Naissance et épuisement du problème de la pollution de l'air et de la mobilisation...

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Mémoire de 1ère année

Mention de master Ville et Environnements urbains

Parcours nouveaux modes de vie et espaces de la ville contemporaine Université Lumière Lyon II

Naissance et épuisement du problème de la pollution de l’air et de la mobilisation au sein d’une école élémentaire de Lyon © RaStudio

Gauthier Cussey

Soutenance : jeudi 28 juin 2018

Directeur de mémoire : Michel LUSSAULT, Professeur de Géographie (ENS de Lyon) Second lecteur : Florian CHARVOLIN, Sociologue, chercheur (CMW)

Résumé :

Cette étude analyse les représentations mentales de la pollution de l’air des familles d’une école élémentaire de Lyon. Située à proximité de la sortie d’un tunnel routier, l’école que nous avons choisie a connu une importante mobilisation autour de la question à partir de 2013. Dans ce mémoire, nous analysons la façon dont s’est construit le problème. Quels acteurs en sont à l’origine ? Quels éléments ont permis sa cristallisation ? Quels facteurs ont rendu possible la mobilisation ? Notre enquête s’intéresse également aux représentations de la pollution des familles et cherche à comprendre comment celles ci sont mobilisées dans le discours des familles en faveur de l’amélioration de la qualité de l’air à des fins stratégiques. Nous mettons en lumière la façon dont les individus non experts de la qualité de l’air recourent à des « indicateurs sensibles » afin de détecter et mesurer le danger de leur exposition. Nous voyons également comment ces mêmes individus développent et mettent en œuvre des « savoir faire de prudence » informels visant à préserver leur santé et limiter leur gêne olfactive.

Abstract:

This study analyzes mental perception of air pollution in an elementary school context in Lyon. Situated close to a tunnel exit, the study case is known for an intense parent’s mobilization against air pollution from 2013 to today. In this master thesis, we analyze how the problem was built by parents? What is its origin? Which elements have an influence? Our investigation focalizes on parent’s perception about air pollution. How parents play on imaginary? How parents argue? We want to demonstrate how non expert peoples uses their sensitivity, their olfactory capacities to “detect” air pollution. Our study shows how these people develops “savoir-faire de prudence” (informal preventive skills) to preserve their physical and mental health.

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Remerciements

Je tiens à remercier chaleureusement les familles de l’école Michel Servet qui ont accepté de me rencontrer dans le cadre de cette étude. Leur motivation à s’investir dans mon travail et la richesse de leur propos m’ont été de la plus grande aide.

Je remercie Michel Lussault, mon directeur de mémoire, pour la finesse de son analyse et de son regard critique sur le sujet.

Je remercie Florian Charvolin, Thierry Coanus et les autres experts que j’ai rencontré pour nos échanges et leurs conseils avisés sur le sujet. Leurs recommandations bibliographiques m’ont été de la plus grande aide dans l’élaboration de ce mémoire.

Je tiens également à remercier l’équipe enseignante du Master VEU pour la pertinence de leurs remarques sur mon travail.

Je suis également reconnaissant du soutien qu’a apporté Pascal Barbier, le directeur de l’école, à mon projet.

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Sommaire

I. Partie introductive p.6

1. Introduction générale p.6

2. La pollution de l’air au sein d’une école élémentaire : présentation du terrain et formulation des hypothèses de recherche p.10

3. Une méthodologie de recherche qualitative p.18

II. L’univers des représentations de la pollution de l’air p.21

1. Caractéristiques et fonctions des représentations p.21

1.1 La représentation, un concept difficile à cerner p.21

1.1.1 Quelques éléments de définition p.21

1.1.2 Représentations individuelles ou représentations sociales ? p.25

1.2 Quelles sont les caractéristiques des représentations ? p.26

1.2.1 Les représentations sont organisées et stabilisées p.26

1.2.2 Les représentations sont évolutives p.27

1.3 Quelles sont les fonctions des représentations ? p.29

1.3.1 Les représentations permettent aux individus de partager une réalité commune p.29

1.3.2 Les représentations comme guide de l’action collective p.30

2. Les représentations de la pollution de l’air p.32

2.1 La pollution est « invisible » p.32

2.1.1 Le caractère ambivalent de l’air dans les représentations : le bon et le mauvais p.32

2.1.2 La pollution comme une « bombe à retardement » p.33

2.1.3 Symptômes respiratoires/ORL et diagnostic profane p.34

2.2 Apprendre à « sentir » la pollution p.35

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2.2.1 Apprentissage et usage du sensible pour détecter la pollution p.35

2.2.2 Usage et transmission des « savoir faire de prudence » pour se protéger contre la pollution p.37

III. Problématisation et publicisation du problème p.42

1. Le processus de problématisation de la pollution de l’air p.42

1.1 La naissance du problème p.42

1.1.1 Un objet : la station de mesure de la qualité de l’air p.43

1.1.2 Un coupable : l’automobiliste p.46

1.2 La publicisation du problème ou comment le problème trouve son public p.48

1.2.1 Jouer sur le risque p.48

1.2.2 L’enfant comme actant p.50

2. La montée en gamme du problème p.52

2.1 : Du problème de la pollution de l’air à l’école à la pollution de l’air en général p.52

2.1.1 Un changement d’échelle et une montée en gamme du problème p.52

2.1.2 Des avis divergents p.55

2.2 l’épuisement de la mobilisation p.56

2.2.1 Un sentiment de frustration du collectif p.56

2.2.2 tabou et interdits p.59

2.2.3 La mobilisation de l’école Michel Servet, un cas d’école ? p.61

Conclusion générale p.64

Bibliographie p.66

Annexes p.69

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I. Partie introductive

1. Introduction générale

Parmi les nombreuses conséquences générées par l’urbanité, la pollution de l’air apparait comme une problématique de premier rang car la concentration en un même espace de différentes sources de polluants (circulation automobile, chauffage des habitations, industrie, etc.) combinées à la morphologie singulière des villes a pour conséquence d’accroitre massivement la concentration de polluants dans l’air. Si près de 54% de la population mondiale vit actuellement en zone urbaine, l’ONU1 estime que l’humanité dépassera les 66 % avant 2050. Parmi les diverses problématiques de santé public liées à la densification des espaces urbain, la dégradation de la qualité de l’air cause 1,3 million de décès par an dans le monde dont 350 000 en Europe. L’OMS insiste cependant sur la surexposition des populations les plus pauvres dans le monde où 92 % des victimes de la pollution se trouvent dans des pays à bas et moyen revenu (revenu national brut inférieur à 12 235 dollars par habitant et par an.)

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1 Department of Economic and Social Affairs Population Division, World Urbanization Prospects: Revision 2014 , Organisation des Nations unies, 2014.

Les principaux polluants concernés sont les particules fines inférieures à 10µg ou 2,5µg émis principalement par la transformation d’énergie par l’industrie (31 %), la combustion de bois (30 %), l’agriculture avec l’utilisation d’engrais (20 %) et les transports, du fait notamment de la combustion de diesel (15 %). Le dioxyde d’azote (NO2), lui, est essentiellement émis par le trafic routier. Selon l’OMS, la concentration ambiante maximale recommandée est de l’ordre de 10µg/mètre cube par an pour les PM2.5 et de 20µg/mètre cube par an pour les PM10. Or, dans de nombreuses villes, ces taux sont largement dépassés et représentent, selon les experts de l’OMS, un réel impact sur la santé des individus. En effet, « la diminution de la qualité de l’air en milieu urbain augmente pour les habitants le risque d’accident vasculaire cérébral, de cardiopathie, de cancer du poumon et de maladies respiratoires aiguës, notamment d’asthme2 » La ville de Paris, par exemple, enregistre en moyenne une concentration en PM2.5 de 18µg/m3 par an, soit un excès de 8µg/m3 par rapport aux taux maximum conseillés par l’OMS. Lyon, pour sa part, connaît une moyenne annuelle également supérieure avec 14µg/m3 en PM2, 5 et 22µg/m3 en PM10. Si les particules fines représentent un risque avéré pour la santé, il existe de nombreux autres polluants, parfois moins connus, mais tout aussi dangereux (cf. tableau suivant).

2 Organisation Mondiale de la Santé, Les niveaux de pollution atmosphérique en hausse dans un grand nombre de villes parmi les plus pauvres au monde, Communiqué de Presse, 12 mai 2016. http://www.who.int/mediacentre/news/releases/2016/air pollution rising/fr/

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Si certains taux dépassent amplement les seuils recommandés ou autorisés, il est important de préciser que les conséquences pour la santé des individus ne sont connues que récemment. Selon Sévérine Frère, Isabelle Roussel et Aymeric Blanchet (2005) il a fallu attendre la fin du 19e siècle pour assister à une réelle prise de conscience collective des potentiels dangers de l’air pollué. Avant cela, le grand public et le milieu scientifique rattachaient la question du risque aux odeurs.

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Autrement dit, les odeurs étaient systématiquement associées à un danger pour la santé. À l’inverse, l’absence d’odeurs signifiait l’absence de risque. D’ailleurs, de nombreux mots dans le langage courant témoignent de cette association. Par exemple, une odeur « pestilentielle » (dérivé de « pestilence », du latin « pestilentia3 ») signifie : « qui a les caractères de la peste, qui peut en transmettre la maladie ». Cette expression est le reflet de cette association d’idées que les individus opèrent entre odeur et danger.

En 1763, Le Docteur Le Begne de Presles (1735 1807), médecin de Jean Jacques Rousseau écrivait : « Paris a une atmosphère particulière en tout temps, excepté pendant les grands vents. Cette atmosphère est formée par un air rendu très pesant par la quantité de corpuscules ou exhalaisons qu’il soutient et que leur poids empêche de s’élever fort haut : c’est ce que forme le nuage dont Paris paraît couvert et enveloppé dans le temps le plus serein lorsque l’on regarde la ville d’un peu loin. Les brouillards que l’on éprouve si souvent à Paris pendant l’automne et l’hiver qui ont si mauvaise odeur, qui font mal aux yeux, à la gorge, excitent la toux, causent des fluxions. »

Dans cette description, nous percevons bien l’association d’idées entre univers olfactif et conséquences sur la santé. Selon Le Begne de Presles, le smog de Paris au 18e se traduit par un épais nuage opaque malodorant et irritant pour les yeux et les voies respiratoires.

Qu’en est il aujourd’hui ? Les individus parviennent ils à se représenter les dangers de la pollution de l’air même lorsque celle ci est peu voire pas visible et perceptible ? Comment les individus appréhendent un tel phénomène ? Comment se représentent ils la pollution et ses risques pour la santé ? Quelles informations mobilisent ils pour construire ces représentations ? Recourent ils aux indicateurs scientifiques ou à l’univers sensible pour évaluer les niveaux de pollution et leurs dangers pour la santé ? Bref, comment la pollution est pensée par les individus non experts ?

À partir de cette question, nous avons alimenté une réflexion sur le terrain le plus propice pour investiguer ces aspects. Nous souhaitions porter notre attention sur un groupe de personnes non expertes concernées par les questions de pollution de l’air. De plus, nous voulions analyser la façon dont des individus s’emparent de la question de la qualité de l’air afin d’améliorer leur cadre de vie et de préserver leur santé. Quelles conditions sont nécessaires à l’engagement d’un

Définition et étymologie du CNTRL

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groupe d’individus autour de ces questions ? Nous savons que la pollution de l’air touche une immense partie de la population et pourtant peu d’individus s’emparent de cette question pour l’élever comme un problème public objet de mobilisation. Néanmoins, les individus se sentent ils concernés et préoccupés par la pollution de l’air ? Le cas échéant, comment s’engagent ils autour de ces questions ?

Rapidement, l’école élémentaire Michel Servet apparaissait comme un terrain potentiellement pertinent afin d’étudier ces phénomènes.

2. La pollution de l’air au sein d’une école élémentaire : présentation du terrain et formulation des hypothèses de recherche

Localisation de l’école Michel Servet dans l’agglomération lyonnaise, Open Street Map / IGN

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Située à quelques dizaines de mètres de la sortie du tunnel de la Croix Rousse côté Rhône, l’école est à proximité immédiate d’un axe routier emprunté par 47 000 véhicules et 1000 vélos par jour.

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Comme en témoigne la carte ci dessus, la sortie du tunnel de la Croix Rousse côté Rhône est, au même titre que l’axe nord sud des quais du Rhône, l’un des secteurs de Lyon où la circulation automobile est la plus intense. Ce fort trafic routier explique les très fortes concentrations en particules fines et en dioxyde d’azote mesurées sur ce secteur (cf. carte ci dessous.)

Sur cette carte nous avons voulu localiser le public sensible à la qualité de l’air sur le territoire à partir de l’implantation des établissements scolaires et des hôpitaux (tout en sachant que ces deux types de structures ne représentent évidemment pas l’intégralité du public sensible). Nous avons mis ces données en relation avec les mesures en particules fines et en dioxyde d’azote aux différentes stations de l’agglomération. La station implantée à proximité immédiate de la sortie du tunnel de la Croix Rousse et de l’école Michel Servet enregistre les plus fortes concentrations de l’agglomération. Initialement construit entre 1939 et 1952 afin de désengorger la circulation en centre ville, le tunnel de la Croix Rousse ne comprenait initialement qu’un seul tube réservé à la circulation automobile en double sens (cf. photos ci dessous).

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Dessin de l’entrée du tunnel de la Croix Rousse et de la place Louis Chazette, fond Jules Sylvestre (1859 1936), Bibliothèque municipale de Lyon/P0546 Se 1422

Photographie de la construction du tunnel de la Croix-Rousse à Lyon en 1952, Blog-habitatdurable.com

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Un nouveau tube consacré aux modes doux est percé à partir de 2009. La poussière et les nuisances sonores du chantier obligent l’école à fermer la cour Nord donnant directement sur la sortie du tunnel pendant la phase des travaux (cf photos ci dessous). Le chantier s’achève et le tunnel rouvre à la circulation en 2013.

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Photographie de l’entrée est du Tunnel de la Croix Rousse en chantier pour la création d’un second tube en 2012, By Otourly, Own work, CC BY SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=22043046 La sortie du tunnel côté Rhône aujourd’hui, photographie personnelle, 12/01/2018

Localisation du tunnel de la Croix Rousse, par Tibidibtibo, Own Works, CC BY SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=28048520

Vue de la cour nord, de la station de mesure de la qualité de l’air et de la sortie du tunnel côté Rhône, photographie personnelle, 12/01/2018

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Afin de mesurer la concentration des principaux polluants au niveau de la sortie du tunnel, l’organisme chargé de la mesure de la qualité de l’air ATMOAURA installe en 2009 une station à l’extrémité de la cour Nord (visible sur les différentes photos de la cour). À la suite de cette installation, des premiers résultats paraissent sur le site d’ATMOAURA, et indiquent des dépassements des taux autorisés. Une mère d’un des enfants scolarisés à l’école décide alors d’en alerter le directeur de l’école et l’information se propage au sein des parents délégués élus. En 2015, un groupe de parents décide de créer un collectif militant contre la pollution de l’air à l’école Michel Servet. S’en suivent plusieurs assemblées plénières avec l’ensemble des familles de l’école, deux manifestations publiques, des campagnes de communication, une pétition, des réunions avec des élus du Grand Lyon et de nombre articles dans les journaux.

Si la qualité de l’air était médiocre avant même l’implantation de la station dans le secteur, l’information n’était pas connue des familles et du personnel de l’établissement. Dès lors que les données ont été partagées et reprises par une lanceuse d’alerte, l’école a connu une importante mobilisation. Nous postulons que le problème de la pollution à l’école Michel Servet est l’objet d’un processus de « problématisation » et de « publicisation » (Dewey, 1925 ; 1931) que nous nous donnons l’ambition de comprendre. Nous entendons par là que la pollution s’est sans doute érigée comme problème à la suite d’une série d’évènements qui ont permis le déploiement de la controverse. En reconstituant l’histoire et les étapes de la mobilisation, nous chercherons à comprendre comment l’enjeu de la pollution de l’air à l’école Michel Servet s’est transformé en problème public ?

Mais avant cela, nous souhaiterions nous demander si la mobilisation autour du problème de la pollution de l’air à l’école Michel Servet pouvait être comprise et éclairée par l’étude des représentations mentales des acteurs ? En effet, nous nous demandons si le partage d’un ensemble de représentations en matière de pollution de l’air pourrait guider et motiver l’action collective au sein d’un groupe ?

Pour comprendre cela, il s’agit dans un premier temps de comprendre ce qu’est une représentation mentale tant en psychologie qu’en sociologie, de voir quelles sont leurs modalités d’élaboration, leurs fonctions et effets et comment se construisent elles ? Sont elles le produit d’acteurs autonomes ou sont elles influencées par certains facteurs ? Peuvent elles être partagées pour les acteurs d’un groupe ? Si oui, pour quelles raisons ? Quel est le lien entre représentations et pratiques ?

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Une fois que nous aurons clarifié ces points théoriques, nous pourrons analyser les représentations des parents telles qu’elles sont ressorties lors des entretiens.

Comme nous l’avons rapidement vu en introduction, il a fallu attendre la fin du 19e siècle pour voir émerger une réelle prise de conscience collective de possibles dangers invisibles, imperceptibles lié à un air pollué. Si les individus ont désormais conscience du caractère risqué de certains phénomènes invisibles (amiante, radioactivité, etc.), parviennent ils pour autant à évaluer objectivement les risques liés à leur exposition ? En dehors des indicateurs scientifiques, il peut être difficile de repérer olfactivement la présence d’un élément invisible dangereux et encore plus d’en mesurer les risques. Contrairement aux radiations ou à l’amiante, la pollution de l’air n’est pas complètement invisible. Nous verrons qu’elle peut se manifester sous forme d’un nuage lorsque les conditions le permettent. De plus, les gaz d’échappement ou les émissions des usines émettent des odeurs parfois désagréables que les individus rattachent à de la pollution. Toutes ces manifestations olfactives gênantes nous permettent d’affirmer que la pollution de l’air n’est pas complètement invisible. D’après l’enquête annuelle de l’ADEME sur le rapport des Français à l’environnement (2017), 46 % de la population se dit gênée ou subit un trouble lié à la pollution de l’air extérieur. Cette part dépasse les 56 % à Paris et les 54 % dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants. Si la gêne est importante, qu’en est il de la perception du risque pour la santé ? Si les personnes interrogées ressentent des symptômes respiratoires/ORL comment les interprètent-ils ? Parviennent-ils à distinguer ce qui relève de la pollution de l’air, des allergies, etc. ? S’ils n’y parviennent pas, comment gèrent ils cette incertitude et en particulier lorsque les symptômes (asthme, rhinite, dyspnée, etc.) touchent leurs enfants ?

Enfin, nous nous intéresserons à la faculté préventive des individus. Face au caractère difficilement visible de la pollution, nous nous demanderons si les individus cherchent à s’en protéger. Ont-ils recours à des méthodes préconisées par les experts ? (Port d’un masque antipollution, report d’activités sportives lors des pics, utilisation des transports en commun, etc.) Développent-ils des savoir-faire « profanes » qui pourraient-être acquis grâce à l’expérience du problème et transmise à d’autres ?

Nous verrons dans cette partie que les représentations de la pollution de l’air chez les personnes interrogées remplissent bien une fonction opérationnelle : celle d’agir en vue de se protéger et de protéger leurs enfants.

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3. Une méthodologie de recherche qualitative

Afin d’investiguer les dimensions sensible et imaginaire de la pollution de l’air, nous avons choisi de recourir classiquement à la méthode de l’entretien semi directif. Quant au choix de la population interrogée, nous avons procédé par étapes afin de s’assurer d’avoir accès au terrain et de vérifier la pertinence du cas de l’école Michel Servet dans nos questionnements. Un premier entretien exploratoire avec le directeur de l’établissement permit de lever les doutes quant à la faisabilité de l’étude. Celui ci s’est montré ouvert et intéressé par la démarche et n’a pas posé de biais ou de limites à l’enquête. Habitué à être interviewé par les journalistes sur la situation, le directeur comprenait la démarche d’investigation mais ne semblait pas saisir les particularité d’un entretien semi directif sociologique. Parce qu’il se prête régulièrement à l’exercice de l’interview, il fallait être vigilant à un éventuel discours « attendu » et « lissé » sur la situation de l’école pour chercher à accéder aux représentations du directeur.

Quelques jours après, un rendez vous fut fixé avec l’un des membres les plus actifs du collectif de parents et par effet « boule de neige », nous avons pu rencontrer plusieurs autres parents militants.

Cependant, nous percevions la nécessité d’élargir la population étudiée à des familles non investis dans le collectif. Nous souhaitions également interroger des enseignants de l’établissement car les familles interrogées affirmaient que ces derniers ne se seraient pas sur la problématique de la pollution. En sollicitant les enseignants de l’établissement pour un entretien, nous souhaitions vérifier cette information. Pour ce faire, nous sommes passé par le directeur de l’établissement qui a transmis l’information à l’ensemble de ses collègues. Après plusieurs semaines d’attentes, une seule enseignante se porta volontaire. Malgré de multiples relances par différents canaux, aucun autre enseignant ne souhaita nous rencontrer Au total, nous avons pu échanger avec sept personnes au cours d’entretien approfondi d’au moins une heure, une heure trente.

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Nom modifié Statut Profession Âge Situation personnelle

Catherine Parent délégué élu Ingénieure/Maitre de Conférence en Mathématiques

Stéphane Directeur Directeur d’établissement

Paul Parent délégué élu Intermittent du spectacle (musicien)

Marie Enseignante à l’école Michel Servet en CE2

Erwan

40 ans Mariée, 2 enfants (garçon en CE1 et fille en moyenne section)

Lieu d’habitation et date d’emménagement

Montée Saint Sébastien depuis 2012

45 ans ? Marié ? N’habite pas le quartier

35 ans Marié, 3 enfants (fille au CP, garçon en moyenne section et garçon en crèche)

Enseignante 45 ans Célibataire, 2 enfants (CP, CM1)

Parent délégué élu, membre du collectif Intermittent du spectacle (musicien)

45 ans Marié, 2 enfants (garçon en dernière section maternelle, garçon en CM2)

Habite le quartier depuis 2008. Rue Romarin depuis 2012

Rue des Fantasques depuis 2016

Place Croix Paquet depuis 1998

Rachida Parent Secrétaire de direction 32 ans Mariée, 2 enfants (CP, CE1) Habite le quartier depuis 2015

Julie Parent, membre du collectif Chargée de Communication 34 ans Mariée, 2 enfants (CP, CE2) Habite le quartier depuis 2012

La population rencontrée est composée de deux membres du collectif, trois parents délégués élus, un parent sans engagement au sein de l’école, le directeur et une enseignante en CE2.

Contrairement à ce qu’un tel sujet pouvait faire pressentir, nous avons fait le choix de ne pas interroger les enfants de l’école, et ce pour plusieurs raisons que nous allons expliciter.

Si le fait de s’intéresser aux représentations mentales des enfants en matière de pollution pouvait être pertinent, il nous était difficile de les questionner sur le processus de problématisation et de mobilisation, sujet tout aussi centrale dans cette recherche. Nous aurions évidement pu interroger les enfants sur le premier aspect, mais dans ce cas, il aurait fallu concevoir un deuxième dispositif d’enquête adapté aux enfants et réaliser plus d’entretiens ce qui était difficile avec le temps imparti pour cette étude. Nous verrons au cours du développement que sous certains aspects, les

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enfants constituent des « actants » dans la mesure où ils sont embarqués dans la controverse. Ces derniers ne constituent pas des acteurs, car ils ne prennent pas part au débat. On parle d’eux, mais eux ne parlent pas. Nous pensions qu’il était judicieux de comprendre comment les adultes avaient saisi la question de la pollution à l’école Michel Servet par le prisme de l’enfance et de sa fragilité.

En complément de ces entretiens semi directif avec des parents, professeur et directeur, nous avons mené des échanges formels ou plus informels avec plusieurs experts dans le cadre d’un stage mené en parallèle du mémoire à la Métropole de Lyon sur un « challenge » en matière de qualité de l’air. Ces échanges avec des professionnels nous ont permis de bénéficier de leurs conseils, recommandations et analyses sur le sujet.

Noms Fonction Structure

Charlotte SINDT Directrice

Docteur Jean Louis BRUNET Médecin Allergologue

RNSA (réseau national de surveillance aérobiologique)

Florian CHARVOLIN Chercheur UDL / CMW / CNRS

Thierry COANUS Chercheur ENTPE

Stéphane SOCQUET JUGLARD Directeur technique ATMOAURA

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II.

L’univers des représentations mentales de la pollution de l’air

1. Caractéristiques et fonctions des représentations

1.1 La représentation, un concept difficile à cerner

1.1.1 Quelques éléments de définition

Selon le Centre National de Ressources textuelles et Lexicales 6 , la notion de représentation, du latin repraesentatio est polysémique et recouvre différents éléments de réalité que nous allons synthétiser ci dessous.

Premièrement, la représentation peut désigner « l’action de rendre quelque chose ou quelqu’un présent par son existence, par sa propre présence. » À la manière des représentants de commerce dont la mission est de personnifier une ou plusieurs marques, dans l’intention de démarcher une clientèle.

Dans une même logique, un pays est représenté à l’étranger par son ambassadeur ou son consul qui est chargé de remplir la mission de représentation diplomatique par sa présence physique. La représentation peut également désigner « l’action de rendre quelque chose ou quelqu’un présent sous la forme d’un substitut ou en recourant à un artifice. » Dans ce cas, la représentation est l’acte de produire une copie, une image artificielle de la réalité. Comme l’écrivait Delacroix, « vous jouissez (devant une peinture) de la représentation réelle des objets, comme si vous les voyez véritablement, et en même temps le sens que renferment les images pour l’esprit vous échauffe et vous transporte. » (Delacroix, 1853)

Bien que l’artiste cherche à produire l’image la plus réaliste possible de la réalité, la copie comporte toujours une part d’imperfection. En effet, à la différence de la réalité, la copie n’est jamais parfaite puisque par définition elle n’est pas la réalité. Dans une dernière définition donnée par le CNRTL, la représentation désigne « le fait de se représenter quelque chose » ou « la manière dont on se représente quelque chose », ou encore « l’acte par lequel un objet de pensée devient présent à l’esprit » (Graw, 1981) la représentation désigne alors aussi bien le

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processus mental que le produit de ce processus.

Dans le cas de la pollution de l’air, la représentation mentale permettrait elle de visibiliser l’invisible, de représenter ce qui n’est pas représenté ?

« Située à l’interface du psychologique et du social, la notion a vocation d’intéresser toutes les sciences humaines. On la retrouve à l’œuvre en sociologie, anthropologie et histoire, étudiée dans ses rapports à l’idéologie, aux systèmes symboliques et aux attitudes sociales que reflètent les mentalités. » (Jodelet, 1994)

Comme nous le verrons en détail au cours de cette partie, de nombreux chercheurs tant en psychologie qu’en sociologie se sont donné pour objectif d’identifier les caractéristiques, les fonctions ainsi que la manière dont les représentations se construisent.

Avant cela, commençons par donner quelques définitions de la représentation proposées par des auteurs. Nous verrons que celles ci ouvrent la réflexion sur de nombreux points que nous détaillerons plus loin.

Le psychologue social Serge Moscovici a produit un travail considérable sur la représentation mentale qu’il a caractérisée comme telle : « un ensemble d’informations organisées et structurées relatives à un objet. » (1976) Ainsi, « le contenu d’une représentation est donc constitué d’éléments à la fois cognitifs et affectif. » (Ibid.) Pour lui, la représentation serait donc un ensemble indénombrable d’éléments mentaux organisés et toujours orientés sur un objet. L’auteur entend le terme objet autant comme une situation, un objet, une personne ou un concept, etc.

Plus simplement encore, la représentation serait une connaissance, un savoir qui porte sur quelque chose.

Dans « Les Formes élémentaires de la vie religieuse » (1912), Durkheim définit les représentations collectives comme des façons communes de percevoir et de connaître différentes des représentations individuelles. Constituant la « matière de la conscience collective », les représentations collectives permettent aux individus de partager la même réalité et donc de vivre ensemble. C’est en partageant des représentations collectives que les humains se différencieraient des animaux qui agissent, eux, seulement selon leurs représentations individuelles. Pour l’auteur, « les premiers systèmes de représentation que l’homme s’est faits du

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monde et de lui même sont d’origine religieuse. » Pour Durkheim, les représentations sont dites collectives, car « non seulement elles viennent de la société, mais les choses mêmes qu’elles expriment sont sociales. » (p.729).

Ainsi, les représentations collectives permettraient aux individus de partager un même socle minimal de connaissances sur les choses qui leur permettraient de vivre dans un monde semblable. Mais dans quelles conditions des représentations peuvent-elles être partagées ?

Les représentations sociales ne seraient pas constituées de la somme des représentations individuelles puisqu’elles seraient situées sur un autre niveau, à l’inverse les représentations collectives « ajouteraient quelque chose » aux représentations individuelles.

Dans cette même perspective, Christian Guimelli (1999) considère que les représentations sociales « recouvrent l’ensemble des croyances, des connaissances et des opinions qui sont produites et partagées par les individus d’un même groupe, à l’égard d’un objet social donné. »

Pour Denise Jodelet (1989), les représentations sociales sont donc circonscrites à un contenu visant à codifier et réguler les interactions entre les individus ou entre les groupes. Pour elle, les représentations sociales sont collectivement élaborées et partagées, portent toujours sur un objet, une personne ou une situation, servent à rendre présent à l’esprit quelque chose d’absent et ont un caractère symbolique, signifiant et constructif.

Jean Claude Abric (1989), considère, pour sa part, que la plupart des représentations sont à la fois sociales et individuelles : « on appelle représentation le produit et le processus d’une activité mentale par laquelle un individu ou un groupe reconstitue le réel auquel il est confronté et lui attribue une signification spécifique. La représentation est donc un ensemble organisé d’opinions, d’attitudes, de croyances et d’informations se référant à un objet ou à une situation. Elle est déterminée à la fois par le sujet lui même (son histoire, son vécu), par le système social dans lequel il est inséré, et par la nature des liens que le sujet entretient avec ce système social ».

Les représentations seraient-elles donc le produit d’un processus aux dimensions individuelles et collectives ?

Dans la perspective d’étudier en deuxième partie les représentations de la pollution de l’air auprès de la population interrogée, il nous paraît utile dans un premier temps de bien saisir la différence

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entre représentations individuelles et représentations sociales. Il paraît également essentiel de poser dans un deuxième temps les caractéristiques et les fonctions des représentations.

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1.1.2 Représentations individuelles ou représentations sociales ?

Selon Bernoussi et Florin (1995), il n’y a guère de raison d’opposer les deux notions puisque les représentations sont toujours le fruit d’une interaction entre un individu et un environnement social et matériel. De la même manière, Vytgotsky (1962) considère que l’ensemble des processus mentaux et de ce qu’il nomme les « instruments psychologiques » (le langage, l’écriture, le calcul, les schémas, etc.) est soumis à la dimension sociale. Les représentations individuelles le sont donc tout autant.

Nous voyons qu’il est donc difficile de réellement différencier les deux concepts tant ils sont liés. En effet, la définition de la représentation sociale peut largement varier d’un auteur à un autre. De ce fait, nous allons devoir nous positionner et nous situer dans ce corpus théorique.

Pour nous, il est clair que certaines représentations socialement partagées servent, plus que d’autres, à orienter et réguler les conduites des individus en société. Il s’agit donc bien de représentations sociales. Il nous semble également possible de rapprocher ce type de représentation de la norme sociale entendue comme « une règle de conduite socialement sanctionnée, engendrée par une conscience collective, c’est à dire par la croyance, partagée par la moyenne des membres d’une société, que cette norme est obligatoire. » (Durkheim in Piras, 2004)

En dehors de ce cadre, nous considérons que la plupart des représentations dites « individuelles » comportent une dimension sociale dans la mesure où elles sont le fruit des interactions entre l’individu et son environnement social et matériel. De plus, les représentations peuvent être partagées par un ensemble d’individus.

De ce fait, nous faisons nôtre la définition d’Abric (1988) des représentations comme « un ensemble organisé d’opinions, d’attitudes, de croyances et d’informations se référant à un objet ou à une situation... déterminée à la fois par le sujet lui même (son histoire, son vécu), par le système social dans lequel il est inséré, et par la nature des liens que le sujet entretient avec ce système social. »

De ce fait, nous voyons bien les représentations des individus en matière de qualité de l’air dépendent de leurs multiples interactions et expériences. Ces représentations sont donc vraisemblablement le produit d’acteurs en interaction.

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1.2 Quelles sont les caractéristiques des représentations ?

À travers une brève étude du terme « représentation », nous avons tenté de dégager des éléments de définitions d’un concept qui s’avère complexe à définir. Alors que Durkheim différencie la représentation sociale de la représentation individuelle, d’autres chercheurs comme Abric tentent de montrer le caractère social et individuel de toute représentation.

Malgré cela, de nombreuses questions restent en suspens : Par quels processus se construit exactement une représentation ? Pourquoi certaines représentations s’enracinent elles dans les consciences alors que d’autres évoluent ? Enfin, quelles peuvent être les fonctions des représentations ?

Nous voyons donc à quel point il est difficile de caractériser exactement la représentation sans passer par une étude approfondie de ses caractéristiques et de ses fonctions.

2.1.1 Les représentations sont organisées et stabilisées

À partir des années vingt, de nombreux chercheurs anglo saxons en psychologie se sont intéressés à la façon dont se construisaient et se structuraient les représentations mentales individuelles. Selon le psychologue anglais Frederic Bartlett (1916), nous n’emmagasinons pas de façon désorganisée et exhaustive les informations dans notre mémoire, mais nous les sélectionnons et les organisons autour de schémas simples, cohérents et familiers.

Du fait de la capacité cognitive limitée des individus, ceux ci ne sont pas capables de capter, stocker en mémoire et restituer l’infinité d’informations reçues. Ils ont donc tendance à sélectionner et organiser les informations selon des structures schématiques connues, familières, routinières. (Dortier, 2002) De la même façon selon la psychologue nord américaine, Eleanora Rosch (1973), nous ne constituons pas des bases exhaustives de données pour chaque objet mental, mais nous fabriquons des prototypes, c’est à dire des « exemplaires de références qui servent à définir un mot, une catégorie. Par exemple, le moineau est le prototype de l’oiseau, plutôt que la poule ou l’autruche. C’est par la plus ou moins grande ressemblance avec ce prototype que la pensée commune identifie les objets de son environnement. » (Dortier, 2002).

Pour ces chercheurs, la représentation mentale serait en fait une condensation et un formatage de l’information reçue par l’individu selon des modèles, des cadres mentaux définis. Cependant, ces

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cadres mentaux sont ils amenés à évoluer ou au contraire à rester immuables ? Si l’on se fiait à notre bon sens, nous dirions que les représentations n’évoluent pas toutes au même rythme. Nous dirions aussi que certaines représentations sont plus ancrées que d’autres. Qu’elles en seraient les raisons ?

Abric (1976), à travers sa théorie du noyau central, a montré qu’une représentation est structurée sur deux niveaux distincts : le noyau central et les éléments périphériques.

Le noyau central est composé de quelques éléments simples, mais néanmoins essentiels à la représentation. Si l’un d’eux est absent ou différent, l’ensemble de la représentation en est transformé. Selon Abric, ceux ci servent à donner une orientation générale à la représentation, c’est à dire à définir la valeur de l’objet (bien ou mal). De plus, les éléments qui composent le noyau central présentent la particularité d’être relativement résistants aux changements.

Les éléments périphériques, plus nombreux et plus complexes permettent d’une part à l’individu de décoder la réalité et les situations auxquelles il est confronté et d’autre part de traiter les éléments de réalité contradictoires à une représentation. Dans ce dernier cas, les éléments périphériques vont faire tampons et se déformer pour absorber le choc des éléments contradictoires à la représentation. Ainsi, le contenu global ou le noyau central de la représentation est préservé. L’individu aura alors une représentation nuancée dans laquelle sont incorporés des éléments périphériques contradictoires

De ce fait, toute représentation pourrait potentiellement évoluer sous l’effet d’éléments contradictoires. Cependant, à en suivre le raisonnement cette capacité d’évolution serait tout de même limitée aux éléments périphériques. Comment alors expliquer que certaines représentations soient, au cours d’une vie totalement bouleversée ?

1.2.2 Les représentations sont évolutives

En réalité, lorsqu’un individu est contraint de modifier ses pratiques, ou que son environnement est bouleversé pour diverses raisons, les éléments périphériques d’une représentation peuvent évoluer au point de renforcer ou modifier son noyau dur. Si certaines représentations sont adaptées à une situation pour lui donner du sens ou pour justifier des pratiques, elles peuvent devenir contradictoires dans de nouvelles situations. La représentation peut donc évoluer soit pour s’adapter aux modifications de l’environnement soit pour maintenir une cohérence entre

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représentations et pratiques. Autrement dit, les individus sont à la fois capables d’adapter leurs représentations en fonction de leur environnement social qu’ils sont capables de modifier leurs représentations pour assurer la cohérence avec leurs pratiques.

Il serait donc faux d’affirmer que l’évolution des pratiques ne conduit pas à un changement de représentations. En réalité, selon Abric (1976) représentations et pratiques s’influencent et se transforment mutuellement.

Nous avons vu que les représentations sont construites par les individus selon des modèles mentaux simples, cohérents et familiers permettant aux individus de conserver une quantité non excessive d’informations qui peuvent leur être utiles pour décoder les situations qu’ils rencontrent.

Les représentations sont aussi composées d’un noyau central stable et d’éléments périphériques capables d’évoluer au gré des transformations de l’environnement social. La stabilité du noyau central des représentations permet aux individus de lire la réalité et d’agir en situation de façon relativement constante et cohérente. La versatilité des éléments périphériques permet aux individus d’apprendre et de remettre en question leurs représentations en fonction du contexte social.

En bref, les représentations sont construites, enracinées et transformées selon des mécanismes d’interactions entre les individus et leur environnement social. Les représentations sont donc à l’interface entre imaginaire et pratiques d’une part et entre individu et société d’autre part. Ce positionnement lui confère des fonctions bien spécifiques que nous allons détailler dans la partie suivante.

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1.3 Quelles sont les fonctions des représentations ?

1.3.1 Les représentations permettent aux individus de partager une réalité commune

Piaget (1936) s’est intéressé aux fonctions représentatives chez l’enfant. Au cours de son développement, l’enfant développe la capacité de se représenter quelque chose d’absent. À ce stade situé entre deux et cinq ans, celui ci obtient la capacité de produire des images mentales sur la base d’évocations de réalités absentes. C’est ce que Piaget nomme, la pensée concrète. Progressivement va se greffer à cela la capacité d’associer et de modifier ces images à son gré afin de produire quelque chose. Piaget parle alors d’imagination créatrice. Enfin, l’enfant acquiert la possibilité de créer des représentations conceptuelles sur la base d’un système de concepts et schèmes mentaux. Pour lui, le processus de représentation chez l’enfant reste assez longtemps indépendant des influences sociales. Ce n’est que plus tard que l’individu construit et partage avec d’autres des représentations.

À ce moment précis, les représentations acquises par l’individu lui permettent de partager la même réalité que les autres. Associé au langage, les représentations fondent une réalité commune entre les individus leur permettant de s’entendre sur un même référentiel : si l’on prononce le mot « oiseau », tout le monde s’accorde sur une définition minimale de l’objet. En effet, bien que nous n’ayons pas tous les mêmes connaissances sur les oiseaux, l’ensemble des individus partage une représentation sommaire de l’animal. Comme nous l’avions présenté, les représentations sont construites sur les bases de modèles mentaux simples, cohérents et familiers. La simplicité de la représentation « prototype » (Rosch, 1973) de l’oiseau permet donc aux individus de s’entendre, à minima, sur ce qu’est un oiseau.

La représentation est donc bien « une forme de connaissance, socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social. » (Jodelet, 2003). Lorsque Jodelet dit des représentations qu’elles ont une « visée pratique » entend elle par là que les individus s’en servent pour agir en situation ?

Nous verrons en effet qu’au delà de fournir aux individus des clefs de lecture de la réalité, les représentations servent également à guider leur action.

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1.3.2 Les représentations comme guide de l’action collective

Pour Jodelet (2003), si les représentations parviennent à guider l’action c’est qu’elles donnent aux individus des raisons d’agir. En effet, nous avions vu précédemment avec la théorie du noyau central d’Abric (1976), que les éléments centraux d’une représentation donnent une « valeur » à l’objet représenté, une « orientation générale » positive ou négative qui s’avère déterminante pour l’action. Cette valeur de l’objet de la représentation donne à l’individu des raisons d’agir.

En partant des travaux de Weber (1904) sur la rationalisation des activités économiques et l’émergence du capitalisme Raymond Boudon a produit de nombreux travaux sur l’action sociale et la rationalité comme Effets pervers et ordre social (1977), et des essais tels que la logique du social (1979), ou encore Raisons, bonnes raisons (2002) et enfin Essais sur la théorie générale de la rationalité (2008). L’auteur montre qu’il est impossible que les individus agissent toujours en vue de maximiser leurs bénéfices tout en minimisant les coûts. Pour lui, cette thèse de la rationalité instrumentale est largement remise en question par le fait que les individus agissent selon leurs valeurs et leurs croyances. Boudon propose de nommer cette rationaliste d’axiologique. Plus largement, l’auteur considère que les individus ont de bonnes raisons de croire en une théorie ou d’agir d’une certaine façon tant que leurs croyances n’ont pas été remises en question par un fait établi. La rationalité cognitive telle qu’elle est nommée permet ainsi d’expliquer pourquoi les scientifiques ont pu défendre certaines théories fausses de manière tout à fait rationnelle.

En reprenant les travaux de Weber (1904) qui reconnaissait déjà le caractère rationnel de l’action en valeurs, Boudon étend la rationalité à nombres de situations en faisant le constat suivant : bien que les individus agissent parfois pour des raisons irrationnelles du point de vue instrumental, ceux ci ont toujours de « bonnes raisons » d’agir (Boudon, 2008). En effet, l’auteur ne manque pas de rappeler que « bonnes raisons » ne signifie pas toujours « justes raisons ».

Ainsi, nous pouvons dire que la « valeur » attribuée à l’objet représenté (ou « l’orientation générale ») donne à l’individu des raisons d’agir. Nous avons vu qu’au delà d’être juste ou faux ces mêmes raisons sont surtout « bonnes » pour l’individu, car elles lui apparaissent cohérentes.

À travers son étude sur les représentations alimentaires, Saadi Lahlou (2002) a montré que les individus mobilisent leurs représentations comme « des modes d’emploi des objets du monde »

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qui guident leurs actions. « Notre vision de la pomme, du chou, du porc ou des escargots n’est pas une représentation imagée de la nature. Les représentations sont des modèles d’action : elles déterminent ce qui est bon à manger et ce qui ne l’est pas, et comment il faut le manger. Car les représentations ont d’abord pour but d’être efficaces : qu’elles soient justes ou fausses, élégantes ou non est moins important que leur simplicité et leur prédictibilité. » Ainsi, l’action est guidée par ces « modes d’emploi » offerts par les représentations.

En partageant un certain nombre de représentations ou d’éléments de représentations, les individus sont capables d’agir en présence de l’autre, car la représentation « oriente et organise les conduites et communications sociales » (Jodelet, 2003, p53.) Ainsi, pour orienter et ajuster leurs comportements par rapport à autrui, les individus mobilisent des représentations donc : « en un mot comme en mille, la représentation sociale est une modalité de connaissance particulière ayant pour fonction l’élaboration des comportements et la communication entre individus » (Moscovici, 1976, p26)

Les individus ont donc recours aux représentations comme ressources pour agir dans un environnement social, autrement dit « les représentations servent à agir sur le monde et sur autrui. » (Dortier, 2002)

Ainsi, les représentations de la pollution de l’air, que nous allons étudier au sein de notre population d’enquête pourraient avoir plusieurs fonctions chez cette dernière :

• Les représentations permettraient de « représenter » la pollution dans l’air qui par nature est invisible. De cette façon les individus lui donneraient un sens, des propriétés, une nature, des caractéristiques, une valeur, etc.

• Les représentations permettraient d’agir sur la pollution, de la détecter, de la mesurer, de s’en protéger.

• Les représentations, lorsqu’elles seraient partagées, viendraient guider la mobilisation collective contre la pollution au sein de l’école

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2. Les représentations de la pollution de l’air

2.1 Une pollution qualifiée « d’invisible »

2.1.1 Le caractère ambivalent de l’air dans les représentations : le « bon air » et « l’air vicié »

Après avoir défini précisément le concept de représentations en sciences sociales, rentrons maintenant au cœur du contenu des représentations de la pollution au sein de la population interrogée. Pour ces derniers, l’air revêt un caractère ambivalent autant source de vie que de morts. S’il fait vivre les plantes, les animaux et les humains, il est aussi vecteur de maladie. L’air comporte un caractère ambivalent à la fois curatif (« prendre l’air », « changer d’air », « le bon air de la campagne », etc.) et nocif lorsqu’il manque ou lorsqu’il est chargé de particules et composés néfastes pour la santé. L’air a donc une qualité, il est dit « bon », « mauvais », « pollué », etc.

« Je pense qu’on peut dire qu’ici (à l’école Michel Servet), l’air est vraiment vicié. »

Cependant, de par son caractère invisible, l’air équivaut à l’invisible voire à l’inexistence des choses comme en témoigne cette personne :

« La pollution, ça se voit, ça ne se sent pas, ça n’existe presque pas, mais ça devient réellement problématique quand il y a des cas d’asthme, de maladies. »

Ou encore cette autre personne : « Il y a des jours où on a des sursauts de prise de conscience parce que ça se voit, mais en fait le danger il est tous les jours et il est dans la durée. »

Selon Gilbert Durand (1969), l’eau, le feu et la terre sont davantage visibles, matériels, alors que l’air fait partie du monde invisible, aérien, spirituel. L’air est associé dans les cultures hindoues au souffle de vie, indispensable à tout être vivant. (CHEVALIER et al, 1982) Toujours chez les hindous, l’air, le souffle est l’élément « purificateur ». Il est incarné par la figure de Vâyou, Dieu

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du vent, du souffle, libre et insaisissable. (DURAND, 1969). D’ailleurs, il est représenté sur une antilope, animal connu pour sa rapidité. Respirer, « c’est, s’assimiler le pouvoir de l’air ; si l’air est symbole du spirituel (comme nous l’avons vu précédemment), du souffle, respirer sera s’assimiler un pouvoir spirituel. » (CHEVALIER et al, 1982, p.933) Respirer équivaut donc à purifier son corps et son âme. Dans la mythologie égyptienne, Shou, est la représentation anthropomorphique du souffle vital, de l’air. Il sépare le ciel de la terre, fait vivre les hommes et fait renaître les morts. Dans une représentation de Shou visible au Musée du Louvre, on le voit tenant dans sa main droite la clef, symbole de la vie.

Si l’air comporte ces deux facettes, cette ambivalence, il est important de noter que son caractère invisible renforce le flou et l’imprévisibilité du passage d’un état à un autre.

Le caractère dangereux de l’air peut se révéler sous certaines conditions qui rendent sa perception sensible possible : odeurs, gênes respiratoires et ORL, vue, etc. Dans la suite de notre exposé, nous approfondirons cet aspect et nous verrons comment les individus apprennent progressivement à rattacher certaines manifestations à la présence de pollution. Nous verrons aussi comment ces derniers apprennent à mobiliser leurs sens pour détecter et se protéger de la pollution.

Mais avant cela, il nous semble essentiel d’insister sur les représentations des effets sur la santé de la pollution de l’air. Dans cette perspective, comment les individus pensent le risque de la pollution de l’air pour la santé de leurs enfants ?

2.1.2 La pollution comme une « bombe à retardement »

Un aspect essentiel est ressorti lors des entretiens avec les personnes interrogées concernant leur perception des risques pour la santé de la pollution. Selon eux, l’exposition prolongée de leurs enfants à des niveaux élevés de pollution entrainerait un certain nombre de pathologies respiratoires irréversibles et extrêmement inquiétantes. Les personnes interrogées qualifient régulièrement la pollution de l’air de « bombe à retardement » dans le sens où on ne pourrait prédire ni ses effets ni son échéance. Une telle incertitude face aux risques génère chez ces personnes une anxiété qui est largement ressortie lors des entretiens.

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« C’est clair, moi je culpabilise d’avoir mis mes enfants dans un endroit mauvais pour leur santé. Je n’ai pas envie de rester ici trop longtemps, car je sais qu’à long terme c’est forcément très mauvais. »

Selon une étude menée par Christophe Gibout et Irénée Zwarterbrook sur les représentations et la gestion des risques environnementaux dans le Dunkerquois (2013), les auteurs montrent que les habitants redoutent d’autant plus la radioactivité qu’elle est qualifiée « d’invisible » et « sans odeurs ». Les personnes interrogées dans cette enquête comparent le risque de l’accident nucléaire à un « monstre apparemment domestiqué » susceptible de « sortir de sa cage » à tout moment et de dévorer les habitants voisins.

Nous retrouvons quelques similarités dans les discours des personnes interrogées sur la pollution de l’air à l’école Michel Servet. Pour eux, il ne s’agit pas précisément d’un monstre imprévisible, mais d’une bombe à retardement. Dans les deux cas, nous retrouvons cette idée de dangerosité et d’imprévisibilité. La radioactivité comme la pollution dans l’air sont toutes deux des formes de danger invisible, sans visage, qui menace les individus et en particulier ceux qui ignorent sa présence. La figure du monstre ou celle de la bombe permettent aux individus de rattacher une image, une représentation au sens propre du terme, à un phénomène.

2.1.3 Symptômes respiratoires/ORL et diagnostic profane

Si pour certaines personnes interrogées la pollution de l’air menace la santé future des enfants de l’école, celle ci pourrait aussi avoir des effets immédiats. Face à des symptômes respiratoires et/ou ORL visiblement allergiques très probablement dû aux pollens, certains parents désignent la pollution de l’air comme l’unique responsable. Si l’on sait que la pollution accroit les effets néfastes des pollens, car elle fragilise les systèmes respiratoires, elle n’est généralement pas la cause immédiate des symptômes. Pourtant, selon les personnes interrogées, la pollution serait à l’origine de toutes les manifestations physiques ORL et respiratoires de leurs enfants (rhinorrhée, dyspnée sibilante, conjonctivite, etc.). Les possibles allergies aux pollens et autres (aggravés par la pollution) ne sont pas du tout abordées. Nous voyons donc que l’origine des symptômes est bien construite à travers les représentations. Dans un contexte qualifié de pollué, les personnes interrogées accusent massivement la qualité de l’air tout en omettant un ensemble d’autres facteurs environnementaux (pollens, acariens, phanères de chats et chiens, etc.)

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« Je le vois moi chez tous les gamins des quartiers urbains comme ça dans des contextes très pollués, les gamins ont les respirations qui sifflent, des bronchites à répétitions, des rhinites. »

Un autre père de famille témoigne de ce ressenti, mais avec plus de nuances : « On est vite oppressé par l’odeur je trouve et donc on se pose forcément des questions sur nos voies respiratoires et sur l’impact que ça a en permanence au quotidien. Les gamins vont au parc dans le quartier, mais voilà on ne peut pas s’empêcher de vivre non plus hein. N’empêche que ça crée beaucoup de questions. Ma fille ainée est asthmatique, mes enfants sont tous sujets à de l’eczéma, bon ce n’est peut être pas que dû à la pollution, mais tous ces éléments là ça n’aide pas. »

Nous voyons bien à travers ces témoignages l’incertitude qui entoure la pollution et ses conséquences sur la santé. Si la première personne interrogée considère que les enfants de milieux urbains sont tous sujets à un ensemble de pathologies liées à la pollution, la seconde elle, est plus modérée en considérant que la pollution est seulement l’un des facteurs déclenchant ou aggravant les pathologies respiratoires.

2.2 Apprendre à « sentir » la pollution

2.2.1 Apprentissage et usage du sensible pour détecter la pollution

Nous avons vu au début de notre exposé que de nombreux individus insistaient sur le caractère invisible de la pollution de l’air et d’ailleurs, un certain nombre d’éléments mythologiques le confirmait. Cependant, ce n’est pas tout à fait exact, car dans la réalité, il est possible de « sentir » la pollution. Bien que les polluants en eux mêmes soient invisibles, ils peuvent apparaitre sous certaines conditions météorologiques sous forme d’un nuage. Si on ne peut pas sentir les particules fines, car elles n’ont pas d’odeurs, les gaz d’échappement, eux, émettent une odeur d’hydrocarbure forte. Les nuisances olfactives générées par la circulation automobile peuvent être le signe de la présence de fortes concentrations de polluants dans l’air.

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Ainsi, bien que les personnes interrogées qualifient la pollution « d’invisible », ils affirment néanmoins recourir très régulièrement à leurs sens afin de détecter la pollution et de « mesurer » sa concentration dans l’air.

Ce n’est peut être donc pas tellement la pollution en elle même qui est invisible, mais ses risques pour la santé. Indirectement, les individus interrogés parviennent à détecter la pollution grâce à leurs sens (ouïe, odorat, vue), mais cette compétence n’est pas innée. En effet, ces derniers ont appris à « sentir » la pollution ou plus précisément à attribuer à la pollution tel ou tel signe. Comme nous l’avons vu dans l’introduction théorique de cette partie sur les caractéristiques et fonctions des représentations, celles ci sont construites et transformées lors de multiples interactions sociales et à partir de nombreuses informations expertes et profanes sur le sujet.

« C’est vrai que je n’avais pas vraiment conscience de cette problématique de la pollution avant les retours de l’école, les relevés de taux de pollution dans l’air, la fermeture de la cour, tous ces éléments là ont quelque peu été déclencheur selon moi de la prise de conscience de cette pollution dans cette zone de vie là. Mais c’est vrai que plus j’ai été informé sur ça, plus moi même j’ai ressenti des gênes olfactives très souvent. En centre ville on ne fait que sentir des odeurs d’hydrocarbures, ça pue. »

Dans l’extrait précédent, la personne interrogée montre très clairement comment l’évolution de ses représentations en matière de pollution de l’air a entraîné une plus forte compétence à « sentir » et détecter la pollution.

« J’ai grandi dans une toute petite ville en plein milieu des champs et à 18 ans, 20 ans pour faire des études je suis venu à Lyon. Depuis que j’y suis, je me mouche toute l’année. Ce n’est pas vraiment des allergies, des sortes de rhumes, mais ce n’est pas des rhumes. Je pense que c’est à cause de la pollution. »

Selon cette dernière, ses rhinorrhées auraient débuté dès son arrivée à Lyon et seraient liées à la pollution de l’air. Pourtant, il est très probable qu’il s’agisse d’un symptôme allergique En effet, les recherches en immuno allergologie montrent bien que l’allergie ont des origines multifactorielles exogènes (pollens, pollution, insectes, poussière, cigarette) autant qu’endogènes (hormones, gênes, stress, etc.). En l’absence d’une expertise médicale précise, la personne interrogée procède à un autodiagnostic de ses symptômes. Elle nous exprime un ensemble de

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contradictions, de doutes et de présupposés sur les causes de ses rhinorrhées. Elle attribue ces maux à ce qu’elle nomme à la pollution qu’elle nomme aussi « l’effet grande ville ».

« Tout à l’heure vous me demandiez le trajet de chez moi à l’école. C’est clair et net, je le dis régulièrement à mes enfants, je leur dis : mettez vos foulards quoi. Vraiment ça se sent. C’est olfactif, vraiment. Ça prend au nez l’odeur j’en parle même pas et même les jours où on ne sent pas on peut le voir. Moi je suis sur les hauteurs, on voit aussi les deux couleurs le bleu et le gris. Il y a des jours c’est effrayant, c’est parlant quoi. »

Cette autre personne interrogée montre bien comment les sens sont sollicités et permettent de détecter la présence de pollution. Cette dernière ne consulte pas les relevés des stations de mesure de la qualité de l’air disponible sur différentes applications mobiles ou sites web, mais recourt uniquement à ce que nous qualifions « d’indicateurs sensibles ».

2.2.2 Usage et transmission des « savoir faire de prudence » pour se protéger contre la pollution

Si ces indicateurs sensibles permettent la détection et la « mesure » profane de la pollution, nous allons voir qu’elles permettent par extension de se protéger. Nous avons constaté en entretien que de nombreux parents, lorsqu’ils détectaient de la pollution, mettaient en œuvre un certain nombre de pratiques originales pour préserver leur santé et protéger leurs enfants de la pollution comme l’illustre cet extrait :

« Je me force à respirer par le nez parce que je sais qu’il n’y a rien de mieux comme filtre naturel, ça, c’est clair. C’est un premier geste. Chaque fois que je sens une oppression à ce niveau là, je me force à me couvrir la bouche et à respirer qu’avec le nez. Même si c’est complètement futile pour les micros particules en termes de sensation immédiate c’est plus agréable quand même. »

Pour ce père, l’odeur désagréable des gaz d’échappement constitue un indicateur sensible de la menace, de « l’oppression ». À travers ce passage, nous voyons pourtant l’incertitude qui entoure cette mesure préventive : si ce père de famille cherche à se protéger de la pollution en se couvrant la bouche et en respirant par le nez, celui ci doute tout de même de l’efficacité réelle du geste.

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Pour lui, cette mesure ne permettrait pas tellement de prévenir les risques de la pollution atmosphérique, mais plutôt de réduire la gêne olfactive.

D’autres personnes expliquent en entretien qu’ils utilisent leurs vêtements, écharpes, t shirts, pull ou foulard pour se couvrir la bouche et le nez lorsque l’odeur de pollution est forte. Là encore, il est difficile pour eux de se convaincre et de nous convaincre de l’efficacité du dispositif. En tout cas, cette stratégie a, pour eux, un effet avéré sur leurs sensations de gêne olfactives. Aucun d’eux ne dispose ou n’utilise un masque antipollution ou antiparticules vendue dans le commerce comme on en voit régulièrement en Asie et aujourd’hui en Europe. Pourtant l’efficacité de ces dispositifs est jugée bonne et assez peu couteuse À l’inverse, les foulards et écharpes classiques ne protègent pas des particules fines et des autres polluants (NO2, SO2, etc.)

D’autres personnes interrogées mettent en œuvre des stratégies de mobilité pour se protéger comme contourner les axes très empruntés par les automobilistes aux heures de pointe, limiter leurs efforts, ou « prendre l’air » le weekend à la campagne, etc. Un père nous explique par exemple qu’il ne fréquente plus avec ses enfants un jardin public situé à proximité de la sortie du tunnel depuis qu’il juge le secteur est pollué.

Si certains parents mettent en œuvre des stratégies « bricolées » de filtrage de l’air avec leurs vêtements lors de leurs déplacements, d’autres œuvrent pour améliorer la qualité de l’air intérieur de leur domicile. Les personnes interrogées emploient ici des méthodes radicalement différentes. Si certains privilégient l’aération régulière des pièces, d’autres affirment qu’ils « aèrent le plus rarement possible » afin de se protéger. Enfin, d’autres aèrent régulièrement en choisissant l’heure et la pièce la moins exposée :

« Je dois vous avouer que chez moi j’aère par les chambres, pas depuis le salon qui donne sur la rue. Pour deux raisons : le bruit et… heu… j’ai compris qu’un immeuble faisait un peu obstacle à la pollution donc j’ouvre de l’autre côté. »

D’après les autorités de santé, il est préférable d’aérer régulièrement aux créneaux où l’air est moins pollué (la nuit, tôt le matin), mais pour les familles interrogées, la procédure a adoptée est plus floue. Pour certain, l’air intérieur du domicile parait naturellement de meilleure qualité que l’air extérieur. Pour d’autres, l’air extérieur permet d’évacuer les polluants concentrés dans l’espace clos du domicile. Il est ici question des représentations du domicile et ses propriétés.

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Pourquoi certains n’objectivent pas le caractère pollué de l’air intérieur de leur domicile ? Selon nous, les personnes pourraient très bien nier le risque afin de garantir « l’habitabilité » de leur logement. En effet, n’habite t on pas un lieu pour être en sécurité ? (Salignon, 2010). D’ailleurs « l’habitat » se définit comme un « espace qui offre des conditions qui conviennent à la vie et au développement d'une espèce animale ou végétale » (CNRTL) Comme l’explique Bernard Salignon (Ibid), « lorsque l’enfant s’étayait sur la mère (son corps et sa parole) et plus tard sur les parents réunis, pour qu’en retour ensemble ils portent et soutiennent l’enfant, afin qu’il trouve ainsi un lieu de projet pour ses désirs possibles, aujourd’hui, l’homme semble s’étayer aussi sur « le corps » de la maison avec son environnement. » (p.43). Comme l’affirme l’auteur, la maison soutient l’individu, son psychisme et son corps et par extension, sa santé. Si la sécurité de cet habitat est compromise, comment s’y épanouir ?

Si cette question nous amène à des réflexions intéressantes, nous ne l’approfondirons pas davantage ici, car nous ne disposons pas de données de terrain suffisamment précises sur ce point. Revenons en à la qualité de l’air extérieure et aux stratégies de prévention déployées par les personnes interrogées. D’un point de vue formel, cette gamme de stratégies, pour certaines « bricolées », sont souvent inefficaces. Si des familles mettent en œuvre ces stratégies pour préserver leur santé ou réduire les gênes olfactives, elles ont toutes un objectif commun : réduire le stress généré par la pollution de l’air. D’ailleurs, il est important de préciser que différentes études ont prouvé que le stress causé par l’environnement aggravait les effets de la pollution sur la santé Physiologiquement, le stress perturbe le système d’immunitaire de l’organisme et en particulier ses fonctions de régulation et tolérance et provoque des réactions pathologiques comme l’allergie. Une étude menée par le service d’Immuno Allergologie du Centre Hospitalier Lyon Sud Pierre Bénite a montré que des souris stressées déclenchaient des réactions allergiques qu’elles ne déclenchaient pas dans des situations non stressantes (Bérard et al, 2003).

Selon nous, ces stratégies ne sont pas sans rappeler ce que Damien Cru (2014) nomme « savoir faire de prudence », c’est à dire un savoir faire non expert acquis avec l’expérience de la pratique professionnelle et transmis aux plus jeunes ayant pour fonction de préserver/protéger leurs corps et leur santé dans l’activité de travail. Ces savoir faire sont qualifiés d’informels, car ils ne sont pas dictés par l’autorité hiérarchique ou experte et échappent à la formalisation, à la règle. Ces compétences reposent souvent sur des stratégies de détournement/contournements de pratiques

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et de règles formelles. Les savoir faire de prudence visent à dégager une marge de manœuvre nécessaire à la bonne pratique professionnelle, ils s’écartent de la règle de sécurité, parfois trop contraignante pour chercher le bon équilibre entre efficacité, confort et sécurité.

Les stratégies déployées par les personnes interrogées ressemblent à des savoir faire de prudence dans la mesure où il s’agit de méthodes et pratiques « bricolées » visant à préserver la santé et le corps de la pollution. Ces méthodes ne sont en rien dictées ou recommandées par les experts, bien au contraire, elles s’y opposent parfois. Cependant, si elles reposent sur des savoirs profanes, elles ne sont pas toutes inefficaces, bien au contraire. Certes, nous avons vu qu’elles ne protègent pas toujours des particules, mais elles ont le mérite de réduire la gêne et le stress. Nous en avons également parlé, la détection du risque, de la gêne et la mise en œuvre des stratégies reposent sur ce que nous avons appelé des « indicateurs sensibles » et non sur des indicateurs « experts » (niveaux de concentration en polluants). Les méthodes sont « bricolées » et ne reposent pas sur des dispositifs éprouvés (purificateurs d’air, masques antipollution, capteurs embarqués, mini stations, etc.).

De la même façon, Adeline Ferreira (2010) a identifié chez les égoutiers de Paris des méthodes de détection et de mesure informelle du risque basé sur l’odorat. Dans ce cas, les professionnels apprennent de façon informelle à se servir de leur odorat pour détecter les produits chimiques et toxiques dans les égouts. Ces savoir faire sont transmis entre professionnels et sortent du cadre des procédures de sécurité.

Dans nos entretiens, il est ressorti qu’un certain nombre de parents transmettaient ces savoir faire à leurs enfants comme l’illustre cet extrait :

« Quand je fais le trajet jusqu’à l’école avec les enfants, la pollution je la sens, je la vois. Je dis aux enfants : mettez vos foulards quoi ! Vraiment ça se sent. C’est olfactif. Ça prend au nez, l’odeur c’est horrible. Je leur dis sans arrêt de se couvrir quand il y a autant de pollution. »

L’éducation joue un rôle central dans la transmission de ces compétences et de ces savoirs.

« Mes enfants vont devenir comme moi des anti bagnoles. (Rires). Mais bon, parfois ils me disent qu’ils trouvent certaines voitures jolies ! »

Comme le sous entend ce père de famille, un ensemble de représentations générales sont véhiculées par les parents à leurs enfants en plus de ces savoir faire de prudence. Ici, la personne interrogée montre comment ses représentations négatives de la voiture viendraient teinter celles

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de ses enfants. Néanmoins, comme nous l’avons vu dans la sous partie sur les caractéristiques générales des représentations, celles ci n’évoluent pas toutes de façon homogène. Parfois, ce sont seulement « les éléments périphériques » qui sont impactés. Ici, les enfants partageraient une partie de leurs représentations de la voiture avec leur père (les voitures polluent et doivent être bannies), mais une autre partie (certaines voitures sont belles et attirantes) est autonome. N’ayant pas eu le temps lors de cette étude de nous intéresser précisément aux représentations des enfants, nous ne nous avancerons pas davantage sur cette voie.

À travers cette partie, nous nous sommes intéressés aux contenus des représentations mentales de la pollution de l’air chez les familles de l’école. Nous avons vu que celle ci était perçue très négativement et comparée à une « bombe à retardement » dont on ne peut prédire ni les effets ni l’échéance de la détonation. En effet, pour les personnes interrogées, les conséquences de la pollution de l’air pour la santé des enfants de l’école seraient particulièrement néfastes et imprévisibles. Pour les parents, il est impossible de prédire les impacts réels de ce phénomène sur la santé de leurs enfants, et cet aspect est très anxiogène et culpabilisant pour les familles. Pour les personnes interrogées, un ensemble de symptômes ORL et respiratoire affectant certains enfants de l’école est immédiatement attribué aux effets de la pollution de l’air. À leurs yeux, la pollution est systématiquement responsable de ces maux étranges. Si les familles n’utilisent jamais le terme « d’allergie » pour qualifier les maux de leurs enfants, ils n’accusent pas non plus les pollens, les phanères d’animaux, les acariens, etc. d’en être à l’origine. Ici, la pollution de l’air est, au moins dans le discours, systématiquement mobilisée comme la cause des symptômes Pour la détecter et mesurer sa concentration, les personnes interrogées recourent à ce que nous avons qualifié « d’indicateurs sensibles » (ouïe, odorat, vue). La circulation automobile, par les gênes olfactives qu’elle suscite, est considérée par les parents comme la première cause de pollution.

Comme nous allons le voir, elle apparait rapidement comme la cause du problème à l’école et la cible sur laquelle cibler les actions. Pour s’en protéger, les parents développent et transmettent à leurs enfants ce que nous avons qualifié de « savoir faire de prudence » qui vise moins à se protéger qu’à réduire la gêne et le stress qu’elle suscite. Lorsque nous avons passé en revue la théorie sur les caractéristiques, fonctions et effets des représentations mentales, nous avons vu que celles-ci étaient évolutives, organisées et avaient pour fonction de guider l’action individuelle. Lorsqu’elles sont partagées, les représentations offrent une clef de lecture commune du monde et peuvent ainsi guider une éventuelle action collective organisée. Dans la partie suivante, il s’agira d’analyser le processus de transformation du phénomène de

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pollution de l’air en problème public par l’éclairage que nous venons de faire sur les représentations de la pollution au sein des familles de l’école.

III Problématisation et publicisation du problème

1. Le processus de problématisation de la pollution de l’air

1.1 La naissance d’un problème

Comme l’explique Erik Neveu (1999), « Un “problème public” (ou “social problème”) n’est rien d’autre que la transformation d’un fait social quelconque en enjeu de débat public et/ou d’intervention étatique. Du plus tragique au plus anecdotique, tout fait social peut potentiellement devenir un “problème social” s’il est constitué par l’action volontariste de divers opérateurs (Presse, Mouvements sociaux, partis, Lobbies, Intellectuels...) comme une situation problématique devant être mise en débat et recevoir des réponses en termes d’action publique (budgets, réglementation, répression...). » (Neveu, 1999, p.1) Le problème se décompose donc en trois phases : « Naming, Blaming et Claiming ». Dans la première phase, une situation « de fait », « normale », « non objectivée » devient problématique pour quelques acteurs. Dès lors, on attribue le problème à une ou plusieurs causes, à un ou plusieurs responsables. L’identification d’un problème, de son mécanisme et d’un responsable conduit les acteurs à réclamer des mesures. Dans le cas de l’école Michel Servet, comment se sont structurées ces différentes phases ? Quelles conditions ont permis la naissance du problème ? Quelle est la définition du problème ? Quel est le coupable identifié ? Quelles sont les mesures réclamées ?

D’après nos hypothèses, trois facteurs permettraient d’expliquer la problématisation de la pollution de l’air et la mobilisation collective autour de ce sujet à l’école Michel Servet :

• Le partage d’un ensemble de représentations communes au sein des familles de l’école en matière de qualité de l’air : Nous verrons qu’un ensemble de représentations sociales au sein des familles de l’école en matière de qualité de l’air pose un véritable référentiel commun de connaissances et de valeurs qui rendrait possible l’action collective.

• Une capacité du collectif militant à mobiliser l’argument du risque pour la santé des enfants de la pollution de l’air : quel a été le rôle du collectif de lutte contre la pollution

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de l’école dans cette construction d’un référentiel commun de valeurs et connaissances sur la qualité de l’air ? Nous verrons comment les représentations autour de la pollution de l’air sont véhiculées à travers les messages de communications du collectif militant.

• L’école comme cadre politique « propice » à la mobilisation collective : nous verrons que l’école constitue bien pour les militants un lieu fécond de mobilisation permettant de « croiser des problématiques locales et globales » pour reprendre les termes d’une personne interrogée.

Avant d’aborder ces points, nous allons retracer l’historique de la mobilisation en prenant le soin de comprendre comment le problème a été défini. Ou autrement dit, quels ont été les éléments qualifiés de « problématiques » ? S’agit il du dépassement des seuils légaux ou bien d’autre chose ? Quels acteurs et quels objets ont permis cette problématisation ?

1.1.1 Un objet : la station de mesure de la qualité de l’air

Comme nous le disions, la pollution de l’air n’est pas un phénomène nouveau dans la métropole et en particulier dans le secteur des pentes de la Croix Rousse, mais son existence a été révélée et problématisée grâce à un objet : la station de mesure de la qualité de l’air. Son installation en 2009 a en effet permis de révéler des données chiffrées, donc facilement objectivables, aux experts et au grand public. Plusieurs années après son installation, la mère d’un des élèves de l’école a consulté les relevés de la station disponibles sur le site web d’ATMOAURA. Les résultats indiquaient des dépassements importants des seuils autorisés et recommandés par l’OMS et la loi française. Comme l’indique Franck Boutaric : « ces instruments (les capteurs) produisent des effets : celui de dire ce qu’est la pollution atmosphérique, celui de désigner les problèmes et d’énoncer les actions susceptibles de les résoudre. » (Boutaric, 2004 2010, p10). Si l’instrument est bien l’élément déclencheur de la problématique dans le cas de l’école Michel Servet, nous verrons que le processus est très complexe et implique de multiples acteurs. En effet, le phénomène aurait pu s’arrêter là si cette mère de famille n’avait pas relayé l’information à d’autres parents et au directeur de l’école. Les niveaux de pollution de l’air du secteur seraient alors restés dans le cercle des experts de la métrologie et des décideurs (à supposer que ces derniers eurent été informés de la situation par ces derniers). Le directeur, rapidement informé par cette dernière témoigne :

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« Elle est venue d’abord me voir puis ça a intéressé du monde, elle a convaincu des familles de se former parce que ce n’est pas évident du tout, ce n’est pas compréhensible par tous. Et puis ça a beaucoup évolué aussi. Les premières revendications c’était on déménage l’école, on ferme le tunnel, voilà des choses assez radicales. Avec beaucoup d’inquiétude. Au fur et à mesure on comprend qu’il n’y a pas que le tunnel il y a aussi le fond urbain, les pollutions qui viennent avec le vent et que régler le problème ça se règle déjà au moins à l’échelle de la métropole. »

Comme le relate le directeur, l’information est rapidement devenue un enjeu majeur à l’échelle de l’école pour de nombreuses familles et pour la direction qui devait agir. L’angoisse suscitée par les dépassements des seuils autorisés déclencha la création d’un collectif constitué alors d’un noyau d’une dizaine de parents (la plupart délégués élus). Une seule enseignante prit réellement part à la mobilisation.

Vue de la station de mesure depuis l’intérieur de l’école

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Nous faisons l’hypothèse que les données de cette station ont été plus spontanément consultées par les parents de l’école en raison de son implantation très visible depuis la cour Nord Si cette même station avait été installée à quelques dizaines de mètres seulement en dehors de l’école, les réactions auraient pu être différentes. S’il est impossible de vérifier cette hypothèse, il est tout de même intéressant de réfléchir à la façon dont le lieu d’implantation d’une station peut générer de la suspicion. En effet, pourquoi installer une station de mesure de la qualité de l’air si on présuppose que l’air est bon dans ce secteur ? Pour les parents, l’implantation d’un instrument de mesure de la qualité de l’air au sein même de l’école et visible par tous a pu paraitre suspecte. Les dépassements de seuils autorisés ont confirmé aux parents la légitimité de tels doutes. On assiste alors à ce moment à la transformation d’un état de fait en problème (naming). Désormais, le problème existe et il a un nom : la pollution de l’air.

Nous venons de voir que le problème s’est cristallisé sur le dépassement des seuils autorisés, et ce, grâce aux performances d’un objet, la station de mesure de la qualité de l’air installé en toute visibilité en plein cœur de l’école. Désormais nous allons analyser la façon dont les personnes interrogées désignent un coupable et une victime du problème (blaming).

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Relevés de la station Tunnel Croix-Rousse Sortie Rhône

1.1.2 Un coupable : l’automobiliste

Si une étude approfondie sur le phénomène de dispersion/concentration des polluants menée entre 2014 2015 sur le secteur et publiée en 2016 a confirmé l’effet pervers du tunnel, sa présence était déjà qualifiée de problématique en matière de qualité de l’air par les militants à partir de 2013. En effet, comment ne pas accuser l’automobile d’être responsable de la pollution dans le secteur quand celle-ci est quasi omniprésente dans la vie quotidienne de l’école ? Une enseignante de CE2 témoigne :

« Quand on utilisait encore la cour (celle qui donne sur le tunnel), oui on entendait les voitures. Oui il y avait un bruit constant de voitures à certaines heures ».

Un père de famille interrogé montre comment les représentations autour de l’automobile ont pu évoluer au cours du temps :

« La bagnole elle est omniprésente dans nos villes, car pendant longtemps elle était un objet sacré, symbole d’autonomie, de liberté, d’émancipation, de confort. Aujourd’hui, c’est à cause d’elle qu’on a ces problématiques de pollution en ville. »

Parce qu’elle est omniprésente dans le quotidien des habitants et des écoliers, l’automobile est clairement identifiée comme responsable du problème de pollution de l’air à l’école Michel Servet. De plus, comme l’explique ce père, la quasi totalité des militants du collectif travaille dans le quartier ou dans le centre de l’agglomération ce qui rend l’usage d’un véhicule superflu. D’ailleurs, la plupart des personnes interrogées ne sont pas propriétaires d’un véhicule ou ne l’utilisent que très rarement. De ce fait, il leur est plus facile de critiquer l’automobile et de la désigner comme responsable du problème de l’école.

« On n’utilise pas la voiture donc on est légitime à dire à nos enfants que la voiture c’est mauvais pour l’environnement et la santé. Disons qu’on a un comportement moins contradictoire avec ce qu’on défend. »

Ce père de famille montre ici clairement comment le mode de vie des membres du collectif rend possible leur combat contre l’automobile. S’ils en avaient l’usage quotidiennement, les personnes interrogées se trouveraient sans doute dans une situation qualifiée par la psychologie sociale de

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« dissonance cognitive » (Festinger, 1957). Dans ce cas l’individu serait pris dans un étau entre ses représentations et ses pratiques. Ici, l’usage quotidien du véhicule contraint par des déplacements domicile travail rentrerait en contradiction avec les convictions en matière d’environnement de l’individu. Un tel conflit psychique génère du stress et peut être neutralisé soit en rendant compatible son comportement à ses représentations soit en modifiant ses représentations. Comme nous l’avons vu en toute première partie avec la théorie du noyau central d’Abric, ces modifications affectent plus facilement les éléments périphériques de la représentation que le noyau central relativement stable. Enfin, les individus peuvent aussi neutraliser la dissonance cognitive procédant par dénégation, c’est à dire en interrompant leur activité psychique autour de ce problème

Nous venons de voir à partir de quels objets, acteurs et informations se sont cristallisé le problème de la pollution à l’école Michel Servet. Désormais, nous allons essayer de comprendre comment le problème s’est publicisé, ou autrement dit, comment le problème s’est élargi du noyau des militants du collectif pour déborder à d’autres publics (familles de l’école, médias, élus et décideurs, etc.).

Pour ce faire, nous étudierons la communication du collectif afin d’identifier quels ressorts et leviers sont activés par ces derniers. Dans cette partie, nous verrons comment les représentations précédemment étudiées sont mobilisées dans le discours et la communication du collectif à des fins stratégiques. Pour reprendre ce que nous avions vu lors de la première partie sur les caractéristiques des représentations, nous verrons comment les représentations de la pollution de l’air produisent un effet performatif à travers le discours des militants.

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La publicisation

1.2.1 Jouer sur le risque

Selon une étude menée dans un service hospitalier de maladies infectieuses (Tarantini, Peretti Watel, 2017), les chercheurs montrent que le risque n’est pas seulement une menace à écarter, mais une ressource mobilisée par certains professionnels. Les médecins tirent par exemple un certain prestige vis à vis de leurs pairs à travailler dans un service à « risques ». À l’inverse, les aides soignantes et infirmières, elles, ne jouent pas sur cet aspect, car elles n’en tirent pas une expertise valorisée par leurs pairs. Elles sont au contraire plutôt assimilées au malade dans le risque de contamination.

Dans le cas de l’école Michel Servet, les familles mobilisées ne tirent pas réellement de prestige à s’exposer au risque, mais nous postulons que de la même façon que les médecins du service de maladies infectieuses, elles mobilisent le risque pour asseoir leur légitimité et leurs revendications. Par quels moyens y parviennent-elles ? Comment la question du risque est mobilisée dans leurs discours ? À travers une brève analyse d’une affiche du collectif de l’école Michel Servet, nous allons tenter de mettre au jour la façon dont les représentations sur la pollution de l’air sont mobilisées à des fins de publicisation du problème.

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1.2
du problème ou comment le problème trouve son public

Comme nous le voyons sur cette illustration créée par le collectif de l’école, le registre du risque toxique est mis en relation avec le monde de l’enfance et du jeu. À gauche, une petite fille fait de la balançoire avec un masque à gaz et à droite, un petit garçon dont le visage est caché par un nuage de pollution joue avec une petite voiture. Les deux affiches sont accompagnées d’un message en lettre capitale : « POLLUTION = POISON, COLLOMB, STOP LES GAZ ! Non à l’empoisonnement de nos enfants au NO2 dans les pentes ! ÉLUS, AGISSEZ ! »

Ces affiches mettent en relation des symboles appartenant à des mondes opposés : le monde de l’enfance, de la vie et de l’innocence côtoie le monde toxique et dangereux des adultes. Le message qui accompagne l’image interpelle à la fois les élus (dont Gérard Collomb alors maire de Lyon) et les familles résidents dans le quartier des Pentes de la Croix Rousse. Celui ci est accompagné de deux autres messages, l’un est informatif : « Rassemblement Hôtel de Villes, 31 aout, 18 h » et l’autre est impératif : « SIGNEZ LA PÉTITION ». D’ailleurs la forme des bulles renforce ces significations : l’une est ronde et l’autre est encadré (à la façon des messages de prévention sur les paquets de cigarettes : « Fumer tue »).

Selon nous, les représentations de l’enfant fragile, innocent et victime du comportement des adultes que nous avions bien identifié en première partie sont ici mobilisées dans la

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© Collectif Pollution Michel Servet

communication des militants afin d’interpeller le grand public et les élus. Nous allons voir dans la partie suivante que ces représentations de l’enfant fragile et victime ressortent aussi pleinement dans le discours des personnes interrogées en entretien.

1.2.2 L’enfant comme actant

Si les représentations d’un enfant en prise avec les problématiques des adultes ont été clairement identifiées dans la communication visuelle du collectif militant, les entretiens ont fait ressortir un discours de revendications semblable :

« Les enfants sont des êtres sensibles, en plein développement avec des poumons fragiles. »

Selon ce père, les enfants de l’école seraient plus sensibles à la pollution à cause de l’incomplétude de leur système respiratoire. Il ajoute :

« C’est d’autant plus préoccupant que les enfants étudient ici, vivent dans le secteur et certains mangent même à la cantine dans l’école. Ils sont 24 h/24 exposés. »

Contrairement à l’équipe enseignante, toutes les familles habitent le quartier, mais seuls les enfants y vivent à plein temps, car un certain nombre de parents ne travaillent pas dans le quartier. Selon les parents interrogés, l’enfant est donc à la fois « fragile » par nature et « surexposé » dans le contexte de sa scolarité à l’école Michel Servet.

Dans cette controverse, l’enfant n’est pas particulièrement acteur, car il n’agit pas au sens propre du terme pour défendre ses droits. Bien qu’il soit au cœur de tous les discours, débats et discussions, il n’est pas pour autant un instrument de la cause portée par des adultes, car il s’agit bien de leurs droits et de leur santé qu’on cherche à défendre, à protéger. Selon nous, l’enfant occupe une place particulière, celle d’un actant.

Selon les grammairiens, « les actants sont les êtres ou les choses qui, à un titre quelconque et de quelque façon que ce soit, même au titre de simples figurants et de la façon la plus passive, participent au procès ». (Déf. CNTRL). De la même façon, selon la théorie de l’acteur réseau, l’actant est une entité humaine ou non humaine relativement passive qui structure, organise,

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influence, oriente l’action (Latour, 2006). Pour l’heure, la problématique s’organise autour de l’automobiliste responsable de la pollution et l’enfant comme victime.

« Je pense qu’en tant que parent, c’est mon rôle de protéger mes enfants de danger pour leur santé. »

Ici, l’enfant joue un rôle, celui de victime que l’on se doit, en tant qu’adulte, de protéger des maux du monde Bien qu’il n’ait pas le droit à la parole dans ce débat, l’enfant occupe tout de même une place centrale. Il est l’objet de la mobilisation, car c’est en son nom que les familles se mobilisent. Comme nous l’avons vu, il est au centre de la communication du collectif et au cœur des discours des personnes interrogées. Dans tous les cas il ressort comme un être sensible, victime de la pollution de l’air générée par les automobilistes à la sortie du tunnel. Les personnes interrogées portent cette revendication et jouent sur les aspects précédemment cités dans une perspective performative.

Dans la partie suivante, nous allons voir que le problème change peu à peu d’échelle. Si pour l’heure, la controverse touche principalement l’école et les familles, elle va être progressivement publicisée à plus grande échelle. Par des stratégies d’information, d’interpellation, de mobilisation, le collectif militant va parvenir à intégrer de nombreux autres acteurs (médias, élus, etc.) dans le débat. Cette mobilisation va permettre l’adoption de mesures visant à réduire l’exposition des enfants au sein de l’école. Nous allons également mettre en lumière une subtile montée en gamme du problème : les familles militantes vont à peu à peu se dégager du seul problème de la pollution à l’école Michel Servet pour porter leurs revendications au niveau métropolitain.

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2. La montée en gamme du problème

2.1. Du problème de la pollution de l’air à l’école à la pollution de l’air en général

2.1.2 Un changement d’échelle et une montée en gamme du problème

Si la réunion d’information publique organisée par la direction de l’école et les différents supports de communications numériques (blog, page Facebook, e mailing, etc.) et « prints » (tracts, affiches, etc.) réalisés par le collectif militant permettent de gagner peu à peu toutes les familles de l’école, seule une dizaine de parents constitue le noyau du collectif militant. À ce moment, le problème est encore relativement circonscrit à l’école.

En février 2014, un « rassemblement citoyen » est organisé par les militants de l’école et une étude approfondie sur le secteur visant à mesurer et modéliser la dispersion/concentration des polluants aux abords de l’école est commandée par la Métropole sur demande du collectif. Le problème commence alors à « sortir » de l’école.

La Ville décide alors d’interdire l’accès à la cour Nord (située face à la sortie du tunnel) et met en œuvre des procédures d’aération régulière des salles et de balayage humide des sols.

Durant l’été 2016, une pétition lancée par ce même collectif réclamant à l’ancien Maire, Gérard Collomb la mise en œuvre de « réelles solutions » pour améliorer la qualité de l’air de l’école obtient 1451 signatures. Le problème commence alors réellement à prendre de l’ampleur grâce aux médias qui participent à une « publicité » du problème.

Une manifestation est alors organisée par le collectif le 31 août 2016 devant l’Hôtel de Ville. Les résultats de l’étude approfondie sur le secteur menée par Air Rhône Alpes paraissent en décembre 2016 et expliquent les fortes concentrations en polluants par l’effet aérologique singulier du tunnel. Sur la base des préconisations formulées par l’étude, la Ville de Lyon acte plusieurs mesures :

• L’installation d’un extracteur d’air dans le gymnase

• La fermeture de deux salles côté nord

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Ces mesures sont rapidement critiquées par les militants qui les qualifient de « mesurettes ». À leurs yeux, les élus ne prennent pas la mesure du problème.

Le 1er juin 2017, une nouvelle manifestation se déroule devant l’hôtel de ville en présence de nombreux enfants. Les médias dénombrent alors entre 60 et 100 participants. Cette fois, le collectif demande aux élus d’agir sur la circulation du tunnel. Pour les parents militants, il ne s’agit plus de laisser « carte blanche » aux décideurs, mais bien de soumettre des solutions concrètes qui tardent à venir de la part des élus. Nous assistons ici, selon nous, à la phase de « claiming » (revendication) du problème. En visant directement la circulation automobile du tunnel, le collectif ne vise plus la réduction de l’exposition des enfants, mais la baisse des émissions de polluants à la source.

« Pour nous, les mesures (prises par la ville) ne sont pas suffisantes, car elles ne s’attaquent pas au problème. Quoiqu’on fasse cette pollution, elle reste. Pour nous c’est des mesures… euh… marginales on va dire. On s’est retrouvé avec un extracteur (d’air) dans le gymnase dont on n’a pas encore les résultats. On arrive à ce que les classes ne soient pas trop impactées par la pollution extérieure par un subtil jeu de balayage humide, d’aération, etc. Toujours est il que les enfants sont constamment dans cet environnement là. Les enfants sont là aussi beaucoup en dehors ! la pollution est partout. »

Selon ce père de famille, les mesures visant à réduire l’exposition des enfants « ne s’attaquent pas au problème ». Pour le dire plus précisément, ces mesures ne s’attaquent pas à la cause du problème, qui pour les militants, est bien la circulation automobile du tunnel. C’est ici que nous assistons à ce qui nous semble être une montée en gamme du problème, car les militants ne cherchent plus à défendre seulement la qualité du cadre de vie scolaire de leurs enfants, mais leur cadre de vie en général. En ne réduisant pas les niveaux d’émissions, les mesures prises par la Ville ne répondent pas à un objectif d’améliorer sur le secteur la qualité de l’air. L’insatisfaction des militants témoigne, selon nous, de leur subtil changement de focal sur leur échelle d’intervention et sur la gamme des mesures réclamées. Pour résumer, il nous semble qu’à cette étape, les militants montent en gamme sur le problème de la qualité de l’air Si l’automobiliste était pressenti par les militants comme principal responsable du problème avant la publication des résultats de l’étude, ce dernier n’était pas à ce moment précis la cible des revendications. Nous postulons que la publication des résultats de l’étude par Air

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Rhône Alpes « légitime » et confirme, en quelque sorte, le rôle central de l’automobiliste dans le problème de l’école. Dès lors, le problème se réarticule autour de l’enjeu de la qualité de l’air à l’échelle du quartier voire de la métropole. D’ailleurs, plusieurs personnes interrogées le confirment :

« L’école peut être un moyen de relier des problématiques globales à des problématiques très concrètes. »

Dans cet extrait, la personne montre bien le passage à un échelon supérieur du problème de la pollution. L’école serait elle seulement un prétexte, un terrain de jeu pour les militants qui chercherait à porter le problème de la pollution au plus haut niveau ?

« Où est ce que les gens se retrouvent et peuvent articuler des problématiques ensemble ? » l’école fait partie de ces endroits, plus que le collège et le lycée d’ailleurs, où les parents ont envie de partager des choses, c’est un terreau. »

Pour les militants, l’école est un lieu d’expression, d’échange, de partage, de réflexion dans lequel se nouent des liens entre enfants et entre parents. Le caractère démocratique du lieu lui confère un pouvoir symbolique : permettre l’émergence de débats, l’émulation collective, le vivre ensemble, l’engagement en faveur du bien commun. Dans le cas de l’école Michel Servet, les militants se mobilisent pour défendre un être fragile, l’enfant, autour d’un bien commun, l’air. Lorsque les militants élèvent le problème de la pollution à l’échelle de la métropole, ils élargissent le débat autour de la préservation de l’enfant à celui de la préservation du bien commun qu’est l’air. Comme nous l’expliquions en première partie, l’air renvoie à tout un imaginaire partagé et en particulier sur son caractère ambivalent autant source de vie que de morts. Les hindous développent toute une pensée autour du souffle de vie, de son caractère sacré et insaisissable. D’ailleurs, pour cette culture, respirer c’est intégrer en soi un peu de divin. La mort marque la fin du souffle comme l’indique l’expression « rendre son dernier souffle ».

Comme nous le disions, l’école constitue un terreau propice à l’exercice démocratique et donc par définition à l’émergence de contradictions. Nous allons le voir, l’émergence d’un tel problème suscite des réactions variées au sein des parents de l’école. Si tous s’accordent sur le fond du problème, les mesures à adopter font, elles, débat.

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2.1.3 Des avis divergents

Comme nous l’avons vu, les représentations servent à créer un référentiel commun qui guide l’action individuelle et collective. Néanmoins, les individus conservent une certaine autonomie vis à vis des représentations sociales du groupe. Aujourd’hui, les familles s’entendent sur la présence de pollution dans l’air aux abords et à l’intérieur de l’école. Pour eux, le secteur est pollué à cause de la circulation automobile qu’il s’agit de supprimer ou de réduire. Le rapport de l’étude menée par Air Rhône Alpes sur le secteur estime que le trafic circulant dans le tunnel Croix Rousse représente 40 % de l’impact total sur la moyenne annuelle en NO2 dans la cour de l’école Michel Servet en 2014 (60 % provenant du fond urbain et de la circulation sur les quais du Rhône). Si la présence du tunnel aggrave la situation de l’école, celui ci n’est pas l’unique responsable. Dans les représentations et le discours des personnes interrogées, nous avons vu que le tunnel occupe encore une place prépondérante.

Avant la publication des résultats de l’étude, l’incertitude concernant la morphologie précise des polluants dans l’école générait beaucoup de stress pour les familles qui préconisaient des mesures radicales pour certaines. Lors des premières rencontres entre les familles et la direction de l’école sur le sujet, plusieurs parents et une enseignante proposaient le déménagement de l’école dans d’autres locaux disponibles à proximité. Leurs avis furent entendus puis tempérés par la direction qui ne souhaitait pas porter auprès des pouvoirs publics une mesure aussi radicale sans connaitre précisément la situation en matière de pollution et de santé publique.

« S’il y avait un vrai problème de santé publique bien sûr que je le ferai, je n’hésiterai pas, mais là c’est compliqué, car l’école c’est un service de proximité et que les gens viennent à pied et quand on habite Lyon Centre sur les Pentes c’est quand même très compliqué de prendre sa voiture. (…) les seuls lieux qu’on aurait de disponibles ça fait loin à pied pour les familles. »

Il fallut attendre la publication des résultats de l’étude en 2016 pour constater ce que nous qualifions de « montée en gamme » du problème. En effet, le rôle « relatif » de la circulation automobile du tunnel en comparaison avec le reste du trafic invitait à décentrer son attention du tunnel pour raisonner à une échelle plus globale. Comment donc se satisfaire de mesures visant à réduire l’exposition des enfants au sein de l’école quand on sait que le problème touche une échelle plus étendue ?

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Nous venons de voir qu’il existait des points d’accrochages sur les mesures à prendre pour régler le problème (Claiming). Si tous souhaitaient limiter ou interdire la circulation dans le tunnel au début du mouvement, la publication des résultats redéfinissait le problème en élargissant la responsabilité à la circulation globale dans le secteur et sur la métropole. À partir de là, on assistait à une montée en gamme du problème et un passage à l’échelle de la métropole des mesures attendues. Si la mobilisation a connu de nombreuses évolutions entre 2013 et 2017, la situation semble aujourd’hui au point mort. Nous allons analyser dans la partie suivante quelles sont les causes de cette perte de vitesse.

2.2

L’épuisement de la mobilisation

2.2.1 Un sentiment de frustration du collectif

Selon les personnes interrogées, l’énergie dépensée par les militants depuis 2013 dans cette mobilisation n’a pas permis d’obtenir les résultats escomptés : les mesures prises par la ville sont très peu couteuses, peu ambitieuses et leur efficacité n’a pas été prouvée. Selon eux, les élus n’ont pas été suffisamment à l’écoute du problème et n’ont pas mesuré les enjeux. Les personnes interrogées ont d’ailleurs été frappées par l’attitude qu’ils qualifient de « désinvolte », « irrespectueuse », « irresponsable » et « méprisante » des élus de la Métropole. Plusieurs extraits témoignent d’ailleurs bien de la vive déception des militants :

« C’est étonnant quand on voit les risques que prennent les enfants que c’est nous, petites gens, qui nous saisissions du problème. »

« Ça m’a vraiment donné l’impression qu’il y avait un mépris du public, des enfants de cette école. »

« Je ne comprends pas qu’on soit obligé de se battre pour ça. Ça ne devrait pas être un combat, ce sont des enfants là, ça devrait être une priorité. »

Ce sentiment d’avoir été méprisé a démotivé les militants sur leur capacité d’action, leur puissance d’agir. Au delà de cette déception, les personnes interrogées nous ont également confié sur leur sentiment de frustration :

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« C’était frustrant, car on s’est rendu compte que c’était à nous, citoyens lambda, d’avoir des propositions. »

Comme l’explique ce parent, les décideurs et élus n’ont pas su s’emparer du problème et trouver l’énergie de prendre des mesures. Les militants sont frustrés du manque de proactivité des représentants des citoyens face à un problème de santé publique touchant des enfants.

Au delà des critiques adressées aux politiques, certains parents expliquent « l’échec » relatif de la mobilisation et son épuisement par un ensemble d’erreurs du collectif. Aux yeux de certains, la mobilisation n’aurait pas été suffisamment intense et radicale pour imposer de véritables mesures. D’autres personnes interrogées ont déploré l’absence mixité sociale au sein du collectif.

« Effectivement, les familles qui s’investissent pour lutter contre la pollution ce sont des familles qui travaillent, qui lisent, qui s’instruisent, ouais clairement. C’est ce qui nous a manqué sur l’école. Il aurait fallu que ça soit beaucoup plus parlé, plus dans la rencontre individuelle. Ça aurait demandé un engagement de chacun qui était à mon sens difficile à mettre en œuvre. Ce sont des familles, ce n’est pas que ça ne les intéresse pas, mais elles ont d’autres priorités, d’autres préoccupations. Faut qu’ils gagnent leur vie pour manger… ils n’ont pas le temps d’aller faire la petite manifestation devant l’hôtel de ville, ils n’ont pas le temps resté réfléchir pour savoir comment réduire le nombre de voitures dans le tunnel. »

Pour certains, le collectif se serait bâti autour d’un noyau de parents appartenant à un même milieu social. En effet, au sein d’échantillon de personnes interrogées on constate la surreprésentation de professions intellectuelle et/ou créative (graphistes, web designers, intermittents du spectacle, professeur, etc.) La totalité des personnes rencontrées a affirmé que la mobilisation de l’école Michel Servet touchait principalement des parents appartenant aux catégories sociales supérieures. Dans l’extrait précédemment cité, ce père de famille justifie le manque d’investissements des familles « populaires » de l’école par la logique de priorisation des besoins et aspirations. Selon lui, les familles des catégories sociales inférieures relègueraient la mobilisation militante au profit de besoins « vitaux ». Selon plusieurs personnes interrogées, l’homogénéité sociale des militants aurait desservi la cause portée par le collectif pour plusieurs raisons. Premièrement, cela aurait permis aux décideurs de délégitimer la pertinence de la revendication en la rattachant à l’appartenance sociale des militants qualifiés de « bobos » et

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accusés de « vivre à l’écart des réalités ». Cette stratégie de stigmatisation des « bobos » des Pentes de la Croix Rousse menée par leurs détracteurs politiques desservirait clairement la cause du collectif. Enfin, le manque de diversité culturelle et sociale au sein du collectif militant n’a pas permis à ses membres d’intégrer à leur réflexion la diversité des enjeux et en particulier sur l’usage de l’automobile. En effet, si le mode de vie des militants leur permet de se passer d’un véhicule, il n’en est peut être pas question pour d’autres familles. Certains parents travaillent probablement en périphérie hors des zones de dessertes des transports en commun. Il est même possible que certaines familles de l’école utilisent elles aussi le tunnel de la Croix Rousse quotidiennement et ne souhaitent pas sa fermeture aux voitures ?

« Soit on remet en question le fait de vivre dans ce quartier, car c’est plus pollué qu’ailleurs soit on continue comme avant. Aujourd’hui, la qualité de l’enseignement tout ça joue un petit peu pour rester. Pour moi, il n’était pas question de changer mes enfants d’école à cause de la pollution alors qu’il y avait eu des décisions de prises pour limiter les problèmes. »

Comme le souligne cet extrait, la question de la pollution étant remontée au niveau du quartier voire de la métropole, la problématisation à l’échelle de l’école a peut-être perdu en légitimité. En effet, pourquoi remettre seulement en question la qualité du cadre scolaire des enfants alors que l’ensemble du quartier est concerné par un problème de cadre de vie potentiellement dégradée par la pollution de l’air ?

En montant en gamme et en échelle, le problème s’est il dissout ? Si l’échelle micro local de l’école facilitait la problématisation, le passage à l’échelon du quartier complexifie l’action collective.

Dans la partie suivante, nous allons nous intéresser aux conséquences de l’épuisement de la controverse. Pour nous, la frustration et la déception liées aux manques de perspectives du mouvement entraine un ensemble de « symptômes » que nous allons étudier.

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2.2.2 Tabou et interdits

Comme nous l’annoncions précédemment, il est apparu lors des entretiens un ensemble de « symptômes », des manifestations visibles dans les discours traduisant la fin du mouvement Au delà de la déception, frustration, démotivation des militants, nous avons remarqué chez certaines personnes interrogées une relative dévalorisation, délégitimation du mouvement. L’extrait suivant montre très bien cet aspect :

« C’est vrai que ce sont des problématiques de riches parce que l’impact de la pollution dans le monde c’est surtout à New Delhi, dans les villes des pays en voie de développement, que la pollution à Lyon c’est ridicule par rapport à ça. Mais bon, il y a quand même des enfants. »

La personne interrogée, cherche à travers sa remarque à relativiser le problème de la pollution à l’école Michel Servet. Selon elle, les niveaux de pollution dans l’air du secteur n’auraient rien de comparable à ceux de certaines métropoles comme New Delhi. Si cette information est véridique, il n’empêche que la qualité de l’air à l’école Michel Servet dépasse tout de même les seuils autorisés. La présence d’enfant ne détermine pas la légitimité du mouvement, car même si leur système respiratoire est plus sensible aux effets de la qualité de l’air, la pollution a de conséquences sur la santé de tout un chacun.

« Un dépassement de seuil c’est quoi au final ? Ça ne se joue à pas grand chose. Le seuil c’est arbitraire on sait pas vraiment si ça a des effets à ces niveaux là. »

Ici, la personne réinterroge la pertinence et la validité scientifique des seuils autorisés. Selon lui, il y aurait une incertitude quant aux effets sur la santé de tels dépassements. Là encore, nous assistons à une mise en doute voire à une remise en question de la légitimité du mouvement.

Ce discours de remise en question du mouvement serait il une traduction « symptomatique » de l’épuisement de la mobilisation ? Cela serait il une « stratégie » qui ne serait pas objectivée par les individus et qui servirait à rendre explicable, justifiable et supportable la fin du mouvement ? Face aux manques de perspectives de la mobilisation comment réduire la « dissonance cognitive » dont nous parlions plus tôt ? Dans ce cas, il s’agirait pour les militants de liquider un conflit psychique entre leurs désirs d’améliorer les conditions de vie de leurs enfants et

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l’impasse dans laquelle se trouve le collectif. Ne pouvant plus agir sur la situation, les militants seraient contraints de modifier leurs représentations. Comme nous l’avons vu plus tôt, les éléments périphériques des représentations sont en capacité d’évoluer dans des situations de dissonances cognitives. Nous pensons que ces extraits d’entretien témoignent d’une même logique.

Au delà des discours de discrédit du mouvement, les personnes rencontrées lors de cette étude ont constaté l’épuisement des débats et discussions au sein de l’école. Si le mouvement se caractérisait par de nombreux échanges entre les parents et avec la direction de l’école, la fin de la mobilisation marquait aussi la fin de cette émulation militante Dès lors, les discussions sur le sujet se sont interrompues entre parents et avec les enfants.

« Honnêtement on a arrêté d’en parler aux enfants. »

« Le sujet de la pollution est complètement retombé, on en parle plus avec les autres familles. »

L’enseignante que nous avons rencontrée prétend que l’échange au sein de l’équipe sur le sujet de la pollution était déjà faible pendant la mobilisation. Si la question était régulièrement abordée en classe, cela ne serait plus le cas depuis 2017. Des éléments de langage complètent ce sentiment d’interdit, de tabou sur le sujet :

« Les enfants l’ont appelé comme ça (la cour nord), c’est la cour interdite ! »

Selon le propos du directeur et de plusieurs parents, la cour désormais interdite d’accès serait aujourd’hui qualifiée ainsi par les enfants. Selon le directeur, le terme serait même repris par les enseignants et parents « sans s’en rendre compte ». Cet élément de langage nous parait tout à fait révélateur du sentiment d’interdit à accéder à la cour d’une part et en parler d’autre part.

De nombreux psychanalystes et en particulier Freud et Lacan ont particulièrement insisté sur le langage comme élément de révélation et de compréhension des imaginaires. Pour le processus thérapeutique, l’analyste doit prêter une attention particulière au langage qui structure la pensée. Pour ces auteurs, le langage nous en dit parfois plus sur le sujet et sa pensée que le fond de son discours lui même. Dans une perspective compréhensive, nous avons prêté attention à la formulation et les termes employés par les personnes interrogées. L’emploi presque

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systématique de la « cour interdite » nous révèle l’importance et le poids de l’interdit tant dans les imaginaires que dans les pratiques.

2.2.3 La mobilisation de l’école Michel Servet, un cas d’école ?

Comme nous l’affirmions plus tôt, il semblerait que le militantisme à l’école Michel Servet soit plus marqué parmi les parents appartenant aux catégories sociales supérieures. Si les autres familles s’investissent peu, cela ne veut évidemment pas dire qu’elles ne sont pas sensibles à la question, mais plutôt qu’elles aient des hésitations sur leur légitimé à s’investir. Les résultats de l’étude annuelle de l’ADEME (2017) sur le rapport des Français à l’environnement montrent en effet que les couches sociales aisées se disent plus sensibles à la qualité de l’air dégradé que les couches sociales inférieures. En effet, dans le premier quartile, 45 % des individus jugent la qualité mauvaise et s’en inquiètent contre 18 % dans le dernier quartile. L’étude ajoute que 46 % des Français se disent gênés par la pollution de l’air extérieure ou subissent un trouble lié. Cette part monte à 54 % dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants et jusqu’à 56 % pour les habitants de Paris intra muros. En matière de qualité de l’air intérieure, les résultats sont plus nuancés, car les individus la pensent meilleure, mais les auteurs notent néanmoins que 59 % des parents d’enfants mineures se disent inquiets par la qualité de l’air intérieur dans les écoles et les crèches. Ces résultats confirment que les enjeux d’environnement et en particulier de qualité de l’air sont plus appréhendés par les individus de catégories sociales supérieures urbaines et en particulier dans les familles avec enfants en bas âges. Ces résultats s’expliquent par la plus forte présence de pollution en zone urbaine et par un meilleur niveau d’information des familles des catégories sociales supérieures.

Néanmoins, d’autres études affirment que les craintes liées à un risque environnemental comme les ondes émises par les antennes relais ou les centrales nucléaires et la mobilisation autour de ces questions sont plus présentes chez les individus des couches sociales défavorisées (Peretti Watel et al, 2012), car les difficultés sociales de ces derniers « créeraient un sentiment de vulnérabilité diffus ». L’incertitude des risques entourant de tels dispositifs serait également propice à faire naitre des controverses. Le sentiment de défiance envers les pouvoirs publics ressenti par les individus des milieux populaires serait également un élément d’explication des controverses autour de tels objets.

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Au delà de l’appartenance sociale des militants du collectif, c’est peut être la multipolarité du quartier des Pentes de la Croix-Rousse qui serait un élément facilitant l’émergence d’une telle mobilisation. En effet, d’après une étude de Patrick Peretti Watel, Chantal Vergélys et Béatrice Hammer sur les ondes électromagnétiques et leur perception par les individus (2012 ; 2013), les territoires multipolaires auraient plus de chance de voir émerger des revendications autour d’un risque environnemental parce que « les habitants (de ces territoires) n’ont pas de relation de confiance et de familiarité qui les lieraient avec leur cadre de vie. » Ainsi, les résidents de ces territoires multi polarisés seraient plus méfiants envers les changements de leur environnement dans un tel contexte d’incertitude. Le quartier des Pentes de la Croix Rousse connait des dynamiques de gentrification qu’il nous parait important de rappeler pour contextualiser le problème de la pollution à l’école Michel Servet. La diversification des populations vivantes dans le quartier des Pentes de la Croix Rousse nous invite à repenser et resituer le problème de la pollution de l’air au cœur des mutations urbaines actuelles et à venir. L’incertitude des effets sur la santé de la pollution, l’incertitude quant à l’évolution d’un quartier en pleine mutation, l’incertitude de l’avenir des prochaines générations, l’incertitude face aux changements climatiques, sociaux, économiques, se combinent pour permettre l’émergence d’un mouvement autour d’un problème, celui de la pollution. Parce qu’elle est difficilement visible et maîtrisable, la pollution est l’objet de nombreux fantasmes, inquiétudes, croyances. Elle est donc l’objet parfait de controverse. Si la mobilisation n’a pas abouti à de réels changements en faveur des enfants de l’école, elle a permis de montrer que la qualité de l’air pouvait rapidement devenir un problème et l’objet d’une mobilisation à l’échelle d’un quartier. Le cas de l’école Michel Servet n’est peut-être pas si isolé, car la qualité de l’air est globalement mauvaise à l’échelle de la métropole et d’après nos investigations de nombreuses écoles lyonnaises sont exposées à des niveaux de concentrations bien supérieures à la normale. L’accès facilité aux mesures de la qualité de l’air, l’information croissante du public sur les enjeux de la pollution et la médiatisation autour du cas de l’école Michel Servet pourraient encourager d’autres écoles à se mobiliser à leur tour comme c’est le cas de l’école de Sallanches dans la vallée de l’Arve qui a récemment publié sur YouTube une vidéo mettant en scène les écoliers masqués et « figés » dans leur mouvement à la façon d’un « mannequin challenge ». Les militants à l’origine de cette vidéo affirment vouloir dénoncer les différentes restrictions qui affectent la vie des écoliers comme l’interdiction de pratiquer du sport ou de se récréer en extérieur.

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Copie d’écran de la vidéo, Sources : https://youtu.be/cruSzaOy0gM, ajouté le 13/12/2016

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Conclusion générale

Le passage en revue des approches théoriques sur les représentations mentales nous ont permis de comprendre leurs caractéristiques, fonctions et conséquences sur l’agir. Nous avons vu que les représentations peuvent être partagées entre les individus d’un groupe, elles sont alors qualifiées de « représentations sociales ». Bien qu’évolutives, ces représentations servent à fixer un référentiel commun de connaissances et de savoirs sur un objet au sein d’un groupe. Dans le cas de l’école Michel Servet, le partage d’un ensemble de représentations sur la pollution au sein des familles leur permet de « s’entendre » sur la réalité. Ce socle de représentations partagées sur la pollution de l’air guide l’action individuelle et collective. Les parents apprennent et transmettent à leurs enfants des « savoir faire de prudence » visant à se protéger de la pollution ou à défaut de prévenir le stress Dans ce socle de représentations communes, nous avons identifié le caractère invisible de la pollution de l’air, imperceptible et dangereux pour la santé. La pollution est envisagée comme une bombe à retardement menaçant la santé future des enfants. Cette pollution affecte les systèmes respiratoires particulièrement fragiles des enfants. L’automobile et la circulation du tunnel sont jugées responsables de la qualité de l’air dégradé au sein de l’école. Les symptômes ORL et respiratoires dont souffrent certains enfants de l’école sont systématiquement attribués à l’effet de la pollution de l’air. Les éventuelles allergies liées aux pollens ou à la poussière par exemple ne sont pas envisagées et intégrées au raisonnement des parents.

Pour évaluer la présence voire la dangerosité de la pollution de l’air ambiant, les personnes interrogées recourent quotidiennement à leurs sens et très peu aux indicateurs de la qualité de l’air. Cet usage de l’olfactif permettent aussi aux familles interrogées de mettre en œuvre « les savoir faire de prudence » précédemment abordés. Détecter la présence de pollution dans l’air grâce aux odeurs permet par exemple aux personnes interrogées de se couvrir le visage ou de changer d’itinéraire pour préserver leur santé et celle de leurs enfants.

Dans une seconde partie, nous nous sommes intéressés à la façon dont le problème de la pollution a émergé à l’école Michel Servet. Nous avons montré que l’installation de la station dans la cour de l’école et la publication des résultats ont déclenché une alerte qu’une mère de famille de l’école a relayée auprès de la direction et des parents délégués élus. L’implantation d’un instrument de mesure de la qualité de l’air au sein même de l’école et visible par tous a paru

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suspect. Les dépassements de seuils autorisés ont confirmé aux parents la légitimité de leurs doutes. Nous avons montré que les militants du collectif mobilisaient leurs représentations dans leur communication visuelle et orale en jouant sur le caractère fragile, sensible et innocent de l’enfant. Si celui ci est au cœur de tous les débats, il n’a pas complètement le droit à la parole. Pourtant son rôle est crucial et dans ce sens, nous l’avons qualifié d’actant. La publication des résultats de l’étude approfondie menée par Air Rhône Alpes sur le quartier a minimisé l’impact de la circulation automobile du tunnel au profit du fond urbain et de la circulation sur les quais du Rhône. Nous postulons que le mouvement a alors opéré une montée en gamme passant de l’échelle de l’école et celle du quartier voire de la Métropole. La faiblesse des mesures prises par la Ville visant à réduire l’exposition des enfants au sein de l’école, la dissolution des causes de la pollution à une échelle supérieure et le sentiment de frustration des militants ont peu à peu épuisé le mouvement. En effet, la question de la pollution étant remontée au niveau du quartier voire de la métropole, la problématisation de cette question à l’échelle de l’école a perdu en légitimité. Pourquoi remettre seulement en question la qualité du cadre scolaire des enfants alors que l’ensemble du quartier est concerné par un problème de cadre de vie potentiellement dégradée par la pollution de l’air ? En montant en gamme et en échelle, le problème s’est dissout.

Si l’échelle micro local de l’école facilitait la problématisation, le passage à l’échelon du quartier complexifiait évidement l’action collective. Afin de résoudre la dissonance cognitive liée à l’impossibilité de poursuivre le mouvement et le désir de le poursuivre, nous avons assisté en entretien à des tentatives de délégitimation ou de relativisation du bien fondé de la cause face à d’autres enjeux ou à des situations plus graves ailleurs. Dès lors, nous assistons à la naissance de tabous et interdits tant dans le langage que dans les actions des personnes interrogées. « La cour interdite » témoigne à la fois d’un interdit d’accéder à cette espace et de parler de cet interdit. La fin de la mobilisation a également mis fin aux débats, au dialogue, à l’échange au sein de l’école sur le sujet « épuisé » de la pollution de l’air. Pourtant, le cas de l’école Michel Servet sera peut être un cas d’école, un exemple pour d’autres établissements et collectifs qui souhaiteraient s’engager dans la même voie afin d’engager un changement majeur et durable en faveur de la qualité de l’air au sein de la Métropole.

Diplômé

Etudiant M1 VEU MdV, Université Lumière Lyon II E mail : gauthier.cussey@gmail.com / gauthier.cussey@univ lyon2.fr

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Annexes

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Entrée du tunnel côté Rhône, Photographie personnelle, 12/01/2018

Vue de la station de mesure de la qualité de l’air implantée dans la cour nord, Photographie personnelle, 12/01/2018

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Entrée principale de l’école, Photographie personnelle, 12/01/2018

L’école vue de hauteur depuis la Montée Saint Sébastien, Photographie personnelle, 12/01/2018

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La « cour interdite », la station et la sortie du tunnel vue de hauteur depuis la Montée Saint Sébastien, Photographie personnelle, 12/01/2018

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La « cour interdite », la station et la sortie du tunnel vue de hauteur depuis la Montée Saint Sébastien, Photographie personnelle, 12/01/2018

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L’arrière du gymnase et l’extracteur d’air, Photographie personnelle, 12/01/2018

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La sortie de l’extracteur d’air, Photographie personnelle, 12/01/2018

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L’arrière du gymnase et l’extracteur d’air, Photographie personnelle, 12/01/2018

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La station de mesure de la qualité de l’air d’AIR ATMO, Photographie personnelle, 12/01/2018

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La « cour interdite », Photographie personnelle, 12/01/2018

Résumé :

Cette étude analyse les représentations mentales de la pollution de l’air des familles d’une école élémentaire de Lyon. Située à proximité de la sortie d’un tunnel routier, l’école que nous avons choisie a connu une importante mobilisation autour de la question à partir de 2013. Dans ce mémoire, nous analysons la façon dont s’est construit le problème. Quels acteurs en sont à l’origine ? Quels éléments ont permis sa cristallisation ? Quels facteurs ont rendu possible la mobilisation ? Notre enquête s’intéresse également aux représentations de la pollution des familles et cherche à comprendre comment celles ci sont mobilisées dans le discours des familles en faveur de l’amélioration de la qualité de l’air à des fins stratégiques. Nous mettons en lumière la façon dont les individus non experts de la qualité de l’air recourent à des « indicateurs sensibles » afin de détecter et mesurer le danger de leur exposition. Nous voyons également comment ces mêmes individus développent et mettent en œuvre des « savoir faire de prudence » informels visant à préserver leur santé et limiter leur gêne olfactive.

Abstract:

This study analyzes mental perception of air pollution in an elementary school context in Lyon. Situated close to a tunnel exit, the study case is known for an intense parent’s mobilization against air pollution from 2013 to today. In this master thesis, we analyze how the problem was built by parents? What is its origin? Which elements have an influence? Our investigation focalizes on parent’s perception about air pollution. How parents play on imaginary? How parents argue? We want to demonstrate how non expert peoples uses their sensitivity, their olfactory capacities to “detect” air pollution. Our study shows how these people develops “savoir faire de prudence” (informal preventive skills) to preserve their physical and mental health.

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