SOMMAIRE
LM magazine 184 - février 2023
NEWS – 06
SOCIÉTÉ – 08
Køn Gender Museum
Unique en son genre Phallus. Norme & Forme Masculin pluriel
PORTFOLIO – 20 Hélène Builly Les lois du hasard
RENCONTRE
Lous and the Yakuza – 30 À cœur ouvert
Corinne Masiero – 86 Vive les prolos !
MUSIQUE – 30
Lous and the Yakuza, Alela Diane, NeS, Weyes Blood, Folamour, Ezra Collective, A Place To Bury Strangers, Acid Arab, Barbara Hendricks, Lizzo, Caroline Polachek
CHRONIQUES – 50
Disques – Jean Felzine, Gaz Coombes, Belle and Sebastian,
Andy Shauf, The Brian Jonestown Massacre
Livres – Émilie Gleason & Arthur Croque, Anthony Galluzzo, Didier Lestrade, Julien Frey & Dawid, Timothée Gérardin
Écrans – La Famille Asada, Tár, Interdit aux chiens et aux Italiens, L’Homme le plus heureux du monde, L’Astronaute, The Fabelmans
EXPOSITION – 62
Michele De Lucchi, Égypte, éternelle passion, Brian McCarty, Sur le fil, Baudouin Oosterlynck, Agenda
THÉÂTRE & DANSE – 78
Cabaret de Curiosités, Les Gros patinent bien, Room With a View, Prolo not Dède, Haroun, Benjamin Tranié, Madame Fraize, Laura Felpin, (La bande à) Laura, Rodin, Agenda
LE MOT DE LA FIN – 98
Julien Tabet Vestiges de la marque
MAGAZINE
LM magazine – France & Belgique 28 rue François de Badts 59110 LA MADELEINE - Ftél : +33 (0)3 62 64 80 09
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Direction de la publication Rédaction en chef Nicolas Pattou nicolas.pattou@lastrolab.com
Rédaction Julien Damien redaction@lm-magazine.com Camille Baton info@lm-magazine.com Publicité pub@lm-magazine.com
Direction artistique & graphisme Cécile Fauré cecile.faure@lastrolab.com
Couverture Murmur Hélène Builly cargocollective.com/luebleylhine
Administration Laurent Desplat laurent.desplat@lastrolab.com Réseaux sociaux Sophie Desplat Impression Tanghe Printing (Comines) Diffusion C*RED (France / Belgique) ; BHS.MEDIA (Bruxelles / Hainaut)
Ont collaboré à ce n° : Coraline Aim, Selina Aït Karroum, Fatma Alilate, Thibaut Allemand, Rémi Boiteux, Hélène Builly, Audrey Chauveau, Marine Durand, Hugo Guyon, Grégory Marouzé, Raphaël Nieuwjaer et plus si affinités.
LM magazine France & Belgique est édité par la Sarl L’astrolab* - info@lastrolab.com
L’astrolab* Sarl au capital de 5 000 euros - RCS Lille 538 422 973 Dépôt légal à parution - ISSN : en cours
L’éditeur décline toute responsabilité quant aux visuels, photos, libellé des annonces, fournis par ses annonceurs, omissions ou erreurs figurant dans cette publication. Tous droits d’auteur réservés pour tous pays. Toute reproduction, même partielle, par quelque procédé que ce soit, ainsi que l’enregistrement d’informations par système de traitement de données à des fins professionnelles, sont interdites et donnent lieu à des sanctions pénales. LM magazine est imprimé sur du papier certifié PEFC. Cette certification assure la chaîne de traçabilité de l’origine du papier et garantit qu'il provient de forêts gérées durablement. Ne pas jeter sur la voie publique.
PAPIER ISSU DE FORÊTS GÉRÉES
Mons (BE)
Un festival qui ose. La scène. Le corps. En toute liberté.
PhotoBrussels Festival
Septième édition, déjà, pour ce festival dédié à la photographie. Expositions, rencontres, ateliers ou conférences rallient 35 lieux. Au Hangar, Mirror of Self interroge par exemple la représentation de soi à l'ère des selfies, et plus largement la pratique de l'autoportrait. Le centre culturel Jacques Franck se penche de son côté sur la jeunesse (Youth), mettant en lumière cette grande période de flou identitaire – et déconstruit bien des clichés, ça va de soi. Bruxelles, jusqu'au 26.02, photobrusselsfestival.com
ANIMA
Le film d'animation ne se résume pas aux studios Pixar et Disney. A Bruxelles, ce festival célèbre un panorama bien plus vaste et excitant. Des tribulations amoureuses de My Love Affair with Marriage (Signe Baumane) à l'épopée migratoire en stop motion d'Interdit aux chiens et aux Italiens (Alain Ughetto, voir p. 58), 154 courts et 22 longs-métrages dévoilent une variété de formes à faire saliver Rémy, le rat gourmet de Ratatouille. Bruxelles, 17 > 26.02, Flagey, 1 séance : 8,50 > 6,50€ • pass : 75/70€, animafestival.be
AU CŒUR DE L'ATOMIUM
Inauguré à l'occasion de l'exposition universelle de 1958, l'Atomium n'a de cesse de marier science et art. En témoigne cette œuvre synesthésique et immersive concoctée par le collectif Visual System. À travers Restart (une exposition temporaire) et Centrale (une installation permanente), ce parcours sculpte littéralement l'architecture du monument bruxellois avec la lumière et le son. Un patrimoine vivant ET vibrant.
Restart – Bruxelles, 03.02 > 24.09, Atomium, lun > dim : 10h-18h, 14 > 8,50€ (gratuit enfants –115 cm), atomium.be
GUERRIÈRES !
À l'heure où le mouvement #Metoo fête ses cinq ans, Mons arts de la Scène (Mars) transforme plus que jamais les paroles en actes. Ce festival convie des artistes "guerrières", comme Émilienne Flagothier qui rejoue dans Rage les violences quotidiennes faites aux femmes, pour mieux les exorciser. Tout aussi galvanisant, Amazones de Marinette Dozeville célèbre la beauté et la puissance féminines à travers le ballet de sept interprètes nues mais sacrément culottées.
Mons, 09 > 19.03, Théâtre le Manège 1 spectacle : 15 > 6€, surmars.be
Stranger Things - The Expérience
Vous vous languissez de la sortie de la cinquième et ultime saison de Stranger Things ? Il faudra patienter jusqu'en 2024, hélas ! En attendant, cette expérience interactive promet d'immerger le public dans un épisode unique de la série des frères Duffer. Vous voici au cœur du laboratoire d'Hawkins, afin de tester tout un tas de nouveaux superpouvoirs – dont celui de débourser 37 euros pour 45 minutes d'aventure … dingue ! Paris, à partir du 10.03, Paris Event Center mer > ven : 16h - 23h30 • sam & dim : 10h30-23h30, 37€ strangerthings-experience.com
KØN GENDER MUSEUM Unique en son genre
Près de la cathédrale d’Aarhus, sur la côte est du Danemark, s’élève un élégant bâtiment de briques rouges. Édifié en 1857, tour à tour hôtel de ville puis commissariat, il est devenu en 1982 le musée de la Femme. Durant presque 40 ans, ses 1 200 m 2 furent exclusivement dédiés aux combats menés par ce que Simone de Beauvoir nommait "le deuxième sexe". L’évolution de la société sur la question du genre l’a depuis incité à opérer sa transformation. Appelezle dorénavant Køn Gender Museum !
Au pays des Vikings, l'égalité des sexes n'est pas une vue de l'esprit. Le Danemark a accordé le droit de vote aux femmes dès 1915 et reste le premier état au monde à avoir nommé une ministre, neuf ans plus tard. Dans les seventies, inspiré par les féministes américaines des Redstockings ("bas rouges"),
« Le
le mouvement Rødstrømper participe lui aussi à l’émancipation des Danoises. Ces activistes luttant pour le droit à l’avortement sont d’ailleurs à l’origine de la création du Kvindemuseet ("musée de la Femme"), inauguré en 1982 à Aarhus – soit la deuxième plus grande
On recense 68 genres au Danemark © Peur du loup
ville du pays après Copenhague. Une salle leur est d'ailleurs dédiée. Des photographies montrent des militantes défilant avec faux-cils et faux seins, voire en culotte.
Inversion des rôles dans la cabine d'essayage
Au milieu des banderoles, badges ou flyers, on trouve également un livret empli de clichés et de croquis de vulves, évoquant sans tabou l’orgasme féminin... Mais depuis, la société a évolué, et les questions se bousculent : Qu’est-ce que la norme ? Quelle importance d'être né(e) garçon ou fille ? Tout cela a amené le musée à élargir son domaine de compétence pour s'intéresser plus globalement au genre, en 2021.
Une longueur d'avance
Avant d'accéder aux étages du musée, le visiteur est interpellé par un saisissant portrait : celui d'un septuagénaire outrageusement bronzé et torse nu, affublé de boucles d’oreille et d’un collier de perles. Il s’agit d'Ulf Pilgaard, acteur danois ayant campé... la reine Margrethe du Danemark. « Rien de choquant, lance Jacob, un Copenhaguois. Pourquoi un homme ne pourrait-il pas être une femme, après tout ? ».
« On mesure ici les combats restant à mener »
Pas faux. Et sur ce sujet, le Danemark est aussi très ouvert. Dans les années 1930, l'artiste peintre Einar Wegener, plus connu sous le nom de Lili Elbe, fut ainsi l’une des premières personnes au monde à bénéficier d'une opération chirurgicale pour changer de sexe, et
devenir une femme. En 1933, le pays légalise les rapports homosexuels et, en 1989, devient le premier du globe à reconnaître les couples gays.
Mélange des genres À ce propos, saviez-vous que Facebook Danemark référence 68 genres ? Homme, femme, transgenre, mais aussi "demiboy/girl", intergenre, gender fluid... Dans la salle Gender blender, chacun est d'ailleurs invité à questionner le sien. Une cabine d’essayage permet également de se glisser dans la peau du sexe opposé en portant des postiches de seins, de fesses, un ventre de femme enceinte ou un pénis. Même la cafétéria du Køn Gender Museum est régulièrement le théâtre de causeries et débats sur le sujet. Des thématiques qui semblent intéresser les jeunes puisque 63 % des visiteurs ont entre 14 et 29 ans. « Venir ici nous permet de voir où nous en sommes, les combats gagnés et ceux qui restent à mener », déclare par exemple Metti. Nul doute que la prochaine exposition temporaire, en mars, soulèvera aussi son lot de questions. Baptisée Carry Me, celle-ci promet d'explorer l'histoire de l'identité féminine et masculine à travers celle du sac à main lors d'une visite, évidemment, unique en son genre. Audrey Chauveau
À visiter / konmuseum.dk
PHALLUS. NORME & FORME Masculin
pluriel
Inauguré en octobre 2020 au cœur du Jardin botanique de Gand, à deux pas du S.M.A.K., le Ghent University Museum (GUM) se veut un lieu dédié à la recherche et à la pensée critique. À l’occasion de sa toute première exposition temporaire, il frappe fort : sous la ceinture ! Mêlant science et art, ce parcours ausculte le phallus sous toutes ses formes, et remet en question bien des normes. Pourquoi place-t-on cet organe sur un piédestal ? De quoi est-il le symbole ? Fait-il seulement l’homme ? Ou comment baisser le regard pour élever la réflexion. •••
Il se dresse au centre de la pièce, et résume à lui seul le propos. Constitué de papier mâché, datant du xix e siècle et œuvre du médecin Louis Auzoux, ce modèle anatomique d'un homme a le regard fixé sur son pénis en érection – un phallus, donc. Est-il fier de ses attributs ou en plein doute ? « Ce que vous avez entre les jambes ne doit pas vous définir », lui répondrait Lyvia Diser, collaboratrice scientifique de cette exposition, dont le but est de briser les stéréotypes associés au membre viril, à la masculinité et à une vision binaire de l’identité
sexuelle. Ces représentations en cire de personnes situées entre les deux sexes remettent en question l'idée même de norme. Ici, un vagin surmonté d'un pénis, là un gros clitoris avec des testicules… en tout cas des particularités physiques rendant impossible toute "classification". D’ailleurs, 1,7 % de la population mondiale serait intersexuelle, « ce qui est comparable au nombre d'enfants naissant avec des cheveux roux ».
Question de taille Bien plus qu’un organe génital, le phallus est également un symbole, de pouvoir, de puissance, sans que cela soit toujours justifié. Ce n’est pas le lion qui dira le contraire : le roi de la jungle possède un tout petit zizi !
« Ce que vous avez entre les jambes ne doit pas vous définir »Représentations de clitoris © Julien Damien © Mara Standaert
Oh, ce n’est pas la taille qui compte. Nombre d’études ont été menées sur cette obsession.
« Aujourd'hui encore, la forme du clitoris fait débat »
On se rassure, selon les scientifiques, la moyenne (allez, disons 15 centimètres) correspondrait au format idéal attendu par les femmes hétérosexuelles. « Notez que cette question se focalise encore sur la pénétration, comme si seule cette pratique comptait pour la recherche… », remarque Lyvia Diser.
Sous les jupes des filles
À bien y regarder, nos savants (longtemps des hommes) ont eu tendance à dénigrer l’anatomie des filles – symptôme d’une société
phallocentrique. Et c’est seulement en 2005 que l’urologue australienne Helen O'Connell découvre que le clitoris est plus complexe qu’un simple petit bouton, et qu'il ressemble beaucoup à un phallus.
« Mais aujourd’hui encore, cette forme est l’objet de débats ». Au fait, savez-vous seulement dessiner un sexe féminin ? Si l’être humain voit des pénis en érection partout (dans un gratte-ciel, une banane), il a aussi pris l’habitude d’en recouvrir les murs. Au GUM, de fausses toilettes ont été mises à disposition pour tester les talents de chacun et chacune – histoire de retrouver la vulve. Julien Damien Gand, jusqu'au 16.04, GUM lun, mar jeu & ven : 9h30-17h30 • sam & dim : 10h-18h, 8 > 2€ (gratuit -18 ans), gum.gent
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MUSÉE PHALLOLOGIQUE ISLANDAIS
En passant par Reykjavik, vous saurez tout sur le zizi - chacun ses références... Inauguré en 1997, le Musée phallologique islandais rassemble la plus grande collection d'organes génitaux au monde. Soit plus de 200 pénis conservés dans le formol et provenant de 46 espèces, de spécimens de cachalot, de taureau, de hamster ou même d'humain. En l'occurrence, celui d'un ami du créateur de cette noble institution, auquel il a fait don de son service trois pièces – après sa mort, évidemment. Sinon, on trouve aussi là un moulage en plâtre du membre en érection de Jimi Hendrix, réalisé par l'artiste Cynthia Plaster Caster, grande fan de tubes de rock. J.D. À visiter / phallus.is
VAGINA MUSEUM
Créé en 2019 par Florence Schechter, le Vagina Museum est tout simplement le premier musée au monde consacré à l'appareil génital féminin. Installé à Londres dans le district de Bethnal Green, ce lieu "transinclusif" n’a rien de grivois ni du cabinet de curiosités. Entre panneaux explicatifs et œuvres explicites, ses expositions poursuivent avant tout un objectif pédagogique, dézinguant tous les mythes et tabous – et ils sont encore nombreux. J.D. À visiter / vaginamuseum.co.uk
HÉLÈNE BUILLY
Les lois du hasard
Son nom ne vous dit peut-être rien, mais vous avez forcément croisé une de ses illustrations, au détour d'une page du Monde, d'un programme de théâtre ou encore d'une pochette d'album – The Cloud Making Machine de Laurent Garnier, c'est elle ! Voilà plus de 20 ans qu'Hélène Builly produit des collages volontiers surréalistes. Ses œuvres s'apprécient comme des palimpsestes superposant différentes histoires, pour autant de niveaux de lecture. À l'heure où le flot d'images n'a jamais été aussi abondant, anesthésiant toute sensibilité face aux sujets les plus graves, l'artiste accorde tout et son contraire pour réécrire le monde à sa façon. « Pour moi, le collage traduit une irrésistible envie de changer l'ordre des choses », assure l'intéressée. Dans son iconothèque cohabitent des clichés de tous les styles, agrémentés de ses propres photographies si nécessaire. Elle cherche, réarrange tout cela au gré de son inspiration, obéissant volontiers aux lois du hasard, qui réserve de belles surprises. « C'est une source de création formidable, rappelant combien il est important de ne pas avoir une idée fixe ». De ces juxtapositions inattendues résultent des compositions sophistiquées, véhiculant parfois cette inquiétante étrangeté si chère aux surréalistes. En témoigne ce paquebot se frayant un chemin entre deux icebergs serrés comme des molaires. Ou encore ce couple semblant sorti des années 1950, spectateur immobile d'un cataclysme – notre couverture. À bien y réfléchir, on pourrait voir là une puissante allégorie de notre incapacité d'agir face au péril climatique en cours. Mais sans doute est-ce une autre histoire, à vous de voir... Julien Damien
À visiter / cargocollective.com/luebleylhine À lire / la version longue de cet article sur lm-magazine.com
« Pour moi, le collage traduit une irrésistible envie de changer l'ordre des choses »Les Saisons soudaines - À Gaëlle Affiche Théâtre des Célestins, Lyon, 2018-19
agauchedelalune.tickandyou.com et dans les points de vente officiels habituels graphisme : marceau truffaut - hypothèse.studio
LOUS AND THE YAKUZA À cœur ouvert
Dessinatrice, mannequin, traductrice... et avant tout musicienne. À 26 ans, Lous and the Yakuza est une artiste complète, et n'a déjà plus grand-chose à prouver. Après le succès de Gore en 2020, et des premières parties pour (excusez du peu) Gorillaz, Coldplay ou Alicia Keys, Marie-Pierra Kakoma (pour l'état civil) revient sur le devant de la scène avec Iota. Un deuxième album lumineux, à la croisée de la pop, du rap et du r'n'b dans lequel la chanteuse belgocongolaise, chapeautée par le label de Jay-Z (Roc Nation), mise sur la spiritualité et l'amour. Rencontre sans fard à la veille d'une série de concerts entre Lille, Bruxelles et Anvers. Propos recueillis par Camille Baton
Pouvons-nous revenir sur votre parcours ? Je suis né au Congo en 1996. J’y ai vécu jusqu'à quatre ans et demi avant de fuir la guerre. Ensuite, j'ai habité en Belgique durant cinq ans, puis au Rwanda. À 15 ans, je suis revenue en Belgique dans un internat catholique avant de m’inscrire en fac de philo. Mais j’ai décidé d’arrêter les études pour me consacrer à la musique.
Quelles sont vos influences ? Quand j’étais petite, on écoutait beaucoup de musique classique avec mon père. Du côté de ma
mère, c’était plutôt soul et musiques noires avec James Brown, Ray Charles, Aretha Franklin, mais aussi du rock avec les Beatles ou les Stones. Mon frère écoutait lui énormément de hip-pop. Enfin, mon attrait pour le r'n'b et la pop vient de mon adolescence. Au final, je ne m'interdis aucun genre et ce que j’écoute est à l’image de mon album, très éclectique.
Vous êtes aussi une grande fan de culture japonaise et de manga, n'est-ce pas ? C’est dans la littérature japonaise que j’ai trouvé mon refuge émotionnel.
La manière dont sont exprimés les sentiments d'un personnage comme Naruto, par exemple, me touche beaucoup. C’est une expérience assez commune pour les fans de manga. On ressent tous cet émerveillement.
« J’ai trouvé mon refuge émotionnel dans la littérature japonaise »
Comment définiriez-vous votre propre démarche artistique ?
Je fais de la musique avec le cœur, et surtout l’envie de raconter des histoires. J'accorde beaucoup d'importance à l’écriture, centrale dans mon processus. Les mots ne sont jamais un détail pour moi.
Vous revenez sur scène à la faveur d'un nouvel album nommé Iota. Pourquoi ce titre ? J’ai utilisé ce mot comme une métaphore. Pour désigner ce petit rien qui persiste en nous après chaque histoire traversant notre existence, en l'occurrence les histoires d’amour. Ce sujet m’est très cher et je ne l'avais pas exploré dans mon premier album.
Justement, comment avezvous abordé la création de ce deuxième disque ? Comme toujours, je me suis laissée guider par mes émotions. Lors de l'écriture de Gore, j’étais en colère, comme si l’élément qui le caractérisait était le feu. Pour Iota, ce serait
plus l’eau, qui peut être tout aussi brutale. Mon troisième album sera davantage influencé par la littérature, car je passe ma vie à lire !
Pourquoi le thème de la solitude revient-il aussi souvent dans vos chansons ?
Paradoxalement, plus on est connu, plus on se sent seul. Ça devient compliqué de rencontrer des gens sur la même longueur d'ondes. Mais j’ai trouvé la solution : je vis dans ma petite île, une maison dans laquelle il y a tous mes amis !
À quoi ressemble un concert de Lous and the Yakuza ?
Je passe les meilleurs moments de ma vie sur scène. C'est un endroit où je peux tout me permettre. Je me défoule, je partage, je regarde tout le monde dans les yeux comme une folle ! Le public a peutêtre l'impression de découvrir une personne avec des troubles de la personnalité ! Mais qu'importe, je souhaite que les gens ressentent quelque chose.
À lire / la version longue de cette interview sur lm-magazine.com
À écouter / Iota, Sony Music
Lille, 01.02, L'Aéronef, 20h, 25 > 19€, aeronef.fr Bruxelles, 07.02, Ancienne Belgique, 19h complet !, abconcerts.be Anvers, 09.02, De Roma, 20h, complet ! deroma.be
ALELA DIANE
Sphère intime
Pas loin de 15 ans après The Pirate’s Gospel, qui projeta son autrice en pleine lumière, Alela Diane n’a pas encore réitéré l’exploit –commercial, s’entend. Car, d’un point de vue strictement artistique, l’Américaine n’a jamais totalement démérité. Et pourtant…
Amusant de retrouver, à travers la presse déchaînée, les mêmes formules à propos de Looking Glass, son dernier album en date : le retour en grâce, un come-back inattendu, une résurrection… on en passe. À croire que tout le monde avait raté Cusp (2018), précédent recueil de la Californienne, qui creusait ce même sillon entre mélodies poignantes, arrangements ouatés et acoustiques, comme attrapés au vol. Compositrice prolifique, Alela Diane ne va pas chercher l’inspiration bien loin, elle décrit simplement son quotidien. On en entend s’étrangler : sa petite vie ? Mais qu’a-t-elle de particulier ? Victor Hugo, à la reprise de volée : « Ah ! Quand je vous parle de moi, je vous parle de vous. Comment ne le sentez vous pas ? Ah ! Insensé, qui crois que je ne suis pas toi ! » Bien envoyé Totor ! Car c’est au creux de l’apparemment banal que se niche ce qui nous concerne tous : les doutes amoureux, les interrogations existentielles… Et la chanteuse folk de transcender adroitement le tout. Oh, n’attendons pas le sens de la démesure de sa camarade Joanna Newsom. On est plus proche ici de Sharon Van Etten, Cat Power ou de la légendaire Carole King. Des mélodies tombées du ciel, un patient travail d’orfèvre, et voilà ! Thibaut Allemand Bruxelles, 03.02, Botanique, 19h30, complet !, botanique.be // Liège, 04.02, Reflektor, 20h, 25,50€ reflektor.be // Tourcoing, 05.02, Le Grand Mix, 18h, complet !, legrandmix.com
NES
Ce jeune Strasbourgeois (18 ans !) fut découvert avec l'EP Offline, en septembre 2020, et en est déjà à son cinquième projet. Le dernier en date, La Course, a été enregistré dans sa cave mais n'a pas tardé à éblouir son monde. Notre rookie y déploie ses textes incisifs qu'il débite avec un flow métronomique. Tantôt futuristes ou boom-bap, ses productions évoquent par endroit le regretté Népal mais, qu'on se le dise, cet autodidacte est bien parti pour tracer sa propre route. C.B.
Tourcoing, 03.02, Le Grand Mix, 20h, 14 > 6€ legrandmix.com
WEYES BLOOD
Quelle métamorphose ! En une poignée d’albums, Natalie Mering, qui avait collaboré avec Jackie-O Motherfucker et signé quelques disques expérimentaux, s’est muée en prêtresse païenne pop. Elle embrasse désormais tout un pan du soft-rock 70’s. Les orchestrations riches et le chant hanté et hiératique de la Californienne l’inscrivent dans les pas d’une Kate Bush ou d’une Nico – pas un hasard, donc, si John Cale l’a conviée sur son dernier LP. T.A.
Bruxelles, 05.02, Botanique, 19h30 complet !, botanique.be
FOLAMOUR
Fondateur du label For Heaven Use Only, ce multi-instrumentiste et platiniste averti s’est imposé comme l’un des équilibristes les plus passionnants, naviguant entre space disco, deep house et ambient jazz. Ce Lyonnais a le chic pour envoyer des tracks à la fois efficaces et très ambitieux. Il se permet ainsi de coller Demain dès l’aube de Victor Hugo sur fond de house baléarique sans qu’on n'y trouve rien à redire. Impeccable ! T.A. Bruxelles, 25.02, Ancienne Belgique, 19h, complet !, abconcerts.be
EZRA COLLECTIVE
Melting jazz
Si Londres ne représente pas un haut lieu historique du jazz, comme le furent La Nouvelle-Orléans, Chicago, New-York ou Paris, ce creuset de cultures a toujours mélangé les sons. Sans remonter à Cymande, qui secoua la capitale dans les seventies, on peut citer actuellement The Comet is Coming, Kokoroko, Portico Quartet, Sons of Kemet ou Moses Boyd, qui partage d'ailleurs quelques membres avec Ezra Collective. Cette synthèse musicale est ici servie par un pianiste, un trompettiste, un saxophoniste et un bassiste réunis autour du batteur Femi Koleoso (aperçu chez Gorillaz). Ensemble, ils ont signé deux excellents albums, qui ne prennent leur pleine mesure que sur les planches. Ce qui n’empêche nullement le quintette de transformer ses enregistrements en manifeste. Ainsi, No Confusion débute avec le regretté Tony Allen entonnant : « je joue du jazz à ma façon ». Comme eux, en fait. À savoir : en mêlant afrobeat, hip-hop, dub, funk, et allant fureter du côté de la salsa ou des sons sud-africains. Ouvert aux collaborations avec le haut du panier londonien (Kojey Radical, Sampa the Great, Jorja Smith, Loyle Carner…), ce collectif né voici à peine quatre ans pourrait marquer ce début de millénaire de son empreinte – et stimuler de nouvelles Années folles ? Thibaut Allemand Bruxelles, 05.02, Ancienne Belgique, 19h, complet !, abconcerts.be Lille, 12.02, L'Aéronef, 18h30, 25/19€, aeronef.fr
A PLACE TO BURY STRANGERS
On achève bien les tympans
Attention, bourdonnements persistants à prévoir : la déflagration noise venue de Brooklyn n’a rien perdu de son intensité, et elle arrive près de chez nous. L’occasion de retrouver quelques très grands titres de rock charbonneux et de voir à l’œuvre un agitateur sonore essentiel, aussi inspiré qu’énervé.
Né en 2003, A Place To Bury Strangers (littéralement "un endroit pour enterrer les étrangers") a connu trois périodes différentes. Actuellement resserrée autour de son instigateur Oliver Ackermann et de la paire Fedowitz (issue de Ceremony East Coast), la formation reste fidèle à la réputation qu’elle traîne depuis ses débuts : celle du groupe new-yorkais le plus bruyant du xxie siècle. À la manière d’un Trent Reznor au plus énervé de son inspiration, Ackermann malmène ses compositions carrées (presque pop dans leur immédiateté) à coups de saturations, d’accélérations et de déflagrations bruitistes. Celles-ci peuvent, au choix, faire fuir à toutes jambes ou conduire à l’extase. Dans tous les cas, on ressort rarement d’un set d’APTBS avec les oreilles intactes. Le grésillement qui suit reste parfaitement reconnaissable, même sur des albums aux influences plus larges comme le Transfixiation de 2015, conjuguant blues cafardeux avec le romantisme noir de The Jesus and Mary Chain. De shoegaze concassé en punk psychédélique, Ackermann lézarde sans louvoyer, jusqu’au récent See Through You qui tient les promesses du fondamental Exploding Head. Alors, gare à vos boîtes crâniennes. Rémi Boiteux Courtrai, 11.02, De Kreun, 20h, 17/14€, wildewesten.be
ACID ARAB
Douce transe
Musique de France, clamait le premier album d’Acid Arab. Un disque à mettre à fond en passant sous les fenêtres d’Éric Ciotti, et un pied de nez façon Douce France, de Carte de séjour – d’ailleurs, le regretté Rachid Taha était de la party . Alors, c’est quoi, Acid Arab ? À l’origine, une bonne idée qui aurait pu tourner court, l’union des sons arabes et électroniques n’étant pas tout à fait neuve. On songe à Omar Souleyman (fatigant), Transglobal Underground (envoûtant) ou Muslimgauze (fascinant). Parfois, ce mariage entre electro et tradition orientale ne dépasse pas l'artifice exotique. Heureusement, Acid Arab opère un syncrétisme parfait entre ces deux approches. Signés chez les têtes chercheuses belges Crammed Discs, Guido Minisky et Hervé Carvalho ont sorti trois albums impeccables, alignant les invités comme à la parade (citons Sofiane Saidi, A-Wa, Cheb Halim ou Les Filles de Illighadad). La formule n’a pas cessé de nous étonner, sans doute grâce à toutes ces rencontres qui assurent un renouvellement permanent et, avouons-le, nous guident parmi la pléthore de musiques arabes dont nous ignorons tout. Et ce, sans jamais oublier le but premier de cette entreprise : la transe. Thibaut Allemand Bruxelles, 17.02, Ancienne Belgique, 19h, complet !, abconcerts.be
BARBARA HENDRICKS
Une voix pour la liberté
Cantatrice à la renommée mondiale, Barbara Hendricks est aussi ambassadrice honoraire à vie du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Depuis plus d'un demi-siècle, la soprano se produit sur les plus grandes scènes et sillonne la planète au bénéfice de ceux qui n'ont pas de voix. Deux rôles indissociables pour cette femme qui a grandi durant la ségrégation raciale aux États-Unis.
Née quelques jours avant la Déclaration universelle des droits de l’homme, Barbara Hendricks a fait de l’égalité pour tous le combat d’une vie, à travers ses actions humanitaires et ses concerts. Titulaire d'une licence de mathématiques et de chimie, elle a étudié le chant au sein de la prestigieuse Juilliard School de New York. Connue pour ses interprétations des grands rôles lyriques, elle s'essaie pour la première fois au jazz au Festival de Montreux, en 1994. Un mouvement naturel pour la cantatrice, qui a fait ses débuts avec les Negro spirituals dans l’église de son père, pasteur dans l’Arkansas. Barbara Hendricks explore alors ce genre sous toutes les coutures avant de plonger dans ses racines avec l’album Blues Everywhere I Go, en 2015. Trois ans plus tard, la désormais citoyenne suédoise enregistre The Road to Freedom, disque de blues qu'elle défend ici sur scène, et constitué de morceaux ayant marqué le mouvement des droits civiques aux États-Unis. Accompagnée de son blues band, elle célèbre cette musique de lutte et place sa voix au service d’une mission (hélas) plus que jamais actuelle. Coraline Aim
Le Touquet, 19.02, Palais des Congrès, 16h, 65>50€, letouquet.com Hem, 04.03, Le Zéphyr, 20h, 41>37€, zephyrhem.fr Hirson, 25.03, Salle de l'Eden, 20h30 12/8€, ville-hirson.fr
High Energy LIZZO
Figure majeure de la scène hip-hop américaine, Lizzo carambole funk, soul, disco, R&B et pop. Ses chansons prônent l’acceptation de soi, de ses désirs et de sa condition féminine – on ne nomme pas un morceau Grrrls sans être un tantinet engagée sur la question, si ? Dommage, cependant, que cette forte personnalité ait récemment baissé la garde, acceptant, comme Beyoncé avant elle, de changer un mot ("spaz") de ladite chanson, car ce terme argotique offenserait (en Angleterre seulement !), les personnes handicapées. Que voulez-vous, on peut avoir été découverte par Prince, être devenue reine du hip-hop, qu’importe : le client est roi. Thibaut Allemand Anvers, 24.02, Sportpaleis, 18h30, 90 > 50€, sportpaleis.be
© AB+DMCAROLINE POLACHEK
Tubes à essais
C’est l’histoire d’un malentendu, d’une incompréhension. Caroline Polachek semblait promise aux cimes, elle resta finalement dans l’ombre. Et s’en est plutôt bien accommodée. En témoigne un parcours sous les radars, certes, mais toujours en tête chercheuse.
Voici 15 ans, l’avenir lui appartenait. Au sein de Chairlift, la New-Yorkaise semblait tenir le monde au creux de la main. Et puis... il n’en fut rien. Ou presque. Après la séparation du groupe, elle multiplia les sorties sous différents alias (Ramona Lisa, CEP…) et signait un premier LP sous son nom, Pang, en 2017. Surtout, elle prit des cours de chant lyrique, travailla et retravailla sans cesse le son, confrontant morceaux taillés pour les charts, ambient rêveur, electropop sophistiquée… L'album passa relativement inaperçu, c’était pourtant un ballon d’essai qui n’a toujours pas pris une ride. Si Caroline Polachek ne bénéficie pas de l’aura d’une Beyoncé ou d’une Charli XCX, elle a écrit et composé pour les deux, tourné avec Dua Lipa et prit le temps, bonne fille, de s’occuper de Chris (and The Queens). Dès lors, celle que l’on connut indie-girl post-moderne s’est avérée, finalement, très américaine dans l’âme. Comprendre : professionnelle. Ses derniers singles la voient d’ailleurs toucher d’autres territoires et, de la démesure vocale de Billions aux espagnolades de Sunset, on ne sait plus exactement à quoi s’attendre. Une chose reste certaine : aussi légères soient ses mélodies, Caroline Polachek n’est pas le genre d’artiste à prendre... à la légère. Thibaut Allemand Anvers, 27.02, Trix, 19h30, 24> 20,50€, trixonline.be
disques
Jean Felzine Chord Memory (Close Harmonie)
Près de 15 ans de "carrière", quatre albums avec Mustang, deux avec sa compagne Jo Wedin et ce deuxième essai en solitaire. Rien n’y fait : Jean Felzine reste le secret le mieux gardé du pays. Or, soyons sérieux, le trentenaire ne possède, de Liège à Sète, aucun rival. Mélodiste hors-pair, cet authentique crooner se double d’un parolier acide et mélancolique. En témoigne ce premier album, un peu plus de trois ans après l’indispensable maxi Hors l'amour. Ici, claviers et beats synthétiques se taillent la part du lion et soutiennent son timbre délicat. Entre autres thèmes, sa plume aborde sa fascination pour l'I.A. (Ordi Dis-moi) ou les déboires d’un adulescent paumé (les accents chiptune de Doudou ). Tantôt narquois et amusé (Fan Fiction), ou d’une franchise désarmante (À Blanc), Felzine s’offre le luxe de reprendre Aristide Bruant en quasi-rap et se pique de chanter du Roy Orbison dans la langue de Jacno. Et puis, au cœur de ce disque, se niche l’une des ballades les plus poignantes de ces vingt dernières années : Je vis quand même. Ce duo avec la précitée Jo Wedin est une merveille absolue de mélancolie – même le plus rude des cœurs de pierre devrait lâcher sa petite larme. Sortie le 24.02. Thibaut Allemand
Gaz Coombes
Turn the Car Around (Hot Fruit Recordings / Virgin)
Gaz Coombes, un p’tit rigolo à grosses rouflaquettes ? Victime de ce malentendu dès ses débuts avec Supergrass, l’enfant d’Oxford n’a jamais bénéficié de l’aura d’un Damon Albarn – au hasard. Pourtant, ce groupe a signé quatre albums impeccables et la carrière solo de son leader, désormais barbu, ne souffre pas trop de la comparaison. En témoigne ce quatrième essai en dix ans. Un disque pop assez classique et richement arrangé, n’hésitant pas à flirter avec des orchestrations ambitieuses - une démesure de poche, en somme. L’ensemble ne prétend pas révolutionner le genre, certes. Et après ? Coombes a toujours signé des chansons qui tiennent la route, certaines ont même franchi des décennies. Est-ce si grave si elles n’y parviennent pas toutes ? Thibaut Allemand
Belle and Sebastian Late Developers (Matador Records)
À quel moment ça a déconné, Belle and Sebastian ? Les intégristes des tables de la loi indie-pop situent ceci à 2003, lorsque Stuart Murdoch infusa un peu de sève dans sa tisane – un disque produit par Trevor Horn, tout de même ! Pour nous, l’âge d’or, c’est 1996-2006 ( The Life Pursuit contenant son lot de réussites soul pop). Depuis, Belle and Sebastian alternait coups d’éclats et disques moins inspirés. Mais jamais les Écossais ne nous avaient douchés avec une telle eau tiède. Nous n’avions pas encore entendu chansons plus passe-partout, mélodies tristement conventionnelles, arrangements aussi putassiers. Les rares exceptions ne parviennent pas à sauver l’ensemble du marasme. N’insistons pas. De toute façon, on ira tout de même les voir sur scène. La nostalgie, camarade… T.A.
Andy Shauf Norm (Anti
/ Boogie Drugstrore)
Andy Shauf n'a jamais été aussi prolifique, enchaînant les albums à un rythme effréné. Ce nouvel opus, composé chez lui, place le personnage de Norm en fil rouge. Norm, c'est ce romantique fuyant la solitude en cherchant un regard dans un supermarché ( Catch Your Eye ). C'est aussi un type désabusé. Pas vraiment réciproque, son coup de foudre culminant dans le très enjoué Halloween Store vire bientôt à la désillusion. Pour accompagner cette chute, le synthé prend le dessus, au service de morceaux pessimistes et obsessionnels ( Don't Let It Get To You ). Autant de rejet plonge notre héros dans le désespoir... Le dernier titre, All My Love , reprend le refrain de la chanson d'ouverture : "Tout mon amour a été gâché pour toi". Sombre, mais brillant. Sortie le 10.02. Hugo Guyon
The Brian Jonestown Massacre
The Future is Your Past (A Recordings / Kuroneko)
Plus de trente ans après la sortie de leur premier single, Anton Newcombe et sa bande publient leur 20e album studio. Certes, les musiciens ont changé depuis les débuts sur scène (à part Newcombe, Ricky Miami et le joueur de tambourin Joël Gion) mais la recette est la même : du rock psychédélique héritier des années 1960. Le chant pénétrant et les envolées d’orgues de certains morceaux (l’instrumental Nothing Can Stop the Sound) rappellent ainsi The Doors. Parmi les titres particulièrement efficaces, citons aussi Fudge et son intro planante d’une minute qui monte en puissance avant de laisser la place aux riffs de guitare. Petite touche en plus : le vinyle est vendu avec une face de la pochette à colorier… et six crayons de couleur. "Do it yourself", quoi. Sortie le 10.02. Hugo Guyon
Émilie Gleason & Arthur Croque
Junk Food (Casterman)
Un œuf en chocolat emballé de blanc et de rouge, une bouteille de soda reconnaissable entre mille, un pot de pâte à tartiner qui nous promet de bons moments… Avec sa ronde de sucreries flashy, la couverture de Junk Food a tout du présentoir de caisse. Dans cette BD vitaminée, l’illustratrice Émilie Gleason (prix "Révélation" du festival d’Angoulême 2019) et le journaliste Arthur Croque s’intéressent à l’addiction à la malbouffe, une maladie non reconnue par les scientifiques alors que la junk food n’est rien d’autre qu’une « came légale ». D’ailleurs, si les premières cases décryptent l’expérience menée par deux chercheurs américains sur des rats (le cheesecake, parfait dosage entre gras et sucre, déboussole les rongeurs plus encore que la cocaïne) c’est via le personnage de Zazou, boulimique filiforme, et son arrivée dans un groupe de parole, que les auteurs racontent les ravages de la nourriture industrielle. Avec son style cartoonesque, ce docu-BD s’adresse en priorité aux jeunes adultes, ceux qui carburent au Capri-Sun mais n’ont pas connu les « deux doigts coupent faim ». Tant mieux : il n’est jamais trop tôt pour faire le ménage dans ses placards. 232 p., 21 €. Marine Durand
Anthony Galluzzo
Le Mythe de l'entrepreneur (La Découverte)
Partant de l'exemple de Steve Jobs, qualifié de génie puis vénéré comme une icône à sa mort, Anthony Galluzzo analyse la construction de la figure de l'entrepreneur, du xix e siècle à nos jours. Il faut dire que le cas Jobs est emblématique, tant ses biographes ont poli sa légende. Depuis ses débuts dans un garage, sa vie a tout du récit épique, mais on parle peu des épisodes plus sombres qui ont émaillé le lancement d'Apple, ni du rôle des financiers et de l'état américain dans le développement de la firme. Pour l'auteur, ces "success stories" jouent un rôle dans le discours capitaliste et son conservatisme. Un rappel nécessaire à l'heure du développement personnel et autres méthodes vendues par des influenceurs pour devenir entrepreneur. 232 p., 20,50 €. Hugo Guyon
Didier Lestrade
Act Up, une histoire (La Découverte)
Voici un témoignage de première main sur l’aventure Act Up-Paris. Il ne s’agit pas de "l’histoire", mais d’une histoire, forcément subjective, narrée par son fondateur, le journaliste Didier Lestrade. Outre les fameux coups d’éclat (citons la capote géante sur l’obélisque, en 1993), sont évoqués la démocratie directe des réunions hebdomadaires et le travail abattu par les militants – ainsi, des novices se formèrent à la lecture de rapports scientifiques sacrément ardus. À la fois chronique, essai, journal intime et bilan critique (Lestrade est célèbre pour son francparler) cet ouvrage précieux, initialement paru en 2000, approfondit ce que Robin Campillo dévoilait dans 120 BPM et met en lumière une épopée finalement méconnue de la fin du xxe siècle. 536 p., 15,50 €. Thibaut Allemand
Julien Frey & Dawid
Monsieur Apothéoz (Glénat)
Il s’appelle Apothéoz mais pourrait s’appeler Lapoisse, vu la guigne qui s’abat sur sa famille, génération après génération. Convaincu que son nom porte malheur, Théo a donc décidé de ne jamais rien entreprendre… Scénarisée par Julien Frey (qu’on a souvent vu avec Nadar : L'œil du STO, Avec Édouard Luntz), cette bande dessinée tire sa force du contraste entre le trait rond, les couleurs pastel et le propos. Sur lequel on ne s’étalera pas, au risque de déflorer un scénario riche en rebondissements. À la fois roman d’apprentissage, comédie romantique et farce noire teintée de burlesque, cette première incursion hors de la littérature pour enfants du dessinateur Dawid (Les Mômes, Supers) est une véritable réussite. Coup de chance ? Non : coup de maître ! 120 p., 19€. T.A.
Timothée Gérardin
Fred Astaire, la haute société du spectacle (Playlist Society)
« Écrire sur la musique, c'est comme danser sur l'architecture », dit l’adage attribué à Frank Zappa. Ici, c’est au surgissement de la danse que s'intéresse Timothée Gérardin… pour parler de cinéma musical. Sans négliger la dimension biographique ni la technique, sa Haute société du spectacle analyse ce que racontent les numéros de Fred Astaire, à la fois « produit et conspirateur de sa propre fétichisation ». On y lit combien l’art du mouvement peut être loquace à propos de l’individu et des rapports de force entre lesquels il évolue. Soulignant la cohérence du parcours de l'Américain, cet essai dépeint avant tout un corps lancé (entre illusion et lucidité) dans l’industrie capitaliste hollywoodienne. Et fait au passage des claquettes dans nos têtes. 128p., 14€. Rémi Boiteux
LA FAMILLE ASADA
Mémoire photographique
Révélé en 2016 avec Her Love Boils Bathwater, Ryōta Nakano s'inspire pour son cinquième long-métrage de l’histoire vraie de Masashi Asada. Ce photographe japonais a immortalisé ses proches dans des rôles ou métiers dont ils avaient toujours rêvé, avant de mettre son art au service des victimes de la tragédie de Fukushima.
Au pays du Soleil levant, Masashi Asada est connu pour avoir capturé ses proches dans des mises en scène cocasses, selon les souhaits (tous plus extravagants) de chacun. Rock star, yakuza, pompier, super-héros… Truculents, ses clichés n'en évoquent pas moins des tranches de vie authentiques. Sans nostalgie aucune, la photo de famille selon Asada saisit à la fois le passé, mais aussi le miracle du présent voire ce qui aurait pu advenir. Avec pudeur et autodérision, l’objectif agit comme un révélateur. Unis par la pellicule, les protagonistes de ce clan s'avèrent attachants, et l’on suit avec appétit les tribulations de cette drôle de maisonnée. Outre les rêves des siens, Asada réalise aussi ceux d’autres familles, devenant le témoin privilégié de moments intimes, entre joie et peine, notamment lors de la catastrophe de Fukushima…
Instants éternels
Le tsunami submerge autant qu’il dévoile une infinie mosaïque de visages à restaurer. Le Japonais mettra en effet un point d'honneur à retrouver pour leurs proches les images des disparus, qui existeront éternellement sur pellicule. Une photo comme le plus beau des cadeaux, au-delà des mots. Déclaration d’amour à des êtres chers autant qu’à une nation, voici un film tout en nuances où la fantaisie côtoie la gravité. La Famille Asada s'appréhende comme un instantané d’humanité vertigineux, rappelant Kore-eda et la malice du maître Ozu. Un "feel good movie" émouvant et vivifiant. Selina Aït Karroum
De Ryōta Nakano, Kazunari Ninomiya, Haru Kuroki, Satoshi Tsumabuki… En salle
TÁR
À la baguette
Acteur pour Woody Allen, Jan de Bont ou Stanley Kubrick, Todd Field avait produit et réalisé deux longs métrages au début des années 2000, In The Bedroom et Little Children, avant de disparaître de la circulation. Avec Tár, portrait d'une cheffe d'orchestre manipulatrice, il frappe un grand coup (de cymbales).
Enregistrer la tumultueuse Symphonie n°5 de Gustav Mahler avec le philharmonique de Berlin est pour Lydia Tár un nouveau défi. Brillante, la cheffe l'est certainement. Mais peu à peu, une part plus sombre remonte à la surface. Tár est aussi une stratège accomplie, capable de favoriser une jeune et séduisante violoncelliste comme de briser la carrière d'une ancienne étudiante lui ayant résisté. Le suicide de cette dernière entraînera une enquête, et bientôt la dérive de Lydia... La façon retorse dont Tár se fait alors l'écho du mouvement #MeToo tient moins à son point de vue (celui de l'accusée) qu'à un glissement discret vers le fantastique. Métronome battant la mesure au milieu de la nuit, vrombissement anormal du réfrigérateur, disparition soudaine : l'inquiétude se répand, sans que les hypothèses du délire, du cauchemar et de la machination trouvent pleinement confirmation. Plutôt qu'à un sujet de société, Todd Field s'attache à une figure insaisissable, admirablement incarnée par Cate Blanchett. Sans chercher la banale fascination pour le mal, tous deux inventent un personnage irréductible aux abus commis – car lui-même façonné par les mécanismes de pouvoir qu'il détourne. Raphaël Nieuwjaer De Todd Field, avec Cate Blanchett, Noémie Merlant, Nina Hoss, Julian Glover... En salle
INTERDIT AUX CHIENS ET AUX ITALIENS Destin réanimé
Dans Interdit aux chiens et aux Italiens, film d’animation remarqué aux festivals d’Arras et d’Annecy (où il a reçu le prix du jury), Alain Ughetto instaure un dialogue imaginaire entre lui et sa grand-mère. Son récit retrace les dures conditions des immigrés italiens, à leur arrivée en France au début du siècle dernier.
Après Jasmine (2013), film d’animation se déroulant à Téhéran sous le régime de Khomeiny, Alain Ughetto conte avec Interdit aux chiens et aux Italiens ses origines familiales. Il y "joue" d'ailleurs son propre rôle, par l'intermédiaire de l’une des deux voix-off du film. Ainsi, il interroge sa grand-mère Cesira, aujourd’hui décédée, sur le passé de ses aïeux. Mêlant prises de vues réelles (les mains de l’animateur apparaissent dans le cadre) et marionnettes animées dans des décors d’une grande poésie (les arbres sont fabriqués avec des brocolis), l'histoire se construit par petites touches. Le cinéaste renvoie les spectateurs au début du xx e siècle pour décrire la traversée des Alpes italiennes jusqu’en France par ses grands-parents et leurs enfants. Alain Ughetto montre les dures conditions climatiques, le labeur, la pauvreté, le rejet de l’autre, le manque de soins, la mort... Pour autant il refuse le pathos, optant pour l’humour. Aussi drôle que bouleversant, Interdit aux chiens et aux Italiens (qui peut être vu par un large public) offre un salutaire pied-de-nez à la xénophobie galopante, et rend un superbe hommage à ces étrangers de toutes origines qui, eux aussi, ont bâti la France. Grégory Marouzé
Film d'animation d'Alain Ughetto. En salle
L’HOMME LE PLUS HEUREUX DU MONDE
Sarajevo, de nos jours. Dans le cadre d’un speed dating, la recherche de l’amour flirte avec le spectre de la guerre. Asja est confrontée à un dilemme de taille : au détour d'un entretien, elle retrouve Zoran... qui fut en réalité son agresseur par le passé. Le traumatisme refait surface par paliers au gré du questionnaire de ces rencontres calibrées. On perçoit le contraste entre l’excitation superficielle de la situation et le drame qui se joue à table. Faut-il pardonner ou passer son chemin ? Le bourreau deviendra-t-il prince charmant ? Le cœur a ses raisons… Entre huis clos et tribunal improvisé, le rythme est haletant, la caméra nerveuse – renvoyant au fameux "dogme" danois. Un film saisissant d’audace, qui illustre à merveille cette sacrée notion de résilience. Selina Aït Karroum De Teona Strugar Mitevska, avec Jelena Kordić Kuret, Adnan Omerovic, Labina Mitevska… Sortie le 22.02
L'ASTRONAUTE
Sujet phare du cinéma, la conquête spatiale fut souvent prétexte à des œuvres spectaculaires, réalisées à grand renfort d'effets spéciaux. Rien de tel ici. Pour son deuxième long-métrage, Nicolas Giraud imagine en effet le premier vol cosmique habité... amateur. Il y incarne un ingénieur en aéronautique qui construit secrètement sa propre fusée, dans la ferme de sa grandmère. Pour atteindre les étoiles, il s'entoure d'une petite équipe de passionnés, dont un ancien spationaute (Mathieu Kassovitz). Servi par une superbe photographie (entre noir profond et plans lumineux) et la musique de Superpoze (qui donne à l'ensemble des allures d'Interstellar intimiste) L'Astronaute touche avec justesse et émotion ce qui fait l'essence même de l'humanité : la puissance des rêves. Julien Damien
De Nicolas Giraud, avec lui-même, Mathieu Kassovitz, Hélène Vincent, Hippolyte Girardot, Bruno Lochet... Sortie le 15.02
THE FABELMANS Clap de début
À 76 ans, Steven Spielberg signe son 36e film. Le plus personnel, sans doute. En tout cas, le seul à se pencher franchement sur la genèse de sa vocation. Une œuvre doublement récompensée lors des Golden Globes et déroutante, à rebours du classicisme ou des biopics bourrés de tics.
Une autobiographie ? Si l’on s’en réfère bêtement à la définition, non : pas de Steven ici, mais un Sammy. En revanche, le maître du cinéma populaire puise largement dans son enfance – une famille dysfonctionnelle dans les fifties. Ce long-métrage focalise ainsi sur les origines de sa passion. D’où lui vient son désir de raconter des histoires en images ? Sans doute d’un film, Sous le plus grand chapiteau du monde (1952), dont une séance au cinéma ouvre The Fabelmans. Mais l’envie ne fait pas tout. Le talent est-il inné ? En tout cas, c'est une vocation à encourager. Sa mère, son oncle et son grand-père auront, chacun à leur manière, un rôle précieux, via des gestes ou des paroles dont le gamin saura se souvenir. Dans une seconde partie, Sammy, adolescent, découvre le pouvoir de ses petites productions : créer comme régler des conflits, panser les plaies et, qui sait, séduire ? Le mérite du film est de s’arrêter aux portes de la carrière de Spielberg – le pied lui fut mis à l'étrier par John Ford, ici interprété par David Lynch dans une scène qui fera date. Forcément incomplète pour qui chercherait des explications toutes faites, cette œuvre, cousine dans son étrangeté moelleuse de Licorice Pizza, mérite plusieurs visionnages pour livrer toutes ses clés. Thibaut Allemand De Steven Spielberg, avec Gabriel LaBelle, Michelle Williams, Paul Dano, Seth Rogen... Sortie le 22.02
MICHELE DE LUCCHI
Artisan du rêve
Véritable maestro de l'architecture et du design, Michele De Lucchi investit le CID au Grand-Hornu. Porteuse d'un discours résolument humaniste et écologique, cette exposition intitulée Futuro Gentile se place à contre-courant de la déprime actuelle – justifiée, il faut dire. En premier lieu parce qu'elle ose imaginer un "futur aimable", à travers des architectures situées quelque part entre l'utopie et la science-fiction. Soit pile à l'endroit du rêve.
Né en 1951 en Italie, Michele De Lucchi a traversé un demi-siècle de création contemporaine – et ce n'est pas fini. Il fut d'abord une figure du Design radical avant de rejoindre le fameux groupe Memphis et son style expressif et coloré, aux côtés d'un certain Ettore Sottsass. Certes, son nom est sans doute moins connu du grand public, mais ses productions parlent pour lui. On lui doit par exemple la chaise First, inspirée par la forme de l'atome, ou encore la lampe de bureau Tolomeo et son bras articulé en aluminium poli. Dans les années 2000, le Transalpin
« Envoyer un message aux générations futures »Michele De Lucchi – Liriope, vetro soffiato e metallo –1999 Collezione A che cosa servono i vasi da fiori? © Luca Tamburlini
se fait remarquer avec ses architectures biomimétiques, à l'image du Pont de la paix à Tbilissi en Géorgie, ressemblant à un énorme coquillage ( voir ci-contre )... Ces œuvres-là, toutefois, vous ne les verrez pas au CID, car cette exposition ne regarde guère le passé. « J'avais vraiment l'ambition de monter la première grande rétrospective De Lucchi, sourit Marie Pok, la directrice du musée. Quand j'ai enfin réussi à le contacter il m'a dit : "non, je ne suis pas encore mort, je veux parler du futur !" ». Lequel serait donc "gentile". Comprendre : aimable.
Stations spéciales
Scindé en deux parties, ce parcours révèle d'abord sa Produzione Privata, du nom de son atelier à Milan. « Ce sont des objets qu'il conçoit de façon artisanale. Il y a par exemple du mobilier en
bois, des lampes en verre et puis ses ready-mades que personne n'a jamais vus, comme ses marionnettes en tubes de néon ». Aux Écuries ensuite, place à une vision plus prospective, s'incarnant dans les Earth Stations. Au fil de ces quatre vidéos et de cette quinzaine de maquettes (comme autant « de petites sculptures ») on découvre ici une monumentale pyramide en bambou, là une gigantesque couronne posée sur deux falaises, surplombant un gouffre... Irréalisables, ces architectures utopistes « envoient avant tout un message aux générations futures en défendant
« Mieux comprendre notre place sur la planète »
une relation éthique à la nature ». À bien y regarder cette réflexion écologique ne date pas d'hier. Dès les années 1970, l'Italien dessinait des habitations verticales, soit « des pyramides reposant sur leur pointe ou des superpositions de cubes, où les planchers sont de travers, explique Marie Pok. Il s'agit de déséquilibrer l'occupant et surtout qu'il prenne conscience de sa place, instable, dans cet habitat, et donc sur la planète ». À nous de rêver avec De Lucchi, pour mieux garder les pieds sur terre. Julien Damien
Futuro Gentile Hornu, 12.02 > 27.08, Centre d'innovation et de design, mar > dim : 10h-18h 10 > 2€ (gratuit -6 ans), cid-grand-hornu.be
ÉGYPTE, ÉTERNELLE PASSION À
tombeau ouvert
L'Égypte antique a le vent en poupe, et ça fait 2 000 ans que ça dure ! Évidemment, à l'heure du bicentenaire du déchiffrement des hiéroglyphes par Champollion et du centenaire de la découverte du tombeau de Toutankhamon, les expositions sur le sujet fleurissent. À Morlanwelz, le Musée royal de Mariemont offre un tout autre point de vue, en s'intéressant plutôt à la passion que suscite cette civilisation à travers les âges. En clair, à notre indéboulonnable égyptomanie.
Le saviez-vous ? Le Musée royal de Mariemont possède la plus grande collection égyptienne de Wallonie – la seconde de Belgique. De Morlanwelz aux secrets des pharaons, il n'y a donc qu'un pas... et peut-être moins. Plus qu'un simple retour en arrière, cette exposition observe en effet comment l'Égypte ancienne irrigue notre quotidien. « On la côtoie depuis deux millénaires sans presque plus la voir, pourtant elle est partout », assure Arnaud Quertinmont, le commissaire. Le parcours fait ainsi cohabiter « sans jugement de valeur ni hiérarchie » des pièces antiques avec des œuvres contemporaines
et des objets de la culture pop... voire de votre salon. D'emblée, une statue de sphinx datant de quatre siècles jouxte de simples potiches produites en masse dans les années 1970 et « qu'on peut trouver chez votre grand-mère ».
Icônes en stock
Au fil de cette balade dans le temps s'acoquinent ainsi bandes dessinées et hiéroglyphes, pyramides et jeux vidéo, momies ou pochettes de disques (Dalida, IAM, Iron Maiden). On croise également des figures bien connues, déclinées de toutes les façons. Tel Anubis, ce dieu à tête de chien jadis mal-aimé qui
a trouvé une seconde jeunesse à l'écran (c'est l'une des vedettes de Stargate SG-1). Revu par le plasticien Léo Caillard, Ramsès II apparaît lui sous les traits d'un indécrottable hipster, avec ses lunettes de soleil et son casque Bose ! Par contre, Cléopâtre a du souci à se faire. Longtemps parangon de la féminité et du glamour, incarnée par les plus belles actrices du monde (on découvre ici une robe portée par Monica Bellucci dans Mission Cléopâtre d'Alain Chabat), elle est peu à peu supplantée par une autre reine : Néfertiti. Reconnaissable à sa haute couronne conique, celle-ci est devenue un
symbole de l'empowerment pour la communauté afro-américaine, des Black Panthers à 2Pac en passant par Rihanna ou Beyoncé. L'épouse d'Akhenaton est devenue une icône du féminisme tout en étant très gender fluid. En témoigne cette huile sur toile du Polonais Pawel Sobczak qui interroge les notions de genre en s'appropriant sa fameuse coiffe – donc sa féminité. Les mœurs et les époques changent, mais l' É gypte antique demeure éternelle. Julien Damien Morlanwelz, jusqu'au 16.04 Musée royal de Mariemont, mar > dim : 10h-17h 8 > 3€ (gratuit -18 ans), musee-mariemont.be
BRIAN MCCARTY
Retour de guerre
La guerre vue à hauteur d'enfant... et reconstituée avec des jouets. Tel est le principe de la série War-Toys initiée par Brian McCarty. Depuis 2011, ce photographe américain parcourt les zones de conflit un peu partout dans le monde pour aider des petits garçons et des fillettes à mettre en images les scènes traumatisantes qu'ils ont vécues.
Des maisons en flammes, des chars déambulant dans des villes dévastées, des bombardements, des cadavres ensanglantés gisant sur le sol... Ces images devenues hélas coutumières de nos journaux télévisés hantent le quotidien de nombreux enfants à travers la planète. Comment les aider ? En matérialisant les tragédies qu’ils ont subies, pour mieux les exorciser. Voilà ainsi plus de dix ans que Brian McCarty sillonne des camps de réfugiés ou des écoles pour recueillir les témoignages de mômes, du Liban à la Bande de Gaza en passant par l'Irak ou, depuis peu, l'Ukraine.
Cendrillon sous les bombes À partir des récits et dessins obtenus avec l'aide de spécialistes en artthérapie, l'Américain reconstitue ces scènes à l'endroit exact où elles se sont produites, conformément aux descriptions, en utilisant des jouets récupérés sur place. Puis il les photographie. En résulte une série troublante, où la candeur de l'enfance contraste avec l'horreur des combats. C'est ici une figurine de Cendrillon figée sous une pluie de missiles, là une poupée abattue par les tirs d'un hélicoptère en plastique, ou encore une famille de petits personnages pataugeant dans la boue... Au Musée de la photographie de Charleroi, ces clichés sont placés à côté des dessins originaux des bambins, et offrent un regard bouleversant sur le vrai visage de la guerre. Julien Damien
Charleroi, jusqu'au 21.05, Musée de la photographie, mar > dim : 10h-18h 8 > 4€ (gratuit -12 ans), museephoto.be
SUR LE FIL
L'Avesnois partage une longue histoire avec la verrerie, mais aussi le textile. Réunissant les œuvres d'une vingtaine d'artistes, cette exposition entremêle justement ces deux cultures, entre illusion et finesse, jeux avec les lumières et les matières. Ici le verre se tisse et se coud, à l'image des tricots colorés et translucides de la Canadienne Carol Milne. Il peut aussi se froisser (les mouchoirs de l'Ukrainienne Nataliya Vladychko) et semble parfois voler au vent, léger comme un drap. En témoignent les surprenantes étoffes de verre signées Lucile Viaud et Aurélia Leblanc, sur un fil entre la science et l'art, le passé et l'avenir. J.D. Sars-Poteries, 11.02 > 20.08, MusVerre, mar > dim : 11h-18h, 6/4€ (gratuit -26 ans) musverre.lenord.fr
BAUDOUIN OOSTERLYNCK
Originaire de Courtrai, Baudouin Oosterlynck observe le monde avec les oreilles. Ce pionnier de l'art sonore investit le Musée des beaux-arts de Tournai avec des créations s'adressant aussi bien à la vue qu'à l'ouïe. Mis à disposition du public, ses intrigants instruments d'écoute révèlent la face invisible de cet espace conçu par Victor Horta, et nous prouvent définitivement que le silence n'existe pas, comme l'affirmait un certain John Cage. J.D. Tournai, jusqu'au 12.03, Musée des beaux-arts tous les jours (sf mar & dim matin) : 9h30-12h & 14h-17h 4/3€ (gratuit -6 ans), mba.tournai.be
De Versailles à Amiens
C’est un échange de bons procédés. Le Musée de Picardie prête à Versailles la série des "chasses exotiques" de Louis XV et accueille en retour six chefs-d'œuvre de la chambre du Roi-Soleil. Il s’agit des quatre Évangélistes ( Saint Matthieu, Saint Luc, Saint Jean et Saint Marc ), du Denier de César peint par Valentin de Boulogne, mais aussi d' Agar et l’ange de Giovanni Lanfranco. Habituellement présentées à dix mètres du sol, ces toiles sont ici dévoilées sous un angle inédit : à portée de regard.
Amiens, jusqu’au 26.02, Musée de Picardie, mar > ven : 9h30-18h • sam & dim : 11h-18h, 7/4€ (grat. -26 ans), amiens.fr
On Display
Le Design Museum Brussels nous invite à faire les magasins, mais pas n’importe comment. Associant petite surface et caractère éphémère, la boutique endosse plusieurs rôles, en tant que lieu d’interaction et de consommation. Elle constitue aussi un laboratoire de recherche pour les architectes et designers. L’exposition On Display. Designing the shop experience retrace l'évolution de ce vecteur de modernité tout en tendant un miroir à notre société.
Bruxelles, jusqu’au 05.03, Design Museum Brussels, tous les jours : 11h-19h 10 > 3€ (gratuit -12 ans) designmuseum.brussels
La Fabrique de héros
Inauguré en janvier, le Musée des beaux-arts de Charleroi consacre sa première exposition temporaire aux éditions Dupuis... qui fêtent leurs 100 ans ! Impossible d'être exhaustif. Le choix fut donc d'immerger le public dans cette "fabrique de héros" que sont Gaston Lagaffe, Spirou, le Marsupilami... En clair : expliquer dans le détail comment on réalise une BD, du premier croquis à l'impression. La scénographie reprend les codes esthétiques de l'usine, clin d'œil au passé industriel de la ville. Charleroi, jusqu'au 30.07, Musée des beaux-arts, mar > ven : 9h-17h • sam & dim : 10h-18h, 5 > 2,50€ (gratuit -12ans), charleroi-museum.be
Stéphan Gladieu
Auteur d’une œuvre profondément humaniste et intrigante, quelque part entre l’art et le documentaire (souvenez-vous du projet Homo détritus, présenté dans LM magazine en novembre dernier), Stéphan Gladieu offre un regard inédit sur la Corée du Nord. Durant trois ans, ce photographe français a portraituré les habitants de cette dictature, détournant ses propres codes visuels pour mieux révéler sa propagande. En résulte des images iconiques et lumineuses, brouillant les cartes entre fiction et réalité.
Charleroi, jusqu'au 21.05, mar > dim : 10h-18h, 8 > 4€ (gratuit -12 ans), museephoto.be
Les Fabriques du cœur et leur usage
Le MACS a 20 ans. Pour marquer cet anniversaire, le musée des arts contemporains pose un regard éminemment poétique sur le monde. Conçue à la manière d'un conte, en une dizaine de chapitres, cette exposition rassemble les œuvres d'artistes de divers horizons et époques (citons Luc Tuymans, Louise Bourgeois, James Ensor) qui chacun à leur manière ont redessiné les contours de notre quotidien (les maisons, les paysages...) pour mieux le réenchanter.
Hornu, jusqu'au 19.03, MACS, mar > dim : 10h-18h, 10 > 2€ (gratuit -6 ans), mac-s.be
Format à l'italienne XIII
À Rome, on connaît la Villa Médicis, mais Lille dispose aussi d’une résidence dédiée à ses artistes, au cœur même de la ville éternelle. Il s’agit de l’atelier Wicar. Ce sont les travaux issus de cette immersion romaine que restitue l’exposition Format à l’italienne. Cette treizième édition présente les dystopies du duo Jezy Knez, les créations mi-robotiques, mi-organiques de Yosra Mojtahedi et les paysages hybrides d'Anne-Émilie Philippe, envisageant une "Altra Roma".
Lille, jusqu'au 19.03, Espace le Carré mer > sam : 14h-19h • dim : 10h-13h & 15h -18h gratuit, elc.lille.fr
Bien conservés !
C’est l’une des plus anciennes institutions de la capitale des Flandres. Inauguré en 1822, le Musée d’histoire naturelle de Lille fête ses 200 ans... mais reste bien conservé. Pour marquer le coup, une exposition immersive nous plonge dans les coulisses du lieu, en plein cœur des réserves. On déambule ainsi au milieu d'objets et de spécimens jamais dévoilés. Cet anniversaire offre aussi l'occasion de découvrir le projet de transformation du bâtiment, préfigurant de grands changements d'ici 2025.
Lille, jusqu'au 03.07, Musée d'histoire naturelle, lun, mer, jeu, ven : 9h30 > 17h • sam & dim : 10h-18h, 5/3,50€ (grat. -12 ans), mhn.lille.fr
Saodat Ismailova
Ancienne étudiante du Fresnoy, Saodat Ismailova s'est révélée avec une pratique singulière. À travers ses vidéos, cette artiste originaire d'Ouzbékistan mêle à la fois l'histoire et le mythe, la réalité de son pays (la condition féminine, le déclin des ressources naturelles) comme ses croyances. Pour sa première exposition française, elle dévoile ses œuvres les plus importantes (dont Chillahona, présentée lors de la dernière Biennale de Venise) mais aussi celles d'artistes qui l'ont influencée.
Tourcoing, 10.02 > 30.04, Le Fresnoy, mer > dim : 14h-19h, 4/3€ (gratuit -18 ans), lefresnoy.net
centre d’innovation et de design au
Grand-HornuCABARET DE CURIOSITÉS
Retour à l'essentiel
Le Cheval de la vie de Lou Chrétien-Février © Voyez-vous, Vinciane VerguethenVoilà pile dix ans que ce festival initié par le Phénix de Valenciennes nous emmène hors des sentiers battus du spectacle vivant, composant avec « l'hétéroclite et l'inattendu, dans l'esprit des cabinets de curiosités ». Cette édition ne déroge pas à la règle, et met cette fois en exergue la beauté et la fragilité des liens qui nous unissent.
Serait-ce le symptôme d'une époque qui veut en finir avec l'abondance, pour citer un président disruptif ? Quoi qu'il en soit, ce cru 2023 du Cabaret de curiosités célèbre les "Temps modestes", clin d'œil au philosophe Bruno Latour, disparu en octobre dernier et partisan d'une plus grande humilité technologique. De la même façon, Romaric Daurier soutient « une nouvelle génération de plus en plus éloignée d'une radicalité des formes artistiques sur les plateaux ». Des metteurs en scène qui, au progrès galopant et à la surenchère technique, privilégient les relations humaines.
Intimité publique
« Beaucoup de spectacles revendiquent ainsi une certaine intimité, abordant la grande histoire à tra-
vers la petite », poursuit le directeur du Phénix. C'est le cas de la nouvelle pièce de Yuval Rozman, qui évoque dans Ahouvi le conflit israélo-palestinien par le prisme d'une histoire d'amour. Citons aussi Pépé Chat ; ou comment Dieu a disparu, où Lisaboa Houbrechts dessine une épopée familiale à travers trois générations, pour analyser la naissance et la transmission de la violence. Épurées, sensibles, ces créations n'occultent en rien la brutalité du monde, à l'image de Mina Kavani. Seule sur scène, l'actrice-phare du film Red Rose (Sepideh Farsi, 2014) raconte la dictature plus que jamais à l'œuvre dans son pays, l'Iran. Avec une économie de moyens manifeste, mais immensément d'émotion.
Julien Damien
Valenciennes, Maubeuge, Douchy-les-Mines, Saint-Saulve, Aulnoye-Aymeries, Vieux Condé & Amiens, 28.02 > 04.03, Le Phénix & divers lieux, 1 spectacle: 25 > 6€ • pass jour : 28 € • pass semaine : 100 €, lephenix.fr
Sélection / 28.02 : Aina Alegre - This is not « an act of love and resistance », M. Berchery - Apocope 28.02 & 01.03 : Lisaboa Houbrechts - Pépé Chat ; ou comment Dieu a disparu 28.02 > 03.03 : Yuval Rozman - Ahouvi // 01.03 : Maëlle Dequiedt & Simon Hatab - Histoire du bouc 01 & 02.03 : Bryana Fritz & Thibault Lac - Knight-Night // 02.03 : Mina Kavani - I'm Deranged, Gaia Saitta & Giorgio Barberio Corsetti - Je crois que dehors c’est le printemps 02 & 03.03 : Stéphanie Aflalo - L’Amour de l’art // 03.03 : Lou Chrétien-Février - Le Cheval de la vie 03 & 04.03 : Nicolas Kerszenbaum - Kaïros, épisodes 1 & 2
a n s eOMBRE (EURYDICE PARLE)
(Marie Fortuit / Elfriede Jelinek)Dans Orphée et Eurydice, la plus célèbre histoire d'amour de la mythologie grecque, le héros descend jusqu'en enfer pour sauver sa bienaimée. Ici, le poète devient un rockeur vaniteux et sa promise a enfin voix au chapitre. Depuis le Royaume des Ombres où elle se trouve à son aise, celle-ci délivre une parole sauvage et libérée, dans une pièce musicale et émancipatrice.
Saint-Saulve, 28.02 & 01.03, Espace Athéna mar : 20h30 • mer : 14h30, 20 > 5€
REPORTERS DE GUERRE
(Sébastien Foucault)
Que peut le théâtre face à l’horreur de la guerre ? Raconter, pour ne pas oublier. Complice de Milo Rau, le Belge Sébastien Foucault donne la parole aux acteurs et témoins qui ont vécu le siège de Sarajevo ou les massacres de Srebrenica et de Tuzla. Ces reporters de guerre convoquent leurs souvenirs sur scène, d’autant plus pertinents à l’heure de la tragédie ukrainienne… Aulnoye-Aymeries, 01.03, Théâtre Léo Ferré 20h, 9 > 4€
L'ENTERREMENT DE DAVID B.
(Compagnie 2L / Félix Jousserand)Le 25 octobre 2010, une femme aux cheveux bouclés était poussée sous une rame du métro, à Londres. En réalité, il s'agissait d'un homme, et plus précisément de David Burgess. Le jour, c'était l'un des plus brillants avocats de sa génération. La nuit, il devenait Sonia Jardinière, escort-girl. Ce spectacle musical nous convie aux funérailles de ce personnage bigger than life, lors d'un vibrant oratorio electro. Saint-Saulve, 01.03, Espace Athéna 14h30 & 20h30, 20 > 5€
LES GROS PATINENT BIEN Ça
cartonne !
Nul besoin de grands moyens pour monter l’un des spectacles les plus drôles de la saison. Avec deux comédiens survoltés, une flopée de pancartes et de l’inventivité sans limites, Les Gros patinent bien met tout le monde d’accord.
Vous ne savez plus quoi faire de vos emballages de colis, laissés en souffrance dans le couloir en attendant un trajet pour la poubelle jaune ? Olivier Martin-Salvan et Pierre Guillois, eux, en ont fait la matière première de leur dernière création. Sur scène, tout ou presque est en carton : les costumes (de requin, de mouton ou d’une sirène, pêchée par accident), les décors (un écriteau "Fjord " pour figurer un fjord, il suffisait d’y penser), les accessoires. Quant aux deux dramaturges-interprètes, le petit rond endimanché et le grand maigre à moitié nu, ils déballent, plient et replient leur attirail pour conter un road-movie allant de l’Islande au sud de l’Espagne, dans un anglais délicieusement incompréhensible. Révélés par le "mélo burlesque" Bigre en 2015, nos compères s’inscrivent dans la lignée des Monty Python, décrochant les rires grâce aux gags qui s’enchaînent et autres imitations irrévérencieuses. Le rire, d’ailleurs, « peut être un acte poétique », affirmaient-ils en mai en recevant leur Molière du meilleur spectacle de théâtre public. Comme un clin d’œil aux enfants qui, à partir de rien, inventent tout un monde, ce « cabaret de carton » pousse très loin le curseur de l’imagination et nous a totalement… emballés. Marine Durand Mons, 07 & 08.02, Théâtre le Manège, mar : 20h • mer : 18h, 15 > 9€, surmars.be Maubeuge, 09 & 10.02, Le Manège, 20h, complet !, lemanege.com Liège, 14 > 17.02, Théâtre de Liège, 20h (sf mer : 19h), 31 > 7€ // Sin-le-Noble, 28.02, Théâtre Henri Martel + Brebières, 02.03, Salle le Châtelet, complet !, tandem-arrasdouai.eu
ROOM WITH A VIEW
Post-Apocalypse
Now
Pièce déjà culte et générationnelle, Room With a View a été créée sous l’impulsion du Châtelet par Rone, figure de la scène electro, et le collectif (La)Horde qui dirige le Ballet national de Marseille. Focalisé sur la crise climatique et la perspective de l’effondrement, ce spectacle est un appel à une prise de conscience.
Dans le recoin d’une carrière de marbre blanc, les 18 interprètes bougent au rythme des compositions d’Erwan Castex, alias Rone. Les visages sont fermés, les regards ne se croisent pas. La chute de fragments rocheux sur le plateau accentue l’impression de désastre. Au son des grésillements électroniques, les gestes sont brutaux. Tout dérape très vite : agressivité, fureur et bagarres régissent les interactions. Progressivement, les danseurs se rapprochent et régénèrent le groupe. Puis se révoltent. Comme après une mue, les corps secoués deviennent plus agiles. Des élans de tendresse succèdent aux pulsions dévastatrices. La chorégraphie devient fluide voire acrobatique. Ces hommes et femmes bondissent au sol et créent des figures à la gestuelle solidaire. La bande son entraînante, survoltée, illustre d'ailleurs cette lutte commune. Les jeunes se parlent, rient, s’encouragent en plusieurs langues – le Ballet national de Marseille réunit ici une dizaine de nationalités. En définitive, ces tableaux très physiques et majestueux évoquent un condensé d’humanité. Face au défi de l’urgence climatique, les artistes prodiguent de l'énergie pour mieux réinventer l’avenir. Fatma Alilate Bruxelles, 01 > 04.02, Théâtre National, 19h30, complet ! // La Louvière, 14.02, Le Théâtre de La Louvière, 20h, complet ! // Anvers, 18 & 19.02, De Singel, sam : 20h • dim : 15h, complet !
CORINNE MASIERO
Vive les prolos !
Révélée auprès du grand public en 2011 dans le film Louise Wimmer, Corinne Masiero n'en finit plus de casser la baraque... et de ruer dans les brancards. Comédienne pour le grand et le petit écran (Capitaine Marleau, évidemment), sur les planches, chanteuse à ses heures au sein du combo electro-punk les Vaginites, la Douaisienne n'a jamais eu peur de défendre ses convictions. Ou, dit autrement, de « foutre le brin » pour la citer. À Lille, le Théâtre du Nord lui donne carte blanche pour célébrer la culture prolo – et ça promet. Propos recueillis par Julien Damien
À quoi va ressembler Prolo not Dède ?
J'en ai absolument aucune idée et ne veux même pas le savoir ! Ce n'est pas un spectacle mais une carte blanche. J'ai invité des artistes et ils feront ce qu'ils veulent. Il y aura des lectures, de la musique, des projections... tout ça monté à l'arrache ! Un peu comme du théâtre de rue. Il y a seulement un fil rouge : les "prolos", la classe sociale majoritaire dans le monde mais minoritaire dans les arts, la culture étant surtout faite par et pour des personnes d'origine bourgeoise. C'est de la "prolophobie" et il est temps d'y remédier. Tout le monde doit avoir sa place sur scène.
Comment
avez-vous
choisi vos invités ?
Peu d'artistes sont issus du milieu prolétaire, j'ai donc cherché autour de moi. Il y aura mon groupe, les Vaginites, mais aussi le photographe Flavio Tarquinio qui a travaillé sur la représentation des prolos, notamment à Wazemmes, et puis
Édouard Louis. Je l'ai contacté via les réseaux sociaux et il m'a répondu tout de suite ! Il va lire un texte sur scène, peut-être qu'on le fera ensemble. Je ne sais pas encore ce qu'il a écrit mais on connaît ses opinions à travers ses bouquins...
« Tout le monde doit avoir sa place sur scène »
On note également la présence de Guy Alloucherie, que vous connaissez bien n'est-ce pas ? Oui, j'ai découvert le théâtre grâce à ses ateliers, j'avais alors une trentaine d'années. Ils étaient ouverts à des gens de tous milieux et se déroulaient une fois par semaine, à Liévin. J'ai appris beaucoup auprès de lui : comment se placer sur un plateau, délivrer une parole en bravant les injonctions...
« La forme on s'en fout, c'est l'émotion qui compte »
Même si on ne possède pas les codes classiques de la représentation, on peut dégommer à fond les ballons ! La forme on s'en fout, c'est l'émotion qui compte.
Quelle serait votre définition du prolo ? Souvent, on imagine un mec en bleu de travail... Pas du tout ! Pour moi, il s'agit de toutes celles et ceux qui ne font pas partie des dominants. Et souvent, ces gens ressentent du mépris pour eux-mêmes. C'est aussi ça la prolophobie : quand on fait partie de cette classe, on s'empêche de parler, on a peur de son attitude, de son accent, de commettre des fautes de français alors que les néologismes font la richesse de la langue.
Vous considérez-vous encore comme une prolo ?
C'est la question des transfuges de classe : certains ont complètement adopté le mode de vie de la classe bourgeoise et d'autres assument leur origine, comme moi. Je me considère donc toujours prolo même si aujourd'hui, économiquement, j'ai de quoi vivre, me chauffer, me soigner... Mais tout peut s'écrouler à tout moment. Certaines choses vécues dans la chair restent...
Que souhaitez-vous montrer lors de cette carte blanche ?
Que c'est une richesse de venir de cette classe, car elle a des valeurs, notamment la culture de la lutte.
On se souvient bien sûr des gilets jaunes, mais aussi de 1936 ou de Mai-68. Moi, j'ai envie de parler de choses qui me révoltent comme le sexisme, l'inceste ou les violences conjugales. C'est ma manière de lutter et d'interroger plus largement notre société. Bref, j'adore foutre le brin et j'encourage tout le monde à s'y mettre !
Prolo not Dède Lille, 27.02 > 01.03, Théâtre du Nord 20h, 18 > 9€, theatredunord.fr
À voir / Nous les femmes, documentaire de Christian François : Lille, 23.02, Théâtre du Nord, 19h, gratuit
À lire / La version longue de cette interview sur lm-magazine.com
OUVREZ LES VANNES !
Ils sont corrosifs, loufoques, burlesques ou poétiques… mais pareillement hilarants. Ces valeurs sûres (ou en devenir) de la gaudriole débarquent près de chez nous pour le meilleur et le rire – et ce n’est pas de la blague. J.D.
HAROUN
Dans ce vaste fourre-tout qu'est devenu le stand-up, Haroun fait un peu cavalier seul. D'ailleurs, il préfère à cet anglicisme le terme plus littéraire de "pasquinade", usité durant le xviiie, et signifiant "pamphlet". Le mot sied plutôt bien à notre homme, qui passe les travers de notre triste époque au vitriol, sans jamais sombrer dans la vulgarité gratuite. Dans Seuls, son dernier spectacle, l'humoriste prend un plaisir malin à pointer nos contradictions, distillant çà et là quelques pertinentes fulgurances, du genre : « le problème, c'est que ce n'est pas le monde qui va mal, mais qu'il y a trop de cons qui vont bien ». Pas mieux. Bruxelles, 11.02, Cirque Royal, 17h & 20h30, 45 > 37€, cirque-royal-bruxelles.be Roubaix, 12.02, Colisée, 17h, 43 > 15€, coliseeroubaix.com
© SekzaBENJAMIN TRANIÉ
Casquette vissée sur une coupe mulet outrageusement longue, Benjamin Tranié s'est révélé dans le rôle du beauf sur Radio Nova, avant de railler les « buveurs de kombucha qui fout la dysenterie » sur France Inter. Mais le natif de Coulommiers a plus d'un tee-shirt sale dans son sac. Dans le Dernier relais, son premier spectacle, il incarne une flopée de personnages borderline. Du pilier de bar à la prostituée de parking, chacun raconte les dernières heures d’un vieux rade à coups d’aphorismes dignes de Michel Audiard. Âmes sensibles...
Lille, 11.02, Théâtre Sébastopol, 20h, 35€ theatre-sebastopol.fr
MADAME FRAIZE
Après pile 20 ans de carrière, à traîner son pantalon trop court et son polo rouge sur les scènes de France et de Navarre, Monsieur Fraize devient... Madame Fraize. Changement de sexe (momentané, hein), mais pas de cap : le plus lunaire des humoristes vise toujours l'Absurdie. Affublé d'une perruque, de gants roses et d'une belle robe verte fendue, il nous parle avec douceur et une pointe d'espièglerie de la vie de couple, d'amour, semant plus que jamais le trouble entre clowneries et poésie.
Woluwe-Saint-Pierre, 16.02, W:Halll, 20h30, 28/25€, whalll.be // Lille, 25.03, Le Splendid, 20h, 32€, le-splendid.com
LAURA FELPIN
Dans l'art de "jouer aux autres", il y a bien sûr Alex Lutz... et désormais Laura Felpin. L'Alsacienne capte les attitudes de ses contemporains comme peu d'autres, pour donner vie à une galerie de personnages plus vrais que nature. Elle glisse ainsi de l'influenceuse décérébrée (pléonasme) à la vendeuse de cosmétiques prête à nous "relipider" la peau. À rebours de la mode du stand-up, cette observatrice avisée alterne incarnations déjantées et confessions intimes – sans se la raconter. Lille, 03.03, Théâtre Sébastopol, 20h, complet ! Béthune, 04.03, Théâtre municipal, 20h, 22 > 11€
(LA BANDE À) LAURA
Passionnée d'histoire de l'art, Gaëlle Bourges s'est fait une spécialité de réinterpréter des œuvres pour aborder des sujets de société. Elle se penche ici sur Olympia d'Édouard Manet. Présentée en 1865, celle-ci fit scandale, figurant une courtisane allongée dans le plus simple appareil (en réalité la peintre Victorine Meurent) et, au second plan, une domestique noire lui tendant un bouquet. Le tableau est aujourd'hui bien connu mais ses modèles furent, non pas oubliées, mais "invisibilisées". Dans ce spectacle, quatre performeuses recomposent la toile, inversent les rôles et les couleurs de peau pour rendre leur place à toutes les femmes. J.D. Lens, 26.02, Scène du Louvre-Lens, 17h, 10/5€, culturecommune.fr
RODIN
À travers ses sculptures, Auguste Rodin ne visait pas la justesse anatomique. Pour lui, le mouvement figurait avant tout l'expression de l'âme, de l'essence humaine. C'est la force intérieure du Penseur, la tension des Bourgeois de Calais, l’abandon du Baiser... Après la réalisation de neuf chorégraphies au musée Rodin, Julien Lestel rend grâce au génie de l'artiste à travers ce ballet, sublimant sur scène les émotions suscitées par le corps. J.D. Lille, 11.02, Casino Barrière, 20h30, 43 > 31€ casinosbarriere.com
La Mémoire de l'eau
(Shelagh Stephenson / Brigitte Buc & Fabrice Gardin)
Suite aux funérailles de leur mère, trois sœurs se retrouvent dans la maison où elles ont grandi. Au fur et à mesure du séjour, les fantômes du passé resurgissent et avec eux leur lot de secrets, de vieilles rancœurs, de mensonges... et surtout de délires ! Entre répliques assassines et réflexion sur l'identité, illusion et réalité, cette comédie écrite en 1996 par la Britannique Shelagh Stephenson a le chic pour nous faire rire avec les sujets les plus graves. Bruxelles, 01 > 26.02, Théâtre royal des Galeries, 20h15 (dim : 15h), 26 > 10€, trg.be
Boule à neige
(Mohamed El Khatib & Patrick Boucheron)
Qu’il mette en scène une femme de ménage ou des supporteurs du RC Lens, Mohamed El Khatib éreinte les clichés en se frottant au réel. Dans cette nouvelle pièce, il s’associe à l’historien Patrick Boucheron pour agiter la boule à neige comme jamais. Le duo a réuni des témoignages de collectionneurs à travers le monde pour nourrir un récit inédit. Cet objet populaire s’appréhende ici comme un théâtre miniature, où il sera question de monde sous cloche, de valeurs, du bon et du mauvais goût. Villeneuve d'Ascq, 02 & 04.02 Espace Concorde, jeu : 19h • ven : 15h & 20h • sam : 17h & 20h, 21 > 6€, larose.fr
Lames (Kristel Largis-Diaz / La Vague Régulière & Cie)
Les coulisses du patinage artistique... et son univers impitoyable. À 10 ans, Eugénie rêve de fendre les airs et la glace comme les grandes championnes. Son entraîneur place tous ses espoirs en elle : la jeune athlète est petite, agile. Et puis un jour, son corps change, elle devient une femme. Sa morphologie perturbe ses rêves de grandeur... Puisant dans ses propres souvenirs, Kristel LargisDiaz met en scène un conte moderne sur la fin des illusions, la féminité et l'émancipation.
Armentières, 08.02, Le Vivat, 20h, 18 > 2€ levivat.net
Bugging (Étienne Rochefort)
Une danse pour un monde qui "bugue" ? Telle est la proposition d'Étienne Rochefort. Lui-même victime de tics, le chorégraphe traduit les soubresauts de notre époque en convoquant les danses urbaines : breakdance, voguing, krump... Leurs points communs ? Elles sont toutes nées de fractures sociales et présentent des gestes syncopés. Sur le plateau, neuf interprètes forment une communauté saisie de spasmes, comme si leurs corps "buguaient" et nous alertaient d'un péril imminent.
Douai, 08.02, Hippodrome, 20h30, 22 > 5€, tandem-arrasdouai.eu
Voyage intérieur (Bernard Werber)
Écrivain français parmi les plus lus au monde (Les Fourmis, Les Thanatonautes…), Bernard Werber s'essaie à la scène et nous convie à un drôle de Voyage intérieur . Dans cet "objet théâtral non identifié", il est question d'hypnose, de régression vers des vies antérieures... Accompagné sur scène par la chanteuse et harpiste Vanessa Burel (aka Francoeur), le romancier invite aussi la salle à participer à des expériences méditatives, en quête de découvertes et d'histoires enfouies.
Lille, 08.02, Théâtre Sébastopol, 20h, 39 > 29€ theatre-sebastopol.fr
Othello
(William Shakespeare / Jean-François Sivadier)
Après Le Roi Lear , Jean-François Sivadier revient à Shakespeare et s'attaque à Othello, soit l'histoire de la vengeance d'un homme (Iago) qui cherche à en détruire un autre (Othello, donc). Son arme ? Le poison de la jalousie, qu'il distille dans l'oreille du "Maure de Venise", lui faisant croire que sa femme le trompe. C'est justement cet aspect que son adaptation met en exergue : les mots, ici subtilement égrenés au rythme de We Will Rock You de Queen ou de Paroles, paroles de Dalida ! Dunkerque, 08 & 09.02, Le Bateau Feu mer : 20h • jeu : 19h, 9€, lebateaufeu.com
Il était une fois au Prato (Julien Cramillet & Camille Rocailleux)
Familier des télescopages inattendus, le Prato inaugure son "Il était une fois". Le principe ? Organiser la rencontre entre deux artistes qui ne se connaissent pas, l'un issu du cirque et le second d'une autre discipline. Le duo a alors trois jours pour créer un spectacle inédit ! Pour cette grande première, Julien Cramillet et Camille Rocailleux se sont prêtés au jeu. Le premier est acrobate, le second musicien, compositeur et metteur en scène. Évidemment, ça promet.
Lille, 10.02, Le Prato, 20h, 5€, leprato.fr
Fleurs de soleil (Thierry Lhermitte / Simon Wiesenthal)
Pour son retour sur les planches, Thierry Lhermite redonne voix au chasseur de nazis Simon Wiesenthal, mort en 2005. Seul sur scène, il incarne cet épisode phare de l'existence du juif autrichien : en 1942, celui-ci a recueilli la confession d'un soldat SS à l'agonie, qui lui demandait pardon... Simon Wiesenthal ne lui accordera pas, et passera sa vie à poser cette question :
« Qu’auriez-vous fait à ma place ? »
La Louvière, 18.02, Le Théâtre, 20h, 35 > 20€, cestcentral.be // Lens, 28.02, Le Colisée, 20h 35 > 17,50€, colisee.villedelens.fr // Bruxelles, 03.03, Wolubilis, 19h & 21h, 47 > 26€, wolubilis.be