Racines #04

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Printemps/Été 2022 Le magazine réservé aux membres de Ventealapropriete.com

L’été en rosés rds parfaits Nos 5 acco— emaison François-Xavier D’un Interview d ron comédien—-vigne Clos Canarelli Au cœur de e l’excellence cors

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édito

Petites gorgées

28 Défricheur. Yves Canarelli, l’empereur corse

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Primeurs 2021. Une charmante surprise

34 Sur-mesure. Notre cuvée avec la Maison M. Chapoutier

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Œnophilie. Culture et vin

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VIP+. Rencontre avec François-Xavier Demaison

Dégustation

10 Data. Le vignoble bio en France

Photo sur cette page : Olivier Metzger. Sur la photo de couverture : verre Royal Glass

12 Anatomie d’une bouteille. Les Fillottes 13 Services. Ventealapropriete & vous

Grands formats 14 L’alchimiste. Xavier Vignon 20 Grand collectionneur. Dans la cave de Michel-Jack Chasseuil 26 Mystique. Un vin, l’émotion de toute une vie

38 Un verre avec… Marco Pelletier 40 Sélection. Nos bouteilles coups de cœur 43 Ailleurs. Le Mexique 44 Mets-vins. L’été en rosés 50 Rhum. 3 cocktails 52 Escapade. Entre Loire et volcans 56 Accords. L’artichaut, 3 possibilités 57 Carte sur table. Sélection de restaurants 58 Dernière gorgée. Siffler le chaud et le froid

SILLONNER LE VIGNOBLE, goûter insatiablement, sélectionner sans a priori, retranscrire nos ressentis pour finalement transmettre, voici l’ADN de VALAP. « On ne transmet bien que ce dont on est tombé amoureux. » J’ai retenu cette phrase de feu Michel Serres. Dernière flèche d’amour, un magnum de Moulin-à-Vent du Château des Jacques 1990, déterré de la cave de Marco Pelletier et qu’aucune des étiquettes stars de la table n’arrivait à dépasser. Il n’en fallait pas plus pour que nous vous proposions la boutique des vins rares et vieux millésimes. Cette mystérieuse alchimie que l’âge confère parfois, faite d’harmonie et de complexité, voilà ce qui rendait unique ce moulin-à-vent. Michel-Jack Chasseuil, avec sa cave aux mille merveilles, le sait bien. Nous racontons l’histoire qui le lie à son antre de La Chapelle-Bâton. « On ne reçoit bien que ce dont on est tombé amoureux », poursuivait Michel Serres. Ce que nous transmettons, nous l’avons aussi reçu d’autres. Ici, nous faisons le récit des rencontres avec la famille Canarelli et Xavier Vignon, qui incarnent deux univers distincts, mais dont la fougue nourrit notre inspiration. Notre discours porte et nos convictions sont partagées, aussi bien par nos membres que par les vignerons. Ce qui nous amène à cosigner des cuvées avec de grandes signatures, à l’instar de Michel Chapoutier. Née de cette collaboration, Les Pilandiers sonne comme un manifeste pour l’appellation Saint-Joseph. Pour tous ceux qui aiment le vin, nous souhaitons continuer à être un repère ; pour les plus fervents d’entre eux, nous espérons être un peu plus encore. VALAP renforce pour eux ses services avec un traitement personnalisé. L’envie qui nous anime donne à la marche de forçat des airs de promenade bucolique. Dans un futur proche, nous serons amenés à prononcer notre passion dans plusieurs langues, dans plusieurs pays, et à faire tellement d’autres choses encore…

Alaric de Portal Directeur de Ventealapropriete

Le magazine Racines est réservé aux membres de Ventealapropriete.com, 200, boulevard de la Résistance, 71000 Mâcon. Directeur de la publication : Alaric de Portal. Conception et réalisation : Les Digitalistes, 9, rue Emilio-Castelar, 75012 Paris, lesdigitalistes.com. Coordination éditoriale : Julien Despinasse. Conseillère de la rédaction : Véronique Raisin. Direction artistique : James Eric Jones. Rédaction : Boris Coridian, Audrey Cosson, Anne-Charlotte de Langhe, Joël Lacroix, Stéphane Méjanès, Matthieu Perotin, Véronique Raisin, Olivier Reneau. Photos : Manuel Braun, Tiphaine Caro, Sébastien Dubois-Didcock, Félix Ledru, Julien Lienard, Olivier Metzger, Caspar Miskin, Quentin Salinier, Yoann Stoeckel. Illustrations : HifuMiyo, Anaïs Lefebvre. Secrétariat de rédaction : Muriel Foenkinos. Photo de couverture : Sébastien DuboisDidcock. Impression : Imprimerie Léonce Deprez. Nous écrire : mag@ventealapropriete.com. L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. À consommer avec modération.

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—Actualité

Primeurs 2021 : une charmante surprise ! Ce millésime s’affirme par sa fraîcheur et sa sapidité et signe le retour du bordeaux d’influence océanique tel qu’on l’aime ! Des vins savoureux, parfumés et peu élevés en alcool qui ne manqueront pas de séduire sans lasser. LES PRIMEURS ne s’improvisent pas ; seuls les experts les plus aguerris sont capables de prédire l’avenir de ces jeunes vins. Le comité s’est donc rendu sur place avec Olivier Poussier, Meilleur sommelier du monde, pour apprécier ces 2021 en cours d’élevage. Et quelle ne fut pas notre surprise en constatant, dégustations à l’appui, ce résultat sans appel. Car si l’année a été difficile et que la météo a causé des tourments jusqu’aux tout derniers instants, ce millésime s’inscrit d’ores et déjà comme une réussite, dans un style fruité, tout en élégance, proposant des tanins fins et une moindre puissance alcoolique ; des équilibres à l’ancienne avec une faible prise de bois, loin des profils plus musclés de ces dernières années. « C’est un millésime d’influence océanique, européen, plus raffiné que démonstratif. Un millésime froid et sec, bâti sur le fil de la maturité », commente Alaric de Portal, directeur de Ventealapropriete. Le millésime 2021 restera bien sûr dans les mémoires comme celui des défis, de la lutte permanente contre les caprices de la météo avec les épisodes de gel, bien évidemment. La réussite des 2021 relève de l’abnégation sans limites dont ont fait preuve les vignerons, qui n’ont eu de cesse de privilégier la qualité pour transcender le potentiel de ce millésime. Un 2021 qui signe le retour de Bordeaux tel qu’on l’aime : frais, digeste, raffiné, savoureux et parfumé, et qui saura faire attendre des 2018, 2019 ou 2020 plus épaulés.

Jauger des vins naissants L’exercice de dégustation requiert concentration et expertise. À ce stade, les vins ne livrent pas encore tous leurs éléments et leurs marqueurs sont à interpréter et à reCi-dessus : Olivier Poussier et Alaric de Portal au Château Le Tertre, le 28 avril dernier.

contextualiser ; selon la nature du millésime (solaire ou froid), il faut évaluer la charge tannique, la prise de bois initiée, la matière (dilution éventuelle) et placer tous ces éléments en perspective. Bien évidemment, la connaissance intime de chaque cru, son terroir, son encépagement, son style, et même l’histoire et la vie de la propriété, sa gestion et le ou les conseillers qui la supervisent aident non seulement à mieux interpréter le vin naissant, mais à l’évaluer précisément à l’aune des millésimes passés. Un travail qui nécessite donc une cartographie personnelle complète des crus en présence et la capacité à hiérarchiser et à mettre en perspective. Aguerri à la pratique depuis près de 40 ans, Olivier Poussier ne s’y trompe pas. Son jugement est sûr, argumenté, percutant. Et solidement documenté. Sa connaissance aiguisée du vignoble bordelais lui permet d’appréhender chaque vin avec tout son héritage de façon à se projeter et de percevoir le cru dans son avenir. Les prises de bois notamment, c’est-à-dire la façon dont l’élevage en barriques est mené, est sa préoccupation première. « Le bois est là non pas pour sucrer les cœurs de bouche, mais pour donner de l’allonge, étirer les matières. » À la dégustation, il prête particulièrement attention à cet élément extrinsèque, mais qui fait pourtant partie intégrante du vin. « Sur un millésime comme 2021, ce qui est intéressant, analyse t-il, ce sont des degrés d’alcool pas très hauts [autour de 13°, NDLR], par conséquent, les vins ne prennent pas trop le bois ». Il faudra encore « surveiller ces élevages, pas forcément les raccourcir, mais les adapter au cas par cas, selon l’évolution du vin dans la barrique ces prochains mois », explique Olivier Poussier, qui se plaît à goûter ce millésime aimable, avec moins de bois neuf nécessaire. A contrario d’années plus Racines

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Petites gorgées—Actualité

Nos coups de cœur

solaires, avec des degrés en alcool frôlant, voire dépassant les 15°, où les prises de bois sont parfois outrancières. Un vin après l’autre, chaque cru est décortiqué, analysé, noté. Une fois, deux fois voire trois, car l’équipe de Ventealapropriete multiplie les dégustations, avec différents négociants partenaires, de façon à goûter un même vin à plusieurs reprises ; en effet, ces vins en cours d’élevage sont prélevés sur fûts par les propriétés, l’échantillon présenté n’est donc qu’une esquisse. Il faut être plus que tout attentif à la réalité de la dégustation et ne pas perdre de vue

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que l’on goûte un vin en construction, dont la forme finale n’est pas aboutie, mais dont l’intention est bel et bien là. « Il faut goûter sur la structure », nous glissait Stéphane Derenoncourt, éminent conseiller, avec qui nous avons échangé en marge de ces primeurs, pour en tâter le pouls. Le manque de matière, la dilution, des tanins secs, une sous-maturité du raisin sont des éléments rédhibitoires ; a contrario, un beau parfum, le cèdre et le graphite d’un cabernet mûr, la rondeur et l’aisance d’un merlot abouti sans excès, des tanins arrondis sans trop de bois et une matière infusée plutôt qu’extraite valident l’expérience. Sur ce millésime 2021, il a fallu particulièrement évaluer la maturité aboutie des cabernets et l’excès de dilution des merlots – de la Rive Droite, notamment. Ces écueils évités, le millésime livre des vins de demi-puissance, sveltes, très agréables qui, à coup sûr, donneront dans 10 ou 15 ans, voire davantage, d’excellentes bouteilles. Ces vins de millésime froid, d’influence atlantique, replacent aussi Bordeaux dans ses grandes heures, celles de vins frais, imaginés pour la table. Car il ne faut pas perdre de vue que le vin est là pour être bu, apprécié en bonne compagnie et que rien n’est pire que l’outrance, une matière surboisée ou un fruit

Ci-dessus : Thomas Blanquer, responsable des achats de Ventealapropriete.

Château Léoville Las Cases (Saint-Julien) Château Pichon Baron (Pauillac) Château Bellegrave (Pomerol) Château Branaire-Ducru (Saint-Julien) Château Nénin (Pomerol) Château Margaux (Margaux) Château Brane-Cantenac (Margaux) Château Marsau (Francs Côtes de Bordeaux) Château Cantemerle (Haut-Médoc) Château Talbot (Saint-Julien) Clos Fourtet (Saint-Émilion Grand Cru) Château Larcis Ducasse (Saint-Émilion Grand Cru), Château La Fleur-Pétrus (Pomerol) Château Bélair Monange (Saint-Émilion Grand Cru)

surmûri, qui peuvent certes impressionner à la naissance, charmer par les sirènes de l’opulence, mais qui, nous en sommes certains, décevront et faneront vite. Chez Ventealapropriete, nous défendons avant tout la fraîcheur et l’élégance, pour que demain, les vins que nous avons choisis accompagnent vos plus beaux souvenirs. V É RO N I Q UE RA I SI N /

Photos Quentin Salinier


Œnophilie—

Un accord mots & vins POINT de tristesse dans ces larmes, mais plutôt de multiples clins d’œil teintés de douce mélancolie et d'humour tendre. Daniel Picouly, auteur de L’Enfant léopard, prix Renaudot en 1999, raconte, ici, à travers son intronisation de chevalier du Tastevin, en Bourgogne, la place que tient le vin dans son itinéraire et ses relations avec ses proches. Celui qui s’auto-qualifie « d’analphabète des appellations, ignare des vignobles, incroyant des grands crus » ne voit pas dans une bouteille de Demoiselle un simple champagne, mais une douce nuit d’été : celle qui a vu naître sa fille. Le meilleur vin du monde, c’est selon lui le point Godwin de toute discussion sur la vigne,

« tout le monde l’a vu, personne ne l’a bu ». S’il y est question – à l’évocation d’un souvenir cocasse de ses 11 ans – d’un Château La Mission Haut-Brion 48, il trouve au tariquet un talent plus rare et plus singulier, celui de créer un moment simple de bonheur partagé qui lui rappelle la cérémonie familiale du kir. L’auteur a malicieusement glissé, entre les chapitres 12 et 13, un chapitre 12°5 qui s’ouvre sur une vérité partagée par Ventealapropriete selon laquelle « le vin est plein d’histoires. Elles écrivent un roman. Un roman personnel ». La preuve en 320 pages savoureuses. « Les Larmes du vin », de Daniel Picouly, Albin Michel, 2022

Bonne nuit à Chenonceau ! CE CHÂTEAU en surplomb du Cher est l’un des fleurons de l’architecture du Val de Loire. Ses jardins, sa cour d’honneur et sa vaste galerie accueillent cet été une nouvelle édition de la « Dégustation sous les étoiles », qui permet de découvrir les vins des domaines de Touraine-Chenonceaux. Ravis de partager leur passion et de célébrer les 10 ans de l’appellation, la vingtaine de vignerons réunis pour l’occasion font déguster leurs rouges (assemblages de côt – cépage dont François Ier était friand – et de cabernet franc) et leurs blancs (sauvignon) dans un cadre nocturne illuminé et majestueux, propice à la flânerie un verre à la main et, pour la bonne bouche, une sélection des meilleurs fromages et charcuteries de la région. « Dégustation sous les étoiles », samedi 16 juillet, de 21h à minuit. Château de Chenonceau, 37150, 10 € (chenonceau.com).

Au bonheur des sens « LES MUSICALES dans les vignes de Provence » fête ses 10 ans et propose 68 soirées concert (du registre classique aux musiques cubaines) avec, en guise de prélude, des dégustations de vins de 40 domaines prestigieux. « On commence par une dégustation, car le verre de vin permet d’ouvrir les émotions, de s’ouvrir à la musique », explique Marie-Jeanne Chauvin, fondatrice de l’événement. Et si Les Musicales permettent de conjuguer le plaisir du palais, de l’ouïe et de la vue (fascinée par la beauté du domaine, comme ici le château d’Estoublon, dans les Bouches-du-Rhône), ce festival a aussi pour but d’inscrire le vin dans le cœur du public : « Quand ils iront au restaurant, ils commanderont celui qu’ils ont dégusté ce soirlà, désormais lié à une grande émotion. » « Les Musicales dans les vignes de Provence », du 9 juin au 18 septembre, soirée concert et dégustation de vins, de 25 € à 35 € (lesmusicalesdanslesvignes.blogspot.com). 01. Le château d’Estoublon, à Fonvielle.

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Petites gorgées—Rencontre

« J’aurais pu être caviste ! » Son spectacle Di(x)vin(s) a joué les prolongations et il creuse son sillon au cinéma. Vigneron par passion, François-Xavier Demaison avoue un faible pour les vins du Roussillon et tous ceux qui fleurent bon les terroirs ensoleillés. Acte I, scène 1. Racontez-nous votre toute première émotion œnologique.

Je venais de décrocher mon baccalauréat. Mes parents m’avaient invité au Grand Véfour, à Paris. Je me sentais particulièrement fier, mais je craignais de ne pas être à la hauteur de cette grande occasion. Précisons que, quelques jours plus tôt, ils considéraient mon cas comme désespéré ! Dans ce restaurant mythique, tout m’impressionnait : le décor, le ballet incessant des serveurs, les rince-doigts que je prenais pour des cocktails... J’étais tétanisé à l’idée de renverser quelque chose. Le sommelier a débouché un Château Ducru-Beaucaillou 1986, qui m’a donné un début d’ivresse. Cette bouteille a immédiatement marqué la différence avec tout le sucre dont on peut se gaver à l’adolescence ! J’ai surtout compris que je faisais connaissance avec quelque chose qui allait m’accompagner très, très longtemps… Pour remplir votre cave, vous fiez-vous plutôt à votre instinct ou à votre caviste ?

J’adore les cavistes ! Ce sont de vrais « passeurs ». Je mesure à quel point c’est une vocation, notamment quand que je vois que certains sont capables de passer 20 minutes avec un client qui va repartir avec un beaujolais. Quelle patience ! C’est tout juste s’il ne faut pas avoir fait trois années d’études de psychologie ! Le bon caviste est celui en qui on peut avoir confiance, comme Ventealapropriete, qui reste un caviste en ligne à la fois pratique et dont les équipes au palais exceptionnel savent orienter les amateurs vers toutes les catégories de prix. Le mauvais caviste, en revanche, impose son goût aux autres. C’est une profession que j’aurais volontiers exercée ; je serais resté toute la journée au fond de ma cave, 8—

Racines

BIO EXPRESS 1973 2002

2007

2009

2018

2022

Naissance à Asnières-surSeine (Hauts-de-Seine). Premier seul-en-scène, Deuxième Acte, au Théâtre de l’Œuvre. Triomphe avec Demaison s’envole, au Casino de Paris. Nommé pour le César du meilleur acteur dans Coluche : l’histoire d’un mec, d’Antoine de Caunes. Premières vendanges au domaine Mirmanda, à Thuir (PyrénéesOrientales). À l’a!che de Champagne !, de Nicolas Vanier.

sans voir grand monde. J’aurais écrit tranquillement, dans mon coin, et regardé des films… Le seul problème, c’est que j’aurais peut-être bu tout le stock ! Le vin ressemble-t-il toujours à celle ou celui qui le fait ? On serait tenté de le

croire… mais pas du tout ! Il existe des gens extraordinaires qui font de la piquette. Et inversement. Je pense que le vin ressemble d’abord au terroir sur lequel il s’épanouit. Il reflète également la personnalité et le parcours du vigneron ou de la vigneronne. Je suis, par exemple, un fanatique des vins de Marlène Soria (Domaine Peyre Rose), tout comme j’aime ceux dans lesquels le vigneron met un peu de son histoire. C’est le cas d’Éric Pfifferling, du domaine L’Anglore, à Tavel (Gard), qui est venu au vin par les abeilles.

Dans votre dernier spectacle, Di(x)vin(s), vous vous dévoilez à travers 10 flacons. Est-ce su%sant pour raconter une vie ?

Il m’en aurait fallu 50 ! D’où la frustration que j’ai ressentie au moment de choisir ceux qui étaient le plus « à l’os » avec ma personnalité et d’écarter tous ceux qui faisaient perdre le fil de l’intime, de la sincérité. Le fameux saint-pourçain 1973 que j’ai bu avec mes grands-parents avait beau être franchement mauvais, il était le prétexte idéal pour pouvoir parler d’eux sur scène, mais aussi de la Creuse, de cet ennui propice à la créativité… et même de Serge Reggiani ! Après tout, qui ne se souvient pas des quelques bouteilles qui ont marqué son existence ? Lequel, de votre nez ou de votre palais, a le plus de mémoire ?

Les deux, mais peut-être davantage le nez, car j’ai le sens du bouquet. Je ne vais pas jusqu’à m’entraîner comme un sportif de haut niveau, mais j’ai beaucoup dégusté. Ainsi, toutes les émotions ayant été « stockées » ressurgissent automatiquement. Prenons par exemple une côte-rôtie La Sereine Noire de chez Gangloff : je serais capable de la reconnaître entre mille ! Quel vin auriez-vous adoré faire déguster à quelqu’un qui n’est plus là ?

J’ai eu la chance, un an avant sa disparition, de pouvoir faire goûter mon propre vin à Jean-Paul Belmondo. Toujours très curieux de ce que faisaient les nouveaux talents ou les jeunes comédiens, il m’avait invité à déjeuner chez lui, sur les quais, à Paris. J’avais apporté une bouteille de Mirmanda rouge 2019, vinifiée avec la complicité de mon ami et associé Dominique Laporte (Meilleur sommelier de France 2004). En tête à tête avec mon idole, j’ai passé un moment merveilleux… Et lorsque le rideau tombe, quelle bouteille entre en scène ?

Un grand bourgogne. Un Domaine de la Romanée-Conti. Le seul à avoir cette histoire, à être issu d’un travail de la terre qui est le même depuis des décennies. Une bouteille à partager, comme à chaque fois, car je suis incapable de boire sans cette convivialité. Je n’aime pas le plaisir solitaire. Heureusement, je compte dans mon entourage de nombreux « amis prétextes » pour en déboucher le plus souvent possible ! ANNE-CHARLOTTE DE LANGHE /

Photo Manuel Braun



Data—

Le boom du bio en France

PART DU BIO

sur la surface viticole cultivée (surfaces certifiées bio et en conversion).

9-14 %

La filière de la viticulture bio est très dynamique et en 2023, l’Hexagone aura le deuxième plus grand vignoble bio du monde.

140 000

28.7

2015

BRETAGNE

57.6 11.0

2020

Exploitations engagées en bio.

79.7 57.6

4x

Évolution, depuis 2010, des surfaces viticoles, en milliers d’hectares Certifiées bio En conversion (1re, 2e + 3e année)

La croissance des surfaces certifiées bio en 10 ans (2010-20) en France.

COMPRENDRE LES LABELS

17 %

AB Créé en France en 1985, il allie pratiques en-

vironnementales optimales, respect de la biodiversité, préservation des ressources naturelles et bien-être animal. Il exclut les pesticides de synthèse, mais autorise les pesticides naturels.

Pourcentage de vignes françaises cultivées en bio en 2020. La viticulture se situe très au-dessus de la moyenne : 9,5 % (toutes productions bio confondues).

16,3 %

Le Maine-et-Loire (Anjou, Saumur, Savennières) se situe juste dans la moyenne nationale : 17 %.

EUROFEUILLE Il a été conçu par l’UE et son

DEMETER Initié à partir des théories de Rudolf Steiner, inventeur de la biodynamie, son cahier des charges se rapproche du bio tout en allant plus loin : il impose que les contenants ne contiennent aucun plastique et moins de soufre.

La croissance remarquable, en 2020, des surfaces cultivées en bio par rapport à 2019. Le nombre d’exploitations a connu une croissance de 21 % : c’est également le plus fort taux de progression d’exploitations cultivant en bio.

BIODYVIN Lancé en 1995 par le Syndicat international des vignerons en culture biodynamique. Après un contrôle par un organisme Écocert pour obtenir le label AB, il y a une pré-visite et une dégustation. TERRA VITIS Fédération nationale de six associations régionales créée en 2001. Le label s’appuie sur les trois piliers du développement durable : environnement, social et économie.

Le chi#re d’a#aires des vins bio en 2020 ; +13 % par rapport à 2019.

HVE Englobe quatre critères de Haute valeur

environnementale : stratégie phytosanitaire, préservation de la biodiversité, gestion des engrais et gestion quantitative de l’eau.

Infographies James Eric Jones

11,3 %

La Gironde atteint presque la moyenne nationale avec 16,8 % des surfaces cultivées en bio. Dordogne et Lot-et-Garonne sont les départements se situant au-dessus de la moyenne nationale (27,2 % et 19,3 %). Il faut noter qu’un département tire la moyenne de la région vers le haut, avec un petit nombre d’exploitations (21), mais très engagé dans le bio – 60 % des surfaces cultivées en bio : la Corrèze.

Sources : chiffres 2020 du secteur bio par l’Agence BIO

cahier des charges est le même que celui du label AB (qui devient facultatif), mais nécessite, en plus, d’indiquer le lieu de production et la référence de l’organisme certificateur.

+22 %

Racines

24–29 %

2010

21.4

9784

10—

19–24 %

LA DYNAMIQUE

La surface, en hectares, du vignoble bio en France (certifié et en conversion)

1,1 Md €

14–19 %


Data—

14,9 %

L’Aisne, la Marne, l’Aube, départements liés au champagne, ont enregistré une croissance des surfaces certifiées en bio de 40 %, 38 % et 22 % par rapport à 2019. Le Haut-Rhin et le Bas-Rhin, départements alsaciens, ont des surfaces cultivées en bio qui dépassent les 30 %.

HAUTSDE-FRANCE

NORMANDIE ÎLE-DE-FRANCE

GRAND-EST

16,1 %

CENTRE— VAL DE LOIRE PAYS DE LA LOIRE

22,9 %

BOURGOGNE— FRANCHE-COMTÉ

Indre-et-Loire : 202 exploitations bio, 28,7 % des surfaces viticoles en bio. Cher : 68 exploitations, 25,7 % des surfaces.

NOUVELLE-AQUITAINE

Deux départements particulièrement actifs en la matière : le Jura, 29,1 % des surfaces en bio, et la Côte-d’Or, avec 22,8 % en bio.

19,2 % AUVERGNE— RHÔNE-ALPES

Deux départements particulièrement dynamiques : la Drôme, 27,2 % de la surface viticole en bio et 355 exploitations en bio. L’Ain : 44 exploitations en bio seulement, mais 30 % des surfaces viticoles y sont cultivées en bio.

28,3 % 19 %

Cinq départements de la région ont au moins 25 % de leur surface cultivée en bio : Tarn-et-Garonne 25 % PyrénéesOrientales 25 % Gard 27,6 % Lot 29 % Aveyron 29,8 %

Infographies James Eric Jones

OCCITANIE

26,9 %

Bouches-du-Rhône, Var, Vaucluse comptent près de 1 400 exploitations en bio (soit 14 % des exploitations bio en France) et respectivement 32,3 %, 29,7 %, 23,7 % des surfaces y sont cultivées en bio.

99 exploitations en bio, avec, en Corse du Sud, 58,5 % des surfaces cultivées en bio. PROVENCE— ALPES— CÔTE D’AZUR

CORSE

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Anatomie—

Une bouteille par le menu Ventealapropriete entretient des liens privilégiés avec la famille Thienpont, très dynamique sur la Rive Droite, à Bordeaux. Décryptage d’une aventure humaine et familiale qui s’exprime pleinement dans cette bouteille à la production très restreinte.

Deuxième millésime né du partenariat

« Au fil des années, nous apprenons à mieux connaître le terroir et le travail devient de plus en plus précis et régulier », explique Guillaume Thienpont. Pour Olivier Poussier, 2016 est « un millésime magnifique, qui associe maturité et fraîcheur. Assurément l’un des plus grands réalisés jusque-là au XXI e siècle. »

Les 4 points du blason

symbolisent les quatre parcelles : Les Rouzes, Bourgneuf, Toulifaut et Les Fillottes, qui a donné son nom au cru. « Nous avons ici une dominante d’argile qui donne des vins avec plus de consistance et de structure », précise Guillaume.

Dans la bouteille

L’assemblage de merlot (80 %) et de cabernet franc (20 %) signe l’expression de ce vin, élevé 18 mois en barriques. « Les Fillottes correspond à notre définition d’un bon pomerol », indique François Thienpont, qui évoque aussi sa « volupté, douceur, accessibilité, suavité, finesse et complexité ».

Les 4 points du col

symbolisent le travail à quatre mains réalisé par François et Guillaume Thienpont. Le premier, grande figure du négoce haute couture de premiers et grands crus, signe depuis 2000 de grands vins avec des vignerons de la Rive Droite. Guillaume Thienpont est vigneron, avec son père Alexandre, à Vieux Château Certan, à Pomerol.

L’église de Pomerol

À l’ouest du clocher, au milieu du célèbre plateau qui compte tous les grands (Petrus, L’Évangile, Vieux Château Certan), le vignoble s’étend sur 3,5 hectares seulement. Les vendanges sont faites à la main.

François et Guillaume Thienpont sont cousins

Expertise des grands vins pour l’un, précision à la vigne pour l’autre, ils se connaissent bien et agissent selon les sensibilités de chacun. « Nous sommes complémentaires et la confiance, très présente, facilite les choses », commente Guillaume. François poursuit en écho : « Quand nous faisons l’assemblage avec le vigneron, nous sommes en accord et il n’y a pas de compromis entre nous. Nous communiquons sans avoir besoin de convaincre l’autre. » Et qualifie ainsi la façon de travailler de son cousin Guillaume : « Il a le souci du détail, la culture de la subtilité. » La réponse fuse, dans un registre plus personnel : « J’apprécie sa personnalité. Il a le sens de l’humour, on rigole bien avec lui. »

« C’est un immense privilège de proposer à nos membres cette bouteille, création unique, fruit du croisement de leurs savoir-faire et expertises. Ils ont choisi un vigneron et son terroir pour leurs qualités, ils s’engagent à ses côtés à toutes les étapes : culture, vinification et jusqu’au coup de pinceau final sur l’étiquette. » Thomas Blanquer, responsable achats de Ventealapropriete

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Racines


Services—

Ventealapropriete & vous —Ventealapropriete poursuit son ascension et s’établit

plus que jamais comme leader de la vente de vin premium en France. La personnalisation soignée de notre offre de services, pour toujours vous satisfaire davantage, est le reflet de ce positionnement. Il pourrait bientôt faire la différence auprès des amateurs de vins à l’étranger.

Développement à l’international L’organisation de la conquête de Ventealapropriete à l’étranger est imminente. Vous l’avez sans doute noté, il est en effet possible de choisir la langue anglaise dans les paramètres du site et l’onglet Livraison compte désormais, aux côtés de la France, trois pays supplémentaires : Belgique, Espagne, Italie. D’autres langues et d’autres pays de destination vont bientôt apparaître.

Boutique des services : mariages, événements et cadeaux d’entreprise Pour nous, le choix d’un bon vin sera toujours l’un des bons points de départ pour la réussite de vos événements. Nous avons l’intime conviction que le choix du vin a une incidence sur l’ambiance d’une fête et, à l’inverse, qu’un mauvais vin déteindra négativement sur l’événement célébré. Alors, quand il s’agit de célébrer un mariage, un baptême ou un anniversaire, il faut assurément que les vins servis soient de bonne facture. Ventealapropriete s’en porte garant et propose, dans la boutique des services, un accompagnement et des conseils sur mesure pour choisir les bonnes références et les justes quantités, en adéquation avec le budget alloué. Le principe est tout aussi vrai pour les cadeaux d’entreprise. Bien choisir son vin, c’est doubler le plaisir : celui d’offrir et, pour ceux qui reçoivent ces bouteilles, celui de les déguster. Pour toute « autre demande » que vous pourriez avoir, notre priorité est de vous accompagner. Ces services sont disponibles dans le menu principal, en page d’accueil de Ventealapropriete.com, onglet Services.

Club Prestige Ventealapropriete renforce ses solutions pour les plus fervents clients et se dote d’un Club Prestige qui réunit la fine fleur des amateurs de grands vins. Pour en savoir plus : private@ventealapropriete.com

Vins rares et vieux millésimes Avec les années, les grands vins acquièrent complexité, harmonie et profondeur. Privilège de l’âge que les vins jeunes ne peuvent jamais offrir. La longue patine du temps réussit, selon un processus encore largement méconnu, des fusions fondamentales entre l’évolution du fruit et les trames tanniques parvenant à des harmonies magistrales. Les dégustations aboutissent le plus souvent à des moments d’absolu bonheur et sont un hymne à l’art de vivre. Déguster des vins matures n’est pas à la portée de tout amateur, mais pour celui qui a la chance de « faire la rencontre » avec cette catégorie de vin à part, il n’en repartira plus. Chaque bouteille de la boutique Vins rares et vieux millésimes est expertisée par notre équipe avec le plus grand soin.

Une autre grande évolution est à venir... Vous la découvrirez très prochainement, mais nous vous en réservons la surprise. Illustrations Anaïs Lefebvre

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Grand format—Pionnier

Puisant dans sa connaissance intime du vignoble mondial, Xavier Vignon réalise en expert des assemblages méridionaux. Des cuvées sculptées dans la roche des Dentelles de Montmirail, à la créativité débridée !

l’alchimiste du rhône sud

Texte Véronique Raisin—Photos Olivier Metzger


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APLATS VERTS SUR FOND BLEU. La silhouette crénelée des Dentelles de Montmirail troue l’horizon et s’offre aux regards. C’est ce décor somptueux qui a arraché Xavier Vignon à sa Picardie natale et l’a soustrait aux chants des sirènes australes… C’était il y a plus de 25 ans et depuis, Xavier Vignon n’a toujours pas fait le tour de ce massif exposé tous azimuts, offrant aux forcenés, à travers son climat, ses cépages et ses orientations, une multitude de possibilités. Le garçon est un défricheur, un inventeur de génie, toujours en quête de son prochain sujet. Alors, pourquoi diable s’est-il sédentarisé sur ce bout de terre du Vaucluse, perdu entre chênes verts, oliviers et pins ? Lui qui avait tant la bougeotte, affectionnant les voyages au long court, les nouveaux espaces, les terres inexplorées ? L’histoire a commencé crânement. Ce fils d’un Compagnon du devoir, dernier maillon d’une lignée de tailleurs de pierre, a toujours aimé la science, la rigueur, la raison. La bonne chair aussi, apprise à la table maternelle, abreuvée de bons vins : l’art du bien vivre à la française.

Le cœur et la raison Pourtant, pas question de reprendre le flambeau familial et de se couler dans le moule. À lui les mathématiques, l’agronomie, la géologie. Son diplôme d’œnologue en poche, le jeune homme ne peut renier ses origines et s’astreint à un tour de France en guise de compagnonnage, encouragé par un grand-père à cheval sur la transmission. Une décennie s’ouvre alors à lui : il parcourt l’Hexagone côté vignobles et deux régions marqueront son esprit cartésien à jamais : la Champagne et Bordeaux. Mais le pays ne lui suffit pas. Il lui faut vivre intensé16—

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ment deux vinifications en une année : pendant sept ans, il récolte dans l’hémisphère nord au début de l’automne pour filer ensuite au sud. Nouvelle-Zélande, Tasmanie et Australie le forment aux grands volumes et aux méthodes modernes. En juin 1996, Chandon Australia lui fait les yeux doux et lui propose un contrat pour lequel il doit s’engager trois ans a minima ; une éternité pour celui qui a le voyage dans le sang. « Au moment de signer, j’ai paniqué. Il y avait une seule région en France que je ne connaissais pas, la vallée du Rhône. Je voulais y aller. J’ai reculé l’échéance et demandé un délai, promettant de revenir au début de l’année suivante. » En août 1996, Xavier Vignon arrive donc à Carpentras et trouve un poste d’œnologue conseil. Il a alors 27 ans. « J’ai été ébloui par la magie du paysage. J’ai aussi trouvé beaucoup d’écoute de la part des vignerons que je suivais et une plus grande liberté, que je n’avais pas forcément auparavant. » Surtout, dans ce Rhône sud encore balbutiant, connu presque exclusivement par son appellation reine Châteauneuf-du-Pape, il y avait tout à faire. Une terre vierge dans l’ancien monde. Un eldorado à explorer. « Sur quelques kilomètres carrés, je pouvais jouer avec 25 cépages, toutes les expositions possibles. Je faisais du sur-mesure ». Xavier Vignon mène donc tambour battant son activité de conseil en œnologie, avec succès. Ses amis le chambrent et s’interrogent ; comment peut-il se passionner pour ces « petits vins » de Cairanne, Beaumes-de-Venise, Gigondas ou Rasteau, lui à qui on faisait des ponts d’or en Australie ? Il décide de leur prouver que ce versant nord des Dentelles de Montmirail est une terre prodigue et vinifie en catimini quelques cuvées confidentielles. « C’était juste pour les copains, pour leur prouver le potentiel de ces terroirs

Ci-dessus, à droite : un Wine Globe. Page de droite : Xavier Vignon en plein assemblage devant un Vinarium®.


auxquels je croyais. Je vinifiais une cuve de 5 hectolitres, juste de quoi faire 50 cartons de 12 bouteilles ! ». De quelques essais pour la gloire, l’exercice devient un succès inattendu. Les récompenses affluent, le Guide Hachette salue la qualité des vins : il faut officialiser cette activité balbutiante de négociant assembleur et éleveur.

Une vision à la champenoise Les années ont passé, les affaires florissantes de Xavier Vignon se sont toujours accompagnées d’une démarche de création originale. « J’ai toujours voulu créer des assemblages, expérimenter, pas juste acheter pour revendre. » Pour ce faire, le Picard joue sans filet, sans aucun contrat d’approvisionnement. Ce qui signifie que d’une année sur l’autre, il repère et achète les raisins qu’il souhaite, sans aucune obligation vis-à-vis d’un viticulteur en particulier. Une liberté qui lui permet de pianoter sur la gamme des terroirs. « Je travaille à la champenoise. Cette façon de faire m’a beaucoup inspiré à mes débuts. Mes stages à Bordeaux aussi ont été décisifs sur cette question. » Ainsi, Xavier Vignon s’affranchit des codes, joue des millésimes et s’arroge la liberté – il en a le droit, à auteur de 85/15 – de mélanger les années sur une même appellation, conservant en stock des vins de plusieurs millésimes antérieurs, à la façon des « vins de réserve » de Champagne : la cuvée Réserve de Châteauneuf-du-Pape est ainsi un hommage à ces « réserves perpétuelles », réunissant trois millésimes. Cette latitude s’accompagne d’une vision novatrice, à rebours des schémas manichéens « négociant contre vigneron ». Ainsi de la série Arcane, où chaque cuvée est une expérience unique, éphémère, l’expression soit d’un millésime, d’un

cépage ou d’un terroir. Ou SM, pour « septentrional-méridional », moitié syrah du nord, moitié grenache du sud sur deux millésimes complémentaires, ou encore ce gourmand 100 %, un côtes-du-rhône réunissant l’intégralité des terroirs du sud de la vallée du Rhône ! Cette possibilité d’embrasser la totalité des appellations, de s’en affranchir parfois en passant sous la bannière Vin de France, lui offre la faculté de se renouveler sans cesse et surtout, de faire les vins qu’il souhaite – précis, frais, récoltés à maturité croquante pour plus de tension et de vibration. Xavier Vignon compose plus qu’il ne dispose, ajuste en fonction du millésime, mettant en exergue une année, un cépage en particulier ou au contraire un terroir, un lieu, des vignes anciennes coplantées. Dernier exemple en date : un châteauneuf-du-pape multi-millésime, vinifié en « blanc de noirs », soit le jus blanc de raisins noirs, comme le font les Champenois. « L’idée est de récolter moins mûr et de bâtonner, pour garder plus d’acidité et ramener de la matière ; il faut revenir aux méthodes à l’ancienne pour conserver la fraîcheur ! ». En cave, le travail est rigoureux et intense. Les élevages mêlent barriques, demi-muids, amphores, verre et béton dans une foisonnante quête de finesse et de fraîcheur, quand les températures plus chaudes et le changement climatique ont largement influé sur les maturités des tanins. Par ailleurs, la réflexion sur l’élevage a été poussée très loin, avec la volonté de faire vieillir le vin dans le milieu le plus favorable qui soit, à l’abri de l’oxygène. Cette atmosphère anaérobie protectrice est quasi impossible à atteindre : à chaque étape du processus de vinification (ouillage 1, soutirage, mise en bouteille), un peu d’air est forcément introduit. Xavier Vignon s’est mis en quête de l’élevage

1. Ouillage : action qui consiste à remplir régulièrement la barrique au cours de l’élevage pour que le vin ne s’oxyde pas par évaporation.

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absolu, aboutissant au « vin dans le vin » : un élevage unique au monde par l’immersion de barriques de 160 litres, conçues sur mesure avec des douelles épaisses, dans une cuve tronconique en bois. Ce procédé hors norme, extrêmement spectaculaire et il faut dire un peu fou, n’est pas une coquetterie : sans aucun échange avec l’extérieur, le vin demeure dans le milieu le plus équilibré qui soit, sans variation de température, de pression ou d’oxygène, ni même de tension électrique. « C’est un ouillage naturel, sans oxygène et par conséquent, le vin a beaucoup moins besoin de sulfites ! ». Le vieillissement est ainsi prolongé, les vins se gardent plus frais, plus longtemps. Le processus, mis en place dès 2012, s’illustre dans la cuvée Arcane Le Pape de Châteauneuf-du-Pape. Les projets de Xavier Vignon sont inépuisables, coulés dans l’audace et la nécessité de faire, chaque fois, un pas de côté. Dans trois ans sortira de terre un nouvel ensemble, Le Vinarium®, la concrétisation de son projet de réunir sur un même lieu une cave de vinification et un espace d’accueil et d’exposition culturelle. Forcément, le site choisi, le village perché de La Roque-Alric, est tourné vers les Dentelles, découpées en toile de fond. Ingénieux, l’œnologue a aussi repéré, près des fougères, une grotte qui reste à température constante de 12-14 °C à l’année et dont la chaleur servira de puits canadien pour alimenter la future cave, nichée dans le paysage, recouverte d’un toit végétal. Happé par le décor, Xavier Vignon s’y est immergé, presque fondu. Dernièrement, il a pu acquérir des vignes, un objectif longtemps jugé impensable – « je viens d’un milieu modeste, j’ai longtemps cru que cela serait impossible, je ne l’envisageais même pas. » Comme un cadeau récompensant ses 25 ans de dévouement au service de ce pays, le voilà

désormais à la tête d’une vingtaine d’hectares, dont les cuvées seront toutes vinifiées en immersion totale dans du vin. Les Dentelles de Montmirail sont pour lui plus qu’un terrain d’expérimentation : une raison d’œuvrer pour le climat et l’environnement. Une nature qu’il souhaite préserver et qu’il choie, pour laquelle il s’engage. Car l’homme est sensible, convaincu que l’action est le moteur suprême. Longtemps resté dans l’ombre des domaines qu’il conseillait, il accepte aujourd’hui de venir un peu à la lumière pour plaider des causes qui le touchent. C’est son projet de cœur : une nouvelle gamme de vins baptisée « L’esprit français », incarnant le savoir-vivre, le savoir-être et le savoir-faire hexagonal, au service de causes justes. D O M A I N E X AV I E R V I G N O N

Altitude / jusqu’à 450 mètres Terroirs / 1 000 parcelles sur le territoire des Dentelles de Montmirail Gamme / 30 cuvées différentes. Export / 70 %

—Arcane IX Gigondas L’Hermite Rouge 2016. Sélection de 25 parcelles, cépages rares (muscardin et picpoul noir) associés au grenache et à la syrah, immersion des barriques dans du vin : ce breuvage hors norme défie et honore l’appellation par sa finesse, son soyeux et son équilibre. Racines

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Grands formats—Bonne étoile

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Dans la cave la plus prestigieuse du monde Michel-Jack Chasseuil, le plus grand collectionneur de vins de la planète, nous a exceptionnellement ouvert les portes de son antre… Une visite privilégiée. Texte Véronique Raisin—Photos Yoann Stoeckel


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C’EST UN DÉDALE DE CAVES, un entrelacs de boyaux étroits et de salles plus vastes, où dorment des milliers de bouteilles toutes plus prestigieuses les unes que les autres. Égaré au milieu de la campagne poitevine, dans la minuscule bourgade de La Chapelle-Bâton, repose un trésor jalousement gardé : la collection de Michel-Jack Chasseuil. Cet intuitif, initié par Marcel Dassault, son mentor, s’est constitué au fil du temps une gigantesque collection ; plus de 50 000 bouteilles de vins et spiritueux, dont la plupart sont les dernières représentantes de leur millésime, et dont la cote est inestimable. Le butin est bien gardé, dans une forteresse digne de Fort Knox où l’on accède uniquement en montrant patte blanche. Réputé inviolable, le lieu a bien failli coûter la vie à son propriétaire, séquestré pendant de longues heures par 11 malfrats, en 2014 ; heureusement, l’histoire s’est bien finie, car les brigands n’ont jamais réussi à forcer l’entrée du précieux bunker.

Une intuition de génie En gants blancs pour ne pas risquer d’abîmer les étiquettes et de déprécier ces vins mythiques, Michel-Jack Chasseuil veille sur chacun de ses flacons comme sur une œuvre d’art. Pénombre, température de 10,7 °C et hygrométrie de 71 % très exactement garantissent la parfaite conservation de ces crus inestimables, accumulés depuis ses premiers salaires dans une cave située au sous-sol de la maison familiale. Né en 1941, ouvrier chaudronnier de formation et philatéliste invétéré, Michel-Jack Chasseuil fait toute sa carrière dans l’aéronautique chez Dassault, dont il gravit pas à pas les échelons. De rencontres en accointances et d’opportunités en achats, il constitue sa collection

avec une intuition peu commune, regroupant aujourd’hui les 140 meilleurs domaines viticoles du monde. Sur les conseils de Marcel Dassault, qui lui souffle que « tout ce qui est rare prend un jour de la valeur », il investit dès les années 1960, une époque où les prix des plus grands crus n’avaient pas encore atteint leur cote actuelle. « Quand j’ai quitté le groupe Dassault, à 47 ans, j’ai eu une prime de 10 000 francs. Mes collègues se sont offerts une thalasso à Hammamet, moi, j’ai acheté quatre caisses de Petrus 1982 ! ». L’homme a le sens du timing, de la formule aussi. Et se plaît à exhiber ses trophées. « Il n’y a pratiquement pas de vins à moins de 150 euros la bouteille, la plus chère, la RomanéeConti 1945, en vaut 500 000 », annonce t-il fièrement.

Des flacons inestimables conservés religieusement Visionnaire et chanceux, il a bénéficié d’une époque où les vins se négociaient encore facilement, notamment tous les premiers grands crus classés de Bordeaux, sans compter les étiquettes phare de Bourgogne. Et puis il y eut les amis, les rencontres, les échanges, au cours d’une vie très animée. Ainsi, chaque année, Alexandre de Lur Saluces, l’ancien propriétaire du Château d’Yquem, lui envoyait six bouteilles de son cru. Aujourd’hui, un siècle de millésimes repose en cave, dont le très rare 1921, avec en prime 1811 – d’une valeur de 100 000 euros – et 1847. Bien sûr, ce pactole attise les convoitises, de riches passionnés et d’autres collectionneurs. « Un jour, un Chinois est venu pour me racheter ma collection. Il m’a proposé 50 millions d’euros. Si j’avais eu 30 ans, j’au-

En haut à gauche : un magnum de Petrus 1947 ; en bas : un mathusalem de Cristal Roederer 2002.

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Comme à Lourdes, les plus pieux viennent en procession dans ce sanctuaire.

En haut : Christian Martray et Alaric de Portal avec Michel-Jack Chasseuil. Ci-contre : une bouteille de Marie Brizard 1912, avec ses paillettes d’or, très rare exemplaire rescapé du naufrage du Titanic. 24—

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rais accepté et roulé en Lamborghini toute ma vie », confesse-t-il, narquois. Mais il n’est pas question de la céder. « Est-ce que La Joconde est à vendre ? », s’exclame t-il. Ce sanctuaire attire du monde et comme à Lourdes, les plus pieux viennent en procession lorgner ces monstres sacrés de la planète vinicole. Tony Parker, le Prince Albert de Monaco, Brigitte Bardot, des hommes politiques français, des oligarques des pays de l’Est, tous veulent voir ces mythes : Champagne Salon, Ausone, Henri Jayer, Mouton-Rothschild, Lafite-Rothschild, Haut-Brion, tous les millésimes de Petrus depuis 1945, avec des mathusalems et impériales sur près de 10 millésimes, quasiment tous les millésimes de la trilogie Guigal (Landonne, Mouline et Turque), une caisse complète de Rayas par millésime jusqu’en 2000, Porto Quinta do Noval, avec principalement la cuvée Nacional… Un espace est aussi spécialement consacré aux liqueurs, un autre aux cognacs (Cognac Napoléon 1811), aux rhums et bien sûr, à la chartreuse : une pléthore de bouteilles, y compris la fameuse Tarragone, sont ainsi disposées sur des étagères dédiées. Michel-Jack Chasseuil les envisage… pour plus tard. « Quand j’aurai 90 ans, je boirai une chartreuse par mois. C’est un médicament universel. » Pour le moment, le collectionneur se contente de passer ses troupes en revue. Et quand on lui demande s’il ouvre de temps à autre une de ces prestigieuses bouteilles, il répond, laconique : « Je bois le côtes-du-rhône de Guigal à 10 euros tous les jours et le week-end, je bois le pomerol de mon fils, Feytit-Clinet », une propriété qu’il a acquise en 1978. « C’est l’œuvre de ma vie, concède t-il. Elle a pour vocation, je l’espère, de rentrer au Patrimoine mondial de l’Unesco. » Michel Chasseuil la transmettra un jour à son fils, par le biais de sa fondation. En attendant la postérité, les bouteilles continuent de vieillir patiemment.


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Le premier verre du reste de leur vie Trois personnalités du monde du vin racontent cette expérience intime, esthétique et sensorielle qui a transformé leur rapport au monde. « La Grange des Pères fut mon modèle. »

«Toutes les réponses à la vie se trouvent dans le vin. »

Dominique Hauvette

Alaric de Portal

Propriétaire du Domaine Hauvette / Provence

Directeur de Ventealapropriete / Paris

« À mes débuts sur le domaine, j’avais coutume de faire des virées dans le vignoble avec Éloi Dürrbach [propriétaire du Domaine de Trévallon et grande figure du terroir des Alpilles, décédé en 2021, NDLR]. Fin 1997, il m’a emmené chez un de ses anciens stagiaires, Laurent Vaillé [vigneron emblématique de La Grange des Pères, dans l’Hérault, décédé en avril 2021]. On a goûté le millésime 1997 sur cuves, ce fut une révélation : les rouges étaient tellement gourmands ! Contrairement à Éloi, dont je connaissais bien les vins, Laurent Vaillé égrappait ses raisins et cela faisait toute la différence, car ce qu’on a goûté ce jour-là était incroyable. Ce style si expressif a révolutionné mon approche. À partir de là, j’ai à mon tour commencé à égrapper mes raisins et à pratiquer des pigeages [opération qui consiste à enfoncer le chapeau de marc dans la cuve pour favoriser en douceur l’extraction des tanins et libérer arômes et couleur, NDLR]. La Grange des Pères fut mon modèle. Dans son sillage, j’ai souhaité faire des vins gourmands, aussi bien jeunes que vieux. Cette dégustation fut fondatrice dans mon parcours de vigneronne, cela m’a permis de me distinguer et je suis toujours une grande fan de La Grange des Pères. Aujourd’hui, je suis parvenue à emprunter cette voie différente, celle que je souhaitais, notamment avec le cinsault, que j’ai conservé et que je replante. Mais je m’inscris aussi dans une continuité, une histoire à laquelle je reste attachée et les vins que je réalise tissent ce lien avec l’avenir ; ils portent la vie à leur manière et prolongent le fil de mon engagement. »

« J’ai toujours cherché une réponse dans le vin, parce que c’est un produit culturel différent des autres. Je me souviens d’expériences quasi physiques qui m’ont éclairé à ce sujet. L’une d’elles en particulier : un magnum de moulin-à-vent Rochegrès 1990, du Château des Jacques, bu avec un pigeon. Ce soir-là, j’avais convié Laurent Vialette, un spécialiste des millésimes anciens et nous avions ouvert quelques belles bouteilles pour les associer au plat ; à la fin, aucun autre vin n’allait aussi bien que ce beaujolais qui écrasait tout, c’était l’évidence même, tout restait en suspens. Pour moi, le vin dépasse une étiquette, un nom, un millésime, si prestigieux soientils ; on doit trouver le sens qui se cache derrière et la quête devient alors infinie, c’est celle de toute une vie ! On plonge dans la passion, la découverte de soi, de ses émotions. Ma connaissance s’est approfondie par la dégustation des vieux millésimes, un exercice exigeant que l’on ne peut approcher qu’avec une certaine expérience. Plusieurs fois d’ailleurs, j’ai failli pleurer à la dégustation des vins de Lalou Bize-Leroy ou de Jacques Prieur. Ces vieux vins sont un continent entier qui demandent du temps pour que l’émotion parle. Avant cela, j’ai eu la chance d’accéder à de grandes bouteilles et surtout, d’être guidé dans ma quête de connaissance : les rencontres ont beaucoup compté, autant que les vins, notamment celles avec Michel Bettane puis Olivier Poussier. Ces personnes d’expérience m’ont permis de mettre des mots sur le fouillis de ma perception ; de petites lumières venues confirmer mon intuition. Il y eut aussi les vins de Bernard Bouvier,

Illustration HifuMiyo

qui portent une expression si singulière du pinot. J’en avais mis une caisse de côté pour les faire goûter à mon meilleur ami, afin qu’il comprenne mon ressenti. Parce que le vin est avant tout un partage, un lien aux autres. »

« Un bon vin, un accord parfait et le chef d’orchestre en personne : magique… » Sophie Couttet

Membre VIP+ de Ventealapropriete / Genève « La révélation est venue de déjeuners que mon mari et moi avions coutume de faire à l’Albert 1er, à Chamonix, des accords mets et vins en présence d’un vigneron. J’ai été particulièrement marquée par leurs chemins de vie, leurs parcours ; notamment celui de François Villard, cuisinier dans un hôpital et qui reprend quelques arpents de vignes, jusqu’à devenir aujourd’hui le vigneron qu’il est. Le vin servi dans mon verre ce jour-là a pris une toute autre dimension ! Accordé à merveille, avec le producteur en personne expliquant son histoire, ce fut un moment exceptionnel. Un bon vin, un accord parfait et un chef d’orchestre, c’est magique… En l’occurrence, Christian Martray [sommelier au Hameau Albert 1er, deux étoiles Michelin, de 2004 à 2013, NDLR]. C’est par ce biais que nous avons fait sa connaissance et que nous sommes devenus par la suite clients fidèles de Ventealapropriete ! Ces déjeuners ont modifié à jamais mes dégustations. À travers ces histoires, j’ai appris à apprécier différemment le vin. C’est comme cela que j’ai aussi pu déguster – et acheter – de grands noms tels Cheval Blanc, Yquem, Egly-Ouriet, mais aussi découvrir de nouveaux domaines, le Clos des Augustins en Pic Saint-Loup ou le Château Le Devay, en Collines Rhodaniennes. » V É RO N I Q UE RA I SI N / Racines

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Grand format—Défricheur

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l’empereur de corse À Figari, sur cette terre du bout du monde posée au sud de l’île, le vigneron a bâti sa légende. À force de volonté et de pugnacité, il a créé des vins identitaires et préservé un patrimoine unique. Une force d’âme toujours vaillante ! Texte Véronique Raisin—Photos Tiphaine Caro


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SUR CETTE TERRE DURE ET GÉLIVE, balayée par des vents permanents et adossée à la montagne, Yves Canarelli ne renonce à rien. Ni à ses vignes, ni à son histoire, ni à son terroir. Héraut de la préservation des cépages autochtones, pionnier de la culture en biodynamie, défricheur passionné et insatiable défenseur de l’identité corse, ce vigneron hors pair fait la fierté de son île. Car Yves Canarelli en est l’un des vignerons les plus respectés. Des débuts modestes, il y a 30 ans, pour reprendre les vignes paternelles. Et une émancipation cinq ans plus tard, sur une appellation confidentielle, Figari, encore sous les radars de la critique et des amateurs. Le talent du jeune homme qu’il est alors fait mouche immédiatement ; la biodynamie, les cépages anciens, la fraîcheur des lieux forment des cuvées à part, saluées pour leur finesse et leur caractère affirmé. En 1997, à la naissance de son fils, Yves initiait son premier millésime, plantait une oliveraie de 2 000 arbres et remettait au goût du jour quelque 40 variétés de cépages endémiques, dont le minustellu, le carcaghjolu neru et le bianco gentile. À ce titre, Yves Canarelli – tout comme Jean-Charles Abbatucci, à Ajaccio – fut l’un des précurseurs de la renaissance d’une tradition viticole corse connue jadis pour sa variété de cépages. Indissociable de Figari, un terroir d’arènes granitiques très particulier, coincé entre mer et montagne, cerné par l’Alta Rocca et le massif de l’Omu di Cagna, Yves Canarelli reste prophète en son pays. Le climat y est plus froid que sur le reste de l’île, plus venté aussi. « On a parfois des -5 °C l’hiver, mais aussi l’eau qui descend de la montagne et ce vent qui souffle abondamment » explique t-il. Cette spécificité n’a pas effrayé le vigneron, qui s’est converti au bio, dès 2002, animé avant tout par la quête de la qualité. « C’est Olivier Poussier qui m’a convaincu pour la biodynamie. » 30—

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En haut : Yves Canarelli et son fils, Simon-Paul ; en bas : un abri de pierres sèches ou baracun, sur Tarra di Sognu.


En 2006, le pas est franchi. « Dans un vin biodynamique, le ressenti et la vibration sont différents. Je l’ai moi-même expérimenté » témoigne Yves.

Des cuvées au sommet de la Corse En 2009, le domaine franchit un nouveau cap avec l’éclosion de deux nouvelles cuvées. La première, Tarra d’Orasi, est née sur une parcelle de vignes préphylloxériques, la seconde, Amphora, est vinifiée en amphores de terre cuite. Ces deux vins, fleurons de la gamme, offrent une résonance particulière. Orasi, classé en Vin de France, assemble 18 cépages sur un hectare, des vignes franches de pied plantées il y a plus de 150 ans, sources de sélections massales pour le domaine. Un vin ample, complexe, contant tous les parfums de la Corse ! En dégustant le rouge 2017, plus concentré que le 2018, Yves Canarelli exulte. « Si on irrigue, on modifie la tonalité du millésime. 2017 était une année de sécheresse, eh bien quand tu bois les vins, tu bois l’année ! ». Un respect total du raisin, de son environnement, qui pousse le vigneron à figer l’année et à la transcender par ses assemblages, ses expérimentations, ses terres. Amphora est une autre lecture du lieu : vinifiée sans ajout de sulfites, dans des amphores ouvertes, cette cuvée n’est pas suivie d’élevage. Il y a seulement la fermentation des raisins, puis un assemblage en cuves, donnant une large matière aux vins, blanc et rouge, forgés sur la densité et de beaux parfums épicés. L’essence même du raisin est là, l’ombre du vigneron, en retrait. « En 2012, j’ai débuté avec de la macération, mais cela gommait le goût du cépage. J’ai tout changé et je ne fais plus de macération. » Une volte-face empirique, comme les grands savent le faire. Enfin, en 2010, un autre projet voit le jour, Tarra di Sognu, porté par l’amitié qui le lie à Patrick Fioramonti, alors directeur et sommelier du Grand Hôtel de Cala Rossa. C’est à Bonifacio, cette fois, encore

Tarra di Sognu, un rêve éveillé En 2010, Yves Canarelli s’associe au sommelier Patrick Fioramonti pour mener à bien un projet baptisé Tarra di Sognu. Né sur cinq hectares situés sur le grand enclos calcaire de Bonifacio, le vin produit depuis 2016 confirme la naissance d’un premier grand cru corse, d’une tension minérale qu’on ne rencontre nulle part ailleurs sur l’île. Biodynamie, levures indigènes, cépages endémiques, élevage en foudres et demi-muids… Tout converge vers l’excellence.

un peu plus au sud. Il faut dire que cette enclave du bout du monde regardant la mer déroule un paysage à couper le souffle, cernée de murs de pierres sèches remontés à main d’homme. Un îlot de cinq hectares de calcaires repéré en 2010, défriché en 2013 et vinifié pour la première fois en 2016. Cette « terre du rêve » (tarra di sognu) semble un nouvel éden pour Yves Canarelli, le terreau d’une démonstration majeure, celle de prouver que tout au sud de la Corse, sur ces sols blancs balayés par les vents, il était capable d’exhumer un patrimoine végétal et de faire éclore un nouveau standard de cuvées parcellaires.

Les terres blanches de Bonifacio Ce nouveau grand cru de Corse, révélé par le talent et la pugnacité du vigneron, s’offre en rouge et en blanc, sous la mention Vin de France. Il est venu compléter une gamme déjà éloquente, entre le « petit clos » rouge et rosé, la cuvée domaine, et les cuvées parcellaires : Costa Nera, un 100 % carcaghjolu neru en Vin de France, réalisé depuis 2008, Alta Rocca, un pur sciaccarellu, la cuvée Amphora et Tarra d’Orasi. Racines

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Sur Tarra di Sognu, le calcaire est particulièrement dur, la terre peu profonde : une vingtaine de centimètres et l’on arrive sur la roche. « Avant, il n’y avait rien. On a voulu recréer l’âme de l’endroit. Pour cela, on a tout défriché et rendu au lieu sa configuration originelle », explique Yves Canarelli. Et d’ajouter, émerveillé : « Il y a des ondes géniales ici, c’est paisible. C’est la force du calcaire. Le granit, c’est différent, ça a plus d’impact. » Dans ce lieu bordé par la forêt et tombant dans la mer, enchâssé dans une végétation méditerranéenne variée, les anciens cultivaient déjà la terre. Les abris de pierre sèche, de forme circulaire, appelés baracun, portent la trace d’une activité humaine forcenée, où atteindre le lieu, déjà, comptait pour exploit. Yves Canarelli a l’ambition des plus grands vignerons de pousser toujours plus loin la résonance de leurs terroirs, de chercher, au-delà des cépages et des millésimes, des voies d’expression nouvelles, des chemins inexplorés ; à cela s’ajoute une conviction forte : l’urgence de préserver un patrimoine, de s’adapter à son environnement et au changement d’époque, en accompagnant sans cesse la vigne, sans la brusquer. Ainsi, sur ces hauteurs calcaires de Bonifacio, les cépages locaux (sciaccarellu, minustellu et carcaghjolu neru pour le rouge, vermentino, bianco gentile, genovese et carcaghjolu bianco pour le blanc) trouvent un écrin à leur mesure, continuant d’inspirer et de nourrir un vigneron insatiable et, aujourd’hui, son fils. Car désormais, Simon-Paul marche dans les pas du père, désireux comme lui de perpétuer ce patrimoine. « Je m’occuperai toujours du Clos Canarelli, bien sûr, d’autant que la nouvelle cave que je m’apprête à construire permettra de vinifier mes vins et ceux de Tarra di Sognu. » Mais le garçon n’a pas attendu qu’on lui dise quoi faire ; ce caractère jovial et sympathique s’accompagne d’une vision précise et compte bien faire un pas de côté pour imprimer sa marque. Sur ses terres, à quelques encablures de Tarra di Sognu, il envisage déjà les vins qui seront prochai32—

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nement produits ici, certainement pour le millésime 2026. « On finit de tout défricher, de remonter les murets et on plante en janvier », assure t-il. Les 10,80 hectares plantés sont forgés d’un calcaire un tout petit peu différent, moins dur et plus chargé en argiles que Tarra di Sognu. « On aura des vins un peu plus riches », poursuit-il. Son père n’est pas loin, admiratif du lieu et du projet. « Quoi de plus beau pour un vigneron que d’imaginer un projet et de le réaliser ? On rêvait de calcaires depuis toujours. On a cherché longtemps et puis on a eu cette opportunité. Je pensais au blanc, essentiellement, au début, et puis j’ai eu la surprise du rouge, c’est fabuleux ! ». Et de conclure : « Quand tu vois que tout ce que tu avais imaginé, tu le retrouves dans le verre, c’est magique. » CLOS CANARELLI

Exposition / Sud-est Culture / Biodynamie Superficie / 32 ha pour le Clos, 38 ha au total ; 5 ha pour Tarra di Sognu, 15 ha d’oliviers et 3 ha d’agrumes Terroirs / Granits pour le Clos ; calcaires durs pour Tarra di Sognu (vignes plantées en 2013) Cépages / Sciaccarellu, minustellu, carcaghjolu neru pour le rouge ; rimenese, bianco gentile, carcaghjolu bianco, genovese, vermentino pour le blanc

—Figari Rouge 2020. Emblème du domaine, ce vin d’assemblage (70 % de niellucciu) se livre avec finesse et caractère, sur un fruit noir, légèrement fumé, un beau grain de tanin et une grande persistance. Le premier né du Clos, en 1992.

En haut à gauche : l’équipe de Ventealapropriete avec Yves Canarelli, le 1er avril dernier.


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—Actualité

La Maison M. Chapoutier x Ventealapropriete

Un saint-joseph main dans la main Fidèles complices, le géant du Rhône et les membres du comité de sélection se sont penchés sur un assemblage exclusif, reflet de l’immense potentiel de l’appellation. Voici les coulisses de la naissance de cette cuvée unique réservée à nos membres. Texte Matthieu Perotin—Photos Félix Ledru Ci-contre : dans chacune de ces bouteilles, un concentré des terroirs d’excellence détenus par la Maison M. Chapoutier, à Saint-Joseph. Et un peu de l’esprit des Pilandiers, millésime 2020… Racines

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TÉNOR PARMI LES TÉNORS de la vallée du Rhône, la Maison M. Chapoutier a bâti sa réputation sur ses cuvées parcellaires. Dans cette approche radicale de la valorisation du terroir, tous les raisins cultivés en un lieu donné viennent alimenter une seule et même cuvée. Aucune entorse au tableau, du moins dans le cœur historique du vignoble familial, autour de Tain-l’Hermitage. Mais le sentiment, partagé avec l’équipe de Ventealapropriete, que l’appellation Saint-Joseph méritait un « ambassadeur » susceptible de démontrer son immense potentiel (lire l’encadré page de droite) a inspiré une autre approche... Déployées sur 60 kilomètres du nord au sud, les vignes de Saint-Joseph présentent une extraordinaire diversité de sols et de reliefs. La cuvée Les Pilandiers a été créée pour proposer une synthèse de ces expressions locales. « Il y a dans notre patrimoine des lieux-dits bien différenciés qui comptent parmi les plus qualitatifs de l’appellation », observe Damien Brisset, le directeur technique du domaine. « En les assemblant, nous avons les moyens de travailler sur une base d’une grande noblesse. »

Ajouter un chapitre à 2 500 ans d’histoire Si la démarche portée par Ventealapropriete a éveillé l’intérêt, c’est aussi parce que la première rencontre entre Olivier Poussier, Damien Brisset et Clément Bärtschi, œnologue et maître de chai de la Maison M. Chapoutier, a mis en évidence un parfait alignement des sensibilités. « Nous avons passé un long moment autour d’une carte géologique de l’appellation Saint-Joseph, nous avons parlé des terroirs et des productions des autres vignerons, de ce qui nous plaît et de ce qui nous plaît moins, confie Clément Bärtschi. De là s’est dégagée une 36—

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vision commune qui, aujourd’hui, guide nos choix. » Une vision à laquelle la dégustation confère la force de l’évidence. Dans sa version rouge, 100 % syrah, la cuvée Les Pilandiers 2019 est un vin aux arômes poivrés, campé sur une trame tannique serrée qui apporte fraîcheur et distinction. Son grand classicisme exprime la nature profonde des substrats granitiques qui l’ont vu naître. Même constat en blanc, où la marsanne conjugue vibration minérale et amplitude en bouche. « Certains domaines s’accomplissent en affirmant un style. Nous préférons nous mettre en retrait et nous inscrire dans le prolongement des 2 500 ans de viticulture qui ont fait l’histoire du nord de la vallée du Rhône », énonce Damien Brisset.

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Un regard qui enrichit l’expertise viticole Lorsque l’on interroge des partenaires venant de faire alliance, les « frottements » sont souvent invoqués comme une source de valeur ajoutée. Ventealapropriete et la Maison M. Chapoutier partageant spontanément les mêmes points de vue, en quoi réside la complémentarité de leurs apports ? Pour Clément Bärtschi, la réponse coule de source. « Olivier est un grand connaisseur des vins de la région. À force de déguster auprès des meilleurs producteurs de Saint-Joseph, il est capable de donner une lecture très fine de l’appellation via ses différents lieux-dits, mais aussi d’anticiper le comportement des vins dans le temps. Son regard nous enrichit de manière indiscutable. » Damien Brisset et Clément Bärtschi, pour leur part, connaissent sur le bout des doigts leurs parcelles et la manière dont les jus en cours de vinification et d’élevage traduisent leurs particularités. D’ailleurs, avant même de mettre Les Pilandiers sur orbite, ils avaient en tête les grandes familles qui pourraient trouver leur place dans le produit fini. Tout était donc réuni pour que la plus-value de l’assemblage soit au rendez-vous, en vertu de la règle qui veut que 1 + 1 = plus que 2. Pour élaborer le rouge 2020, les partenaires se sont appuyés, à hauteur de 50 %, sur une base provenant du bassin historique de la Maison M. Chapoutier, entre les communes de Mauves et de Sécheras. Le complément devait se distribuer entre cinq lots discriminants – autrement dit, des vins à la typicité forte – afin de pouvoir orienter le style de la cuvée en fonction des caractéristiques du millésime.

Hymne à la nature et à la gourmandise Le ballet silencieux des verres et des éprouvettes, la concentration recueillie des participants, l’enchaînement tambour battant des combinaisons... Pendant l’assemblage, c’est parfois la dimension un peu mécanique de l’exercice qui ressort. Le jour où Les Pilandiers rouge 2020 a pris corps fait exception. En reste le souvenir d’un moment de complicité lors duquel la célébration des grâces de la vallée du Rhône et des promesses de gourmandise qu’elles recèlent ont fait chatoyer les mots des dégustateurs. Il fallait entendre Olivier Poussier comparer la base issue du secteur de Chavanay (« sur le poivre de Sichuan et la violette ») à celle de Saint-Jean-de-Muzols (« plus sudiste, plus épicée, marquée par le graphite et l’olive noire »). Il fallait se représenter le plateau de Serrières tel que le décrit Damien Brisset, « un endroit magique pour la vigne, car son altitude et son orientation lui assurent une aération permanente ». Il fallait se réjouir avec Clément Bärtschi de la qualité de la récolte, qui permet de retrouver « les marqueurs aromatiques de la syrah plantée au nord de l’appellation, mais aussi un cœur de bouche bien dense et pulpeux ». Le troisième essai fut le bon avec, dans le rôle du je-ne-sais-quoi qui emporte l’adhésion, la petite proportion provenant de Chavanay. Olivier Poussier : « À 10 %, on avait un peu trop de rigueur, cela durcissait le vin. Sans rien, on manquait la dimension florale et le charme qui va avec ; 5 %, c’est le bon équilibre, avec un supplément de rectitude bienvenue. » Quand l’assemblage est pratiqué comme un art, c’est la magie que l’on trouve au fond de l’éprouvette. En attendant d’ouvrir la première bouteille !

Saint-Joseph, dans le sillage de Côte-Rôtie Créée sur mesure pour les membres de Ventealapropriete, la cuvée Les Pilandiers a été pensée en vue d’attirer l’attention sur une appellation dont les mérites ne sont pas encore pleinement reconnus. « À SaintJoseph, le niveau moyen est très élevé et il y a tout pour donner naissance à de très grands vins », souligne Alaric de Portal, le directeur de Ventealapropriete. « D’ailleurs, certaines zones de production pourraient tout à fait prétendre à un classement en premier cru. » Infatigable promoteur des richesses viticoles de sa région, Michel Chapoutier ne dit pas autre chose. « L’appellation est en train de décoller, explique-t-il. Le phénomène s’est déjà produit il y a 30 ou 40 ans avec sa voisine Côte-Rôtie. C’est le bon moment pour donner à voir et à boire ce qu’est un grand Saint-Joseph. »

01. Clément Bärtschi, œnologue et maître de chai de la Maison M. Chapoutier | 02. Damien Brisset, œnologue et directeur technique

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Tête-à-tête—

UN VERRE AVEC…

Marco Pelletier

Restaurateur, vigneron, patron d’une maison de négoce de vins rares, ambassadeur d’une marque de champagne… Le Québécois aime le vin plus que de raison.

Avec plus de 5 000 références à la carte de votre restaurant, Vantre, comment choisir la bouteille du jour à partager ?

S’intéresser à ce que les gens ont envie de déguster, c’est une question de principe. Ce n’est pas à moi d’imposer ou d’orienter. Donc, qu’est-ce que vous auriez envie de boire ? Un joli blanc qui sort des sentiers battus, peut-être ?

O.K., donc un blanc sur le fil du rasoir, frais, avec de l’énergie, de la tonicité. Je vais vous proposer une bouteille exceptionnelle. Un domaine de 3,5 hectares en Alsace, celui de Pierre Weber. Nous sommes à Husserenles-Châteaux, à côté de Colmar. On bénéficie de la fraîcheur, avec des parcelles 50 % grand cru et 50 % village. Le vigneron cherche l’équilibre parfait. Les trois-quatre jours de macération enlèvent le côté variétal du 38—

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riesling et apportent un toucher de bouche sans trahir l’ADN des vins assez verticaux de l’Alsace, avec ce côté très tonique. Je sais que ce n’est pas la région qui a la cote aujourd’hui, à tort. Une nouvelle vague de vignerons revient à un peu de macération, comme ce que faisaient leurs grands-parents.

Cette expérience vous a fait côtoyer l’élite des bouteilles…

Quels sont vos goûts personnels ? À mon arrivée

Côtoyer le plus cher, c’est vrai. Côtoyer le meilleur, je suis loin d’être convaincu. Le meilleur, c’est ce qui nous convient. Le seul argument d’un grand vin, c’est le fait qu’il soit en adéquation avec son terroir et la gueule du vigneron qui le fait.

Cette bouteille est vendue combien chez vous ?

Vous êtes un ambassadeur de l’expression des micro-territoires, comme cela se pratique en Bourgogne ? Oui, mais j’irais

en France, dans les années 1990, c’était le début des vins en surmaturité, assez sucrés. Quand on commence à goûter du vin, on aime ces vins faciles. C’est plein, caressant en bouche. Des vins rouges avec un peu de matière, un peu de texture. Puis on s’oriente naturellement vers un vin un peu plus fin, plus élégant. Et on termine par boire à 80 % du vin blanc, car il est beaucoup plus catalyseur de terroir. J’adore le vin rouge, mais le vin blanc est plus caméléon. Mais il y a beaucoup plus de vins blancs médiocres que de vins rouges, un peu plus « passepartout ». Les vins blancs ne tolèrent pas la médiocrité.

46 euros. Méga-pétard, mais méga-démocratique : c’est ce qu’on a envie de défendre avec mon sommelier Michael [Engelmann, ndlr], qui a travaillé 17 ans à l’étranger et a été élu, en 2009, meilleur sommelier des États-Unis. Ensemble, on a visité 150 domaines pendant le confinement ! Quand il nous a rejoints, nous avons ouvert un vin mythique que nous défendons depuis très longtemps, un Clos Juliette 74. Une des plus grandes bouteilles au monde [appellation jurançon, ndlr] ! Votre restaurant Vantre se trouve dans l’est parisien, loin du Triangle d’or, où se situe Le Bristol, le palace où vous avez travaillé des années comme sommelier...

Et je me sens 10 fois mieux qu’avant ! Les palaces vous demandent surtout de vendre des bouteilles chères. Si vous commencez à faire la promotion de la roussette de Matthieu Goury, du Domaine de Chevillard, qui vaut 15 euros départ propriété, le financier va vous tomber dessus en fin de mois ! C’était une très bonne expérience, mais ultra-contraignante sur le plaisir et l’envie de démocratiser le vin.

encore plus loin. Car malheureusement, la Bourgogne s’homogénéise. Les prix du foncier font que beaucoup de domaines sont rachetés par des « gros », qui peuvent diluer l’authenticité des vins. Et la tarification des vins de Bourgogne fait que la prise de risque n’est plus la même que quand on vendait les bouteilles 15-20 euros. Qui va faire aujourd’hui cinq jours de macération pelliculaire sur un bâtard-montrachet ? Personne ! Vous mettez en avant des appellations ou des territoires moins prestigieux. Tout aussi

prestigieux, mais moins connus ! Jura, Savoie, Auvergne… ou le Roussillon, qui arrive à faire des vins à 12,5° en adéquation avec son terroir, loin de l’image des vins en surmaturité de la région, bien riches, à 15-16°. Comment travaillez-vous avec la cuisine de votre chef, Masaki Nagao ? Le vin ne doit

pas être en compétition avec la nourriture, il doit rester un breuvage. Je cherche des vins maîtrisés, avec un fort coefficient de buvabilité.

Vous vinifiez avec votre vin de jardin, le Domaine de Galouchey… Nous avons

commencé avec 0,94 hectare pour un peu plus de 3 hectares aujourd’hui. Nous sommes voisins, à Bordeaux, avec la famille Michel Gonet. Il y a une dizaine d’années, il m’a demandé de me pencher sur ce qu’il appelait « la belle endormie de la Champagne ». J’étais O.K., mais si on recommençait tout à zéro. Nous avons changé l’image du domaine, sa viticulture, embauché un chef de cave et réduit les rendements. On ne vend quasiment plus au négoce et les 230 000 bouteilles produites sont toutes sur allocation – la cuvée 3 Terroirs est d’ailleurs vendue par Ventealapropriete. BORIS CORIDIAN /

—Vantre, 19, Rue de la Fontaineau-Roi, 75011 Paris (vantre.fr).

Ci-contre : Marco Pelletier, une bouteille de la cuvée Le Blanc (Vin de France) de Pierre Weber à la main

Photos Julien Lienard


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nos atouts cœur

Voici certaines des cuvées préférées du comité, nos best-sellers qui, millésime après millésime, vous ravissent et gravissent les palmarès.

Domaine du Clos des Fées Côtes du Roussillon Villages, Cuvée Vieilles Vignes, rouge, 2019 (24,99 €)

— Hervé Bizeul est un vigneron opiniâtre qui s’escrime sur ces rudes terres du Roussillon. Fouettés par les vents, encadrés de hautes montagnes – celles de la Vallée de l’Agly –, ces terroirs argilo-calcaires sont un eldorado pour le grenache et la syrah. Il y forge des vins d’une sincérité remarquable, reflets fidèles de l’ambivalence des lieux, entre force et fraîcheur. C’est pourquoi nous aimons tant cette cuvée qui rassemble les plus vieilles vignes du domaine, âgées de 50 à 100 ans, à dominante de grenache noir. Notée 97/100, c’est l’un des coups de cœur du comité, qui apprécie ses splendides notes de pivoine, de violette, de lardé-fumé et sa trame d’une maturité parfaite, racée, profonde, avec des tanins veloutés, de la fraîcheur et de la persistance. En somme, un concentré de Roussillon !

Champagne Devaux Cuvée Sténopé, blanc, 2012 (75 €)

Fruit d’une collaboration entre la Maison Veuve A. Devaux et Michel Chapoutier, cette cuvée parcellaire est née d’une volonté commune de créer un champagne millésimé qui soit la photographie exacte d’un terroir et d’une année – le sténopé étant un dispositif optique très simple utilisé au tout début de la photographie. Grand amateur de champagne et possédant quelques parcelles sur l’appellation, Michel Chapoutier a bien sûr apporté sa patte et son expérience, tant au niveau de la sélection parcellaire que de la vinification sous bois, avec une partie de fûts neufs 40—

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en provenance des merrains des forêts de Champagne et d’Ardennes. Cinquième opus de la gamme, le 2012 est une sélection des meilleures parcelles du vignoble Devaux, du nord de la Montagne de Reims jusqu’à la Côte des Bar, sur les vignes les plus âgées et les mieux exposées. Un champagne large et puissant, étiré par des amers saillants, voué à la table avant tout !

Domaine de la Chevalerie Bourgueil, Galichets, rouge, 2014 (15,50 €)

Valeur refuge de Bourgueil, ce domaine a toujours eu notre préférence, enflammant le cercle des amateurs par ses cuvées de longue garde où le cabernet franc rayonne comme jamais. L’ensemble du vignoble, soit 33 hectares uniquement plantés en rouge, est désormais conduit en biodynamie. La famille Caslot le gère avec douceur et sensibilité, ornant des matières denses d’une tension et d’une fraîcheur hors pair ; des vins exprimant toutes les nuances de ces sols de sables, d’argiles et de calcaires, illustrant merveilleusement la fine austérité froide du cépage dans une texture de grande suavité. À l’image de cette cuvée délicate, qui transcrit à la perfection l’éclat crayeux du tuffeau et épouse pleinement son terroir dans un registre gourmand et hautement fédérateur. Voici sans conteste le genre de trouvaille qui nous fait vibrer et que nous aimons partager.

Domaine des Marrans Fleurie, Clos du Pavillon, rouge, 2019 (17,90 €)

Nouvel acteur d’un Beaujolais triomphant qui n’en finit plus d’aligner les pépites,

Mathieu Mélinand est revenu sur les terres familiales en 2008 pour y cultiver les 20 hectares de gamay (adjoints de 50 ares de chardonnay uniquement). Campé sur quatre crus – Morgon, Fleurie, Chiroubles et Juliénas –, il y déroule une viticulture inspirée, sans rudesse, poursuivant en cave cet éloge de la douceur, à grand renfort de levures indigènes et d’élevages en foudres favorisant l’aération des vins. D’où des matières peu extraites, sereines et très plaisantes dès leur jeunesse, comme ce fleurie béni, salué par Olivier Poussier, qui relate un jus friand, aimable, aux notes de cerise noire, d’épices, de violette et de fraise au sucre, animé par une fraîcheur désaltérante qui équilibre une matière à la fois consistante et délicate. Un fleurie très accessible en somme, parfaitement mûr et gourmand, à découvrir en priorité.

Domaine Yves Cuilleron Côte-Rôtie Madinière, rouge, 2020 (44,90 €)

— Est-il encore utile de présenter Yves Cuilleron ? Héraut du Rhône nord, bien ancré sur les terroirs de CôteRôtie, aux manettes du domaine familial depuis 1987, cet inconditionnel de la syrah porte haut une appellation très prisée. D’un dynamisme enthousiasmant doublé d’un talent incroyable de vinificateur, Yves Cuilleron fait toujours la course en tête, ses vins trônant invariablement parmi les plus grandes réussites de la région. À la tête de 90 hectares, il produit une large gamme en Saint-Péray, Condrieu, Saint-Joseph, Côte-Rôtie et Cornas, des vins solides et d’une réelle finesse, nourris d’élevages longs. Profitez de cette côte-rôtie ample et fraîche, incontournable de l’appellation, que nous plébiscitons à chaque millésime : c’est aussi cela le talent, la régularité.


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Ludovic Archer IGP des Allobroges, Cuvée Minor Swing, rouge, 2020 (29,95 €)

— Installé sur les pentes de Chignin et les éboulis calcaires de Montmélian, Ludovic Archer rebat les cartes de la Savoie et propulse ses cuvées tout en haut des palmarès. Ingénieur reconverti, il cultive en bio 2,5 hectares adossés au Massif des Bauges pour livrer huit cuvées qui explorent un millième de la superficie des Alpes ! Travail entièrement réalisé à la main, rendements contenus, maturité parfaite des raisins, macération des rouges en grappes entières, pressurage lent des blancs, élevages sans bois neuf : tout est étudié pour conduire des matières douces, respectueuses du fruit, intègres. Notre comité ne s’y est pas trompé, reconnaissant un talent émergent et prenant toute sa part à cette réussite, comme avec cette rayonnante cuvée d’assemblage. Convoquant mondeuse, persan et douce noire, Minor Swing cultive un style original et hautement gourmand. C’est un rouge mûr, frais et intense, au volume impressionnant, avec les accents fumés de la mondeuse, un fruit dense, remarquablement porté par un élevage en cuve et en barrique sans bois neuf. Quelle pureté de vin !

Domaine Gueguen Chablis 1er Cru, Vosgros, blanc, 2020 (22,90 €)

— Ce sont les nouveaux chouchous de Chablis. Céline et Frédéric Gueguen ont créé leur domaine en 2013. Des nouveaux venus ? Pas tout à fait, puisque Céline

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n’est autre que la fille de Jean-Marc Brocard et qu’elle officiait jusqu’alors sur le domaine familial, tout comme son mari Frédéric. Désormais « chez eux », les voilà traçant un chemin parfait au cœur de l’Yonne, avec ferveur et enthousiasme. Prisé des amateurs, leur domaine atteint un très haut niveau, avançant de surcroît des tarifs parfaitement alléchants. Des chardonnays ciselés, percutants d’énergie et de précision, des rouges fruités et enjôleurs forment une gamme où puiser inlassablement. Comme sur les plus beaux terroirs de Chablis, où le couple possède deux grands crus (Bougros et Les Preuses) et trois premiers crus. Dont ce Vosgros affolant de plaisir, à la fois riche et frais, posé en haut de coteaux, dans un amphithéâtre, tout au sud de l’appellation. Un rapport prix-plaisir diablement séduisant.

Château Fleur Haut-Gaussens La Bergeronnette, rouge, 2018 (14,99 €)

Qui a dit que Bordeaux était passé de mode ? Certainement pas nous, qui défendons ce vignoble en pleine renaissance, réservoir de pépites. Car à l’ombre des grandes étiquettes se nichent de valeureux vignerons qui ne manquent ni de talent ni d’enthousiasme et forgent des cuvées toujours d’un rapport prix-plaisir indiscutable. Sur la Rive Droite, près de Fronsac, Hervé Lhuillier a hissé son bordeaux supérieur au sommet des marques « plaisir » ; soit un vin profond, authentique, à l’élevage soigné sans outrance. Distingué d’une étoile par la Revue du vin de France, cette propriété modèle s’invite régulièrement dans les palmarès des adresses incontournables de Bordeaux : ne manquez pas ce pur cabernet franc, au fruit profond et aux tanins crayeux. Un coup de cœur absolu !

Montenidoli Vernaccia di San Gimignano Carato, blanc, 2018 (35,99 €)

C’est à San Gimignano, l’un des plus beaux villages du pays, au cœur de la Toscane, qu’Elisabetta Fagiuoli, 84 ans, résiste au temps et continue d’éprouver son talent sur son domaine de Montenidoli. Elle y conçoit des vins de « vérité », selon ses termes, depuis 1965, lorsqu’elle a repris plusieurs parcelles en friche et établi les bases de son vignoble actuel. Son adoration pour la Bourgogne se lit dans ses cuvées et la filiation devient évidente lorsque l’on saisit toute la finesse et la complexité sculpturale de chacun de ses vins. Elle a ainsi révélé les grands terroirs de Toscane et fait chavirer le cœur des amateurs par l’émotion qu’ils suscitent, dont ce blanc fantastique, signant un univers baroque peu commun avec ses notes mellifères, d’acacia et de cire, signes d’une oxydation ménagée. Un vin extrêmement racé qui ne laissera personne indifférent.

Domaine Denis Jeandeau Pouilly-Fuissé Vieilles Vignes, blanc, 2020 (27,90 €)

— Personne ne résiste à Denis Jeandeau ! Ce vigneron à la joie de vivre débordante et au sourire ravageur n’en finit plus de nous séduire. Quel chemin parcouru depuis ses débuts, en 2000 ! Et pourtant, il ne possède qu’un hectare de vignes sur Viré-Clessé, qu’il complète par quatre hectares en achats de raisins auprès de partenaires rigoureusement choisis. Désormais, tous les chefs étoilés Racines

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accourent, heureux de mettre ses vins à leur carte. Avec une volonté d’acier, une indéfectible rage à tutoyer l’excellence, Denis Jeandeau s’est forgé une solide réputation, investi d’une mission en terres mâconnaises, celle de traduire ces sols calcaires, riches en argiles et en fer, en des vins fins et exaltants. Ainsi vinifie t-il en appellations Viré-Clessé, Saint-Véran et Pouilly-Fuissé, sélectionnant des raisins au cœur des meilleures parcelles, comme sur le prestigieux site naturel de Solutré-Pouilly-Vergisson. William Kelley, du Guide Parker, s’enthousiasme à son propos : « Ce sont des vins précis et élégants qui bouleversent les stéréotypes du Mâconnais sur l’onctuosité et la corpulence. » À l’instar de la cuvée emblématique du domaine, un chardonnay tranchant et incisif, porté par un bel élevage sous bois. Chapeau l’artiste !

Clos Cibonne Château Cibon, rosé, 2018 (35 €)

Maîtres du tibouren, Brigitte et Claude Deforges préservent amoureusement ce cépage étonnant sur leur vignoble du Clos Cibonne. C’est en effet une variété qui a (presque) tout pour déplaire ! Précoce, sensible aux maladies, n’aimant que le schiste et produisant peu, ce vieux plant provençal venu de Mésopotamie et introduit par les Romains deux siècles avant notre ère a vite disparu de la circulation. En Provence, il n’occupe que 2 % des surfaces produites. Mais au Clos Cibonne, c’est lui le roi ! Cette adresse précieuse, dont nous vous avons longuement parlé dans notre magazine, ravit les amateurs et les gastronomes, qui découvrent ici, au-delà des poncifs méditerranéens, la palette de nuances que peuvent endosser ces vins. Ce rosé s’en fait l’ardent défenseur ; c’est une cuvée coup de cœur d’Olivier Poussier, notée 95/100, qui joue de toutes les finesses du cépage entre 42—

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épices, safran, orange confite, vermouth… Cette étonnante richesse aromatique se double d’une étoffe exceptionnelle, grâce à un élevage long sous bois, formulant un vin plein et de grand caractère.

Domaine Les Hautes Cances Cairanne, blanc, 2019 (9,99 €)

Le terroir de Cairanne est un cru du Rhône sud hautement prisé. Repris par la famille Amadieu en 2019, ce domaine modèle de 18 hectares ne compte qu’une infime part de blanc – grenache, roussanne, clairette, viognier, bourboulenc – propice à l’élaboration de cette cuvée très complète, saluée d’un coup de cœur du comité. Les parcelles en terrasses, sur des sols de cailloutis, d’argiles et de sables fins, apportent finesse et équilibre au vin, auquel la touche de viognier donne du dynamisme et du relief aromatique. Encore une valeureuse adresse du Sud au rapport qualité-prix indiscutable.

Domaine Chiroulet Côtes de Gascogne, Terroir Gascon, rouge, 2020 (7,99 €)

Initialement consultant pour Seguin-Moreau, Philippe Fezas a ajouté une corde à son arc et est devenu vigneron. C’était en 1995, lorsqu’il a repris les vignes familiales en prenant le parti de réaliser des vins d’expression distribués sur les belle tables. En pleine terre gasconne, dans un Gers viticole ignoré des radars médiatiques mais bien connu des amateurs d’armagnac – en pleine Ténarèze –, il s’est attelé à la reconnaissance de ces terroirs précieux, à

rebours d’une production de volume. Les deux coteaux de son vignoble, regardant les Pyrénées, sont une variation de sols entre argiles fines et calcaires. Une terre propice aux vins blancs, certes, mais également aux rouges ! Armé de son expertise en matière d’élevage, Philippe Fezas a trouvé l’adéquation parfaite entre sols et cépages. Désormais conduit en agriculture biologique, le vignoble livre ainsi de fabuleux trésors, à l’image de ce charmant rouge à base de merlot, cabernet franc et tannat, conciliant un fruit séduisant et abondant, une texture charnue encadrée de tanins fins.

Domaine Vincent Carême Vouvray Sec, blanc, 2020 (14,90 €)

Modèle de rigueur et de régularité dans une appellation foisonnante, Vincent Carême a instauré, à Vouvray, un nouveau standard de qualité. Le vigneron fait désormais partie des ténors de l’appellation et toutes ses cuvées méritent qu’on s’y attarde. Ses 22 hectares de chenin, conduits en agriculture biologique depuis 2007 avec des traitements biodynamiques, livrent des raisins sains et éclatants, prémices à des vins tendus et complets, de style sec généralement (et de plus en plus). Ils se partagent entre deux terroirs principaux, l’un sur des sols d’argiles à silex, l’autre sur des calcaires où les vignes se développent en coteau. Millésime après millésime, Vincent Carême affine son style et nous sommes ravis de constater qu’il repousse sans cesse les limites de la rigueur, offrant à chaque fois des vins toujours plus complets et plus brillants. Purs, précis et lumineux, d’un grand rapport prix-plaisir, ils figurent parmi les crus vedettes de la Loire, dommage que la demande soit si grande ! Ce 2020, noté 94/100 par Olivier Poussier, illustre toute l’étendue de son talent ; un maître-étalon pour toute une appellation.


—Ailleurs

Fantastique Mexique La géographie de ce pays offre une diversité de cultures qui donne naissance à autant de spiritueux, aux déclinaisons de saveurs et couleurs multiples. LA PLURALITÉ des productions repose ici sur un socle commun pétri d’histoire. « Peu de temps après l’arrivée des Espagnols, au XVe siècle, les conquistadors enseignèrent la technique de distillation aux autochtones. On se mit à tout distiller, mais cela nécessitait alors un travail spécifique de la matière première, à l’origine d’une véritable évolution agricole et culturelle dans le pays », explique Alexandre Vingtier, expert en spiritueux et auteur de 151 Rhums (Dunod, 2022).

– à l’ouest de Mexico, à 2 000 mètres – est historiquement producteur de charanda rum, issu de la double distillation de la canne à sucre cultivée à 1 250 mètres d’altitude, sur un sol volcanique rouge, riche en minéraux. Ces conditions favorisent la naissance de rhums secs uniques au monde. La famille Pacheco, à la tête de Casa Tarasco, l’une des six distilleries qui subsistent aujourd’hui dans l’État, pérennise ce savoir-faire depuis plus d’un siècle.

Quand l’agave se mue en mezcal

L’iconique maïs devient whisky

Cette succulente aux longues feuilles pointues et épaisses pousse dans les régions arides. Sa sève, si on la laisse fermenter, devient du pulque, à l’origine du mezcal et de la tequila (el tequila, en espagnol). Si le premier peut être produit à partir d’une trentaine de variétés d’agaves différentes – la plus communément utilisée étant l’espadin – la tequila n’est produite qu’à partir de l’agave bleu. Comme le précise Alexandre Vingtier, « la tequila est finalement un mezcal qui a bénéficié d’une reconnaissance ». Chez Lokita, pépite de la production artisanale, le maître distillateur opère une sélection minutieuse d’agave bleu répartie dans différents terroirs – les sols argileux du sud, pour le profil minéral, et les hauteurs de l’État de Jalisco, pour le fruit subtil – afin de produire des tequilas à l’équilibre parfait. Pour les mezcals, il compose à partir d'une palette de variétés d’agave, qui sont une ode au temps long : espadin, tobala, madrecuishe ou tepztate, qui nécessitent de patienter respectivement 8, 12, 14 et 20 ans avant d’être récoltées. Le résultat est d’une grande élégance.

Céréale mexicaine par excellence cultivée pour la première fois vers 5 500 avant J.-C., le maïs irrigue tout l’art de vivre du pays, notamment culinaire, avec la fameuse tortilla. Si la variété de maïs est fondamentale, une étape l’est aussi dans la confection de ces galettes : la nixtamalisation. Ce terme d’origine nahuatl – la langue des Aztèques, toujours parlée – est composé de nextli (cendres) et de tamalli (farine de maïs moulu). La recette ancestrale consiste à faire tremper les grains, puis à les cuire dans une solution alcaline – avec de la chaux – afin de les transformer chimiquement pour préparer une pâte souple. C’est ce même principe, traditionnel et unique, qui est utilisé par la toute première distillerie de whisky mexicaine créée à Jilotepec de Abasolo, à plus de 2 000 mètres d’altitude, par Iván Saldaña, grande figure des spiritueux mexicains. Il l’applique à une variété de maïs autochtone et ancestrale, sans OGM, identifiée pour son fort potentiel aromatique, le cacahuazintle. De cette méthode exclusive – qui le distingue fondamentalement du bourbon – naît Abasolo, un whisky 100 % mexicain d’une grande finesse, aux notes singulières de maïs grillé, de cacao, de vanille, de miel et de cuir. Unique.

Canne à sucre et rhum culte Coupant le pays en deux, des chaînes de montagne placent certaines régions à très haute altitude. L’État du Michoacán

JOËL LACROIX /

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Photos Sébastien Dubois-Didcock Réalisation Audrey Cosson

l’été rime avec

rosé

Cette couleur de vin se décline en une pluralité de teintes, profils et saveurs selon les régions, les cépages et les méthodes de vinification. Les associations sont multiples, comme dans ce menu estival et coloré en cinq temps.

ROUGETS GRILLÉS SAUCE ESCABÈCHE CHÂTEAU SIMONE, LES GRANDS CARMES 2018 + Pour 4 personnes Préparation / 30 min Cuisson / 20 min 4 rougets vidés et grattés par votre poissonnier, 2 c. à soupe d’oignons rouges en pickles. Pour la sauce : 1 carotte jaune et 1 blanche, 1 branche de céleri, 1 gousse d’ail, 1 oignon doux, 2 tomates anciennes (Green Zebra et cœur de bœuf), 4 cl de vinaigre de cidre, 10 cl de vin blanc, 1 bouquet d’estragon, 15 cl d’huile d’olive, fleur de sel, poivre du moulin.

Préparez la sauce escabèche : épluchez les carottes et découpez-les en petits dés. Coupez également la branche de céleri en tout petits dés. Hachez finement la gousse d’ail et l’oignon. Coupez en petits dés les tomates en retirant le cœur. Épluchez et ciselez l’oignon doux. ↗ Dans une poêle, faites chauffer 2 c. à s. d’huile d’olive et faites revenir l’oignon jusqu’à ce qu’il devienne translucide. Ajoutez les dés de carotte, de céleri et l’ail haché. Faites revenir à feu doux pendant 10-15 min. ↗ Ajoutez le vinaigre, le vin blanc, le reste de l’huile d’olive, l’estragon, salez et poivrez. Portez à ébullition pendant 2 min.↗ Retirez du feu et laissez refroidir dans un saladier. Ajoutez enfin les dés de tomates. Réservez au frais. ↗ Faites griller les rougets au barbecue, sur un gril ou à la plancha entre 3 et 5 min de chaque côté en fonction de leur taille. Servez les rougets recouverts de la sauce escabèche et parsemés de pickles d’oignons. L’accord Dans une harmonie totale de fruits à noyau, framboise, cerise et épices, ce rosé intense et lumineux est au diapason des saveurs relevées du plat. Une alliance à la fois nerveuse et délicate. —45


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TAJINE D’ÉTÉ D’AGNEAU + CHÂTEAU DE MANISSY TÊTE DE CUVÉE ROSÉ 2019 Pour 4 personnes Préparation / 30 min Cuisson / 1h30 1 kg d’épaule d’agneau désossée 2 gousses d’ail, 2 oignons doux 1 c. à café de paprika, 1 pincée de piment doux 1 c. à café de cannelle, 1 citron confit 20 olives vertes non dénoyautées 5 tiges de thym 1 l de bouillon de légumes 1 grosse aubergine ou 2 petites 10 belles figues, 20 g de beurre 6 c. à soupe de miel 4 c. à soupe d’huile d’olive Fleur de sel, poivre du moulin

CARPACCIO DE MAIGRE + DOMAINE GAVOTY, GRAND CLASSIQUE 2021 Pour 4 personnes Préparation / 20 min Le jus et le zeste d’1/2 citron bio non traité 3 c. à soupe d’huile d’olive 1 c à café de piment d’Espelette Quelques feuilles de tagète 4 filets de maigre 4 abricots bien mûrs Fleur de sel, poivre du moulin

Préparez la marinade en mélangeant le jus de citron, l’huile d’olive, le piment d’Espelette, les feuilles de tagète, du sel et du poivre. Réservez. ↗ Découpez les filets de maigre en fines 46—

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tranches. Réservez au frais le temps de préparer le reste de la recette. Coupez les abricots en quartiers très fins. ↗ Pour le dressage : dans des assiettes, disposez les tranches de maigre sur l’ensemble de la surface en les faisant se chevaucher légèrement. Répartissez les quartiers d’abricot (l’équivalent d’un abricot par personne). ↗ Enfin, versez la marinade afin de recouvrir tout le poisson. Saupoudrez de zestes de citron et de quelques feuilles de tagète supplémentaires. Dégustez très frais. Si vous ne trouvez pas de feuilles de tagète, remplacez-les par de la verveine, ou de la mélisse, ce sera tout aussi délicieux. L’accord Finesse et pureté se déclinent autour

de notes fraîches de pamplemousse et de fruits des bois. Un rosé enjoué et fringant qui répondra à la saveur épicée de la recette.

Découpez l’agneau en gros cubes d’environ 60 g chacun. Salez et poivrez-les sur toutes leurs faces. Épluchez les gousses d’ail. Épluchez et émincez les oignons. ↗Faites chauffer 1 c. à soupe d’huile d’olive dans une cocotte ou un plat à tajine et faites-y dorer les cubes d’agneau sur toutes leurs faces. Retirez l’agneau et versez à la place les oignons et les épices (paprika, piment doux et cannelle). Faites-les revenir jusqu’à ce qu’ils deviennent translucides et faites dorer encore 5 min. Remettez l’agneau dans la cocotte, ajoutez le citron confit coupé en morceaux, les gousses d’ail, les olives, le thym, versez du bouillon à hauteur, salez et poivrez. ↗ Couvrez et laissez mijoter à feu doux pendant 1h30, la viande doit être tendre. Si vous utilisez un plat à tajine, placez au four à 160170 °C pendant le même temps. ↗ Découpez l’aubergine en rondelles d’1 cm d’épaisseur. Faites chauffer 3 c. à soupe d’huile d’olive dans une poêle et faites-y dorer les aubergines pendant environ 6 min de chaque côté en les retournant régulièrement pour les faire dorer. Réservez. ↗ Coupez les figues en deux. Dans une poêle, faites fondre 20 g de beurre et ajoutez une c. à soupe de miel. Déposez les figues et faites-les dorer rapidement. Réservez. ↗ Au bout d’une heure de cuisson du tajine, ajoutez les rondelles d’aubergine grillées et prolongez la cuisson de 30 min. Ajoutez les figues et le reste du miel 10 min avant la fin de la cuisson et servez chaud avec de la semoule, par exemple. L’accord Avec ce tavel, l’intensité est à son

comble ! Couleur orangée tuilée, exquis parfums de fruits rouges, de mandarine confite et d’épices, chair ample… Un délice en totale affinité avec ce plat suave et coloré.


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PETITS FARCIS DE LÉGUMES D’ÉTÉ + DOMAINE DE TERREBRUNE BANDOL 2020 Pour 4–6 personnes Préparation / 45 min Cuisson / 1h10 4 courgettes rondes 5 poivrons rouges, 4 oignons rouges 2 gousses d’ail, 1/4 de pain de campagne Les feuilles de 4 tiges de menthe 300 g de feta, 50 g de pignons de pin 60 g de parmesan fraîchement râpé 2 c. à soupe d’huile d’olive Fleur de sel, poivre du moulin Labneh pour servir

Préchauffez le four à 180 °C. Découpez 3 courgettes, 3 poivrons et 3 oignons aux trois quarts de leur hauteur pour prélever un chapeau. Évidez la chair des 3 courgettes et des 3 oignons à l’aide d’une cuillère parisienne et hachez le tout finement. Retirez les pépins des poivrons. Faites blanchir 2 min les légumes évidés sans les chapeaux dans une eau bouillante salée. Égouttez-les et réservez. ↗ Découpez finement en petits dés les deux poivrons, la courgette et l’oignon restants en veillant à les séparer dans différents récipients. Vous pouvez mettre en commun la chair des courgettes et des oignons préalablement hachée avec ces petits dés. Hachez finement les gousses d’ail. ↗ Faites revenir la chair et les dés d’oignon dans une poêle avec 2 c. à soupe d’huile d’olive jusqu’à ce qu’ils deviennent translucides. Ajoutez la chair et les dés de poivrons ainsi que les gousses d’ail hachées et faites revenir 5 min. Ajoutez la chair et les dés des courgettes et faites revenir pendant encore 10 min afin de bien faire dorer l’ensemble. Réservez. ↗ Retirez la croûte du pain pour ne garder que la mie et hachez-la finement. Effeuillez la menthe et ciselez-la finement. Dans une poêle bien chaude, faites torréfier les pignons de pin. Dans un bol, mélangez la feta émiettée, les légumes cuits, la mie de pain, la menthe, les pignons de pin poêlés, 40 g de parmesan râpé, puis goûtez cette farce avant de saler et poivrer. ↗ Garnissez généreusement les légumes évidés avec la farce. Saupoudrez le reste de parmesan râpé, ajoutez un filet d’huile d’olive, couvrez de son chapeau chaque légume et enfournez pour 45 min. Servez chaud avec du labneh pour accompagner. L’accord Porté par un grand mourvèdre, ce séducteur offre de fins arômes de zestes d’agrumes, de fruits frais et de nuances florales. Une alliance tonique et délicate idéale avec les saveurs franches de ce plat. Verres Royal Glass, à retrouver sur Ventealapropriete.com

SOUPE DE FRAISE À LA GLACE PISTACHE + DOMAINE DE LA DENTELLE Pour 4 personnes Préparation / 1h Cuisson / 1h45 Repos / 1 nuit Pour la glace : 50 g de pistaches vertes décortiquées + quelques-unes pour le décor, 50 cl de lait entier 10 cl de crème fraîche liquide entière 100 g de pâte de pistache bio, 25 g de glucose, 6 jaunes d’œuf, 100 g de sucre en poudre Pour la soupe : 500 g de fraises + quelques fraises pour le décor, 4 c. à soupe de jus de citron, 3 c. à soupe de sirop de vanille

La veille, faites chauffer le lait et la crème dans une casserole et portez à frémissement. Ajoutez la pâte de pistache et le glucose et mélangez pour bien les faire fondre et les incorporer. Retirez du feu. ↗ Dans un saladier, fouettez les jaunes d’œufs avec le sucre jusqu’à ce que le mélange blanchisse. Versez le contenu de la casserole dans le saladier et fouettez pour mélangez. Versez le tout dans la casserole et

placez-la sur feu doux. Sans cesser de mélanger avec une spatule souple pour racler le fond de la casserole, laissez cuire jusqu’à ce que le mélange atteigne 83 °C. ↗ Retirez du feu et versez le contenu de la casserole dans un bol propre. Filmez au contact et laissez refroidir à température ambiante. Placez 3h au réfrigérateur. ↗ Versez le mélange dans une sorbetière et turbinez le temps indiqué par votre machine (env. 1h). Versez la glace dans un bac et placez au congélateur toute une nuit. ↗ Le jour même, préparez la soupe de fraise : dans un blender, mixez les fraises coupées en morceaux, le jus de citron et le sirop de vanille jusqu’à obtenir une soupe bien homogène. Réservez au frais dans un saladier. Dans des assiettes creuses, répartissez la soupe de fraise. Déposez une boule de glace à la pistache. Parsemez de quartiers de fraises fraîchement coupées et de pistaches concassées. L’accord La bulle gourmande et ultra-fraîche de ce bugey-cerdon, sur les fruits rouges acidulés, convient parfaitement à cette recette légère. Racines

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Cocktails—

Les traits solaires du rhum

Pour l’été, Adrian Niño, chef barman du 1802, un bar à rhum riche de plus de 1 000 références, partage des recettes soulignant parfaitement les expressions aromatiques de trois flacons d’exception.

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L’EAU-DE-VIE de canne à sucre, peu soumise à un cahier des charges, offre une très large palette d’arômes et de saveurs, grâce à la variété des latitudes de production, les types de distillation, les vieillissements… C’est ce terrain de jeu immense, propice à la créativité, qu’Adrian Niño a choisi pour exprimer ses talents et adopter une approche sommelière du rhum. À partir de trois références très différentes – deux blancs, un brun –, le bartender livre ici trois recettes de cocktails emblématiques revisités.

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1/

Daïquiri

Ce mot désigne d’abord un village situé non loin de Santiago de Cuba. Les origines (floues) de ce cocktail remonteraient à la fin du XIXe siècle. Il doit surtout son succès au célèbre auteur américain Ernest Hemingway, grand amateur de Daïquiri. 45 ml de Clairin Communal, rhum blanc d’Haïti 20 ml de miel, idéalement de canne à sucre pour accentuer l’arôme 25 ml de jus de citron vert Placez tous les ingrédients dans un shaker avec beaucoup de glace et shakez 20 secondes énergiquement. Filtrez à l’aide d’une passoire à cocktail dans un verre-coupe préalablement rafraîchi. « Le principe, ici, est un ton sur ton. Le rhum Clairin, issu du pur jus de la canne à sucre, a une note légèrement sauvage, qui fait écho à celle du miel de canne. »

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Le conseil d’Adrian Niño

Pour un résultat optimal, gardez les verres à cocktail au congélateur. Cela permet de conserver la fraîcheur du cocktail plus longtemps au cours de la dégustation. 50—

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2/

Ramos Colada

Ici, Adrian Niño croise la noix de coco de la célèbre Piña Colada (inventée dans les années 1950 à Puerto Rico) et l’effet spectaculaire de la mousse du Ramos Gin Fizz (inventé par le bartender Henry C. Ramos, en 1888, pour son bar de la NouvelleOrléans). 40 ml d’Embargo, Añejo Exquisito, Ron Extra del Caribe, brun 15 ml de sirop de coco 20 ml de lait de coco 15 ml de citron vert 1 blanc d’œuf 2 gouttes de fleur d’oranger Eau gazeuse Placez tous les ingrédients, sauf l’eau gazeuse, dans un shaker avec beaucoup de glace et shakez énergiquement pendant au moins trois minutes. Filtrez la préparation à l’aide d’une passoire à cocktail dans un verre Highball préalablement rafraîchi. Laissez reposer votre cocktail une minute au congélateur. Faites un trou au centre du cocktail à l’aide d’une paille et complétez délicatement d’eau gazeuse à l’intérieur du trou réalisé, vous verrez alors une belle mousse bien droite s’élever dans le verre. « Le rhum brun va apporter de la profondeur, du boisé, du caractère et donner un petit coup de fouet à un mélange très doux et délicat. Il y a ainsi du contraste pour contrebalancer le côté fruité-floral. » Le conseil d’Adrian Niño

Vous pouvez garnir votre cocktail de petits copeaux de noix de coco ou de noix de coco râpée, pour insister sur cette saveur.

3/

Rhum Penicillin

Ce cocktail a été créé en 2005 par Sam Ross, au célèbre bar Milk & Honey, à New York, à partir d’une base alliant scotch whisky et whisky tourbé. Adrian Niño substitue ici au scotch whisky un rhum blanc de La Réunion. 40 ml de Savanna, Lontan 57, blanc 10 ml de whisky tourbé 25 cl de citron vert 10 ml de sirop de miel (versez 15 cl d’eau bouillante sur 300 g de miel et mélangez jusqu’à obtenir un liquide homogène) 10 ml de sirop de gingembre (exemple : Gimber) Gingembre confit Placez les ingrédients (sauf le whisky et le gingembre confit) dans un shaker avec beaucoup de glace et shakez 20 secondes énergiquement. Filtrez à l’aide d’une passoire à cocktail dans un verre type rocks rempli de glaçons. Versez délicatement le whisky tourbé sur le dessus du cocktail pour créer un « float », une couche supérieure légèrement troublée. Garnissez de gingembre confit. « Le rhum Savanna Lontan possède de superbes notes tropicales d’ananas, de gingembre et d’agrumes. Il s’illustrera parfaitement aux côtés des ingrédients de ce cocktail relevé, très sour et épicé. » Le conseil d’Adrian Niño

Pour le sirop de miel, à chacun sa préférence : acacia, lavande, châtaignier… Tous apporteront un caractère singulier au cocktail. J O Ë L L A C R O I X / — Bar à rhum 1802 de l’Hôtel Monte Cristo, 22, rue Pascal, 75005 Paris. Ouvert 7j/7 de 18h à 1h. Chaque année, le bar 1802 organise Rhum Society, un festival de dégustation (bar1802.com). Illustration HifuMiyo



Dégustation—Escapade

Entre Loire et volcans

Les territoires du Massif Central disposent d’un héritage viticole riche et varié, autant que méconnu. Un mouvement, porté par une poignée de vignerons passionnés, vise à redonner leurs lettres de noblesse aux vins modestes et précieux qui y sont produits. AU CŒUR de la France paysanne, une route échappant encore à tout cadre institutionnel se dessine à travers quatre vignobles historiques – Saint-Pourçain, les Côtes-d’Auvergne, la Côte-Roannaise et les Côtes-duForez – peu distants les uns des autres, mais que les modes avaient un peu fait oublier. Ces appellations, plus confidentielles que les grands terroirs viticoles, sont pourtant aujourd’hui la parfaite illustration de pratiques audacieuses et de qualité. En 2019, une quarantaine de professionnels regroupés sous l’égide de la « Loire Volcanique » ont souhaité jouer la carte des dénominateurs communs – le cépage gamay, l’effet de foehn, ce vent du sud propice à la viticulture et plus encore la proximité partagée des volcans et de la Loire – pour revendiquer une identité où la diversité a toute sa place. Cette dynamique est par ailleurs renforcée par un art de vivre authentique dont les fondements font leur retour parmi les envies de l’époque : un patrimoine rural de qualité incarné par quelques uns des « Plus Beaux Villages de France », de bonnes et belles adresses où l’on peut encore déguster des pépites gastronomiques locales et bien sûr, des paysages aussi riches que variés, où l’on se perd volontiers.

Sur l’ex-Nationale 7, on avait dépassé Pouilly-Sur-Loire depuis une bonne heure, puis traversé l’Allier à Moulins pour découvrir, après quelques kilomètres, le vignoble de Saint-Pourçain. Ici, pas de coteaux dessinés au cordeau par les rangs de vignes, les parcelles apparaissent de-ci de-là dans une campagne bocageuse aux formes douces. « On est au cœur du Bourbonnais qui fut, à partir du XIVe siècle, le bastion de la couronne de France. La viticulture y était très prospère, au point de s’étendre sur 11 000 hectares, mais surtout, elle délivrait des vins considérés à l’égal de ceux de Beaune. Puis, un peu plus tard, il y a eu le phylloxéra… », explique Jean Teissèdre, à la tête du Domaine des Bérioles, une exploitation en biodynamie qui développe 52—

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Ci-dessus : Pic de Saint-Romain-le-Puy. À droite : parcelle des Côtes -du-Forez ; muraille de la porte d’Orient, à Charroux.

Photos : Cave Réal ; Prod03 ; DR

« L’AOC impose les assemblages »


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Dégustation—Escapade rie Saignie – volaille label rouge d’Allier à la sauce Duchambais ou gigot Brayaude – tout en goûtant quelques vins de Saint-Pourçain sélectionnés par son sommelier de mari, pas avare de conseils avisés comme, pour le digestif, cette étonnante Verveine du Forez.

aussi des cultures de céréales, de légumineuses... Aujourd’hui, l’appellation – l’AOC a été attribuée en 2009 – occupe 600 hectares et compte une cave coopérative ainsi qu’une quinzaine de vignerons ayant fait le pari d’une production de vins d’auteur, pour l’essentiel en bio. « Ici, l’AOC impose les assemblages. » Mais les puristes qui veulent revendiquer l’identité du territoire, le cépage blanc tressallier propre à Saint-Pourçain n’hésitent pas à élaborer des cuvées mono-cépages simplement labellisées IGP Val de Loire, quand ils n’usent pas à souhait des cépages non agrémentés pour montrer le potentiel du territoire. Avant de reprendre la route, Jean Teissèdre nous montre l’historique Clos de Breuilly, qui vient d’être repris par un vinophile ambitieux, et suggère un arrêt au Conservatoire des anciens cépages, au Château de Chareil-Cintrat, pour prendre la mesure de l’histoire des lieux, qui n’attend que d’être réécrite. Un peu plus loin, c’est le village de Charroux, qui évoque le faste d’antan du Bourbonnais, avec son bourg médiéval joliment préservé, où travaille encore un moutardier. La halte s’avère d’ailleurs opportune pour déguster, à la Ferme Saint-Sébastien, la cuisine de la cheffe ValéDe haut en bas : Lisa Roche et Léo Troisgros, de La Colline du Colombier ; L’esturgeon en verdure à la carte du restaurant ; Vignobles d’Ambierle, en Côtes Roannaises. 54—

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La Chaîne des Puys se distingue maintenant très clairement dans le panorama, tandis qu’aux abords de Riom, de nouveaux vignobles font leur apparition. Ici une culture du vin rouge « de soif », en partie promue par les Auvergnats de Paris, a marqué les apéros-saucisson pendant des décennies. Mais en poussant au-delà de Clermont-Ferrand, on découvre un terroir qui échappe aux généralités : « Le Puy de Corent est l’une des cinq appellations en France à ne produire que du rosé. Et l’on fait du vin sur ce volcan depuis des millénaires » souligne Yvon Bernard, des Chemins de l’Arkose. Le domaine (15 hectares) dispose également d’autres parcelles éparpillées dans un rayon de 20 kilomètres sur différents terroirs, où la polyculture est d’ailleurs majoritaire. « À Montpeyroux, où nous sommes installés, on trouve du grès, la fameuse arkose qui servit à construire les villages des environs, alors que le sol de Corent est basaltique. Et puis ailleurs, on va trouver de la marne ». Autant d’opportunités pour engendrer une production très diversifiée pouvant se traduire, chez certains vignerons, par une douzaine de cuvées. Le restaurant Le P’tit Roseau, situé face à la gare d’Issoire, en propose d’ailleurs un bel aperçu qui s’accorde assez bien avec sa cuisine aux accents bistronomiques : pâté en croûte, croustillant de ris de veau, joue de bœuf confite… Après une nuit passée sur le promontoire rocheux de Montpeyroux, au charme presque méridional, l’itinérance met cette fois-ci le cap à l’est, en direction de Roanne. Si les distances ne sont pas démesurées, la route doit se frayer un chemin parmi le relief accidenté de ce territoire de moyenne montagne. Passage obligé par Thiers, capitale du couteau, puis par le col de Saint-Thomas (930 mètres), frontière entre le Puy-de-Dôme et la Loire, avant de changer d’ambiance en plongeant vers la vaste plaine roannaise. Le vignoble, planté à mi-chemin de la ligne de crête des monts de la Madeleine et de la Loire rappellerait presque celui de l’Alsace, avec cette disposition autour de la route départementale (la D8) qui traverse les villages de Renaison, Saint-Alban-les-Eaux, Villemontais… Ce vignoble de 215 hectares a sans doute été l’un des premiers à se réinventer avec une AOC établie dès 1994 et une IGP Vins

Photos : Félix Ledru (2) ; Evelyne Deveaux

Un terroir loin des généralités


Photos : Franck Tremblay ; Prod03 ; DR

Ci-contre : fourmes en cave d’affinage de la Fromagerie des Hautes Chaumes (Sauvain). En bas : affûtage d’un sommelier Le Thiers, à la coutellerie Claude Dozorme.

de pays d’Urfé qui, depuis 2009, permet à la trentaine de vignerons, tous indépendants, de produire également des vins blancs. À la même époque, l’initiative des « vignes-relais » va permettre à des jeunes de pouvoir travailler deux hectares, le temps de s’établir et de vendanger leurs propres vignes. Les domaines des Pothiers et Sérol ont agi comme des ambassadeurs avec leurs cuvées très qualitatives présentes sur les cartes de bonnes tables locales, à l’image du Petit Prince, à Saint-Alban-les-Eaux, qui dispose même d’une cave vitrée dans la salle à manger, dédiée à la Loire volcanique. L’amitié entre les familles Sérol et Troisgros, illustre succession de cuisiniers roannais, a eu aussi son effet moteur avec la création de deux cuvées iconiques : Les Blondins et Chez Blondin, produites à partir d’une parcelle de deux hectares en co-gérance. Une halte à La Colline du Colombier, l’auberge que les Troisgros ont imaginée avec l’architecte Patrick Bouchain, en marge de la table 3 Étoiles, à Ouches, est évidemment l’occasion de les déguster. D’autant que Lisa, la compagne du chef Léo Troisgros, fait un joli travail de mise en valeur des vins de cette Loire Volcanique. « La carte se concentre sur des vins régionaux dont nous visitons régulièrement les producteurs afin de pouvoir partager avec nos clients les valeurs de chacun. » Une belle manière d’inviter les convives à sillonner ensuite le vignoble à la découverte des sites où a été élaboré le vin qu’ils ont dégusté. Pour gagner les Côtes-du-Forez, la route se poursuit de manière quasi naturelle en remontant, toujours sur la rive gauche, le fil de la Loire. D’ailleurs, susurre-t-on au département, le projet d’une route des vins commune aux deux appellations est imminent. Situé un peu plus au sud du parcours, le vignoble du Forez est aussi le plus petit

(150 hectares), animé en bonne intelligence par une cave coopérative et neuf vignerons indépendants éparpillés sur un territoire de 80 kilomètres de long. La production affiche d’ailleurs certaines connivences, l’emploi du viognier et de la syrah, notamment, avec les vins du sud du département qui se trouvent quant à eux dans... la vallée du Rhône. Étrange paradoxe provoqué par les découpages géographiques ! Le temps d’un léger détour par le village montagnard de Sauvain, d’où est originaire la fourme de Montbrison – eh non, elle n’est pas produite à Montbrison ! – et la route redescend vers la plaine et la commune de Saint-Romain-le-Puy. Là, se dresse une curiosité géologique, un ancien volcan culminant à 80 mètres et dont les versants sud sont recouverts de vignes. « En 1997, la mairie a proposé que soit rétabli le vignoble qui avait disparu dans les années 1970. Avec un autre vigneron, nous nous sommes lancés dans un dur travail de défrichage avant de planter du viognier, dont la première récolte a eu lieu en 2000 », explique le vigneron Stéphane Réal, qui produit trois cuvées labellisées Aldebertus, en écho au prieuré édifié au sommet du puy. Cette ultime étape d’une itinérance à travers les paysages viticoles du Massif Central confirme bien qu’une petite révolution œnologique est en route. Le bon sens – paysan – d’une poignée d’acteurs est parvenu à redonner du corps à une histoire dont les fondamentaux permettent de se réinventer à la lumière de nouveaux savoirs. La démonstration que ces « petits » terroirs, qui créent la richesse viticole française, ont tout pour produire des « grands » vins en devenir. OLIVIER RENEAU /

Pratique SÉJOURNER / SE RESTAURER La Ferme Saint-Sébastien

Chemin de Bourion, 03140 Charroux Tél. : 04 70 56 88 83, fermesaintsebastien.fr Menus déjeuner : 21 € et 28 €, dîner : à partir de 35 € Le P’tit Roseau

2, avenue de la Gare, 63500 Issoire Tél. : 04 73 89 09 17, lepetitroseau.fr Menus déjeuner : 20 €, dîner : 35 € Le Petit Volcan

2, place du Cheix, 63114 Montpeyroux Tél. : 04 73 89 11 41, lepetitvolcan.fr Chambres : à partir de 70 € Le Petit Prince

28, rue des Marronniers, 42370 SaintAlban-les-Eaux. Tél. : 04 77 65 87 13 restaurant-lepetitprince.fr Menus déjeuner : 21 € et 29 €, dîner : à partir de 60 € Château de Champlong

100, chemin de la Chapelle 42300 Villerest. Tél. : 04 77 69 69 69, chateau-de-champlong.com Menus déjeuner : 34 €, dîner : à partir de 50 €. Chambres : à partir de 120 € La Colline du Colombier

71340 Iguerande. Tél. : 03 85 84 07 24, troisgros.fr. Menu : 49 €. LES À-CÔTÉS Conservatoire des cépages anciens

Un musée à ciel ouvert de l’histoire viticole de Saint-Pourçain (chareil-cintrat.fr). La Moutarderie de Charroux

Goûter en priorité la Pourpre, à base de jus de raisin (huiles-et-moutardes.com). La Grande Coutellerie Claude Dozorme

Au catalogue, des sommeliers inspirés du Laguiole et du Thiers (lagrandecoutellerie.fr). Fromagerie des Hautes Chaumes

Une référence pour déguster la « vraie » fourme de Montbrison (fromageriehautes-chaumes.com). Plus d’informations : loirestory.com

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Dégustation—Accords

L’artichaut, un cœur à prendre Avec sa fine amertume, ce légume-fleur délicat ne se laisse pas faire ! Voici trois pistes pour l’apprivoiser en douceur. Sur des artichauts violets à la barigoule

Pour escorter un caviar d’artichaut

Sur un risotto aux artichauts poivrades

Historiquement farcie aux champignons (barigoule), cette préparation typiquement provençale mêle aujourd’hui généralement vin blanc, oignons, carottes, tomates, lard fumé et huile d’olive. Les artichauts sont alors servis chauds ou froids, avec cet accompagnement parfumé aux herbes et au thym. Pour soutenir ces saveurs franches, un blanc s’impose, idéalement régional ou un peu plus sudiste, de Corse ou pourquoi pas Collioure ou les Côtes Catalanes, avec leurs grenaches blanc et gris ? Pour apporter de la fraîcheur à ce mets ensoleillé, on peut aussi choisir un chenin de Loire ou un aligoté bourguignon. Essayer Clos Saint-Vincent, Bellet Le Clos Blanc 2019. Ce pur rolle juteux et concentré associe adroitement générosité et parfums du sud. Un vin lumineux gorgé de fruit et de fraîcheur pour un accord régional des plus réussis.

Travaillée comme une tapenade avec du citron, du parmesan et de l’huile d’olive, cette recette estivale appelle un vin énergique, frais et tendu. La Loire semble tout indiquée – sauvignon de Touraine ou du Centre –, mais si l’on souhaite faire un clin d’œil à la Bretagne, terre privilégiée de l’artichaut, on pourra se rendre à ses portes, dans le Muscadet, où la minéralité viendra désaltérer la richesse de cette préparation servie idéalement sur des toasts de pain grillé. Autre possibilité, une jacquère de Savoie ou un Chignin-Bergeron, tous deux appréciés pour leur vivacité. Ou pour rester sudiste, un Pacherenc-du-VicBilh, héraut de la fraîcheur gasconne. Essayer Les Bêtes Curieuses–Jérémie Huchet, Muscadet Sèvre-et-Maine Monnières–SaintFiacre Blanc 2014. Ce cru ne manque ni d’énergie ni de tension pour revigorer la recette d’une pointe acidulée.

L’artichaut poivrade est en réalité le violet de Provence récolté jeune, donc beaucoup plus tendre. Cuisiné en risotto, avec ail et huile d’olive, il semble indéfectiblement lié à sa région et ses parfums. Mais allons plutôt en vallée du Rhône chercher un viognier ou une roussanne qui enroberont le gras du plat et tiendront tête, par leur puissance contenue, aux saveurs de la recette. On peut aussi bien choisir un blanc sec italien, clin d’œil au risotto, avec suffisamment de pep’s et de vitalité. Ou plus classiquement, un joli chardonnay du Mâconnais ou de Mercurey, en Côte Chalonnaise, pour le côté aimable et nerveux à la fois. Essayer Maison Tardieu-Laurent, Hermitage Blanc 2018. Un vin rare, de grande concentration, paré pour l’accord grâce à sa large texture, sa complexité et ses arômes envoûtants de miel et d’épices.

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Photo Caspar Miskin


Boire bon, manger bien Le comité de sélection de Ventealapropriete choisit d’abord ses tables préférées à travers leur carte des vins. Ce trio a tout bon. Biarritz, Pyrénées-Atlantiques—

Nantes, Loire-Atlantique—

Photos : Stéphane Riss ; Christophe Bornet ; DR

Carøe Le choix d’Alaric de Portal. Ce restaurant de tapas d’inspiration danoise aux accents basques mixe le meilleur des deux cultures culinaires. Repaire de bons vivants et de produits sourcés, cet antre du vieux Biarritz marie cuisine locale et maritime subtilement troussée à quelques arguments solides comme le cochon noir ou les pièces au poids de homard, turbot ou barbue. Pour les accompagner, une ambiance décontractée et une carte des vins qui place toutes les vedettes de leurs appellations respectives, à des prix très alléchants… Philippe Alliet, Plageoles, François Villard, le champagne Gonet-Médeville, en bouteille ou au verre. Tout l’esprit Ventealapropriete ! Essayer Les meilleurs vignerons du moment, avec une belle place faite au bio et quelques pépites espagnoles. Infos pratiques 51, rue Gambetta, 64200 Biarritz. Carte de 16 € à 35 € (caroe.fr).

Lulu Rouget Le choix d’Olivier Poussier. Jeune étoilée Michelin, cette adresse détonante posée sur l’île de Nantes est tenue par le chef local Ludovic Pouzelgues. Au cœur du restaurant, la cave à vins cerclée de métal donne le ton, abritant quilles régionales et grands flacons, avec une large part de vins bio ; muscadets en tête, avec des maisons assurées comme Jo Landron ou LuneauPapin, mais aussi Coulée de Serrant, Tollot-Beaut… La courte carte fait la part belle aux poissons de la criée, mais aussi aux viandes françaises, le tout travaillé avec inventivité, fraîcheur et précision. Essayer Champagne Jacques Lassaigne « La Colline inspirée » Blanc de Blancs Extra Brut, 110 € ; Côtes-du-Rhône Château de Fonsalette 2009, 220 € ; Domaine Ostertag Riesling Fronholz 2018, 65 €. Infos pratiques 4, place Albert-Camus 44200 Nantes. Déjeuner, 45 €, 60 € et 75 € ; dîner, 75 €, 90 € et 105 € (lulurouget.fr).

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Paris, Île-de-France—

Le Bon Georges Le choix de Christian Martray. Bistrot pur jus doublé d’une fantastique cave à vins, cet établissement à l’ancienne (banquettes et boiseries) abreuve les plus exigeants. Ici, la sommellerie sélectionne directement chez le producteur. Grands crus ou découvertes, 1 000 références escortent à bon escient une cuisine efficace, dressée autour des gibiers – en saison –, des terrines et des viandes maturées, en particulier le bœuf, sous toutes ses formes. Aux commandes ? Benoît Duval-Arnould et son chef Loïc Lobet, qui sourcent les meilleurs producteurs locaux depuis 2013. Essayer IGP Côtes Catalanes Le Roc des Anges Lum Blanc 2017, 48 € ; Vouvray du Clos Naudin 2016, 56 € ; Patrimonio E Croce d’Yves Leccia Rouge 2016, 75 € ; Fleurie Les Moriers de Jules Desjourneys, 115 €. Infos pratiques 45, rue Saint-Georges, 75009 Paris. Formule déjeuner, 21 € ; Plats de 24 € à 38 € / Pièce de viande à partager à partir de 45 € (lebongeorges.paris). 01. Florian Cordell, le chef de Carøe, et sa femme Joséphine.

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Dégustation—Dernière gorgée

Siffler le chaud et le froid

Le débat sur la température de service d’un vin peut s’avérer houleux... Voici de quoi tempérer les discussions. EN FÉVRIER 2018, la photo d’une romanéeconti 2007, numérotée 2896, surgit sur l’application de messagerie chinoise WeChat. Jusque-là, rien d’étonnant, l’empire du Milieu s’étant résolument ouvert à la dégustation de nos meilleures étiquettes. Sauf qu’en l’espèce, la bouteille sur le cliché est brisée en deux. Seul le cul, d’où émerge un glaçon semblable à un iceberg violine, est resté intact. On n’a jamais su si le nectar bourguignon était tombé dans un seau d’azote liquide ou s’il avait passé la nuit dehors par -20 °C, mais on a frôlé la crise cardiaque. Le freezer, un faux ami à fuir

On aurait pu soupçonner la bourde d’un hôte accueillant mais surpris par l’irruption d’amis venus s’enjailler à l’improviste, un jour de fortes chaleurs. On n’a pas de bouteille au frais, misère ! On ouvre le congélateur en catastrophe ; on y case un flacon entre deux saucisses et un reste de brocoli, fier de son à-propos ; et… on l’oublie. Si cela avait été le cas, le coupable aurait ajouté la méconnaissance à l’étourderie, rafraîchir un tel nectar étant une hérésie. Quoi qu’il en soit, le freezer n’est pas le meilleur ami du vin. Les amateurs éclairés savent pertinemment que, pour faire baisser 58—

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la température, il est plutôt conseillé de déposer la bouteille dans un seau rempli tant pour tant d’eau et de glaçons, le tout assaisonné de deux cuillerées à soupe de gros sel. Une astuce de petit chimiste – le chlorure de sodium a le pouvoir de faire fondre les glaçons qui, pour se liquéfier, ont besoin de chaleur, une énergie qu’ils vont puiser dans l’eau. CQFD. Effet garanti : une baisse d’environ 10 °C en une poignée de minutes. Le choc thermique et les variations de température, ennemis intimes en cave, trouvent ici une forme de rédemption. Mais, attention, quand le vin est refroidi, il faut le boire ! Tout ça pour dire qu’en plus du tire-bouchon, le thermomètre peut s’avérer le meilleur ami du dégustateur. Or, si la température de conservation idéale se situe autour de 12 °C, quelle que soit la couleur, pour le service, c’est une autre paire de manches. Et chacun a son avis sur la question. Du calice à la dilution impie

Il n’est pas rare de trouver, à la même table, un buveur pour juger que le vin est trop chaud et un autre pour se plaindre qu’il est affreusement glacé. Ce dernier poussera d’ailleurs souvent l’effronterie jusqu’à vous fixer droit dans les yeux tout en enserrant entre

ses mains, en calice, la paraison et l’épaule de son verre, comme si c’était un poussin venant de naître. Manière de signifier qu’il y a un froid entre vous. Quant au fiévreux, on lui rétorquerait bien de jeter des cubes de glace dans son breuvage. Mais, si on le tolère pour certains rosés qualifiés de « piscine », on ne va pas cautionner cette dilution impie. Consignes au premier degré

La technologie est heureusement venue à la rescousse avec des caves à vin dotées de compartiments séparés dont on peut régler la température de manière différenciée. Si l’espace « mise en service » peut être monté à 14-15 °C, il faudra néanmoins ajuster la température de service finale. Pour une bulle, on tablera sur 9-10 °C, autant pour un blanc sec et jeune, un peu plus pour un vin mature, selon la région et l’âge. L’amplitude sera plus grande pour les rouges, autour de 10-12 °C pour les vins légers et fruités, jusqu’à 17-18 °C pour les bordeaux et les vins structurés, en passant par 13 à 14 °C si l’on aime le beaujolais, 15 à 16 °C si l’on ne jure que par le bourgogne ou les côtes-du-rhône. Comme un jour de météo capricieuse, entre la doudoune et le T-shirt, il faut choisir… STÉ P HA N E M É JA NÈS / Illustration HifuMiyo


PiperHeidsieckFrance

E S S E N T I E L B L A N C

D E

B L A N C S

JULIETTE

Photo retouchée

SOMMELIÈRE

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L’ A B U S D ’ A L C O O L E S T DA N G E R E U X P O U R L A S A N T É , À C O N S O M M E R AV E C M O D É R AT I O N .


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