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SUBSTANCE
MAGAZINE
Petites thérapies
entre ami·es
Comment réparer une amitié qui s’est abîmée, avec les soucis du quotidien, l’éloignement, l’arrivée d’un enfant ou d’un nouveau partenaire ? Aux États-Unis, elles et ils sont de plus en plus nombreux·ses à se tourner vers les “friendship therapies”, sortes de thérapies de couple version amicale. Nos témoins ont tenté l’expérience et racontent. Par Stéphanie Chayet Illustration Angela McKay
LONGTEMPS, DONNA ET SES AMIES ONT FAIT DES ENVIEUX·SES.
Leur bande formée sur les bancs de l’université avait survécu aux mariages, aux grossesses, aux changements de voie professionnelle, aux déménagements à l’autre bout du pays. Tous les étés, ces six Américaines convergeaient vers leur État d’origine, la Caroline du Nord, pour des retrouvailles à la mer ou à la montagne. « Ce qui comptait le plus pour nous n’était pas de faire du tourisme, mais simplement de passer du temps ensemble à nous reconnecter, à parler de nos vies », raconte cette avocate pénaliste de 40 ans (elle préfère ne pas donner son nom de famille), jointe par visioconférence à son domicile de San Francisco. À chaque fois, c’était comme retrouver des sœurs. « À 30 ans, j’ai perdu ma mère, puis divorcé la même année, et mes amies m’ont énormément soutenue, poursuit Donna. Les gens nous disaient toujours : “Quelle chance d’avoir conservé ces liens ! » En 2020, la pandémie a mis fin à leurs réunions en chair et en os, remplacées par un groupe SMS. Leurs divergences politiques ont refait surface dans une Amérique de plus en plus déchirée. « On a toujours su qu’on ne partageait pas les mêmes opinions, mais ça n’avait jamais posé de problème », explique Donna, qui se décrit comme « très progressiste ». Dans le groupe, trois se classent à gauche, une au centre, et deux ont voté pour Donald Trump. « Au moment du procès du meurtrier de George Floyd, une amie dont les enfants sont métis a écrit combien elle avait peur pour eux. Je ne me souviens plus de ce qui a été
dit exactement, mais je sais que les deux Républicaines ont manqué d’empathie. Les choses ont dégénéré, par texto. C’est alors que j’ai demandé à la cantonade : “Est-ce que ça existe, les thérapies entre amis ?” » LA RÉPONSE EST OUI. AUX ÉTATS-UNIS, LA “FRIENDSHIP THERAPY”
– qu’on peut traduire par thérapie d’amitié – est devenue une niche. En cherchant sur le Net, Donna est tombée sur le site de Catalyst Counseling (1), un cabinet de psychologie de Houston, au Texas, positionné sur ce marché émergent. Se mettre d’accord sur un créneau a été le plus difficile, raconte l’avocate : « Nous vivons dans différents fuseaux horaires, nous travaillons, et toutes mes amies ont des enfants. Mais nous avons quand même réussi l’exploit de nous réunir virtuellement une demi-douzaine de fois avec notre psychothérapeute. » La dispute politique s’est vue éclipsée par des problèmes affectifs plus profonds. « De vieilles blessures, des choses qui couvaient depuis des années, poursuit Donna. Une membre du groupe a avoué qu’elle s’était toujours sentie jugée par une autre à cause de son travail. Jamais elle n’avait osé lui en parler. » La fondatrice de Catalyst Counseling, Barbie Atkinson, fait remonter son intérêt pour le lien d’amitié à son travail avec des adolescent·es. « Les ami·es, à cet âge-là, comptent plus que tout, plus que les parents. J’ai pris l’habitude de proposer à mes patients d’inviter leurs ami·es en séance. À l’époque, mes collègues trouvaient ça étrange, cela ne se faisait pas du tout. » Depuis, • • •