit ! Cette chanson, très ancienne, a été créée par nos ancêtres afin de rappeler aux êtres humains leurs limites, leur mortalité, mais elle nous dit également que la vie dure longtemps… Nous ne sommes qu’à mi-chemin. Ces difficultés auxquelles nous sommes confrontés finiront par passer. ■ Propos recueillis par Sophie Rosemont 15
ON EN PARLE BANDE DE S S INÉ E
WHO’S THE BOSS?
ETRAN DE L’AÏR RY T H M E S
Touareg rock’n’roll
Toute la fièvre des lives du GROUPE NIGÉRIEN, qui remue le Sahel depuis vingt-cinq ans, se retrouve dans son nouvel album studio. À LEURS DÉBUTS, ces musiciens marchaient des dizaines de kilomètres pour aller jouer, leurs guitares et leurs sonos sur le dos, à travers la région du Sahel. Désormais, Etran de l’Aïr est une référence incontournable du rock de la sémillante scène d’Agadez, la plus grande métropole du nord du Niger, qui donne logiquement son nom à ce nouvel album. Ici, les guitares frémissent et les rythmes s’accélèrent, sans oublier les mélodies envoûtantes gorgées de riff comme de sable. Les frères et les cousins qui constituent le groupe mêlent le blues touareg au soukous congolais, la romance à l’engagement, mués par une insatiable soif de liberté. « Dis-moi ce qui est plus précieux dans ce monde que la paix », chantent-ils dans « Alhaire », confirmant le fameux adage que la musique adoucit les mœurs – tout en électrisant nos existences ! ■ S.R. 16
SCHEENA DONIA ET MARGUERITE DENEUVILLE, C’est maman qui commande !, à partir de 7 ans, éditions Coast to Coast, 48 pages, 12 €.
PEUT-ON PARLER d’une parentalité « à l’africaine » ? Comment l’héritage culturel influence-t-il les choix éducatifs et pédagogiques d’une famille franco-gabonaise ? Cette BD drôle et chaleureuse écrite par l’entrepreneure et influenceuse Scheena Donia et illustrée par Marguerite Deneuville est également une réflexion sincère et ironique sur la question de l’autorité parentale, vue par une maman de quatre enfants. En nous racontant sans complexes
son quotidien agité mais attachant et les moments de complicité (et de tension) avec ses enfants et son mari, l’autrice rend hommage aux femmes qui l’ont élevée avec de la poigne et beaucoup d’amour et glorifie le rôle de la « daronne ». Même si l’autorité parentale doit être partagée, elle assume le fait que C’est maman qui commande ! Et n’oublie jamais LA règle d’or : même si on l’aime plus que tout, l’enfant n’est pas roi. Un livre à lire et relire avec toute la famille ■ Luisa Nannipieri
B E AU L I V R E
LIBERTÉ AU POING Un hommage vibrant à Muhammad Ali, le plus grand sur le ring comme en dehors.
MULTIPLE CHAMPION du monde des poids lourds, figure de l’opposition à la guerre du Viêt Nam et de la bataille pour la reconnaissance de l’égalité des droits des Noirs américains, musulman converti aux côtés de Malcolm X, Muhammad Ali, né Cassius Clay, en 1942, à Louisville, a autant été adulé que vilipendé. À la fois athlète prodigieux et icône planétaire de l’histoire contemporaine américaine, il doit sa trajectoire exceptionnelle à sa fureur de vivre et à sa haine de l’iniquité. Riche de milliers de photos, de souvenirs personnels, de textes d’experts et d’interviews
GREATEST OF ALL TIME: A TRIBUTE TO MUHAMMAD ALI, Taschen, 652 pages, 100 € (en anglais). palpitantes, cet ouvrage est aussi mégalo que le fut « l’homme qui volait comme le papillon et piquait comme l’abeille ». Une belle manière de remettre les projecteurs sur ce génie de la boxe, virtuose de la provocation autant que fervent défenseur de la justice. Un héros de roman universel à ériger en symbole de l’affirmation de soi. Et du dialogue. ■ C.F.
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ABDOULMOUMOUNI HAMID - DR (3)
ETRAN DE L’AÏR, Agadez, Sahel Sounds.
Le quotidien attachant et drôle d’une mère de famille, qui ne cache pas l’influence de ses origines africaines sur sa façon de vivre la parentalité.
LE PRODIGE
PHÉNOMÈNE
OBREE DAMAN
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En quelques années, ce JEUNE CHANTEUR SÉNÉGALAIS a su s’imposer avec sa voix puissante,, claire,, à la fois suave et déterminée.
C’EST LA NOUVELLE VOIX du Sénégal. En 2016, ill remporte le concours de chant organisé par Vibe Radio, participe icipe à la première saison de l’émission The Voice Afrique francophone, sort le single « Tollouway » et intègre lee label African Victory. Depuis, il est le chouchou des médias ias et des réseaux sociaux. Né à Dakar, il a vécu à Kaolack lack et à Gorée, confié à différents membres de sa famille. lle. Mais il a surtout été marqué par sa grand-mère, qui l’a initié nitié au chant dès ses 4 ans. « Avec mes grands-parents, nous avons vécu des moments agréables mais aussi terribles, bles, et ma grand-mère avait toujours un chant, une musique ue pour chacun d’entre eux. Elle chantait la vie. J’ai hérité d’elle le don de performer la musique, qui est pour moi une façon de donner voix à l’invisible. » Le jeune homme charismatique, ismatique, qui cite Wasis Diop comme mentor, voit la musique comme « un voyage » : « Je sais d’où je suis parti, mais j’ignore re mon point d’arrivée ! Je ne considère pas la musique comme mme un métier, c’est ma vie. » Dans un studio de Guédiawaye, ye, il est en train de terminer son premier album, Bantu Balé, é, qui veut dire « morceau de bois », dans lequel il parle de protection tection de la nature et de la jeunesse sénégalaise. « Bantu » veut aussi dire « être humain » dans plusieurs langues africaines. ricaines. Citadin, il a néanmoins un pied dans la terre, sa a famille cultivant des champs à 80 km de Dakar, et chante ccee retour à l’agriculture, en wolof et en anglais. « Je vois os oi des jeunes qui vendent des noix de cajou dans les rues, ues, ils ont quitté leur village, alors qu’avec du soutien, de la formation technique, ils auraient pu bâtir quelque chose. Travailler dans l’agriculture, c’est aussi éviter de prendre la pirogue… » Le premier single, « Bo Jekko », parle, lui, du pardon. Envers les autres, mais aussi envers soi-même. « En tant qu’artistes, nous avons la responsabilité de parler d’amour, et non de haine », explique-t-il. Dans le clip, très beau, il laisse parler ses deux autres passions : le cinéma et la mode. Son deuxième me single, « Bideew », veut dire « étoile » en wolof. Nul doute que l’étoile d’Obree n’a pas fini de briller. ■ Olivia Marsaud arsaud AFRIQUE MAGAZINE
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« Bideew », son deuxième single, est paru en décembre dernier.
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EXPO
ON EN PARLE
CONTES VISUELS
Ci-dessus, Boys Run with Hoops, 2019. Ci-contre, Afghan Girl, qui fit la couverture du National Geographic en 1984.
« LE MONDE DE STEVE MCCURRY », Musée Maillol,
Paris (France), jusqu’au 29 mai. museemaillol.com 18
ON A TOUS EN TÊTE sa célèbre photo de la jeune fille afghane, réfugiée au Pakistan. Yeux verts à la fois émouvants et inquiétants, visage de madone cerclé d’un voile rouge brique. Mais il y a aussi les deux garçons courant avec des cerceaux au pied de majestueux baobabs, sur la côte sud-ouest de Madagascar. Ou encore ces danseurs insolites, sortes d’oiseaux de science-fiction, de la tribu Asaro, en Papouasie-Nouvelle-Guinée. L’univers de l’Américain Steve McCurry est celui d’un humaniste, à l’œil à la fois journalistique et artistique, pour qui le voyage s’impose comme une porte d’entrée sur le monde qui nous entoure. Un monde bousculé par la brutalité de la guerre, de la violence. Mais toujours sublimé par les rencontres, l’élégance de l’ordinaire, des rites ou d’un regard. Dans chacune de ses photographies se conjuguent l’imprévu et l’instant. Saisies par l’objectif de cet arpenteur de zones reculées, souvent risquées, elles reflètent la magie d’une scène, d’un visage. Et nous racontent à chaque fois une histoire. ■ C.F. AFRIQUE MAGAZINE
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THOMAS FAVERJON - STEVE MCCURRY (2)
À travers 150 CLICHÉS EN GRAND FORMAT, le musée Maillol présente une rétrospective exceptionnelle du célèbre photographe américain STEVE MCCURRY.
Un roman bouleversant sur l’histoire passée SOUS SILENCE, ses déchirements. Et d’autres possibles.
Elif Shafak Renaissances
MARIE ROUGE POUR TÉLÉRAMA
L I T T É R AT U R E
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« IL Y A UNE QUANTITÉ DE CHOSES qu’une frontière – même d’un tracé aussi net et aussi bien tracé que celui-ci – ne peut empêcher de traverser. Les vents étésiens, par exemple, au nom doux mais étonnamment fort, meltemi ou meltem. » Dès les premières lignes, le ton est donné. C’est la question de l’appartenance, de l’enracinement et de l’exil qui porte la voix de ce roman d’un amour interdit entre un Grec, Kostas Kazantzakis, et une jeune fille turque, Defne. Nous sommes en 1974, dans une Chypre déchirée par la guerre civile. Une île divisée par une ligne de démarcation gardée par les Casques bleus, séparant les chrétiens des musulmans, les Grecs des Turcs. Mais dans ce climat de haine et de violence, il y a aussi ce qui voyage au-delà des frontières. Les histoires, les sons, les rêves, les oiseaux migrateurs. Et la littérature. Tout ce que l’on a en commun et qui nous relie en tant qu’êtres humains. Depuis toujours, l’écrivaine turque s’intéresse à ce qui transcende les frontières, la liberté de penser et d’être. À 50 ans, exilée depuis que le régime de Recep Tayyip Erdogan la tient sous haute surveillance, cette opposante et féministe engagée vit à Londres. Son deuxième roman écrit en anglais, La Bâtarde d’Istanbul, best-seller en Turquie en 2006, lui a d’ailleurs valu d’être poursuivie en justice pour avoir abordé le génocide arménien. Pétris de réalisme et de merveilleux, de traditions romanesques occidentales et orientales, ses récits sont traversés par la force de la mémoire, de l’héritage, des silences et des vides. Son douzième roman ne déroge pas à la règle. Il porte en lui la puissance et l’émotion de ses précédents ouvrages. Et révèle un monde où les arbres, gardiens du temps et des souvenirs, connectés à la fois en dessous et au-dessus du sol, nous rappellent qui nous sommes. Un parmi des millions, au milieu du vaste univers. ■ C.F. ELIF SHAFAK, L’Île aux arbres disparus,
Flammarion, 432 pages, 22 €.
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ON EN PARLE Sur la terrasse, Nola Hatterman, 1930.
Portrait d’une femme noire, Marie-Guillemine Benoist, 1800. Madonna and Child, James Latimer Allen, vers 1930.
C U LT U R E
L’HISTOIRE DE L’ART REVUE ET CORRIGÉE
Le compte Instagram « A BLACK HISTORY OF ART » met à l’honneur la création artistique noire, pour lui redonner toute la place qu’elle mérite.
La jeune femme a transformé ce qui était au départ un sentiment de stupeur en un projet inspirant, lequel permet de voir à quel point la conscience noire imprègne l’art. Cela va du Portrait d’une femme noire (1800), de Marie-Guillemine Benoist, l’un des tableaux qui ont marqué sa formation et le premier post de la page, aux travaux inspirés par le bogolan du Malien Amadou Sanogo, en passant par les sculptures de Barbara Chase-Riboud ou par Laure, la modèle noire du tableau Olympia (1863), de Manet. ■ L.N. Compte Instagram : ablackhistoryofart
HUMOUR
MDR à Abidjan! APRÈS UNE PREMIÈRE ÉDITION EN 2021, le leader de l’humour francophone, Grégoire Furrer, créateur du Montreux Comedy en Suisse, revient à Abidjan et pose ses valises durant une semaine au Dycoco Comedy Club pour un grand festival du rire à l’occasion de la journée internationale de la francophonie. Une vingtaine d’artistes internationaux et ivoiriens, dont le Québécois Reda Saoui, les Français Oth & Kal, le Camerounais Valéry N’Dongo ou l’Ivoirien Clentelex seront au rendez-vous pour une semaine MDR (Marathon du rire), qui doit tourner entre le Dycoco et l’Institut français de Côte d’Ivoire. ■ Emmanuelle Pontié FESTIVAL DYCOCO, Abidjan (Côte d’Ivoire), du 20 au 26 mars. dycoco-comedy.com 20
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CAPTURES D’ÉCRAN D’INSTAGRAM (4) - NEALS NIAT
FRÉQUENTER L’UN DES MEILLEURS cours d’histoire de l’art du monde, celui de l’université de Cambridge, et se rendre compte qu’aucun artiste noir n’est jamais abordé en classe… Pour la Nigériane et résidente britannique Alayo Akinkugbe, 21 ans, cela a été un choc. Et l’une des raisons qui l’ont poussée à créer, en février 2020, le compte « A Black History of Art » sur Instagram. Y sont mis en avant des artistes, modèles, conservateurs et penseurs noirs délaissés par l’histoire officielle. Deux ans plus tard, il est suivi par 54 500 abonnés.
Le modèle Laure, dans Olympia, Manet, 1863.
DESIGN
KOMPA, la plénitude d’après Peter Mabeo Le créatif de Gaborone et Fendi collaborent sur une collection centrée sur les matériaux et L’ARTISANAT BOTSWANAIS.
LA MAISON DE MODE internationale Fendi et le designer botswanais Peter Mabeo se sont associés pour créer une collection d’une dizaine de pièces uniques et modernes, réalisées à partir de techniques différentes habilement combinées entre elles. Dévoilée lors de la foire Design Miami, la collection « Kompa » (« ce qui est complet » en botswanais) réunit le meilleur de l’artisanat local dans des objets multifonctionnels, aux formes émoussées et aux teintes naturelles. Peter Mabeo a déjà travaillé avec de grands noms du design, comme Inès Bressand ou Patricia Urquiola, depuis Gaborone, où il a ouvert Mabeo Furniture en 1997. Pour cette collaboration avec Fendi, il a sillonné le
pays pour instaurer un dialogue créatif avec des peintres, des vanniers, des sculpteurs, des céramistes et des ferronniers. Le travail de cette communauté artisanale a donné vie à des pièces tel le Chichira Cabinet, un buffet en feuilles de palmier tressées, doté de tiroirs en bois à ouverture verticale enchâssés sur des montants métalliques. Ou le Loma Stool, composé de deux éléments spéculaires en bois, conçus par une équipe de menuisiers et de potiers, qui peuvent servir de tabourets, de table d’appoint ou d’unités de rangement. À l’intérieur, on retrouve des motifs tribaux peints par des artistes d’une région désertique du Botswana. ■ L.N. mabeofurniture.com
ROBIN HILL
De gauche à droite, la Foro Chair, le Chichira Cabinet et le efo Stool.
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ON EN PARLE
Les pièces sont réalisées avec des matières de grande qualité…
… et les ensembles sont colorés et unisexes.
… les coupes sont basiques et fluides…
LUKHANYO MDINGI crée du lien
MODE
Lukhanyo Mdingi.
CE N’EST PAS UN HASARD si le tricot est l’une des techniques les plus utilisées par Lukhanyo Mdingi pour ses créations. Comme les fils de laine mérinos ou de mohair qui s’entremêlent pour créer les pulls, les écharpes et les robes graphiques et colorées de ses collections, il aime répéter que c’est la collaboration entre designers textiles et artisans talentueux d’Afrique du Sud, du Burkina Faso et d’ailleurs qui lui a permis de réaliser son rêve d’enfance et de se faire connaître à l’international en tant que créateur de mode. Directeur artistique de la marque qui porte son nom depuis 2015, le quasi trentenaire sud-africain a remporté le prix LVMH pour les jeunes créateurs de mode en septembre 2021 et a été invité à ouvrir la Paris Fashion Week homme de l’automne-hiver 2022-2023. Un succès qu’il attribue à « cette communauté d’artisans et d’humains, et leurs talents, qui font la richesse de nos collections et à laquelle je veux rendre service. À travers la création, j’espère aussi générer un impact social nouveau sur 22
ces communautés-là ». Cette approche lui a valu le soutien de l’Ethical Fashion Initiative, le programme des Nations unies et de l’Organisation mondiale du commerce qui met en relation les marques émergentes, les artisans et les producteurs locaux dans un souci de développement durable social et environnemental. Pour présenter sa dernière collection, « Bodyland », Lukhanyo Mdingi a recouvert les murs de l’Espace Voltaire, à Paris, de larges pans de tissus et a invité sur scène Véronique, l’une des tisserandes burkinabées à l’origine des textiles audacieux qui composent ses pièces unisexes. Une autre façon de mettre en avant « les mains qui créent » et l’humain derrière les vêtements. Pour le designer, qui construit ses costumes, ses ensembles décontractés et ses robes à partir de coupes basiques et fluides, réalisées avec des techniques traditionnelles et des matières de grande qualité, ce sont la texture et la palette de couleurs qui donnent à chaque pièce un caractère moderne, puissant et sensuel. ■ L.N. lukhanyomdingi.co.za AFRIQUE MAGAZINE
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Le designer sud-africain a fait ses débuts à la Fashion Week de Paris avec « Bodyland », une ligne qui CÉLÈBRE L’HUMAIN derrière les vêtements.
ASA
POP
LAGOS SPIRIT Déjà le CINQUIÈME ALBUM SOLO pour la chanteuse franco-nigériane, qui a trouvé l’inspiration dans la ville des lacs.
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IL S’APPELLE, très logiquement, V, et s’ouvre sur le velours mélodique et l’énergie rythmique de « Mayana »… Et persiste dans sa pop nourrie de R’n’B, de soul et d’afrobeat, sans contraintes ni textuelles ni génériques. Elle qui n’avait jamais eu le temps, en quinze ans de carrière bien remplie, de se poser longtemps au Nigeria a, dès le début de la pandémie, pris l’un des derniers vols Paris-Lagos. Sur place, elle s’est ressourcée, a écrit et composé. En résultent ces nouvelles chansons, parfois partagées avec d’autres artistes enthousiastes et de toutes générations, tels la Ghanéenne Amaarae (« All I Ever Wanted »), le groupe de highlife The Cavemen (« Good Times ») et le prince de l’afrobeat Wizkid (« IDG »). ■ S.R.
ASA, V, Platoon.
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ON EN PARLE
LE GOÛT DU TERROIR
À Marrakech et à Lagos, deux chefs de talent invitent à redécouvrir les SAVEURS LOCALES avec des cartes innovantes et de grande qualité. CHAQUE PAYS A SON TERROIR. Certains restaurants se font un devoir de le mettre en avant, et les chefs s’amusent de plus en plus à expérimenter avec. Comme Faiçal Zahraoui, déjà meilleur jeune talent du prix Gault et Millau Maroc 2017, aux fourneaux du Azalai Urban Souk, à Marrakech. Sa passion pour les ingrédients de caractère, comme la sardine, qu’il travaille dans différentes textures, et ses recherches sur les techniques de fumigation des aliments, qui apportent une touche moderne aux classiques, ont fait de lui une figure de proue de la bistronomie marocaine. Au menu de ce local à la déco beldi-bohème, on trouve des plats à base de farine de caroube, au goût légèrement chocolaté, un risotto de lentilles avec émulsion de lait de coco ou encore une crème brûlée au millet. Parfait pour un repas locavore, végé-friendly et sans gluten. La même dévotion aux produits locaux, sains et de qualité a poussé le chef Michael Elegbede à ouvrir l’Ìtàn Test Kitchen, à Lagos, en 2019. Dans cette petite table – 18 couverts trois fois par semaine –, le dîner est une expérience culinaire et culturelle. Chaque menu met à l’honneur la cuisine de l’un des groupes ethniques du Nigeria, des Yoroubas aux Igbos. Une façon de nourrir les estomacs 24
Le chef Michael Elegbede a ouvert l’Ìtàn Test Kitchen en 2019.
et les cerveaux avec une cuisine durable, qui participe du développement de la filière alimentaire. Ici, pas de gaspillage : on utilise chaque partie des ingrédients, que ce soit du bœuf ou de l’igname. Et tout vient du Nigeria, des assiettes en argile aux fraises, cultivées avec soin par des fermiers partenaires. ■ L.N. azalai-urban-souk.business.site michaelelegbede.com/itan
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SPOTS
L’Azalai Urban Souk propose des repas locavores, végé-friendly et sans gluten.
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Nouvel écrin pour le tennis à Casa ARCHI
Avec ce complexe sportif DÉDIÉ À LA BALLE JAUNE, l’agence YDA marque le paysage urbain de la ville côtière.
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CONSTRUIT À L’ENTRÉE du nouveau quartier Anfa Club de Casablanca, le club de tennis de l’Association culturelle sportive de l’air (ACSA) a ce qu’il faut pour devenir un point de repère au milieu des nouvelles constructions. La structure du complexe, qui comprend six courts de tennis, une salle de sport, un sauna, un restaurant ainsi qu’une salle de prière, est minimaliste mais visuellement marquante. La plupart des espaces ouverts au public ont été condensés dans un grand bâtiment rectangulaire recouvert par des gradins et habillé en bois. Cette tribune sert aussi d’escalier et donne accès à une terrasse de 500 m2, avec vue dégagée sur les terrains de jeux. La couleur ocre du revêtement est un clin d’œil à la terre battue des courts et fait ressortir le complexe sportif dans le paysage urbain. Ce projet, inauguré en janvier dernier, est signé par Younes Diouri, fondateur de l’agence YDA en 2015. Formé à l’École nationale supérieure d’architecture de Versailles, il fait partie de cette nouvelle génération marocaine engagée dans le renouveau de l’architecture contemporaine. Il a, entre autres, participé à la conception du nouveau parc urbain qui a supplanté la piste d’atterrissage de l’ancien aéroport Casa-Anfa et travaille à la réhabilitation des historiques Arènes de Tanger. Un projet qu’on a hâte de découvrir. ■ L.N. yd-a.com
La couleur ocre de la structure est un clin d’œil à la terre battue des courts.
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PARCOURS
Diadié Dembélé
DANS UNE LANGUE INVENTIVE ET POÉTIQUE,
l’écrivain malien signe un premier roman d’apprentissage plein d’humour, Le Duel des grands-mères : l’histoire d’un jeune Bamakois envoyé au village de ses ancêtres. par Astrid Krivian
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’est l’histoire d’un garçon qui veut « retrouver sa langue ». Parce qu’il est impertinent, dissipé, trop occidentalisé aux yeux de certains, le jeune Hamet, 12 ans, écolier à Bamako et adepte de l’émission télévisée Des chiffres et des lettres, est envoyé au village. Ses parents espèrent ainsi le remettre dans le droit chemin et lui inculquer les us et coutumes soninké. Auprès de ses aïeules, Hamet retisse le lien avec ses origines, découvre le travail des champs, les assemblées villageoises, les croyances ancestrales – lesquelles défient sa lecture cartésienne des phénomènes naturels. Roman d’apprentissage, Le Duel des grands-mères raconte les tiraillements de son héros, partagé entre différentes cultures et langues, « qui marche dans le brouillard des identités produit par les essentialistes de tout bord ». Diadié Dembélé a lui-même expérimenté ce plurilinguisme. Né à Kodié de parents soninké originaires de Kayes, il grandit à Bamako, où le bambara est utilisé en majorité : « À la maison, on parlait le soninké ; avec les voisins, dans la rue, c’était le bambara. Et à l’école régnait un climat de terreur : le français était obligatoire », se souvient-il. Si le bambara est sa langue de cœur, il a choisi d’écrire en français, avec lequel il entretient un lien ambigu : « Je l’aime beaucoup. Mais introduite par les colons, cette langue demeure, pour la génération de mon père, celle du déracinement et de la violence. Aujourd’hui, elle garde le statut de langue officielle dans certains pays, au détriment des locales, reléguées à un rang inférieur », regrette-t-il. Influencé par l’œuvre d’Ahmadou Kourouma, son « gros-gros français » est irrigué par des imaginaires issus du bambara et du soninké, ponctuant son texte de mots et d’expressions idiomatiques. « J’ai compris qu’on peut faire de la littérature avec n’importe quel registre, me libérant d’une vision balzacienne de purifier la langue. Comme en cuisine, ce n’est pas tant les ingrédients qui importent, mais la recette, et notre touche personnelle. » Parmi ses autres lectures fondatrices : Soundjata ou l’épopée mandingue, de Djibril Tamsir Niane, et des œuvres de Césaire, Senghor, Le Duel des grands-mères, Léon-Gontran Damas, Mariama Bâ, David Diop, Yambo Ouologuem, Seydou Badian JC Lattès, 224 pages, 19 €. Kouyaté, Amadou Hampâté Bâ, Céline… « L’origine de mon rapport au monde, c’est la lecture. » Adolescent, il confie ses états d’âme à un journal intime, mais ne se rêve pas encore écrivain, intimidé par le sacré auréolant certains livres : « On m’a appris qu’il n’y avait plus rien après le Coran, ni après nos classiques. » Le déclic se produit plus tard lorsque, établi en France, il publie en 2019 un premier recueil de poèmes, Les Tresses royales. « Écrire me permet de supporter le réel. » Interprète au sein d’une association d’aide aux personnes migrantes, Diadié Dembélé intègre le master Création littéraire de l’université Paris 8. On lui enseigne à démystifier l’inspiration, aléatoire, au profit de la discipline, de la régularité, afin de produire du texte. Il apprend à soumettre ses écrits au regard des autres, à entendre leurs retours, parfois contradictoires. « À un certain moment, le texte ne nous appartient plus. Il faut accepter de l’abandonner. Ce n’est plus une question de vie ou de mort. » ■
MAURINE TRIC
«L’origine de mon rapport au monde, c’est la lecture.»
C’EST COMMENT ?
PAR EMMANUELLE PONTIÉ
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C’EST DÉJÀ TROP TARD ! Je sais, c’est un sujet récurrent ici. Mais c’est volontaire. Et l’actualité l’exige. En effet, le second volet du sixième rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) vient de sortir. Alors, certes, entre les menaces djihadistes, les coups d’État et les transitions incertaines en Afrique, la guerre en Europe et, hier, le Covid-19 pour tous, la question de l’urgence climatique passe régulièrement à la trappe. Pourtant, nous allons tous payer l’addition. Et pas demain, mais dès maintenant. António Guterres, le secrétaire général de l’ONU, à sa lecture, a fait une déclaration qui se passe de commentaire : « Un recueil de la souffrance humaine et la preuve de l’abdication criminelle des dirigeants mondiaux. » C’est exactement ça. De COP en COP, rien n’avance. Les fonds promis à l’Afrique ne sont toujours pas débloqués. Et si la prise de conscience des populations est réelle, face aux effets visibles des vagues de chaleurs démesurées, des précipitations en abondance délirante ou de l’élévation vertigineuse du niveau de la mer, je ne suis pas sûre que les États, riches ou pauvres, aient pris le taureau par les cornes. La politique politicienne gère le présent, c’est connu. Pas le futur. Alors, que faire ? Selon ce nouveau rapport, fruit des analyses de 270 chercheurs du monde entier sur 34 000 études disponibles depuis 2014, notre inactivité nous a menés à un point de non-retour sur la plupart des dégradations de notre planète. À tel point que l’urgence est moins de les enrayer (elles sont déjà là) que de s’y adapter. Parmi les pistes : repenser les villes, en limitant les îlots de chaleur et en facilitant l’évacuation des eaux. Pas gagné en Afrique où « isoler la chaleur », ça ne va pas être simple. Pire : la plupart des routes du continent ont été conçues sans évacuation ! Il ressort que ce genre de chantiers, longs et onéreux, prendra tellement de temps que… la sécheresse et les inondations mettront en péril la sécurité alimentaire, l’accès à l’eau, la santé. Quels que soient les programmes, ceci ou cela lancé par les gouvernements. S’il ne tape pas du poing sur la table côté financements et ne met pas le climat en tête des priorités, le continent risque de sombrer. Corps et biens. Car, en effet, si l’Afrique pollue très peu en comparaison du reste du monde, elle est la plus fragile et la première impactée. Donc, faut bouger là ! ■ AFRIQUE MAGAZINE
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LE MAL D’ÉTAT PERMANENT Depuis l’indépendance, le pays vit une rupture constante, entre coups militaires, errance des institutions et montée des violences irrédentistes ou djihadistes. Retour sur une impossible construction nationale.
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Assimi Goïta est officiellement investi président de la transition, le 7 juin 2021, au Centre international de conférence de Bamako.
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JOURS INCERTAINS À BAMAKO
Depuis le coup d’État d’août 2020, le Mali s’enfonce dans l’instabilité politique. Mais la « transition » emmenée par un chef de la junte « populaire » pourrait durer jusqu’en 2027… par Emmanuelle Pontié
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i-février, les radios-trottoirs à Bamako se multiplient dans les médias. La télévision locale TDM tend le micro à des jeunes quasiment unanimes : « Vive Goïta ! », « Tant mieux si les Français s’en vont ! », ou encore « Le Mali aux Maliens ! » Radio France internationale (RFI) se prête au même exercice. Même son de cloche. Seuls quelques sondés, d’âge plus mûr, et certainement plus à l’aise face à l’anonymat d’un micro que devant une caméra, s’interrogent sur l’avenir sécuritaire, sur la capacité de l’armée malienne à faire le job. Mais globalement, le jeune homme fort de Bamako, le colonel Assimi Goïta, 38 ans, a réussi en quelques mois à inverser la tendance. En octobre dernier encore, à part quelques jeunes galvanisés qui répondaient à l’appel (tarifé, dit-on) à manifester pour le nouveau pouvoir installé le 24 mai 2021, la plupart de l’élite et des opérateurs économiques nourrissaient les plus grandes inquiétudes face aux lendemains. On ne croyait pas vraiment en Goïta, un militaire peu connu, réputé silencieux, qui ne recevait pas beaucoup, mal à l’aise à l’oral, aux desseins politiques encore mystérieux. Déjà, on s’inquiétait de la rumeur du départ de la force Barkhane, de l’arrivée des mercenaires de la société russe Wagner, de la vie chère héritée des restrictions dues à la pandémie, du calendrier électoral prévoyant l’organisation d’une présidentielle le 27 février 2022 qui ne serait certainement pas respecté… Aujourd’hui, les mêmes sceptiques ont un discours souvent bien différent. Car, vraisemblablement, Assimi Goïta, lorsqu’il fait partie des cinq colonels qui renversent le président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) le 18 août 2020, a un agenda. Selon plusieurs sources, il laisse d’abord le pouvoir à Bah N’Daw, en prenant la place de vice-président de la transition. Neuf mois plus tard, le 24 mai 2021, au motif que ce dernier aurait tenté d’écarter son 32
cadet des décisions, Goïta procède à ce qui s’appellera pudiquement une « rectification » et devient président de la transition. Pour l’opinion malienne, il s’agit alors d’un nouveau coup d’État, qui n’augure rien de bon. Pourtant, peu à peu, le président de la transition impose son style, en surfant sur la fibre patriotique d’un peuple fatigué par près d’une décennie du pouvoir affaibli d’IBK et des exactions de groupes islamistes dans le nord du pays, dont les multiples forces étrangères installées sur place – la France en tête – n’arrivent pas à venir à bout. Peu enclin à respecter la date du 27 février imposée par la communauté internationale pour rendre le pouvoir aux civils, il tient tête à la France, arguant que sa mission de sécurité a fait long feu et qu’elle doit partir. Un départ officialisé par Emmanuel Macron lors du sommet UA-UE le 17 février au matin. « L’opération Serval lancée en janvier 2013, dont la mission était d’empêcher les djihadistes de descendre vers le sud, était une excellente initiative, et elle a réussi. Nous avions accueilli les Français à bras ouverts, en libérateurs, en sauveurs. Mais l’objectif était de former notre armée et de lui passer le relais. La force Barkhane qui a suivi – comme la Task Force européenne Takuba placée sous commandement français – s’est enlisée. AFRIQUE MAGAZINE
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L’une des multiples manifestations contre les sanctions de la CÉDÉAO dans la capitale. Ici, sur la Place de l’indépendance, le 14 janvier 2022.
En revanche, il faut reconnaître que les torts sont largement partagés, car qu’avons-nous fait de notre armée en neuf ans ? Strictement rien. La faute revient autant au gouvernement malien – voire davantage – qu’aux Français », commente un opérateur économique local. Justement, le chef de la transition est bien décidé à rebooster l’armée, afin qu’elle reprenne sa place. Un journaliste à Bamako approuve : « L’argent va à l’armée, c’est clair. Elle est équipée, respectée, et commence à engranger des victoires sur le terrain. On peut faire confiance au colonel. Juste avant le coup d’État de 2020, il dirigeait les forces spéciales dans le centre du pays et combattait les djihadistes. » Dans les quartiers, on suit les avancées de l’armée avec intérêt. Un étudiant s’exclame : « On est fiers ! C’est à nous de combattre sur notre territoire. On n’a besoin de personne ! » SÉCURITÉ ET NOUVEAU CONTEXTE
Même si l’armée, très soutenue par le nouveau pouvoir, semble reprendre confiance en elle, le départ de la force Barkhane et de la Task Force Takuba risque de changer la donne sur le plan du contexte sécuritaire. La MINUSMA a vite déclaré qu’elle allait devoir se réorganiser. En effet, l’imposante mission AFRIQUE MAGAZINE
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de Casques bleus, composée d’environ 15 000 militaires et policiers, est une force d’interposition. Elle menait des opérations conjointes avec les soldats de Barkhane, qui les soutenaient en matière de renseignement et de sécurité. Par ailleurs, les mercenaires russes du Groupe Wagner se sont déployés sur le terrain, à la demande des autorités de la transition. Au palais de Koulouba, on parle officiellement de coopération russo-malienne, pas de Wagner, que sa mauvaise réputation précède, notamment depuis qu’il intervient en Centrafrique. On peut supposer, au vu du nouveau contexte intervenu fin février avec la guerre déclarée à l’Ukraine par le président russe Vladimir Poutine – qui a déclenché une levée de boucliers de l’Europe et de la quasi-totalité du reste du monde – que toute collaboration en terre malienne entre la société « secrète » Wagner et l’ONU n’est pas envisageable, si tant est qu’elle aurait pu l’être… Dans ce contexte encore, il est probable que l’appel à un « dialogue bilatéral » avec les pays européens qui souhaiteraient aider le Mali à sécuriser son territoire, lancé le 17 février, reste lettre morte pour un moment. Enfin, au nord et en particulier dans la zone des trois frontières (Mali-Burkina Faso-Niger), les populations sont moins « optimistes » que dans les quartiers de Bamako. Au-delà des 33
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questions de sécurité gérées en grande partie par Barkhane et Takuba, on doute que l’armée devienne efficace du jour au lendemain. Quid dans l’intervalle ? Et comment, aussi, remplacer le grand nombre d’emplois précieux que la présence française générait dans la région [voir encadré ci-contre]. Au-delà de mettre tout en œuvre pour que le pays ait les moyens de sécuriser lui-même son territoire, et lui redonner ainsi sa fierté, Assimi Goïta prend grand soin de l’opinion intérieure, en jouant la carte de la politique participative. Des Assises nationales de la refondation ont été organisées en décembre dernier. Il en est, entre autres, officiellement ressorti que les Maliens souhaitaient que la transition se prolonge de six mois à cinq ans. Dans le même temps, la nouvelle charte de la transition a été adoptée fin février, qui stipule que son actuel président n’a pas le droit de se présenter à la prochaine élection, mais qu’il peut prolonger son séjour à Koulouba jusqu’en 2027. Levée de boucliers d’une dizaine de partis politiques, dont le Rassemblement pour le Mali (RPM), fondé par feu Ibrahim Boubacar Keïta, qui ont déclaré qu’ils ne reconnaîtraient plus la transition au-delà du 25 mars. Levée de boucliers aussi de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CÉDÉAO), qui négocie sans grand succès jusqu’à ce jour pour que la date initialement prévue du 27 février pour l’organisation d’un scrutin universel ne soit pas reportée trop loin. L’Algérie et l’Union africaine ont de leur côté proposé un délai supplémentaire de seize mois. Demande restée à ce jour sans réponse. « ON NE TIENDRA PAS LONGTEMPS »
Le credo d’Assimi Goïta : c’est aux Maliens de décider, pas aux États étrangers.
La CÉDÉAO justement, actant que la date convenue pour rendre le pouvoir aux civils ne serait pas respectée après six mois de transition, a décidé en janvier d’imposer des sanctions à la junte au pouvoir, de fermer les frontières et de suspendre les échanges avec le Mali. Des sanctions tout aussi lourdes de conséquences pour le quotidien de la population. Plus de commerce, plus de transactions bancaires, plus d’importations, sauf les produits alimentaires de première nécessité. Des tonnes de marchandises sont bloquées dans les ports des pays voisins. Des secteurs entiers sont impactés, comme celui du BTP, où le sac de ciment local est passé de 90 000 francs CFA à 135 000 FCFA. Des usines commencent à mettre la clé sous la porte. Par ailleurs, la production de coton pour la campagne 20212022 s’annonce record et devrait hisser le Mali à la première place cette année en Afrique. Mais seulement 2 % de l’or blanc est transformé sur place. Si les exportations restent bloquées avec la fermeture des frontières, comment écouler les stocks qui représentent la deuxième source de revenu du pays après l’or ? Certes, début mars, le ministère du Développement rural 34
annonçait sur sa page Facebook le lancement du premier convoi de coton fibre vers le port de Nouakchott, afin de détourner le blocus de la CÉDÉAO. Mais l’inquiétude dans les milieux cotonniers, où la précieuse denrée fait vivre des milliers de familles, est toujours de mise. « Il faut très vite faire en sorte que ces sanctions soient levées. Pour le moment, Bamako tient plus ou moins, mais sur le long terme, ce sera une catastrophe pour l’ensemble du pays. Il faut négocier. Urgemment », déplore une femme d’affaires. À propos de négociations, un grand nombre de délégations ont fait le déplacement à Bamako, l’ex-président nigérian Goodluck Jonathan en tête pour celles de la CÉDÉAO, afin de parlementer avec le colonel et essayer d’obtenir une date précise pour son départ. Sans succès. Le credo du chef de la junte : c’est aux Maliens de décider, pas aux pays étrangers. Des réformes sont à mener avant tout, etc. Dans le même temps, le pays a décidé de déposer deux recours devant la Cour de justice de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) en demandant « l’annulation des décisions » prises par la CÉDÉAO. Même s’il est peu probable que ces recours aboutissent, c’est une manière de défier l’instance régionale. Le défi, c’est aussi une marque de fabrique d’Assimi Goïta : « La diplomatie, ce n’est pas son fort. Et c’est un souci. Il sait très bien chauffer son opinion publique et semble nourrir de vraies ambitions pour le pays. Mais on ne va pas pouvoir continuer à se mettre tout le monde à dos comme ça. Le pays ne va pas tenir », reconnaît une journaliste d’une radio de Bamako. Il est vrai que la manière dont le colonel a par exemple géré le départ des Français en exigeant que l’ambassadeur Joël Meyer quitte le territoire en 72 heures, puis en demandant que la force Barkhane évacue les lieux « rapidement » quelques heures après l’annonce de son retrait officiel par le président Macron, ne relève pas du langage diplomatique habituel. Le chef de l’État français a d’ailleurs riposté que ses soldats se retireraient sur une période de quatre à six mois. Avant de demander le 28 février à tous les coopérants qui travaillaient dans des ministères maliens de regagner la France. Une mesure de rétorsion qui donne le ton. Plus globalement, les échecs répétés de toutes les missions organisées par les pays voisins ou par la CÉDÉAO montrent la même réalité : Assimi Goïta surfe sur sa popularité dans l’opinion intérieure, qui applaudit son courage. Aujourd’hui. Car de l’avis de plusieurs Maliens encore sceptiques, la même opinion pourrait bien se retourner rapidement contre lui si les sanctions finissent par asphyxier le pays et vider le panier de la ménagère. Et si la lutte contre les djihadistes, dont les nouveaux contours sont encore flous, échoue. ■ AFRIQUE MAGAZINE
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À Gao, on s’inquiète du départ de Barkhane La force française en action, qui devrait quitter le Mali dans les six mois.
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Bamako, l’annonce du retrait de l’opération Barkhane et de ses partenaires, le 17 février, a été accueillie avec une certaine joie. Elle a même été célébrée, deux jours plus tard, par le mouvement Yéréwolo Debout sur les remparts, un regroupement d’associations qui milite depuis plusieurs années pour le départ des forces françaises. Si elle ne suscite pas plus d’émoi que cela dans la capitale ni dans des régions du sud, c’est dans le nord, et principalement à Gao, porte d’entrée vers le septentrion malien, que l’inquiétude est grande. Pour emprunter la formule d’Abdoul Nasir, un représentant de la société civile de Gao : « Barkhane n’est pas à Bamako. » Selon lui, une partie de la population de la ville craint le départ des troupes françaises, sur le plan sécuritaire mais également économique. Sur ce dernier point, Barkhane participe beaucoup à l’activité en se fournissant auprès de nombreux jeunes de la ville. En 2021, la force assurait avoir dépensé 19 milliards de FCFA (plus de 28 millions d’euros) auprès de 226 fournisseurs locaux. Une importante manne financière qui va s’envoler dans moins de six mois, échéance du retrait effectif. « Beaucoup vont perdre leurs revenus, et, ici, de nombreuses armes circulent », s’inquiète Nasir. Ce détail n’est pas anodin : le risque de voir la criminalité exploser est pris au sérieux par les autorités qui annoncent qu’elles mettront en place des mesures de soutien afin d’aider les populations. Même si, dans l’ensemble, la plupart s’accordent à dire que
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la présence de Barkhane a fait long feu, sa force de dissuasion est réelle. « Elle représente une sorte de rempart, mais, mis à part cela, je crois que les Français ne sont pas sincères dans leur engagement. S’ils voulaient vraiment mettre fin au terrorisme, avec tous les moyens dont ils disposent, ils le feraient », déplore Ali Maiga, un commerçant. Pas loin de la grande ville de Gao, à Tessit, qui se situe dans la zone des trois frontières, épicentre de la violence, l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) et le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), les deux groupes terroristes qui opèrent principalement se font la guerre. La population, prise entre deux feux, est pressée de choisir son camp. Une quarantaine de civils ont été massacrés à la mi-février dans cette zone par l’un des deux groupes. L’armée malienne, dont la montée en puissance se confirme, y a mené une opération durant laquelle elle a perdu huit hommes et neutralisé une cinquantaine de terroristes. Mais cela n’a pas suffi à totalement desserrer l’étau. « Tessit est tout près de nous, nous souhaitons que l’État nous dise ce qu’il compte faire pour remplacer Barkhane en matière de sécurité », exige un jeune qui souhaite rester anonyme. C’est toute une partie de la région qui doit se préparer à vivre sans la force. « Cela va être dur, les Français offraient des soins que nous ne pouvons pas avoir ici, à Gao, donc nous sommes déçus que notre avis n’ait pas été demandé au sujet de ce départ. Nous sommes quand même les premiers concernés ! » regrette Moussa Maiga, un enseignant. ■ Boubacar Haïdara
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AUX ORIGINES DE LA CRISE
Depuis 1963 et la première rébellion touarègue indépendantiste, les insurrections et les putschs se succèdent. Tentative de décryptage.
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par Hussein Ba
u Mali, comme dans la plupart des pays africains, la crise découle avant tout des péripéties de construction de l’Étatnation. Déjà, en 1963, sous Modibo Keïta, une première rébellion touarègue indépendantiste éclate ; une insurrection précoce dénommée Alfellaga, réprimée avec l’aide du Maroc et surtout de l’Algérie, redevable au pays, qui a servi de base arrière à l’aile sud du Front de libération nationale (FLN) pendant la guerre d’indépendance. En 1968, un groupe d’officiers subalternes prend le pouvoir sous la direction de Moussa Traoré, héritant d’un outil de défense solide et du soutien actif de l’Algérie. Sous sa présidence, les populations nomades du Nord subissent, en 1973 et en 1986, deux épisodes de sécheresse particulièrement éprouvants. Beaucoup de Touaregs sont contraints à l’exil, et une grande partie prend le chemin de la Libye. Et c’est en Libye, précisément dans les académies de Mouammar Kadhafi, que l’embryon de la rébellion touarègue prend vie. Iyad Ag Ghali, figure tutélaire du mouvement touareg, est un combattant de premier plan de la légion islamique créée par Kadhafi, et il est, à ce titre, envoyé comme supplétif auprès des forces palestiniennes, pendant la guerre au Liban contre l’armée israélienne. On peut aussi citer Hassan Ag Fagaga, Ibrahim Ag Bahanga, Shindouk Ould Najim (chef d’état-major du Mouvement national de libération de l’Azawad [MNLA]), tous passés entre les mains des formateurs libyens. Même si de nombreux Touaregs, comme ceux de Ménaka, n’approuvent pas les velléités indépendantistes de leurs parents, force est de reconnaître que l’État, depuis l’indépendance du pays, n’a jamais pu répondre aux problèmes essentiels de désenclavement, de décentralisation réelle et de prise en charge des aspirations culturelles des minorités. L’attaque, en 1990, du poste de gendarmerie de Ménaka, revendiquée par le mouvement dirigé par Iyad Ag Ghali, est le point de départ de la deuxième rébellion touarègue. En janvier 1991, Moussa Traoré signe avec les rebelles le premier traité de paix, les accords de Tamanrasset. Moins de trois mois plus tard, il est renversé par un groupe d’officiers dirigés par le lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré (ATT). À la tête d’un 36
gouvernement de transition d’un an, ATT signe avec les rebelles, à la veille de son départ, un pacte national renforçant les accords de Tamanrasset. L’accession au pouvoir d’Alpha Oumar Konaré, du parti Alliance pour la démocratie au Mali-Parti africain pour la solidarité et la justice (ADÉMA-PASJ), au terme d’une conférence nationale et de l’élection présidentielle, marque un tournant important dans la vie démocratique du pays. Le bilan de ses deux mandats est appréciable dans le domaine des libertés publiques, pour la libéralisation de l’économie, pour l’urbanisation et l’émergence d’une classe moyenne. Toutefois, c’est sous sa présidence que s’amorce le processus d’affaiblissement de l’État, avec une syndicalisation anarchique des corps régaliens (police, magistrature, commandement territorial), et une déliquescence de l’outil de défense avec, notamment, le gel des programmes d’équipement et des recrutements laxistes au sein des forces armées. UNE SITUATION DE SUBVERSION GÉNÉRALISÉE
En 2002, Amadou Toumani Touré revient au pouvoir. Ce retour coïncide avec l’accumulation, des années durant, de plusieurs facteurs géopolitiques ayant un impact direct sur la nature de la crise malienne. La rébellion récurrente et localisée s’est transformée en une situation de subversion généralisée. À partir de la côte Atlantique, la zone du Sahel, en particulier le nord du Mali, devient une zone active de transit de la drogue en provenance d’Amérique centrale et du Sud, en direction de l’Europe et du reste du monde. À cela s’ajoutent d’autres trafics résiduels, comme la contrebande de produits divers, le trafic d’êtres humains et le « business d’otages », une activité générant des gains considérables aux ramifications insoupçonnées. Dans le même temps, l’insurrection manquée des salafistes et la défaite des groupes armés en Algérie entraînent le repli des combattants rescapés vers le sud, dans l’Adrar des Ifoghas, au nord du Mali. Avec la bénédiction, peut-être, du gouvernement algérien, pour des raisons de sécurité intérieure et d’intérêts géopolitiques. La région devient très vite un no man’s land où évoluent allègrement terroristes, rebelles et trafiquants de toutes sortes. Dans un contexte où les capacités régaliennes de l’État sont fortement réduites, le président ATT signe, en 2006, les accords de paix d’Alger, les énièmes, avec les mouvements AFRIQUE MAGAZINE
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rebelles. Ce qui n’empêche pas pour autant le mouvement norREPRÉSAILLES ET CONTRE-REPRÉSAILLES diste de s’allier avec les rebelles touaregs du Niger, donnant Ces affrontements ont pour conséquence immédiate l’expullieu à la troisième rébellion touarègue. La guerre menée par sion de la ville des représentants de l’administration centrale, l’Occident en 2011 contre le régime de Kadhafi favorise le qui commençaient pourtant à s’y réinstaller, grâce à la médiaretour au nord du Mali de combattants touaregs avec des équition de la communauté internationale. Cette nouvelle donne pements militaires lourds, et provoque un nouveau rapport de défavorable à l’État central contraint quasiment le président à force au détriment de l’État central. C’est la quatrième rébellion autoriser de nouvelles négociations avec les groupes armés dans touarègue, menée par le MNLA, rapidement débordé par des le cadre du processus dit d’Alger. Le 20 juin 2015, un accord mouvements djihadistes, comme Ansar Dine et le Mouvement de paix et de réconciliation entre l’État du Mali et les mouvepour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO). ments armés est signé au Centre international de conférences de Le 22 mars 2012, un coup d’État interrompt le régime Bamako, sous l’égide de la communauté internationale. d’ATT, à quelques mois de la fin de son mandat. La rupture de la chaîne de commandement qui s’ensuit entraîne une conquête foudroyante du nord par les groupes islamistes armés : la quasi-totalité des principales villes est occupée. Au terme d’une brillante transition conduite par Dioncounda Traoré, président de l’Assemblée nationale, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) est élu président de la République en 2013. IBK, le nouveau capitaine du pays, a-t-il les capacités idoines pour tenir la barre ? Le traitement qu’il apporte à la question touarègue est éloquent. L’homme bénéficie de préjugés favorables. Pendant la campagne électorale, il est le seul candidat à être reçu avec les honneurs à Kidal, commune au cœur de l’Adrar des Ifoghas, et à gagner le vote de l’influent chef de cette communauté touarègue, Intalla Ag Attaher – dont l’un des fils, Mohamed, est élu sous les couleurs du Rassemblement pour le Mali (RPM), le parti d’IBK, lors des élections législatives qui suivent la présidentielle. Mais le Ibrahim Boubacar Keïta, alors président de la République, au palais de Koulouba, à Bamako, le 17 juin 2019. locataire de Koulouba ne sait pas tirer profit de cet environnement favorable pour engager des Un autre dossier chaud qui a marqué le régime d’IBK est négociations et trouver une solution politique définitive au incontestablement celui de la déstabilisation du centre du pays, dossier du Nord. En mai 2014, la situation connaît même une autrefois un havre de paix, où différentes ethnies cohabitaient tournure dramatique avec des affrontements à Kidal, lors de la harmonieusement. Ici, l’élément déstabilisateur a pour nom visite controversée du Premier ministre Moussa Mara, en dépit Amadou Koufa, un Peul proche compagnon de Iyad Ag Ghali, des réserves exprimées par le MNLA, qui contrôle la ville, par tous affiliés à Al Qaïda. Adepte d’un islam radical aux antipodes la communauté internationale et par le ministre de la Défense, de l’islam confrérique – d’où la méfiance au départ affichée à son Soumeylou Boubeye Maïga. Le bilan est lourd, plusieurs morts égard par une grande majorité de sa communauté d’origine –, et de nombreux blessés. il doit l’essor de son mouvement, en grande partie, aux erreurs AFRIQUE MAGAZINE
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La France et le défi de la nouvelle « guerre froide »
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’intervention française, au départ fortement applaudie, se termine par un désamour total. La première source de malentendu a pour décor Kidal : après avoir libéré les principales villes du nord, l’armée française n’a pas autorisé les forces maliennes à pénétrer dans la capitale de la rébellion touarègue, avec comme argument la détention de sept de leurs ressortissants par des djihadistes. De ce fait, ils avaient besoin de militants aguerris du MNLA pour les retrouver. Ce refus a été très mal vécu par les Maliens. La deuxième faute de la France est sa quasi-complaisance vis-à-vis de la gestion désastreuse d’IBK, dont la responsabilité est écrasante dans le pourrissement de la crise. Sa mal gouvernance autour de la question sécuritaire (surfacturation des achats d’équipements militaires, détournement des primes destinées aux combattants, etc.) a été un élément décisif dans l’échec de sa lutte antiterroriste aux yeux de ses partenaires internationaux. La troisième faute est d’avoir inspiré et encadré plusieurs résolutions des Nations unies qui sanctuarisent pratiquement le nord, en en faisant une zone de nidification des phénomènes subversifs. Ces résolutions ont cependant été votées par toutes les grandes puissances – même la Russie. C’est ainsi que la France a presque été chassée du Mali par une clameur populaire, issue d’un ressentiment légitime, mais aussi de la manipulation des puissances rivales. La junte, sachant que sa légitimité repose désormais sur les succès militaires sur le terrain, multiplie les déclarations de victoire sur le terrorisme. Néanmoins, des incertitudes fondamentales pointent à l’horizon. En premier lieu, les effets négatifs de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Les Occidentaux auront-ils la même attitude attentiste envers Wagner, dans une nouvelle configuration d’affrontement total ? Le Mali ne risque-t-il pas de devenir le premier théâtre africain d’affrontements de la « guerre froide » ainsi déclarée ? L’élan de reconquête de l’armée concernera-t-il le Nord touareg, avec le risque de conflits avec des mouvements signataires d’accords de paix puissamment armés ? Déjà, ces mouvements armés ont exprimé leur volonté de combler le vide laissé par Barkhane. L’armée se laissera-t-elle entraîner par la tentation d’user de manières expéditives, profitant de l’absence des Occidentaux et de l’encouragement des nouveaux partenaires russes, au risque de commettre des exactions qui serviraient la cause des terroristes ? ■ H.B.
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répétées du pouvoir central. Face au silence des civils imposé par la terreur par ce chef de la katiba (« unité combattante ») de Macina, une partie des forces de défense et de sécurité, interprétant leur refus de collaborer comme une complicité tacite, s’adonnent à des exactions qui poussent progressivement beaucoup de jeunes révoltés et de revanchards dans le camp des djihadistes. À l’inverse des Dogons, plus disposé à collaborer avec l’armée, provoquant de ce fait le courroux des hommes d’Amadou Koufa. Pour faire face aux représailles des rebelles islamistes, des milices d’autodéfense se créent en pays dogon. Un contexte qui génère une guerre intercommunautaire, ponctuée de représailles et de contre-représailles, de destructions de villages peuls comme dogons, de saccages de récoltes et de tueries de masse. Une situation également aggravée par la corruption des administrateurs locaux, illégitimes aux yeux des populations. Une approche proactive de la part du gouvernement central aurait pu contenir cette dérive, dont les enchaînements étaient prévisibles. RÉVOLTES ET IMPASSES
Le 18 août 2020, le président Ibrahim Boubacar Keïta est renversé par l’armée, après plusieurs mois de manifestations du mouvement M5-RFP, sous la houlette de l’imam Dicko. Les principaux acteurs du coup d’État sont au nombre de cinq : les colonels Assimi Goïta (Forces spéciales), Sadio Camara (Garde nationale), Malick Diaw (armée de terre), Modibo Koné (Garde nationale) et Ismaël Wagué (armée de l’air). L’équilibre entre ces différents pôles de l’armée est l’élément fondamental dans la gestion de la transition par la junte. C’est dans cet esprit que s’opère le positionnement de ces différents responsables dans l’architecture de la transition. Sous la pression de la communauté internationale, en particulier de la CÉDÉAO, les militaires au pouvoir concèdent la mise en place d’un exécutif dirigé par Bah N’Daw (ancien ministre de la Défense sous IBK), avec Moctar Ouane (ancien ministre des Affaires étrangères sous ATT) comme Premier ministre. Dans cette première architecture de partage du pouvoir, le colonel Assimi Goïta occupe le poste de vice-président chargé des questions sécuritaires. Un conseil national de transition de 121 membres est mis en place et dirigé par le colonel Malick Diaw. Dans le gouvernement, le colonel Sadio Camara occupe le ministère de la Défense et des Anciens Combattants. Le colonel Modibo Koné est ministre de la Sécurité. Quant au colonel Ismaël Wagué, il est nommé ministre de la Réconciliation, de la Paix et de la Cohésion nationale. En mai 2021, à la suite d’un remaniement ministériel ordonné par le président Bah N’Daw, Sadio Camara et Modibo Koné perdent leur portefeuille. Les deux ministres démis sont des éléments de la puissante Garde nationale, maillon essentiel du dispositif militaire du pays. Bah N’Daw écarte-t-il les deux officiers parce qu’il a eu vent du projet de négociation avec la Russie, relatif à l’engagement du groupe Wagner ? Cette AFRIQUE MAGAZINE
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NICOLAS REMENE/LE PICTORIUM
Choguel Kokalla Maïga est le Premier ministre de la transition depuis le 7 juin 2021. Ici, à Ségou, le 4 février 2022.
information, l’apprend-il en France, lors de sa rencontre avec le président Emmanuel Macron ? En tout état de cause, on se rappelle, en effet, que sa décision intervient à son retour de Paris. Pour éviter l’implosion de l’armée, Assimi Goïta et ses frères d’armes se retrouvent pour s’entendre sur le projet de mise à l’écart de Bah N’Daw et de son Premier ministre. Le colonel Goïta devient alors pleinement chef de l’État et président de la transition. Il nomme Choguel Kokalla Maïga comme Premier ministre. Une façon habile pour les militaires de renouer avec la frange de la population qui avait mené le combat pour le départ d’IBK. Depuis sa nomination, il montre une grande capacité d’initiative tout en faisant preuve d’indépendance politique. Il n’a pas voulu rester dans le registre de discrétion de son prédécesseur, Moctar Ouane, et revendique une légitimité presque égale à celle des militaires, du fait de son rôle dans la chute d’IBK. Il s’engage radicalement dans deux axes de reconnaissance politiquement porteurs : la reddition des comptes et le nationalisme ardent. Sur la question touarègue, beaucoup d’observateurs s’interrogent sur la possible subjectivité qui sous-tendrait ses prises de position, compte tenu de son appartenance à une communauté qui entretient une longue tradition de rivalité avec les Hommes bleus. L’association Assimi Goïta-Choguel Kokalla Maïga est un mariage de raison : la junte a besoin de la fougue politique du Premier ministre pour élargir sa base populaire, et celui-ci utilise très adroitement la confiance des militaires pour dérouler un agenda politique sophistiqué. Au vu des dossiers laissés par le précédent régime, l’opinion est facilement mobilisable sur le thème de la lutte contre AFRIQUE MAGAZINE
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la corruption. Beaucoup de Maliens sont outrés par les gabegies qu’ils découvrent. Après sa nomination comme Premier ministre, Choguel Kokalla Maïga a exigé, avant tout, l’organisation des Assises nationales de la refondation, afin de mettre en place les paramètres institutionnels du nouveau Mali et, partant de cela, un calendrier raisonnable de retour à l’ordre constitutionnel. Les Assises se sont déroulées en décembre 2021. Le rapport final a suggéré un calendrier de retour à l’ordre constitutionnel entre six mois et cinq ans. Les autorités de la transition, préférant proposer à la CÉDÉAO le délai maximal de cinq ans, ont suscité le courroux des chefs d’État. En conséquence, l’organisation régionale a imposé au pays un embargo économique et des sanctions contre les dirigeants. Depuis, c’est l’impasse. Les sanctions imposées par la CÉDÉAO commencent à peser sérieusement sur la vie des populations, avec une flambée vertigineuse des prix. Le Sénégal et la Côte d’Ivoire, principaux pays d’exportation vers le Mali, endurent également les contrecoups de l’embargo. L’étau financier que subit le pays est encore plus difficile à gérer en matière de trésorerie publique. Le 4 février, la note du Mali a été dégradée de Caa1 à Caa2 sur l’échelle de Moody’s – en cause, des défauts de paiement enregistrés sur le marché des titres publics de l’Union économique et monétaire ouestafricaine (UEMOA). La note est si catastrophique qu’il faudra des années pour que le pays retrouve la confiance des investisseurs, selon les spécialistes. D’où l’urgence de concevoir un arrangement politique avec la CÉDÉAO. ■ 39
histoire
REPORTERS ASSOCIES/GAMMA-RAPHO
60 ANS APRÈS
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ÉVIAN
La signature entre les négociateurs algériens, avec à sa tête Krim Belkacem (au premier plan, 3 e en partant de la droite), et les français a eu lieu le 18 mars 1962 à l’Hôtel du Parc, à Évian-les-Bains. L’application de l’accord de cessez-le-feu est fixée au lendemain. AFRIQUE MAGAZINE
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Le 19 mars, la France commémorera le 60e anniversaire des accords d’Évian, dans un climat tendu : l’extrême droite – souvent nostalgique de l’Algérie française – totalise pas moins de 30 % des intentions de vote à l’élection présidentielle d’avril ! Et entre les deux pays, les relations sont crispées depuis les propos d’Emmanuel Macron, en septembre, sur la « rente mémorielle » de la nation algérienne… Le journaliste et essayiste Akram Belkaïd répond à nos questions. par Cédric Gouverneur 41
HISTOIRE
Akram Belkaïd
Entre l’Algérie et la France, « des mémoires irréconciliables » AM : À quel type de commémoration faut-il s’attendre de la part du président Macron ? Akram Belkaïd : Difficile de le savoir par avance. Mais il est
évident que le président français cherche à contenter tout le monde. Chaque groupe mémoriel, chaque communauté attendra un geste : descendants de harkis ou de pieds-noirs, Français d’origine algérienne, etc. Ce dossier l’embarrasse beaucoup : lorsqu’il était candidat, en 2017, il n’avait pas hésité à qualifier la colonisation de « crime contre l’humanité ». Aujourd’hui, il est dans une démarche beaucoup plus prudente, à l’égard d’une question mémorielle qui tient compte de l’extrême droitisation du débat politique en France. Les hommes politiques ne peuvent s’affranchir des enjeux et des rapports de force. Même si Emmanuel Macron, contrairement à beaucoup de ses prédécesseurs, n’a pas vécu personnellement le conflit. En même temps, je suis dubitatif sur ce dossier très clivant : la guerre d’Algérie a redessiné l’échiquier politique français. L’extrême droite, longtemps disqualifiée moralement pour avoir collaboré lors de l’Occupation, a pu renaître de ses cendres lors du conflit et dans les années qui ont suivi l’indépendance du pays. Aujourd’hui, notamment dans le sud de la France, elle tente même de réhabiliter l’Organisation de l’armée secrète (OAS). Le discours de cette extrême droite est un matériau extrêmement inflammable pour Macron. Quels que soient la position et les propos que le président tiendra lors de la commémoration des accords d’Évian, ils sont susceptibles de créer une polémique. En Algérie, des commémorations sont-elles prévues en mars, ou bien le pays réserve-t-il ses festivités à juillet, pour le 60e anniversaire de son indépendance ?
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L’Algérie en 100 questions : Un pays empêché, Tallandier, 336 pages, 16,90 €.
On ignore ce qui est prévu en Algérie, du fait de l’apathie et du blocage du pays depuis la fin du Hirak. En Algérie, les commémorations ont de toute façon tendance à privilégier l’indépendance plutôt que les accords d’Évian. Le pouvoir algérien, depuis 1965 et le coup d’État du colonel Houari Boumédiène, est réticent à célébrer les accords, puisque ce sont des politiques qui ont négocié et signé, et que ces politiques sont ensuite devenus des opposants ! Évian, c’est le triomphe de la négociation et de la diplomatie. Les négociateurs algériens avaient tenu bon face à la France, qui voulait garder le Sahara [où eut lieu le premier essai nucléaire français, à Reggane, en février 1960, ndlr]. Pour le pouvoir, commémorer Évian, c’est prendre le risque d’éroder le prestige des maquis, et que soit, à l’inverse, évoqué le nom d’Ahmed Ben Bella, le président renversé en 1965. Le négociateur en chef, Krim Belkacem, a même été assassiné, en 1970, alors qu’il était réfugié en Allemagne de l’Ouest ! La célébration de l’indépendance le 5 juillet, elle, a le mérite de mettre tout le monde d’accord. Évian n’est pas un moment d’unanimité comme il devrait l’être. Six mois après les propos de Macron devant des descendants de harkis (« la nation algérienne post-1962 s’est construite sur une rente mémorielle », « le système politico-militaire », « une histoire officielle totalement réécrite », « une haine de la France »…), les tensions sont-elles toujours aussi vives entre les deux pays ?
Je me méfie de ce que je qualifierais de « cinéma » ! En réalité, c’est un théâtre d’ombres où chacun joue sa partition, jusqu’à ce que le soufflé ne retombe et que tout redevienne comme avant la crise. Ces crises sont cycliques, puis les deux parties AFRIQUE MAGAZINE
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PATRICK GELY - DR
propos recueillis par Cédric Gouverneur
Le chef d’État français Emmanuel Macron main dans la main avec Abdelkader Bensalah, alors président du Sénat algérien, à Alger, le 6 décembre 2017.
se rabibochent. Les ambassadeurs reviennent et les affaires reprennent. Certes, la déclaration de Macron va être scrutée de très près par Alger : le pouvoir a besoin de s’en prendre à l’ancienne puissance coloniale afin de renforcer sa légitimité à l’égard de la population. Mais celle-ci n’est pas dupe et ne se laisse pas avoir par ces gesticulations. La France et l’Algérie ont besoin l’une de l’autre.
ZOHRA BENSEMRA/REUTERS
Cette relation d’intense proximité, d’interrelations, entre une ancienne colonie et une ancienne métropole qui ont été en guerre, existe-t-elle ailleurs dans le monde ?
Non, c’est unique en effet ! Cent trente ans de colonisation, puis une décolonisation sanglante et mal gérée ne peuvent aboutir à une séparation totale. En France, la communauté algérienne est très importante, avec la quatrième génération depuis l’indépendance. Ils sont porteurs d’une mémoire et vigilants : ils peuvent se sentir froissés, et ils votent… En Algérie, la présence française a été longue et se manifeste dans l’économie, les médias francophones, l’usage du français au quotidien. Ce sont là les relations réelles, différentes du théâtre d’ombres des crises diplomatiques cycliques. Il suffit de se rendre dans un aéroport français et de constater sur le tableau le nombre de vols quotidiens entre l’Algérie et la France. Cette réalité n’est pas du tout reconnue sur le plan politique, les deux pouvoirs cherchant à la minimiser : en France, c’est dangereux électoralement et en AFRIQUE MAGAZINE
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Algérie, on minore l’influence de l’ex-colonisateur. Le fardeau mémoriel est encore trop important. Ces mémoires sont-elles réconciliables ?
À mon avis, non ! Il est impensable d’expliquer à un fils de pieds-noirs que sa vision de la colonisation est tronquée : s’y véhicule un imaginaire familial sur la supposée « cohabitation harmonieuse » entre communautés, sur l’indépendance qui aurait pu être « autre chose ». Les pieds-noirs ont estimé avoir été trahis par de Gaulle, qui prétendait les avoir « compris » et a négocié la sortie du conflit. Mais beaucoup refusent d’admettre que la colonisation n’était de toute façon pas tenable, que même en Rhodésie et en Afrique du Sud, le système colonial a fini par s’effondrer. Dans la mémoire familiale de certains rapatriés s’est souvent transmis un désir de revanche, qui a alimenté dans les années 1970 des attentats racistes et des « ratonnades » [brutalités exercées contre des Maghrébins, ndlr]. Et aujourd’hui, cela se prolonge avec l’idée du « grand remplacement » : en substance, ça veut dire « ils nous ont chassés d’Algérie en 1962, et ils vont nous chasser d’ici maintenant ». D’où l’audience du Rassemblement national et d’Éric Zemmour dans cette communauté. En 2017, des militants d’extrême droite qui voulaient commettre des attentats s’étaient même baptisés « OAS »… Des Français qui ont vécu le conflit ont transmis leur colère, ou leur culpabilité, ou leur silence. Et Macron – même s’il est né bien après – doit 43
HISTOIRE
en tenir compte. Beaucoup de politiciens français continuent à entretenir ce ressentiment. Certains se targuent d’être nés au Maroc, en Tunisie… mais lorsqu’ils sont nés en Algérie, ils restent discrets sur le sujet ! Et du côté des Français d’origine maghrébine ?
Le massacre du 17 octobre 1961 est peu à peu devenu l’événement mémoriel de la communauté algérienne en France et de ses descendants. Les victimes étaient des résidents de Paris et de la ceinture parisienne. Cette commémoration échappe au pouvoir algérien. Les Français d’origine algérienne, et plus généralement ceux d’origine étrangère et les jeunes de banlieue, se sentent concernés par ce drame, certains en faisant une lecture contemporaine, en matière de rapports avec la police, de discrimination au faciès, etc. En outre, cet événement a longtemps été occulté : il a été mis en évidence seulement au début des années 1990, par un historien qui n’était pas du sérail, JeanLuc Einaudi [décédé en 2014, ndlr]. Dix ans après la Marche des beurs (1983), la redécouverte de ce massacre en plein Paris est devenue un événement fédérateur de la mémoire des Algériens, voire des Maghrébins de France. Abdelmadjid Tebboune pâtit d’un déficit de légitimité et se trouve sur la défensive. Sa posture martiale face à la France lui est-elle utile, ou bien les jeunes Algériens y sont-ils indifférents ?
En Algérie, le ressentiment que l’on ne cesse d’évoquer n’a quasiment jamais existé dans les faits. Dès l’indépendance, des coopérants français ont travaillé en Algérie, et ils gardent pour leur grande majorité un souvenir positif de cette période. J’ai grandi en Algérie dans les années 1960 et 1970, il y avait bien ici et là quelques discours antifrançais mais, avec le recul, je me rends compte qu’on était passés à autre chose. Il fallait construire le pays, obtenir des libertés politiques, etc. Les dirigeants peuvent bien multiplier les discours idéologiques, la population s’en fiche… Un exemple : j’y ai fait en 2012 un voyage [relaté dans Retours en Algérie, éditions Carnets nord, ndlr] avec notamment des vétérans français et des rapatriés, et ces gens ont été accueillis partout à bras ouverts, sans aucun problème, y compris quand ils demandaient à visiter leur ancienne maison ou qu’ils rencontraient des anciens maquisards de l’Armée de libération nationale. Aujourd’hui, certains Algériens peuvent ressentir un peu d’agacement par rapport à la question des visas ou même de la colère – comme cela fut le cas en mars 2019, quand Macron s’est empressé de soutenir les manœuvres de Bouteflika pour rester au pouvoir –, mais cela s’arrête là. La grande différence entre les deux pays réside dans leurs situations démographiques : l’Algérie est une gérontocratie à la population jeune. Des jeunes qui, comme ailleurs dans le monde, n’ont pas une connaissance aiguë de l’histoire : il y a désormais autant d’années qui séparent 2022 de 1962 qu’il y en avait entre 1962 et 1902 ! Pour un adolescent algérien, la guerre d’indépendance, c’est désormais très lointain. Et la censure fonctionne à plein régime, beaucoup ignorent qui était le président Ben Bella ou l’émir Abdelkader. 44
Finalement, les deux pays n’ont-ils pas intérêt au statu quo, afin d’instrumentaliser cette mémoire ?
La situation aurait pu être différente si un traité d’amitié avait été signé entre les deux pays, reconnaissant en cela la réalité et l’importance des relations entre les deux peuples. Les présidents Jacques Chirac et Abdelaziz Bouteflika avaient bien avancé sur la question, entre 2001 et 2004. Et puis il y a eu cette loi [du 23 février 2005, ndlr] évoquant, entre autres, le supposé « rôle positif » de la colonisation… Tout est alors tombé à l’eau. Et aujourd’hui, même un candidat de gauche à la présidentielle ne s’y risquerait pas ! ■
LA GUERRE D’ALGÉRIE EN 17 DATES 10 octobre 1954
Création du Front de libération national (FLN). Il débute les opérations militaires dès le 1er novembre. Août 1955
Massacres de Philippeville. Le 20 août, des combattants du FLN massacrent plus d’une centaine de pieds-noirs et de musulmans loyalistes à Philippeville et ses alentours. Les jours suivants, l’armée française répliquera par une répression tout aussi aveugle (hommes raflés et mitraillés, hameaux côtiers bombardés depuis un croiseur, etc.), dont le bilan est estimé à plusieurs milliers de morts. 12 mars 1956
Mobilisation générale de l’armée. L’Assemblée nationale accorde les pouvoirs spéciaux au gouvernement Guy Mollet. 450 000 soldats français sont mobilisés. La guerre s’étend sur tout le territoire algérien. Au total, plus de 25 000 militaires français perdront la vie en Algérie. 22 octobre 1956
Détournement de l’avion du FLN. L’avion d’Air Atlas transportant plusieurs dirigeants du Front de Rabat à Tunis est contraint de se poser à Alger. Ahmed Ben Bella, futur premier président de l’Algérie indépendante, passera le reste du conflit dans des prisons françaises. Face à cet acte de piraterie, les condamnations internationales sont unanimes. 7 janvier-8 octobre 1957
Bataille d’Alger. Après une série d’attentats du FLN dans la ville, le ministre résident Robert Lacoste donne les pleins pouvoirs au général Jacques Massu et à sa 10e division parachutiste. Arrestations, tortures, exécutions… Désapprouvant ces méthodes, le général français Jacques Pâris de Bollardière demande d’être relevé de son commandement. L’un des fondateurs du FLN, Larbi Ben M’hidi, est exécuté le 4 mars. La bataille prend fin avec le plasticage de la planque d’Ali Ammar, dit « Ali la Pointe », le 8 octobre. AFRIQUE MAGAZINE
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Les débris du casino de la Corniche à Alger, le 9 juin 1957, après un attentat revendiqué par le FLN. AFRIQUE MAGAZINE
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HISTOIRE
Charles de Gaulle donne une conférence de presse au palais d’Orsay, à Paris, le 19 mai 1958. Elle marque le retour du général au pouvoir.
8 février 1958
Mai 1958
Crise et retour de de Gaulle. Le 13 mai, le général Massu fonde à Alger le Comité de salut public et en appelle au général de Gaulle, en retrait de la vie politique. Face à l’incapacité de la IVe République de dégager des majorités parlementaires durables, le président René Coty demande au héros de la Résistance de former un gouvernement et de rédiger une nouvelle Constitution. Le 4 juin, de Gaulle est à Alger et rassure les partisans de l’Algérie française avec son fameux et ambigu « Je vous ai compris ». 19 septembre 1958
Création du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), par le FLN. Il est présidé par Ferhat Abbas jusqu’en août 1961, puis par Benyoucef Benkhedda jusqu’en septembre 1962. Ahmed Ben Bella – en détention depuis le détournement de son avion en 1956 – est nommé vice-président à titre symbolique. 46
16 septembre 1959
Reconnaissance de de Gaulle au droit à l’autodétermination. Le général avait confié à des proches, dès février 1955, qu’il considérait l’indépendance comme « inévitable ». Il veut faire la « paix des braves » avec le FLN. Les partisans de l’Algérie française se sentent trahis et ne lui pardonneront jamais… 24 janvier-1er février 1960
Semaine des barricades. Les partisans de l’Algérie française, mécontents du retour en métropole du général Massu (sanctionné pour avoir donné une interview à un journal allemand) dressent des barricades dans le centre d’Alger. 14 gendarmes et 8 manifestants sont tués dans des affrontements. Deux leaders de l’insurrection, Joseph Ortiz et Pierre Lagaillarde, s’enfuient en Espagne pour y fonder l’OAS. 8 janvier 1961
Référendum sur l’autodétermination. Le président de Gaulle et son Premier ministre Michel Debré organisent, en France et en Algérie, un référendum sur la possibilité d’accorder son autodétermination à l’Algérie : les Français approuvent largement, soucieux de mettre fin à un conflit qui endeuille chaque ville et village. Le « oui » l’emporte à 74,99 % ! 11 février 1961
Création de l’OAS. Des pieds-noirs extrémistes réfugiés en Espagne fondent un groupe terroriste afin d’empêcher par AFRIQUE MAGAZINE
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Bombardement de Sakiet Sidi Youssef. Une mine désaffectée près de ce village tunisien servait de base de repli au FLN, qui menait des raids de l’autre côté de la frontière. En représailles, l’aviation française mitraille et bombarde le village, y compris un marché et une école, tuant environ 70 personnes. Cette date du 8 février est commémorée en Tunisie comme en Algérie.
La manifestation pacifique organisée à Paris, le 17 octobre 1961, par le Front de libération nationale en faveur de l’indépendance de l’Algérie a été reprimée par la police dans une extrême violence. Le bilan est estimé à des dizaines de morts.
tous les moyens l’indépendance de l’Algérie. Les attentats de l’Organisation de l’armée secrète feront plus de 2 000 morts, en Algérie et en métropole. L’organisation d’extrême droite tentera même d’assassiner de Gaulle. 21 avril 1961
Putsch d’Alger. Quatre généraux (Maurice Challe, Edmond Jouhaud, Raoul Salan et André Zeller), suivis par des centaines d’officiers et plusieurs régiments, tentent un coup d’État. Le putsch échoue car le contingent reste fidèle à la République. 114 officiers seront traduits en justice, et trois régiments dissous. L’article 16 de la nouvelle Constitution, qui donne les pleins pouvoirs à de Gaulle en cas de crise, restera en vigueur cinq mois, pour une crise de quelques jours !
GEORGES AZENSTARCK/ROGER-VIOLLET
17 octobre 1961
Massacre à Paris. Une manifestation pacifique d’Algériens résidents en métropole – et notamment à Nanterre – est dispersée avec une férocité inouïe par la police parisienne, aux ordres du préfet Maurice Papon (condamné en 1998 pour sa collaboration avec l’occupant nazi…). Des corps sont repêchés dans la Seine jusqu’à Rouen. Le bilan est estimé à plusieurs dizaines de morts et disparus. Il faudra attendre les travaux d’historiens français dans les années 1990 pour que soit révélée l’ampleur de ce massacre – du jamais vu en Europe occidentale depuis la Seconde Guerre mondiale. AFRIQUE MAGAZINE
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8 février 1962
Tragédie à la station de métro Charonne. Le 7 février, une série d’attentats de l’OAS contre des personnalités françaises fait plusieurs blessés graves, dont une petite fille. Le Parti communiste (anticolonialiste) appelle à manifester le 8 février contre l’organisation et pour la paix. Le préfet Papon (encore lui…) interdit le défilé, durement réprimé par la police (dont moult agents sont favorables à l’OAS…). Au métro Charonne, neuf manifestants meurent écrasés par la foule qui s’entasse en tentant de fuir les coups de matraques. 18 mars 1962
Accords d’Évian. Secrètement négociés pendant des semaines, les accords de cessez-le-feu sont signés à Évian par le GPRA et le gouvernement français. Le cessez-le-feu entre en vigueur dès le lendemain. Les accords sont ratifiés par le parlement français le 8 avril. Le négociateur algérien, Krim Belkacem, sera assassiné par des agents de son propre pays en 1970 à Francfort (Allemagne de l’Ouest), où il s’était réfugié après le coup d’État du colonel Houari Boumédiène en 1965. 5 juillet 1962
Proclamation de l’indépendance. La fête est ternie par des massacres de harkis, auxiliaires locaux de l’armée française, et de pieds-noirs, notamment à Oran. ■ 47
CE QUE J’AI APPRIS
Diouc Koma
IL A IMPOSÉ SON TALENT DANS LES FILMS
de Mahamat-Saleh Haroun ou de Robert Guédiguian. L’acteur franco-malien est à l’affiche de Mon pays, ma peau, une pièce sur la Commission Vérité et Réconciliation en Afrique du Sud. propos recueillis par Astrid Krivian
J’ai eu la chance de savoir très tôt ce que je voulais faire. Fan de Denzel Washington, Bruce Lee ou Jackie Chan, je jouais aussi au foot, caressant le rêve de devenir professionnel. Mais à 13 ans, j’ai fait une chute de 10 mètres de haut. Mes blessures ont compromis ma carrière sportive, et je me suis alors tourné vers le 7e art. Ayant perdu mon père à 10 ans, je devais apporter un certain soutien à ma mère, car je suis l’aîné des garçons. Un jour, j’ai répondu à l’annonce d’une agence pour faire du cinéma. Je bossais au marché pour financer mon book de photos. Puis un agent a repéré ma bouille, mon énergie. J’ai décroché à 15 ans le casting du film Le Plus Beau Métier du monde, avec Gérard Depardieu. Comme il sponsorisait le club de foot d’Auxerre, il nous a emmenés dans les tribunes présidentielles, en coulisse avec les joueurs, qui venaient de gagner la Coupe de France. Fabuleux ! Si c’est ça le cinéma, me disais-je, c’est le plus beau métier du monde ! Et ma carrière a démarré. Je n’attends pas que l’on me propose un rôle, je suis de nature active. Surtout dans ce paysage cinématographique où, en tant que comédien noir, on ne pense pas à moi en premier. Il faut se construire, exister, créer, pour se maintenir en vie. Tel un sportif de haut niveau, je m’entraîne. Je fais du doublage, ce qui me permet de rester proche des mots. Le sport me libère l’esprit, pour accueillir sereinement les projets. Et j’aime écrire. J’ai notamment cosigné le scénario du film La Cité rose (2012).
Mon désir de cinéma et de théâtre est d’allier des sujets forts avec des personnages emblématiques. Dans la pièce De mémoire de papillon, j’interprétais Patrice Lumumba. J’avais étudié l’histoire de la République démocratique du Congo pour connaître le contexte dans lequel il avait vécu. Et comprendre ainsi l’origine de sa lutte pour la liberté, l’indépendance, la souveraineté. C’est ma façon d’honorer son travail et sa parole inspirante. Et de les partager avec le public, de susciter l’envie d’en savoir plus.
Mon pays, ma peau, mis en scène par Lisa Schuster, sera bientôt en tournée.
Le Mali est mon pays de cœur. Tout ce qui s’y passe me parle et me touche. J’ai tourné dans Twist à Bamako de Robert Guédiguian, un beau film sur la riche période du Mali au lendemain de l’indépendance : les conflits révolutionnaires, la voie du socialisme, quelle politique adopter et comment la mener auprès des populations urbaines et rurales… Je viens aussi de terminer le tournage de la série Sentinelles : une plongée au cœur de l’opération Barkhane, des soldats français embourbés dans la complexité géopolitique de cette zone. Krog. Elle a couvert les auditions de la Commission Vérité et Réconciliation instaurée par Mandela en Afrique du Sud. J’endosse plusieurs rôles de citoyens (victimes et bourreaux, Noirs et Blancs…) ainsi que celui de Monseigneur Desmond Tutu, qui présidait la commission. Bien qu’il soit moins connu en France que Mandela, sa lutte non-violente est tout aussi capitale. Après une atrocité comme l’apartheid, comment se relever, repartir de l’avant ? Cette commission a redonné un peu d’honneur à l’humain, en établissant un dialogue entre les citoyens. ■ 48
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La pièce Mon pays, ma peau se base sur les écrits de la journaliste et poétesse afrikaner Antjie
«Tel un sportif de haut niveau,
PHILIPPE LE ROUX
je m’entraîne.
Je fais du doublage, ce qui me permet de rester proche des mots.»
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MARTIN COLOMBET
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DÉCOUVERTE / Côte d’Ivoire
Objectif inclusivité ! Le pays bénéficie d’une croissance soutenue depuis dix ans. Mais l’émergence et la stabilité impliquent aussi un ambitieux volet social. Le gouvernement est à pied d’œuvre. par Zyad Limam
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algré un environnement particulièrement adverse, avec une crise régionale au Mali et au Burkina Faso, les effets de l’épidémie de Covid-19 et les répercussions de la situation géopolitique internationale, la Côte d’Ivoire maintient un schéma de croissance ambitieux. Le pays peut s’appuyer sur les acquis de la dernière décennie. Depuis 2012, c’est l’une des premières économies du continent. L’un des dix pays les plus performants du monde en matière de croissance. La richesse par habitant a doublé sur une décennie. En dépit des contrecoups de la pandémie, le pays a su maintenir des taux positifs en 2020 et en 2021. L’année 2022 devrait permettre de renouer avec un rythme de croisière élevé, aux alentours de 7 %. Et de reprendre le cours de la stratégie à moyen terme, à l’horizon 2030. L’objectif est de doubler, à nouveau, à cette échéance, la richesse du pays, d’atteindre un PIB aux alentours de 100 milliards de dollars en 2030. Avec un revenu par habitant au-delà de 3 500 dollars. Pour le président Alassane Ouattara, pour l’équipe du Premier ministre Patrick Achi, il s’agit, au-delà de l’importance des chiffres, des performances « macro », de passer une étape, de passer un cap en matière d’émergence, de moderniser, 52
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Le président Alassane Ouattara et le Premier ministre Patrick Achi.
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Faire du made in Ivory Coast, c’est la mission
nationale
pour créer des emplois, corollaire de la richesse globale.
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de rendre plus « agile » le système, de s’inscrire plus amplement dans l’économie-monde. Témoignage de cette stratégie « vers le haut » : le plan national de développement (PND) 2021-2025, avec un montant prévisible d’investissement estimé à 59 000 milliards de francs CFA (plus de 100 milliards d’euros), dont 60 % dans le secteur privé. Ce projet, largement dessiné avant la pandémie de Covid19, devra certes s’adapter aux nouvelles réalités, mais il souligne cette ambition nationale. Au cœur du projet, le développement du secteur privé, outil essentiel de la croissance, qui doit relayer dorénavant les efforts entrepris par l’État en matière d’infrastructures, de mise à niveau et de compétitivité. Mais surtout outil essentiel pour offrir des perspectives à la très nombreuse jeunesse ivoirienne. Et absorber la masse impressionnante de nouveaux entrants sur le marché du travail. Aujourd’hui, près de 40 % de la population a moins de 14 ans. Dans dix ans, les Ivoiriens seront près de 35 millions, dont une très grande majorité de jeunes de moins de 30 ans. Pour faire face à cette vague démographique, l’initiative privée, l’entreprise, le commerce, la transformation des matières premières, l’artisanat, l’industrialisation du pays deviennent des priorités stratégiques. Produire en Côte d’Ivoire, et faire du made in Ivory Coast, c’est la mission nationale pour créer des emplois, corollaire de la richesse globale. Le pays se développe, le niveau de vie augmente, c’est le plus important d’Afrique subsaharienne (hors pays pétroliers et Afrique du Sud). Ce dynamisme économique assez unique implique de nouveau enjeux. Poussée par la croissance et les investissements, une classe urbaine « moyenne » est en train de naître, de s’installer, elle-même alimentant un nouveau marché de la consommation. Mais pour une grande partie de ces nouveaux Ivoiriens, pour ces enfants des années ADO, les exigences évoluent. Ce qui compte aujourd’hui, c’est l’école, l’éducation, la formation, la santé, les opportunités, l’accroissement de leurs revenus. Et donc un effort permanent de l’État dans les secteurs sociaux, ceux qui permettent justement de consolider l’ascenseur social, de solidifier les
acquis de cette classe émergente mais encore fragile. Ce défi implique aussi une prise en charge plus large et l’accompagnement des Ivoiriens les plus précaires, ceux qui n’ont pas été atteints par le cercle vertueux de la croissance. Ni par les investissements publics. Ou privés. Cette question sociale reste une exigence permanente. La Côte d’Ivoire a fait un progrès dans le classement de l’indice du capital humain (0,38) en 2020, mais on est encore loin d’une adéquation avec les taux de croissance. La pauvreté y est en net recul, passant de 46,3 % en 2015 à 39,4 % en 2020, mais l’avancée concerne avant tout les milieux urbains. L’indice de développement humain (IDH) évolue dans le bon sens, mais le classement de la Côte d’Ivoire (aux alentours de la 160e place) reste trop en décalage avec les performances du pays. L’informel représente encore 80 % des emplois. Il absorbe une partie de la demande, mais ce sont des emplois largement précaires qui ne permettent pas de s’insérer dans une économie moderne, à long terme. La démographie viendra accroître la pression sur les emplois et l’accès aux « biens sociaux ». Paradoxe de l’enrichissement du pays, les inégalités sont plus visibles, alors que l’État s’investit sur ce dossier, plus que partout ailleurs sur le continent. La Côte d’Ivoire se structure, produit des richesses, mais certains pensent, à tort ou à raison, que cette richesse est insuffisamment partagée. Le pays « paie » encore les deux décennies perdues (1990-2010), mais le rythme de rattrapage social doit s’accélérer. UNE ÉQUATION COMPLEXE
Cette priorité a pris tout son sens au cours des dernières années avec la mise en place des fameux PSGouv, plans sociaux du gouvernement, véritables pierres angulaires de cette lutte pour une meilleure répartition des fruits de ce second miracle ivoirien. En particulier vis-à-vis des populations les plus fragiles. Le PSGouv 1 avait permis sous l’autorité de feu le Premier ministre Amadou Gon Coulibaly de mobiliser une enveloppe de 1 000 milliards de francs CFA sur la période 2019-2020. Le PSGouv 2, qui s’ouvre pour la période 2022-2024, triple cet effort avec AFRIQUE MAGAZINE
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un montant prévu de plus de 3 000 milliards de francs CFA. Placé sous l’autorité du Premier ministre Patrick Achi, ce PSGouv 2 se devra d’atteindre des « objectifs clairs et concrets ». Avec un accent particulier sur les jeunes, la formation et l’insertion professionnelle, la mise en place de l’école de la seconde chance, l’insertion sociale et économique dans les zones nord frontalières, l’autonomisation des femmes, le renforcement de la couverture sociale des populations les plus vulnérables. Parallèlement à l’instauration des PSGouv, le gouvernement cherche à « localiser » son action avec la mise en place de 12 districts autonomes (qui s’ajoutent à ceux d’Abidjan et de Yamoussoukro). Ces districts, à forte vocation économique, sont dirigés par des personnalités publiques, des ministres-gouverneurs, chargés de la lourde responsabilité de rendre l’action de l’État opérationnelle, au plus loin d’Abidjan, de changer la vie sur le terrain. Cette « décentralisation » permet aussi de mettre un accent particulier sur les populations du Grand Nord, où la pauvreté est un terreau potentiel à la violence. Le septentrion du pays présente de formidables enjeux économiques et sécuritaires. Le dossier social va donc bien au-delà des aspects techniques, de la gouvernance, ou d’une bonne volonté liée à la solidarité nationale. Le social est sociétal. Le social est finalement politique. La Côte d’Ivoire est un pays émergent, AFRIQUE MAGAZINE
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les chiffres le montrent, sa transformation physique le montre. Mais pour réussir, pour atteindre ses objectifs ambitieux, elle a besoin de stabilité, de perspectives à long terme. Cette stabilité se construit évidemment sur la rénovation du système politique. Mais la stabilité, c’est aussi et surtout l’inclusion, la sensation que les opportunités sont là, maintenant, et que la vie meilleure, pour le plus grand nombre, est possible. Que la croissance, le progrès, ce n’est pas uniquement Abidjan, ou San Pedro, Yamoussoukro, Bouaké, mais aussi les villes secondaires, la ruralité, les paysans… Que les Ivoiriens les plus pauvres doivent également entrer dans les cercles vertueux de l’émergence. Et que, pour les nouvelles générations, le système est ouvert, avec la perspective qu’ils peuvent accéder à mieux, qu’ils ne resteront pas sur le bord de la route indéfiniment. L’une des clés de cette équation complexe reste la rénovation d’un système éducatif à la mesure des ambitions du pays. L’éducation gomme les inégalités et permet d’accéder au travail, à l’émancipation, au développement. Pour reprendre la phrase du professeur Akindes dans nos colonnes [voir Afrique Magazine n° 425] : « La richesse d’un pays ne se redistribue pas aux abords des routes, mais par le travail. » En réalité, croissance, éducation et inclusion seront indissolublement liées dans la pérennité du modèle ivoirien. ■
L’échangeur de Marcory, sur le boulevard VGE, à Abidjan.
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L’insertion des jeunes sera une priorité. Ici, des élèves du lycée Houphouët-Boigny de Korhogo.
Face aux inégalités Après le PSGouv 1, une seconde phase voit le jour, avec les femmes et les jeunes comme pierres angulaires. par Francine Yao
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près la première phase (2019-2020), place à la suivante. Le second programme social du gouvernement (PSGouv 2) a été lancé le 22 janvier 2022 à Tougbo, dans le département de Téhini, dans la région du Bounkani. Tout un symbole, car ce village, qui a connu une attaque djihadiste en juin dernier, héberge aujourd’hui quelque 6 000 réfugiés du Burkina Faso. Selon le Premier ministre Patrick Achi, il s’agit d’atteindre des objectifs clairs, forts et concrets, en faisant de l’insertion AFRIQUE MAGAZINE
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Face à l’importance des besoins, le PSGouv 2 bénéficie d’un montant de près de 3 200 milliards de francs CFA sur trois ans, un budget
plus de trois fois supérieur
à celui de la première édition.
scolaire, sociale et économique de la jeunesse la pierre angulaire du programme. Selon la Banque mondiale (BM), la Côte d’Ivoire enregistre une croissance économique dynamique, forte et stable depuis 2012, avec un ralentissement en 2020 (2 % en 2020 et 6,5 % en 2021), dû aux conséquences de la crise liée au Covid-19. Le pays demeure malgré tout le poumon économique de l’Afrique de l’Ouest francophone et exerce une réelle influence dans la région. Toutefois, la BM indique que le principal défi reste la mise en œuvre d’un agenda de réformes pour favoriser une reprise économique durable et une croissance plus inclusive par la promotion du secteur privé. L’objectif, entre autres, est la création d’une meilleure employabilité, l’amélioration de l’environnement des affaires, l’accès au financement des PME et des TPE, le renforcement des capacités du monde agricole, et le développement du capital humain. C’est pourquoi le président Alassane Ouattara a exprimé sa volonté d’aller plus loin et plus vite dans la transformation de son pays et, surtout, dans l’amélioration des conditions de vie des populations. Ainsi, le PSGouv 2 ambitionne d’intensifier la lutte contre la pauvreté. Et ce, d’autant plus que le chef de l’État a annoncé que le pays poursuivra sa dynamique de croissance en 2022, avec un taux de croissance projeté autour de 7 %. UN BUDGET TRIPLÉ
Face à l’importance des besoins, le PSGouv 2 bénéficie d’un montant de près de 3 200 milliards de francs CFA (plus de 4 milliards d’euros) sur trois ans (2022-2024), un budget plus de trois fois supérieur à celui de la première édition, dont le montant s’élevait à 1 000 milliards de francs CFA. Patrick Achi indique que le programme dépasse largement l’ambition de son prédécesseur : « Le PSGouv 2 mettra au cœur de son réacteur un appui puissant à la jeunesse, dans toutes les régions », a fait savoir le chef du gouvernement, tout en indiquant que ce programme incarne la vision et la volonté du président de la République d’une Côte d’Ivoire 58
toujours plus solidaire. Le Premier ministre a ajouté que le PSGouv 2 s’articulait autour de cinq axes stratégiques : à savoir la lutte contre la fragilité dans les zones frontalières du Nord, l’amélioration des conditions d’études en primaire, au secondaire et au supérieur, l’amélioration des conditions de vie des ménages, l’insertion professionnelle des jeunes avec le renforcement du service civique et de « l’école de la seconde chance », et, enfin, la couverture sociale des populations fragiles. Ces objectifs devraient contribuer à conforter les réalisations obtenues par le PSGouv 1. LES ACQUIS NOTABLES DU PSGOUV 1
Dressant le bilan de la première phase du programme social du gouvernement, Patrick Achi a rappelé qu’en 2019 et en 2020, ce sont près de 1 850 localités qui ont eu accès à l’électricité, près de 9 000 pompes qui ont été réparées ou remplacées, et plus de 20 000 maintenues. En outre, a-t-il précisé, on constate de 2019 à 2020 la réhabilitation du réseau routier, très dégradé, et le développement de plusieurs centaines de nouveaux kilomètres de linéaire reliant les principales capitales de districts et de départements. Il a souligné que ce sont plus de 10 000 enseignants qui ont été recrutés, formés et envoyés sur le terrain en deux ans. Par ailleurs, le PSGouv 2019-2020 se déclinait en 156 actions prioritaires comprenant 12 projets phares à impact large et rapide. Il s’agit notamment du renforcement du programme de gratuité ciblée, de l’opérationnalisation progressive de la couverture maladie universelle (CMU), de l’intensification et de l’élargissement de la couverture des bénéficiaires du programme de filets sociaux productifs, du développement d’activités d’autonomisation en faveur des jeunes et des femmes, de la baisse du tarif social de l’électricité, du renforcement du programme d’accès à l’eau potable en milieu rural et de l’accélération du programme des logements sociaux. Reste à souhaiter qu’à l’heure du bilan, en 2024, les résultats du PSGouv 2 soient encore plus importants. ■ AFRIQUE MAGAZINE
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Accompagner les plus vulnérables L’un des points clés reste d’apporter des solutions économiques durables aux populations fragiles. par Francine Yao
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éduire de façon signifiante l’extrême pauvreté dans une Côte d’Ivoire où la croissance économique doit profiter à tous. Telle est l’une des grandes ambitions du chef de l’État Alassane Ouattara. D’où l’adoption de programmes sociaux du gouvernement, dont la phase 1 s’est, comme dit précédemment, étendue de 2019 à 2020. Sa phase 2 a démarré au début de 2022 et devrait s’achever à la fin de 2024 pour une dotation budgétaire de 574,2 milliards pour l’année 2022, 1 297 milliards pour 2023 et 1 281,7 milliards pour 2024. Cette 2e phase du PSGouv a pour but de consolider les acquis de la phase précédente et d’accélérer le rythme de réduction de la pauvreté et des inégalités sociales. Il s’agit d’apporter des solutions durables à la problématique de la fragilité dans les zones frontalières du nord, de l’accès à l’emploi et de l’autonomisation des jeunes et des femmes. NE LAISSER AUCUN CITOYEN À LA TRAÎNE
Ce PSGouv 2 met à l’honneur ce que l’on appelle « l’école de la deuxième chance », qui constitue une opportunité d’insertion sociale et de réussite pour les Ivoiriens n’ayant pu poursuivre un cursus scolaire complet. Dans ce cadre, des dizaines de milliers de jeunes seront pris en charge, pour un financement de plus de 32 milliards de francs CFA. Outre le PSGouv, d’autres projets mettent en lumière la volonté du gouvernement de ne laisser aucun citoyen à la traîne. Il s’agit de faire en sorte que toutes les populations soient touchées par les importants progrès AFRIQUE MAGAZINE
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réalisés ces dernières années sur le plan économique. Les dépenses pro-pauvres ont permis à plusieurs milliers de ménages de bénéficier d’une assistance de l’État. Le projet des Filets sociaux productifs a été mis en place par le gouvernement et financé par la Banque mondiale. Il consiste à identifier les ménages démunis et à leur apporter des allocations trimestrielles, afin de leur permettre d’entreprendre des activités génératrices de revenus.
Les données enseignent que les Filets sociaux peuvent, à long terme, avoir un impact
positif sur l’autonomie.
DES RETOMBÉES SIGNIFICATIVES
Des évaluations de la Banque mondiale ont montré que ces dispositifs permettent notamment aux ménages de satisfaire leurs besoins essentiels, de préserver leurs actifs générateurs de revenus, comme le bétail, et d’investir dans l’éducation et la santé de leurs enfants. Les données enseignent également que les Filets sociaux peuvent, à long terme, avoir un impact positif sur le bien-être des populations et contribuer de manière significative à réduire la pauvreté en permettant notamment aux ménages les plus infortunés d’effectuer dès aujourd’hui des investissements productifs. Ils jouent aussi le rôle de stimulant économique dans les régions pauvres. Ainsi, le projet Filets sociaux productifs a bénéficié à 227 000 ménages répartis sur l’ensemble du territoire national (les 31 régions sont couvertes), tant dans le milieu rural (125 000 ménages dans 1 905 villages), que dans le milieu urbain, où 102 000 ménages sont pris en charge dans 108 communes et chefs-lieux de département. ■ 59
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Pour une révolution du système éducatif Scolarité, formation supérieure, apprentissage, recherche… Les chantiers sont nombreux pour mettre à niveau un secteur essentiel pour le développement à long terme. par Francine Yao
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e défi est grand. Repositionner l’école ivoirienne, qui a un peu perdu de sa superbe. Cette vérité crue a été rappelée dans le dernier rapport du Programme d’analyse des systèmes éducatifs (PASEC) de la Conférence des ministères de l’Éducation nationale en Afrique subsaharienne et francophone (CONFEMEN) datant de 2019, mais publié en décembre 2020. Cette évaluation diagnostique porte sur 14 pays, à savoir le Bénin, le Burkina Faso, le Burundi, le Cameroun, le Congo, la Côte d’Ivoire, le Gabon, la Guinée, le Niger, Madagascar, la République démocratique du Congo, le Sénégal, le Tchad et le Togo. Elle a étudié, entre autres, le niveau de connaissances, les compétences, les aptitudes des élèves et la qualification des enseignants.
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L’université Félix Houphouët-Boigny de Cocody accueille 60 000 étudiants.
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Dès maintenant, le pays doit
mettre en œuvre ses réformes.
Il en ressort que les scores attribués à la Côte d’Ivoire dans certains domaines clés sont assez bas. Dans l’indice des scores moyens nationaux en mathématiques, le pays est même classé avant-dernier, juste devant le Tchad. Certes, des efforts ont été accomplis, mais, à l’évidence, les résultats restent mitigés. Face à cette situation, le gouvernement a pris le taureau par les cornes. Le programme de travail gouvernemental (PTG), validé au cours du séminaire du gouvernement organisé en avril 2021, a placé au cœur de ses actions les États généraux de l’éducation et de l’alphabétisation (EGEA). L’idée est de redorer le blason de l’école, avec ces derniers comme instruments d’orientation et de prise de décision dans les actions de redynamisation en matière d’éducation et d’alphabétisation. DES ÉTATS GÉNÉRAUX POUR DES SOLUTIONS INCLUSIVES
« C’est une exigence éminemment citoyenne si nous aspirons véritablement à une éducation de qualité au service de nos enfants et de la Côte d’Ivoire de demain, dans la perspective d’un développement durable, d’un mieux-être partagé », a affirmé Mariatou Koné, le 19 juillet 2021, à Abidjan, lors du lancement des EGEA. Pour la ministre de l’Éducation nationale et de l’Alphabétisation, si les défis du système éducatif ne sont pas relevés, l’ambition du gouvernement de mettre à la disposition du pays des ressources humaines de qualité en adéquation avec les besoins du marché de l’emploi pourrait être compromise. Ces assises permettront de porter un regard critique sur le système éducatif actuel, et de recueillir des propositions innovantes et consensuelles, pour construire une école de qualité. Pour atteindre ses objectifs, les EGEA ont adopté cinq principes directeurs pour encadrer les travaux. Il y a d’abord le principe de capitalisation des acquis. Il y a ensuite la démarche verticale, de la base vers le sommet : celle-ci consiste à impliquer les populations locales dans la formulation de propositions pour 62
une éducation de qualité. Il y a aussi les « concertations sincères et franches guidées par l’intérêt général » : ce principe ambitionne d’apporter des solutions constructives et concrètes aux problèmes qui minent l’école. Il y a également la démarche inclusive et participative, qui est un exercice d’écoute des parties prenantes, qui favorisera le dialogue et les échanges entre tous les acteurs et partenaires du secteur éducation-formation. Enfin, il y a la démarche prospective. Le chronogramme est clair. Dès maintenant, la Côte d’Ivoire doit commencer à mettre à exécution ses solutions pour l’école. En initiant les états généraux, la ministre se donne les moyens pour changer le visage de l’école. Car si toutes les résolutions issues de la concertation sur l’éducation sont mises en œuvre, les résultats attendus seront impressionnants. À savoir, notamment, la construction dans la durée d’une école de qualité ainsi qu’une entente dans le secteur éducation/formation, et l’établissement d’une relation de confiance en l’école tant sur le plan national qu’international. L’IMPORTANCE DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR
L’enseignement supérieur est également entré en chantier de refonte. Le ministre Adama Diawara veut lui donner un nouveau souffle : « À l’université, les choses sont dynamiques. Bientôt, je vais proposer au Conseil des ministres de nouveaux textes pour impulser le changement », a fait savoir le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, le 19 août 2021, à l’université Félix Houphouët-Boigny de Cocody, en présence des enseignants et des fondateurs de grandes écoles. Dans sa quête de qualité, le ministre veut réformer l’enseignement supérieur privé. « Celui-ci occupe une place de choix au sein de l’enseignement supérieur en Côte d’Ivoire », relève-t-il. Pour soutenir son assertion, il se fonde sur deux indicateurs. Le premier découle de l’annuaire statistique de l’enseignement supérieur qui date de 2019 : « Selon cet annuaire, AFRIQUE MAGAZINE
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notre pays enregistre 249 420 étudiants [254 000 aujourd’hui, ndlr]. La part de l’enseignement privé était de 45 %, le public gardant les 55 % restants. À peu près la moitié des apprenants se trouvent dans le privé. Et ce pourcentage ira croissant car, de plus en plus, les étudiants y seront orientés », indique-t-il. Le second indicateur, avance-t-il, a trait à la répartition des affectations des étudiants. « En 2020, 77 900 étudiants se sont inscrits sur notre plate-forme d’orientation. Quand nous avons regardé les capacités d’accueil des universités publiques, nous ne pouvions y affecter que 22,6 % d’entre eux. Nous avons forcé un peu pour faire en sorte que 30 % soient finalement orientés dans le public, contre 70 % dans le privé », fait-il observer, démontrant l’importance des universités privées dans le dispositif de l’enseignement supérieur. Face à ce constat, Adama Diawara souligne qu’il faut que ce secteur soit de qualité. Dans cette optique, il avance qu’il faut agir sur différents leviers : « Il faut d’abord disposer d’infrastructures et d’équipements de qualité, précise-t-il, notamment pour les filières scientifiques et technologiques. » Avant d’ajouter : « Il faut que les offres de formation soient à la hauteur de ce que l’on attend des AFRIQUE MAGAZINE
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universités privées, en matière d’adéquation formation-emploi. » Enfin, le ministre n’oublie pas le chantier relatif à l’amélioration de la qualité des enseignants : « Au niveau d’une formation BTS, quand des professeurs ont le niveau BTS, c’est le début de la catastrophe ! Car le fait que des élèves aient le même niveau que leurs enseignants pose évidemment un gros problème. » Conséquence de ces différents constats, le ministre annonce de nouveaux textes en préparation : « Il y aura un nouvel arrêté sur l’autorisation de création, un autre sur l’autorisation d’ouverture qui ira de pair avec l’accréditation de l’offre de formation. Ensuite, nous donnerons dans un arrêté la liste des diplômes autorisés : par exemple, il n’est plus question que des universités privées délivrent des doctorats. Ces diplômes seront délivrés à l’intérieur des écoles doctorales. Si une université privée se sent à la hauteur pour le faire, elle devra remplir les exigences des écoles doctorales », argumente-t-il. Par ailleurs, un nouveau texte est en projet au sujet de l’autorisation d’enseigner et de diriger un établissement d’enseignement supérieur. Et les établissements privés seront régulièrement évalués. ■
Des mesures sont mises en place pour que l’école progresse rapidement. Ici, à Daloa, dans le centre-ouest.
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Chaque année, 34 000 étudiants sortent diplômés alors qu’il n’existe que 9 900 emplois stables dans les secteurs du public et du privé confondus. Ici, l’usine Tomates de Côte d’Ivoire (Tomaci), près d’Abidjan.
L’adéquation formation-emploi Accentuer la compétitivité de l’économie, ouvrir de réelles opportunités, c’est aussi faire correspondre les filières d’études au marché du travail. par Francine Yao
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ce qui concerne l’enseignement supérieur, 34 000 étudiants sortent diplômés alors qu’il n’existe que 9 900 emplois stables dans les secteurs du public et du privé confondus. Et ce chiffre va croissant d’année en année. Selon Adama Diawara, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, chaque année, ils seraient 400 000 jeunes à arriver sur le marché du travail. La Côte d’Ivoire fait donc face au défi de l’adéquation formation-emploi. Qui forme-t-on ? Pour quels emplois ? Ces questions sont précisément au centre de toutes les préoccupations, aussi bien au sein du secteur privé que du gouvernement. AFRIQUE MAGAZINE
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a « Vision Côte d’Ivoire 2030 » projette de faire de la locomotive de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) un pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure (entre 3 996 dollars et 12 375 dollars de revenu national brut par habitant), une catégorie qui, dans le jargon de la Banque mondiale, précède celle des pays à revenu élevé. Pour y parvenir, l’État devra procéder à de profondes mutations, qu’elles soient économiques ou sociales. Et parmi elles figure le volet formation-marché du travail. En effet, les résultats de l’enquête sur l’emploi en 2015 sont éloquents. On y apprend qu’en
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Dans cette optique, Adama Diawara a lancé à l’université Félix Houphouët-Boigny, le 21 octobre 2021, la réalisation d’une étude pilote sur les secteurs et métiers porteurs, dans le but d’actualiser la carte des formations universitaires, en lien avec les branches professionnelles et en fonction des besoins de l’économie. Les résultats de cette étude sont attendus en octobre 2022. Elle est conduite par le Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) et le Centre de prospective de l’Institut national polytechnique Houphouët-Boigny (INP-HB). Le projet est financé par l’Agence française de développement (AFD), dans le cadre de la mise en œuvre des activités du deuxième contrat de désendettement et de développement (C2D), concernant le quatrième volet éducationformation de l’Appui à la modernisation et à la réforme des universités et grandes écoles de Côte d’Ivoire (AMRUGE-CI). Selon le ministre, cette étude permettra de trouver une solution durable au problème de l’inadéquation entre la formation et le marché du travail. Adama Diawara promet aussi, entre autres innovations, de réformer le BTS grâce à un financement de la Banque mondiale, dans le cadre du Projet d’appui au développement de l’enseignement supérieur (PADES). Il s’agira d’identifier les filières porteuses d’emplois afin de les maintenir, et, en toute logique, de supprimer celles qui ne le sont pas. Aussi, il avance que les curriculums seront revus. « En concertation avec le secteur privé, nous verrons quels sont les référentiels de compétences recherchés par le monde du travail. » DES UNIVERSITÉS DANS LES RÉGIONS
Fort de cette ambition, le gouvernement s’est orienté vers la création d’universités thématiques, en tenant compte des aspirations du pays. L’objectif étant de coller aux besoins actuels et futurs des apprenants, afin de soutenir le développement économique de chaque région. Ainsi, depuis 2012, Abidjan et Bouaké ne sont plus les seules villes du pays à abriter des universités publiques. Elles ont été rejointes AFRIQUE MAGAZINE
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par Daloa, Korhogo, Man et San Pedro. L’université de Man (U-MAN), qui a procédé à sa rentrée officielle en 2017-2018, est la dernière-née des établissements d’enseignement supérieur, construite dans le cadre du Programme de décentralisation des universités (PDU). L’U-MAN est principalement orientée dans les domaines des sciences de la terre et de l’atmosphère, des mines et de l’énergie, de la métallurgie, de la mécanique et de la maintenance industrielle, ainsi que des sciences des matériaux. Elle regroupe quatre unités de formation et de recherche (UFR), cinq grandes écoles, un centre de recherche et un institut. De son côté, l’université Jean Lorougnon Guédé, à Daloa, compte cinq UFR (agroforesterie, environnement, sciences sociales et humaines, sciences économiques et de gestion, et sciences juridiques) ainsi qu’une école de formation continue. Cette université, qui reçoit environ 7 000 étudiants, a pour mission principale la formation de spécialistes en développement local, rural et communautaire. Par ailleurs, le pays compte dorénavant dans ses rangs l’université Peleforo Gon Coulibaly, à Korhogo. Cette ancienne Unité régionale de l’enseignement supérieur (URES) est désormais une université autonome. Elle est spécialisée en gestion agropastorale et en sciences biologiques. Quant à l’université de San Pedro, elle a ouvert ses portes en octobre 2021. Son offre de formation conçue en conformité avec les priorités économiques du pays s’oriente particulièrement vers les sciences de la mer et la construction navale, le BTP, l’agriculture, l’agro-industrie et les ressources halieutiques, la logistique et le tourisme. Elle comprend aussi une unité de formation et de recherche en médecine, au sein du centre hospitalouniversitaire régional. Ces programmes de formation seront proposés dans le cadre de licences académique ou professionnelle. Par ailleurs, les travaux de construction de l’université de Bondoukou sont en cours. Autant d’initiatives qui devraient permettre d’atteindre l’objectif escompté. ■
Fort de cette ambition, le gouvernement s’est orienté vers la création
d’universités thématiques,
en tenant compte des aspirations du pays.
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Soutenir et autonomiser les femmes Elles sont l’autre moitié de la Côte d’Ivoire. Et une priorité en matière d’émancipation et de protection. par Francine Yao
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amélioration de la condition des femmes est un pan important de la politique sociale du pays. Dans les secteurs de l’éducation, de la santé, de l’entrepreneuriat ou du leadership, des initiatives ont été mises en œuvre en vue de faire évoluer positivement leur situation, en particulier celles qui vivent en milieu rural. En effet, selon plusieurs rapports d’organismes nationaux et internationaux, même si la situation des femmes en Côte d’Ivoire a évolué dans le temps, elle demeure tout de même préoccupante. Notamment en ce qui concerne la scolarisation des petites filles, la lutte contre les grossesses en milieu scolaire, la mortalité maternelle ainsi que l’autonomisation. Autant de défis qui font l’objet d’une attention soutenue de la part des gouvernants et des acteurs de la société civile. Ainsi, dans l’optique de favoriser la scolarisation des jeunes filles, le gouvernement s’est doté d’un Plan stratégique d’accélération de l’éducation des filles (PSAEF) en mars 2018. Et, en juin 2021, il a ratifié un accord de prêt d’un montant de 15,7 milliards de francs CFA (24 millions d’euros) pour financer le projet de construction et d’équipement de trois lycées d’excellence pour filles dans les régions de La Bagoué, de La Mé et du Sud-Comoé. Ces lycées auront chacun une capacité globale de 1 000 élèves, avec 800 lits de dortoir pour la partie internat. La réalisation de ces infrastructures scolaires s’inscrit dans un vaste projet de construction de 12 lycées d’excellence pour jeunes filles. D’autre part, le gouvernement a approuvé le 3 avril 2019 en Conseil des ministres un 66
investissement de 1,6 milliard de francs CFA sur la période de 2020 à 2024, afin de réduire le taux de mortalité maternelle et celui de la mortalité infanto-juvénile (des enfants de moins de 5 ans). Ce projet s’articule autour du renforcement de la santé communautaire et de la chaîne d’approvisionnement, de l’augmentation des ressources humaines et de l’amélioration de la qualité des soins. L’objectif est de permettre de réduire le taux de mortalité maternelle de 614 à 417 pour 100 000 naissances vivantes, et celui de mortalité infanto-juvénile de 91 à 59 pour 1 000 à l’horizon 2024.
Dans l’optique de favoriser la scolarisation des jeunes filles, le gouvernement s’est doté d’un plan stratégique.
L’ENTREPRENEURIAT POUR PLUS D’INDÉPENDANCE
Au-delà des investissements dans les secteurs de l’éducation et de la santé, la question de l’autonomisation économique représente un chantier important pour le gouvernement. En 2019, un document de stratégie nationale destiné à donner un coup d’accélérateur à l’indépendance économique des femmes a été élaboré. « Il constituera une feuille de route pour la planification du développement et le bien-être social », indiquait Belmonde Dogo, alors secrétaire d’État en charge de l’Autonomisation des femmes. En outre, la mise en place d’instruments tels que le Fonds d’appui aux femmes de Côte d’Ivoire (FAFCI) a permis depuis 2012 à plusieurs milliers d’entre elles de bénéficier de financements pour leur activité économique. Face aux difficultés qu’éprouvent de nombreuses femmes à accéder aux crédits, notamment en passant par les systèmes bancaires classiques, AFRIQUE MAGAZINE
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la Première dame Dominique Ouattara a institué ce fonds. Le président a en outre régulièrement apporté son soutien à cet appui financier. Il a ainsi revu à la hausse le montant alloué à ce programme de haute portée sociale. Le chef de l’État a fait porter le capital du FAFCI à 10 milliards de francs CFA, qui ont profité à 122 000 femmes en 2017. Puis à 25 milliards de francs CFA en 2021, permettant à près de 300 000 femmes de mener des activités génératrices de revenus. AFRIQUE MAGAZINE
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Le FAFCI intervient dans divers secteurs d’activité, tels l’entrepreneuriat, l’agriculture, la pisciculture, le commerce. Ce sont des habitantes des localités de Man, Bondoukou, Korhogo, Bouaké, Dimbokro, Séguéla, Bouaflé, ou encore Guiglo qui ont bénéficié de financements issus de ce fonds. Citons également, en marge du FAFCI, le Fonds femme et développement, doté de 5 milliards de francs CFA en faveur de l’entrepreneuriat féminin. ■
Le FAFCI intervient dans divers secteurs d’activité, comme l’agriculture.
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La stratégie Nord Plus que jamais, le développement économique et social des régions septentrionales s’intègre dans la problématique de sécurisation du pays. par Francine Yao
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ialé Kaba, la ministre du Plan et du Développement, a planté le décor dans une présentation intitulée « Synthèse de la stratégie de développement des régions du septentrion ». C’était lors de l’assemblée générale constitutive du Grand Nord, le 12 novembre dernier, à Korhogo, dans le chef-lieu du district des Savanes. La ministre, députée de Bouna, a rappelé : « Le Grand Nord s’étend sur 164 861 km² et occupe 51,12 % de la superficie du territoire national, avec une population estimée à 4 106 735 millions d’habitants en 2014. Il est composé de 11 régions (Bafing, Bagoué, Béré, Bounkani, Folon, Gontougo, Hambol, Kabadougou, Poro, Tchologo et Worodougou). Cet espace comprend les régions les plus pauvres du pays, avec une faible densité de population au km², un faible développement humain et un niveau d’infrastructures socio-économiques insuffisant. » L’économie de cette vaste zone est essentiellement articulée autour d’une 68
agriculture de produits de rente (cajou, mangue, coton et canne à sucre) et de produits de subsistance, dont le riz, le maïs, le mil, l’igname, le manioc et l’arachide. À cela s’ajoutent les élevages de bovins, de porcins, d’ovins, de caprins, de volailles, ainsi que quelques activités halieutiques. Par ailleurs, ces régions renferment d’importantes ressources naturelles (cuivre, or, manganèse, nickel, bauxite, monazite, colombo-tantalite). La Côte d’Ivoire, qui partage, au nord, plus de 1 000 kilomètres de frontière avec le Mali et le Burkina Faso, est désormais en alerte face à la contagion terroriste. La double attaque de Kafolo, à la frontière des deux pays, les 11 et 12 juin 2020, menée contre l’armée ivoirienne et ayant tué 14 soldats, a été attribuée aux terroristes. Cette situation rappelle, si besoin est, la nécessité pour l’État d’agir vite contre le terrorisme, notamment dans la région septentrionale, qui constitue une sorte de point névralgique que les djihadistes pourraient tenter d’utiliser et de radicaliser. AFRIQUE MAGAZINE
Korhogo, située à 635 km d’Abidjan, est la plus grande ville de la région.
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Face au péril, la lutte contre le chômage des jeunes s’impose comme l’une des solutions. Dans ce sens, le Premier ministre Patrick Achi a procédé, le 22 janvier à Tougbo, dans la région du Bounkani, au lancement d’un programme d’appui à l’insertion de la jeunesse des zones frontalières du Nord. Ce programme spécial, dont le coût global est de plus de 8 milliards de francs CFA, permettra d’offrir des occasions de formation et d’insertion à 19 812 jeunes. Ainsi, 1 800 d’entre eux seront recrutés dans le programme Travaux à haute intensité de main-d’œuvre (THIMO), pour un coût de 1,035 milliard de francs CFA. Quelque 3 350 autres bénéficieront de formations qualifiantes complémentaires et d’apprentissage, pour un coût de 1,341 milliard de francs CFA. Le programme prévoit également que 6 362 jeunes bénéficient de financement d’activités génératrices de revenus et de micros et petites entreprises pour un coût de 4,070 milliards de francs CFA. Des subventions seront octroyées à 8 000 jeunes à travers le Fonds AFRIQUE MAGAZINE
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d’appui aux acteurs du secteur informel (FASI), pour une enveloppe globale de 2 milliards de francs CFA. Le projet prévoit également que 300 jeunes volontaires communautaires soient missionnés et bénéficient d’une enveloppe globale d’un montant de 158 millions de francs CFA. OPTIMISER LE POTENTIEL CONCURRENTIEL
Par ailleurs, le gouvernement a entrepris d’importants travaux de réalisation d’infrastructures socio-économiques de base, afin de permettre aux régions de cette zone d’optimiser leur potentiel concurrentiel. Ainsi, concernant notamment la filière anacarde, qui est devenue un produit de rente majeur pour les agriculteurs, des zones industrielles réservées à la transformation des noix de cajou sont en construction à Korhogo et Bondoukou. Aussi, plusieurs voies importantes ont été et seront bitumées dans le nord du pays, afin de permettre aux agriculteurs d’écouler leurs produits. ■
Plusieurs voies
importantes ont été et seront bitumées pour permettre aux agriculteurs d’écouler leurs produits.
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La qualité de service à l’hôpital d’Abidjan s’est améliorée, grâce à de récents investissements.
Le droit aux soins La mise en place de la couverture maladie universelle et la bonne maîtrise de la pandémie de Covid-19 apportent du crédit au programme sanitaire. par Francine Yao
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l’accès à des services et à des soins de santé de qualité. Deux régimes ont été mis en place : un régime général de base (RGB), contributif, à raison de 1 000 francs CFA par mois et par personne, qui bénéficie aussi aux éventuels ayants droit, et un régime d’assistance médicale (RAM), non contributif, pour les personnes les plus défavorisées qui, jusqu’à présent, étaient pour la plupart exclues du système de santé. UN BON TAUX D’AFFILIATION
Entre janvier 2020 et fin 2021, près de 3,2 millions de personnes ont été enregistrées. Les chiffres fournis par le ministère de l’Emploi et de la Protection sociale indiquent que 216 000 personnes considérées économiquement faibles ont déjà été affiliées. Les bénéficiaires du programme AFRIQUE MAGAZINE
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utre l’éducation et la lutte contre la pauvreté, qui bénéficient d’une attention particulière du gouvernement, l’accès à des soins de qualité figure en haut de la liste des actions à mener par l’État. En effet, depuis 2012, le système de santé a entamé une profonde mutation. Plusieurs initiatives sont ainsi mises en œuvre dans le but de permettre aux populations de se soigner à moindre coût dans des structures sanitaires bien équipées. Cette volonté politique a conduit à l’instauration de la couverture maladie universelle (CMU), l’un des projets phares du président Alassane Ouattara. Il s’agit d’un système national obligatoire d’assurance maladie au profit des citoyens, à commencer par les plus démunis. La CMU a pour objectif de garantir à l’ensemble des Ivoiriens résidant dans le pays
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Filets sociaux productifs seront pris en charge par le régime d’assistance médicale. En matière d’infrastructures, d’importants investissements ont été réalisés ou sont en cours de réalisation pour améliorer l’offre de soins à Abidjan et à l’intérieur du pays, avec la construction ou la réhabilitation de centres de santé.
LEGNAN KOULA/EPA-EFE
UN PLAN DE RIPOSTE
Enfin, on se félicite que la crise liée au Covid-19 ait été bien gérée. La pandémie a rudement mis à l’épreuve l’ensemble des systèmes de santé à travers le monde, y compris ceux des pays les plus avancés en matière de technologies et de qualité de soins. Mais après une année 2020 difficile, le pays a mis en place un plan de riposte qui a donné AFRIQUE MAGAZINE
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des résultats. Le nombre de cas détectés a ainsi diminué grâce à des mesures efficaces : entre autres, la surveillance épidémiologique et biologique, la prévention, la détection précoce, la prise en charge rapide des malades et leur isolement, l’information et la sensibilisation sur le respect des mesures de prévention contre la contamination. En parallèle, les capacités des industries pharmaceutiques, des laboratoires et des structures destinées au diagnostic ont été renforcées sur l’ensemble du territoire national. S’ajoutent la distribution massive de masques, l’achat de vaccins, etc. Ces mesures sanitaires associées aux soutiens aux entreprises ont permis d’amortir le choc. Aujourd’hui, la psychose s’éloigne peu à peu, et les populations semblent avoir appris à vivre avec le virus. ■
Dans la capitale économique comme dans le reste du territoire, la campagne de vaccination a porté ses fruits.
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DÉCOUVERTE / Côte d’Ivoire
Judith Didi-Kouko Coulibaly « Thérapies spécifiques et politique sociale »
Directrice du Centre national d’oncologie médicale et de radiothérapie Alassane Ouattara (CNRAO)
Première professeure agrégée et titulaire en cancérologie de Côte d’Ivoire et d’Afrique de l’Ouest, elle dirige aujourd’hui le CNRAO, un établissement de pointe dont elle détaille le mode de fonctionnement. AM : Vous êtes à la tête du CNRAO depuis sa création en décembre 2017. C’est le premier hôpital public destiné aux malades du cancer. Comment fonctionne-t-il ? Judith Didi-Kouko Coulibaly : Le CNRAO est d’abord une réaf-
firmation de la volonté politique de l’État de faire de la Côte d’Ivoire un pays où le cancer n’est plus un drame mais une maladie chronique. Cet hôpital public, inauguré le 18 décembre 2017 par le président Alassane Ouattara, et ouvert aux populations depuis le 25 janvier 2018, est spécialisé dans la prise en charge du cancer. Nous offrons une nouvelle vision incluant à la fois des thérapies spécifiques et sécurisées, une humanisation des soins et une politique sociale. En effet, outre les traitements spécifiques de la maladie, le CNRAO propose des soins d’accompagnement (accueil par des hôtesses, consultations de psychologie et de médecine esthétique, groupes de parole, gymnastique, ateliers beauté…). L’objectif est d’améliorer la qualité de vie des patients et de leurs proches. Par ailleurs, afin d’adapter les soins aux exigences universelles, les traitements sont sécurisés sur le plan médical par des staffs, des réunions de concertation pluridisciplinaires et des formations initiales et continues. En matière de formation initiale, on pourrait par exemple citer la première du genre en socio-esthétique en cancérologie d’Afrique subsaharienne, que le CNRAO a organisée en 2019 avec le soutien de la Fondation L’Oréal, permettant ainsi à notre sous-région d’avoir à disposition 11 praticiennes. Dans le cadre de la lutte contre le Covid-19, le CNRAO a mis en œuvre des dispositions visant à respecter les mesures barrières et a développé depuis septembre 2020, en partenariat avec l’Université virtuelle de Côte d’Ivoire (UVCI), des téléconsultations. Nous avons également organisé des séances de vaccination à l’attention de nos patients, de leurs proches et du personnel. Le CNRAO a en outre une 72
vocation sous-régionale. Il accueille des patients venus d’autres pays, soit individuellement, soit dans le cadre de partenariats. Nous pouvons citer l’exemple de la convention signée en 2019 entre le ministère de la Santé et son homologue du Bénin, pour le traitement par radiothérapie de Béninois touchés par le cancer. Le CNRAO dispose d’une cellule internationale dont les missions sont, pour les patients et les familles qui le souhaitent, d’organiser et de coordonner leur venue en Côte d’Ivoire. Nous avons obtenu le prix d’Excellence 2019 du meilleur établissement sanitaire du pays. Et le 24 février 2022, le CNRAO a eu l’honneur de recevoir le 1er Prix de la qualité de l’accueil (dans le secteur de la santé publique) du Baromètre national de la qualité de l’accueil. Vous disposez d’un plateau technique moderne et avez noué des partenariats avec des laboratoires européens. Le dernier a été signé en février avec le suisse Novartis. Qu’est-ce que cela va apporter concrètement au CNRAO ?
Notre établissement, entièrement climatisé, dispose en effet d’un plateau technique avancé composé de deux accélérateurs linéaires de particules pour la radiothérapie externe, dont un a bénéficié en 2021 de la technologie RapidArc ; d’un plateau technique de radiothérapie interne, appelée curiethérapie ; de dix lits d’hospitalisation de jour en oncologie médicale, dont deux chambres individuelles ; et d’un laboratoire d’analyses biologiques. Nous possédons aussi des salles de consultations et d’attente confortables ainsi qu’une cabine d’esthétique entièrement équipée, dénommée « la Maison rose de la beauté », acquise avec le soutien de la Fondation L’Oréal. Nous avons en effet signé plusieurs conventions d’appui avec des structures nationales et internationales : elles concernent l’appui à la formation, à l’équipement, à la réduction du coût des anticancéreux, aux personnes démunies atteintes de cancer, etc. On peut citer AFRIQUE MAGAZINE
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l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), le Rotary Club Abidjan Atlantis, le groupe SIFCA et sa fondation, le CHU d’Angré, l’UVCI, l’association Knitted Knockers Côte d’Ivoire ou encore Novartis. Cette dernière convention, signée le 4 février, viendra (en plus de celle existant déjà, que l’État a signée avec le laboratoire Roche) renforcer les actions sociales. Elle facilitera encore plus l’accessibilité financière des soins, vu que les médicaments de Novartis seront cédés à des coûts relativement bas. Elle renforcera également l’accès à la prévention et au diagnostic des cancers. Pour rappel, dans le cadre du partenariat avec le laboratoire Roche, l’État a permis, depuis 2015, une accessibilité financière accrue à de nouveaux traitements du cancer. Le bilan des cinq premières années de cette convention nationale fait état de 755 personnes traitées gratuitement, à hauteur de 2,5 milliards de francs CFA. Ce partenariat a été renouvelé en décembre 2019 pour cinq ans, portant sur 12 médicaments d’acquisition gratuite, contre trois initialement. Combien de patients avez-vous traité à ce jour et avec quel taux de réussite ?
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Entre son ouverture au public et le 31 décembre 2021, le CNRAO a enregistré 6 359 nouveaux patients, 23 165 consultations, 11 824 traitements par chimiothérapie et thérapies ciblées, 1 627 traitements par radiothérapie (soit 1 627 évacuations sanitaires évitées). Nous avons aussi procédé à 62 288 examens de biologie. Et plus de 3 000 personnes ont pris part aux activités de soins d’accompagnement. Comment fonctionne la subvention aux soins dédiés aux plus pauvres ?
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Le ministère de la Santé a initié des actions sociales donnant la possibilité aux patients de se soigner d’abord et de payer la facture à leur rythme. Lorsqu’ils n’ont pas les moyens, ils peuvent aussi ne rien payer d’emblée, et payer en différé, dans l’attente de trouver soit les moyens, soit une prise en charge. Pour ceux encore plus dans le besoin, le CNRAO sollicite des donateurs qui, gracieusement, apportent leur appui financier, soit ponctuellement, soit au travers de conventions. Par ailleurs, plusieurs patients ont bénéficié du soutien financier de la présidence de la République de Côte d’Ivoire et du ministère en charge de la Santé. Entre le début de nos activités et fin décembre 2021, sur 6 359 patients reçus, 2 200 (34,5 %) ont bénéficié du soutien de l’État, à hauteur de 2,6 milliards de francs CFA.
L’hôpital a une vocation sousrégionale. Il accueille des patients venus d’autres pays, soit individuellement, soit dans le cadre de partenariats. Quels sont vos projets à court ou moyen terme ?
Le renforcement des formations continues du personnel, pour rester à la pointe de la décision thérapeutique, et la poursuite des investissements en matière d’équipements, afin de se maintenir au top de la technologie. Nous allons aussi maintenir nos efforts pour faciliter toujours davantage l’accessibilité financière aux soins. Et enfin, nous attendons l’extension imminente du CNRAO. Et nous en remercions nos autorités, et notamment le ministère de la Santé, de l’Hygiène publique et de la Couverture maladie universelle. ■ Propos recueillis par Emmanuelle Pontié 73
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Une ligne électrique reliant Anani à Bingerville.
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L'accès à l'énergie et à l'eau potable représente une richesse commune. par Francine Yao
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La carte électricité, le facteur eau AFRIQUE MAGAZINE
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e pays, qui a connu durant trois mois, en 2021, une brève crise énergétique, semble être revenu sur le bon chemin. Selon Côte d’Ivoire Énergies (CI-Énergies) – la société d’État chargée d’assurer le suivi de la gestion des mouvements d’énergie électrique ainsi que la réalisation des travaux de développement des réseaux électriques –, cette crise était due à la conjugaison de plusieurs faits imprévus, comme de multiples pannes successives survenues sur de grosses machines de production ou une saison sèche particulièrement rude qui a vidé de leur eau les barrages hydroélectriques. Pour faire face à cette situation, il a été rapidement mis en place un système de rationnement, consistant à approvisionner les clients en électricité de façon tournante. Depuis la fin de ces restrictions, selon Serge Ahoussou, directeur central de la planification et de l’ingénierie de CI-Énergies, il n’y a pas lieu de s’inquiéter, la crise est finie. « Le rationnement est derrière nous, et plus rien ne pourra contrarier la marche du pays vers son objectif de devenir un hub énergétique », a-t-il affirmé avec assurance. Le pays, qui a augmenté sa capacité de production de 60 % entre 2011 et 2019 (passant de 1 391 MW à 2 229 MW) ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Plusieurs investissements sont prévus afin d'accroître ses capacités de production énergétique. Dans le cadre des mesures de renforcement de la résilience du système électrique, 240 MW seront installés sur la période 2021-2022 (avec une centrale de réserve et l’amélioration de la centrale Aggreko). Selon le directeur de la planification, Koissi Louis Brou, sur la période 2021-2030, plusieurs 75
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« Plus rien ne pourra contrarier la marche du pays
vers son objectif :
devenir un hub énergétique. »
autres projets verront le jour pour renforcer la production d’énergie. La construction des barrages hydroélectriques de Singrobo (44 MW en 2023), et de Gribo-Popoli (112 MW en 2024) est prévue. Concernant les producteurs indépendants de gaz, Koissi Louis Brou annonce l’extension de la centrale d’Azito 4 (253 MW en 2021-2022) et la construction de Ciprel 5 (390 MW en 2022-2023). S’agissant du solaire, il est prévu de construire une centrale à Boundiali (30 MW en 2022). Par ailleurs, trois centrales thermiques, une de biomasse et deux hydroélectriques sont d’autres projets en cours, qui s’achèveront d’ici à 2030. Le volet distribution ne sera pas non plus en reste. Plusieurs projets sont en cours afin de favoriser l’accès à l’électricité dans tout le pays. « Ces projets ont pour but de sécuriser l’alimentation et d’améliorer la qualité du produit à Abidjan et à l’intérieur du pays à l’horizon 2030. Le centre de dispatching de Yamoussoukro est déjà opérationnel et a été inauguré le 25 février 2022 », souligne le directeur de la planification. Quant à l’électrification rurale, les différentes initiatives aideront à faire passer le taux de couverture nationale à 100 % avant 2025. Dans cette optique, le Programme national d’extension de réseaux (PRONEX) sera mis en œuvre afin de densifier le réseau de distribution dans toutes les localités au bénéfice des populations et en soutien des activités socio-économiques. Ce programme vise les chefs-lieux de région, les chefs-lieux de département et les sous-préfectures dans sa première phase. DES RÉALISATIONS IMPORTANTES EN DIX ANS
Le taux d’accès à l’électricité a explosé de 2011 à fin juin 2020. En 2011, 34 % de la population était raccordée au réseau ; ils sont près de 94 % aujourd’hui. Le nombre de clients bénéficiant du courant est passé de 1 111 533 en 2011 à 2 915 688 en 2020, soit une hausse de 162 %. Autre fait majeur, dans le cadre de l’électrification, le taux de couverture 76
national a plus que doublé de 2011 à 2020. Les statistiques indiquent que de 33,1 % fin 2011, ce taux de couverture est passé à 69 % fin 2019, pour se situer à 80 % en 2020. L’objectif étant d’atteindre 100 % d’ici à 2025. De plus, sur la période 2019-2020, ce sont 319 000 ménages qui ont bénéficié d’un nouveau branchement au réseau électrique, dans le cadre du programme électricité pour tous (PEPT). Environ 5,3 millions d’Ivoiriens en ont bénéficié entre 2014 et fin juin 2020, pour plus de 411 localités. Sans oublier que les populations les plus vulnérables sont abonnées au tarif domestique social 5A. Elles profitent ainsi d’une réduction de 20 % du prix du kWh. Et à la fin du mois de juin 2020, environ 1 200 000 ménages (soit 7 millions de personnes) bénéficiaient de cette aide. Enfin, le taux moyen de coupure est passé de 47 heures en 2011 à 16,37 en 2020. DES PROJETS AMBITIEUX
Depuis quelques années, l’État s’est engagé à améliorer les conditions de vie de sa population en lui fournissant de l’eau potable. Ainsi, en 2021, neuf châteaux d’eau ont été mis en service à l'intérieur du pays. Le nombre de branchements sociaux subventionnés par le Fonds de développement de l’eau (FDE) est passé de 10 000 en 2009 à 128 964 en 2020. En 2021, un total de 105 000 branchements sociaux a été réalisé à Abidjan et sa périphérie, grâce au projet Amélioration des performances techniques et financières du secteur de l’eau potable (APTF), lancé le 8 mai 2020 par le ministre de l’Hydraulique Laurent Tchagba. D’un coût global de 47 milliards de francs CFA, entièrement financée par l’État, l’initiative a pour but de résoudre le problème du manque d’eau dans 155 quartiers et sous-quartiers du grand Abidjan, et de lutter contre la fraude sur le réseau. Ce programme qui, à terme, touchera 1,6 million de personnes, permet aux ménages bénéficiaires d’avoir accès à l’eau potable à un coût de 10 000 FCFA, AFRIQUE MAGAZINE
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au lieu de 167 000 FCFA, dans le cadre du programme « Eau pour tous ». Par ailleurs, à l’intérieur du pays, ce sont 40 unités de production d’eau potable préfabriquées qui ont été mises en service dans 31 localités pour régler le problème de l’approvisionnement. Il s’agit, entre autres, des localités de Dabakala, Niakara, Tengrela, Boundiali, Daloa, Divo, Duékoué, Issia et Guiglo. D’un coût global de 42 milliards de francs CFA, le projet s’inscrit également dans le programme « Eau pour tous ». AFRIQUE MAGAZINE
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Ces résultats ont permis à Alassane Ouattara, dans son message à l’occasion de la nouvelle année, de souligner que le gouvernement a donné l’accès à l’eau potable à des millions d’habitants : « Aujourd’hui, plus de 80 % des Ivoiriens vivant dans nos villes et plus de 70 % en zones rurales ont accès à l’eau potable », a-t-il indiqué. Il a ainsi réaffirmé sa volonté de poursuivre le renforcement de la desserte nationale en eau potable, autant dans les villes que dans les villages. ■
L'usine de traitement d'eau potable de La Mé, à 40 kilomètres au nord d'Abidjan.
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Amzat Boukari-Yabara
« La diplomatie
française en Afrique
est obsolète » L’historien béninois est codirecteur d’un ouvrage sur la Françafrique, néocolonialisme aux multiples visages. À travers l’étude de son histoire et de son actualité, il montre sans détour qu’elle se réinvente sans cesse. propos recueillis par Astrid Krivian AFRIQUE MAGAZINE
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istorien, Amzat Boukari-Yabara préside la Ligue panafricaine-Umoja (« unité » en swahili), une organisation politique internationale dont l’objectif est de fonder un État fédéral africain. Il est notamment l’auteur d’Africa Unite ! Une histoire du panafricanisme (La Découverte) et a codirigé l’ouvrage collectif L’Empire qui ne veut pas mourir : Une histoire de la Françafrique, dont l’ampleur et la documentation fouillée sont inédites. Au fil de ses 1 000 pages, le livre retrace l’histoire du système d’emprise de l’État français sur des pays africains, au détriment des peuples, de ses origines coloniales à l’actualité récente. Analysant radicalement la politique africaine des différents présidents français, il met en lumière les multiples facettes d’un modèle qui combine mécanismes officiels (interventionnisme, franc CFA, francophonie…) et logiques de l’ombre. 79
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AM : Quel était le dessein de ce livre collectif sur la Françafrique ? Amzat Boukari-Yabara : Conçu comme un ouvrage de réfé-
rence, avec des photographies, des cartes et une approche universitaire, sourcée, il remonte aux racines du système et de l’idéologie de la politique africaine de la France. Il montre son évolution au cours de l’histoire, identifie ses cycles, phases et mutations. La Françafrique est un système de relation asymétrique entre les élites françaises et africaines, qui se fait toujours au détriment des intérêts des peuples du continent. Il repose sur des relations généralement occultes, criminelles ou illégales, et qui sont la face cachée d’un système officiel lié à la politique étrangère, africaine, de la France. La politique actuelle de la France en Afrique y est qualifiée de « temps de la reconquête ». Pourquoi ?
nom. Cela vise à réinitialiser le logiciel pour repartir à l’assaut. Mais la politique africaine de Macron est dans la continuité de celle de ses prédécesseurs : faite d’interventionnisme, de soutien aux dictateurs, ou dictateurs en herbe – Mahamat Idriss Déby –, ou tout simplement de formules colonialistes. Macron s’adresse à l’Afrique à travers ses jeunesses. Il relance un jeu de séduction qui s’appuie sur les sociétés civiles, le soft power, la francophonie, la créativité, avec un esprit de reconquête des cœurs, des âmes, des corps et des idées. Or, la société civile est « apolitique », elle n’a pas les leviers décisionnels. C’est assez machiavélique, hypocrite et mesquin de promettre des choses à des groupes sociaux qui n’ont pas les moyens de jouir du fruit de ces promesses. Le système de la Françafrique se réadapte constamment. En témoigne le retrait de l’armée française au Mali, avec le projet de se redéployer ailleurs, au Niger notamment ?
Depuis 2010, le pays a le sentiment d’avoir perdu du terrain sur le continent, en matière d’image, de marCela s’apparente en effet à un repli strachés, d’influences, face à la montée en puistégique de cette armée vers le Niger. Le syssance d’autres acteurs, telle la Chine. À cause tème de la Françafrique s’est appuyé sur un de ses ingérences, les opinions publiques pré carré, des points stables (Sénégal, Côte africaines se sont retournées contre elle. Elle d’Ivoire, Gabon, Congo-Brazzaville, Cameveut revenir en force, notamment à travers roun, Centrafrique). Le Mali et le Niger la diplomatie économique, et inscrire un étaient relativement en périphérie de ces nouveau narratif. Comme tous les présidents bases fortes. Une grande partie de la préfrançais, Emmanuel Macron a promis d’en sence militaire française au Mali visait à finir avec les relations liées au passé colonial. sécuriser des intérêts stratégiques au niveau Mais, à la tête d’une puissance engagée en du Niger, notamment pour l’approvisionneAfrique, il reste lié à des intérêts. Il hérite d’un ment en uranium. Elle ouvre des marchés passif, qu’il fait fructifier pour relancer l’ofpour les entreprises de l’Hexagone (approvifensive. Sa stratégie vise entre autres à faire sionnement en pétrole pour Total, logistique, amende honorable du passé, tenter de fermer nourriture, etc.). L’opération Barkhane coûte des questions conflictuelles – le Rwanda, certes 1 milliard d’euros aux contribuables l’Algérie. Et en même temps, il s’appuie sur français, mais elle crée également des ces mémoires pour construire un récit sans emplois, de l’économie, du retour sur invesL’Empire qui ne veut pas mourir : prendre la peine de regarder réellement ces Une histoire de la Françafrique, tissement, de la vente d’armements… – des histoires passées. Même si une grande partie sous la direction de Thomas Borrel, éléments passés sous silence. C’est un jeu de de ses intérêts économiques se situent désor- Amzat Boukari-Yabara, Benoît dominos, qui fait écho à ce qu’il se passe en Collombat et Thomas Deltombe, mais hors de la zone francophone, la France Seuil, 1 008 pages, 25 €. Centrafrique, premier lieu où la France a peine à se défaire de ce passif. Pour Macron, battu en retrait. La présence militaire russe il y aurait une Afrique « utile » (Angola, Nigeria, Afrique du Sud, a précipité cette réadaptation de la France en Afrique centrale. Éthiopie) et une Afrique « sentimentale » (l’ancien empire…). La position de l’armée française au Sahel relève aussi d’enjeux géostratégiques dans la sous-région : contrôler un espace pour En quoi la politique du président Macron est-elle asseoir une puissance, en lien avec ses territoires clés, et ses une « grande illusion africaine » ? Les éléments bastions du golfe de Guinée. de langage comme « coopération », « partenariat », « Mettre en place un nouveau partenariat », « convertir le regard », « coopération »… font partie de ces changements sémantiques. Le sommet France-Afrique se nomme désormais « sommet Afrique-France », où sont conviées les sociétés civiles, respectables, des jeunes pimpants, plein d’idées, brillants, plutôt que des dirigeants un peu douteux avec du sang sur les mains. L’Agence française de développement va aussi changer de 80
Au Mali, les populations ne veulent plus de cette présence militaire…
L’armée française est restée bien trop longtemps. Selon un storytelling, elle intervenait pour arrêter une offensive djihadiste sur Bamako, en 2013. La France voulait assumer ce rôle de gendarme de l’Afrique. Or, elle s’est installée, implantée. Avec l’opération Barkhane en 2014, on a basculé dans une logique d’occupation. Cela a profondément desservi les intérêts de la AFRIQUE MAGAZINE
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ne sont-ils que de la poudre aux yeux ?
France, son armée est devenue de plus en plus impopulaire. Elle n’a pas eu de résultats tangibles en matière d’éradication de la menace djihadiste. Et la situation a même empiré : désormais, ces attaques touchent également le Burkina Faso et le Niger. On a l’impression que la présence française n’a fait que diluer, disséminer dans toute la région des menaces terroristes. Les populations jugent la Russie plus efficace, militairement, pour affronter ces formes de guérilla. Elle a remis de l’ordre au Soudan, en Centrafrique, en Lybie. Les Maliens sont dans l’urgence de sauver leur pays, quitte à tendre la main au diable. Cette présence française est aussi contestée pour ses bavures, lesquelles ne sont pas moins honteuses que celles des mercenaires russes Wagner. Sauf que c’est une armée professionnelle ! Par exemple, une frappe a tué 19 civils lors d’un mariage à Bounti en 2021. Or, elle nie ses exactions. Le comportement de certains de ses hommes a déjà été dénoncé en Centrafrique, au Tchad. L’impunité de cette armée sur le sol malien peut être mise en parallèle avec le ressentiment des populations du Moyen-Orient vis-à-vis de la présence américaine.
«Comme tous ses prédécesseurs, Macron a promis d’en finir avec les relations liées au passé colonial.»
La politique africaine de la France est-elle arrogante ?
Oui. Exemples : faisant cavalier seul, Emmanuel Macron s’était rendu à Gao pour rencontrer les troupes françaises, obligeant le président malien d’alors, Ibrahim Boubacar Keïta, à se déplacer pour le rencontrer sur la base française. Et du fait des accords de Barkhane, les soldats pouvaient circuler librement au Mali, exemptés de certaines mesures. Tout cela a donné le sentiment d’une recolonisation. Les déclarations médiatiques des ministres, Jean-Yves Le Drian aux Affaires étrangères et Florence Parly aux Armées, sont catastrophiques, suivant une logique colonialiste et provocatrice. C’est surprenant : la France ne s’y prendrait pas mieux si elle voulait vexer et provoquer la rupture avec les populations africaines.
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Pourquoi estimez-vous que le mot « junte » n’est pas approprié pour désigner le gouvernement de transition malien ?
L’arrivée au pouvoir des militaires d’Assimi Goïta a comblé un besoin de patriotisme, de respect, réclamé par une partie de la population depuis un certain temps. C’est un gouvernement civilo-militaire. Des militaires sont en effet à des postes clés, mais on trouve aussi des civils, notamment le Premier ministre Choguel Maïga. Ce n’est pas une captation réelle du pouvoir par les militaires. Un espace de dialogue existe. Des assises nationales pour la refondation du Mali ont été mises en place. Certes, la plupart des partis politiques ont refusé d’y participer, mais c’est de bonne guerre. Il y a peut-être des formes de pression, d’arbitraire, néanmoins cette gestion du pouvoir n’est pas comparable au contexte des juntes que l’on a pu voir en Amérique du Sud ou au Nigeria dans les années 1970-1980. On ne peut pas utiliser le mot « junte » pour des réalités différentes. Le Mali est un pays en guerre. Et l’armée est une institution. En France, on peine à le comprendre, car le politique et le militaire sont dissociés. Mais dans le cas d’un État failli, c’est à AFRIQUE MAGAZINE
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l’armée de prendre ses responsabilités, lorsque les institutions sont bafouées par les dirigeants et que la communauté internationale n’est pas prompte à les sanctionner. L’armée devient garante des institutions, d’une souveraineté nationale, de la défense de l’intégrité territoriale. Que pensez-vous de cette durée de transition du pouvoir affirmée par ce gouvernement, pouvant aller jusqu’à cinq ans ?
Même si c’est sans doute un peu long, cela fait sens. Sans forcément donner un blanc-seing à ce gouvernement, il faut tenir compte de la place du militaire dans la refondation de l’État. C’est l’un des enjeux sur lequel on ne se comprend pas entre Occidentaux et Africains. Les États du continent ont un processus de 81
RENCONTRE
création différent de celui de la nation française. Ils sont devenus indépendants sans avoir vécu de guerre de constructions, d’identités ou de sentiment national. Une autorité doit se mettre en place pour sécuriser le territoire et permettre des élections. Il y a peu, les tenants de ce discours étaient considérés comme des idéologues de la dictature. Mais il est de plus en plus partagé, y compris par des analystes politiques. Car le Mali a déjà vécu cette situation, connu d’autres coups d’État. On peut remettre le pouvoir à des civils, mais il y a de grandes chances qu’il s’effondre. Que répondez-vous à ceux qui s’exaspèrent de voir la France tenue responsable des problèmes de l’Afrique ?
Pour une partie de l’opinion publique des pays anglophones, le problème de l’Afrique, c’est la France. Car les pays francophones du continent voient leur souveraineté amputée, ce qui empêche ce dernier de s’inscrire dans une dynamique plus cohérente. Ensuite, des cas d’interventionnisme français, jouant au plus haut sommet des États, prouvent des liens de consanguinité entre dirigeants français et africains. La France fait prospérer des mécanismes de dépendance (la francophonie, l’Agence française de développement, le système monétaire du franc CFA…). Elle a une part de responsabilité avec les élites africaines. Très implanté dans les anciennes colonies, le secteur privé français règne en maître, et ne permet pas un véritable développement économique de ces territoires, notamment du point de vue de la fiscalité. Enfin, on a un rôle tutélaire de l’Hexagone, à l’initiative des sommets France-Afrique, pétri de paternalisme, qui infantilise les dirigeants africains. Les déclarations publiques intempestives de Macron, Parly et Le Drian décrédibilisent auprès des peuples intéressés leur chef d’État. En s’ingérant ainsi, les dirigeants français sapent la légitimité de leurs homologues du continent. Cela crée une dépendance malsaine. Lors d’élections en Afrique, on attend par exemple de savoir qui sera le candidat de Paris.
« Une nouvelle génération de dirigeants du continent souhaite être prise au sérieux.»
Macron aurait pu prendre acte de ces sanctions – lesquelles sont assez compliquées à mettre en place –, mais ne pas en rajouter en y apportant le soutien de la France. C’est une erreur diplomatique, une forme d’aveu sur le fait que Paris les aurait poussées. Nombre de pays dans le monde sont sous sanctions, ils arrivent à s’en sortir, les régimes s’en trouvent même souvent renforcés. C’est la preuve que la diplomatie française en Afrique est totalement obsolète, par rapport aux enjeux contemporains. Il n’y a pas de ligne claire, les multiples incohérences témoignent de relations qui se jouent à la carte – la France critique le troisième mandat d’Alpha Condé, mais soutient celui d’Alassane Ouattara. Elle condamne le coup d’État au Mali, mais valide celui au Tchad en se rendant à l’investiture du fils d’Idriss Déby. La diplomatie française tente-t-elle de discréditer les autres puissances qui s’implantent en Afrique, telles la Russie, la Chine, la Turquie ?
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Paris tente en effet de nuire à leur crédibilité, prétextant qu’elles manipuleraient les peuples africains. Mais la France ne manipulerait personne ? Ce déni, cette absence d’autocritique est problématique. La prédation économique de la Chine est une menace pour le continent, mais que font les multinationales de l’Hexagone ? Et son armée ? Ce sont toujours les autres les « méchants ». Cette approche très infantilisante n’est guère appréciée. Une nouvelle génération de dirigeants africains souhaite être prise au sérieux. Ils sont reçus avec les honneurs en Chine ou en Russie, tandis qu’en France, c’est un peu en catimini sur le perron de l’Élysée, marque d’une incapacité à redorer les liens. Du point de vue des relations internationales, de la diplomatie, les pays du continent sont jeunes. Même si, AFRIQUE MAGAZINE
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Pour certains, l’Hexagone serait à l’origine des sanctions de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CÉDÉAO) qui frappent le Mali…
dès l’indépendance, le Mali avait déjà des liens avec l’URSS. On observe une reconfiguration des partenariats : la Russie et la Turquie ont des intérêts économiques et militaires en Afrique et profitent du désaveu français. Aux yeux de certaines opinions publiques du continent, Poutine apparaît comme un stratège, qui sait où il va, mais d’autres ne sont pas dupes. S’ils rejettent la politique française, ils ne sont pas pour autant pro-russes ou pro-turques. C’est plus complexe. Pourquoi les pays anglophones du continent ont-ils une économie plus florissante ?
Ils ont très tôt adopté un modèle de développement libéral, sont plus solides dans leurs institutions, avec des populations mieux éduquées, formées, et un rayonnement international moins lié à l’ancienne puissance coloniale. Le Commonwealth est un réseau libéral d’égalité souveraine. Tandis que celui de la francophonie est vertical, la France assumant une position tutélaire. Ils ont leur propre monnaie, leur banque centrale, des banques qui peuvent débloquer du crédit, financer des projets, des initiatives… On trouve des fortunes, des milliardaires, parce qu’il y a moins d’ingérence, l’ouverture aux capitaux étrangers permet le développement d’une bourgeoisie et d’un capital national. Dotés d’une plus grande souveraineté, ils sont forts d’une plus grande expérience politique. Le respect du droit régule la vie politique. Tout n’est pas parfait, mais leur stabilité repose sur leurs institutions, moins sur les hommes. Alors que les pays francophones ont des systèmes de rigidité où le pouvoir est lié à un seul homme.
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Vous présidez la Ligue panafricaine-Umoja. Quelles sont ses actions ?
Le retrait de l’armée française au Mali a été annoncé par Emmanuel Macron le 17 février dernier.
Autofinancée, cette organisation politique internationale apporte sa contribution à la construction d’une unité africaine. Avec ses propres outils, elle coordonne des sections territoriales dans différents pays africains, avec des antennes dans la diaspora, structurées en partis ou en associations politiques. Ceux-ci effectuent un travail de formation sur les enjeux panafricains, les questions politiques, de souveraineté dans les pays, en les reliant les uns aux autres. Quels sont les défis du panafricanisme aujourd’hui ?
Il s’agit d’identifier des histoires, des problématiques, des ennemis communs, à partir desquels on peut reconstruire AFRIQUE MAGAZINE
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des réseaux de solidarité et d’unité. Surtout, c’est important de déterminer, de conceptualiser et d’appliquer des solutions africaines aux problèmes africains. La situation du Mali est fondamentalement panafricaine : même si les Russes sont présents – 1 000 hommes de Wagner ne sont pas la problématique centrale –, la question est de savoir comment l’État va se reconstituer. Et de quelle manière peuvent s’agréger autour de lui des forces d’émancipation présentes dans les pays avoisinants. Enfin, il faut repenser ce modèle d’État fédéral, refonder la politique africaine, résoudre les problèmes à un niveau intracontinental et non pas mondial. L’Afrique n’est pas un membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, donc les choses lui échappent radicalement. Nous effectuons un travail de formation historique et culturelle pour désamorcer les identités conflictuelles, ethniques, tribales, en vue d’en faire des forces de convergence, créer des liens transfrontaliers, transnationaux plus forts. Ce mouvement panafricaniste va vers un démantèlement des
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États conçus de manière centralisée, pour les penser sous un modèle fédéral. C’est assez compliqué dans les anciennes colonies françaises, bâties sur des systèmes jacobins. Nous prônons une décentralisation du pouvoir, vers le local, les populations – ce que l’on appelle la CÉDÉAO des peuples ou l’Union africaine des peuples. Tout en ayant un niveau supranational pour traiter des questions de souveraineté, tels la défense, le projet d’une armée continentale, la monnaie, l’économie, une banque centrale… Ainsi que la diplomatie, afin d’avoir une Afrique qui parle d’une seule voix, et d’égal à égal avec la Russie, l’Europe, les États-Unis, la Chine… ■ 83
entretien
Thierry Michel RDC : LES PIÈCES À CONVICTION
L’Empire du silence sortira dans les salles françaises le 16 mars.
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propos recueillis par Jean-Marie Chazeau
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epuis Zaïre, le cycle du serpent il y a trente ans, Thierry Michel n’a cessé de revenir régulièrement dans l’ex-colonie belge pour y enregistrer les soubresauts souvent violents de ce pays continent. Avec Mobutu roi du Zaïre, Congo River, Katanga Business, L’Affaire Chebeya, un crime d’État ?, ou encore L’Irrésistible ascension de Moïse Katumbi, il a documenté l’histoire de la jeune République démocratique du Congo (RDC), objet de toutes les convoitises et théâtre sanglant des règlements de compte ethniques de la région. Après avoir consacré en 2015 un film au docteur Denis Mukwege (L’Homme qui répare les femmes : La Colère d’Hippocrate, avec la journaliste Colette Braeckman), il s’est associé au Prix Nobel de la paix pour dénoncer l’impunité qui protège de nombreux responsables de massacres à grande échelle, jusqu’au sein des institutions internationales… AM : Face aux crimes impunis en RDC, vous avez souhaité apporter des pièces à conviction ? Thierry Michel : Oui, c’est pour ça que j’ai gardé des images
peut-être un peu plus dures que je ne l’ai jamais fait, parce que j’étais plutôt dans la suggestion et dans le témoignage jusqu’ici. Le cri du docteur Denis Mukwege à Oslo, qui a dit qu’il fallait mettre fin à l’impunité, parlant de « complicité internationale », AFRIQUE MAGAZINE
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Dans L’Empire du silence, le documentariste belge résume vingt-cinq ans de guerres congolaises, théâtres de multiples crimes contre l’humanité à ce jour impunis. Mais les témoignages des victimes et des acteurs de ces tragédies montrent que la parole commence à se libérer…
VINCENT FOURNIER/JA
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du rapport Mapping moisissant dans un tiroir des Nations unies, donnant les noms des criminels que personne n’ose citer, pour moi, c’est un tournant. J’espérais qu’allait commencer un processus de justice : des tribunaux mixtes au Congo pour les crimes commis entre Congolais, et un tribunal pénal international pour ceux commis au niveau des Grands Lacs, impliquant des belligérants de différent pays. Or, il y a toujours cette confidentialité des noms des criminels, pour des crimes d’il y a vingt-cinq ans ! C’est comme si après la Seconde Guerre mondiale, on avait dit pour le procès des nazis à Nuremberg : « On ne peut pas connaître les noms, il y a confidentialité. » Pourquoi le tolère-on au Congo ? C’est absolument inadmissible. Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme parle dans le film sans langue de bois et dit son désarroi. Vous pensez que votre film pourrait aider à la publication de ces noms ?
C’est un élément central de la campagne « Justice for Congo », menée avec le docteur Mukwege [il s’agit de présenter le documentaire dans les cinémas, devant les grandes organisations internationales, mais aussi dans les provinces qui ont connu ces crimes de masse, et de relayer #JusticeForCongo sur les réseaux sociaux, cf. justiceforcongo.com, ndlr]. Si ce film ne débloque pas cette situation, alors c’est à désespérer du monde et des institutions internationales. Mais dès que les Nations unies auront donné les noms des « présumés » criminels (auteurs de 617 crimes de guerre et contre l’humanité recensés et documentés entre 1993 et 2003), la communauté internationale (le Parlement européen, le gouvernement américain, par exemple)
peut pas éternellement échapper à la justice. En tout cas, ça met tout le monde face aux faits, que ce soit le président du Congo, les députés européens, les congressmen américains… Ils ne peuvent plus dire : « On ne savait pas. » Mais il faudrait qu’ils voient le film. Votre film, c’est la preuve par les témoignages, mais aussi par les images, avec des documents chocs : des militaires qui effacent des traces de massacres, des rebelles qui filment des policiers qu’ils vont abattre… Comment vous les êtes-vous procurés ?
C’est mon 13e film en RDC, un pays que j’ai parcouru dans tous les sens depuis trente ans, donc j’ai établi des réseaux. Mais celui-ci n’a pas été le plus difficile à réaliser, parce que j’avais le bénéfice des précédents, et le crédit aussi. Et puis, il y a des images qui n’étaient pas difficiles à trouver, mais qui étaient méconnues : je ne comprends pas pourquoi des images d’agence par exemple, qui montrent des horreurs sans nom – renvoyant à la Seconde Guerre mondiale –, n’ont pas été diffusées : comme ce convoi de réfugiés en train qui vont être exécutés… Cartes animées, rappels chronologiques… Votre film fait œuvre de pédagogie sur des guerres parfois oubliées de cette région du monde.
Je pense que personne n’avait retracé le fil conducteur des enjeux politiques qui entraînent cette déliquescence, cette violence. Je montre comment on passe d’une première guerre de vengeance au Rwanda – qui envahit le Congo pour se rapprocher des anciens génocidaires et en profite pour massacrer les populations civiles – à une guerre de prédation des Rwandais et des Ougandais sur les richesses du Congo, jusqu’à se faire la guerre entre eux, et larguer 6 000 bombes sur la population de Kisangani pour s’approprier les comptoirs de diamant. Puis, cette prédation s’étend à des groupes armés informels, ça se généralise, c’est comme un cancer qui se métastase, l’État de droit se dissout dans des régions entières, et on arrive à ce qu’il s’est passé au Kasaï, où il n’y a plus aucune rationalité, si ce n’est une jacquerie populaire contre le pouvoir, comme l’exprime un chef coutumier dans le film. Et au-delà de la dissolution d’un État de droit, il y a une dissolution des références morales qui structurent l’individu : on se dit que la barbarie peut tout d’un coup ne plus avoir de limites, parce que les êtres humains redeviennent plus bestiaux que les animaux. Une interrogation fondamentale, qui dépasse la question de la RDC, car ça se passe ailleurs aussi. Cela interroge beaucoup sur les notions de droit, de justice, d’État, de responsabilités nationale et internationale, parce que là aussi, on se pose la question de l’ONU, présente depuis vingt ans avec la Mission de l’Organisation des Nations unies en République démocratique du Congo (Monusco) – la plus grande opération de l’histoire du maintien de la paix de l’organisation et la plus onéreuse (1,5 milliard de dollars par an) –, pour arriver à un résultat très mitigé : certains estiment
« Ils ne peuvent plus dire : “On ne savait pas.” » pourra prendre des sanctions ciblées contre ces gens. Et la vérité sera alors parfaitement faite par rapport aux victimes, qui, dans le film, s’exposent. Ce n’est pas moi qui cite les noms, ce sont les survivants et les témoins. Est-ce que vous pensez que l’on verra un jour des procès pour juger ces crimes impunis ?
À terme, je pense que l’on n’y échappera pas, ça va se passer à un moment donné. La vérité est en train de se dire. Je pense que l’on a brisé le silence, et qu’on ne pourra pas éternellement étouffer les voix des victimes ou des survivants. On le voit dans l’histoire : il aura peut-être fallu un certain temps, mais finalement, Hissène Habré [ancien président du Tchad, condamné à la prison à perpétuité en 2017 pour crimes contre l’humanité, viols, exécutions, esclavage et enlèvements, ndlr] a été jugé. J’ai aussi une expérience avec mon film L’Affaire Chebeya, un crime d’État ?, qui m’avait valu en 2012 un procès intenté en Belgique par le général Numbi, aujourd’hui en fuite : je pense qu’on ne 86
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Le long-métrage rappelle de manière chronologique les conflits et les massacres, qui font des civils les premières victimes depuis plus de deux décennies. Il combine cartes animées et images d’archives, souvent peu vues jusqu’ici.
On voit dans votre film des lueurs d’espoir : il montre ainsi comment la parole commence à se libérer…
que les Nations unies ne sont là que pour faire le décompte des morts. Le docteur Mukwege en parle très bien dans le film en disant qu’il faut changer de logiciel.
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Est-ce pour vous, en tant que cinéaste, la fin d’un cycle ?
Oui, pour moi, c’est le bilan, c’est presque le baisser de rideau, je clôture mon cycle congolais en tout cas. Je ne dis pas que je n’y retournerai pas, que je ne filmerai plus une scène de danse traditionnelle ou des choses comme ça, mais je pense que politiquement, j’ai fait le tour de la question, et je ne vois pas comment aller plus loin. AFRIQUE MAGAZINE
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En effet. J’ai pu faire ce film en relative tranquillité, alors que je n’aurais pas pu du temps de Kabila. Et les gens ont pu parler – avec courage, car ils vont loin dans ce qu’ils disent et citent des noms. Un directeur de la Croix-Rouge met directement en cause Kabila, sans sourciller. Il y a de l’espoir parce que la parole se libère. Je pense que le discours d’Oslo du docteur Mukwege a lancé une impulsion, c’est un modèle. Et ce qui est formidable, c’est la mobilisation : la mobilisation citoyenne lancée par le docteur d’un côté, qui fait que les gens descendent dans la rue pour manifester contre l’impunité, mais aussi celle très claire 87
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Le cri du sang
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hierry Michel est retourné en RDC pour faire témoigner les Congolais, victimes d’atrocités durant les guerres qui se succèdent depuis vingt-cinq ans, mais aussi, dit-il en préambule, « rompre la loi du silence ». Car les responsables de crimes et de viols à grande échelle sont aujourd’hui installés à de hautes fonctions politiques et militaires, en RD Congo comme dans les pays voisins… Un film qui vient en appui à la campagne du docteur Denis Mukwege, baptisée « Justice For Congo » afin de pousser les institutions congolaises et internationales à organiser des procès. Le cinéaste belge s’est personnellement investi aux côtés du Prix Nobel de la paix, dont il avait dressé le portrait dans son précédent film réalisé avec Colette Braekman (L’Homme qui répare les femmes : La Colère d’Hippocrate). Thierry Michel apparaît d’ailleurs à l’écran, à une tribune de l’ONU, craignant que si cette impunité des bourreaux continue, « le sang ne coule à nouveau dans ce pays que nous aimons tant ». C’est aussi un film bilan, offrant un limpide rappel chronologique des guerres qui ont secoué la RDC, avec cartes et images d’archives peu vues jusqu’ici – souvent insoutenables (cadavres, exécutions, réfugiés appelés à mourir…) –, et d’autres puisées dans ses propres films. Parfois, il faut imaginer une immense fosse commune sous un champ dont l’on a extrait les cadavres pour effacer les traces et jetés dans le fleuve. D’autres images plus explicites montrent des miliciens se filmant en train de menacer et d’exécuter des policiers ou un couple d’enquêteurs de l’ONU… C’est d’ailleurs aux Nations unies que se trouve la clé d’une possible réparation, avec le rapport Mapping, partiellement publié en 2010, puisque sans les noms des responsables de 617 « incidents » (crimes de guerre, contre l’humanité et possiblement de génocide). Des noms qui sont donnés par de nombreux témoins face caméra, car les langues se délient. Une séquence forte montre ainsi au Kasaï un collectif de femmes réclamant justice et qui chantent : « Le sang va crier ! » Ce documentaire devrait aider à les faire entendre… ■
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de femmes survivantes, qui se sont constituées en collectif. En tant que communauté qui a été l’une des plus impactée par cette violence terroriste de l’État, au Kasaï, à Kananga, elles ont fait un travail de résilience collective invraisemblable, qui les amène à devenir des résistantes. Il y a également une convergence avec la société civile, avec le barreau, les avocats, et une force qui oblige l’État, en l’occurrence l’auditorat militaire, à commencer des auditions et des investigations. C’est cette force-là qui va faire avancer les choses. L’exemple du Kasaï va devenir une référence pour l’ensemble de la RDC, où les gens vont enfin pouvoir affirmer qu’ils sont victimes et se positionner comme partie civile. Parce que jusque-là, c’était le règne de la peur. On aurait pu parler d’« empire de la peur », même si j’ai appelé mon film L’Empire du silence. Ce film, quelque part, veut briser le silence. Un espoir contredit par ce qu’il se passe aujourd’hui en Ituri : plus de 50 personnes ont été massacrées à l’arme blanche dans un centre de déplacés, le 1er février dernier…
L’Ituri est aujourd’hui la région la plus martyre du pays, placée en état de siège depuis mai dernier, sous autorité militaire, et ça ne change rien fondamentalement. Face à des crimes aussi impressionnants, massifs et cruels, on se dit : qui va arrêter ça ? Mais on sait pourquoi on n’arrête pas : parce que l’impunité permet la reproduction des crimes, c’est une chaîne sans fin, un carrousel infernal. À partir du moment où l’on commence le processus, où l’on dit le nom des criminels, qui sont au pouvoir au plus haut niveau, politique ou militaire, déjà on fait un pas parce qu’on les fragilise, et le mécanisme de non-répétition commence, parce que les criminels savent qu’ils ne sont plus libres de continuer cette mécanique sans fin. Vous avez montré le film à Kinshasa en novembre…
Oui, en toute liberté, il faut bien le dire, au palais du Peuple, qui est le siège du Sénat et de l’Assemblée nationale, devant un public qui était extrêmement ému et révolté. On a d’ailleurs filmé les réactions et les débats qui ont suivi, je dois en monter une séquence. Au lendemain de la troisième projection, différentes organisations de la société civile se sont réunies pour faire un atelier spécifique de soutien au programme de justice transitionnelle du docteur Mukwege, et commencer à sortir de cette ritournelle : tout le monde est contre l’impunité, mais dès qu’il faut nommer ceux qu’il faut poursuivre, tout d’un coup, les bouches se ferment. Je vois les difficultés que l’on a pour montrer ce film au Conseil des droits de l’homme des Nations unies, mais on va mettre toute notre énergie pour y parvenir, parce que s’il y a bien un film qui parle d’atteintes massives aux droits de l’homme – historiquement presque les plus importantes depuis la Seconde Guerre mondiale –, c’est celui-ci, et c’est justement le lieu pour en débattre. Je parle de « syndrome de Pie XII » : « Je n’ai rien vu, je n’ai rien entendu », et après, le scandale éclatera… Lors d’une projection à Kinshasa, le réalisateur congolais Gilbert Balufu a constaté 80 points de ressemblance
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Denis Mukwege à l’hôpital de Panzi, à Bukavu (dans le Sud-Kivu), le 6 octobre 2018, le lendemain de sa remise du Prix Nobel de la paix.
entre votre film et le sien, Le Silence des crimes oubliés, tourné il y a sept ans et primé au Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou 2017. Il vous intente un procès pour plagiat…
On a fait réaliser quatre études comparatives, et il n’y a aucune image de plagiat. Quatre images sont communes à son film et au mien : moi, je les ai payées à l’agence Capa, mais lui ne les a pas payées puisqu’il a piraté la télévision belge, l’agence Capa et même mon propre film, Mobutu roi du Zaïre. Sa thèse, c’est de dire que j’ai volé et violé l’imaginaire africain. Donc lui peut voler les images de qui il veut, parce que les images sur l’Afrique lui appartiennent… Mais nous, on n’aurait pas le droit de montrer des images, après trente ans d’engagement total en RDC aux côtés du docteur Mukwege, de la famille Chebeya, aux côtés de tous les gens que j’ai accompagnés dans leur lutte. Il va écrire en plus que je suis un « cinéaste léopoldien »… C’est n’importe quoi, c’est pour ça que nous avons déposé une plainte en diffamation, en Belgique et en RDC. Mais ce n’est pas seulement un cinéaste qui déraille, c’est un complot, il y a un enjeu caché. Je crains qu’il n’y ait de la manipulation.
Dans son film, il n’y a pas de témoignages de victimes, il n’y a rien des Nations unies… Et ce qui est très étrange, c’est qu’un film terminé il y a sept ans, traitant des atteintes aux droits de l’homme, n’ait jamais été diffusé, ni au Congo, ni en Europe, c’est un grand mystère. Quel est l’objet de ce film, pourquoi l’at-il fait ? Pourquoi l’a-t-il gardé dans un tiroir, comme le rapport Mapping des Nations unies ?
ALAIN WANDIMOYI/AFP
« Je pense que le discours d’Oslo du docteur Mukwege a lancé une impulsion, c’est un modèle. »
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Son film est tout de même désormais visible sur YouTube…
Oui, maintenant, il est visible, et c’est d’ailleurs très bien parce que les gens peuvent dire qu’ils ont vu l’un et l’autre… Son film pose très bien la question de l’intervention des Rwandais au Congo, mais le mien va en plus sur d’autres terrains. Et je n’ai jamais demandé l’interdiction de son film, au contraire : plus il y en a sur ce sujet, mieux c’est. C’est comme si l’on disait qu’il y avait un monopole sur les films traitant de la Seconde Guerre mondiale ! ■ 89
ALEXANDRE ISARD/PASCO&CO
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Abdellah Taïa « L’écriture est un feu »
Engagé, ce romancier passionné publie Vivre à ta lumière, ouvrage dédié à sa mère disparue et à ses combats dans le Maroc postcolonial. Il ravive la mémoire de ses ancêtres sans fard. propos recueillis par Fouzia Marouf
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ourire en bannière, d’une rare douceur, Abdellah Taïa se délie d’une voix lente et soyeuse dans un café situé dans le quartier parisien de Belleville. Il revient sur les contours de Vivre à ta lumière, roman hommage consacré à l’histoire de sa mère, M’Barka Allali, et à ses amours et ses combats dans le Maroc postcolonial : « C’est une femme en colère contre sa condition sociale », précise-t-il. Né en 1973, à Salé, jumelle oubliée de Rabat, terre de pirates, de corsaires et de flibustiers, il grandit à Hay Salama, quartier populaire et débordant de vie. Sensible, féru de littérature, confronté tôt à l’adversité, il est proche de sa mère et de ses sœurs – ses muses vivantes, et héroïnes du quotidien. Éternel conteur, il dépeint un Maroc âpre, marginal, poétique, faisant écho à la veine d’Ahmed Bouanani ou de Mohamed Choukri. Depuis son entrée en littérature il y a près de vingt ans, chaque roman est une pierre angulaire de son œuvre singulière. Courageux, sincère et fidèle à ses engagements, Abdellah Taïa fait son coming out public en 2006 dans TelQuel, premier hebdomadaire francophone du royaume chérifien, longtemps considéré comme un contre-pouvoir. En 2009, il y signe « L’Homosexualité expliquée à ma mère », lettre AFRIQUE MAGAZINE
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qui fait grand bruit. Suit en 2010 Le Jour du roi – récompensé par le prix de Flore et interdit au Maroc –, évoquant en creux le roi Hassan II et l’histoire d’amour de deux collégiens aux prises avec leurs différences sociales. Féru de 7e art, il passe à la réalisation en 2014, avec L’Armée du salut, adapté de son roman au titre éponyme qui retrace son enfance et les abus sexuels dont il a été victime. Il s’est confié à Afrique Magazine en toute liberté. AM : Comment est née l’idée de ce roman hommage à votre mère ? Abdellah Taïa : J’ai compris le jour de ses funérailles qu’il fal-
lait que je consacre un jour tout un livre à ma mère, M’Barka. En 2010, nous venions de l’enterrer. J’étais avec mes six sœurs. Et soudain, l’une d’elles, Latifa, s’est mise à parler, à divaguer, à pleurer. Ce qu’elle disait n’avait pas de sens au début. Et puis, c’était comme si ma mère était présente, elle parlait, elle nous parlait à travers la voix de Latifa et le corps de Latifa. C’était à la fois la voix de ma sœur et la voix de ma mère. L’une dans l’autre. Celle de M’Barka dominait. Elle racontait une histoire que j’ignorais : celle de son premier mari envoyé par les Français dans les années 1950 faire la guerre en Indochine. Il y était 91
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mort. Il a été sacrifié là-bas et y est enterré. La voix de ma mère disait : « Il n’est pas revenu… » J’avais sincèrement honte. Non seulement je ne connaissais pas cette partie très importante de la vie de ma mère, mais en plus, durant des années, je n’avais même pas eu la curiosité ni la générosité de lui poser des questions, de la faire parler, de m’intéresser à elle comme je m’intéresse à nombre de gens – qui souvent ne le méritent pas. Je n’ai rien fait pour ma mère. Je me suis contenté de rester dans l’obsession, vaine, parfois, de ma propre émancipation. Le jour de sa mort, je me suis rendu compte que j’avais été impitoyable avec elle. Je ne la voyais pas vraiment. C’est triste. Tragique. C’est seulement quand c’est trop tard que l’on voit les choses, la vérité, nos erreurs, nos aveuglements, et notre injustice vis-à-vis des autres. Pour réparer, pour parler enfin à ma mère, j’ai décidé d’écrire un livre à son sujet. Le livre de M’Barka. À travers le personnage de son premier époux et grand amour, Allal, vous ravivez la mémoire et le combat de Mehdi Ben Barka, inscrit entre le Maroc et la France, et la fascination qu’il exerçait sur de nombreux Marocains à cette époque, animés d’une évidente conscience politique…
Diriez-vous qu’en combattant Monique, bourgeoise française, qui souhaite faire de Khadija, la plus belle fille de Malika (M’Barka), sa bonne à tout faire, Malika s’oppose aux rouages de la suprématie du colonialisme, encore fortement marquée en 1956 ?
Absolument. Je crois que la métaphore est assez claire dans mon livre. Malika fera tout pour éviter que Monique prenne Khadija et en fasse une petite bonne. Elle refuse cette place de bonne pour bourgeoise française à Rabat comme destin pour sa fille. La vie est plus grande et plus généreuse que le regard d’une Française qui entre chez vous et vous envahit avec son regard gentil mais ignorant, qui vous écrase avec sa prétendue bonté et vous tue du même coup. Malika a perdu son premier mari en Indochine à cause de la France. Elle ne va pas laisser cette dernière, à travers le personnage de Monique, bousculer encore une fois sa vie et celle de ses enfants. Et bien sûr, les rouages du colonialisme français sont toujours d’actualité. En 1956, comme en 2022. Dans ce livre, Malika mène deux guerres. Votre parcours remarquable a-t-il été forgé par le déterminisme social ? Après l’obtention de votre bac en 1992, inscrit en littérature française à l’université Mohammed V de Rabat, vous avez été major de votre promotion pendant cinq ans, alors que vous avez été nourri au biberon de la darija (l’arabe dialectal marocain), qui est la langue du peuple.
« Même si ce monde n’a rien compris à mon homosexualité, je reste attaché à ses histoires et à ses voix.»
C’est ma mère qui m’a parlé pour la première fois de cet homme extraordinaire, cet immense leader politique qui a participé à la décolonisation et qui voulait qu’on partage, avec équité, les richesses avec le peuple marocain. Il parlait pour le peuple. Il était du peuple et il travaillait pour lui. Il voulait l’associer aux décisions. C’était un homme moderne, pauvre à l’origine, qui s’est élevé si haut qu’il a commencé à concurrencer le roi du Maroc. Un homme juste. Un homme aimé. Très sincèrement aimé. Et même si on l’a assassiné en 1965 à Paris, l’amour des Marocains pour cet homme magnifique et révolutionnaire est encore vivace et intact. Il ressort dans nos conversations très régulièrement. Je ne savais rien de Mehdi Ben Barka lorsque ma mère a parlé de lui. Une chose est claire : elle lui vouait un amour sincère. Elle l’a évoqué non pas comme quelqu’un de mort, oublié, non, pas du tout. Elle a parlé de lui comme si le rêve politique de cet homme pour le peuple marocain était toujours d’actualité. C’est plus tard que j’ai compris que le peuple, dans sa totalité, aimait et défendait Ben Barka. Libérer les gens, instaurer le partage les richesses, entrer de plain-pied dans la modernité à la marocaine, et non pas se soumettre à nouveau. Sortir de la peur. Sortir de la soumission. Ma mère, je crois, était amoureuse de cet homme. Comme beaucoup de Marocains. Parler de M’Barka et de son lien tendre et politique avec Mehdi Ben Barka me paraissait naturel. Je n’ai rien forcé. 92
Je dirais que ma mère tient une influence majeure dans mon écriture. À l’instar de mes sœurs. Ou les prostituées de mon quartier. Les ivrognes, les garçons qui ne cessent d’aller et de sortir de prison. Même si ce monde n’a rien compris à mon homosexualité, même si ce monde a laissé trop d’hommes me violer et m’insulter en toute impunité, je reste attaché à ses histoires et à ses voix. Je les fais entrer dans la littérature d’une manière brute et poétique. En janvier 2006, l’hebdomadaire TelQuel vous demande d’évoquer votre homosexualité, le personnage de votre roman étant gay. Vous la révélez à la presse arabophone et francophone : c’est une première au Maroc. En 2009, vous y signez une lettre qui fera grand bruit dans le royaume chérifien, « L’Homosexualité expliquée à ma mère ». Suit Le Jour du roi en 2010, évoquant une histoire d’amour entre deux garçons aux prises avec leurs différences sociales…
Je m’inscris dans le « life writing », l’écriture consacrée à la vie. Je trouve l’inspiration directement au cœur de la vie, dans AFRIQUE MAGAZINE
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le vacarme et le calme. Je suis écrivain, je porte plusieurs voix en moi. Je pars de l’autobiographie et au-delà de mon autobiographie. Les vies autour de moi, avant moi, m’intéressent autant que la mienne. Et lorsque j’ai eu l’occasion de dire, de dévoiler ma vérité homosexuelle au monde, en 2006, je l’ai fait en étant totalement ancré dans les réalités de ce monde. J’estime que ce monde, le Maroc, est parfaitement capable d’entendre ma vérité. C’est le pouvoir qui ne cesse de dire aux citoyens que ce sont des ignorants, incapables de comprendre et de protéger leurs enfants LGBTQ+. De fait, j’ai défié tout ce monde, en me souvenant des cris de ma mère, et non pas en imposant à la société marocaine des logiques occidentales.
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Vous êtes en outre passé à la réalisation. Vous affrontez la meute en 2014 avec votre premier film L’Armée du salut (inspiré du roman du même titre) lors du Festival national du film de Tanger, événement parfois violent qui peut traumatiser les cinéastes et les producteurs tant les critiques y Vivre à ta lumière, Seuil, sont virulentes. Ce long-métrage 208 pages, 18 €. a été une claque pour ceux Mon Maroc, son premier livre publié en 2000, vient de dans le royaume qui sont sortir en édition de poche. figés dans une précaution de la pensée : évoquant sans tabou les agressions sexuelles que vous avez subies au cours de votre enfance et la façon dont vous étiez perçu au sein de votre famille, vous les avez placés face à leurs contradictions.
jeune et contestataire dans TelQuel, Le Monde ou encore dans le New York Times.
Absolument. J’ai écrit au sujet du Printemps arabe, événement majeur de ma vie qui, quoi qu’ils disent, quoi qu’ils fassent, est toujours vivant. Il suffit d’observer ce qu’il s’est passé en Algérie, au plus fort du Hirak, la révolution du sourire, né le 22 février 2019, et emmené chaque vendredi par des cortèges de différentes générations de femmes arabophones, francophones, issues de divers milieux sociaux et d’anciennes moudjahidates. À ce titre, j’exhorte les Algériens à résister. Ils m’insufflent de l’espoir. Je n’ai pas tourné le dos au Maroc ni trahi les êtres, j’ai fui l’oppression d’un système politique. L’élan du Printemps arabe a aussi gagné le Soudan. Ainsi que la région du Rif, dans le nord du Maroc. En écrivant tous ces textes, je suis convaincu que je ne fais que prolonger la lutte de ma mère. Pour ne pas la laisser mourir complètement. Dire sa vérité dérangeante et ma vérité dérangeante. L’écriture n’est jamais un espace de tranquillité. Non. C’est le lieu parfait pour allumer le feu. Et rester dans le feu. Que faites-vous lorsque vous n’écrivez pas ?
Je suis en perpétuelle préparation du roman suivant, des livres à venir. Bien sûr, cela ne suffit pas à remplir toute ma vie. Il faut bien trouver l’amour, le vivre, le quitter, y revenir. Et il faut également, à l’âge que j’ai à présent – 48 ans –, que je me penche enfin et très sérieusement sur cette question : guérir, dépasser les traumatismes, les très nombreux viols que j’ai subis dans mon enfance… Croyez-le ou non, l’écriture n’aide pas celui qui écrit à guérir. La guérison doit se passer dans la vraie vie et avec un véritable amour. Mais à 48 ans, je suis toujours en train d’attendre… Un miracle ?
En réalisant ce premier long-métrage, j’ai essayé de m’adresser au Maroc et aux Marocains de manière frontale, avec un regard impitoyable, parce que je sais que ce peuple est capable d’entendre ma vérité gay, notre vérité LGBTQ+. Le pays qui a donné Mehdi Ben Barka ne peut pas rester toujours dans la peur d’une parole libre et politique. Je suis homosexuel et marocain. Et je suis surtout le fils de M’Barka. Dans la même filiation et logique historique postcoloniale. Dans les mêmes résistances. Exactement les mêmes. Je refuse que l’on me traite de traître parce que je parle haut et fort d’homosexualité. Je suis de cette terre et des imaginaires de cette terre. Je parle à partir de cette intériorité et de cette légitimité. Pour écrire des livres, et également pour écrire des textes politiques, en adéquation avec l’actualité.
Parisien depuis près de vingt ans, vous ne vous êtes pas « embourgeoisé » : vous semblez très attaché à Belleville « parce que vous voulez être au contact de gens qui [vous] ressemblent, d’Arabes », dites-vous…
Vous n’avez pas hésité à soutenir l’éveil du Printemps arabe, appelé Mouvement du 20 février au Maroc, quand ses initiateurs disparaissaient curieusement ou étaient emprisonnés à tort, notamment à Tanger… À ce titre, vous avez écrit des tribunes sur cet élan
Je ne suis pas devenu riche en publiant des livres. J’arrive à vivre grâce à mes romans, mais de façon frugale : très simple et très modeste. Et plus je vis à Paris, plus j’ai besoin de vivre avec les autres immigrés. Les voir, les fréquenter. Les aimer, les comprendre. En étant des frères et sœurs solidaires. ■
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Comment vous évadez-vous ?
Je regarde sans arrêt d’anciens et merveilleux films égyptiens sur YouTube. J’écoute des chansons arabes. J’avoue être toujours autant obsédé par la grande et sublime actrice Isabelle Adjani. Et depuis trois ans, j’ai aussi une fascination pour la chanteuse et compositrice américaine Nicki Minaj.
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LUXURY AFRICA
Une destination renversante, sauvage et riche en histoire, que de plus en plus de touristes aiment découvrir lors de voyages tout confort. Panorama non exhaustif d’établissements à couper le souffle, où standing, héritage culturel et somptueux paysages vont de pair. par Luisa Nannipieri
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isiter un continent aux facettes aussi nombreuses que ses régions et ses pays sans renoncer au confort est devenu un must pour beaucoup d’Africains et d’étrangers. Et avec sa proposition d’établissements haut de gamme installés dans des sites d’exception, témoignages d’un patrimoine historique et naturel lui-même d’exception (les chutes Victoria, la médina de Tunis, les pyramides de Gizeh…), l’Afrique compte se replacer sur la carte touristique mondiale, après la crise du Covid-19. Alliant très souvent luxe et développement écoresponsable, ce sont les ambassadeurs d’une autre image de l’Afrique.
TANZANIE NGORONGORO CRATER LODGE PERCHÉ sur les bords du cratère du Ngorongoro, à 2 000 mètres d’altitude, ce lodge romantique et intime est souvent décrit comme la rencontre des Massaïs avec Versailles. Une façon de résumer les traits principaux de cet hôtel composé de 30 chambres élégamment décorées, avec un mélange d’objets anciens, de chandeliers raffinés et de trésors africains, réparties sur trois campements qui donnent sur la plus grande caldère inactive au monde. En contrebas des verrières de chaque suite s’étend une végétation luxuriante qui accueille la plus grande concentration animale de la planète : environ 25 000 grands mammifères, y compris des lions, des rhinocéros noirs, des éléphants et des léopards. À observer de près lors d’un safari en 4x4 ou d’un trekking dans le cratère, avant de s’attabler pour un dîner romantique devant le coucher de soleil accompagné par les puissants chants des Massaïs.
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andbeyond.com
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DANS LA BANLIEUE boisée de Nairobi se trouve un très insolite havre de paix. Ce manoir féerique de style écossais accueille un troupeau de girafes de Rothschild (une espèce en voie de disparition) pas timides : elles aiment passer leur long cou par les fenêtres de l’ancien lodge de chasse, bâti en 1930. Séjourner dans l’une des 12 chambres de l’hôtel est une expérience. Outre les offres d’excursions à cheval ou les sorties dans le parc national de Nairobi pour rencontrer la faune sauvage, le manoir met à disposition des hôtes une serre à orchidées pour des dîners aux chandelles et, depuis août dernier, le Retreat : un refuge exclusif avec spa, sauna, zone de fitness, quatre somptueux salons et une piscine à débordement de 21 mètres en pleine nature. L’endroit idéal pour partager le petit-déjeuner ou le goûter avec les girafes du sanctuaire. thesafaricollection.com
MAROC LA MAMOUNIA L’HISTOIRE de cette légende de l’hôtellerie marocaine, à Marrakech, remonte au XVIIIe siècle, quand c’était le magnifique jardin du prince Mamoun. L’hôtel n’a été construit qu’en 1923, mais il attire depuis personnalités internationales, cinéastes, acteurs et designers, qui aiment séjourner dans ses suites et son riad ou en faire la scénographie de films et d’événements. Pour être toujours à la hauteur de sa réputation de « meilleur hôtel d’Afrique », il ne cesse de se 96
réinventer. La rénovation de 2020 a ainsi donné vie à des espaces nouveaux, comme le cinéma, le salon de thé où domine le marbre, ou encore le jardin d’hiver qui accueille une trattoria de luxe chic et décontractée ouverte sur le parc. Ici, avant d’arriver à l’incontournable piscine, des tentes confortables et intimes invitent à la détente. Un séjour de prestige à deux pas de la place Jemaa el-Fnaa. mamounia.com
NAMIBIE SHIPWRECK LODGE LA SKELETON COAST, où le désert du Namib rejoint l’océan, est l’un des lieux sauvages les plus surprenants du nord de la Namibie. Depuis 2018, un écolodge haut de gamme, composé de seulement 10 chalets, permet de dormir entre les dunes tout en respectant le fragile écosystème du parc national. Les suites en bois rappellent des morceaux de bateaux échoués sur le sable, un clin d’œil aux squelettes de navires qui jonchent la côte, et possèdent chacune leur propre pont d’observation à l’abri de la force des éléments. Ici, les éléphants et les lions se sont adaptés au climat rude et partagent les points d’eau entre les dunes avec des myriades d’oiseaux et des gazelles. Plusieurs fois primé pour son engagement dans la gestion des ressources et des déchets, le Shipwreck Lodge contribue également à la sauvegarde des lions du désert, convaincu que l’avenir du tourisme passe par la préservation de la nature. shipwrecklodge.com.na
ROBIN MOORE
KENYA GIRAFFE MANOR
Ci-dessus, la piscine en plein air de La Mamounia, à Marrakech.
AYOUB SEKNAJI/OUBAY - SONJA KILLIAN PHOTOGRAPHY
Ci-contre, l’un des 10 chalets du Shipwreck Lodge, en Namibie.
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Les suites en bois rappellent des morceaux de bateaux échoués sur le sable, un clin d’œil aux navires qui jonchent la côte. 97
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ÉGYPTE MARRIOTT MENA HOUSE
marriott.com Le Marriott Mena House, au Caire, et sa vue unique sur les pyramides de Gizeh.
La terrasse du Sofitel Legend Old Cataract, à Assouan.
ÉGYPTE SOFITEL LEGEND OLD CATARACT ASSOUAN ASSOUAN, ancienne capitale de la Haute-Égypte et berceau des pharaons nubiens, est connue pour ses temples et la beauté paisible du Nil, qui serpente entre les îlots verdoyants et s’anime au rythme des felouques. La ville surgit sur la première cataracte du fleuve, une barrière de granite qui, dans l’Antiquité, marquait la frontière du monde civilisé. Et qui prête son nom à ce célèbre hôtel, construit au XIXe siècle. L’établissement comprend une aile luxueuse et moderne, le Nile, doté de 62 chambres dont 32 suites, et le palace historique, tant aimé par la famille royale égyptienne, Agatha Christie ou Winston Churchill. Ici, les pièces ont conservé leur grandeur victorienne, les boiseries d’époque et les tapis persans. Les deux bâtiments partagent une piscine avec une vue spectaculaire sur le Nil, un restaurant digne des Mille et Une Nuits et un spa qui prodigue des soins ancestraux. all.accor.com
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AFRIQUE DU SUD THE TWELVE APOSTLES HOTEL AND SPA DYNAMIQUE ET INNOVANTE, Le Cap est aussi une ville époustouflante, entourée de falaises qui se jettent dans l’océan. Un décor particulièrement apprécié par les hôtes du Twelve Apostles Hotel and Spa, perché au-dessus de la mer entre le sommet de la montagne éponyme et le parc national de la Montagne de la Table. À seulement 15 minutes en voiture du cœur battant de la ville, proche des magnifiques plages de Camps Bay, cet établissement 5 étoiles a été construit le long de la route panoramique de la péninsule du Cap, et les fenêtres de ses 70 chambres donnent sur un sanctuaire marin qui accueille baleines, dauphins et otaries à fourrure. Des animaux que l’on peut observer lors d’une promenade le long des chemins côtiers mais aussi depuis le spa, doté d’une piscine creusée à même la roche, ou attablé dans l’un des restaurants exclusifs et raffinés. 12apostleshotel.com
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DR - SHERIF TAMIM
SE RÉVEILLER, ouvrir sa fenêtre et tomber nez à nez avec les majestueuses pyramides de Gizeh. La vue depuis les 331 chambres et suites de la Mena House, au Caire, est presque irréelle : ce panorama est l’un des atouts majeurs de ce complexe historique, construit en 1869 et rénové par Marriott en 2018. Niché au cœur d’une oasis de 40 hectares, l’hôtel occupe l’aile la plus récente du complexe, selon les désirs du vice-roi d’Égypte ; il a été élargi au fil du temps pour accueillir têtes couronnées et personnalités politiques (le palace devrait ouvrir l’année prochaine sous le label JW Marriott). En plus d’offrir à ses hôtes la possibilité de marcher jusqu’à la pyramide de Khéops ou, bientôt, au nouveau Grand Musée égyptien, la Mena House possède une magnifique piscine extérieure, un spa ou encore un restaurant gastronomique, le pittoresque 139 Pavilion.
THE RED CARNATION HOTEL COLLECTION
Les 70 chambres du Twelve Apostles Hotel and Spa, au Cap, donnent sur un sanctuaire marin qui accueille baleines, dauphins et otaries à fourrure. AFRIQUE MAGAZINE
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ZAMBIE ROYAL LIVINGSTONE HOTEL EN TENDANT L’OREILLE depuis l’une des 169 chambres et des quatre suites du Royal Livingstone, on peut presque entendre le bourdonnement sourd du Zambezi. Les chutes Victoria, connue par les locaux comme le Mosi-oa-Tunya (la « fumée qui gronde »), ne sont qu’à 5 minutes de marche. Les voyageurs profitent d’un accès privé à ces merveilles de la nature, avec la possibilité de plonger dans la piscine du Diable, une piscine naturelle à la limite extrême des chutes, et jouissent également d’une vue privilégiée depuis leur véranda et le jardin. Un espace où se promènent en liberté des zèbres, des impalas, des girafes et des singes. D’un style colonial élégant et raffiné, l’hôtel a développé une carte qui met à l’honneur les produits et la cuisine locale. À déguster lors d’un dîner romantique, avec un maître d’hôtel aux petits soins, dans un cadre incomparable. anantara.com Tout près des chutes Victoria, le Royal Livingstone Hotel, en Zambie.
CE LODGE CONFIDENTIEL à gestion familiale a ouvert ses portes en octobre dernier à Palmarin, un petit village de pêcheurs et de palmiers à deux pas de la réserve naturelle du Sine Saloum. On y trouve des grandes chambres à la décoration raffinée et discrète, réalisée avec des matériaux locaux par des artisans sénégalais, réparties sur deux villas, deux chambres et trois suites avec piscine, ainsi que trois suites qui s’ouvrent vers l’océan. Pensé pour accueillir dans le confort maximal une clientèle âgée 100
Le Yokan Lodge, à Palmarin, au Sénégal.
de 0 à 99 ans – les couples comme les grandes familles recomposées –, le lodge dispose d’une zone pour les enfants et d’un spa, et propose des activités qui vont des cours de yoga aux spectacles de lutte traditionnelle. On appréciera les balades et les sorties dans la région, classée au patrimoine mondial de l’Unesco, ou le long des plages de sable blanc qui caractérisent la presqu’île. Un coin de paradis pour se relaxer et entrer en communion avec la nature. yokanlodge.com
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SÉNÉGAL YOKAN LODGE
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CÔTE D’IVOIRE BOULAY BEACH RESORT QUITTER LE BROUHAHA d’Abidjan pour s’évader sur l’île Boulay, un paradis verdoyant à 15 minutes de la ville en bateau, est l’un des petits plaisirs des adeptes de l’afrochic décontracté ivoirien. Les responsables de ce nouveau resort, inauguré en mai 2021, comptent bien se positionner dans le secteur florissant du tourisme balnéaire avec une structure qui marie luxe et modernité. Les grandes chambres à la décoration contemporaine possèdent chacune une terrasse privée, tandis que les suites, avec accès côté jardin ou lagune, sont dotées de jacuzzis. Après avoir passé un moment de détente sous les cocotiers, au bord de la piscine ou sur la plage, les visiteurs peuvent participer à l’une des activités proposées en semaine et le week-end, comme les barbecues et les brunchs les pieds dans l’eau. Et pourquoi pas tester le jet-ski, le canoë ou encore le paddle, avant de profiter d’un traitement bien-être professionnel. boulaybeachresort.com
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Le Boulay Beach Resort, sur l’île du même nom, dans la lagune d’Abidjan, en Côte d’Ivoire.
TUNISIE DAR EL JELD DÉCOUVRIR LA CULTURE, l’histoire, la gastronomie et l’artisanat tunisien en séjournant dans l’un des plus beaux palaces de la médina de la capitale. C’est le concept de cet hôtel-boutique d’artisanat de luxe, qui propose 16 suites dans une demeure traditionnelle de la Kasbah entièrement réhabilitée, ainsi que six nouvelles chambres dans une maison d’hôtes qui vient de rejoindre le groupe. Le restaurant « trois fourchettes » Dar El Jeld, classé parmi les meilleurs du pays pour sa cuisine gastronomique traditionnelle, a été tout juste refait, et une nouvelle piscine se dévoile sur les toits de l’hôtel. Un énième atout pour le rooftop qui bénéficie d’une vue imprenable sur la médina, inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco, et sur la splendide école Sadiki, bâtie en 1875. Pour se ressourcer après avoir flâné en ville, passer par le spa et son hammam est obligatoire.
Le rooftop du Dar El Jeld bénéficie d’une vue imprenable sur la médina.
dareljeld.com
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BUSINESS Interview Meriem Berrada
Le poids
croissant de Moscou en Afrique
Énergie
Une solution à la crise européenne ?
Sommet UE-UA
Et maintenant ? Juste avant le conflit en Ukraine, le sommet de Bruxelles, mi-février, s’est conclu sur une déclaration d’intention : un plan de 150 milliards d’euros déployés sur sept ans pour une nouvelle « stratégie globale d’investissement », soit la moitié du volume du Global Gateway, riposte européenne aux nouvelles routes de la soie chinoises. Reste à savoir comment ces grandes ambitions se concrétiseront… par Cédric Gouverneur
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eporté de près de deux ans pour cause de pandémie, le sixième sommet entre l’Union africaine (UA) et l’Union européenne (UE) se sera finalement tenu les 17 et 18 février à Bruxelles (Belgique), dans un climat faussement serein. Derrière les sourires de circonstance, les Européens étaient obnubilés par l’imminence de la guerre en Ukraine : président en exercice de l’UE, Emmanuel Macron venait juste de rencontrer Vladimir Poutine, pour un ultime sursaut diplomatique. L’ancien banquier français l’ignorait encore, mais l’ex-espion russe le menait en bateau et manigançait déjà son invasion, déclenchée le 24 au matin… Du côté 102
des délégués africains, on s’inquiétait du raidissement de la junte malienne (qui met à la porte les militaires français de l’opération Barkhane…), tout comme de la contagion putschiste au Burkina Faso voisin. L’Union européenne a pris acte de deux décennies de « Chinafrique », qui s’est traduit par l’inversion des courbes d’investissement – selon The Economist, 31 % des projets en Afrique sont chinois et 12 % européens, contre 12 % et 37 % en 2013 ! Le « Vieux Continent » a aussi pris acte de l’influence grandissante de la Russie (au Mali, au Burkina, en République centrafricaine…), mais également de la Turquie (en Libye) ou même des Émirats arabes unis (en Éthiopie) : face AFRIQUE MAGAZINE
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De gauche à droite, l’Égyptien Abdel Fattah al-Sissi, le Sud-Africain Cyril Ramaphosa, le Sénégalais et président en exercice de l’Union africaine Macky Sall et le président du Conseil européen Charles Michel, le 18 février dernier, à Bruxelles.
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BUSINESS les dirigeants européens avaient aussi en tête la question migratoire et son poids électoral croissant : au second tour de l’élection présidentielle d’avril, Emmanuel Macron risque fort de se retrouver – comme il y a cinq ans – face à un candidat ou à une candidate d’extrême droite… L’Europe a ainsi élaboré 10 paquets thématiques d’investissement, avec l’objectif « d’aider des projets voulus et portés par les Africains », dans les infrastructures, le numérique et la croissance verte – Bruxelles veut par exemple dynamiser la fameuse Grande muraille verte sahélienne. Sur le papier, « cette enveloppe, si elle est effectivement mobilisée, constitue une avancée considérable et un pont L’Union européenne promet entre nos continents », a résumé Macky 150 milliards d’euros en sept ans Sall. Tout est dans le « si » ! D’autant que – la moitié du Global Gateway, ce plan le 5 février, à Addis-Abeba, le président d’aide au développement qui se veut du Sénégal avait chiffré les besoins une alternative aux nouvelles routes non pas à 150 milliards d’euros, mais de la soie chinoises. Objectifs : accélérer à au moins 221 milliards d’ici 2025… la transition écologique et numérique « Ce n’est pas l’Europe qui du continent, forger une croissance investira », relativisait Thierry Pairault, durable et enfin créatrice d’emplois, chercheur au CNRS, sur le site de rénover les systèmes de santé, et TV5 Monde le 20 février. « Il s’agit booster l’éducation et la formation. en réalité d’un plan de financement Il y a urgence : l’Afrique est confrontée et non d’un plan d’investissement. » En à une crise structurelle, amplifiée substance, Bruxelles entend par la pandémie. réorienter des programmes Et la dépendance Objectif : déjà existants au vu aux exportations de accélérer de nouvelles priorités, matières premières la transition faire appel aux marchés ainsi que l’omniprésence écologique financiers, travailler avec du made in China la Banque africaine de sur les étals nuisent et numérique développement (BAD) moins à la croissance du continent. et la Banque européenne (macroéconomique…) d’investissement (BEI), qu’à la création et même stimuler l’investissement d’emplois et à l’émergence de la privé avec de mystérieux « instruments classe moyenne, dans un contexte financiers innovants », peut-on lire d’explosion démographique et de crise sur le site du Conseil européen. climatique hypothéquant l’avenir Rien de vraiment concret… de la jeunesse africaine et sa relation L’Union européenne s’est avec sa nantie – et vieillissante – également engagée à fournir voisine du Nord. Nul doute que
à ces contre-modèles autoritaires, à leur diplomatie musclée et à leurs carnets de chèques insensibles aux droits humains comme à l’environnement, l’Europe des anciennes puissances coloniales (France, Belgique, Portugal…) s’érige en citadelle de la démocratie. Dans la déclaration finale, les 70 délégués africains et européens ont insisté sur leur volonté de « consolider un partenariat renouvelé pour la solidarité, la sécurité, la paix et le développement économique », un « programme de prospérité respectueux des citoyens et de la planète ». Lors de la conférence de presse commune tenue à Bruxelles, le Sénégalais Macky Sall (président en exercice de l’Union africaine), l’Allemande Ursula von der Leyen (présidente de la Commission européenne), le Belge Charles Michel (président du Conseil européen) et le Français Emmanuel Macron (président en exercice de l’Union européenne) ont parlé de leur « vision conjointe pour 2030 », de la nécessité de « refonder la relation », d’un « changement de logiciel », ainsi que d’un inévitable « changement de paradigme »… 104
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L’Union européenne s’est engagée à fournir au moins 450 millions de doses de vaccins contre le Covid-19.
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au moins 450 millions de doses de vaccins contre le Covid-19 : un beau chiffre, mais insuffisant, puisque cela représente juste de quoi vacciner 150 millions d’adultes (les Européens en sont déjà à leur troisième dose…). D’autant que si le Vieux Continent réitère sa détermination à voir fabriquer les vaccins en Afrique, elle refuse d’en céder les brevets… Autre enjeu majeur : les droits de tirages spéciaux (DTS), ces actifs émis par le Fonds monétaire international (FMI) afin d’amortir le choc pandémique l’an dernier. Là encore, rien de neuf, l’UE se contentant d’appeler à des « contributions volontaires et ambitieuses » de ses 27 États membres, dont les économies sont malmenées par la crise sanitaire… Surtout, l’idée d’un accord global, de continent à continent, entre la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF) et l’UE, est prudemment reportée : « Nous œuvrerons progressivement à l’intégration graduelle et mutuellement avantageuse de nos marchés continentaux respectifs », écrit le communiqué final, dans une magistrale langue de bois ! L’Union européenne persiste à vanter les accords de partenariat économique (APE) pays par pays : ceux-ci auraient ainsi « contribué à renforcer et approfondir les échanges et le développement économique ». Une assertion très discutable : par exemple, les APE signés par l’UE avec les États du littoral ouest-africain au début des années 2010 ont permis aux navires-usines européens, contre une modeste redevance, de vider sans vergogne les eaux africaines, ruinant les pêcheurs artisanaux et les acculant à la misère… et parfois à l’exode. Une situation concrète bien éloignée de « l’égalité entre partenaires » affichée par le Conseil européen. ■ AFRIQUE MAGAZINE
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3 QUESTIONS À…
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Ali Issa Administrateur général de Senegal Supply Base (SSB)
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Vous êtes à la tête de Senegal Supply Base, la future base d’approvisionnement logistique pour les activités pétrolières et gazières au Sénégal. Quel est l’enjeu du projet ?
Dans le cadre de la stratégie nationale d’appui aux développements de projets pétroliers offshore, le Port autonome de Dakar (PAD) a accordé « L’entreprise a réussi une concession à SSB afin de développer et d’exploiter un terminal à établir une base de support logistique aux activités de classe mondiale, pétrolières et gazières offshore. qui a commencé Pour rappel, le président Macky ses activités Sall avait invité les groupements de privés nationaux soumissionnaires en juin 2021. » à mutualiser leurs énergies pour travailler ensemble. Cela s’est fait à travers la création du Consortium sénégalais d’investissement (COSENI), qui regroupe 22 entreprises à capitaux nationaux et répond aux objectifs du contenu local. SSB est la filiale en charge de l’exploitation de la base d’approvisionnement logistique. Elle a réussi à établir une base de classe mondiale, qui a commencé ses activités en juin 2021. Nous offrons une variété de services à nos clients.
②
Parlez-nous de ce concept de « local content ».
③
SSB, c’est un projet chiffré à 17 millions de dollars. Le secteur privé sénégalais est-il seul à le financer ?
L’exploration et l’exploitation des ressources pétrolières et gazières offrent un large éventail d’activités génératrices de revenus à la portée du secteur privé national. En tant qu’acteur du contenu local, notre rôle est de promouvoir le secteur d’activité afin, à terme, de participer à la prospérité économique du pays. Notre plus grand défi est également de développer les connaissances locales et de maintenir un haut niveau de conformité pour l’avenir.
Le consortium d’entreprises sénégalaises a réalisé un investissement en fonds propres pour financier entièrement le terminal. ■ Propos recueillis par Emmanuelle Pontié
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Meriem Berrada RESPONSABLE DU DIGITAL INNOVATION LAB DU GROUPE OCP
«Il nous faut collaborer ensemble» Le Groupe OCP, premier producteur mondial de phosphate et leader sur le marché des engrais phosphatés, a lancé le 17 février dernier le challenge « Usine du futur », destiné aux start-up, et hébergé sur la plate-forme d’open innovation du groupe, « The New Seed » (« la nouvelle graine »). Les start-up ont jusqu’au 27 mars pour candidater et proposer leurs solutions d’avenir permettant d’inventer l’industrie de demain.
propos recueillis par Cédric Gouverneur 106
AM : Quel est le calendrier du concours « Usine du futur » ? Meriem Berrada : Les start-up peuvent
candidater jusqu’au 27 mars sur le site dédié au challenge : the-nextseed.com. Pour vous donner un ordre d’idées, lors des deux précédents challenges que le Groupe OCP a organisé, il y a eu environ 400 candidatures. Une fois les inscriptions clôturées, un jury d’experts va, au terme d’une période de mentoring, sélectionner les 16 start-up dont les solutions sont les plus pertinentes. Huit finalistes passeront ensuite devant un jury final, et enfin les quatre lauréates seront annoncées le 10 juin. Le jury final sera composé de membres du management du Groupe OCP, d’experts métiers (supply chain, sustainability…) et de partenaires de l’écosystème start-up (le campus pour start-up StartGate ou encore le centre de recherche industrielle Innovation Lab Operations, tous deux de l’Université Mohammed VI Polytechnique). Quels sont les critères ?
Le challenge est ouvert à toutes les start-up marocaines, africaines et internationales capables de codévelopper des solutions digitales innovantes en réponse à des problématiques stratégiques et opérationnelles des métiers industriels du groupe. Le seul prérequis est qu’elles disposent d’un minimum viable product (MVP), soit une version minimaliste
mais fonctionnelle de la solution proposée, même si elle n’est pas encore aboutie, qui réponde à la problématique métier adressée via le challenge. L’objectif est de pouvoir la tester sur le site expérimental de Safi du Groupe OCP, afin de valider sa création de valeur auprès des métiers. Ce concours s’inscrit dans le cadre du lancement par le Groupe OCP de la plate-forme « The Next Seed », pour répondre à des problématiques stratégiques autour de l’agriculture, du développement durable, de l’industrie minière…
Cette plate-forme d’open innovation est une initiative du Groupe OCP et de son écosystème, composé de programmes développés par ses entités, ses filiales et l’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P), à l’instar des programmes U-Founders, UM6P Ventures, UM6P Innovation & Entrepreneurship Lab, Impulse, AgTech Garage (soutenu par OCP Do Brasil) ou encore de l’Innovation Lab Operations. L’objectif est d’offrir une plate-forme intégrée qui puisse s’ouvrir aux acteurs de l’innovation pour relever des défis stratégiques et opérationnels divers et variés : digital, biotechnologies, nanotechnologies… D’autres challenges seront progressivement lancés pour les différents domaines visés : l’agriculture, l’industrie minière, la sustainability, la supply chain ou encore les smart cities.
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aurait pu l’être. L’ensemble des sites a vocation à créer un écosystème plus intelligent, plus flexible, plus efficace, grâce à la robotique, l’intelligence artificielle, l’Internet des objets… Le but est de faire émerger l’usine de demain dans le monde post-Covid. Quel sera son visage ?
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Par exemple, pour son lancement, « The Next Seed » propose de réfléchir aux enjeux et problématiques de l’usine de demain. Ce premier challenge appelé « Usine du futur » repose sur quatre thématiques majeures qui révolutionneront l’usine du futur : Safe Operations, Smart Operations, Supply Chain et Sustainability.
permet ainsi d’éviter un arrêt de la production. Pour le Data Challenge, la société française InUse a développé une solution auprès des équipes de maintenance : un algorithme d’intelligence artificielle aidant au diagnostic des pannes des engins miniers. Cela a permis de gagner jusqu’à 20 % de L’usine temps en diagnostic. Nous réalisons actuellement une Quelles solutions de demain étude de faisabilité afin de concrètes ont mettra l’humain généraliser cette solution à été apportées lors l’ensemble du site. L’objectif des précédentes au centre du des expérimentations compétitions, et par collaboratif, est de tester les solutions quelles start-up ? afin d’améliorer de pointe imaginées Lors du Mining l’expérience par des acteurs externes, Challenge, la start-up qui seront ensuite tunisienne Enova quotidienne. améliorées par les métiers Robotics a développé un du groupe pour les déployer outil d’aide à la conduite des véhicules plus largement… miniers en cas de mauvaise visibilité, notamment le brouillard Pourquoi avoir choisi le site de Safi ou la poussière. Elle a mis en place un comme terrain d’expérimentation dispositif permettant au conducteur de ce challenge ? d’engin de détecter un obstacle non Safi a été choisi pour ce challenge, visible à l’œil nu. La solution apportée comme tout autre site du Groupe OCP AFRIQUE MAGAZINE
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Nous avions démarré la transformation digitale du Groupe OCP en 2018. Mais la pandémie de Covid-19 a constitué, partout et dans tous les domaines, un accélérateur de cette transformation. L’usine du futur sera ultraconnectée. Grâce à la 5G, tous les actifs industriels seront connectés, avec des capteurs à chaque étape qui échangeront des données en temps réel et permettront une programmation à distance. L’usine de demain sera « human centric », c’est-à-dire qu’elle mettra l’humain au centre du collaboratif, afin d’améliorer l’expérience quotidienne, la productivité du collaborateur, et de surcroît sa sécurité. Les robots intelligents seront conçus pour être complémentaires à l’humain. Aussi, l’usine sera durable avec une empreinte carbone de plus en plus réduite, une plus grande efficacité énergétique, une gestion plus intelligente du cycle d’allumage des machines… Les pistes et opportunités d’améliorations sont nombreuses ! Nous travaillons par exemple sur la modulation 3D, avec des jumeaux numériques, où l’on conçoit et simule toute une chaîne de production de manière entièrement virtuelle (position des machines, des opérateurs, rythme de production, simulation des procédures et incidents…), pour la tester avant de la mettre en œuvre dans le monde réel. Pour tout cela, il nous faut collaborer ensemble et sur des problématiques concrètes, d’où la création de la plate-forme « The Next Seed ». ■ 107
BUSINESS
Le poids croissant de Moscou en Afrique
Sommet Russie-Afrique à Sotchi, en 2019, où 43 chefs d’État ont répondu à l’invitation de Vladimir Poutine.
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ors du vote, le 2 mars dernier, de la résolution des Nations unies condamnant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, 17 pays africains se sont abstenus et un a voté contre (l’Érythrée…) Difficile de tourner le dos à un vieil allié, héritier de l’Union soviétique qui avait fermement appuyé les indépendantistes contre les colonisateurs… Dans les années 1980, l’URSS s’était même militairement engagée, via Cuba, au Sud-Ouest africain (actuelle Namibie), 108
annexé par le régime de l’Apartheid. L’Afrique du Sud a logiquement refusé de voter la résolution, arguant que le texte ne permet pas de « construire la confiance ». D’autant que les entreprises sud-africaines cumulent environ 5 milliards de dollars d’investissement en Russie. Le Mali, exclu de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CÉDÉAO) et en froid avec Paris, ne peut se permettre de fâcher son allié russe, d’autant
que le groupe Wagner combat en Ukraine ! Idem pour la République centrafricaine, qui a été jusqu’à reconnaître l’indépendance des régions ukrainiennes russophones sécessionnistes de Louhansk et Donetsk… La junte soudanaise s’est elle aussi tournée vers le Kremlin. Et l’ambassadeur russe en République démocratique du Congo propose l’aide de son pays afin de rétablir l’ordre dans les provinces de l’Est, riches en ressources minières…
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ALEXEI DRUZHININ/SPUTNIK/SPUTNIK VIA AFP
L’embarras du continent face à l’investisseur russe se fait de plus en plus sentir.
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DEUX CENTRALES NUCLÉAIRES EN CHANTIER
Mais ces hésitations africaines n’ont pas que des raisons géopolitiques : depuis quelques années, les investissements russes s’intensifient sur le continent. L’intérêt du pays pour l’Afrique a commencé à croître à partir de 2014, en réaction aux sanctions internationales consécutives à l’annexion de la péninsule de Crimée : Moscou se devait de trouver des marchés alternatifs. Depuis 2015, la Russie a signé des accords avec une vingtaine de pays africains. En 2019, à Sotchi, 43 chefs d’État africains ont répondu à l’invitation de Vladimir Poutine. Pas moins de 92 contrats y ont été signés, pour un montant de 14 milliards de dollars. Le pays a besoin des ressources naturelles africaines. Certes, le sol russe est riche, mais l’extraction minière y est compliquée : importer est souvent plus rentable pour Moscou. Les conglomérats russes (Rusal, Gazprom, Lukoil, Rosneft…) s’intéressent à la bauxite (Guinée), au platine (Zimbabwe), à l’or (Soudan), à l’uranium (Namibie)… Au Maroc, la banque russe VEB finance la construction de la raffinerie de Bouyafar : un contrat de 2 milliards de dollars, vital pour Rabat afin de remplacer son unique raffinerie, fermée en 2015. Surtout, le groupe russe Rosatom est en passe de construire deux centrales nucléaires en Afrique : en Égypte (El-Dabaa) et au Nigeria (Geregu). À noter que les liens entre la Russie et l’Afrique sont aussi agricoles : ainsi, le Kenya condamne l’invasion de l’Ukraine, mais se trouve fort embarrassé, puisque les Russes, grands buveurs de thé, figurent parmi ses plus importants clients à l’export ! En octobre, à Saint-Pétersbourg, devrait – en principe – se tenir un nouveau sommet russo-africain. ■ C.G. AFRIQUE MAGAZINE
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Une exploitation de pétrole en Ogoniland, dans le delta du Niger, au Nigeria.
Énergie : une solution à la crise européenne ?
Les pays africains producteurs de gaz et d’or noir pourraient bénéficier du conflit russo-ukrainien.
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invasion de l’Ukraine par l’armée russe a aussitôt engendré la plus forte hausse des cours du pétrole depuis 2014, le baril se négociant à plus de 100 dollars début mars. À court terme, cette situation va bénéficier aux producteurs africains d’or noir (Nigeria, Angola, République du Congo, Gabon, Guinée équatoriale, Libye…). Mais elle va également mécaniquement entraîner une hausse des coûts de transport et, par ricochet, une hausse des prix sur les étals, et donc une inflation au détriment des consommateurs africains… Autre conséquence du conflit russo-ukrainien : l’Union européenne, dépendante à 40 % du gaz naturel russe, va chercher à moins dépendre de son adversaire et se prémunir d’une éventuelle coupure
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du robinet. Déjà, le Vieux Continent se tourne vers l’Afrique. Le 28 février, le ministre italien des Affaires étrangères Luigi Di Maio et le patron de la compagnie nationale d’hydrocarbures ENI étaient à Alger, où ils ont rencontré les autorités et les responsables de la Sonatrach. La compagnie algérienne, qui fournit 11 % du gaz consommé en Europe, est prête à augmenter de 30 % ses livraisons à l’Italie et assure « disposer d’une capacité non utilisée sur le gazoduc Transmed » reliant l’Algérie à l’Italie. Elle peut également fournir l’Europe en gaz naturel liquéfié (GNL) via ses navires méthaniers. L’Allemagne – qui, en raison du conflit, a dû renoncer au projet de gazoduc Nord Stream 2 avec la Russie – vient d’annoncer la construction de deux nouveaux terminaux à GNL. ■ C.G. 109
VIVRE MIEUX Pages dirigées par Danielle Ben Yahmed, avec Annick Beaucousin et Julie Gilles
FATIGUE : L’AUTRE VAGUE QUI PRÉOCCUPE L’ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTÉ (OMS) s’en est alarmée dès la première année de la crise de Covid-19, indiquant que la « fatigue pandémique » guettait le monde. Et pour cause… Une telle crise sanitaire sollicite beaucoup nos capacités d’adaptation, donnant l’impression de ne plus avoir la maîtrise sur les choses de la vie : cela nous fragilise, nous épuise, nous use, y compris mentalement. Certaines personnes sont plus vulnérables, hypersensibles au contexte. Mais dans tous les cas, la pandémie de Covid-19 s’étant éternisée, elle a puisé dans nos réserves d’énergie : la lassitude et la fatigue n’ont fait que gagner du terrain. Pour lutter contre cet épuisement si particulier, des conseils en apparence bien ordinaires, mais importants, 110
peuvent être appliqués. Ainsi, il est capital de conserver des horaires de coucher et de lever réguliers, y compris les week-ends. Des microsiestes de quelques minutes dans la journée sont aussi préconisées pour leurs vertus reconstituantes. Une bonne hygiène de vie, avec de l’activité physique régulière et une alimentation pas trop riche en graisses saturées ni en sucres (ce qui fatigue encore plus !), est essentielle. Par ailleurs, il faut saisir chaque opportunité de détente et de plaisir qui s’offre à soi au quotidien : cela fait du bien et dope. Mais tout n’est pas toujours facile à mettre en œuvre, et on peut se retrouver « au bout du rouleau »… Ces situations doivent alerter et faire consulter : ressentir AFRIQUE MAGAZINE
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LA POPULATION MONDIALE EST CONFRONTÉE À UNE PANDÉMIE DE SURMENAGE ET D’ÉPUISEMENT, DONT LES CAUSES SONT VARIÉES. QUAND FAUT-IL S’INQUIÉTER ?
une démotivation le matin, avec du mal à se lever ; avoir des difficultés à s’endormir le soir, liées à l’anxiété ; avoir les nerfs à vif ou la larme à l’œil pour un rien ; manger mal ou avoir une perte d’appétit notable…
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SAVOIR RECONNAÎTRE LES SIGNES
Il est des fatigues dites « normales », qui peuvent être dues à des efforts physiques (mais disparaissant avec le repos), à une charge de travail inhabituelle (mais temporaires), ou pouvant intervenir après une infection virale type grippe ou une intervention chirurgicale, qui sont des épisodes fatigants pour l’organisme. Un grand classique aussi aujourd’hui : la fatigue à cause de couchers tardifs, et par conséquent de nuits trop courtes… Il faut absolument y remédier, sinon on ne récupère pas bien, physiquement et mentalement ! Autrement, quand le ressenti de fatigue dure depuis au moins un mois et qu’il est constant (pas uniquement en fin de journée, mais en quasi-permanence, le repos n’y faisant rien), il faut consulter. Le fait qu’elle s’associe à un amaigrissement ou à des difficultés à faire quelque chose doit également préoccuper et amener chez le médecin. Il faut ainsi vérifier s’il y a derrière une cause physique, psychique, ou bien les deux à la fois. Mais la fatigue ne cache pas toujours une maladie, loin de là. Dans beaucoup de situations, elle est explicable par la société de performance actuelle : quand on fait trop de choses, qu’on se surmène, qu’on ne mange pas assez, qu’on ne dort pas assez, il n’y a rien d’étonnant à se sentir régulièrement exténué. Mais il ne faut pas trop tirer sur la corde, sous peine d’impacter sa santé. Dans d’autres cas, la fatigue peut être la conséquence d’une alimentation non saine, de la sédentarité (l’activité tonifie l’organisme), d’une addiction… Certains traitements peuvent aussi être coupables, comme les tranquillisants, qui sont souvent utilisés pour mieux dormir : s’ils sont pris trop longtemps, la relaxation musculaire qu’ils provoquent finit par entraîner une sensation d’épuisement, comme si l’on n’avait plus de forces. Enfin, derrière une fatigue peuvent se cacher diverses affections : carence en fer, infection, hypothyroïdie, diabète, syndrome de l’intestin irritable, problèmes cardiaques ou respiratoires… Les apnées du sommeil (brèves pauses respiratoires répétées provoquant des micro-éveils, ce qui perturbe beaucoup le repos) en sont une cause fréquente, et pas seulement chez les personnes en surpoids ou les hommes. Il y a également des causes psychiques : une fatigue peut révéler un état dépressif ou un surmenage – risquant d’aboutir à un burn-out… ■ Annick Beaucousin AFRIQUE MAGAZINE
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POURQUOI A-T-ON LE HOQUET ? BÉNINS, CES « HICS » QUI NOUS ASSAILLENT INTRIGUENT SOUVENT. INCONTRÔLABLE, le hoquet vient du diaphragme (le muscle entre la poitrine et l’abdomen), qui se contracte de façon involontaire. Chaque contraction entraîne une rapide inspiration d’air, ce qui provoque le fameux « hic » et une petite secousse. L’utilité du hoquet n’est toujours pas comprise. Il peut survenir sans cause évidente, mais souvent, les nerfs du diaphragme ont été irrités : repas avalé trop vite, très chaud ou épicé, trop riche en graisses, ou encore ingestion rapide de boissons (d’autant plus gazeuses). Le stress, le rire, mais également le simple fait d’avaler de l’air en mâchant du chewing-gum peuvent déclencher une crise. Le hoquet est gênant, mais bénin. Pour le faire passer, chacun son truc : inspirer à fond, puis bloquer sa respiration ; boire de l’eau glacée ou à petites gorgées… En revanche, s’il dure longtemps (plus de 48 heures) ou se répète, il faut consulter. L’une des causes fréquentes est le reflux gastro-œsophagien, mais cela peut aussi être dû à une hernie hiatale, un ulcère digestif, une prise de médicaments… ■ Julie Gilles 111
VIVRE MIEUX En bref
Un livre plein d’espoir ◗ C’est le témoignage d’une médecin qui a réussi à vivre avec son diabète sans médicaments, grâce à un régime pauvre en glucides et, pour compenser, riche en lipides. Un an et demi plus tard, son bilan est parfait, sans piqûres ni comprimés ! Voilà qui ouvre de nouvelles perspectives. Comment j’ai bâillonné mon diabète grâce au régime cétogène, par le Dr Taïra Teyso, Leduc, 18 euros.
VENIR À BOUT DE LA SÉCHERESSE OCULAIRE PICOTEMENTS, SENSATIONS DE BRÛLURE, VUE QUI SE BROUILLE… LES RAISONS SONT MULTIPLES, MAIS DES SOLUTIONS EXISTENT !
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Il est nécessaire de consulter un ophtalmologiste pour confirmer le diagnostic d’œil sec. D’autant que ce problème peut être favorisé par un trouble visuel ignoré : dans ce cas, une correction apporte un nouveau confort. Pour humidifier ses yeux, on cligne davantage, notamment si l’on est sur écran toute la journée. Voici un exercice parfait : fermez les yeux 2 secondes, puis ouvrez-les. Répétez cette séquence plusieurs fois, en y insérant une occlusion forcée (serrez fort les paupières). Recommencez plusieurs fois par jour. Si besoin il y a, instillez un collyre lubrifiant (sans ordonnance, en pharmacie). Il est recommandé d’en essayer différents afin de trouver celui qui apporte le plus de confort. D’autre part, des compléments alimentaires contre la sécheresse oculaire (Dioptec, Alphalarm) sont conseillés par les ophtalmologistes et en vente libre : ils comportent notamment des acides gras essentiels. L’amélioration apparaît au bout de 15 jours à un mois. ■ A.B.
Bi manger Bien pour sa santé ◗ Manger sain et équilibré devrait être simple. Pourtant, sous un flot d’infos contradictoires, nous ne savons plus comment faire ! Cet ouvrage pratique y aide : intérêt nutritionnel de chaque famille d’aliments, tri entre le vrai et le faux, alimentation à privilégier en cas de problèmes de santé… Le Grand Livre de l’alimentation, par le Dr Laurence Plumey, Eyrolles, 24,90 euros.
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ON CROIT SOUVENT que la sécheresse oculaire est due à un manque de larmes, c’est-à-dire de sécrétion des glandes lacrymales. Cela arrive, mais dans la majorité des cas, c’est la couche « huileuse » du film lacrymal qui fait défaut. Son rôle est très important car elle empêche l’évaporation des larmes et lubrifie la surface oculaire. Elle est produite par les glandes dites de Meibomius se trouvant dans les paupières. Une sécheresse oculaire peut survenir avec l’âge, car les glandes deviennent alors plus paresseuses. Mais il y a un autre grand coupable : l’utilisation intensive des écrans. Devant un écran, nos yeux clignent peu. Or, ce sont les clignements qui permettent aux glandes de l’œil de libérer le liquide huileux sur celui-ci. Le même problème peut se produire si l’on conduit beaucoup. D’autres facteurs comme le port de lentilles, la prise de certains médicaments (contre l’acné, les allergies, le glaucome…), la pollution ou encore l’air conditionné peuvent aussi être à l’origine d’une sécheresse oculaire.
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LES EAUX MINÉRALES
ET LEURS VERTUS FACE À LEUR VARIÉTÉ, COMMENT CHOISIR CELLE QUI NOUS CONVIENT LE MIEUX ? À LA DIFFÉRENCE DES EAUX DE SOURCE, les eaux minérales bénéficient des bienfaits d’une teneur stable en minéraux. Autrefois, celles-ci étaient d’ailleurs vendues en pharmacie. Panorama des différents types d’eaux minérales pour choisir la mieux adaptée à ses besoins. • Les eaux dites peu minéralisées : adaptées à une consommation courante, elles conviennent aux bébés et aux jeunes enfants. Diurétiques, elles peuvent être un atout en cas d’œdèmes ou de cellulite.
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• Les eaux minérales riches en calcium (plus de 500 mg/l) : elles sont à privilégier si l’on consomme
peu de lait, de yaourt ou de fromage. Il est en effet démontré que le calcium des eaux est bien absorbé par l’organisme. Et il est important pour aider à préserver de la déminéralisation des os, et donc de l’ostéoporose. • Les eaux minérales riches en magnésium : ce sel minéral est indispensable au bon fonctionnement des muscles, des artères, mais il est également essentiel en cas de mode de vie stressant (qui en augmente les besoins). D’autre part, une eau riche en magnésium peut être utilisée ponctuellement pour combattre un épisode de constipation. • Les eaux minérales gazeuses : on leur prête des bienfaits notamment en matière de digestion. Et c’est justifié ! Grâce à leurs bulles, et plus spécifiquement au CO2, elles contribuent à une meilleure évacuation de l’estomac, et donc à une digestion facilitée. Elles favorisent également un meilleur transit. Les eaux gazeuses ne sont pas toutes très salées, mais cela est à vérifier sur les étiquettes : celles riches en sodium sont en effet à éviter notamment en cas d’hypertension artérielle et de rétention d’eau. ■ J.G. AFRIQUE MAGAZINE
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LE SILICONE, ENNEMI DE NOS CHEVEUX ? CET INGRÉDIENT EST OMNIPRÉSENT DANS LES SHAMPOOINGS ET APRÈS-SHAMPOOINGS. MÊME SI L’ON NE TROUVE PAS forcément le mot « silicone » dans la liste des ingrédients des produits pour cheveux, en général, tout ce qui se termine par « cone » est une forme de silicone. Et plus la substance en question figure en tête de liste, plus le produit en contient un pourcentage élevé. Pour Robert Nahmani, diplômé de la faculté de pharmacie de Paris, « le silicone a des inconvénients, mais n’est pas un produit chimique toxique et dangereux. Ce qu’il peut affecter, c’est la force et l’apparence des cheveux : sensation de lourdeur, sécheresse, dépôts difficiles à enlever sont des ennuis courants ». On peut limiter ces problèmes en utilisant une petite quantité de produit à la fois, ou en réduisant la fréquence d’emploi des soins. Certains silicones sont plus légers, donc meilleurs pour les cheveux, tandis que d’autres sont lourds, plus susceptibles de s’accumuler, et par conséquent plus nocifs. Recherchez un silicone « respirant » tel que le cyclométhicone : il est léger et soluble dans l’eau, ce qui permet de l’éliminer facilement au lavage. L’amodiméthicone et la diméthicone, très courants, sont en revanche plus épais et peuvent alourdir les cheveux. Autre option, se tourner vers des soins capillaires sans cette substance, comme des shampooings doux, sans sulfates ni parfum, telle la gamme Caditar Zéro. Et pour ne pas perdre en hydratation ou en contrôle des frisottis, des produits nourrissants à base d’huile de jojoba, d’aloe vera ou de beurre de karité existent. ■ A.B. 113
Hyènes, de Djibril Diop Mambéty. Des moments mémorables à le regarder en famille !
8 Votre mot favori ? « Nice ! » Pour donner de l’espoir aux gens, garder le sourire malgré tout.
9 Prodigue ou économe ? Prodigue. Seuls nos actes nous appartiennent, pas l’argent.
10 De jour ou de nuit ? De nuit. J’ai l’inspiration, le silence, j’écris, je prends du temps pour moi.
Sahad
Le guitariste et chanteur sénégalais, fondateur d’un écovillage, signe un NOUVEL ALBUM JUBILATOIRE, Luuma, entre funk, afrobeat et sonorités acoustiques, profondeur spirituelle et critique sociale. propos recueillis par Astrid Krivian
Luuma, Stereo Africa 432.
1 Votre objet fétiche ? Mon couvre-chef. C’est une sorte de protection. Sans lui, je me sens vide, nu. Sur scène, j’arbore un béret, tel un militaire : la musique est une arme.
2 Votre voyage favori ? Un road trip à travers le Sénégal, le Mali, et le Burkina. À Ouagadougou, les gens, la culture, les musiques, l’architecture m’ont beaucoup touché.
3 Le dernier voyage que vous avez fait ? Sur la belle île espagnole des Canaries, Tenerife. Ses habitants ont une culture similaire à celles d’Afrique de l’Ouest. Un peuple très joyeux, festif, amateur de musique.
coup de fil ou lettre ?
Facebook avec les amis et les fans. WhatsApp avec la famille. E-mail pour le boulot.
12 Votre truc pour penser à autre chose, tout oublier ? Je pratique la méditation et le dhikr soufi. Pour vider le mental, les pensées négatives, se reconnecter avec soi. Atteindre une paix de l’âme et de l’esprit.
13 Votre extravagance favorite ? Explorer des techniques de jeu, de multiples formes musicales.
14 Ce que vous rêviez d’être quand vous étiez enfant ? Militaire, pour servir mon pays. Je suis patriote.
15 La dernière rencontre
qui vous a marqué ?
Toute rencontre me marque. Chaque être est un enseignement, une histoire, un miroir de soi-même.
16 Ce à quoi vous êtes incapable de résister ? Une très belle guitare !
17 Votre plus beau souvenir ?
4 Ce que vous emportez toujours
Quand mon groupe a remporté le prix des Journées musicales de Carthage en 2016. Ça a lancé notre carrière à l’international.
Ma guitare. Et un petit carnet où je consigne mes impressions sur le voyage, les rencontres.
Ma maison, mon toit, c’est mon cœur. Je l’illumine. Ainsi, je vais en paix partout dans ce monde.
5 Un morceau de musique ?
19 Votre plus belle déclaration d’amour ?
« Ani Aff », d’Avishai Cohen. Il me transporte dans un autre espace-temps spirituel.
20 Ce que vous aimeriez que l’on retienne
avec vous ?
6 Un livre sur une île déserte ? Le Langage des oiseaux, de Farid-Ud-Din Attar. Une initiation poétique au soufisme, sur le sens de la vie, le langage de l’âme, la vie intérieure. 114
11 Twitter, Facebook, e-mail,
18 L’endroit où vous aimeriez vivre ?
Les mots et les dessins de mes enfants.
de vous au siècle prochain ?
Que j’ai participé à la décolonisation des imaginaires en Afrique de l’Ouest, à cette renaissance, via la musique et la fondation de l’écovillage de Kamyaak. ■ AFRIQUE MAGAZINE
I
426 – MARS 2022
RANDA OSMAN - DR
LES 20 QUESTIONS
7 Un film inoubliable ?