3 Pistes de réforme(s)
Difficile d’imaginer que le régime des pensions reste soutenable à long terme, selon le directeur de la Fondation Idea. Muriel Bouchet propose une réforme du système en diminuant les dépenses tout en protégeant les plus vulnérables.
« Nous surestimons l’état de santé du système des pensions »
« Nous allons devoir atterrir à un moment donné », prévient le directeur de la Fondation Idea, Muriel Bouchet, au sujet de la soutenabilité du système des pensions. Certes, le budget de la Sécurité sociale est toujours en excédent. Mais pour combien de temps encore ? « Cela est superficiel et lié à l’explosion du nombre de frontaliers et, par voie de conséquence, à celle des cotisations. Mais il y a un effet de décalage : l’explosion du nombre des pensions viendra dans plusieurs années », explique celui qui a travaillé pour trois banques centrales, dont la BCL. Selon les projections de mai 2021 émises par l’Ageing Working Group (AWG) de la Commission européenne, le budget des pensions devrait ainsi passer de 9,2 % du PIB en 2019 à 13,9 % en 2045 et 18 % en 2070, soit la plus forte hausse au sein de l’Union européenne. Ce qui se fait déjà ressentir sur l’excédent du budget de la Sécurité sociale, qui diminue progressivement : de 2 % du PIB en 2000, il est prévu à 1,2 % en 2022 et devrait être à 0,9 % en 2025. Pour contrecarrer une telle charge pesant sur les finances publiques, la croissance économique fait office de solution miracle. Celleci est en effet « soutenue au Luxembourg, même malgré la pandémie », reconnaît Muriel B ouchet. Mais, selon les estimations de la Fondation Idea, il faudrait une croissance forte et continue de l’ordre de 5 % pour préserver l’équilibre du système. Un tel rythme est-il envisageable sur deux ou trois générations ? La réponse par l’affirmative est corrélée à une évolution considérable du nombre de frontaliers, qui sont d’ores et déjà plus de 200.000. « C’est la quadrature du cercle », estime Muriel Bouchet, pour qui l’augmentation massive des frontaliers pose question dans un pays qui connaît déjà une grave crise du logement et d’importants problèmes de mobilité. « Au niveau démographique, nous allons plafonner, ou du moins 74
DÉCEMBRE 2021
réel. La loi de 2012 prévoit que, si le régime des pensions n’est plus à l’équilibre, le gouvernement peut déposer un projet de loi visant que cette indexation ne soit plus que partielle. La Fondation Idea recommande de ne pas attendre un éventuel déséquilibre du régime, mais bien d’agir maintenant en indexant uniquement la tranche de pension ralentir, et c’est en cela que nous surestimons qui correspond à celle d’une pension minimum – l’état de santé du système des pensions. » 1.956 euros – tout en désindexant le reste. Ainsi, les petites pensions seraient liées intégralement Revoir les clés de répartition à l’évolution des salaires réels. Mais, pour une Dans un tel cas de figure, d’importantes réformes pension de 8.000 euros par exemple, 2.000 euros, paraissent indispensables. La Fondation Idea donc un quart, seraient liés au salaire réel, en s’était déjà penchée sur la question en 2018 avec excluant les 6.000 euros restants. L’âge de la retraite est aussi l’un des leviers une série de propositions qui visent, dans les grandes lignes, à accentuer la dernière réforme à actionner, même si la Fondation Idea préconise « de ne pas venir avec une augmentation du régime des pensions, datant de 2012. Celle-ci prévoit ainsi de diminuer graduel- dirigiste de l’âge », mais de lier le montant de la lement la partie des pensions qui dépend des pension à l’évolution de l’espérance de vie à 60 ans. revenus cotisables et d’en augmenter la partie Si celle-ci augmente, le capital de pension constiforfaitaire, qui dépend de la durée de la carrière. tué par le salarié reste le même, mais la menMais si elle prévoit de porter graduellement la sualité diminue, afin que la somme des pensions majoration forfaitaire fixée à 23,50 % du salaire versées soit toujours identique. Avec toujours social minimum à 28 % en 2052, la Fondation l’idée de protéger les petites pensions en n’apIdea vise un taux de 50 %. Idem concernant la pliquant ce coefficient de longévité qu’à la pardiminution progressive du taux de majoration tie qui dépasse la pension minimum. proportionnelle : la réforme le fait passer de 1,85 % en 2012 à 1,6 % en 2052. La Fondation Idea Ouvrir davantage le régime complémentaire envisage quant à elle de le baisser à 1 % d’ici 2052. Il s’agit aussi de rendre le régime complémenAutre moyen de jouer avec le levier du mon- taire plus attractif pour les revenus les plus tant des pensions : l’indexation sur le salaire faibles. Au sein du deuxième pilier, la dotation annuelle individuelle fiscalement déductible est de 1.200 euros, un montant qui n’a pas été réévalué depuis longtemps. La Fondation Idea imagine le rehausser au moins à 2.000 euros. LE POIDS DU VIEILLISSEMENT SUR Avec, en parallèle, une baisse du taux de taxaLES FINANCES PUBLIQUES En points de % du PIB selon l'Ageing Report tion forfaitaire de la pension complémentaire (AR) de la Commisssion européenne. épargnée par le salarié via son employeur, actuellement de 20 %. « Un taux rédhibitoire AR 2018 10 AR 2021 pour les revenus les plus faibles, explique Muriel Bouchet. Cela finit par être un système réservé 8 aux revenus élevés. » Il s’agirait d’appliquer un taux progressif en fonction du revenu du sala6 rié. Une manière de permettre aux revenus les 4 plus faibles de participer avec profit au régime complémentaire. Cet ensemble de modifica2 tions permettrait donc de « diminuer les dépenses totales des pensions en écrémant les pensions 0 les plus élevées, tout en maintenant le pouvoir d’achat des pensions les plus faibles », résume -2 Muriel Bouchet. Si réforme il y a, elle devra Situation Dépenses soins en effet prendre garde à ce que celles et ceux budgétaire de longue durée initiale qui perçoivent les revenus les plus faibles n’en Dépenses pour l’éducation Dépenses deviennent pas les victimes. de pensions Dépenses soins de santé
(et le chômage) Indicateur de soutenabilité à long terme
Auteur PIERRE PAILLER