LE PARTI-PRIS DE THIERRY JOBARD
Laisse-toi faire…
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OR NORME N°36 Séduction
OR BORD
Texte : Thierry Jobard
Photos : DR
« Dieu dit à la femme : « Pourquoi as-tu fait cela? » La femme répondit : « Le serpent m’a séduite et j’en ai mangé. » » (Genèse, 3;13). Ève a croqué le fruit de l’arbre de la connaissance. On connaît la suite. Si au commencement était le verbe, juste après vînt la séduction… De la séduction, on pourrait en dire la même chose que Saint Augustin pour le temps : « tant qu’on ne me demande rien, je sais ce que c’est, mais lorsqu’il s’agit de dire ce que c’est, je ne le sais plus. » Faisons donc simple et objectif pour commencer : ouvrons le Saint Robert. Séduire, étymologiquement, c’est détourner du droit chemin. Mais c’est aussi persuader, convaincre, voire tromper. Séduire c’est entraîner dans l’erreur et l’illusion; c’est charmer, captiver, fasciner. Et puis séduire ce fût aussi amener à forniquer hors du mariage. On comprend que ce sens ne soit plus guère usité. Il reste tout de même cette idée de mensonge et de manipulation due à quelque salade mal assaisonnée servie à de pauvres oies blanches, « séduites et abandonnées » selon la formule consacrée. DU NOUVEAU, SANS CESSE… Et si la première femme de l’humanité fut séduite, il n’est pas jusqu’au Christ lui-même qui, après quarante jours passés au désert, dut subir les assauts tentateurs du Malin. Séduire c’est écarter et diviser, comme le diable. On remarquera d’ailleurs que la figure du séducteur est pour le moins ambiguë. Il passe compulsivement d’un objet à l’autre, trouvant sa jouissance davantage dans la conquête que dans la victoire. Ce qu’il lui faut, c’est du nouveau, sans cesse. Celui qui aime séduire, c’est un séducteur. Celle qui aime séduire, c’est… autre chose, comme dans toute bonne société patriarcale. On voit donc
bien que la séduction ça fleure le soufre. Ce n’est pas moi qui le dit mais Saint Jean lui-même: « Car plusieurs séducteurs sont entrés dans le monde, qui ne confessent point que Jésus-Christ est venu en chair. Celui qui est tel, c’est le séducteur et l’Antéchrist »¹. L’Antéchrist carrément. De quoi foutre les miquettes. À tel point que les religions auront souvent tendance à étouffer tout signe de séduction potentielle : vêtements, cheveux, maquillage… Ce qui laisse accroire, à dire nettement les choses et sans user de circonlocutions trop oiseuses, que la séduction, ça fout la merde. Nonobstant, n’a-t-on pas tout mis en œuvre, depuis toujours, pour amplifier les attraits naturels ? Par la vêture, par la coiffure, par la cambrure, on cherche à attirer le regard de l’autre. Curieux équilibre entre expression et transgression, séduire c’est aussi funambuler sur le fil de l’interdit. Du moins le fût-ce. Car à l’heure de la fin des institutions structurantes et/ou oppressantes (famille, religion, autorité, coutumes…) l’interdit s’est nettement réduit. Nous n’en sommes plus, à quelques regrettables exceptions près, aux mariages arrangés, aux alliances familiales. Ne s’assemble certes que ce qui se ressemble socialement mais l’individualisme contemporain permet à chacun de faire valoir ses atouts auprès de tous. Ne serait-ce que grâce aux sites et applications de rencontres. C’est cela le grand marché du désir, où l’on réduit la marge d’erreur en multipliant les critères distinctifs. « Tu es jeune, belle, blonde, sans tabous et fan de géomorphologie structurale? J’te kiffe baby! » Mais bordel, que c’est triste. Car si Dieu est mort, le Diable aussi et la séduction avec. Quid du mystère, du non-dit, de l’implicite, du charme ? La séduction, ça prend du temps. Or nous vivons désormais dans l’immédiateté. Ça ne séduit plus, ça matche ; ça ne s’éprouve plus, ça consomme. Point de jérémiades ici, mais on ne saurait s’empêcher de jeter un œil sur le chemin parcouru depuis l’amour courtois jusqu’à la galanterie au XVIIe siècle. Les femmes de la haute société donnent alors le ton et aident les hommes