L’économie, la consommation et le droit en temps de crise La société dans laquelle nous vivons peut être qualifiée de société de consommation. Comme l’écrivait l’économiste américain Victor Lebow, « Notre économie si productive exige que la consommation soit un mode de vie ». On relie constamment la vigueur de l’économie nationale au taux de confiance des consommateurs et à leurs dépenses sur le marché. Par Pierre-Claude Lafond, professeur titulaire
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ette confiance est cependant fragile. Elle repose sur la stabilité sociale et économique. En avril dernier, comme l’un des résultats de la crise sanitaire, on annonçait que la confiance des consommateurs avait chuté à son plus bas niveau depuis six ans. Les nombreuses pertes d’emplois, la fermeture de la plupart des magasins de détail, le confinement à la maison et la peur des citoyens sont responsables de cette situation. Des consommateurs qui cessent de consommer mettent en péril l’économie de leur pays. Le droit, plus spécifiquement le droit de la consommation, est tributaire de cette stabilité. Il suffit d’une crise sociale ou économique pour voir le retour de certaines pratiques commerciales issues de la bonne vieille période du libéralisme contractuel. C’est précisément ce à quoi l’on assiste actuellement avec les compagnies de transport aérien ou de navires de croisières, lesquelles offrent aux consommateurs des crédits pour un voyage futur, en lieu et place d’un remboursement. Les règles du Code civil et de la Loi sur la protection du consommateur sont écartées au profit de la survie des entreprises. Les voyageurs sont pris en otage, le crédit voyage devient
une arnaque, plusieurs actions collectives déposées connaîtront peut-être un dénouement dans une dizaine d’années, pendant que les gouvernements restent immobiles. Les droits des consommateurs sont sacrifiés sur l’autel de l’économie au détriment de leur confiance. Les fournisseurs de crédit en profitent pour abuser de la vulnérabilité des ménages victimes des mises à pied et du ralentissement économique. Pendant que les transporteurs aériens jouissent de financement sans intérêt grâce aux dépôts des voyageurs, des reports de paiement sont proposés par les entreprises du secteur des automobiles avec des pénalités allant jusqu’à 30 % par mois, totalisant un taux d’intérêt supérieur à 400 % par année à l’encontre du Code criminel et d’autres lois. Une fois de plus, le droit de la consommation est ignoré, bafoué. La liste des exemples révoltants est longue. Le duel entre l’économie et la santé publique que suscite la crise nous rappelle la relation étroite entre la consommation et l’économie. Des consommateurs confinés consomment moins et le marché menace de s’écrouler. Ce n’est toutefois pas une raison pour que le droit qui les protège s’écroule lui aussi. ◆ Droit Montréal
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Automne 2020
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