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SUBSTANCE
TÊTE-À-TÊTE(S)
Delphine Horvilleur Son dernier livre, Il n’y a pas de Ajar. Monologue contre l’identité (1), se joue au théâtre (2). C’est d’ailleurs quelques heures après la première que la rabbine et autrice nous reçoit, rayonnante, au cœur de son appartement endormi. Pour évoquer ce que la nuit lui inspire, mais aussi ses lectures d’adolescence, les “dibbouk” qui viennent parfois lui rendre visite, et l’extrême pudeur de sa famille, survivante de la Shoah. Par Catherine Castro Photo Paloma Pineda
Chez qui débarquons-nous, en ce lundi de septembre juste après minuit, en sonnant à l’interphone Horvilleur ? Chez la rabbine superstar, voix qui porte du judaïsme libéral ? Chez l’autrice à succès qui publie un nouveau livre, Il n’y a pas de Ajar. Monologue contre l’identité, fiction théâtrale ? Ou chez l’érudite qui dirige la revue Tenou’a et anime des ateliers de réflexion sur la pensée juive ? Ou encore chez l’ex-journaliste de France 2 ? Un début de réponse qui n’en est pas une, une longue réflexion plutôt, se détache au début du livre : « C’est moi et tous les autres, c’est-à-dire tous ceux que je pourrais encore être. Pas question de décliner toutes nos identités. » Le chouette appartement parisien dort à poings fermés, à cette heure tardive. Pour s’asseoir sur le canapé, il faut déplacer un tas de vêtements d’enfants qu’on imagine abandonnés pour enfiler un pyjama. Delphine H. vient de rentrer de la première d’Il n’y a pas de Ajar. Elle prête sa voix à Abraham, fils imaginaire d’Émile Ajar, lui-même pseudonyme littéraire de l’écrivain Romain Gary. Bref, l’assignation identitaire, voilà ce qu’en fait Rabbi H. : une pépite d’humour juif où elle déconfine l’identité. Ce soir, elle est rayonnante. Crevée. « Une infusion, ça vous va ? » « Nuit tranquille », c’est parti. Après Vivre avec nos morts (3), « un livre très lourd à porter », elle a eu besoin de « s’émanciper », de « laisser libre cours à sa folie intérieure ». L’autrice désigne un placard qui occupe un pan de mur du sol au plafond. « Il est plein des milliers de lettres que j’ai reçues. Les gens m’envoyaient des photos de leurs morts. Des récits de dizaines de pages sur le deuil impossible. » N’empêche, elle a offert cet abri à l’éternité de la douleur. Cela donne une petite • • •