| JUILLET, AOÛT,
SEPTEMBRE 2020 Tamouz, Av, Eloul, Tichri 5780
.35
Revue de l'association Aki Estamos Les Amis de la Lettre Sépharade fondée en 1998
01 O norar a un
amigo viejo ke se murio — SHIMON GERON
05 H ommage à Solly Levy
— JUDITH COHEN
08 L es
tulumbadjis d’Istanbul — MARIECHRISTINE BORNES VAROL
14 L es
métamorphoses d'un conte
20 C hronique de
la famille Arié de Samokov (suite)
36 P ara meldar — BRIGITTE PESKINE
32 P ara sintir
— SUSANA WEICHSHAHAK
L'édito L'appel du large
Ce numéro estival nous emmène très loin à travers les siècles, les langues et les cinq continents. Shimon Guéron retrace pour nous soixante années d’une amitié jamais démentie entre Istanbul, Sydney et Vancouver. Judith Cohen évoque la vie de Solly Lévy entre Tanger, Montréal et Toronto, en cultivant toujours plus fièrement et souverainement la haketia de sa jeunesse. Marie-Christine Bornes Varol a recueilli en 1980 les souvenirs de bagarre et d’embrouille de M. Isak Azuz, l’un des tout derniers pompiers volontaires de Balat, les célèbres et redoutés tulumbajis d’Istanbul. Après ce récit aux allures de conte, nous partons au pays des merveilles avec « Les trois cheveux d’or du diable » popularisé par les frères Grimm dans deux versions judéo-espagnoles évoquant la force du destin que le judéo-espagnol décline sous toutes ses facettes linguistiques : el kismet, el goral, el mazal, el destino etc. Nous poursuivons avec les aventures de la famille Arié de Samokov entre parties de campagne et courses de luge, un mariage tzigane aussi mouvementé qu’une rixe de pompiers et un voyage au Sahara digne d’un récit biblique. Brigitte Peskine nous fait partager sa lecture de L’espérance d’un baiser, le récit de déportation de Raphaël Esrail, l’un des derniers rescapés d’Auschwitz dont la femme Liliane, au cœur de ce livre d’amour et de ténèbres, vient de disparaître. Nous inaugurons avec joie une nouvelle chronique musicale tenue pas l’ethnomusicologue Susana Weich-Shahak avec un chant de Tisha beAv approprié à la commémoration de la chute du Temple. Après le deuil de Tisha beAv vient la fête moins connue de Tou beAv (le 15 du mois d’Av – cette année le 5 août 2020), l’un des jours les plus joyeux de l’année juive, consacré à l’amour, à la danse et aux libations. C’est sans doute ce que nous avons envie de vous souhaiter : un été léger et dansant, una enveranada buena i saludosa, avant de nous retrouver à la rentrée pour de nouvelles aventures judéo-espagnoles.
HOMMAGE |
Shimon Geron
Onorar a un amigo viejo ke se murio Honorer un vieil ami disparu Il est de plus en plus rare que l’amitié ou l’amour résistent au temps. Certes les vies sont plus longues, plus riches en expériences et favorisent de multiples rencontres, mais paradoxe de notre époque, le sentiment d’isolement et de désenchantement n’a sans doute jamais été aussi fort. Le souvenir d’une amitié qui dura plus de soixante ans qu’évoque Shimon Geron 1 avec pudeur et nostalgie n’en est que plus précieux. Nous partageons avec son accord son texte en judéo-espagnol publié sur le forum ladinokomunita fondé par Rachel Bortnick Amado et nous y joignons une traduction en français.
1. Patronyme des Juifs originaires de la ville de Gérone en Catalogne.
KAMINANDO I AVLANDO.35 | 1 |
| HOMMAGE
M
Shimon Geron en 1960 à son agence de tourisme d'Istanbul.
2. Supplément mensuel du journal Şalom publié à Istanbul et entièrement rédigé en judéoespagnol.
uestro amigo Arslan Palachi de Vancouver era uno ke kada mez embiava a El Amaneser 2 un artikolo sovre los filmos Judios i kreo ke lo izo por mas de 10 anyos. En supito tuvo un golpe i murió unos mezes antes. Entre tiempo fui yo ke tomi su lugar kon el ayudo de la Senyora Guler Orgun. Lo admeto ke no so bien konosido en la materia komo Arslan ke izo estudios en la Universidad tratando del sinema. A Arslan lo konosia desde el tiempo ke teniamos 16 o 17 anyos, biviendo en Istanbul. A mis 24 anyos parti de Turkia instalándome en la Australia. El partio unos anyos despues i se instalo en Canada. El tiempo i la distansia no mos separo i la amistad kontinuo en korrespondensia. Komo los 2 paises se paresían siendo en mayoria Anglo-Saksones, teniamos la impresion de bivir en entornos similares. Ademas teniamos siertos aspektos del mundo viejo ke aviamos deshado atrás. No se puede dizir ke éramos totalmente asimilados al mundo muevo. Ni se puede dizir ke mos mankava el mundo viejo. Komo munchos imigrantes bivimos entre sielo i tierra. Una vez Arslan vino a verme en la Australia i yo me fui a verlo en Canada unas kuantas vezes durante los anyos. En kada enkontro avlávamos mas en Turko ke en Inglez. Era un plazer de mantener a esta amistad vieja i el me dizia ke me konosia mijor ke mi famiya. A la fin kuando vino el tiempo de separarmos, mismo si aviamos tenido una amistad ke duro 6 o 7 dékadas, me paresió duro. Despues de tantos anyos en el estranjero, ya no tenia kaji mas famiya vieja, amigos i konosidos. Ni Arslan los tenia. Konosi a su padre, madre i ermana i el konosio a mi madre en Turkia. Despues konosí a su mujer i el konosio a mi mujer i mis 3 kriaturas en Canada i en la Australia. Arslan i su mujer azian estudios en la universidad i les plazia salir de kaza para tomar aire i azer jogging. Preferavan mas lavorar manko i azer lo ke les plazia. Komo el klima del Canada no les konvenía, pasavan kaji la mitad del anyo en California i Mexico. Ansi tenian la okazion de bivir en 3 paises.
| 2 | KAMINANDO I AVLANDO.35
Notre ami Arslan Palachi de Vancouver avait l’habitude d’envoyer chaque mois un article sur les films juifs à El Amaneser 2 et je crois qu’il le fit plus de dix ans de suite. Il a été victime d’une attaque foudroyante et est mort il y a de cela quelques mois. Entre-temps, j’ai repris sa chronique assisté en cela par madame Güler Orgun. Je dois admettre que je ne suis pas aussi compétent en la matière qu’Arslan qui avait étudié le cinéma à l’université. J’ai connu Arslan à l’âge de seize ou dix-sept ans alors que nous vivions à Istanbul puis j’ai quitté la Turquie à vingt-quatre ans pour aller m’installer en Australie. Il partit quelques années plus tard et s’installa au Canada. Ni le temps ni la distance ne nous séparèrent et l’amitié se poursuivit par correspondance. Comme les deux pays étaient anglo-saxons, nous avions l’impression de vivre dans un même environnement. De plus certaines choses évoquaient le vieux monde que nous avions laissé derrière nous. On ne peut pas dire que nous étions totalement assimilés au nouveau monde comme on ne peut pas dire non plus que le vieux monde nous manquait. Comme beaucoup d’immigrants, nous vivions entre ciel et terre. Arslan est venu me voir une fois en Australie et je suis allé quelques fois le voir au Canada durant ces années. À chacune de nos rencontres nous parlions plus en turc qu’en anglais. C’était un plaisir d’entretenir cette vieille amitié et il me disait qu’il me
HOMMAGE |
Komo mos konosimos ? En el anyo 1954 tornando atras a Istanbul de Israel, un amigo de eskola, Zeki Ergas, me introdusio a Arslan. Eyos moravan en Tozkoparan i yo morava en Balat. Antes de ir a Israel, yo tambien morava serka de eyos. Entonses se puede dizir ke muestro entorno era mas o menos en los barrios Judios. Mos plazia a los 3 avlar en Inglez i pensávamos de ir un dia a America. Kuando Arslan i Zeki terminaron sus estudios de liseo, tuvimos de azer el servisio militar en la Armada Turka, kada uno a su torno. A Zeki i Arslan los izieron ofisieres porke tenian el diplom de estudios altos. Zeki se topo en Korea, Arslan en Erzurum i yo komo un soldado sin rango en Samsun. Despues del servisio militar, muestras vidas tomaron un otro torno. Tuve un tiempo kuando me enkontrava mas kon Arslan i mos vino la idea de partir al estranjero para amijorar muestras kondisiones de vida. Arslan keria irse a Los Estados Unidos para estudiar kimika. Zeki kijo azer sus estudios altos de ekonomia en Suisa. Yo pensava tambien de irme a Amerika i kuando vide ke no era posivle me fui a la Australia kon el ayudo de los Judios. En el tiempo ke yo i Arslan estavamos endjuntos mos vino la idea de aprender el kastelyano komo paresia tanto a muestra lingua.
connaissait mieux que ma famille. À la fin, quand vint l’heure de nous séparer, et même si notre amitié avait duré six ou sept décennies, je ressentis beaucoup de peine. Après tant d’années passées à l’étranger, j’avais pratiquement perdu tous mes vieux parents, mes amis, mes connaissances. Arslan n’avait plus personne non plus. J’avais connu son père, sa mère, sa sœur et il avait connu ma mère en Turquie. Ensuite j’ai fait la connaissance de sa femme et il a connu ma femme et mes trois enfants au Canada et en Australie. Arslan et sa femme étudiaient à l’université et ils aimaient sortir de chez eux pour prendre l’air et faire du jogging. Ils préféraient travailler moins et faire ce qui leur plaisait. Comme le climat du Canada ne leur convenait pas, ils passaient presque la moitié de l’année en Californie et au Mexique. Ainsi avaient-ils l’opportunité de vivre dans trois pays. Comment nous sommes-nous connus ? En 1954, alors que je revenais d’Israël à Istanbul, un ami d’école, Zeki Ergas, me présenta Arslan. Ils vivaient à Tozkoparan et je vivais à Balat. Avant d’aller en Israël, je vivais également près de chez eux. On peut dire que nous vivions plus ou moins dans les quartiers juifs. Nous prenions tous trois plaisir à parler en anglais et nous pensions nous rendre un jour en Amérique. Quand Arslan et Zeki achevèrent leurs études au lycée, nous dûmes, chacun à notre tour, effectuer notre service militaire dans l’armée turque. Zeki et Arslan furent nommés officiers, car ils étaient diplômés de l’enseignement supérieur. Zeki fut envoyé en Corée, Arslan à Erzurum et moi comme simple soldat à Samsun. Après le service militaire, nos vies prirent un nouveau tournant. Il fut un temps où nous nous rencontrions plus fréquemment avec Arslan et l’idée nous est venue de partir à l’étranger pour améliorer nos conditions de vie. Arslan souhaitait aller aux États-Unis pour étudier la chimie et Zeki désirait faire des études supérieures d’économie en Suisse. Moi aussi je pensais partir en Amérique et quand j’ai vu que cela n’était pas possible, je suis parti pour l’Australie avec l’aide des organisations juives. Au temps où Arslan et moi étions ensemble, l’idée nous vint d’apprendre le castillan qui paraît si proche de notre langue. Connaître une autre langue en plus de l’anglais m’a beaucoup aidé dans mon travail
Simon Geron effectuant son service militaire dans l'armée turque. 1957.
KAMINANDO I AVLANDO.35 | 3 |
| HOMMAGE
Konoser otra lingua ensima del Inglez me ayudo muncho en mi empiego en la Adjensia de Viajes « Turk.Ekspres » en Hilton. Vide ke los ke bivian en los paises oksidentales tenian mijores kondisiones de vida. Arslan al no pueder obtener lo ke keria, tomo un kamino similar al mio, imigrando al Canada kon el ayudo de los Judios. La amistad kontinuo kon Arslan i Zeki desaparesio kon sus estudios i profesiones, indo de pais en pais, a la fin kedando en Suisa. Izo su doktorado i avanso en la vida. Me tomo 40 anyos para enkontrarlo en Geneva, pero la amistad no era komo antes. Kuanto a Arslan, al prinsipio topo la vida dura en Canada i poko a poko topo lo ke bushkava i se kazo kon Becky ke venia del mismo pais. Yo tambien no pude obtener lo ke bushkava pero despues de munchos anyos topi un empiego en la Qantas ke me dio la okazion de viajar i ver el mundo. Me plazia siempre estar mas kon los imigrantes viniendo de otros paises. Tenia mas en komún kon eyos ke kon la djente lokal ke me paresían fríos de karakter. Gracias a esto topi mi mujer viniendo de Fransia i me kazi kon eya. Esto me enkorajo de ir a ver el mundo i de aprender linguas. En los ultimas anyos yegando a los 80, las oportunidades de enkontro se perdieron por razon de salud i paras. Aze unos anyos ke no vide a Arslan. Me akodro ke en el anyo pasado el me embio una karta eskrita de mano, felisitandome por la amistad ke topo en mi. Era komo si me avia dicho ADIO. Esto me sorprendió i no supe porke lo izo. Puede ser ke savia ke una koza no iva bueno en su salud. Despues del golpe, por mezes no supe si estava en vida. Me akodro ke tuve un sonyo, indo a verlo en Vancouver en su apartamento. La puerta estava serrada i le demandi a la vizina ande estavan los Palachis. Eya me disho : « Arslan se murio ». Ke estranyo ! En un otro sonyo fue el ke vino a vermos en Sydney i tenia el aire de uno muncho mas joven. Era imposivle de aserkarse de el. Sueto a Arslan repozo en Gan Eden. Saludes a todos.
| 4 | KAMINANDO I AVLANDO.35
à l’agence de voyage Turk Express de l’Hôtel Hilton. J’ai vu que ceux qui vivaient en Occident avaient de meilleures conditions de vie. Arslan ne parvenant pas à obtenir ce qu’il cherchait, prit un chemin similaire au mien en immigrant au Canada avec l’aide de la communauté juive. L’amitié se poursuivit avec Arslan, mais Zeki disparut absorbé par ses études et ses métiers, passant d’un pays à l’autre, avant de s’établir en Suisse. Je ne l’ai retrouvé que quarante ans plus tard à Genève, mais l’amitié n’était plus la même qu’avant. Quant à Arslan ses premiers pas furent difficiles au Canada, mais, petit à petit, il finit par atteindre ce qu’il cherchait et se maria avec Becky qui était originaire du même pays. Moi non plus je n’ai pas trouvé ce que je cherchais, mais après de nombreuses années, j’ai obtenu un emploi à la Quantas qui me permit de voyager et de voir le monde. J’ai toujours préféré la fréquentation des immigrants venant d’autres pays. Nous avions plus en commun qu’avec ceux du pays qui me paraissaient froids de caractère. Grâce à cela, j’ai fait la connaissance de ma femme qui venait de France et je me suis marié avec elle. Cela m’a encouragé à visiter le monde et à apprendre les langues. Ces dernières années, alors que j’atteignais les quatre-vingts ans, les occasions de rencontres ont disparu pour raison de santé et faute d’argent. Cela faisait plusieurs années que je n’avais pas revu Arslan. Je me souviens que l’an passé il m’a écrit une lettre manuscrite pour me remercier de l’amitié qu’il avait trouvée en moi. C’était comme s’il m’avait dit « adieu ». Cela me surprit et j’ignore pourquoi il le fit. Peutêtre savait-il qu’il avait un problème de santé. Après l’attaque, pendant des mois, je ne sus pas s’il était en vie. Je me souviens avoir fait un rêve : j’allais le voir à Vancouver dans son appartement. La porte était fermée et je demandai à la voisine où étaient les Palachis. Elle me répondit : « Arslan est mort. » Quelle chose étrange ! Dans un autre rêve, c’est lui qui est venu nous voir à Sydney et il avait l’air de quelqu’un de beaucoup plus jeune. Il était impossible de s’approcher de lui. Je souhaite à Arslan de reposer en paix au Gan Eden.
HOMMAGE |
Hommage à Solly Lévy
Solly Lévy devant la porte de sa maison natale au 25 Cuesta de la Alcazaba (Tanger, Maroc). Collection Solly Lévy
(1939-2020)
C’est avec beaucoup de tristesse que nous avons appris la disparition le 10 avril 2020 de Selomó (Solly) Lévy, co-fondateur de l’ensemble musical Gerineldo. Solly Lévy nous avait fait l’honneur de venir à Paris pour des spectacles où son talent, son humour, son charisme, sa capacité naturelle à jongler d’une langue et d’une culture à l’autre, ravissaient le public. Il avait partagé ses souvenirs d’enfance dans les pages de Kaminando i Avlando et dans un entretien en haketia avec Line Amselem filmé par Enrico Isacco. Solly Lévy est né à Tanger le 1er novembre 1939 d’un père originaire de Tétouan dont la famille avait émigré à Santa Fé en Argentine. Sa mère, Clara Frija était originaire de Tanger. Il épousa en 1963 une amie d’enfance, Madeleine Gavison, dont il eut deux enfants Claire et Eddy. Toute sa vie professionnelle fut consacrée à l’enseignement du français au lycée marocain de Tétouan, à l’école normale hébraïque de Casablanca et enfin dans un établissement de Montréal. Quelque temps après son arrivée au Canada en 1968, il rencontra un autre émigré du Maroc, James Dahan qui cherchait à développer des activités culturelles pour la jeunesse juive. Solly fonda en 1969 un chœur sépharade qu’il dirigea plus de dix ans. Il co-fonda ensuite le groupe Gerineldo avec Oro
Photothèque sépharade Enrico Isacco.
Anhory-Librowicz, Judith Cohen et Kelly Amar. Judith Cohen témoigne ci-dessous de cette aventure musicale au long cours. Nos pensées vont aujourd’hui à sa famille et à tous ses proches. Même s'il nous a quittés, la culture des Judéo-espagnols du nord du Maroc a été transmise et préservée dans ses enregistrements, ses disques et ses livres. En pas ke deskanse. Quand j’ai connu Solly, il y a quarante ans, je venais de commencer ma thèse de doctorat à l’Université de Montréal, sur la musique sépharade au Canada. Le professeur Samuel Armistead (1927-2013) m’avait présentée à son ancienne étudiante, la professeure Oro AnahoryLibrowicz, spécialiste du romancero judéoespagnol marocain. Oro avait été élève de Solly à Tétouan. Elle voulait créer un ensemble dédié aux chansons judéo-espagnoles du Maroc. Solly,
KAMINANDO I AVLANDO.35 | 5 |
| HOMMAGE
L'ensemble musical Gerineldo : Oro AnahoryLibrowicz, Solly Lévy, Kelly Sultan-Amar, Judith Cohen. Photographie : Stan Adams.
1. Gerineldo est le nom d’une romance sépharade populaire du Moyen-Âge relatant l’itinéraire insolite d’un jeune homme (NdR).
qui dirigeait la chorale sépharade Kinor a invité la soliste Kelly (Raquel) Sultan Amar. Mais Oro cherchait un quatrième membre, parlant l’espagnol, qui pourrait jouer des instruments traditionnels et chanter. C’est ainsi que par un beau matin de l’année 1980, Oro et Solly ont frappé à la porte de mon petit appartement plutôt bohémien du vieux quartier de Mile End ; ce fut la première réunion du groupe qui allait s’appeler « Gerineldo 1 ». Par la suite, le violoniste, oudiste et percussionniste Charly Edry s’est joint au groupe. Avec Gerineldo, on chantait, on répétait, et on voyageait : en Espagne, aux États-Unis, en Israël. Solly chantait, bien sûr, en exerçant son magnétisme légendaire sur scène, et en plus il créait pour nous des pièces de théâtre musicales en haketia, le judéo-espagnol marocain beaucoup moins connu que le judéo-espagnol ottoman aujourd’hui souvent appelé « ladino ». Il dirigeait ces pièces, tout en jouant plusieurs rôles, et il nous enseignait les expressions et la prononciation de la haketia qu’il aimait tant. Il proposait toujours
| 6 | KAMINANDO I AVLANDO.35
de nouvelles idées extraordinaires ; de plus, il m’a beaucoup aidée pour certains aspects de ma thèse de doctorat. Solly nous apprenait beaucoup, et il nous faisait rire – je me souviens de moments où nous, les trois femmes de Gerineldo, nous disions, en secouant la tête et en souriant : « Ah, oui, c’est le tempérament artistique de Solly. » Dans ses pièces de théâtre musical, Solly a inventé des personnages qui nous ressemblaient. Lui-même était, bien sûr, Selomó, le patriarche de la famille, dans un Maroc du début du XXe siècle. Nous étions nous-mêmes nos propres ancêtres : los d’embasho [ceux d’en bas], los mizhores de mozotros [les meilleurs d’entre nous]. Solly jouait également le rôle du médecin espagnol « moderne » et celui du gamin marocain qui apportait la dafina, le plat de shabbat, chez toutes les familles du quartier. Oro avait deux rôles : Maknín, la vieille grandmère qui suivait toujours la vie traditionnelle, et le petit-fils qui préparait sa bar-mitsva avec Selomó. Notre belle Kelly, qui n’avait jamais perdu l’accent andalou de sa ville natale de Melilla,
HOMMAGE |
était Tsiporá, la belle-fille – avec son accent andalou qu’elle préférait à la haketia. Et moi ? Ashkénaze, née à Montréal, anglophone, ethnomusicologue, quel personnage pouvais-je être ? À l’époque, pour mes travaux de recherche, je venais d’enregistrer Bouena Sarfatty Garfinkle 2, qui me chantait et me racontait sa vie à Salonique avant et pendant l’Holocauste. Donc, Solly a inventé le personnage de la tia Paloma, veuve de Salonique, qui parlait le judéo-espagnol oriental, et affirmait avec force que les chansons, la cuisine, les coutumes de « Selanik » valaient mieux que celles du Maroc. Solly était tout à fait dévoué à sa famille, à sa communauté, à sa culture. Madeleine voyageait souvent avec nous ; et leur fille Claire nous aidait souvent pour les préparatifs en coulisses. La toute première « performance » de ma fille Tamar Illana fut un bref enregistrement de ses pleurs à l’âge de deux ou trois mois que Solly m’avait demandé pour la scène de la naissance du bébé dans la première pièce qu’il avait créée pour Gerineldo : Ya Hasrá, que tiempos aquellos [C’est ce qu’il y aura en ces temps-là]. Tamar a été présente à presque toutes les répétitions et a commencé à chanter avec nous dès l’âge de cinq ans. Deux nièces d’Oro ont joué des rôles de temps en temps, et le mari et les fils de Kelly ne manquaient jamais une représentation à Montréal : Gerineldo était vraiment une famille. Après le décès prématuré de son mari en 1994, Kelly Amar n’avait plus le cœur de chanter sur scène et par solidarité le groupe a mis fin à ses activités artistiques. Ayant pris leur retraite en 2000, Solly et Madeleine ont déménagé à Toronto, pour y rejoindre leurs enfants et petits-enfants. Pour Solly, bien sûr, prendre sa retraite voulait dire prendre sans délai un rôle central dans sa communauté sépharade, et créer une série de nouveaux projets artistiques. D’un côté, il a collecté et enregistré les piyyoutim traditionnels du nord du Maroc ; en même temps, il a créé ses Sollyloquies/Sollyloquios multilingues qui provoquaient en nous des fous rires, et ses one man shows de Jizzofrenia – nom
basé sur un jeu de mots avec le terme judéo-arabe « khiz » qui signifie « carotte. » Entre maints projets, pour lesquels il a reçu de nombreux prix d’honneur bien mérités, Solly a traduit – et adapté – des extraits des pièces de Molière en judéo-arabe marocain/français québecois/haketia. Le Bourgeois Gentilhomme, par exemple, est devenu Le Boujadi Gentilhomme. Il a également adapté Pygmalion de Georges Bernard Shaw, avec toutes les chansons. Il a dirigé des classiques du théâtre québécois, en construisant des ponts entre les communautés juive et catholique du Québec. Je me souviendrai toujours d’avoir assisté à une répétition de la comédie musicale West Side Story qu’il avait adaptée au contexte francophone/anglophone de Montréal : chaque étudiant devait apprendre un rôle central, un rôle mineur et un rôle technique, pour se confronter à tous les aspects du théâtre. Au cours des années 2014 et 2015, Gerineldo s’est à nouveau produit à de brèves reprises. Solly a chanté aux concerts de Paris, pour la communauté juive marocaine, et ensuite à Toronto, à l’Alliance française. Pour ce dernier spectacle de Toronto, il y avait trois générations sur scène : Tamar avait déjà pris la place de Kelly, qui n’était pas disponible, et Matan Boker, le petit-fils de Solly, a ajouté sa belle voix aux piyyoutim qu’il avait appris de son grand-père adoré. Ce fut le dernier concert de Solly. Ses problèmes de santé l’ont empêché de retourner chanter avec nous au festival sépharade de Montréal qu’il avait contribué à fonder des décennies auparavant ; ou encore à Paris lors du festival des cultures juives. Sa longue maladie impitoyable ne lui permettait plus de réaliser les activités qu’il aimait tant, mais n’a jamais pu interrompre ses relations avec sa communauté, qui faisait tout son possible pour lui et sa famille ; et encore moins l’amour profond qu’il partageait à tout moment avec Madeleine, leurs enfants et leurs petits-enfants. Solly Lévy nous a quittés, le 10 avril 2020, durant la fête de Pessah.
2. Bouena Sarfatty Garfinkle (19161997), née à Salonique, était une partisane grecque pendant la Seconde Guerre mondiale. Ses mémoires et recueils de chansons, de proverbes et de vers sont de précieux documents sur la vie juive à Salonique. Elle et son mari ont immigré au Canada en 1947.
Judith Cohen
KAMINANDO I AVLANDO.35 | 7 |
| AVIYA DE SER… LOS SEFARDIM
Marie-Christine Bornes Varol
Aviya de ser… los Sefardim
Les tulumbadjis d’Istanbul Avec les hamales (les portefaix) et les kayekjis (les bâteliers), les tulumbajis ou pompiers bénévoles font partie du folklore des anciens quartiers d’Istanbul. Les voyageurs européens jusqu’au XXe siècle ne manquaient pas d’évoquer ces diables volants, dévalant les rues avec leur pompe d’opérette. Les compagnies étaient organisées par quartier et par communauté. Chacune arborait sa tenue : une chemise appelée mintan, des pantalons s’arrêtant sous le genou et des chausses ou kamerçin. Les chemises arboraient le signe distinctif de la troupe. Des guetteurs placés en hauteur, notamment à la kula (tour) de Galata, signalaient les départs de feu. Les troupes se faisaient concurrence pour arriver en tête au lieu du sinistre pour des questions d’honneur ou pour mieux tirer parti de la situation. Chaque rôle était codifié par la coutume qu’il s’agisse du porteur de lanterne, de tuyaux ou de sape. La plupart des pompiers volontaires exerçaient d’autres métiers, mais tiraient leur prestige de leur appartenance à la confrérie des tulumbadjis. Ils avaient généralement pour quartier général un café ou
| 8 | KAMINANDO I AVLANDO.35
AVIYA DE SER… LOS SEFARDIM |
Compagnie de pompiers volontaires d'Istanbul. L'insigne surmontant la pompe indique qu'il s'agit d'une troupe chrétienne. Photographie de Pascal Sebah. Estimée entre 1870 et 1899 Collection Pierre de Gigord. Getty Research Institute.
une taverne. Cette tradition a perdu son éclat en 1912 avec la mise en place d’un service de sapeurspompiers régulier et professionnel. Nous évoquons cette tradition à travers les pompiers juifs de Balat dont Marie-Christine Bornes Varol a recueilli le témoignage et des photographies issues de la collection de Pierre de Gigord.
Tulumbadjis de Balat Nous avons souvent évoqué dans cette étude1 les pompiers volontaires de Balat, très présents dans l’histoire quotidienne du quartier, et toujours à vaquer par les rues en raison de leurs multiples occupations. Certains d’entre eux furent à l’époque d’Abdùlhamit II parmi les plus célèbres. Les noms de Aron, du quartier de Sultanhamam Balat aryentro, qui sans avoir reçu aucune éduca-
tion composait et récitait de longs poèmes, celui de Fistikçi Nesim, danseur kôçek, et celui de David Reis ont survécu. Craints ou respectés, ils dictaient leur loi. Ils recevaient des subsides de la communauté et lorsqu’ils estimaient les gains insuffisants, ils se livraient à des manœuvres d’intimidation auprès des commerçants et créaient des troubles, forçant les autorités religieuses à intervenir pour arbitrer la querelle et mettre fin aux exactions. Nous avons vu s’affronter les compagnies de pompiers lors de troubles entre communautés, mais en dehors de ces événements, la rivalité était incessante entre équipes juives et grecques ou turques. Bien souvent, courant vers un feu, les pompiers de Balat croisaient ceux de Fener ou ceux d’Eyùp, des batailles rangées s’ensuivaient qui avaient pour enjeu le signe qui ornait la pompe à eau ou la lanterne. En effet, les Grecs
1. MarieChristine Bornes Varol, Balat, faubourg juif d’Istanbul. Les éditions Isis. Istanbul. 1989
KAMINANDO I AVLANDO.35 | 9 |
| AVIYA DE SER… LOS SEFARDIM
2. Diminutifs respectifs d’Eliyahu, Moshe et Yaakov. 3. kabadayi : fier-à-bras, bandit. 4. Surnom. Laz, désigne en turc les populations du bord de la mer Noire, « Kemal le Lâze ». 5. güzel : beau. Le surnom signifie « le bel Hasan ».
arboraient une croix, les Turcs un croissant et les Juifs une étoile de David. Le signe ou la lanterne dérobés étaient ensuite exposés dans le café qui servait de point de ralliement à la compagnie. Les pompiers juifs qui avaient en outre leur propre métier et quelquefois même des responsabilités dans la communauté au sein de la synagogue étaient également chargés d’enlever les morts et de les transporter au cimetière sur leur dos. Cela faisait partie de leurs obligations. Ils contribuaient donc pour une large part à la vie sociale du quartier.
6. kraliçe : reine. 7. dünya güzeli : reine de beauté. 8. cam : carreau, vitre. 9. On peut trouver en turc également forse dans le sens de « par force, exprès ». 10. zorla : de force. 11. boy : taille. 12. Abréviation pour entendites. 13. Al : prends. 14. garez (ou garaz) : haine, rancune. La construction atar garez est un calque du turc garez baglamak. 15. kollamak : surveiller. 16. (litt.) tetikte : sur la gâchette, en éveil, sur ses gardes. 17. « Si je ne frappe pas cet homme, je n’aurai pas de repos. » La construction correcte serait l’accusatif adami et non le datif adama qui correspond à la construction judéo-espagnole.
Embrouilles de pompiers Nous reproduisons ci-contre un extrait de l’entretien de Marie-Christine Varol avec Isak Azuz, l’un des pompiers volontaires du quartier de Balat. Izak Azuz, né à Hasköy en 1908, est venu s’établir avec sa famille à Balat, quartier des Échelles, à l’âge de huit ans. Inscrit à l’école de l’Alliance de Hasköy, et issu d’une famille très pauvre, il l’a peu fréquentée et n’a pratiquement aucune instruction. Assez jeune, il est devenu membre d’une compagnie de pompiers volontaires, qui formait une sorte de milice juive et faisait le coup de poing. Fréquentant les bas-fonds il avait des contacts avec les bandits grecs et turcs. Il s’est marié à Balat avec la fille d’un capitaine de pompiers et il y a vécu jusqu’en 1955, date à laquelle il s’est établi à Galata. Il a exercé plusieurs métiers, commis, épicier, portefaix, vendeur de rues et enfin laveur de morts pour la synagogue Neve Chalom. Il parle un judéoespagnol fortement empreint de turc et il parle à peu près correctement le turc quoiqu’avec un accent. Il ne connaît que les termes de français couramment utilisés en judéo-espagnol, mais comprend à peu près cette langue.
| 10 | KAMINANDO I AVLANDO.35
T
rez ermanoz aviya en Balat teníyamos. Liyá K., eran trez ermanos Liyá, Mochón, Yakó 2. Uno de eyos tomava sinko personas en la mano, kaliya ke salyeran hazinos. No saliyan bivos de él. Aviyan unos kuantos Turkos aryentro Balat. I eyos eran kabadayís 3 : Emrulláh, Şevki, Laz Kemal 4, Güzel Hasan 5. Verdaderamente ke la ermozura de esta persona, komo lo tyene el nombre : Güzel Hasan. Una kraliça 6 ke sale dünya yüzeli 7 ke dizen, él era el primer. Un chabad, este Liyá K. se hue a la meyaná de eyos. Teniyan meyaná eyos aryentro Balat. Estava bevido. Entró aryentro : « Azemé un duble rakí. » Le dyo el duble rakí. Bevyó. « Dame otro uno ! » Le dyo otro un duble. Bevyó otro un duble rakí. Kitó para i le pagó. Pagó el rakí, los dos dubles ke bevyó. Salyendo, (ke ya vino él bevido, ya bevyó en otro luguar), rompyó un djam 8. Sin kerer. No force 9, zorla 10. Vino, este Güzel Hasan : « Tu sos el kabadayí ke vinites akí a romper djam de mozotros ? » Tu vinites, no vinites, s’empesaron a peleyar. El no alevantó mano. Vino este Güzel
AVIYA DE SER… LOS SEFARDIM |
Hasan, travó un kutchiyo este boy 11. L’apanyó la mano, ansina se l’aboltó. Le tomó el kutchiyo de la mano. Tomó ansina : esto es la parte ke korta, tomó ansina, ende 12 ? Se lo partyó en dos. Seryozo es lo ke t’estó avlando. Se lo çafteó ansina. « Al 13, toma ! », le dicho, se lo çafteó en la kara. I salyó. I se hue. El, agora le ató garez 14, ke kale ke lo çaftee. Lo kolladó 15. El ya stá tetikte 16. Yine se apanyaron, pasó unos kuantos diyas. Yene l’estravó kutchiyo. El dicho, Güzel Hasan : « Bu adama vurmazsam rahat durmam 17 ». Yine se lo tomó el kutchiyo de la mano por sigunda vez, yine se lo rompyó. « Al ! », le dicho. Se lo arondjó ansina. No se keriya éste pelear. Pasaron unos kuantos diyas. Estávamos en la kavane, moz asentávamos djusto ahuera Balat. El kal ke ay afuera Balat ke te amostré enfrente… Ke es un meydan 18 ke aviya, ke ayí era la kavane de Avram Z. Era kon siyikas este modo, bachikas. Ama no teniyan d’arimar. Estávamos este modo asentados, estamos asperando mozos ke va vinir haber ke aviya fuego. I él está ayá asentado. Le vino por detrás, lo çafteó i fuyó. Vinyeron loz ermanos le korryeron ensima. No lo apanyaron. S’esparesyó. Se lo yevaron al ospital. – Ande ? – Al de mozós, de Balat. Vino Pulis. Kuálo le dize al Pulis : « Hayde sen git da, davací degilim, arkadasiz ! 19 » – No se kechó ?! – No egzistiya kecharse. Se fue. Estuvo etchado. El, agora s’está espantando, Güzel Hasan, ke en salyendo no va kedar bivo. Vino al reis 20 muestro de la tulumba 21 : « Yusef, azemos paz. Ya ize un kabahat 22 ». Se fueron a verlo. Déchalo ayá. No tengo dar i aver 23. « Ya me ago paz ! » El se kere azer paz. Avló a uno, avló a otro, dingunos no lo stavan akseptando. Todos están arefuzando. A la fin, a kén kayó avlar ? Aviya Aribí Chimón, un haham k’era mui nombrado. Ribbí Chimón Asayas. Kuando pasava por la kaye, por el karakol, el komiser se alevantava i le dava selam. Este karar de… Ande él se fue : « Hoca effendi, ayagini öperim, biliyorsun, biz cagiliz, böyle böyle 24 ». « Adam olmayacaksiniz bakalim ?! 25 », dicho. Se fue al ospital kaminando
entró aryentro. El está etchado ama ya se izo bueno ke ya va salir. « Chalom rebí ! », « Hayrola ! 26 ». Era mui mui mui savyo. Dicho : « Tengo un meldado akí, en el ospital. » S’asentó un poko, « Por modo de vos vine », « Bueno, kuálo ay ? », dicho. « Hasan va venir i te vaz a azer paz », « Ribí, él ke no se karisee ! », « A mí m’estáz avlando ?! Te vaz a azer paz o no ?! ». Bueno, no lo refuzó. Vino este Hasan, fue intchó dos ridas, al tyempo eran çevre 27 se yamavan, intchó de fruto, sigarros, kolonya, i se fue i se bezaron. S’izo paz. Kuando salyó del ospital lo invitó en la meyaná a bever Güzel Hasan, a la meyaná ke rompyó el djam. Agora « Acaba 28, dicho, karpelik 29 me va azerme ? me va azer. » Ké izo ? Kutchiyo no kulaneava. Se metyó un bokal de rakí vaziyo akí, se lo guadró akí, i vino a la meyaná, i loz amigos metyeron la meza, trucheron rakí, empezaron a bever i se izyeron paz.
Il y avait trois frères à Balat : Liya, Mochon et Yako 2. Un seul d’entre eux pouvait régler leur compte à cinq types et ils en ressortaient pas vivants. Il y avait quelques Turcs dans Balat et c’étaient aussi des durs à cuire : Emrullah, Shevki, Kemal le Laze, le bel Hasan. Vraiment la beauté de cet homme était aussi vraie que son nom. Une reine de concours de beauté comme on dit, il lui serait passé devant. Un shabbat, ce Liya K. a été à la taverne [des Turcs]. Ils avaient une taverne dans Balat. Il était saoul. Il entre [et dit] : « Sers-moi un double raki ! ». On lui donne un double raki. Il boit. « Donne m’en un autre ! » On lui en sert un autre. Il boit son autre double raki. Il a sorti l’argent, il a payé ses deux raki. En sortant, (il était déjà ivre après avoir bu ailleurs) il a brisé une vitre, sans le vouloir. Sans violence, sans le faire exprès. Arrive alors le bel Hasan en question : « C’est toi la racaille qui est venue casser une de nos vitres ? » Tu es venu, tu n’es pas venu, ils ont commencé à se quereller. Lui, [Liya] il n’a pas levé la main sur lui. Mais voilà que le bel Hasan a sorti un couteau grand comme ça. L’autre lui a attrapé la main, il l’a retournée comme çà et il lui a pris le couteau. Il l’a pris comme ça : là c’est la partie qui coupe, et il l’a pris ainsi tu comprends ? Il l’a cassé en deux. Sérieux !
Photographie page de gauche : M. Isak Azuz au jardin de thé de Galata. Istanbul 1980. Photo : M.-C. Bornes Varol.
18. meydan : place. 19. « Allez, va-t-en je ne porte pas plainte, on est amis. » 20. reis : chef, patron. 21. tulumba : pompe à eau. 22. kabahat : faute. 23. Tener dar i aver kon uno : être en relation avec quelqu'un. 24. « Monsieur le prêtre, je vous baise les pieds, vous savez, nous sommes des ignorants, ceci cela. » 25. « Est-ce que vous ne vous comporterez jamais en êtres humains (convenables, responsables) ? » 26. Hayir ola prononcé de la même façon en turc. Exclamation marquant la surprise : « Que se passe-t-il !? » 27. çevre : mouchoir brodé. 28. Acaba : Est-ceque par hasard ? 29. kahpelik : tromperie, perfidie.
KAMINANDO I AVLANDO.35 | 11 |
| AVIYA DE SER… LOS SEFARDIM
Compagnie de pompiers volontaires d'Istanbul. L'insigne de la Vierge indique qu'il s'agit d'une troupe chrétienne. Photographie Abdullah frères. Vers 1880. Collection Pierre de Gigord. Getty Research Institute.
Compagnie de pompiers volontaires d'Istanbul. Le croissant (ay yildiz) indique que l'on a affaire à une troupe de Turcs musulmans. Le bec du tuyau pouvait occasionnellement servir d'arme de poing. Photographie M. Iranian. Estimée entre 1870 et 1899. Collection Pierre de Gigord. Getty Research Institute.
| 12 | KAMINANDO I AVLANDO.35
AVIYA DE SER… LOS SEFARDIM |
Comme je te le dis ! Il le lui a balancé comme ça ! « Tiens ! Prends ! » et il le lui a jeté au visage. Il est sorti et il est parti. L’autre maintenant, il lui en veut à mort. Il doit absolument le frapper. Il le guette. L’autre il est déjà sur ses gardes. À nouveau, ils se font face, quelques jours plus tard. À nouveau, Güzel Hasan a sorti son couteau. Il s’est dit : « Si je ne poignarde pas ce type, je n’aurai pas de repos. » À nouveau, Liya lui a arraché le couteau des mains et pour la seconde fois il l’a cassé. Il lui a dit « Tiens, prends ça ! » et il le lui a jeté à la figure, pareil. Il ne voulait pas d’embrouille. Quelques jours ont passé. On était tous au café, on se tenait basés juste au bord du quartier, à Balat-Ahuera. La synagogue à la périphérie de Balat et que je t’ai montrée… là il y avait une place et le café d’Avram Z. Il y avait des petits tabourets, bas, comme ça, sans dossiers. On était là assis comme ça, à attendre qu’on nous prévienne d’un incendie. Liya aussi était assis là. Güzel Hasan est venu par derrière, il l’a poignardé et il s’est enfui. Les frères de Liya sont arrivés et l’ont poursuivi. Ils n’ont pas pu l’attraper. Il a disparu. Ils ont transporté Liya à l’hôpital. – Où ça ? – Au nôtre, celui de Balat. La police est venue. Qu’est ce qu’il a dit à la police, Liya ? : « Allez, va-t-en, je ne porte pas plainte, on est amis. » – Il n’a pas porté plainte ? Non, ça se faisait pas de porter plainte. Le policier est parti. Liya est resté à l’hôpital. Le bel Hasan, maintenant, il avait peur qu’en sortant, l’autre lui règle son compte. Il est allé trouver le capitaine de notre compagnie de pompiers : « Yusef je veux faire la paix. J’ai eu tort ». Ils sont allés le voir à l’hôpital. « Laisse-le là où il est. J’ai rien à faire avec lui ». « Je veux faire la paix ! » Il voulait vraiment faire la paix. Il a demandé à l’un, il il a demandé à l’autre. Personne ne voulait accepter d’intervenir. Tous refusaient. À la fin qui est-ce qui restait à qui il n’avait pas demandé ?
le bel Hasan est allé : « Monsieur le prêtre, je te baise les pieds, tu sais, nous sommes des ignorants, ceci, cela. ». Il a répondu : « Est-ce que vous ne vous comporterez jamais comme des êtres humains ? ». Sur ces mots, il s‘est rendu à pied à l’hôpital et il est entré. Liya était hospitalisé mais il allait mieux et il était sur le point de sortir. « La paix sur toi Ribí ! Que se passe-t-il ? ». Ce rabbin était très sage. Il lui a dit : « J’ai une oraison funèbre ici, à l’hôpital. » Il s’est assis un moment. « Je suis venu à cause de vous. » « Ah bon, et pourquoi ? » a dit Liya. « Hasan va venir et tu vas faire la paix avec lui. » « Ribí, ne vous mêlez pas de ça ! » « C’est à moi que tu parles sur ce ton ? Vas-tu faire la paix oui ou non ! » Il n’a pas pu refuser. Hasan est venu, il a rempli deux grands mouchoirs, on appelait ça des çevre à l’époque, avec des fruits, des cigarettes, de l’eau de Cologne, et il est allé le voir et ils se sont embrassés. Ils ont fait la paix. Quand Liya est sorti de l’hôpital, il a invité le bel Hasan à boire à la taverne, la même taverne où il avait cassé la vitre. Mais il s’est dit « Maintenant, est-ce que, par hasard, il va pas me tendre un piège ? » Qu’est-ce qu’il a fait ? Il n’utilisait pas de couteau. Il a pris sur lui une bouteille de raki vide qu’il a gardé dans sa veste, là, sous le bras, et il est parti à la taverne. Les amis ont mis la table, ils ont apporté du raki, ils se sont mis à boire ensemble et c’est comme ça qu’ils ont fait la paix.
Il y avait Ribí Shimon, un rabbin qui était très renommé. Ribí Shimon Asayas. Quand il passait dans la rue, devant le poste de police, le commissaire se levait pour le saluer. C’était à ce point-là… C’est chez lui que
KAMINANDO I AVLANDO.35 | 13 |
| EL KANTONIKO DJUDYO
El kantoniko djudyo
Les métamorphoses d'un conte Deux versions judéo-espagnoles du conte « Les trois cheveux d’or du diable » Le conte « Les trois cheveux d’or du diable » est connu sous de nombreuses variantes. Dans la classification des contes d’Aarne-Thompson, il correspond au conte-type AT 461, mais le début du récit s’apparente aussi au conte du destin AT 930 « La prophétie qu’un garçon pauvre épousera une fille riche ». En France, ce conte est surtout présent en Bretagne, mais on lui connaît aussi une version poitevine rapportée par Geneviève Massignon dans le recueil De Bouche à oreilles. La version des frères Grimm qui figure dans le premier volume des Contes de l’enfance et du foyer a été collectée en Hesse et dans la région du Main. Selon le folkloriste Antti Arne, les contes de ce type auraient une origine orientale. Dans les deux versions judéo-espagnoles que nous présentons ici, l’accent est mis sur l’inéluctabilité du destin et le récit est tronqué laissant de côté les trois questions et la quête de la richesse du diable. Cette seconde partie transposée se retrouve toutefois dans
| 14 | KAMINANDO I AVLANDO.35
EL KANTONIKO DJUDYO |
un autre conte judéo-espagnol du Maroc recueilli par Matilda Cohen Sarano. À noter que l’un des motifs du conte – le nourrisson livré à la rivière dans son couffin – évoque l’histoire de Moïse. Nous présentons ci-dessous un résumé du conte des frères Grimm suivi des deux versions judéo-espagnoles évoquées ci-dessus. Le fils d’une pauvre femme est né coiffé et on lui prédit d’épouser la fille du roi dès qu’il aura quatorze ans. Le roi passe au village et, en apprenant cette naissance et ce présage qu’il juge stupide, il se présente aux parents et leur demande, en échange de beaucoup d’or, de lui confier le nouveau-né. Le roi dépose le nourrisson dans une boîte, qu’il ne tarde pas à jeter à la rivière. La boîte ne coule pas, cependant, comme le roi l’aurait souhaité, mais elle flotte jusqu’à un moulin, où un commis la repêche. Découvrant le bébé, il court le montrer au couple de meuniers, qui, eux-mêmes sans enfants, décident aussitôt de l’adopter. Ils l’élèvent. Bien plus tard, le roi vient à passer par hasard par le moulin. Après avoir interrogé le couple, il comprend que le garçon qu’ils hébergent est celui dont il avait voulu se débarrasser. Il promet alors aux meuniers de donner deux pièces d’or à leur protégé si celui-ci apporte un message à la reine. Il rédige le message, qui dit que celui qui l’apporte doit être tué sur-le-champ, puis le confie au garçon qui, aussitôt, se met en route. Dans la forêt, il se perd, et il parvient à une petite maison. Il y trouve une vieille femme, qui l’avertit que l’endroit est un repaire de brigands qui le tueront s’ils le trouvent à leur retour. Le garçon est si fatigué, qu’il reste là et s’endort sur un banc. Les brigands reviennent, le voient, et interrogent la vieille, qui leur dit qu’il est porteur d’une lettre destinée à la reine. En lisant la lettre, ils s’en émeuvent et décident de la remplacer par une autre, disant que la fille du roi doit sans délai épouser le messager. Ils le laissent dormir jusqu’au matin puis lui rendent la lettre à son réveil en lui indiquant le bon chemin.
À son arrivée chez la reine, dès qu’elle a lu le message, les noces sont célébrées. Le couple est heureux et, quand le roi revient, il n’y comprend rien, demande à lire la lettre, et se rend compte de la supercherie. Le roi exige alors de son gendre qu’il parte en enfer et qu’il lui rapporte trois cheveux d’or arrachés de la tête du Diable. Le garçon né coiffé accepte sa mission sans s’effrayer, prend congé et se met aussitôt en route. Il arrive à la porte d’une ville où il est arrêté par un garde, qui lui demande s’il sait dire pourquoi la fontaine de vin du marché s’est asséchée. Le garçon répond qu’il en donnera la raison dès son retour, et poursuit son chemin. Dans une autre ville, on lui demande pourquoi l’arbre qui donnait des pommes d’or n’en fournit plus à présent et n’a même plus de feuilles. Le garçon fait de nouveau la promesse de l’expliquer quand il repassera. Il arrive ensuite devant un fleuve, où le passeur lui demande pourquoi il doit sans cesse aller d’une rive à l’autre sans que jamais personne ne vienne le relever. Le jeune homme fait la même promesse, et, dès qu’il a franchi le fleuve, il se retrouve devant la porte de l’enfer. Il entre, mais le Diable n’est pas là, et il ne trouve que la grand-mère de celui-ci, assise dans un fauteuil. Il lui explique ce qui l’amène. Elle l’avertit que si le Diable rentre et le trouve, il risque gros, mais elle promet tout de même de l’aider et, pour ce faire, elle le transforme en fourmi et le cache dans un pli de sa robe. La fourmi fait part à la grand-mère du Diable des trois questions qui lui ont été posées et la grand-mère lui dit de bien écouter au moment où elle arrachera les trois cheveux. Le Diable rentre alors chez lui et, immédiatement, sent la chair humaine. Il fouille dans tous les coins mais ne trouve rien. Une fois qu’il a bien mangé et bien bu, le Diable pose sa tête sur les genoux de sa grand-mère pour qu’elle lui cherche des poux. Il ne tarde pas à s’endormir et la grand-mère en profite pour lui arracher un cheveu, ce qui le réveille brusquement. La vieille lui explique qu’elle a fait un drôle de rêve et que c’est sans
KAMINANDO I AVLANDO.35 | 15 |
| EL KANTONIKO DJUDYO
1. L’un de ces devins qui lisent (l’avenir) dans le sable. 2. Son destin. 3. D’un éboueur (estierkol : ordures). 4. Cette année. 5. Villa, résidence d’été mais ici palais. 6. Soucieux, préoccupé. 7. Meurtrir, ronger. 8. Déguisé, travesti. Du turc, tebdil. 9. Un champ désolé. 10. Une cabane en zinc.
le vouloir qu’elle l’a tiré par les cheveux. Elle raconte alors le rêve, qui est en fait la première question posée au jeune homme à présent transformé en fourmi. Le Diable explique que dans la fontaine se trouve un crapaud caché sous une pierre et que, si on le tue, le vin se mettra de nouveau à couler. La grand-mère se remet à l’épouiller, attend qu’il s’endorme, lui arrache un deuxième cheveu, et lui pose la deuxième question. Le Diable explique qu’une souris ronge la racine de l’arbre et que, si on la tue, l’arbre donnera à nouveau des pommes d’or. Après arrachage du troisième cheveu, le Diable donne la réponse à la question du passeur. Celuici n’aura qu’à jeter sa rame dans les mains de la première personne voulant aller sur l’autre rive ; il serait libéré et l’autre devra prendre sa place. Le Diable s’endort alors jusqu’au lendemain et, quand il s’en va, la fourmi sort du pli de la robe de la grand-mère, qui lui redonne son aspect initial. Il reçoit les trois cheveux d’or et rentre chez lui. Après avoir traversé le fleuve, il explique au passeur ce qu’il doit faire pour être délivré. Dans la ville au pommier, en récompense de la réponse, on lui offre deux ânes chargés d’or, et dans la ville à la fontaine, deux autres ânes également chargés d’or. Le jeune homme né coiffé retrouve enfin sa femme. Quand le roi reçoit les trois cheveux d’or et voit les quatre ânes et leur précieux chargement, il se montre satisfait et estime que le jeune homme peut demeurer son gendre. Le roi lui demande cependant d’où vient tout cet or, et le jeune homme lui parle du fleuve qu’il a traversé et lui dit que, sur l’autre rive il y a autant d’or que de sable : un passeur est là ; il suffit de se donner la peine de traverser et on peut alors se servir à loisir. En apprenant cela, mû par sa cupidité, le roi part sur-lechamp en direction du fleuve. Là, le passeur le fait traverser mais, dès qu’ils sont arrivés de l’autre côté, le passeur lui jette sa rame dans les mains et s’éclipse. À partir de ce moment, c’est le roi qui est obligé de ramer sans cesse d’une rive à l’autre, et c’est sans doute ce qu’il fait encore à présent.
| 16 | KAMINANDO I AVLANDO.35
El kismet de la ija del rey Konseja recogida por Moshe Attias Avia de ser un rey. Este rey, kaminando un dia por la plaza, esta mirando uno de estos endevinos ke avren en la arena1. Vino el rey, le dicho : « Endeviname por mi, a ver kualo sale. » El endevino avrio, y esta mirando ke al rey le va naser este anyo una ija y su kismet 2 va ser el ijo d’un estierkolero 3. Ya avrio otra ves, sien veses, le salio lo mismo. El rey le dize : « Ke tienes ? De ke no me dizes kualo salio ? » El endevino le konto : « Ke ke le diga, sinyor rey ? Avri sien veses y kada ves sale ke oganyo 4 te va naser una ija y su kismet va ser el ijo d’un estierkolero ke va naser el mismo dia » Y le dio sinyales onde mora el estierkolero. El rey se atorno al konak 5 muy merekioso 6 d’esta novedad ke oyo y empezo a mashkar 7 los dedos : « Ah ! Este kismet va ser para mi ija tan dezeada ? » Despues se dicho de si para si : « Bueno, yo ya topo remedio ke no sea komo salyo al endevino. » Paso el anyo y la reina pario una ija, komo disho el endevino. Un poko después del parimiento lo disho el rey al vezir : « Ven mos vestiremos teptil 8 i iremos a ver onde mora el estierkolero y si en verdad le nasio un ijiko. » Fueron y vieron. El rey empezo a tomarle la kaveza al estierkolero y le disho : « Para ke kieres tu este ijiko ? Ya tienes muncho, ke te vivan, y no tienes para mantenerlos. Dame lo a mi an este ijiko, ke no tengo kriaturas, y te v’a dar munchas paras y te vo a enrikeser. » El estierkolero, povreto, viendose muncho estrecho y tuviendo munchas kriaturas – y las paras ke le dieron le taparon los ojos – les vindio el ijo. El rey enkargo a la kriatura y se hue kon el vezir. Salio ahuera de la sivdad y estuvieron kaminando aste ke vinieron en un kampo deskampio 9. En medio de akel kampo estan viendo una koliva en zingo 10. S’aserkaron y vieron ke detrás de la koliva avia un molino de agua.
EL KANTONIKO DJUDYO |
Mitieron ahí a la kriatura, al lado del karo del molino ke estava arodeando. Dospues harvaron 11 a la puerta de la koliva. Ahí moravan un viejo i una vieja. Le disho el rey a la vieja : « Aresevesh djente aki, solo por esta noche ? » « Komo no ? le disho la vieja, kon muncha onor. » Los resivieron y durmieron ahí akeya noche ; y antes ke amanisiera el dia 12, se alevantaron i se hueron. Le dize el rey al vezir : « Agora iremos a ver ke sea esta kriatura el kismet de mi ija. » A la manyana se alevanta la vieja y esta viendo ke el molino no esta kaminando. « Ke afito ? le dize al viejo. No esta kaminando el molino. Tantos anyos ke estamos morando aki, nunka s’aparo. » La vieja, ke mira bueno, esta viendo un bulto 13 en el molino. S’aserko y avrio el bulto, vido una kriatura durmiendo. La tomo en brazos y le dize al viejo : « Parese ke estos ke vinieron anoche no eran benadames : eran algunos andjeles ke el Dyo los mando. Ya savian ke no tenemos kriaturas, mo lo desharon aki i se hueron. » La vieja, de akel dia, estuvo kriando a la kriatura kon regalo grande. Y na 14 ke ya se izo un ijiko de dies anyos, los yamava « padre » y « madre » y eyos lo yamavan « ijo ». Un dia le dize el rey al vezir : « Te akodras de akeya kriatura ke deshimos ay anyos al molino ? Ke seria de el ? Kedaria vivo ? Ven iremos a ver. » El rey y el vezir se vistieron de dervishes y se hueron a la koliva del viejo i de la vieja. Kuando vinieron estan mirando un chikitiko de dies anyos ke esta ayudando al viejo y a la vieja y yamandolos « padre » y « madre » y eyos lo yamavan « ijo ». El rey ya entendio pishin ke el ijiko es la kriatura ke desharon al molino, ke kedo vivo, i se maraviyo 15 muncho. S’aserko el rey de la vieja i le demanda : « Mozotros venimos aki antes dies anyos i no teniash a ninguno ; de onde vos vino este ijiko ? » La vieja le konto el kuento entero : komo toparon una kriatura al molino, kon ayuda del Dio, lo kriaron i lo engrandisieron komo su propio ijo. El rey mira al vezir i el vezir mira el rey : « Ah ! dize el rey al vezir, iné 16 va ser el kismet de mi ija ? Esto no puede ser. Mira ver komo les tomas la kaveza kon munchas paras para demandarlo de
eyos » El vezir le dize a la vieja : « El ninyo parese lijero i meoyudo 17. Si se iya a la shkola i ambezava, se aziya benadam, iva tener avenir i vozotros ivas a ver bueno de el. Ma sosh proves i no puedesh ayudarlo. Por piadad por el ninyo, dameldolo a mozotros. Vos daremos munchas paras, vos vamos azer rikos i arepozash. El ninyo lo vamos a estudiar y va venir siempre a vervos. » El viejo i la vieja, oyendo esta boka dulse, se kanderearon 18 i achetaron : tomaron una buena suma de paras i les dieron el ijo. Lo bezaron i lo abrazaron i lo mandaron kon los dervishes. El rey y el vezir tomaron el ijiko por la mano i se lo yevaron. Kaminaron, kaminaron i vinieron en un kampo deskampio. Le dize el rey al vezir : « Agora esta todo en tu mano, mira a ver ke vas a azer por desbarazarmos de el ; la espada tienes kon ti. » Apenas entraron al kampo, kito el vezir la espada ; le dio dos tres kuchiadas al ninyo, ke kayo pishin en basho envuelto en la sangre. El entindio ke el ijiko ya murio, le disho al rey : « Ya eskapimos de el, vamos de aki. » Akeya noche kayo hazino el pacha de la sivdad ayi serka. Mandaron a yamar un mediko muy alavado, ke devia de pasar por este kampo. Kuando vino la karosa al kampo, se apararon los kavayos i no kieriyan kaminar. « Kualo ay ? », le demando el mediko al karosero 19. « Ay aki un matado. » El mediko abasho pishin de la karosa, tomo al ijiko en brazos i vido ke tiene ainda riflo 20. Lo entro a la karosa i lo yevo a su kaza. Lo alimpio la sangre, le izo bandaje ; i dospues ke lo aretorno i vido ke ‘sta repozado, lo desho i se hue a su echo. Vijito al pasha hazino i torno a su kaza a kuidar el ijiko. El mediko era ombre solo i asolado, i viendo ke el ijiko era tanto lindo i ermozo, lo tomo por ijo i lo estava kriando kon muncho regalo. Lo mando a las mijores eshkolas ; i el ninyo ke teniya meoyo, se adelantado muy bueno porke no le mankava nada. Se izo grande i ermozo mansevo. Tanto hue el estudio ke se izo mediko alavado i lavorava endjunto kon el padre. Un dia se deklaro guera. El rey se mitio a la kavesera de la armada para irse al fronte. El
11. Ils frappèrent. De l’arabisme en castillan ancien, ahavar. 12. Le lever du jour. 13. Un paquet. 14. Tiens, voilà. 15. Il s’étonna beaucoup. 16. Malgré tout, tout de même. 17. Vif et intelligent. 18. Se laissèrent abuser (du verbe kandesearse). 19. Au cocher. 20. Un dernier soupir.
KAMINANDO I AVLANDO.35 | 17 |
| EL KANTONIKO DJUDYO
21. Adoptif. 22. Les lèvres. 23. Mandataire, plénipotentiaire, régent. 24. Monta à cheval. 25. Un tour, une promenade. 26. Par esprit de contrariété, amour-propre (du grec).
kamino pasava por akeya sivdad ke estava el mediko ke lo teniya en amistad i el rey apozo a su kaza. Esta mirando un mansevo alto i ermozo lavorando kon el mediko i lo estava yamando « papa » i el mediko lo yama « ijo ». El rey esta maraviyado, porke savia ke el mediko no tiene ijos. Le demando el rey al mediko : « Yo ya sé ke no te kazates, d’onde te vino este ijo ermozo ? » El mediko le arespondio : « Verdad es lo ke dizes, sinyor rey ; nunka me kazi ; i este es mi ijo aporfijado 21. » I konto el kuento entero : komo lo topo una noche ferido al kampo, lo arekojo a su kaza i lo kuido asta ke sano ; i dospues lo aporfijo, le dio estudio i lo izo mediko alavado. El rey se modrio los mushos 22 i se disho de si para si : « Este va ser iné el kismet de mi ija ? No ! Kalé ke lo maté ! » Sin piedrer tiempo le dize al mediko : « Kiero ke me agas un plazer. Tengo de menester de una persona fiela para yevar una karta a mi palasio. Mesajero mas fiel de tu ijo no puedo topar. Achetas ke me aga este mandado ? » « De ke no, sinyor rey ? Ke sea tu esklavo. » Al punto se asento el rey i eskrivio una karta a su vekiel 23, ke esta en su lugar, diziendo : « Al punto ke vas a ver este mansevo ke te da mi karta, lo matas pishin y me mandas sinyal de su sangre. » Lo vistieron al mansevo komo un prinsipe, le dio el rey la karta en su mano i le disho : « No atornes sin repuesta an esta karta. » El muchacho, ke era muy ermozo i ke estava byen vestido, se izo una flama, se bineo al kavayo 24 i se hue azer el mandado del rey. Ya se izo de noche i el mansevo estava ainda por kamino. Kuando arivo a la sivdad, topo las puertas del konak seradas. Onde va pasar la nochada ? Ato el kavayo i se estiro en basho al lado una pared enfrente del konak. El balkon de la ija del rey era djusto enfrente del lugar onde se echo a durmir el mansevo. Akeya noche no le entro eshuenyo a la ija del rey i salio a dar un dolash 25 al balkon. Esta ke ve la luz aklarando la kara ermoza del mansevo, le disho : « Mansevo ! Sosh de los d’ariva o de los d’abasho ? » El mansevo l’arespondio : « So de los
| 18 | KAMINANDO I AVLANDO.35
d’ariva. Vine por un mandado del rey i trushe una karta para el vekiel. Topi las puertas del konak seradas. Manyana demanyana kuando s’avren se la v’a dar. » Le dize eya : « So la ija del rey i esto en kuidado por mi padre. Si t’echo una kuedra de ariva, me das la karta ? No t’espantes, yo se la v’a dar kon mi mano al vekiel. » « Porke no ? », le dize el mansevo. La ija del rey echo la kuedra i tomo la karta. Eya ke la avre i melda, se dize : « Loko esta este padre mio, ke ordena a matar este mansevo ? Porke razon ? Ke le izo ? ». Eya ke ya se aviya namorado del mansevo se disho : « Por pismas 26 lo vo azer i me vo kazar kon el. » Ke izo ? S’asento i eskrivio al vezir una karta kontra : « Kuando ves este mansevo ke te dé mi karta, lo kazas pishin kon mi ija i me mandas haber. » A la manyana le dio la karta al vekiel ; i este sin pedrer tiempo izo el komando del rey i le mando haber. El rey s’aranko los kaveyos de la barba, ma un punto dospues se arepozo i entendio ke no lo kulpa ninguno. Kizo pelear kon el kismet i hue vensido. I se konforto ke el muchacho es ermozo i sezudo i la ija venturoza. Lo tomo a pasiensia ; i atornando de la guera izo fiesta grande. Eyos tengan bien i mozotros tambien. Ce conte fut recueilli par Moshe Attias auprès de son père Daniel Attias (Salonique 1870 – Jérusalem 1938). Originellement manuscrit en caractères hébraïques solitreo puis retranscrit en caractères latins par le collecteur. Publication de la revue de l’Institut Arias Montano, Estudios Sefardies num. 1 – Madrid, CSIC, 1978.
EL KANTONIKO DJUDYO |
La ija del rey i el ijo del guertelano Konseja recojida por Matilda Koen Sarano
En una sivdad avía un rey i en otra sivdad avía un guertelano. Al mazal 1 parieron : la reyna parió una ija i la mujer del guertelano parió un ijo. Pasó tiempo : sinko anyos… dies anyos… el rey ke tenía la ija kijo saver ke mazal va tener su ija. Yamó al konsejero i le demandó ke mire en las estreyas kon ken se va kazar su ija. El konsejero suvió a la estreeríya i miró ke esta ija de rey se va kazar un… ijo de guertelano. Vino, se lo kontó al rey : « Sinyor rey, vuestra ija se va kazar kon el ijo de un guertelano, ke mora en fulán lugar 2 ! » « Ansina ? », disho el rey. « Esto ya lo arreglo yo ! » Pasó tiempo de esto. Un día lo yamó al konsejero i le disho : « Vas a ir ande el rey de fulán lugar i le vas a dar esta letra de mi parte. » « Bueno ! », disho el konsejero i se fue. Kuando el rey de akel lugar resivió esta letra, dishó : « Yamámelo al ijo del guertelano, ke kero avlar kon él. » Vino el ijo del guertelano. Le disho el rey : « Mira, mansevo, me vas azer un plazer. Vas a partir a tala sivdad. Te vamos a dar una letra ke la entreges al rey. » « Bueno ! », disho el mansevo, i salió a kamino. Desha kampo, toma kampo, el mansevo kayó muy kansado. S’asentó desbasho de un arvolé i kedó durmiendo. La letrizika la tinía afuera del jaketiko. Por ayí pasó Eliau anaví 3. Miró la letra. El ke mira ! Estava skrito ayá : « Sinyor rey, pishín 4
ke vesh a este mansevo, sin asperar tomalde la kavesa ! » S’espertó el mansevo al día. Se sta indo ande el rey : él no save nada. Arivó al saray del rey 5, lo arresivieron, kitó la letra, se la dio al rey. El rey meldó la letra. El ke melda la letra, vee : « Sinyor rey, pishín ke vesh a este mansevo kazaldo kon vuestra ija. No asperésh ! » Pishín s’izo la boda. Entre los musafires 6 vino i el rey de la otra sivdad, lo vido al mansevo, le disho el rey : « Kualo izites ?! Este es el ijo del guertelano ! Yo skriví komo me demandates tú : pishín ke vash a ver a este mansevo le vash a tomar la kavesa ! I tú lo kazates kon tu ija ! » Meldó el rey otra vez la letra, lo yamó al konsejero i le disho : « Ke kere dizir esto ? » Le disho el konsejero : « Sinyor rey, lo ke aze el Dio en los sielos, la tierra nunka lo enfasa. Esto era el mazal de vuestra ija ! »
1. Par chance 2. En tel endroit. 3. Le prophète Elie. On note que le prophète Elie prend ici le rôle des brigands du conte des Grimm ! 4. Aussitôt.
In Matilda Koen Sarano, De Saragosa a Yerushaláyim, Kuentos Sefaradís, Edisión Ibercaja, Saragosse, 1995.
5. Le palais du roi. 6. Les invités.
KAMINANDO I AVLANDO.35 | 19 |
| EL KANTONIKO DJUDYO
Chronique de la famille Arié de Samokov (suite) Nous poursuivons la publication bilingue de la chronique de la famille Arié de Samokov. Ce tapuscrit qui comprend plus de 2 000 pages en judéo-espagnol en caractères latins retrace la vie d’une famille de grands commerçants sépharades de Bulgarie du milieu du XVIIIe siècle jusqu’au début du XXe siècle. Bannie de Vienne par un édit impérial, la famille Arié s’est d’abord établie à Vidin en 1775, sur les bords du Danube. C’est là que le patriarche Moche A. Arié, soutenu par ses trois fils Samuel, Isaac et Abraham, développe avec succès un premier négoce. À sa mort en 1789, ses fils héritent du commerce qui est ruiné lors du pillage de la ville de Vidin par des troupes irrégulières. Sans ressources, les trois frères se séparent. Alors qu’Isaac demeure à Vidin, Samuel se rend à Tourno-Severin en Roumanie et Abraham M. Arié I part pour Sofia. Il y fait la connaissance d’un pharmacien juif, M. Farhi, qui l’embauche et ne tarde pas à lui confier la gestion de son commerce où se rendent des notables turcs. Il y rencontre un jour l’Agha Mehmed Emin de Samokov qui lui confère le titre de fournisseur officiel et lui permet ainsi de s’installer et de commercer dans sa ville où il devient vite un notable apprécié des habitants et de ses coreligionnaires.
| 20 | KAMINANDO I AVLANDO.35
EL KANTONIKO DJUDYO |
5559 En este anyo de 5559, la Bulisa Buhuru, pario el kuatren ijo i sigun ke los paria a todos los otros tambien fue i kon este eya era muy sana i rezia asentada en la kama de mizmo fue etcho la kama alta muy bien adornada1 kon brozlados ansi de mizmo i la vijitaron seya los ombres ansi i las mujeres i todos los prezentes ke se le mandava en las otras vezes ke paria fue mizmo i agora i en el dia del Birkad-Mila, fue etcho de mizmo komo i en todos los otros sin nada mankar i eya tambien lo aletcho i lo krio i tambien kudiarlo i velarlo el nombre lo yamaron Haim, la parida fue muy bien sana i buena denpues ke se levanto de la kama ma el ijo fue muy flako i nasio muy minudo, los dezeos seya del S-r. Abraam, I. seya i el de la Bulisa Buhuru eran ke kerian i una ija tener, i non parir mas ma non fue ansi i esto tambien el Dio, ya los iva a kontentar solo ke mas denpues.
Olgansas del enveranada i del envyernada Sigun ke lo tengo eskrito sovre el komporto de el S-r Abraam, I. ke era muy bonatcho i muy plazentero i sovre lo todo ke era muy kuriozo, nunka non trokava sus kualidades, era siempre de une forma lo plazia siempre de non estarse en vazio2, kon los etchos de su butika era muy puntual non dechava la koza de oy para a la maniana, era el mizmo ke se lo lavorava, i era muy pasiensiozo, por nada non se araviara, seya en la plasa komo tambien i en kaza, amava muntcho a su mujer i sus kriaturas, i los kontentava kon todo ke les deziava(n) sus almas, por todo esto ke lo veniya al tino non dava de pasada3, siempre buchkava de reintchirlo era ke alguna vez deziava komer unos yuvetchis en el kampo, sin tadrar iva i las dechava azer de algun guizandor i kuando ya eran prontas se alkilava un karo de vakas i se iva a kaza tomava a su mujer i kriaturas i se suvian todos i se ivan en los kampos lechos de la sivdad komo una ora, i se asentavan i kantavan i se kaminavan i denpues
5559 [année civile 1798/1799] En 5559, madame Buhuru donna naissance à un quatrième fils ; l’accouchement se passa aussi facilement que les précédents et elle se trouva assise dans son lit, saine et forte. Cette fois encore on prépara le lit en le surélevant et en l’agrémentant de broderies ; les femmes comme les hommes vinrent en visite et lui apportèrent tous les mêmes présents que lors des accouchements précédents. Il en fut de même le jour de la Brit-Mila sans que rien ne soit oublié. Elle l’allaita, l’éleva, le veilla et prit soin de lui. On lui donna le nom de Haïm. L’accouchée se rétablit vite après avoir quitté le lit, mais l’enfant était né très faible et resta très diminué. Madame Buhuru et M. Abraam I auraient voulu avoir une fille puis ne plus avoir d'enfant. Il n’en avait pas été ainsi et ce n’est que plus tard que Dieu allait combler leurs vœux.
1. Le texte mentionne adenada que nous avons corrigé en adornada conformément aux autres occurrences de la chronique. 2. Estar en vazio : divaguer 3. Dar de pasada : ne pas tenir compte
Parties de campagne et sports d’hiver J’ai déjà écrit que M. Abraam était d’un naturel calme et agréable et surtout qu’il était très curieux. Ses qualités ne changèrent jamais, il était toujours le même et n’aimait pas battre la campagne. En ce qui concerne ses affaires à la boutique, il était très ponctuel et ne remettait pas les affaires du jour au lendemain ; c’était lui-même qui s’en chargeait. Il était très patient et rien ne le mettait en colère que cela soit en ville ou à la maison. Il aimait beaucoup sa femme et ses enfants et satisfaisait à tous leurs désirs ; il ne fermait pas les yeux sur ce qui leur passait par la tête, il s’efforçait toujours de les combler. Une fois, il leur prit l’envie d’aller manger des feuilles de vigne aux champs. Sans perdre de temps, il partit les faire préparer par un cuisinier et quand elles furent prêtes, il loua une charrette à bœufs et se rendit à la maison prendre femmes et enfants. Ils montèrent tous et s’en allèrent par les champs à environ une heure de la ville. Ils s’assirent, chantèrent, se promenèrent et puis mangèrent. Quand il se fit tard, ils remontèrent dans la charrette et, ils rentrèrent en chantant à la maison joyeux et satisfaits. Cela se passait en été. L’hiver également, il arrivait
KAMINANDO I AVLANDO.35 | 21 |
| EL KANTONIKO DJUDYO
Chariot turc. Photographie M. Iranian. Est. 1870-1900. Collection Pierre de Gigord. Getty Research Institute.
4. Aresvaladeras : des pentes glissantes 5. Katires : du turc katır mule, monture. Ici des luges. 6. Naltchas : fer à cheval. 7. Chainikas, du bulgare шейна : traîneau, luge. 8. Kaikitos : petites barques.
komiyan, i kuando ya se azia tadre se suvian de muevo al karo i kantando se veniyan a kaza gustozos i alegres esto era kuando era por el enverano, i kuando era por el envierno, tambien azia ke se alkilava un karo i se suvian todos i se kaminavan por los entornos de la sivdad, i se veniyan a kaza, i kon ansi kozas se azia su plazer i en mizmo tiempo los kontentava a toda la djente de su kaza, ke lo todo era para ke tuvieran de kontar unos kuantos dias sovre esto, i ke estuvieran gustozos, el por si mizmo, por el invierno kuando pasava por algun lugar ande avian aresvaladeras4 i los ijikos ke se estavan aresvalando kon sus katires 5 ke eran enklavados de naltchas 6 de fiero se adjuntava i el kon eyos, i se arezvalavan djuntos, esto era kon los pies, aviya tambien, ke los ijikos, teniyan los unos unas tchikas chainikas 7 i los otros unos kaikitos 8 pizando ensima de unos guesos, i se asentavan ensima de eyos, i ensima las inieves de un yokuch, se soltavan para abacho i se ivan aresvalando esto mizmo lo azia i el S-r Abraam, I. ke se tomava
| 22 | KAMINANDO I AVLANDO.35
qu’il loue une carriole où ils montaient tous et allaient en promenade aux environs de la ville puis rentraient à la maison. C’est ainsi qu’il prenait son plaisir et en même temps comblait tous ceux de sa maisonnée pour qu’ils puissent un de ces jours avoir le plaisir d’en parler. Quand l’hiver venait et qu’il passait par un de ces endroits pentus où les enfants se laissaient glisser avec leurs luges sur lesquelles étaient cloués des fers à cheval, il se joignait à eux et ils dévalaient ensemble la pente en s’aidant des pieds. Les enfants avaient les uns, de petits traîneaux, et les autres, de petites barques reposant sur des os. Ils s’asseyaient dessus au sommet d’une côte enneigée et se laissaient glisser jusqu’en bas. M. Abraam I faisait de même : il empruntait à l’un des enfants une barque ou un petit traîneau, s’asseyait dessus, et se laissait glisser sans aucune honte. Beaucoup de gens le voyant ainsi en restaient bouche bée. Cette histoire de glissades vint jusqu’aux oreilles de l’Agha Mehmed Emin et en le voyant le matin, il lui demanda en riant : « Comment se fait-il que tu n’aies pas honte d’aller dévaler les
EL KANTONIKO DJUDYO |
de uno de los ijikos, seya un kaik, or seya una chainika i se asentava i se iva aresvalando, sin ke se avergonsara de dinguno, ke muntcha djente ke lo viyan se kedavan mirandolo i se maraviyavan, ke esto de arezvalar, lo supo el S-r de Mehmed Emin Aga, i a la maniana ke lo vido le demando en riendose, komo viene a ser ke non te avergonstates de aresvalarte kon las kriaturas, kon esta barva i la boneta, su repuesta fue, lo primero de todo es, ke so kuriozo, i la sigunda es ke me plaze aprovar por ver si es ke i yo lo puedo azer, i kuando ya lo ago mi es un grande plazer, es ke esto tambien lo aziya muntchas vezes i kuando era envierno i de mizmo se tomava un karo i se suvian todos i se kareyavan, por los entornos de la sivdad, ansi lo azia i kuando avian inieves grandes ke esto en akeyos tiempos era kuando la primera inieve ke kaiva mas non aviya deritir esta primera, otro ke ansi iva azer ke kuando otra inieve iva a kaer va azer ensima de esta i ansi era en el envierno entero, ke ivan kayendo las inieves una ensima de la otra, i se entchiyan kon metros de altura, iva a ser denpues del 15 marso ke enpesava a deritir i turava fin al mes de serka el kavo de April, era tambien ke en ansi tiempos se alkilava una chaina i todos eyos se suvian i se kareyavan kon la chaina por ensima la inieves.
Shenas de una boda tzigana en la meyana Komo su karakter era alegre i kuriozo ke ya era muntcho, fue un dia ke supo ke iva aver una boda de un zingano i ya lo viya ke denpues de kuando eyos los zinganos teniyan bodas ke los pasavan para la polisia i detras de eyos se ivan i las zinganas i sus kriaturas kual deskalso i kual deznudo i kual deskaveniado, todos a la una gritando, i era ke el novio kombido a todos los zinganos a la boda i les dio a komer i bever en la meyana i todos se enboratchavan, porke non era kon kuento el bever, i savido ke ya es, ke denpues de la boratches se rebiven pleitos sovre todo en los zinganos ke se haravan, i se arezgunian, i los kavos la polisya
pentes en compagnie des enfants avec cette barbe et ce bonnet de rabbin ? » Il répondit ainsi : « Tout d’abord je suis curieux, et, ensuite cela me plaît d’essayer pour voir si, moi aussi, je suis capable de le faire et quand je le fais, je suis très heureux. » C’est quelque chose qu’il faisait souvent l’hiver, il empruntait une charrette, ils montaient tous à bord et se promenaient aux alentours de la ville. Lorsqu’il y avait de fortes chutes de neige, la neige ne fondait plus, de sorte que la couche de neige qui suivait s’ajoutait à la première et ainsi de suite durant tout l’hiver, les couches de neige s’accumulaient les unes sur les autres jusqu’à atteindre plusieurs mètres d’épaisseur. Elles commençaient à fondre à partir du 15 mars jusque vers la fin du mois d’avril. Durant cette période, ils louaient un traîneau, tous montaient dessus et se promenaient sur la neige.
Scènes d’un mariage tzigane à la taverne Comme il était d’un naturel joyeux et qu’il était très curieux, il apprit un jour qu’un mariage tzigane devait avoir lieu. Il avait déjà vu que lorsque les Tziganes célébraient leurs noces, ils finissaient à la police et qu’à leur suite allaient les femmes tziganes et leurs enfants, celle-ci déchaussée, celle-là dénudée, cette autre échevelée, toutes vociférant ensemble. Le fiancé invitait tous les Tziganes à la noce, leur offrait à boire et manger à la taverne et tous se saoulaient, car la boisson était offerte. Sachant que l’ivresse ravive les disputes surtout chez les Tziganes qui se frappent et se griffent de sorte qu’à la fin la police enfermait l’un et frappait l’autre. Il arrivait très souvent que même le fiancé passe la nuit de noces en prison. M. Abraam I sachant tout cela, décida d’aller à ce mariage. Il savait quelques mots de tzigane. La mère du fiancé venait les nuits de shabbat éteindre les bougies et les jours de shabbat en hiver, elle leur allumait le feu. Ils l’invitèrent de bon cœur et il se rendit à cette noce dans une taverne de Tziganes. Il fut très bien reçu ; cela représentait un grand honneur pour tous les Tziganes. Ils étaient tous là avec leurs femmes, leurs mères, leurs enfants, dans leurs tenues et dispositions coutumières. Il s’assit avec eux et ils commencèrent à apporter le raki. Après avoir mangé, ils commencèrent à
KAMINANDO I AVLANDO.35 | 23 |
| EL KANTONIKO DJUDYO
9. En tzigane. 10. La danse est le horo (хоро en bulgare) qui désigne une danse collective traditionnelle des Balkans. Cette danse dont il existe beaucoup de déclinaisons différentes se danse en ligne ou en cercle, le meneur agitant un mouchoir coloré. 11. La nourriture et le vin servis par les Tziganes n'étant pas casher. 12. Aigara, du turc yaygara : vacarne, clameur, raffut. 13. Paftas du turc pafta : plaque de métal ici en argent.
Danseuses bohémiennes. Sebah & Joaillier. Vers 1880. Collection du monde ottoman de Pierre de Gigord. Getty Research Institute.
ke los va a kual enserarlo i a kual harvarlo ke muntchas vezes akontese ke en la notche mizma de la boda lo enseran i al novio, el S-r Abraam, I. esto todo saviendolo, se detchizo de ir a esta boda ke unas kuantas palavras en zinganesko9 ya savia, i la madre de este novio ke les veniya las notches de Chabat por amatar las kandelas, i en los dias de Chabatod de el envierno ke les atchava lumbres, i kombedar ke ya lo kombido, se fue a esta boda en una meyane de los zinganos, i fue muy bien resivido ke les fue grande onor, a todos los zinganos, ke ya estavan kon sus mujeres, sus madres, sus kriaturas, sigun ditcho sus vestimientas i sus komportos, i se asento kon eyos djunto i enpesaron a traer i a el raki, i denpues ke komieron, enpesaron a bever vino, i baila a horos10, i el S-r Abraam, I. ke ya se yevo su komania i bevienda11, iva i el tambien kumiendo i beviendo, i kon eyos djuntos iva i bailan i saltando en los horoske bailavan, i en este tiempo tambien sigun uzo de los zinganos, ke avlan i gritan todos a la una sin estanka seya los ombres komo tambien i las mujeres i las kriaturas, en una aigara12, Hala, Hula i van beviendo sin estankar, a de una les salio un pleito, ke era esto lo ke keriya ver el S-r Abraam, I. i de tanto ke buchko a poder saver de ande vino a naser el pleito non lo pudo alkansar a saver, porke los gritos las aigaras eran ke se estavan sintiendo a una ora de lechura, i en este tiempo a arivo la koza ke se enpesaron i aharvar kon las manos, el S-r Abraam, I. ke ya izo su dezeyo, buchko el molde para salirse de la mehane, i kon muntcho mal se salio i se vino a kaza, i le estuvo kontando a su mujer todo esto ke le paso en la boda, i a la maniana sigun uzo ke ya los yevan a la polisia, vino el etcho a ke lo yamaran tambien i al S-r Abraam, I. para ke deklarara el etcho mas mijor i el S-r Abraam, I. lo deklaro todo lo ke vide i ke era i el tambien uno de los kombedados, i kondenaron a los piliantes a kual prezo i kual moneda, sigun eskrito mas antes, el prezente ke le yevo a la novia, el S-r Abraam, I. fue unas paftas de plata 13 en un kuchak de kuero lavrado komo estos ke yevan las kazalinas, kon 50 aspros de
| 24 | KAMINANDO I AVLANDO.35
boire du vin et à danser ensemble. M. Abraam qui avait apporté de quoi boire et manger, mangeait, buvait lui aussi, et, dansait, sautait à chaque ronde avec eux. Selon leur coutume, les Tziganes parlaient et criaient sans cesse à l’unisson, les hommes comme les femmes et les enfants piaillant : « Hala, hula » et ils buvaient sans arrêt. Une dispute éclata entre eux et c’était justement ce que voulait voir M. Abraam I, mais il eut beau chercher à savoir d’où était née la querelle, il ne put y parvenir, car les cris, les clameurs étaient tels qu’ils s’entendaient à une heure à la ronde. C’est alors qu’ils commencèrent à en venir aux mains. M. Abraam I dont le désir était déjà satisfait chercha le moyen de s’extraire de la taverne, et, avec beaucoup de mal, il en sortit et rentra à la maison où il raconta à sa femme tout ce qui lui était arrivé à la noce. Le matin, comme de coutume, la police les avait embarqués et on vint chercher aussi M. Abraam I afin qu’il éclaircisse l’affaire. M. Abraam leur dit tout ce qu’il avait vu et qu’il était lui-même l’un des invités. Ils condamnèrent les adversaires, l’un à de la prison, l’autre à de l’argent comme je l’ai déjà écrit. Le cadeau que M. Abraam offrit à la mariée était des plaques d’argent sur une ceinture de cuir ouvragée
EL KANTONIKO DJUDYO |
paras ke esto fue muy grande prezente, esto todo lo alkanso a saver, el S-r de Mehmed Emin AA. i el S-r Abraam, I. ke ya le iva al menos en kada sigundo dia, fue ke le demando el Mehmed Emin AA. en riendose, komo viene a ser tu ke vaigas a la boda de los zinganos ? Su repuesta fue, diziendole, mi S-r yo fue kombedado, i tambien ke kije ver komo es ke se alegran los zinganos en sus bodas, i al kavo tambien ke les salen los pleitos, porke los veigo pasar, siempre la zinganaria 14 entera, kon sus mujeres i sus kriaturas, todos a la una gritando para la polisia i me maraviava por kualo ke se peliaran i agora ke ya lo vide, me konvensi por esto ke les salen los pleitos, lo todo tambien riendosen todos los 2, i el AA le dicho sos muy kuriozo, Evet Efendim se bezo la mano, i denpues en muntchas vezes le demandava el AA tambien riendose a Abramatche Baziryan non as ido a algunas bodas de los zinganos ? de esta manera de kozas ya van a enkontrar en diferentes formas ke lo azian non solo el S-r Abraam, I. ya lo izieron i los denpues i de el, de esto mos podemos enbezar komo de karakteres teniyan, i ke non travavan de parte el orgoyo i amorosos para saver de lo todo.
comme celles que portent les paysannes avec 50 aspres en argent ce qui représentait un très grand cadeau. Tout cela parvint aux oreilles de l’Agha Mehmed Emin et comme M. Abraam I allait lui rendre visite au moins un jour sur deux, l’Agha lui demanda en riant : « Comment se fait-il que tu ailles à la noce des Tziganes ? » Il lui répondit en disant : « Mon seigneur, il se trouve que j’ai été invité et que je voulais voir comment les Tziganes s’amusent lors de leurs noces et, comment à la fin ils en viennent à se disputer, car je vois toujours passer toute la tziganerie avec femmes et enfants, tous criant d’une seule voix en allant à la police. Je me demandais pour quelle raison ils se querellaient et, maintenant que je l’ai vu, je tiens pour sûre la raison de leurs disputes. » Tous les deux riaient de bon cœur et l’Agha lui dit : « Tu es bien curieux toi ! » « Oui votre Grâce ! » et il lui baisa la main. Par la suite, l’Agha demandait très souvent en riant à Abraam le marchand : « Tu n’aurais pas été à quelques noces de Tziganes ? » Ce genre de choses, vous verrez que non seulement M. Abraam I, mais encore ses descendants les pratiquaient de différentes façons. Nous pouvons ainsi connaître leur caractère et qu’ils ne sacrifiaient pas à l’orgueil leur amour de la connaissance.
5560 Aventuras en el Zahara
5560 [année civile 1799/1800] Aventures au Sahara
En este anyo de 5560, el S-r Abraam, I. en el anyo ke paso ke non fue a Kostan, penso ke seriya bueno de ir el mizmo a Kostan, por ke puede ser avran algunos trokamientos seya en los presios komo tambien i en los artikolos i tambien avran algunos i muevos, i esto kalia ke se lo iziera saver al S-r de Mehmed Emin AA i en una demaniana ke le fue, le dicho ke lo alesensiara por ir a Kostan por azer algo de empleos para su butika, i en mizmo tiempo, ke le komandara por merkarle i algunas kozas ke el las keriyas, i la lisensia le fue dada i en mizmo le komando i algunas kozas ke el las kiriya i tambien i para su harem i entre sus avlas le demando el AA komo le van sus etchos i si es ke se topa kontente de la venida ke se vino 15 a Samokov, i el S-r Abraam ke estava asentado de rodias
En 5560, M. Abraam qui n’avait pas été à Constantinople l’année précédente se dit que ce serait bien qu’il s’y rende, car il se pouvait que des changements soient intervenus dans les prix ou dans les articles et que soient apparues des nouveautés. Il fallait qu’il le fasse savoir à l’Agha Mehmed Emin et un matin, en allant chez lui, il lui demanda l’autorisation d’aller à Constantinople faire quelques achats pour sa boutique et de lui passer commande à cette occasion des choses qu’il voulait. L’autorisation lui fut accordée et, en même temps, il lui passa commande de ce qu’il souhaitait pour lui et pour son harem. En conversant, l’Agha lui demanda comment allaient ses affaires et s’il se trouvait satisfait d’être venu à Samokov. M. Abraam qui était assis à genoux devant lui, se mit debout, lui baisa le pan de sa robe et les pieds et lui dit qu’il était très content de sa
14. La « tziganerie » comme il existe la gregaya, la « grequerie », le quartier des Grecs. 15. De la venida ke se vino : ladinisme, formule de style calque de l'hébreu.
KAMINANDO I AVLANDO.35 | 25 |
| EL KANTONIKO DJUDYO
Chameaux au désert. Égypte. Vers 1890. Collection orientaliste Ken & Jenny Jacobson. Getty Research Institute.
16. Lagap arabisme du turc osmanli lakab : surnom, sobriquet, nom de famille.
delantre de el, se levanto en pies i fue le bezo la alda, i los pies i le dicho, ke en su vida buena, se topa muy kontente, i mas muntcho de esto ke el lo esperava, ansi le rogo en de muevo bezandole los pies porke lo protejara i lo ayudara kon buenos ojos sigun fin agora i ke non se ulvidara de el, i por sus ijos denpues de el, i el AA le dicho ke se gusta sovre esto ke ya se topa kontente, en riendose, Ha, Ha, Ha, i denpues le demando ke kere dizir esto ke tiene por lagap16, (alkunya) Arie, i el S-r Abraam, I. ke ya saviya bueno avlar i dar a entender, le konto, porke i el AA tambien era kuriozo para saver i le plazia sintir, i le dicho ke tiene sentido de sus padres, sovre esto ke vinieron a yamarsen Arie ke es, de unos kuantos seklos antes muestros avuelos ke eran merkaderes unos de los grandes, i a razon de sus merkansias era ke viajavan en los lugares lechanos, i entre uno de sus viajes les kalia ke pasaran por el dezierto de Zahara.
Las tres rasas de gameyos La manera del viajar por los deziertos, era ke avian unas kompaniyas de merkaderes ke enpatronavan a 400-500 gameyos, i esto es lo ke se yama karavana i en sus lugares ke ya teniyan apropiado, kada viajador se iva eskriviendo, kon ke pagava la taksa ke ya era fiksada, i ya teniyan tambien fiksado la data ke va a partir la karavan, i aparte de los yevadores de los gameyos, aviyan tambien i 4-5 personas ke estos ultimos eran los amostradores de los kaminos ke konosiyan los lugares ande van a ir, lo mas muntcho era ke konosiyan los aires de kuala parte suplavan, por razon sigun savido ke el dezierto, es una mar de arena, i los aires fuertes ke azen, levantan kantedades komo de muntanias grandes enteras del un lugar al otro i puede afitar en ansi aires ke los toma adebacho a todos los viajadores, i mas estos amostradores konosiyan las bramas i los gritos de los leones i otras alimanias malas ke se enkontran en el dezierto, i se savian defender, aparte de kada uno por si de lo ke se prontavan, seya komania komo tambien i agua, era i de parte la kompania
| 26 | KAMINANDO I AVLANDO.35
bonne vie et que c’était beaucoup plus qu’il n’en espérait. Il lui demanda de nouveau en lui baisant les pieds de le protéger et de l’aider de façon bienveillante comme jusqu’à présent et qu’il ne l’oublie pas lui et ses enfants après lui. L’Agha lui dit en riant : « Ha ! Ha ! Ha ! » que cela lui faisait plaisir de voir qu’il se trouvait content et ensuite il lui demanda ce que signifiait le nom de famille Arié. M. Abraam I qui savait bien parler et se faire comprendre le lui conta, car l’Agha était également curieux et aimait écouter. Il lui dit ce qu’il avait entendu dire ses parents à propos de l’origine de leur nom. « Il y a quelques siècles, nos ancêtres qui étaient de grands commerçants et qui devaient se rendre dans des terres lointaines pour leurs marchandises ont dû traverser le désert du Sahara lors de l’un de leurs voyages. »
Les trois races de chameaux Pour traverser les déserts, il y avait des troupes de commerçants qui possédaient 400 à 500 chameaux que l’on appelait des caravanes. Aux lieux désignés, chaque voyageur venait s’inscrire et s’acquitter du prix fixé pour la date de départ de la caravane. Outre les chameliers, il y avait également 4 à 5 guides qui montraient les pistes et connaissaient les lieux où aller. Le plus important c’est qu’ils savaient d’où soufflaient les vents, car comme le désert est une mer de sable, les vents forts en soulèvent des quantités formant de véritables montagnes d’un lieu à l’autre. Il peut ainsi
EL KANTONIKO DJUDYO |
tambien ke prontava komania i agua seya para eyos i los gameyos, ansi tambien i reserva para los viajadores, ke en kavzo menesterozo les vendia kon moneda, porke en el dezierto, es solo arena i alimanias males ke se enkontran, i arivando la data ke fue fiksada eyos todos los viajadores suvidos sovre los gameos, i aparte kargados los gameos de las komanias de todos los viajadores i las suyas, i aparte otros gameyos, ke les dan a bever muntcha agua, i la detienen en sus tripas sin dinguna digesion ke se le depiedre esta agua en su estomago, i es por kuando restan en el dezierto, longo tiempo i non topan agua, es ke los degoyan a estos gameos i les toman el agua para bever ke la detiene en una tripa particular ke non tiene ansi tripa los otros gameos, i se la beven ke es propio sigun de kuando se la bevio, i la karne se la komen, los gameos son en 3 rasas los unos son kon 2 korkovas i en estos es ke se suven i les kargan kargos i pueden yevar fin 150 okas, i seya para biniarlos komo tambien para kargarlos es ke los azen asentar kon unas siniales ke les azen i se asentan i los binean i los kargan porke non alkansan les personas seya por suvirsen komo tambien i para kargarlos, i kon otra sinial ke les azen ya se levantan, seya kon el ke esta suvido komo tambien i kon la karga, la otra rasa es ke tienen a una korkova i estos tambien los suven ma kale seya el suvidor muy maestro, porke tienen los pies de delantre mas kurtos, i koren muntcho komo el korso, i la tresera rasa es estos ke eskrevi mas ariva ke tienen el depozito de la agua, a todas estas 3 rasas los mantienen solo kon un top de arina amasada kon agua i poka sal kuanto una oka, i se lo etchan a la boka ke se lo englute de una, i esto le abasta por el mantenimiento de 12 oras, todos eyos son muy vergonsozos eyos kuando urinan, es para atras i non komo todas las otras kriansas, en el mundo se urinan adelantre, eyos kuando se van a adjuntar (kavuchiyar17) es en estando en pies nalga kon nalga se adjuntan, i si en kavzo atinan o lo veyen ke persona los esta mirando kuando eyos se estan adjuntando, todos los dos i el matcho i la embra 18 koren ensima de la persona ke los esta
arriver que tous les voyageurs se retrouvent ensevelis sous une tempête de sable. Ces guides savaient de plus reconnaître les grognements et les rugissements des lions et des autres bêtes sauvages que l’on trouve dans le désert et ils savaient se défendre. Mis à part ce que chacun préparait pour soi, eau ou nourriture, la compagnie prévoyait également de l’eau et des aliments pour eux et pour les chameaux et aussi des réserves pour les voyageurs à qui on les vendait contre de l’argent en cas de besoin, car dans le désert on ne trouve que du sable et de mauvaises bêtes. Lorsque arrivait la date prévue, tous les voyageurs montaient sur les chameaux. D’autres chameaux portaient les provisions des voyageurs et celles à l’usage des chameaux. Il y avait encore d’autres chameaux que l’on faisait beaucoup boire et qui conservaient cette eau dans leur ventre sans qu’elle passe et soit ingérée dans l’estomac. Quand ils demeuraient longtemps dans le désert et qu’ils ne trouvaient pas d’eau, ils égorgeaient ces chameaux et prenaient l’eau à boire qu’ils gardaient dans une poche spéciale de leurs entrailles que n’avaient pas les autres chameaux. Ils buvaient cette eau qui est semblable à celle que le chameau avait bue et ils mangeaient la viande. Il existe trois races de chameaux : les premiers ont deux bosses et servent de monture ou pour porter des charges qui peuvent aller jusqu’à 150 okas [env. 180 kg]. Pour les monter ou les charger, on les faisait s’asseoir en leur faisant des signes ; ils s’asseyaient, on les montait et on les chargeait, car sinon personne ne peut les atteindre, les monter ou les charger. À un autre signal qu’on leur faisait, ils se relevaient, soit avec celui qui les montait, soit avec leur charge. L’autre race n’a qu’une bosse et ceux-là aussi servent de monture, mais celui qui les monte doit être très expérimenté, car ils ont les pattes de devant plus courtes et ils courent très vite comme à la course. La troisième race est celle que j’ai décrite plus haut et qui a une réserve d’eau. Ces trois races se maintiennent seulement avec une boule [du turc top : boule, globe, balle] d’environ une oka de farine pétrie avec de l’eau et un peu de sel. On la leur jette dans la gueule et ils l’avalent d’un coup. Cette ration leur suffit pour douze heures. Ils ont très honte quand ils urinent ; ils urinent par-derrière et
17. Kavuchiyar du turc kaouchmak ou kavouchmak : se joindre, se toucher, se rencontrer. Ici s’accoupler. 18. La embra ou fembre : femelle.
KAMINANDO I AVLANDO.35 | 27 |
| EL KANTONIKO DJUDYO
mirando i lo modren fin ke lo matan, es ansi sus naturas, ke se guadran komo las personas.
Enkontro kon un leon
19. Muestra Ley, la Santa, calque de l'hébreu caractéristique du ladino. 20. Ezbivla : profaner.
Partieron por sus viaje, eyos ke ya kaminaron en el dizierto, 3 diyas, fue ke a la manyana iva a ser Chabad i sigun ke ya tengo eskrito mas antes ke, muestros avuelos, eran todos muy hahamim, i muntcho hasidim, i siempre buchkavan a guadrar todas las enkomendansas de muestra Ley, la Santa 19, porke eran muy religiosos, i en la tadre de viernes, ke repozaron en un lugar, el ditcho S-r de muestra familya, ke era tambien uno de los viajadores, se le adreso al grande komandant de la karavana por rogarle, si era pusivle, de restarsen la karavan, entera en el lugar ke repozaron la notche, i el komandir le dicho ke ya podiya ser, solo ke komo es kon la kontentes de los mas muntchos de la kompaniya i tambien de los viajadores, i non kere dizir nada si restan una notche i un dia, de ansi repuesta, el S-r ditcho fue muy gustozo, ke ya iva guadrar el Chabad, i enpeso a irles a kada uno aparte porke se kontentaran a la suya propozisyon, ma por dezplazer dinguno non le atcheto, i toda la kompanya partieron, por sus viaje, en restando el S-r ditcho, en el lugar ke aviyan repozado, aun kon todo ke todos sus kompanieros i todos los de la kompaniya, ke le porfiaron i le akodraron todos los perikolos ke le podiyan arivar, komo restava solo, i aparte ke siendo la karavana entera ya se iva alechar 24 oras, i komo es ke podiya alkansarlos, lo todo ke le ivan avlando fue una nula, el a todos dicho ke non ezbivla 20 el dia Santo de Chabad, i ansi fue ke resto en el mizmo lugar, en saludandolo la kompaniya entera, i kon grande kuraje i sin nada atras pensar, el izo la orasion de la tadre, i resivio el Chabad, i kuando ya se eskondio el sol i la karavana, ke ya non la viya mas, porke ya se avia alechado, vido vinire un leon ke se le estava a el aserkando, i sin dezkorajarse i dingun molde azer por defenderse, resto en pies en el mizmo lugar ke se topava, i kuando
| 28 | KAMINANDO I AVLANDO.35
non par devant comme toutes les autres créatures du monde. Quand ils s’accouplent, c’est debout, cuisse contre cuisse. Si alors ils se rendent compte qu’une personne est en train de les regarder s’accoupler, tous les deux, la femelle et le mâle se jettent sur la personne qui les regarde et le mordent jusqu’à le tuer. Leur nature est ainsi faite qu’ils se gardent comme le feraient des personnes.
Rencontre avec un lion Ils partirent en voyage et alors qu’ils avaient déjà cheminé trois jours dans le désert, il se trouva que le lendemain était jour du shabbat. Comme je l’ai écrit plus haut, nos ancêtres étaient tous très érudits, très pieux et s’efforçaient toujours d’observer [litt. garder] les commandements de notre Sainte Loi, car ils étaient très religieux. Le vendredi après-midi, alors qu’ils se reposaient en un endroit, notre ancêtre qui était l’un des voyageurs, s’adressa au chef de la caravane pour le prier si cela était possible d’arrêter toute la caravane au lieu où ils passeraient la nuit. Le chef lui dit que cela serait possible s’il avait l’accord de la plus grande partie de ses hommes et des voyageurs. Il ne voulut pas s’engager à dire s’ils resteraient une nuit et un jour. De cette réponse, notre ancêtre fut très satisfait pensant qu’il allait observer le shabbat et il commença à aller des uns aux autres, prenant chacun à part pour qu’il satisfasse à sa proposition, mais par malheur aucun n’accepta. Et toute la troupe repartit en voyage en laissant notre ancêtre à l’endroit où ils s’étaient reposés non sans que tous ses compagnons et les hommes de la troupe ne l’aient mis en garde et lui aient rappelé tous les périls auxquels il s’exposait en restant seul, sans compter que la caravane allait s’éloigner en 24 heures. Comment pourrait-il les rattraper ? Tout ce qu’on put lui dire fut en vain. Il dit à tous qu’il ne pouvait profaner le jour saint du shabbat. Il resta donc en ce même lieu, saluant toute la troupe et avec un grand courage et sans aucun regret, il se mit à faire la prière du soir pour accueillir le shabbat. Alors que le soleil s’était déjà couché et que la caravane était déjà loin des yeux, il vit venir et s’approcher de lui un lion. Sans perdre courage et sans rien faire pour se défendre, il demeura debout
EL KANTONIKO DJUDYO |
ya se le aserko el leon serka de el komo 20 pasos, de lechura resto i el leon tambien en pies, i se estuvieron mirandosen del uno a el otro, sin dingun muvimiento.
à l’endroit même où il se trouvait. Quand le lion se fut approché à environ vingt pas de lui, il s’arrêta également, restant debout et ils restèrent à se regarder l’un l’autre sans faire aucun mouvement.
Komo defenderse de los lonsos i de los perros
Comment se défendre des ours et des chiens
Todos ya kale ke sepan ke kuando se enkontra kon ansi alimanias i mizmo peros, kale ke reste en un lugar sin muverse, o de fuirse, porke, en el punto ke se meneya de el lugar se le etcha en sima, sigun el gato kuando afera al raton i lo decha en bacho en siendo ainda bivo i lo espera de enfrente, por el punto ke se meneya es ke se le etcha en sima i lo eshamatcha, i komo non se meneya de el lugar el gato se enfasya kale dizir i lo decha i se va, ansi es i el lonso (metchka21) ke kuando se enkontra kon persona, es ke si la persona resta en el lugar sin menearse, lo mizmo lo aze i la metchka, ke se apara en pies, deteniendose solo de los dos pies, i si esta delantre la persona, i si la persona non se espanta i es kurajozo, i se detiene para estarse en pies un sierto tiempo, a la ora la metchka kale dizir seya ke se kansa or ke se enfastia, i kamina serka de la persona solo 2 pasos i le etcha una grande eskupina en la kara de la persona, i se mete torna a 4 pies i se va a su kamino, i la persona, seya de esto ke lo eskupio seya i kuando la metchka ya partio por su kamino kale la persona ke non se meneya del lugar porke la metchka dopo ke partio kamina 25-30 pasos i volta la kara por ver si la persona resta ainda en el lugar ke lo decho, ke komo se sale del lugar ke estava, la metchka volta de muevo, i lo aze pedasos, ke la persona non se puede fuir, ansi me tiene kontado un metchkar kasado de metchkas, kuando al de findimiento de los peros, de sovre lo ke me paso a mi, Tchelebi Moche A. Arie, II. el kompozitor i eskrividor de la dita biografia Arie, mi es aki la okazion para kontarlo : es en el anyo de 5673-1913 ke fue la guera Turka kon los governos de los estados Balkanikos, ke se aleyaron ; los Bulgares, Serbos, Gregos, i Monte-negrinos, i ganaron la guera
Tous doivent savoir que lorsque l’on rencontre ainsi des bêtes sauvages et même des chiens, il faut rester sur place sans bouger ni fuir, car dès que l’on se déplace, ils se jettent sur vous. C’est comme lorsque le chat attrape la souris, qu’il la rejette encore vivante et qu’il attend devant elle. Dès qu’elle remue, il se jette dessus et la met en pièces, alors que si elle ne bouge pas, le chat pour ainsi dire s’ennuie, la laisse et s’en va. Il en va de même avec l’ours qui lorsqu’il rencontre une personne, si celle-ci reste sur place sans bouger, l’ours en fait de même se tenant debout sur deux pattes. S’il est devant la personne et que celle-ci ne prend pas peur, est courageuse, et reste debout un certain temps, au bout d’un moment, l’ours, soit par fatigue, soit par ennui s’approche d’elle jusqu’à deux pas et lui jette un grand crachat à la figure, se remet à quatre pattes et reprend son chemin. Quand l’ours reprend sa route, la personne, quoi qu’on lui ait crachée dessus, ne doit pas bouger, car l’ours, après avoir fait 25 ou 30 pas, se retourne pour voir si elle est encore à la place où il l’a laissée et si elle l’a quittée, l’ours revient et la met en pièces sans qu’elle ait pu fuir. C’est ainsi que me l’a raconté un chasseur d’ours. Quant au comportement des chiens, c’est l’occasion pour moi M. Moche A. Arié II, l’auteur et le rédacteur de la biographie Arié, de raconter ici ce qui m’est arrivé. En 5673 (1913), les États balkaniques alliés, les Bulgares, les Serbes, les Grecs et les Monténégrins, firent la guerre aux Turcs et la gagnèrent. Ne pouvant s’entendre sur les frontières, ils se firent à leur tour la guerre. Mon fils AbraamYahanan II ( Jean) était à Serres comme pharmacien avec le grade de sous-lieutenant et un salaire de 650 francs par mois ; on le nomma ensuite à l’hôpital local avec un salaire de capitaine soit 950 francs par mois. J’étais depuis dix ou quinze jours sans lettre de lui et comme je savais que le fils de Dobri-Petkov était
21. Mechka du bulgare мечка : ours.
KAMINANDO I AVLANDO.35 | 29 |
| EL KANTONIKO DJUDYO
22. Podporutchik : sous-lieutenant. 23. Bolnitsa du bulgare болница : hôpital. 24. Kovalei du turc kovalamak : poursuivre, donner la chasse. 25. Tchadir : parapluie. 26. Me ladras : tu m’aboies.
kon el Turko i, denpues ke eyos los aliados non se pudieron konvenir en sus espartision fue ke se empezaron a harvarsen kon fuertes gueras, Abraam-Yahanan, II. ( Jean) mi ijo ke estava en Seres komo ap(o)tekar, kon el grado de podporutchik22 kon una paga de 650 fr. al mez i denpues lo nominaron por chef en la etapa bolni(t)sa 23 kon la paga de kapitan 950 fr. al mez, i siendo ke ya avia 10-15 dias ke su karta non teniya i yo ke ya saviya ke el ijo de Dobri-Petkov, estava tambien en Seres, komo porutchik, i ke estavan siempre adjuntos, me fue ande S-r Petkov, por demandarle si es ke el teniya alguna karta, de su ijo ke siempre ya mos eskriviyan i a mi i a S-r Petkov, i en entrando de la puerta de el kort(i)jo, ke yo non saviya ke tiene peros, porke antes non teniya, me enpesaron a gritar ensima de mi 2 tchikos peros, i yo ke teniya un tchadir en la mano, non los kovalei 24 kon el tchadir 25, otro ke les diche a los peros, en lingua Bulgara, porke estach gritando sovre mi, vuestro S-r ke vos detiene aki, non es para non dechar entrar a unas personas komo a mi, i fue una maraviya ke al punto los peros se kedaron kayados i se travaron a la vanda, i el S-r Petkov, ke me estava mirando de la ventana, ke yo non lo vide, i yo mi fue derecho a su kabinete, i se levanto en pies a resivirme, i me dicho, en riendose, ya esta bueno esto ke estuvites konversando kon los muevos miyos peros, i denpues ke te gritaron lo vide ke se kedaron kayados i te estuvieron eskutchando esto ke les avlates, dimelo te rogo lo ke les avlates, i en ke lingua, i yo le konti la konversasion ke tuvimos, i ke les avli en lingua Bulgara, i denpues me dicho ke eyos lo tienen a muntcho bueno kuando los peros non gritan a algunas personas, kijendole dizir ke sos i tu tambien una buena persona komo a estas, i otra ves me akontesyo, ke yo fue a vijitar en la kaza de S-r Davitchon Fari i kon batir en la puerta de koredor, un tchiko periko enpeso a gritar de la parte de arientro, i yo ke entri al koredor le diche al periko porke me ladras 26 yo vine a vijitar, i el periko al punto se kedo kayado i se fue, i por esto es ke lo eskrivo, i
| 30 | KAMINANDO I AVLANDO.35
également à Serres en qualité de lieutenant et qu’ils étaient toujours ensemble, je me rendis chez M. Petkov pour lui demander s’il avait reçu une lettre de son fils qui nous écrivait toujours à lui et à moi. Je ne savais pas qu’il avait des chiens, car auparavant il n’en avait pas, et en franchissant la porte de la cour, deux petits chiens commencèrent à m’aboyer dessus. J’avais un parapluie à la main, mais je ne les ai pas chassés avec, j’ai juste dit aux chiens en bulgare : « Pourquoi m’aboyez-vous dessus ? Si votre maître vous garde ici ce n’est pas pour interdire à des gens comme moi d’entrer ! » Et ce fut merveille de voir qu’aussitôt les chiens restèrent coi et se rangèrent de côté. M. Petkov me regardait de la fenêtre sans que je le voie ; je me rendis directement à son cabinet et il se leva pour me recevoir tout en me disant en riant : « C’est très bien ce que tu as dit à mes chiens. Après qu’ils t’ont aboyé dessus, j’ai vu qu’ils s’étaient tenus cois et s’étaient mis à écouter ce que tu leur disais. Je te prie de me dire ce que tu leur as dit et en quelle langue. » Et je lui ai raconté la conversation que nous avions eue et que je leur avais parlé en bulgare. Ensuite il m’a dit qu’ils m’avaient eu à la bonne, car, quand les chiens n’aboient pas sur une personne, cela signifie que c’est une bonne personne. Cela m’est arrivé une autre fois. J’étais allé rendre visite à M. Davitchon Fari et en frappant à la porte du corridor, un tout petit chien s’est mis à aboyer de l’intérieur. En entrant dans le corridor, j’ai dit au petit chien : « Pourquoi tu m’aboies dessus ? Je viens en visite. » Et le chien s’est tu d’un coup et est parti. Si j’écris cela, c’est pour que chacun dans une semblable occasion puisse aussi se défendre de cette façon.
EL KANTONIKO DJUDYO |
kada uno en alguna okazion se puede defender i de esta forma.
Seguita de la konseja del leon Sigun dicho seya el Leon, komo tambien i el S-r Abraam, I.27 ke estavan todos los 2 en pies mirandosen del uno al otro, i sin dingun muvimiento, fue ke el S-r Abraam, I. se kanso de estarse en pies, i kon grande kuraje se asento, i sigun ke estava tanto kanso se etcho i se dormio, sin ke mas se sentio, i kuando ya amanesio el dia ke ya se esperto, lo veye al Leon, asentado ande lo decho de la tadre, i el S-r Abraam, I. kon grande kuraje, i sin mas por nada espantarse, izo la orasion de la manyana i denpues se asento i komyo, i torna se etcho a durmir, i mas todos los menesteres los izo, fin ke se izo la tadre, i kuando ya fue tadre, el buen de el Leon, se le aserko ajunto al S-r Abraam, I. i se le aboko komo sinial a ke se le asuviera ensima, i el S-r Abraam, I. kon el nombre de el Alto Dio, i kon grande kuraje se le suvio ensima de el Leon, i en muy presto tiempo, lo yevo serka de la karavana de sus kompanieros, i en siendo serka de la karavana komo 20 pasos se asento el Leon, komo sinial a ke se abachara, i el S-r Abraam, I. se abacho, i kon sinyas kon las manos ke le izo el S-r Abraam, I. al Leon, de renagrasiamiento, en deteniendo las manos a los Sielos lo saludo i lo bendicho, i el buen de el Leon, partio por su kamino, en deteniendose en pies, el S-r Abraam, I. fin ke se eskondio i denpues de muevo el S-r Abraam, I. levanto las 2 sus manos a los Sielos, i kon boz alta, izo unas alavasiones al Alto Dio, por el milagro ke se le izo, esto todo pasaje lo estan viendo i enkantandosen de ver la kompania entera ke eran en la Karavana, kon ke la karavana entera resto en el lugar ande los alkanso el S-r Abraam, I. ke lo trucho el leon, i todos eran abachados de sus gameyos, i uno por uno la kompania entera lo abrasava i le bezava al S-r Abraam, I. kon ke kada uno lo iva bindiziendo de su forma i aparte todos a la una le dicheron ke tu sos un ombre Santo de el Dio, i mereses
Suite de l’aventure avec le lion Comme je l’ai dit, le lion tout comme M. Abraam I étaient debout et se regardaient l’un l’autre sans faire aucun mouvement. M. Abraam I dut se fatiguer d’être ainsi et, avec beaucoup de courage, il s’assit, et comme il était très fatigué, il se coucha et s’endormit, sans que rien ne se fasse plus entendre. Quand le jour se leva, il se réveilla et vit que le lion était encore assis là où il l’avait laissé le soir. M. Abraam I avec grand courage et sans plus céder à la peur, dit la prière du matin, puis s’assit, mangea et se recoucha pour dormir. Il fit tout ce qui était nécessaire jusqu’à la fin du jour. Quand le soir arriva, le bon lion s’approcha de M. Abraam I et il se pencha pour lui faire signe de lui monter dessus. M. Abraam I invoquant le nom du Très-Haut et prenant son courage à deux mains monta sur le lion et, en très peu de temps, il le mena près de la caravane de ses compagnons. Alors qu’il était à une vingtaine de pas de la caravane, le lion s’assit pour lui faire signe de descendre et M. Abraam I descendit. Par des signes de la main, M. Abraam I exprima toute sa gratitude au lion et tenant les mains dressées vers les Cieux, il le salua et le bénit. Le bon lion reprit sa route et M. Abraam I resta debout jusqu’à ce qu’il disparaisse. De nouveau, M. Abraam I, en levant ses deux mains vers les Cieux, glorifia à haute voix le Très-Haut pour le miracle dont il l’avait gratifié. Tous les compagnons de la caravane se réjouissaient à la vue de cet événement et la caravane tout entière demeura à l’endroit où M. Abraam, porté par le lion, l’avait rejointe. Tous étaient descendus de leurs chameaux et, l’un après l’autre, ils vinrent tous l’embrasser et chacun lui adressait une bénédiction à sa manière et tous ensemble lui dirent qu’il était un saint homme de Dieu et qu’il méritait d’être nommé Adon Arié [M. Lion] en mémoire du lion. M. Abraam I se courba devant tous en signe de gratitude ; ils l’accueillirent parmi eux et repartirent tous ensemble en voyage. C’est donc à la suite d’un miracle que notre nom de famille est devenu Arié. Ce miracle nous apprend à craindre et à être reconnaissant au Très-Haut et Unique, notre Dieu Saint d’Israël et que nous gardions tous ses commandements pour ainsi
27. À noter qu’à partir d’ici le narrateur (M. Abraam Arié I le fondateur de la dynastie des Ariés de Samokov) se confond avec l’ancêtre, héros de l'histoire. 28. Adon Arié : « monsieur lion » en hébreu. Le patronyme (alkunya) Arié (Lion) est selon toute vraisemblance, comme les patronymes « Leon » ou « de Leon », celui de familles sépharades originaires de la province ou de la ville de León en Espagne.
KAMINANDO I AVLANDO.35 | 31 |
| EL KANTONIKO DJUDYO
29. Esprito bacho c’est-à-dire comme le note J. Nehama, une personne qui a une attitude très humble et sans prétention par opposition à esprito alto, une personne qui a confiance en soi, consciente de sa propre valeur. Non kontenerse a le même sens : ne pas se mettre en avant, ne pas tirer vanité. 30. Rappelons que le terme Agha a le sens de gouverneur de province ou de district.
nombrado, Adon Arie 28, al nombre de el Leon, i el S-r Abraam, I. se enkorvo delantre de todos eyos en sinial de rengrasiamiento, i se lo adjuntaron a eyos, i partieron todos djuntos por sus viaje, es por ansi un milagro ke devino la alkunya en muestra familia, ke seyga Arie. Visto a este milagro mos enbeza a ke seygamos temientes i rekonosientes a el alto uniko muestro Santo Dio de Israel, i de guadrar todas sus enkomendansas, i kon esto ayegar para tener todo lo bueno i a ke se nombre i enfloreska muestra alkunya Arie, para siempre Amen Amen. I el S-r de Mehmed Emin AA, ke lo sintia a el S-r de Abraam, I. kontar todo este pasaje, era muy maraviado i le dicho si esto ke estas kontando es verdad, a la ora kale dizir ke i tu tambien sos un Santo, el S-r Abraam, I. le dicho ke se kreyga i ke es verdad porke la natura de Arie, es esprito bacho29, i de non kontenersen, por kuala koza ke fuesa, ke por lo todo lo konsideran komo koza ke es naturel.
5561 Regalos al Agha 30 de Samokov En este anyo de 5561, sigun ditcho en uno de los pasajes de el anyo pasado ke se fue a Kostan por sus empleos, i ke tambien el S-r de Mehmed Emin AA, le tuvo demandado, si es ke se topava kontente de sus etchos, fue ke resto para en este anyo boltar de Kostan, el trucho grandes partidas de modos de ropas i aparte estas ke les ordenavan seya el Mehmed Emin AA, i sus Haremes, i todos los otros S-res i Beguis de Samokov, i denpues ke ya entrego a todos estos las ropas komandadas ke todos eran muy bien kontentes, i su ropa tambien ke se la resento i izo las primeras venditas ke eran muy bien enportantes, fue ke tuvo muntcho a pensar sovre esto ke le tuvo demandado el AA, si estava kontente de la venida a Samokov, i kijo entender non seya ke seriya kon la entision ke keriya ke le pagara la suma ke le teniya dado kuando se vino a Samokov, i en esto tuvo longo tiempo a pensar i lo topo por de djusto de azer una prova, i yevarle la metad de la suma ke le
| 32 | KAMINANDO I AVLANDO.35
atteindre tout le bien et que retentisse et fleurisse notre nom Arié pour toujours. Amen. Amen. Et l’Agha Mehmed Emin qui avait écouté M. Abraam I conter tout cet épisode en était très surpris et il lui demanda si ce qu’il avait narré était véridique, car « alors cela veut dire que toi aussi tu es un saint ». M. Abraam I lui dit qu’il faut le croire et que c’est la vérité, car le caractère des Arié est humble et sans arrogance, quel que soit le sujet que ce fût, ils prennent tout comme s’il s’agissait de quelque chose de naturel.
5561 [année civile 1800/1801] Cadeaux à l’Agha de Samokov Comme je l’ai mentionné dans un passage concernant l’année précédente, il s’était rendu à Constantinople pour ses achats et l’Agha Mehmed Emin lui avait demandé s’il était satisfait de ses affaires. Cette année-là [5561], il était de retour de Constantinople et avait apporté toutes sortes de marchandises en grande quantité sans compter toutes les commandes de l’Agha Mehmed Emin, des femmes de son harem et des beys de Samokov. Après avoir livré à la satisfaction de tous les marchandises commandées, rangé sa marchandise, effectué de premières ventes qui furent très importantes, il repensa à la question que lui avait posée l’Agha, à savoir s’il était content de sa venue à Samokov. Il se demanda si ce n’était pas avec l’intention de lui faire rembourser la somme qu’il lui avait donnée quand il était venu à Samokov. Il réfléchit longtemps à cela et il trouva juste de tirer la chose au clair en lui apportant la moitié de la somme qu’il lui avait donnée en venant à Samokov, soit 1 000 groches, et à cette occasion de lui offrir aussi les cadeaux qu’il avait apportés de Constantinople pour lui et pour son harem. Ainsi, un jour, après avoir réuni les 1 000 groches et avoir pris avec lui tous les cadeaux qui cette fois étaient bien plus considérables, il se rendit au palais de l’Agha. Après lui avoir baisé les pieds, il lui offrit d’abord les cadeaux pour lui et pour les femmes de son harem (il avait quatre épouses et dix concubines [djaries]
EL KANTONIKO DJUDYO |
teniya dado ke son 1000 groches, i en este tiempo tambien yevar le i los prezentes ke les trucho de Kostan, seya para el AA, komo tambien i para su Harem, i ansi fue ke en un dia, ke estuvo pronto de los 1 000 groches, si tomo kon si tambien i todos los prezentes ke fueron en esta via mas muntchos i se fue al palasio de el AA, ke denpues ke le bezo los pies, le dio al presipio los prezentes ke eran para el i denpues le dio tambien i los prezentes para sus haremes ke tenia 4 mujeres 31 aparte de otras 10 djaries 32, ke eran tambien komo sus mujeres sin ke eran kon kiduchim, i le dicho en rogandole aun kon todo ke era poko ke se los resiviera, i el AA, riendose Ha, Ha, Ha, le dicho Avramatche Bazirjan, komo, en kada viaje me vas a traer prezentes yo te los kero pagar ke me estan muntcho plaziendo, i el S-r de Abraam, I. se le etcho a los pies i le rogo porke se los resiva komo prezente, i le dicho a la otra vez kuando me vas a traer te los kero pagar, en general a todos los turkos se gustan muntcho kuando les dan prezentes, i denpues le rogo de muevo torna kon bezarle los pies, i le dio los 1 000 groches komo akonto a los 2 000 groches ke le tiene dado de kuando lo trucho a Samokov, en bendiziendolo kon las 1 000 bendisiones, sovre la bondad ke le izo i ke les son rekonosientes, seya el komo tambien i toda su familia i todos estos ke van a venir denpues de eyos, i agora ke ya se topa en la pozision de poder pagarle, torna le bezo los pies i le rogo por ke se las resiva, ma kategorikamente le refuzo, i le dicho ke si en kavzo otra vez se permete a yevarle estas paras non lo va a mirar mas kon ojos sigun de antes, ke el non se las dio por tomarselas atras otro ke a el ya le abasta esto ke ya tiene el su Bazirjan, I el S-r Abraam, I. visto a esto i non seya ke se aravia se las tomo atras, i la favor ke le izo en esta okasion fue ke le komando por el avenir kuando va ir delantre de el mas ke non le beza ni los pies ni la alda, otro ke solo kon una temena sigun se bezan la mano los turkos ke esto ya lo tengo eskrito mas antes i mas le dicho ke kuando se le ara el menester de moneda ke vayga ande el sin por nada travarse, ke le kere emprestar, i el S-r Abraam kon una temena se lo iva rengra-
qui étaient comme des épouses, mais sans le titre), et il le pria de bien vouloir accepter ces cadeaux tout modestes qu’ils soient. L’Agha lui dit en riant : « Ha ! Ha ! Ha ! Avramatche le marchand, Comment ? À chaque voyage tu vas m’apporter des cadeaux ? Je veux te les payer. Ils me plaisent beaucoup. » M. Abraam I se jeta à ses pieds et le supplia de bien vouloir les accepter comme présents. L’Agha lui dit : « la prochaine fois que tu m’en apporteras, je veux te les payer ». En général, les Turcs apprécient beaucoup qu’on leur offre des cadeaux. Il le supplia à nouveau en lui embrassant les pieds et il lui donna les 1 000 groches en acompte des 2 000 groches qu’il lui avait donnés quand il l’avait conduit à Samokov en lui adressant mille bénédictions pour la bonté qu’il lui avait faite, dont lui, sa famille et tous ses descendants lui étaient reconnaissants. Maintenant qu’il se trouvait en position de pouvoir le payer, en lui baisant à nouveau les pieds, il le priait de bien vouloir les accepter. Mais [l’Agha] refusa catégoriquement et lui dit que si une autre fois il se permettait de lui apporter cet argent, il n’aurait plus la même considération pour lui, qu’il ne les avait pas donnés pour ensuite les reprendre, qu’il lui suffisait d’avoir déjà son marchand attitré. Voyant cela, M. Abraam I pour éviter qu’il ne se fâche, les reprit. À cette occasion, l’Agha lui fit la faveur de lui demander de ne plus lui baiser ni les pieds ni le pan de sa robe lorsqu’il se présenterait à l’avenir devant lui. Une révérence comme la font les Turcs pour baiser les mains et telle que je l’ai décrite plus haut suffirait. Il lui dit en outre que lorsqu’il aurait besoin d’argent, qu’il vienne le voir sans tergiverser, et qu’il lui prêterait volontiers. M. Abraam I en lui faisant une révérence le remercia et à chaque occasion qu’il avait de venir, il lui demandait de lui prêter quelque somme d’argent même s’il n’en avait pas besoin et après avoir laissé passer quelques jours, il la lui rendait. Il cherchait aussi beaucoup de prétextes pour lui apporter des cadeaux. Cela lui plaisait beaucoup et grâce à cela il réglait et arrangeait toutes ses affaires lorsque cela s’avérait nécessaire qu’il s’agisse de celles de son palais ou encore de celles de l’extérieur.
31. La loi musulmane ne prévoit en effet que quatre « épouses officielles » ou haseki. Les autres ont le titre de hassodalik ou ikbal. 32. Concubines.
KAMINANDO I AVLANDO.35 | 33 |
| EL KANTONIKO DJUDYO
siando, i el S-r. Abraam en kada okazion le iva i le demandava emprestado algunas sumas de moneda mizmo si non le eran menester, i dechava pasar unos kuantos dias i se las tornava, i tambien buchkava muntchas okaziones para yevarle prezentes, ke esto le plazia muntcho, i kon esto era ke eskapava i reglava todos sus etchos kuando teniya por reglarlos seya los de su palasio komo tambien i estos de afuera.
El santur de la Signora Donna
33. Fadar : donner un nom à une fille qui vient de naître. 34. La coutume veut que l'accouchée se relève plus vite de ses couches lorsqu'elle donne naissance à une fille. L'auteur souligne que ce n'est pas le cas ici.
La Bulisa Buhuru, ke estava preniada de la ultima vez eyos tenian el dezeyo por ke pariera ija, porke en 4 partos ke pario fueron todos ijos, i siendo ke esto solo non es koza ke se puede saverlo de antes ni ke ay el molde por trokarse, era ke el S-r Abraam, I. le demandava a la Bulisa Buhuru, si es ke se konsiente en si algunos trokamientos, de los otros preniados a este de agora i eya le diziya ke ya tiene muntchos, i de esto se gustava el S-r Abraam, I. ke ya es sinial ke bolto parto, i arivando el tiempo de parir la Bulisa Buhuru, pario sigun todos los otros muy kolay i tambien pario ija, ke esto les fue alegria grande, i se gustaron muntcho todo lo izieron sigun de todos los otros partos, kon kama alta i todos la vijitaron i le mandaron mas muntcho prezentes i en el dia de Chabad, konvido a los Hahamim, i todos sus amigos i la fadaron 33 a la ija, i la yamaron Donna, i la parida estuvo en la kama 8 dias asentada mas de 3-5 dias sigun de todos los otros 34 ke eya la madre proprio los aletchava i los kudiava ansi tambien fue i kon esta Donna, ke eya la kudio, i kuando ya fue mas grande aparte de modos de djuguetos ke le merkavan le merkaron tambien i un santur, enstrumento de tanie, ke le tomaron tambien un profesor para ke la enbezara, i tomava kada dia liksion, ke en poko tiempo eya se enbezo a djugar en el Santur, i las notches kantavan todos djuntos i se gustavan i se alegravan ke de esta manera se ivan kontentando, este mizmo santur lo tuvo denpues la Bulisa Simha, mi S-ra madre, ke i
| 34 | KAMINANDO I AVLANDO.35
La Signora Donna et le santur Madame Buhuru était enceinte une dernière fois et ils éprouvèrent le désir qu’elle donne naissance à une fille, car lors des quatre accouchements précédents, elle n’avait eu que des garçons. Étant donné que ce n’est pas une chose que l’on puisse savoir à l’avance ni que l’on puisse changer, M. Abraam I demanda à Madame Buhuru, si elle éprouvait en elle quelques changements entre les autres grossesses et celle de maintenant. Elle lui répondit qu’elle en sentait beaucoup et M. Abraam I s’en réjouit, car c’était le signe d’un changement à l’heure de la naissance. Lorsque le moment de la délivrance arriva, Madame Buhuru accoucha comme auparavant très facilement et d’une fille ce qui causa à tous une grande joie. Ils se réjouirent beaucoup et comme lors des autres accouchements on prépara le lit surélevé et tous vinrent la visiter et lui envoyèrent beaucoup plus de cadeaux. Le jour du shabbat [M. Abraam I] invita les rabbins et tous ses amis et ils la baptisèrent et la nommèrent Donna. L’accouchée resta huit jours assise au lit, trois ou quatre jours de plus que les autres [parturientes]. Elle allaita et prit soin de Donna comme elle l’avait déjà fait pour tous les autres. Quand elle fut plus grande, outre toutes sortes de jouets qu’ils lui achetaient, ils lui achetèrent également un santur, un instrument de musique, et ils engagèrent également un professeur afin qu’il lui apprenne [à jouer]. Elle prenait chaque jour une leçon et en peu de temps elle apprit à jouer du santur. Les nuits, ils chantaient tous ensemble, s’amusaient, se réjouissaient et de cette manière ils se trouvaient bien heureux. C’est ce même santur qu’avait ma mère, Madame Simha et dont elle jouait également. Elle savait aussi bien chanter de sa belle voix haute et claire. Plus tard, ce santur est passé dans la maison de M. Yeuda, car ils voulaient que l’une de ses filles ou de ses petites-filles en joue, et depuis je ne sais pas où il se trouve. Comme je l’ai écrit, M. Abraam I aimait et s’occupait beaucoup de ses fils et il en fut de même avec sa fille Donna sans qu’il ne fasse aucune différence avec ses fils ce qui n’est pas le cas de certains pères qui délaissent leurs filles et consacrent tout à leurs fils. De même, quand les enfants jouent et se disputent,
EL KANTONIKO DJUDYO |
eya tambien lo djugava i saviya tambien bueno kantar kon la boka ke teniya buena boz i alta, i mas tadre el ditcho Santur, lo tomaron en la kaza de Tchelebi Yeuda, ke lo kijeron djugar alguna de sus ijas o inietas i denpues non se ande kedo, sigun eskrito ke el S-r Abraam, I. amava i los kudiava muy muntcho a todos sus ijos, ansi fue tambien i kon su ija la Donna, sin azer ninguna diferensia de los ijos, i non komo algunos padres ke a las ijas las dechan a la vanda i a los ijos los aserkan por todos los puntos, i mizmo kuando las kriaturas ke djugan i se pelean, kaji ke lo mas de los padres, las maltratan i mizmo las harvan i las azen servir komo las esklavas, a las ijas i las kondenan, mizmo ke non son kulpozas, ke este por dezplazer para akel padre ke se decha servir de sus ijas i las maltrata kuando non lo sirvio, i las decha enkantonadas para ke toda su vida ke seyga abatida, i non decharlas salir a verse kon sus amigas, es ke kuando se azen grandes enpesan a yorar i se avreguensa el padre, sigun mi es ke a las ijas ke las kudien mas muntcho de los ijos porke eyas van a salir de kaza i al menos kuando se va ir kon su marido, el S-r Abraam su kudio era de dar enbezamiento a sus ijos, i era siempre ke los akonsajava porke se enbezaran a meldar, ke los detuvo longo tiempo en los estudios i eyos los 2 ermanos Hr Tchelebi, i Hr Josef, ke fueron muy entelejentes, i muy amorosos de el estudio ansi fue ke salieron Hahamim muy grandes, eyos todos los 2 en Samokov, les azian Deruchim, en los dias de fiestas i Chabatod eyos tambien los djuzgavan a los djudios, sus diferensias, ke en akeyos tiempos era solo el Haham, ke djuzgava a los Djidyos i non komo agora ke es solo en las poliseryas del paiz ke se djuzga.
la plupart des pères les maltraitent et même les battent ; ils font servir les filles comme des esclaves et les punissent même quand elles ne sont pas coupables. Le père qui se laisse servir par ses filles et les brutalise quand elles ne le servent pas, qui les laisse enfermées de sorte qu’elles soient toute leur vie déprimées et qui ne les laisse pas sortir voir leurs amies ne peut en tirer que du déplaisir. Quand elles deviennent grandes, elles commencent à pleurer et le père en éprouve de la honte. D’après moi, il faut prendre beaucoup plus de soin des filles que des fils, car elles vont quitter la maison du moins quand elles iront avec leur mari. M. Abraam avait pour souci de donner une éducation à ses fils. Il était toujours à les conseiller dans l’apprentissage de la lecture. Il les gardait beaucoup de temps pour étudier et les deux frères maître Tchelebi et maître Josef devinrent très intelligents et amoureux de l’étude. Ils devinrent ainsi des sages accomplis. Il les faisait tous les deux prononcer des sermons les shabbats et les jours de fête à Samokov. Ils jugeaient des différends entre Juifs, car en ce temps-là seul le rabbin jugeait les Juifs et non comme maintenant où ils sont seulement jugés par la justice du pays.
Tous les sous-titres sont de la rédaction. La transcription du judéo-espagnol a été modifiée afin de rendre le texte plus facilement accessible aux lecteurs familiers de la graphie employée par la revue Aki Yerushalayim.
KAMINANDO I AVLANDO.35 | 35 |
| PARA MELDAR
Para Meldar L’espérance d’un baiser Le témoignage de l’un des derniers survivants d’Auschwitz Raphaël Esrail
Laffont septembre 2017 Poche J’ai lu 2018 ISBN : 978-2-221-20221-0
C’est toujours une épreuve de lire un témoignage sur la Shoah, et encore plus d’en rendre compte ; épreuve que j’ai contournée le plus possible tout au long de ma vie, justifiant cet évitement par le fait que je n’avais pas besoin d’être convaincue. Le problème, c’est que ceux qui auraient besoin de lire ces récits les évitent également, et que nous restons dans une horreur partagée entre nous… Il est pourtant absolument nécessaire que ces dernières voix soient entendues. Que sera le monde quand les témoins du désastre le plus inconcevable du XXe siècle se seront tues à jamais ? Quand les révisionnistes auront réécrit l’histoire à leur façon ? Que les familles éclatées ne transmettront plus l’écho du traumatisme ? Je me suis assez plainte du silence qui a entouré la génération d’après-guerre, dont je suis. Mais ce fut un silence assourdissant, un orage immobile de cris et de lamentations, zébré d’éclairs et de fractures, qui a laissé des traces indélébiles dans notre psychisme. Le livre de Raphaël Esrail, écrit plus de soixante-dix ans après sa déportation à la demande de sa petite-fille, est habité par l’humanisme de l’auteur. Il sait qu’Auschwitz l’a changé à jamais. Rien n’atténuera la portée de ce constat, malgré ce qu’il a accompli dans sa vie d’homme, d’« honnête homme » est-on tenté de dire. Et c’est peut-être plus effrayant encore que le récit de ses souffrances.
| 36 | KAMINANDO I AVLANDO.35
Raphaël Esrail est né en 1925 dans les environs de Smyrne. Il part à quelques mois pour Lyon où son père Isaac (natif de Manisa) ouvre une modeste boutique de bonneterie. Sa mère est née Arditti à Ourla, dans une famille prospère jusqu’à la mort du patriarche en 1902. À trentedeux ans, on arrange son mariage avec un veuf père de trois enfants. De cette union naîtront deux fils, dont Raphaël. Les parents et les cinq enfants vivent dans une pauvreté qui n’est pas la misère, mais presque. Raphaël ne supporte pas que ses parents s’expriment en ladino à l’extérieur du foyer. Ils ne sont pas religieux. La mère est admirable, le père très peu disert. Raphaël s’évade de cette ambiance étriquée grâce au scoutisme. Dans son quartier populaire de la Croix Rousse, peu d’adolescents accèdent au lycée. À l’instar de son frère Joseph, Raphaël opte pour une école nationale professionnelle, qui le conduira à l’École Centrale de Lyon, où il est admis en 1943. Son entrée dans la Résistance est liée à son engagement parmi les Éclaireurs israélites de France lyonnais. Avec son frère (devenu, lui, ingénieur des Arts et Métiers), il a pour mission d’aider au sauvetage d’enfants juifs. Pour cela, il fabrique de faux papiers. Bientôt l’activité de faussaire s’étend à l’ensemble de la communauté juive, au sein d’un réseau piloté par Claude Gutman et Marcel Gherson. Raphaël tombe dans une souricière le 8 janvier 1944. Il est emmené à la prison militaire de Montluc, torturé, et envoyé à Drancy. Là, il rencontre Liliane Badour, arrêtée « par erreur » avec ses deux jeunes frères : orphelins, ils étaient jusque-là élevés en bons catholiques par leurs grands-parents maternels, à Biarritz ; leur père n’était pas juif, leur mère si. C’est le baptême du plus jeune enfant, en 1942 – donc suspect – qui a provoqué la descente de la Gestapo chez eux. Raphaël, Liliane et ses frères font partie d’un même convoi, le 2 février 1944. Raphaël est interné à Auschwitz, Liliane à Birkenau, où ses frères sont gazés d’entrée. Leurs récits se répondent, se
PARA MELDAR |
croisent parfois. Une jeune femme, Fanny Segal, va transmettre au péril de sa vie quelques messages de l’un à l’autre pendant plus d’un an. Après une période de sidération, Raphaël et Liliane comprennent, chacun de son côté, que les déportés sont voués à la mort. Survivre est un miracle. Dix grammes de pain ou une chaussette russe peuvent faire la différence, au jour le jour. Le moral aussi. Raphaël s’accroche à la pensée de Liliane, qu’il n’a même pas fréquentée une semaine… Dans ce monde à la hiérarchie exacerbée, où cohabitent Juifs, non Juifs, Polonais, Allemands, Français, communistes, résistants, droit commun, politiques… et où se superposent les « triangles » – un pour chaque sous-catégorie –, il y a mille et une façons d’enfreindre une règle démente ou de se faire mal voir par un sous-chef, la sanction immédiate étant l’exécution. Après avoir été affecté à un commando extérieur, en plein hiver, où ses chances de survie étaient nulles, Raphaël a la chance d’être aidé par Jacques Stroumsa, Juif de Salonique, ingénieur en électricité. Celui-ci le fait entrer à l’Union Werke, usine d’armement de la firme Krupp. Les ingénieurs sont utiles aux SS, l’usine est chauffée. L’existence reste une guerre quotidienne sans merci, mais on peut survivre. Lorsqu’il intègre l’équipe de nuit, Raphaël peut compter sur deux amis de son âge, Marcel Leon et Milou (Samy) Saguez, issu d’une famille judéo-espagnole de Grèce. À trois, on est plus fort, qu’il s’agisse de se relever après une bastonnade, de fourguer quelques colifichets usinés en secret ou de faire cuire par le forgeron de l’usine une pomme de terre crue… Jacques Stroumsa parvient aussi à sortir Liliane de ses travaux de terrassement au profit d’un travail à l’intérieur lorsqu’elle est évacuée de Birkenau à Auschwitz. Mais le 1 er octobre 1944, Stroumsa ne peut éviter que la « sélection générale » touche les déportés de l’Union Werke. Boris Bezborodko, camarade de Raphaël, fait partie de ceux qui vont être gazés. Par miracle, il en réchappera.
Raphaël et Liliane s’accrochent à l’idée qu’ils sont désormais dans le même camp… jusqu’à l’évacuation le 18 janvier 1945. On croit être au fond du trou et quand survient le pire, on n’a plus de mot. La marche de la mort emporte les dernières résistances de Raphaël, lui fait perdre ce qui lui reste d’humanité. Ses compagnons de misère aussi. Séparé de ses amis, il tente de s’évader d’un wagon avec Ernest, un autre de l’Union. Ils sont rattrapés, Ernest est exécuté, lui-même en sursis lorsqu’ils arrivent à Dachau « Ce jour-là, j’ai senti mon corps geler de l’intérieur, à mourir […] La volonté de vaincre craque devant l’approche de la mort ». La pendaison est différée… Le 25 avril 1945, les déportés quittent le camp, le train s’arrête ; ils sortent, fauchés illico par des automitrailleuses. Le stop-and-go dure quelques jours. Dans la nuit du 30 avril, ce sont les Alliés qui mitraillent. Le train s’arrête en gare de Tutzing le 1er mai. Un employé des chemins de fer ouvre les portes des wagons. Ils sont libres. Jusque-là, le récit de Raphaël Esrail était sobre, factuel, précis, dépourvu d’auto-apitoiement. Il le restera jusqu’au bout, mais à cet instant, la surprise saisit le lecteur : libres ! Et rien, pas une once de joie ? Raphaël reste vingt jours en Bavière. Les Américains désinfectent les déportés, leur donnent du linge, de la nourriture – pas trop, ils en tomberaient encore plus malades. Puis les Français arrivent, la 2e division blindée (dont Jean Gabin). Le 10 mai 1945, Raphaël a vingt ans : « Comme un être drogué, je suis incapable de me situer ». Des camions militaires ramènent les Français à Paris, Raphaël arrive le 24 mai à Hôtel Lutetia. Né en Turquie de parents turcs, arrêté pour faits de résistance : ça ne colle pas pour la sécurité militaire. Un ancien éclaireur israélite qui le reconnaît dissipe le malaise. Ce n’est que le début sur une longue liste… Raphaël part ensuite à Lyon où il retrouve ses parents. Personne n’évoque la déportation. Ils n’en parleront jamais ensemble. Si Milou et Boris sont rentrés, beaucoup manquent à l’appel. « Ma sensi-
KAMINANDO I AVLANDO.35 | 37 |
| PARA MELDAR
bilité s’est évanouie, écrit l’auteur. Je n’aime plus personne. Un combat intérieur entre cette réalité et la raison me perturbe. Je devrais être heureux et je ne le suis pas. J’ai retrouvé ma famille. Mon cœur est sec ». Fin juin, il apprend que Liliane est à Biarritz. Il projette d’aller la voir, non sans appréhension : en fait, ils ne se connaissent pas. S’il s’était accroché à une chimère pour endurer 15 mois d’enfer ? Son retour compte déjà tant d’amertume : son réseau n’est pas homologué comme « résistant » ; les Lyonnais, libérés le 3 septembre 1944, semblent avoir tourné la page. La déportation juive (dite officiellement « raciale ») est ignorée au profit des héros de la Résistance. Les retrouvailles avec Liliane, en août, sont au niveau de leurs espérances. Ils se marieront en 1948, auront une fille, et ne se quitteront plus. Ils ne parlent pas ensemble des camps. Marqués dans leur chair et dans leur âme (Liliane ne se pardonnera jamais la mort de ses deux frères), ils font leur la maxime inspirée par Paul Valéry : « Le jour se lève, il faut tenter de vivre ». L’hôtel-restaurant des grands-parents de Liliane a été « aryanisé » et il faudra un procès de dix ans, terminé en Cour de cassation, pour reprendre ce bien à l’administrateur judiciaire. Raphaël entre à Gaz de France en 1949, et met quelque temps à s’épanouir professionnellement : il ne supporte pas la hiérarchie : « Mon esprit est “déformé”, je juge les individus à l’aune du camp ». Retrouve-t-il peu à peu le goût de l’amitié, voire de l’humanité ? Après s’être lié avec deux ingénieurs, il trouve sa véritable voie en prenant la direction d’une école professionnelle de Gaz de France, où il développe l’autodiscipline. Son action auprès des jeunes le propulsera à la tête des écoles professionnelles d’EDF-GDF. Au début des années 1980, il s’engage auprès de l’Amicale d’Auschwitz, dont il devient secrétaire général. Cette Amicale, Raphaël et son équipe la veulent laïque et apolitique, ce qui n’a pas toujours été le cas. Il pense qu’enseigner la Shoah passe par une approche humaine en même temps
| 38 | KAMINANDO I AVLANDO.35
qu’historique. Sans doute parce que l’humain était ce que les nazis voulaient anéantir chez les Juifs. Dans les camps, dit-il, l’homme était nu. Avec son infinie pudeur, Raphaël Esrail reste discret sur cette nudité ressentie au-delà du dicible, sur les valeurs morales qui ne l’ont jamais quitté, et sur l’effroi qu’il ressentait à l’idée d’être réduit à un corps affamé. Plus que la mort omniprésente, il redoutait le moment où il se perdrait à ses propres yeux. C’est ce qui rend son témoignage infiniment touchant et douloureux. Les années 1990 furent une période « faste » pour transmettre la mémoire. Les survivants étaient assez nombreux et en forme pour animer d’innombrables rencontres scolaires et effectuer des voyages mémoriels avec des enseignants d’abord, des classes ensuite… Il faut témoigner, inlassablement, jusqu’à la mort du dernier survivant. Et ensuite, encore plus… Pour Raphaël et sa femme, les lieux d’Auschwitz et de Birkenau échouent à rendre compte de ce qui s’y est passé, mais il faut faire avec. C’est un compromis. Ce qu’ils ont vécu là-bas est au-delà de l’imagination humaine. Comme l’écrit l’auteur en conclusion, ce récit est aussi un compromis. Il aurait voulu « un texte ouvert, un texte infini. Comme l’est à jamais l’espérance d’un baiser ».
Brigitte Peskine
PARA SINTIR |
Susana Weich-Shahak
Para Sintir
Endechas i romances de Tisha beAv Tisha be’Av est un jour de jeûne et de tristesse qui commémore la destruction de Jérusalem et de son Temple. Ce jour-là, les hommes sépharades prient et chantent des oraisons funèbres en hébreu à la synagogue, assis par terre en signe de deuil. Les femmes entonnent également chez elles des oraisons, mais elles le font en judéo-espagnol en reprenant des coplas sur la destruction du Temple et des romances 1 tristes. L’un de ces romance que chantent les femmes à même le sol est le romance « David pleure Absalon » dont tous les vers se terminent par une rime en « o ». Le texte fut publié dans des partitions et des recueils de chants hispaniques du XVI e siècle, preuve que les Espagnols appréciaient aussi ce thème. On en retrouve la trace documentée en 1546 dans un arrangement de la Renaissance pour voix et vihuela (instrument de la Renaissance, précurseur de la guitare) du compositeur Alfonso Mudarra.
Le texte est basé sur le récit biblique du deuil du roi David lors de la mort de son fils Absalon (troisième fils du roi David et de Maacha, fille du roi Talmay de Guésur) tel que rapporté dans le livre de Samuel II, aux chapitres 18 et 19. Absalon se révolta contre son père David puis s’enfuit, mais ses longs cheveux s’accrochèrent aux branches d’un arbre et il fut alors tué par Joab, fidèle à David. Grande fut la peine de David pour la mort d’Absalon et c’est en raison de son thème douloureux que ce romance est employé comme oraison à Tisha be’Av lorsque l’on commémore la destruction de Jérusalem ; il pouvait aussi accompagner des deuils familiaux. Sa mélodie est utilisée dans la liturgie pour entonner la Meguilat Eikha à Tisha be’Av. Le texte décrit la scène au cours de laquelle le roi David attend anxieusement des nouvelles de son fils lorsqu’arrive un page qui lui annonce le sort qui lui a été réservé. À la différence du texte biblique, le romance sépharade s’étend
1. Les romances sont des poèmes narratifs (comprenant en général seize syllabes). Leur thème est souvent lié à des thématiques du Moyen-Âge espagnol. Sur la distinction entre romances et coplas voir Kaminando i Avlando n°4 avril 2013. 2. Référence de l’enregistrement dans la phonothèque israélienne : NSA Y6313/40
KAMINANDO I AVLANDO.35 | 39 |
| PARA SINTIR
sur la description de la douleur de chacune des personnes de la famille : la mère d’Absalon (la femme de David), la femme de celui-ci (la bellefille de David), ses enfants (les petits-fils de David) et jusqu’aux serviteurs d’Absalon. En général, les femmes sépharades, lors de mes entretiens, réussissaient à chanter des oraisons
1 Triste está el rey David, triste está de corazón,
por endechar las sus angusias subióse al mirador, vido a sus campos vedres como los envicia el sol, vido venir de un pajico, más negro que el carbón, 5 demandando y preguntando : – ¿Onde está el emperador? – El emperador sta en su palacio, asentado en el salón – Se echó de rodillas fuertes, pieses y manos le besó. – La novedad que vos traigo es más negra que el carbón 10 que vos mataron al vuestro hijo, vuestro hijo Absalón. – Vinid aquí, la mi mujer, y llorarís de corazón, que vos mataron nuestro hijo, al mi hijo Absalón. – Vinid ahora, aquí, mi elmuera, que arrelumbras más que el sol, quitadvos ales y vedres, de preto vestidvos vos, 15 que vos mataron al marido, al mi hijo Absalón. – Vinid aquí, mi inietos, huerfanicos muevos sos, vos mataron al padre, al mi hijo Absalón. – Vinid aquí, los mis mozos, y lloraris de corazón, que vos mataron a el amo, al mi hijo Absalón.
| 40 | KAMINANDO I AVLANDO.35
funèbres quel que soit le jour, mais j’ai eu l’occasion d’enregistrer Regina Israël-Cohen de Smyrne (Izmir) chantant cette version complète de Triste esta el rey David (Triste est le roi David) lorsque je lui ai rendu visite dans sa résidence de Karataş Hastanesi, à Izmir le 28 juillet 1996, deux jours après la fête de Tisha be’Av 2.
1 Triste est le roi David, triste et le cœur lourd.
Pour exprimer ses angoisses, Il monte au mirador, Il voit ses vertes prairies comme les brûle le soleil, Il voit venir un petit page, plus noir que le charbon, 5 Qui demande et interroge : où se trouve l’empereur ? L’empereur est dans son palais, assis dans le salon, Il tombe à ses genoux, lui baise les pieds les mains. La nouvelle que je vous apporte est plus noire que le charbon, 10 On vous a tué votre fils, votre fils Absalon. Venez ici ma femme, et pleurez de tout cœur, Car on vous a tué notre fils, mon fils Absalon. Venez ici maintenant ma bru qui illuminez plus que le soleil, Quittez le rouge, quittez le vert et habillez-vous de noir 15 Car on vous a tué votre époux, mon fils Absalon. Venez ici mes petits-enfants, vous êtes maintenant des petits orphelins, Car on vous a tué votre père, mon fils Absalon. Venez ici, mes serviteurs, et pleurez de tout cœur, Car on vous a tué votre maître, mon fils Absalon.
Las komidas de las nonas PIMINTONES INCHIDOS KON ARROZ
Ingredientes – 12 pimintones aviertos i vaziados – 2 vazos de arroz – 200 gramos de karne molida – 2 sevoyas pikadas – 1 tomat pikado – Sal i pimienta preta (a gusto) – Ajo pikado (fakoltativo) – 4 vazos de agua – 100 gramos de tomatada – Un poko de azeyte
Preparasión 1. Se koze parsialmente el arroz en un vazo de agua. 2. Se inchen los pimintones kon la karne molida, mesklada al arroz i las sevoyas pikadas, al tomat pikado, a la sal, la pimienta i el ajo pikado. 3. Se azen buyir 4 vazos de agua kon la tomatada i un poko de azeyte. 4. Se meten adientro los pimintones inchidos, i se azen kozer a fuego mediano por kaje 45 minutos, asta ke se embeve la agua. 5. Se sierven keyntes.
Recette extraite du livre de Matilda Koen Sarano Guizar kon gozo (Editorial S. Zack, Jérusalem, 2010). Recette de Jérusalem transmise par Levana Sasson en 1991.
Ingrédients – 12 poivrons ouverts et évidés. – 2 verres de riz. – 200 grammes de viande hachée. – 2 oignons hachés. – 1 tomate hachée. – Du sel et du poivre noir (selon le goût) – De l’ail haché (facultatif ) – 4 verres d’eau. – 100 grammes de sauce tomate. – Un peu d’huile. Préparation 1. Faire cuire partiellement le riz dans un verre d’eau. 2. Farcir les poivrons avec la viande hachée mélangée avec le riz, les oignons, la tomate hachée, le sel, le poivre et l’ail haché. 3. Faire bouillir quatre verres d’eau avec la sauce tomate et un peu d’huile. 4. Disposer dedans les poivrons farcis et faire cuire à feu moyen environ 45 minutes, jusqu’à ce que l’eau soit absorbée. 5. Servir chaud.
Directrice de la publication Jenny Laneurie Fresco Rédacteur en chef François Azar Ont participé à ce numéro Laurence Abensur-Hazan, François Azar, Marie-Christine Bornes-Varol, Judith Cohen, Corinne Deunailles, Audrey Fourniès, Shimon Geron, Matilda Cohen-Sarano, Jenny Laneurie Fresco, Brigitte Peskine, Susana Weich-Shahak. Conception graphique Sophie Blum Image de couverture Mariage de Solly (Salomon) Lévy et Madeleine Gavison. Synagogue Chokron de Tanger le 7 juillet 1963. Collection Solly Lévy. Photothèque sépharade Enrico Isacco. Impression Caen Repro Parc Athéna 8, rue Ferdinand Buisson 14 280 Saint-Contest ISSN 2259-3225 Abonnement (France et étranger) 1 an, 4 numéros : 40€ Siège social et administratif MVAC 5, rue Perrée 75003 Paris akiestamos.aals@yahoo.fr Tel : 06 98 52 15 15 www.sefaradinfo.org www.lalettresepharade.fr Association Loi 1901 sans but lucratif n° CNIL 617630 Siret 48260473300048 Juillet 2020 Tirage : 1000 exemplaires Numéro CPPAP : 0324G93677
Aki Estamos – Les Amis de la Lettre Sépharade remercie ses donateurs et les institutions suivantes de leur soutien