L E M AG A ZI N E D’ U N AU T R E R EG A R D S U R ST R AS BO U RG
№ 4 3 D ÉCE M B R E 2021 S P L E N D E U RS
b GRAND ENTRETIEN
c D OS SIE R
a CULTURE
S ACTUAL I TÉ
FRANCIS HUSTER « Vos gueules, c’est du Molière ! » Page 6
EXPOS TGV PARIS En cette fin d’année, Paris est une fête ! Soyez-en… Page 12
CLOSE UP Artistes femmes en majesté à la Fondation Beyeler. Page 54
FEU LE PRINTEMPS Chronique d’une mort annoncée. Page 78
Splendeurs
03.12.2021 – 27.08.2023 MAMCS
Une exposition organisée avec le Musée Zoologique
Stéphane Belzère, Immersion bleue n° 1, 2001-2003. Collection privée © ADAGP, Paris, 2021. Graphisme : Rebeka Aginako
Stéphane Belzère Mondes flottants
É DI T O
SPLENDEURS Par Patrick Adler, directeur de publication
« L a beauté est la splendeur du visage divin. » MARSILE FICIN Artiste, écrivain, philosophe, poète (1433 - 1499)
ire, ou même ne simplement que parcourir ce numéro 43 d’Or Norme, vous fera peut-être ressentir le « syndrome de Stendhal » tant on y découvre de splendeurs à portée de main… ou de TGV.
L
Ce syndrome est l’état dans lequel s’est retrouvé le grand écrivain, lors d’un voyage à Florence, subjugué par un trop-plein de beauté qui le transporta dans un malaise, sorte d’émoi vertigineux, et lui fit perdre l’équilibre jusqu’à le plonger dans l’angoisse. L’émotion procurée par le Beau, qui peut prendre également des formes particulièrement brutales (voir nos pages sur Baselitz), est sans doute parmi les sentiments les plus étranges que l’homme soit capable de ressentir. L’expérience de la confrontation au Beau, particulièrement à des époques où la violence de la société, et la vulgarité, s’expriment quotidiennement, nous entraîne immanquablement à nous poser la question de la Création, de la Nature… du Divin. №43 — Décembre 2021 — Splendeurs
Tout au long de cette promenade que vous propose Or Norme, vous découvrirez, après Molière (le « Dieu » de Francis Huster !), les chefs-d’œuvre de la collection Morozov, les Albers, Baselitz, Hirst ou Dufy, l’incroyable histoire de la découverte des photographies et de la vie de Vivian Maier ou encore la toute magnifiquement rénovée Bourse du Commerce de François Pinault pour y abriter sa collection et y organiser des expositions. Enfin, comment ne pas évoquer dans ce numéro, une rubrique Or Champ avec un texte de Caroline Eliacheff qui doit tous nous interpeller, sur un sujet (l’enfant transgenre) où, comme sur quelques autres, certains jouent aux apprentis-sorciers avec la vie des autres... Toute l’équipe d’Or Norme vous souhaite de belles et sereines fêtes de fin d’année et a hâte de vous retrouver en 2022 pour une nouvelle année… Or Norme ! 3
SOMMAIRE D ÉC E M B R E 2021
6-11
b Grand entretien Francis Huster « (…) je me dis qu’il n’y a aucune différence entre la musique, le théâtre, les arts et nous, les êtres humains. » S Actualités
74 Bains municipaux Enfin rénovés ! (←) 78 Le Printemps Chronique d’une mort annoncée 88 Françoise Schöller filme Karim 92 Seconde main La frip’, c’est chic 94 Exclusion Ces gros que nous ne saurions voir… 96 Parfum Serena Galini 98 L’IA, autrement ICube 102 SINGAmi, un labo d’idées transfrontalier 112 Le parti-pris de Thierry Jobard 116 Chronique Moi, Jaja… 122 Regard Jak Krok’ l’actu
a Culture
50 Fondation Beyeler GOYA et CLOSE-UP (↑) 56 Exposition Jean-Jacques Henner « On ne touche pas ! » 58 700e Anniversaire Dante sous la dent ! 60 Bibliothèques idéales Marcel Rufo : « Il n’y a pas de vie minuscule… » 66 Galerie Ritsch-Fisch « À la recherche de la pièce emblématique, celle qui compte… » 72 Entre musique et peinture Les fulgurances de Brice Bauer 104 Porfolio Un amour de jeunesse oublié… 110 Hommage Jean-Luc Nancy, 1940-2021 134 Séléction Livres, musique
c Dossier Paris est une fête !
12-49
Fondation Louis Vuitton 14 Musée d’Art Moderne de Paris 18 Le Centre Pompidou 22 Fondation Cartier pour l’art contemporain 26 Musée de Montmartre Jardins Renoir 28 Musée du Luxembourg 30 Bourse de Commerce Pinault Collection (→) 36 Musée du Jeu de Paume 42 Musée des Arts Décoratifs de Paris 44 Oui, Paris est une fête ! 48
4
E Société
124 Événements Or Norme (↑) 128 Vin Amenons les caveaux à Strasbourg ! 132 Club des jeunes ambassadeurs d’Alsace
Q Or Champ
142 Caroline Eliacheff Pédopsychiatre, psychanalyste №43 — Décembre 2021 — Splendeurs
notre talent
TERTIAIRE - INDUSTRIEL - ERP ET COLLECTIVITÉS - SECTEUR DE LA SANTÉ - COPROPRIÉTÉS - COMMERCES
22, rue de l’Industrie 67400 Illkirch-Graffenstaden Tél. : 03 88 20 23 81 w w w.hygiexo.fr
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b GR AND ENT R ET I EN Jean-Luc Fournier
Christine Renaudie – DR
Francis Huster « Vos gueules, c’est du Molière ! » Serge Gainsbourg
En prévision de sa venue à la session de janvier prochain des Bibliothèques idéales, rencontre avec Francis Huster qui vient de publier un Dictionnaire amoureux de Molière où son amour et sa passion pour le légendaire auteur, comédien et metteur en scène éclatent à chaque page. Un vrai moment magique d’autant que, sans doute parce qu’il réside tout près, Francis Huster nous avait donné rendez-vous au Café Ruc, en face de la Comédie Française, où il a joué et mis en scène tant de pièces de Molière qu’il considère comme « mon Dieu » comme il l’écrivait il y a deux ans dans un livre destiné à promouvoir l’entrée de Molière au Panthéon (dont nous parlons dans l’entretien). Le matin de l’interview était un de ces sales matins froids et brumeux comme Paris sait nous les servir chaque mois de novembre. Dans le dos de Francis Huster, on distinguait parfaitement les colonnes du Français et plus d’une fois, à l’écouter nous parler passionnément de son idole, on s’est demandé pourquoi la statue de Molière, dont la dépouille a été jetée dans une fosse commune, ne figure pas sur cette petite place ou pourquoi une station de métro ne porte pas son nom… Ce matin-là, entendre Francis Huster nous parler du théâtre, de son métier et de sa passion a été comme un magnifique rayon de soleil transperçant le gris ambiant…
№43 — Décembre 2021 — Splendeurs
b GRA ND ENTRETI EN — Francis Huster
7
nuit, j’ai fini par y dormir. L’autre problème, et ce fut finalement ma chance, c’est que toutes les librairies étaient fermées. J’ai donc dû mobiliser mes souvenirs et tout réanalyser et tout me remémorer dans ma tête. Plus d’une fois, j’ai eu tellement peur d’écrire des bêtises, sur les dates par exemple. Peu à peu, j’ai réussi à tout reconstituer. Quand j’ai remis le manuscrit, j’ai demandé à Claude Capelier qui chapeaute les éditions des Dictionnaires amoureux, de faire en sorte qu’on repasse tout à la moulinette pour traquer les erreurs. Il n’y en avait que deux, sur les dates...
Vous signez aujourd’hui ce Dictionnaire amoureux de Molière, mais son écriture vient de très loin. L’immense Louis Jouvet avait promis à Jean-Louis Barrault d’écrire une bible sur Molière. Il ne l’a pas fait et c’est Jean-Louis Barrault, à son tour, qui vous a fait promettre de l’écrire. À travers des décennies théâtrales glorieuses, c’est donc une promesse qui est finalement tenue…
Vous vous êtes transformé en très bon lobbyiste, c’est ça ?
Oui (rires). J’ai fait comme Molière à Versailles, avec Boileau, Racine et tous ses copains. On ne se refait pas ! Mais la décision de la panthéonisation, c’est le président qui la prendra, lui et lui seul… Vous la sentez comment ?
Je suis persuadé que ce sera une décision positive. J’aimerais tellement que lors de cette cérémonie du 15 janvier au Panthéon soient réunis les plus grandes personnalités artistiques et les plus grands acteurs et actrices du monde. Je suis telleDans moins de deux mois, le 15 jan- ment sûr qu’ils seront là, tellement…
Ce qu’il faut comprendre, c’est que Jouvet, qui est à l’époque un survivant de la Première Guerre mondiale où il a été grièvement blessé dans les tranchées, a été amené à jouer le rôle de Philinte dans Le Misanthrophe, dans un théâtre new-yorkais. Et c’est en interprétant ce personnage que Jouvet a une véritable révélation : il comprend qu’on a trahi Molière depuis trois cents ans : en jouant Philinte, il réalise que ce personnage est un infâme salaud. C’est à partir de ce moment que Jouvet, un peu à l’instar de Moïse, va établir les dix commandements de Molière. Il bouleverse tout : il abandonne son métier de pharmacien, il modifie son véritable nom, Jouvey en Jouvet, avec un « t » à la fin comme théâtre – c’est vraiment lui qui le dit ainsi – il revient en France. Il loupe le Conservatoire, mais il a saisi que l’essence même de Molière, c’est la troupe de théâtre et toute sa vie, il va se battre pour ça. Il finira donc par créer sa propre troupe. Parmi les comédiens, il y avait Jean-Louis Barrault à qui Jouvet avait fait découvrir le véritable Molière. Bien plus tard, il a monté Le Misanthrope au théâtre Marigny. J’étais sur scène aux côtés de Robert Hirsch et c’est à ce moment-là que Barrault m’a fait jurer d’écrire cette bible sur Molière…
vier 2022, on va fêter le 400e anniversaire de la naissance de Molière. Il y a déjà deux ans, vous avez lancé une pétition pour l’entrée de Molière au Panthéon, du moins son œuvre puisque son corps a été jeté dans une fosse commune après sa disparition, en 1673. Vous avez réussi à convaincre Emmanuel Macron ? Où en sommes-nous ?
Ça va se décider dans les quatre semaines qui viennent. (L’entretien a eu lieu le 19 novembre dernier – NDLR) C’est pour ça que je vous demandais la date de sortie de votre magazine. Quand je serai à Strasbourg, sur la scène des Bibliothèques idéales, on saura… Emmanuel Macron a été le premier lecteur du Dictionnaire amoureux de Molière, je lui ai personnellement envoyé les épreuves avant même le bon à tirer. Tous les ministres l’ont également reçu. Beaucoup d’entre eux m’ont envoyé un petit mot…
Vous avez toujours fait preuve d’un immense enthousiasme en parlant de Molière. On imagine que vous vous rappelez parfaitement la toute première fois où on vous a permis de jouer le rôle d’un de ses personnages…
Je vais vous étonner, mais la toute première fois, ce n’était pas en France métropolitaine. J’étais alors élève du Conservatoire et j’avais été choisi par Jean Gosselin dont la compagnie devait se rendre en Amérique du Sud pour refaire exactement la même tournée que Jouvet avait montée. Il m’avait choisi sur les conseils de René Simon, mon professeur. On jouait six pièces, dont Le Jeu de l’Amour, Le Roi se meurt, Le Misanthrope… J’ai donc joué Molière pour la toute première fois à Pointe-à-Pitre, là où débutait la tournée. Ensuite ce fut la Martinique, Cuba, le Pérou, la Bolivie, l’Équateur… C’était en 1969, j’avais vingt-deux ans. À cette époque,
Et plusieurs décennies plus tard, vous l’avez écrite, cette bible…
Les éditions Plon n’ont jamais cessé de me relancer depuis très longtemps : « Alors Francis, quand est-ce que tu nous l’écris ce Dictionnaire amoureux de Molière ? Moi, je n’étais pas trop chaud, car je pensais que jamais je n’aurais la possibilité d’être 100% libre de déterminer mes entrées et de véritablement faire valoir mes choix. Et puis, ils ont fini par me garantir cette liberté totale que je réclamais. Et je leur ai dit : Bon, ok, je ferai tout, et tout seul ». Et là-dessus arrive la crise sanitaire. C’est grâce à la Covid que j’ai pu écrire ce livre. Durant le premier confinement, j’étais tout seul, très éloigné de ma famille. Je n’avais même pas une télévision. Pour écrire, j’avais besoin d’un bureau : c’est un ami chef d’entreprise qui m’a prêté ses bureaux dans le quartier de l’Étoile. Et comme c’était désert, jour et 8
« (…) je me dis qu’il n’y a aucune différence entre la musique, le théâtre, les arts et nous, les êtres humains. »
b G R A N D E N T R E T I E N — Francis Huster
№43 — Décembre 2021 — Splendeurs
jamais je n’aurais imaginé que j’allais jouer à la Comédie Française tous les rôles principaux du répertoire, Molière, Corneille, Racine et tous les autres… Mais la première vraie rencontre avec Molière, c’est quand j’ai vu Robert Hirsch sur scène. J’étais alors tout jeune élève de l’école élémentaire de la rue de Louvois, j’avais eu le Premier Prix et la récompense était soit d’aller voir Luis Mariano sur la scène du Châtelet soit Amphytrion à la Comédie Française. J’ai dû choisir le Français, car je n’habitais pas loin, vers l’Opéra… (sourire). Je suis allé m’asseoir volontairement très haut dans la salle, aux Enfants du Paradis comme on appelait l’endroit, car il y avait de la place et je voulais pouvoir me casser facilement au bout de dix minutes si ça ne me plaisait pas, sans déranger tout le monde. Je n’oublierai jamais le long monologue de Robert Hirsch, le plus long monologue dans toute l’œuvre de Molière. Hirsch y était sublime, vraiment, et immédiatement, il m’a rappelé Charlie Chaplin. Et, à ce moment-là, dans ma tête, moi qui étais également fou de musique classique, je commence alors à ressentir une immense émotion, je me dis qu’il n’y a aucune différence entre la musique, le théâtre, les arts et nous, les №43 — Décembre 2021 — Splendeurs
êtres humains. Ce type est en train de nous dire un texte qu’il a appris, ok, mais c’est quoi son métier ? Je me dis aussi que faire de la musique, ce n’est pas un métier, la musique c’est dans le ciel, elle en descend par vagues ; je me dis que la mer, c’est nous, tu nages, tu te noies, tu disparais ou c’est un bateau qui t’emporte. Les êtres humains sont la mer, les êtres humains sont la terre. C’est ça, la création artistique... Un acteur, c’est comme quelqu’un qui se tient sur une branche comme une simple feuille, mais il y a l’arbre qui est là, bien solide. Et ça, moi, ça m’intéresse, ça me raccroche à quelque chose. C’est Robert Hirsch et son monologue qui ont tout déclenché. C’est vous dire à quel point j’ai pu être immensément heureux quand, bien plus tard, j’ai mis en scène Robert au Marigny, pour Le Misanthrope où il a obtenu deux Molières pour son rôle… Ce fut un moment si émouvant et si extraordinaire, tout comme les nombreuses fois où on a joué ensemble à la Comédie Française. Robert n’était pas un acteur, en ce sens qu’il n’actait pas. Il y a deux sortes d’acteurs : il y a Luchini et 90% des acteurs qui sont des diseurs, qui sont des agriculteurs de la culture : le texte est sculpté, le texte est respiré, le texte est pensé. Ce sont des acteurs b GRA ND ENTRETI EN — Francis Huster
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« Le coup de génie de Molière, et je ne vois que Shakespeare et un peu Tchekhov sur ce terrain-là, est que le personnage, au fond, se parle à lui-même. » qui, activement, actent… Et puis il y a ceux qui sont des créateurs, ceux qui créent leur rôle. Leur rôle, ce n’est pas leur personnage, ce n’est pas le texte, ça n’a rien à voir. Individuellement et égoïstement, à partir de ça, ils apportent leur création remplie de sentiments énormes et inouïs qu’ils installent, qu’ils imposent. Et c’est la raison pour laquelle on peut voir un Hamlet sublime avec Laurence Olivier qui n’a rien à voir avec un Hamlet avec Peter O’Toole ! Pour faire suite à ce que vous dites, quand vous essayez de parler du génie de Molière, vous évoquez systématiquement et avec force celui que vous considérez comme un génie également, Picasso…
Absolument. Le génie de Picasso est tout à fait l’équivalent de celui de Molière. C’est quand même lui, Picasso, qui soudainement fait apparaître sur les tableaux la traversée de l’être : on aurait dit à Vinci et à tous les autres qu’un peintre allait mettre une oreille-là, un œil en bas, un nez là… Magritte, avec beaucoup de respect, en est la représentation en beaucoup plus stylée. Le coup de génie de Molière, et je ne vois que Shakespeare et un peu Tchekhov sur ce terrain-là, est que le personnage, au fond, se parle à lui-même. C’est ça qui est vraiment moderne et irréductiblement jeune dans son œuvre : les héros de Molière s’autoaccusent, s’autoaveuglent 10
b G R A N D E N T R E T I E N — Francis Huster
et s’autodétruisent en se révélant à euxmêmes dans leur vérité nue. C’est comme si la pièce était un miroir, comme si tous les autres personnages étaient un miroir qui n’arrête pas de dire au personnage principal : t’es une merde, t’es un salaud, t’es bien, je t’adore, t’es un fumier, etc., et que le personnage se retrouve obligé de se parler à lui-même et de se dire : mais qui suis-je ? La preuve, elle se trouve chez tous les héros de Molière : à la fin de chacune de ses pièces, le personnage principal n’est plus le même : Dandin comprend qui il est, Arnolphe également, Alceste aussi… Shakespeare a fait la même chose et, ce qui est extraordinaire pour Tchekhov, c’est que lui aussi imagine la même chose, mais ses personnages résistent et n’arrêtent pas de continuer à se mentir. Au cinéma, les grands films de la comédie à l’italienne ont quelque chose de Tchekhov : les Alberto Sordi, Marcello Mastroianni, tous n’arrêtent pas de se mentir. Partout. Tout le temps, c’est inimaginable ! Et ça, pour les jeunes, c’est extraordinaire : ils n’ont pas sous les yeux des rôles principaux de donneurs de leçons. Dans Andromaque, chez Racine, il n’y a pas un moment où Hermione, un rôle sublissime, se dit la vérité sur elle-même : comment cette fille magnifique, dix mille fois plus intéressante qu’Andromaque, peut-elle en arriver à se foutre en l’air pour cette merde
de Pyrrhus ? On croit rêver… Dans Tartuffe, Elmire ne se fout pas du tout en l’air, alors qu’Orgon et Tartuffe, jusqu’à ce qu’ils soient chacun démasqués, n’en parlons même pas… La clé du génie de Molière, elle est là. Vous parlez des jeunes d’aujourd’hui. Essayons de projeter Molière dans la France de cette fin 2021 : on le verrait bien en apôtre de la contestation qui prendrait à bras-le-corps tous les problèmes sociétaux. Contre quoi se battrait-il aujourd’hui ?
Je crois bien qu’il réussirait à écrire trois pièces et que ça se terminerait dans un bain de sang. Il écrirait une pièce sur les femmes battues et les féminicides, ça c’est sûr. Il écrirait aussi une pièce sur un tartuffe style Zemmour, à qui un Alceste d’aujourd’hui dirait : « Ah bon, je ne savais pas qu’un Abraham Lincoln n’était pas un bon Américain. Il aurait dû s’appeler Jo Lincoln alors, espèce d’imbécile abruti ? Et sais-tu, toi, que ton prénom, Éric, n’est même pas un prénom français, pauvre con ? C’est un prénom suédois qui n’est arrivé en France qu’à partir de 1940… Est-ce que tu sais tout ça, idiot ? » Le Molière d’aujourd’hui écrirait une pièce d’une violence inouïe, sur ce sujet. Et puis, la troisième pièce qu’il écrirait serait sur quelqu’un, à l’inverse de On ne badine pas avec l’amour de Musset, une №43 — Décembre 2021 — Splendeurs
femme tellement amoureuse d’un homme qu’elle ne veut pas dévier de son amour, même quand les autres lui disent qu’il est un con ou un salaud. « Non, je le sauverai » dirait irréductiblement cette femme… Et comment le Molière d’aujourd’hui se comporterait-il vis-à-vis des réseaux sociaux ? Le vrai Molière, lui, s’adressait directement au peuple qui s’entassait au pied des scènes de théâtre…
Je crois bien qu’il ferait comme Alceste. Il foutrait le camp et c’est La Grange (un des comédiens de la troupe de Molière – NDLR) qui se taperait tous les réseaux sociaux en essayant désespérément d’arrondir les angles ! (grand rire)
Y a-t-il quelque chose dont vous regrettez l’absence dans l’œuvre de Molière ?
Si on peut lui faire un reproche, et on pourrait faire le même à Shakespeare, c’est de ne pas être allé sur le terrain de l’imaginaire. Pourquoi n’a-t-il jamais écrit une pièce sur ce qu’il voulait que soit son pays ? Il ne l’a pas fait. Je crois que ça s’explique par le fait, qu’à la fin du compte, j’ai le sentiment que Molière était un vrai croyant. J’ai l’impression qu’il pensait que les choses finiraient toujours par s’arranger, dans la justice… Dans une interview récente, vous l’avez imaginé, ce Molière d’aujourd’hui. Vous l’avez même imaginé comme candidat à la présidence de la République et vous avez précisé qu’il ferait alors farouchement campagne en faveur de l’instauration la plus rapide possible d’une VIe République…
Oui, automatiquement. Parce que Molière n’a jamais regardé derrière lui et parce qu’il se dirait, et à juste titre, que lorsque de Gaulle, en 1958, fabrique la Ve République, c’est pour ne pas être trahi une nouvelle fois, comme il l’avait été treize ans plus tôt. En quelque sorte, il fabrique un coffre-fort dont lui seul aura le code d’ouverture pour pénétrer le pouvoir. Regarder sans arrêt en arrière comme nous le faisons, Molière n’aurait pas supporté. Ce serait comme un immense courage de la faire advenir cette VIe République-là. La toute première obligation serait que le gouvernement, comme à l’Assemblée nationale aujourd’hui, soit à l’image de tout le pays…
soit la première à instituer ce que personne ne veut faire dans le monde entier. D’ailleurs Molière l’a pratiquée, cette obligation-là : à l’intérieur de sa propre troupe, il n’a pas pris que des gens d’un certain style ou d’une certaine pensée. Et d’ailleurs, aujourd’hui, c’est tout le problème de la maison d’en face, la Comédie Française (dont il désigne du doigt les arcades à travers la vitre du café – NDLR). À mon époque, le Français était de droite, en gros, et les jeunes acteurs de gauche se battaient de toutes leurs forces pour le révolutionner. Et tout d’un coup sont arrivés les Antoine Vitez et autres Jean-Pierre Vincent. Et la Comédie Française est passée à gauche et il fallait être impérativement de ce courant-là… Ce n’est pas possible d’être toujours dans une monologique comme ça.
on ne parvenait plus à jouer, on était morts de rire et de plus, on le voyait distinctement, s’étant rassis après son coup de gueule, nous inciter par gestes à reprendre très vite le cours normal de la pièce. Sincèrement, Serge Gainsbourg, c’est Alceste, il a toujours été un homme à femmes, il a eu les plus belles dans ses bras. Il n’a jamais eu le moindre problème pour les séduire, c’était un danseur, un funambule… Je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi heureux que lui, c’est complètement fou… Chez lui, à son domicile, c’est la couleur noire qui était omniprésente. Mais c’est parce qu’en fait, il était l’ange blanc à l’intérieur d’un monde tout noir. Serge avait une gigantesque admiration pour Molière. Un jour il m’a dit : (et là, Francis Huster se met à imiter – avec talent – la voix traînante et éraillée de Gainsbourg – NDLR) « Non, mais tu vois, Francis, moi j’ai été Gainsbarre, mais Un tel gouvernement ne pourrait fonc- l’autre, il a fait Molière. Je vais te dire : il tionner qu’avec une immense majorité de s’est joué de lui-même… » C’est incroyable, gens de bonne volonté, comme on dit… non ? Comme Chaplin, qui est plein aux as Absolument. Ce serait la clé. Lors de aux États-Unis et qui invente le personnage la Seconde Guerre mondiale, la France a de Charlot, un clodo… Sincèrement, je me commis une erreur monumentale en se demande encore aujourd’hui si, en créant confiant au « marécage » Pétain, comme son Gainsbarre, Gainsbourg ne s’est pas insdisait Jouvet. À ce moment-là, la République piré de Molière… ». b a été violée par l’État français. Le masque est vite tombé, Pétain et ses partisans ont montré leur vrai visage… Notre précieuse République est de trois couleurs : elle n’est pas toute bleue, elle n’est pas toute rouge et elle n’est pas toute blanche. Le gouvernement doit être à son visage. Une nouvelle Constitution devrait imposer un gouvernement avec des ministres de toutes les sensibilités. Mais tout est conditionné par le chef d’orchestre : et depuis des décennies, c’est le problème de la France, le chef d’orchestre est défaillant… Pour finir, revenons à ce beau Dictionnaire amoureux de Molière. La toute dernière des plus de ses trois cents entrées s’appelle « Vos gueules, c’est du Molière ! ». Racontez-nous…
On est dans une représentation de Dom Juan, lors d’une matinée au Théâtre du Rond-Point, à Paris. Je joue Sganarelle, Jacques Weber est Dom Juan et Fanny Ardant joue Elvire. On est au tout, tout début de la pièce, devant un public composé en grande majorité d’enfants et d’ados qui chuchotent encore un peu pendant la première scène. Alors Serge Gainsbourg, qui est C’est utopique, vous ne pensez-pas ? assis au premier rang, se lève soudainement Dictionnaire amoureux Non. C’est une responsabilité morale. et dit avec une voix de gorge retentissante : de Molière, Francis Huster, J’aimerais bien que notre VIe République « Vos gueules, c’est du Molière ! » Sur scène, Éditions Plon №43 — Décembre 2021 — Splendeurs
b GRA ND ENTRETI EN — Francis Huster
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c D O S S I E R – E X P OS TGV PARIS Portrait d’Ivan Mortozov par Valentin Serov (1910, Musée Pouchkine, Moscou). En fond, le tableau Fruits et bronze que le cadet des frères Morozov avait commandé à Henri Matisse)
EXPOS TGV
Paris est une fête… 12
c D OS SI E R – Expos TGV
ien sûr, la pandémie, sournoise, rôde toujours… Mais le Paris de l’art relève le défi après le black-out sinistre de l’hiver dernier. Alors, au moment de sélectionner nos traditionnelles « Expos TGV » de notre numéro de décembre, il a fallu douloureusement arbitrer tant la capitale propose en cette fin d’année 2021 un feu d’artifice réellement exceptionnel, avec une densité presque jamais vue d’expositions qui déclenchent les superlatifs. Sincèrement, et simplement pour rendre compte exhaustivement des merveilles proposées, il eût fallu au moins doubler la pagination traditionnelle du magazine…
B
Nos choix, donc : la collection Morozov à la Fondation Vuitton, éblouissant accrochage du meilleur de l’art impressionniste et moderne du début du xxe siècle réuni par les frères №43 – Décembre 2021 – Splendeurs
Morozov à l’aube du siècle dernier. Près de deux cents chefs-d’œuvre incomparables, des joyaux qui voyagent pour la première fois hors de Russie. Une pluie d’étoiles sur l’hiver parisien et français… Autre événement : l’ouverture (si longtemps attendue) de l’incroyable Bourse du Commerce, prévue pour être l’écrin d’expositions régulièrement renouvelées de la prolifique collection privée de François Pinault. Autour du vaste cylindre de béton imaginé par l’architecte Tadao Ando, c’est une véritable expérience qui vous attend. Visite guidée dans Or Norme... Toujours aussi pertinent et pointu, Fabrice Hergott, qui présida longtemps et magnifiquement aux destinées du MAMCS, accroche les dessins, photos, peintures et tapisseries du couple Anni et Josef Albers aux cimaises de son Musée №43 – Décembre 2021 – Splendeurs
d’Art Moderne de Paris. L’abstraction à son zénith… À Pompidou, on est ébahi devant la puissance émotionnelle et magnétique d’un des plus grands artistes contemporains, Georg Baselitz, 82 ans. Sa rétrospective est à l’image de ce monstre inclassable, tempétueux et imprévisible… Côté photo, qu’on n’oublie jamais dans Or Norme, le Musée du Luxembourg présente toutes les nuances du travail de l’Américaine Vivian Maier. On vous raconte l’incroyable, l’histoire inouïe de cette américaine nobody reconnue aujourd’hui comme une des plus grandes photographes du xxe siècle alors que personne, absolument personne ne la connaissait il y a encore quatorze ans de cela… Pour ne pas être en reste, aux Tuileries, le Musée du Jeu de Paume présente pour la première fois en France la collection de
Thomas Walther, les chefs-d’œuvre photographiques de l’entre-deux-guerres acquis par le MoMA. On ne saurait que trop vous conseiller de prendre d’ores et déjà vos dispositions pour passer deux ou trois jours à Paris pour les fêtes de fin d’année. Ce programme somptueux vous attend, parmi tant d’autres beaux rendez-vous possibles (comme les Cerisiers en fleurs de Damien Hirst à la Fondation Cartier, l’expo-hymne à l’audace du couturier Thierry Mugler au Musée des Arts décoratifs ou le discret musée de Montmartre Jardins Renoir qui abrite jusqu’au début janvier prochain des toiles méconnues de Raoul Dufy par exemple…). Oui, en cette fin d’année, Paris est une fête ! Soyez-en… c Jean-Luc Fournier c D OS SI ER – Expos TGV
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c D O S S I E R – E X P OS TGV PARIS Jean-Luc Fournier Galerie Trétiakov, Moscou – Musée d’État des beaux-arts Pouchkine, Moscou – Musée d’État de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg
FONDATION LOUIS VUITTON
Les icônes de l’art moderne des frères Morozov On le savait déjà depuis l’incroyable et magnifique succès de l’expo Chtchoukine qui s’était ouverte à l’automne 2016 : il y aurait une seconde expo venue de Russie, tout aussi prestigieuse. Avec un an de retard pour cause de pandémie, c’est la totalité des salles d’expos de la Fondation Vuitton qui est aujourd’hui mobilisée pour accueillir près de 200 chefs-d’œuvre, un pur trésor… out comme la sublime expo Chtchoukine il y a cinq ans, il faut rouvrir les livres d’histoire de l’art, et même les livres d’histoire tout court pour réaliser l’envergure de l’exposition Morozov. Et remonter jusqu’en 1770, pour retrouver les traces de Savva Morozov, ancien serf qui s’est affranchi, avec les siens, après avoir créé un modeste atelier de rubans de soie grâce à la dot de son mariage. Ses descendants sont devenus ensuite, en l’espace de quelques décennies, des manufacturiers d’envergure, commercialisant en Europe, mais aussi en Iran et en Chine toute une gamme de velours, coton, calicot et ouate. Membres d’une branche dissidente de l’Église orthodoxe russe pour qui c’était la règle absolue, des générations de Morozov vont ensuite faire de la transmission du savoir un véritable devoir moral, indissociable marqueur de leur réussite financière. Mikhaïl Morozov nait en 1870, un siècle pile après la naissance de son aïeul Savva, suivi un an plus tard par l’apparition sur terre de son frère Ivan. Mikhaïl fut longtemps un flambeur invétéré, dépensant des fortunes au jeu et recevant frénétiquement artistes et intellectuels dans son somptueux hôtel particulier moscovite. Il finit néanmoins par véritablement se passionner pour la peinture et assumer délibérément son activité
T
Edvard Munch, Nuit blanche Filles sur le pont, Osgarstrand, 1903
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de collectionneur. À cette époque, Paris était un phare incontesté. Avec courage et opiniâtreté (il fallait alors dix jours de train pour relier Moscou à Paris !), il finit par constituer un début de belle collection, acquérant des Corot, Renoir, Degas ou encore Monet, faisant preuve d’un indéniable talent de précurseur en achetant les œuvres des Nabis dont celles de Pierre Bonnard alors quasi inconnu, et achetant sur le mode coup de foudre (au nez et la barbe de Chtchoukine), Te Vaa (la Pirogue), la première œuvre de Gauguin jamais entrée en Russie. Bien avant les autres, il devina l’aura qu’allait avoir le Norvégien Edvard Munch dont la toile Nuit blanche – Osgarstrand (Filles sur le pont) figure en majesté au cœur de l’expo parisienne.
Ivan, diplômé de la prestigieuse École polytechnique de Zurich et homme d’affaires reconnu, va prendre le relais, lui qui possède déjà une très belle collection de peintres contemporains russes. Sur les traces de son aîné, il achètera des toiles de Pissaro, Sisley, Monet, Renoir et autre Degas. Puis, quelques années plus tard, assumant résolument son tempérament de collectionneur avantgardiste, raflera allégrement huit toiles de Gauguin en moins d’un an. Au Salon d’Automne de 1907, il découvre Paul Cézanne à qui il achète quatre tableaux (dans les années suivantes, il en possédera dix-huit. Cette même année, il découvre également Matisse. En même temps, il passe une importante commande à Maurice Denis. Puis à Bonnard Rat trapé par ses excès des (le fameux triptyque La Méditerranée, une années 1890, Mikhaïl Morozov meurt des toutes premières œuvres visibles dès prématurément en 1903. Son frère cadet, l’entrée de l’expo parisienne. №43 — Décembre 2021 — Splendeurs
Pierre Bonnard, Triptyque La Méditerranée
« La Meule, de Monet, lorsqu’elle est exposée à Moscou grâce aux Morozov provoque un vrai choc. C’est en la voyant que Kandinsky décide de se consacrer à la peinture ! Anne Baldassari c D OS SI ER — Expos TGV
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c D O S S I E R – E X P OS TGV PARIS Auguste Renoir, Portrait de Jeanne Samary, Paris, 1877.
Envisageant assez vite ses acquisitions comme devant former un « panorama de l’art moderne », Ivan Morozov les complètera avec des toiles de Vlaminck et Derain et trois Picasso, alors un « débutant » peu remarqué et dans la misère. Les preuves de l’incroyable flair des frères Morozov pullulent. C’est Anne Baldassari, la talentueuse commissaire générale de l’expo de la Fondation Louis Vuitton, qui en apporte une des principales : « La Meule, de Monet, lorsqu’elle est exposée à Moscou grâce aux Morozov provoque un vrai choc. C’est en la voyant que Kandinsky décide de se consacrer à la peinture ! » révèle-t-elle.
Un long sommeil Comme pour la collection de leur rival et ami Sergueï Chtchoukine, les conséquences de la révolution bolchévique d’octobre 1917 ruineront les espoirs des Morozov qui souhaitaient avant tout ouvrir à tous ce qu’ils imaginaient comme le musée de référence de l’art moderne, au sein de leur hôtel particulier de la rue Prechistenka. La famille abandonna ses précieux tableaux au moment de fuir la Russie dans la hâte, en 1919. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, leur collection fut répartie entre le musée Pouchkine de Moscou et celui de l’Ermitage à Leningrad (Saint-Pétersbourg, aujourd’hui). Exilé malgré lui, Ivan Morozov décédera en 1921, sans même avoir vu la fusion de sa collection avec celle de Chtchoukine, au sein de l’éphémère Musée national d’art moderne, créé en 1923. Plus tard, sous Staline, on commença à traquer les « œuvres infectées par les maladies formalistes, influencées par les vestiges bourgeois ». Tout comme celles de la collection de Sergueï Chtchoukine, les œuvres des Morozov furent reléguées dans des réserves, certaines même entreposées dans le froid de grottes souterraines de Sibérie, donc quasi impossibles à restaurer de nos jours.
d’en exhumer quelques-unes en 1962, notamment de Matisse et Picasso qu’elle exposa dans le musée. L’Académie des Beaux-Arts s’en émut et décida d’envoyer une commission d’apparatchiks triés sur le volet. Dans leur rapport, ils exigèrent qu’on décroche les toiles, « des tronches horribles et stupides. Il faut revoir l’orientation dans la lumière des lignes du Parti et de l’État (…) Matisse ne sait pas dessiner. Cet art est apolitique et n’a aucune valeur éducative. » Intrépide et courageuse, Antonina Izzerguina défendit bec et ongles son accrochage et parvint à faire recenser ces toiles comme patrimoine national de l’URSS.
Ce fut le premier retour à la lumière des collections Chtchoukine et Morozov, depuis visibles à l’Ermitage et au musée Pouchkine moscovite et désormais excepAvec courage, une conservatrice de tionnellement exposées à Paris, jusqu’au l’Ermitage, Antonina Izzerguina, décida 22 février prochain. c 16
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LA COLLECTION MOROZOV ICÔNES DE L’ART MODERNE Jusqu’au 22 février prochain à la Fondation Louis Vuitton 8 avenue du Mahatma-Gandhi 75016 Paris Entrée sur présentation du pass sanitaire Plein tarif : 16 € Tarif étudiant : 10 € Tarif Demandeurs d’emploi et moins de 18 ans : 5 € Ouverture tous les jours, sauf jours fériés, de 10h à 20h les vendredis de 9h à 23h les samedis de 10h à 21h Navette (payante) entre la place de l’Étoile (haut de l’avenue de Friedland) et la Fondation. Allers et retours toutes les demi-heures. Renseignements et réservations par internet : www.fondationlouisvuitton.fr
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Près de 200 chefs-d’œuvre, là, sous nos yeux… es œuvres majeures de Picasso, Matisse, Gauguin, Van Gogh, Cézanne, Bonnard, Denis, Degas, ainsi que celles d’artistes de l’avant-garde russe comme Vroubel, Chagall, Malevitch, Repine, Larionov ou encore Serov... sont présentées dans l’ensemble des espaces disponibles au sein de la Fondation Louis Vuitton, à l’orée du Bois de Boulogne à Paris.
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L’accrochage subtil et intelligent de Anne Baldassari permet de réaliser l’incroyable flair de collectionneur des frères Mikhaïl et Ivan Morozov et leur investissement total (et pas seulement financier) pour faire aboutir leur rêve d’exposer dans le Moscou du début du xxe siècle la fine fleur de l’art impressionniste et moderne qu’il découvrait lors de leurs incessants déplacements à Paris. Ainsi, ce tableau de Van Gogh, La Ronde des Prisonniers (1890) peinte alors que le peintre était interné à l’asile psychiatrique de Saint-Rémy-de-Provence, une petite toile (80 x 64 cm) particulièrement bien mise en lumière dans l’expo. Certains spécialistes affirment que le prisonnier qui nous fixe, au premier plan, est un auto-portrait de l’artiste. De tous les chefs-d’œuvre exposés, ce tableau est incroyablement bouleversant, car quand Mikhaïl Morozov l’acquiert, Van Gogh, mort depuis à peine plus de dix ans, ne bénéficie que d’une très faible notoriété dans le petit milieu d’artistes et de collectionneurs qu’il avait pu fréquenter lors de ses séjours à Paris… Seul le tableau La Vigne rouge, peint en 1888, avait été vendu du vivant de l’artiste. Les moments d’émotion sont à tous les étages : les couleurs incroyables et les « atmosphères » de Gauguin, sans aucune notoriété et de plus dans une misère noire lors des premiers achats des Morozov ; le fabuleux triptyque La Méditerranée d’un Pierre Bonnard littéralement découvert par les frères russes ; cet Acrobate à la boule signée en 1905 par un inconnu lui aussi, le tout jeune Pablo Picasso, tout comme le Nuit blanche – Filles sur le pont peint en 1903 par un Norvégien quasi anonyme, Edvard Munch qui n’avait alors que 40 ans… №43 — Décembre 2021 — Splendeurs
Tous ces tableaux, et l’ensemble des 200 œuvres présentées à Paris, sont bien sûr entrés depuis dans l’histoire de l’art mondial. Mais quand ils sont tombés sous les yeux des frères Morozov à l’orée du xx e siècle, seules la géniale vista et l’audace des collectionneurs russes ont permis d’amorcer leur fantastique destin. C’est cet élément primordial qu’il faut conserver en tête dans les étages de la Fondation Vuitton pour pouvoir mesurer à satiété le caractère formidablement exceptionnel de ce qui nous est donné à voir… c
Vincent van Gogh La Ronde des Prisonniers, Saint-Rémy-deProvence, 1890
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c D O S S I E R – E X P OS TGV PARIS Jean-Luc Fournier The Josef and Anni Albers Foundation/Artists Rights Society (ARS), New York/ADAGP, Paris 2021
LA NAISSANCE J DU MODERNISME
Anni et Josef Albers To open eyes…
To open eyes, c’est en effet ainsi que Josef Albers définissait sa mission, cherchant à sensibiliser ses étudiants du Bauhaus à une nouvelle façon de voir les choses. Avec son épouse Anni, il constitua un couple d’artistes majeurs du début du xxe siècle, indissociables de ces années 1930 en Allemagne où, dans le contexte déjà épouvantable de la montée du nazisme, se construisirent néanmoins les bases de la modernité…
usqu’au 9 janvier prochain, le Musée d’Art Moderne de Paris expose plus de 350 œuvres (peintures, photographies, meubles, œuvres graphiques et textiles…) significatives du développement artistique de Anni et Josef Albers, le mythique couple d’artistes de la célèbre époque du Bauhaus en Allemagne. Tout au long de leur vie, Anni et Josef Albers se sont en effet soutenus et renforcés mutuellement, dans un dialogue permanent et respectueux. Ils ont non seulement produit une œuvre considérée aujourd’hui comme la base du modernisme, mais ont aussi imprégné toute une nouvelle génération d’artistes de leurs valeurs éducatives. Car, en même temps qu’artistes, ils furent aussi des enseignants, se rencontrant en 1922 au Bauhaus de Weimar, école qu’ils n’abandonnèrent pas quand celle-ci émigra à Dessau, en pleine montée du nationalsocialisme en Allemagne. C’est d’ailleurs dans cette ville qu’ils se marièrent, peu de temps avant l’inauguration du nouveau bâtiment du Bauhaus en décembre 1926.
Toutes les facettes de l’abstraction
Anni Albers Red and Blue Layers, 1954
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L’exposition suit un parcours chronologique dans lequel s’instaure un dialogue entre les deux œuvres, tout en soulignant leurs différences et leurs ressemblances. Car chacun de leurs côtés (mais résolument ensemble), ce couple unique explora littéralement toutes les facettes possibles de l’abstraction. En récupérant des chutes de verre dans la décharge publique de Weimar, Josef Albers a créé des assemblages et des compositions hétéroclites qui lui valurent d’être sollicité pour ouvrir le fameux Atelier de verre, intégré au sein du Bauhaus. Un certain Paul Klee le rejoignit alors, devenant directeur artistique de l’Atelier. C’était déjà la martingale magique du Bauhaus : les étudiants faisaient l’acquisition d’un solide bagage technique et d’une connaissance extrêmement pointue des matériaux et des méthodes de travail avant de bénéficier d’une très forte stimulation artistique leur permettant de s’exprimer entièrement. De son côté, Anni rejoignit l’Atelier de tissage de cette même école où elle put investir pleinement cette discipline et elle trouva vite son inspiration dans ce nouvel environnement en y goûtant, de fait, une totale liberté d’expérimenter. №43 — Décembre 2021 — Splendeurs
Ainsi, Josef développant un langage de formes architectoniques reposant sur le verre doublé (une technique qui permet le recouvrement d’un morceau de verre blanc, opaque ou transparent, par une fine couche de verre soufflé, coloré artisanalement) et Anni produisant de larges pans de soie tissée aux formes similaires, les Wallhangings, tous deux travaillèrent en phase : leurs œuvres se faisaient écho. Ils partageaient la même vision d’un équilibre formel, chacun dans sa technique, exploitant les diverses propriétés de son matériau de prédilection. L’expo du Musée d’Art Moderne regorge d’exemples illustrant ce dialogue prolifique, mais, un peu à l’image des Wiener Werkstatte (les ateliers d’art viennois) qui, à la même époque, développaient formidablement cet art sans cloisonnement, le couple investit aussi d’autres domaines artistiques : le design, la photographie, entre autres exemples…
L’innovation, sans cesse… En 1933, sous la pression du régime nazi, les membres du Bauhaus décidèrent unanimement la dissolution de l’école. La réputation d’Anni et de Josef Albers était déjà bien établie. Sur la recommandation de Philip Johnson, alors conservateur au Museum of Modern Art (MoMA) de New York, le couple a été appelé pour enseigner aux États-Unis, au Black Mountain College, une école expérimentale qui reprenait en grande partie les principes pédagogiques du Bauhaus. Située dans un environnement rural dans les montagnes de Caroline du Nord, cette école d’art progressiste avait été fondée sur les principes éducatifs du philosophe américain John Dewey (« apprendre par l’action »),
Au-dessus : Homage to the Square Josef Albers, 1979 À droite : Josef et Anni Albers dans le jardin du Bauhaus à Dessau en 1925
« Apprenez à voir et à ressentir la vie, cultivez votre imagination, parce qu’il y a encore des merveilles dans le monde, parce que la vie est un mystère et qu’elle le restera. » №43 — Décembre 2021 — Splendeurs
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c D O S S I E R – E X P OS TGV PARIS impliquant des méthodes expérimentales d’enseignements et la vie en communauté qui évidemment ne pouvaient que plaire à Anni et Josef Albers. Après-guerre, ils ne cessèrent d’innover, explorant une multitude de pistes créatrices. Recruté dans les années 50 à Yale pour diriger l’atelier de design de l’université, Josef y réalisa jusqu’à sa mort en 1976, la série Homage to the Square (Hommage au Carré) qui comprend plus de deux mille tableaux explorant l’interaction des couleurs entre elles et avec leur environnement. Josef y choisit de se limiter à quatre formats élémentaires de carrés emboîtés. Fascinant… Pendant ce temps, Anni se consacra au design et à la gravure, expérimentant diverses techniques telles que la lithographie, la sérigraphie, l’impression offset, l’estampe ou la gravure à l’eau-forte. Comme pour le tissage, elle se laissait guider par le processus d’impression : « Ce que j’essaie de faire comprendre, c’est que le matériau est un moyen de communication. Que l’écouter, et ne pas le dominer, nous rend vraiment actifs – c’est-à-dire que pour être actifs : soyons passifs ! » avait-elle coutume de dire avec un sourire entendu. Anni Albers est décédée aux États-Unis, à l’âge de 93 ans, le 9 mai 1994… Cette rétrospective parisienne est un formidable hommage au travail artistique de ce couple germano-américain et sa réalisation soignée et exhaustive est tout à l’honneur du Musée d’Art Moderne de Paris et de ses équipes qui formalisent en cette fin d’année une longue séquence de six ans ayant été nécessaire pour parvenir à monter cette superbe exposition… c MUSÉE D’ART MODERNE DE PARIS
« Ce que j’essaie de faire comprendre, c’est que le matériau est un moyen de communication. Que l’écouter, et ne pas le dominer, nous rend vraiment actifs – c’està-dire que pour être actifs : soyons passifs ! »
Aufwärts, verre plaqué et sablé, peinture noire. Josef Albers, 1926
11 avenue du Président Wilson 75116 Paris Tél. 01 53 67 40 00 www.mam.paris.fr Transports Métro : Alma-Marceau ou Iéna (Ligne 9) RER C : Pont de l’Alma (Ligne C) Bus : 32/42/63/72/80/92 Horaires d’ouverture Du mardi au dimanche de 10h à 18h Fermeture le lundi et jours fériés Tarifs Tarif plein : 14€ Tarif réduit : 12€ Gratuit pour les moins de 18 ans La réservation d’un billet horodaté pour accéder aux expositions est conseillée sur www.billetterie-parismusees.paris.fr
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Städel Museum – ARTOTHEK/BPK, Berlin, Dist. /Centre Pompidou, MNAM-CCI-Bertrand Prévost – RMN-GP
RÉTROSPECTIVE AU CENTRE POMPIDOU
La planète « Baselitz » est un signe qui ne trompe pas, pour nous qui avons la chance d’être à une portée d’arbalète du monde alémanique et qui suivons depuis longtemps les expos régulièrement consacrées à Georg Baselitz en Allemagne, Suisse (la Fondation Beyeler lui avait consacré une somptueuse exposition il y aura bientôt quatre ans) ou Autriche : les fans de ce peintre savent tous qu’il a réalisé lors de cette dernière décennie des toiles gigantesques, quasi titanesques, d’une dimension telle qu’elles ne pourraient être exposées que dans des salles exceptionnellement hautes. Et bien, Baselitz est à l’évidence trop grand, même pour le réputé Centre Pompidou. Ces toiles-là sont inéluctablement absentes, et, au fond, cette absence nous préserve sans doute de la violence de leur tragique puissance…
C’
« Une résistance au monde… »
Oui, la planète Baselitz. Car comment mieux définir la singularité profonde de ce peintre inclassable, aujourd’hui octogénaire, qui poursuit avec une incroyable constance une œuvre dont l’inventivité, la violence et l’audace ne se sont jamais démenties depuis des décennies. Il y a eu, depuis vingt ans, une foule d’expositions en Europe, mais très peu en France. Beaubourg permet à Paris d’offrir enfin une rétrospective magique et magnifique (sans doute la plus vaste jamais organisée dans le monde), à la hauteur de la tempête permanente des toiles de ce dynamiteur né… Die Mädchen von Olmo II
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Si vous êtes amateur d’une peinture paisible, agréable et décorative, alors fuyez les cimaises de Beaubourg ! Il en va du paisible de vos nuits. Car les œuvres de Baselitz, littéralement, nous agressent, nous prennent à la gorge et ne nous lâchent plus jamais. Elles sont d’une brutalité totale et sauvage, elles sont outrancières, brutes, crues… Hans-Georg Kern (son véritable nom) est né en 1938 en Allemagne, à Deutschbaselitz, un faubourg de la petite ville de Kamenz, en Saxe. Cette simple date fournit à elle seule une indication majeure : l’artiste a vu le jour au cœur de l’Allemagne nazie et de son totalitarisme bestial. Il a ensuite grandi au cœur des ruines du IIIe Reich, parti pour durer mille ans et qu’il aura fallu détruire à l’extrême pour tenter d’exterminer les puissances maléfiques qui l’animaient. Ce même totalitarisme, revisité façon communisme pur et dur, fut encore la toile de fond de l’adolescent puis du jeune adulte habitant de la RDA. №43 — Décembre 2021 — Splendeurs
Oberon (1. Orthodoxer Salon 64 E. Neijsvestnij), 1963-1964
Admis à l’École des Beaux-Arts de Charlottenbourg à Berlin-Ouest (le mur n’avait encore pas été construit), c’est en 1961 qu’il prend le pseudonyme de Baselitz, du nom de son quartier de naissance. Dans un entretien accordé à l’AFP au début de l’automne dernier, il raconte avoir développé très jeune « une résistance au monde ». Façon de décrire une évidence qui suinte de la violence et de la puissance qui, depuis toujours, animent ses toiles : toute sa vie, et avec une force encore intacte aujourd’hui, Georg Baselitz aura cherché à lutter contre toutes les idéologies.
« Oui, je suis un peintre monstrueux… » Si son œuvre est souvent remplie de références subtiles à Goya, Piccabia, Courbet, Schiele ou autre Nolde, très vite, ce sont les corps mutilés et déchirés par les atrocités de la guerre ou du totalitarisme ou ceux, moins « atrocisés » des jeunes ou moins jeunes vieillards, qui se sont imposés sur les toiles, avec ce fameux « têteen-bas » devenu la marque distinctive de l’artiste dès la fin des années soixante. Une transgression de plus qui défie la lecture traditionnelle des œuvres et qui, l’air de rien, oblige le spectateur à établir une colossale distance avec le simple propos narratif suggéré par les toiles. Il faut donc se laisser happer par la puissance de ces toiles que le Centre Pompidou nous propose à foison dans cette exceptionnelle rétrospective. Et se souvenir des mots de Baselitz, toujours dans ce même entretien à l’AFP : « L’émotion est toujours la porte d’entrée » (…) Les artistes devraient (...) détester tout ce qui est officiel, transgresser tous les interdits, être méfiants, incrédules. Oui, je suis un peintre monstrueux… » reconnait-il avec une tranquille assurance. Preuve supplémentaire, s’il le fallait, les sculptures que Beaubourg présente « en №43 — Décembre 2021 — Splendeurs
« L’émotion est toujours la porte d’entrée (…) Les artistes devraient (...) détester tout ce qui est officiel, transgresser tous les interdits, être méfiants, incrédules. Oui, je suis un peintre monstrueux… » c D OS SI ER — Expos TGV
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c D O S S I E R – E X P OS TGV PARIS Zwei Meißener Waldarbeiter (1967)
majesté ». La violence est encore là, omniprésente. Pour la plupart, elles sont réalisées avec le bois comme support, ce bois découpé à la tronçonneuse, échardé, hérissé de pointes dangereuses d’où naissent des corps torturés, figés dans une violence exposée crûment. Plus récemment, Baselitz s’est mis à travailler le bronze, dans la même veine hyper expressionniste… Avouons-le, on ressort de ce long parcours déambulatoire quasi groggy et sonné par autant de déconstruction systématique de nos façons de voir qu’on peut assimiler à un véritable acharnement qui est tout sauf gratuit, évidemment. Lors de sa récente venue à Paris pour présenter « sa » rétrospective, Georg Baselitz a répété jusqu’à plus soif que non, il n’a jamais ressenti le besoin « d’exorciser une jeunesse et un passé pesant ». Il n’a jamais cessé de clamer qu’il refuse ce type d’interprétation de son œuvre. N’empêche : pour être franc, on a bien su mal à s’abstraire du contexte de ses premières décennies de vie et de son rapport avec l’extrême violence de son histoire personnelle, au cœur des années de plomb du dernier siècle et du fascisme omniprésent qu’elles véhiculaient. Ne déclarait-il pas au journaliste Donald Kuspit : « Je suis né dans un ordre détruit, un paysage détruit, un peuple détruit, une société détruite. Et je n’ai pas voulu réinstaurer un ordre : j’avais assez vu de soi-disant ordre. J’ai été contraint de tout remettre en question, d’être “naïf ”, de repartir de zéro. Je n’ai ni la sensibilité, ni la culture, ni la philosophie des maniéristes italiens, mais je suis maniériste au sens où je déforme les choses. Je suis brutal, naïf et gothique. » Georg Baselitz va aujourd’hui sur ses 83 printemps. Il a encore eu ces mots, il y a peu : « Il y a une peinture linéaire et des peintres avec des lignes multiples. Moi j’ai suivi beaucoup de lignes parce que je n’étais pas certain d’être sur le bon chemin (...). Je continue, ça marche bien », avouait-il, avant d’ajouter qu’il pouvait encore peindre « deux à trois heures par jour, seulement par terre, plus rapidement qu’avant et avec plus de précision »… Vous avez jusqu’au 22 mars prochain pour affronter cette expo hors du commun… c 24
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« Je suis né dans un ordre détruit, un paysage détruit, un peuple détruit, une société détruite. Et je n’ai pas voulu réinstaurer un ordre : j’avais assez vu de soi-disant ordre. »
LE CENTRE POMPIDOU Place Georges-Pompidou 75004 Paris Accès : Métro Hôtel de Ville (Ligne 1) ou Rambuteau (Ligne 11) RER A-B-D Station : Châtelet–Les Halles Ouvert tous les jours sauf le mardi Plein tarif : 14€ – Tarif réduit : 11€ Gratuit pour les moins de 18 ans Réservation en ligne recommandée : www.billetterie.centrepompidou.fr
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FONDATION CARTIER POUR L’ART CONTEMPORAIN
Damien Hirst et ses Cerisiers en fleurs Dans les petites chapelles de l’art contemporain, il fait partie de ces artistes renommés vite accusés, une fois leur succès acquis, de servir et resservir à satiété la sempiternelle même recette commerciale. Au risque d’apparaître comme des benêts, on va essayer de vous faire partager notre conviction : Damien Hirst est bel et bien un artiste majeur de notre époque, travaillant aussi bien la sculpture que l’installation, le dessin et, bien sûr, la peinture. La Fondation Cartier lui offre sa première exposition institutionnelle en France et cette exposition se révèle immanquable… Wonderful World Blossom (détail)
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l a fallu pas moins de trois ans à Damien Hirst pour terminer cette incroyable réalisation de 107 toiles, toutes de très grands formats, que comprend la série Cerisiers en fleurs, commencée après l’incroyable projet de sculpture Treasures from the Wreck of the Unbelievable qui l’occupa pendant une décennie avant d’être révélé au printemps 2017 au Palais Grassi et à la Punta Della Dognana, les deux sites de François Pinault à Venise, dans le cadre de la Biennale 2017. « Les Cerisiers en fleurs parlent de beauté, de vie et de mort. Elles (les toiles) sont excessives – presque vulgaires. Comme Jackson Pollock abimé par l’amour. Elles sont ornementales, mais peintes d’après nature. Elles évoquent le désir et la manière dont on appréhende les choses qui nous entourent et ce qu’on en fait, mais elles montrent aussi l’incroyable et éphémère beauté d’un arbre en fleurs dans un ciel sans nuages. C’était jouissif de travailler sur ces toiles, et de me perdre entièrement dans la couleur et la matière, à l’atelier. Les Cerisiers en fleurs sont tape-à-l’œil, désordonnées et fragiles, et grâce à elles, je me suis éloigné du minimalisme pour revenir avec enthousiasme à la spontanéité du geste pictural ». Ces mots de l’artiste lui-même figurent sur la page dédiée à sa superbe série sur son site www.damienhirst.com.
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À gauche : L’instant magique sur la toile Wonderful World Ci-dessus : QR code Cerisiers en Fleurs
FONDATION CARTIER POUR L’ART CONTEMPORAIN 261 boulevard Raspail 75014 Paris Les Cerisiers en fleurs – Damien Hirst Jusqu’au 2 janvier 2022 Accès : Métro Station Raspail (Ligne 4 ou 6)
La dernière de ses 107 toiles a été peinte en novembre 2020, c’est-à-dire au sortir du long confinement qui avait débuté le 20 mars précédent. « La pandémie m’a permis de vivre avec mes peintures et de prendre le temps de les contempler, jusqu’à ce que je sois certain qu’elles étaient toutes terminées » déclare Damien Hirst dans le film 360°, spécialement réalisé pour l’exposition à la Fondation Cartier. Il ne faut surtout pas se laisser bluffer par les photos des toiles (même les plus léchées) parues dans les magazines afin de promouvoir l’expo parisienne. Inévitablement, même sur papier glacé, elles ont un petit côté wallpaper qui ne peut que nuire à la perception de l’extraordinaire travail qu’on repère au premier coup d’œil quand on visite l’exposition de visu. Surtout quand, sur le coup de onze heures le matin, début novembre dernier, le soleil rasant d’hiver vient frapper les toiles de côté, pendant à peine une poignée de minutes. Cette extraordinaire et inattendue lumière latérale révèle alors idéalement le travail de l’artiste, qui mêle touches épaisses et projections de peintures, une fantastique sarabande qui fait référence tant à l’impressionnisme et au pointillisme qu’à l’action painting. On reste coi quand on mesure l’incroyable somme de №43 — Décembre 2021 — Splendeurs
travail, au vu du gigantisme de la plupart des 107 toiles de la série. Y voir à la fois un détournement et un hommage aux grands mouvements artistiques de la fin du xix e siècle et de la première moitié du xx e provoque une émotion assez incroyable elle aussi… Pas de doute, les Cerisiers en fleurs s’inscrivent bien dans les réflexions picturales que Damien Hirst mène depuis les premiers pas de sa carrière (il est assez frappant d’aller revoir sur le net ses fameux Sports Paintings de la fin des années 80 juste après avoir visité l’expo à la Fondation Cartier. On comprend immédiatement la filiation…).
Ouvert tous les jours sauf le lundi de 11 à 20h (le mardi jusqu’à 22h) Tarifs : Plein tarif : 9€ Tarif spécial seniors : 5€ Gratuit pour les moins de 18 ans. Réservation en ligne : www.fondation-cartier.tickeasy.com
Alors oui, si vous êtes à Paris en cette fin d’année, il ne faut pas rater l’expo de la Fondation Cartier. Pour vous donner encore plus envie, vous pouvez visionner sur internet le film documentaire réalisé spécialement pour l’exposition parisienne, en flashant le QR code ci-dessus. Une fois sur place (si vous y êtes en fin de matinée et si… le soleil veut bien être de la partie), arrangez-vous pour vous situer dans la grande salle de droite au rez-dechaussée. La toile est la n°10 de l’expo, elle se nomme Wonderful World Blossom et ces instants fugaces révèlent toute la magie du travail de cet artiste majeur de l’art contemporain… c c D OS SI ER — Expos TGV
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Adagp, Paris 2021 – Julien KNAUB/Musée de Montmartre
ormand de naissance, on connaît l’artiste Raoul Dufy pour ses aquarelles colorées, tout en « abréviations graphiques », comme le disait avec justesse le critique d’art Pierre Cabanne, figurant très souvent des scènes portuaires, au Havre, mais aussi à Deauville, Nice ou Marseille. Le peintre au style bien personnel et qui emprunte aussi bien à l’impressionnisme (pour sa notation rapide, sa douceur, ses couleurs explosives et ses sujets en plein air), qu’au fauvisme (pour son dessin simplifié et ses couleurs posées par taches ou aplats), a cependant vécu et travaillé la majeure partie de sa vie à Paris, très exactement au 12 de la rue Cortot, là-même où se situe aujourd’hui le Musée qui lui rend hommage…
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Fasciné par le panorama qui lui est offert du haut de la Butte, Raoul Dufy n’aura de cesse de croquer la Capitale, s’inspirant de son esthétique, mais aussi de son énergie.
UNE EXPLOSION DE COULEURS
Le Paris de Raoul Dufy C’est au sommet de la fameuse butte que se cache, dans une discrète ruelle, le Musée de Montmartre Jardins Renoir, dans une bâtisse du xviie siècle, la Maison du Bel Air, entourée de jardins et de vignes, et qui abrite, jusqu’au 2 janvier prochain, des œuvres méconnues du peintre Raoul Dufy.
L’atelier de l’impasse Guelma, 1935-1952
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Genèse d’un peintre Comme souvent, l’œuvre est indissociable de la biographie. Raoul Dufy a 22 ans lorsqu’il quitte le Havre pour Paris, il s’inscrit à l’École nationale des Beaux-Arts et loge dans plusieurs ateliers avant de s’établir à Montmartre. Le jeune peintre s’exerce, crée et commence à établir son réseau dans le monde parisien de l’art. Le début de l’exposition Le Paris de Dufy donne ainsi à voir une œuvre-clé, inspirée par l’un de ses premiers ateliers, celui de l’impasse Guelma. Repeint d’un bleu vif, qui pour Raoul Dufy, « est la seule couleur, qui à tous ses degrés, conserve sa propre individualité », cet atelier symbolise toute la poétique à l’œuvre chez le peintre. On trouve ainsi dans cette sorte d’autoportrait, et malgré un lieu clos comme sujet, toutes les lignes de force du style de Raoul Dufy, ses couleurs vives, ses motifs floraux, l’énergie du trait, mais aussi l’ouverture vers un extérieur au travers d’une fenêtre ouverte. On comprend alors que si Raoul a pu devenir Dufy, il le doit à Paris. №43 — Décembre 2021 — Splendeurs
« Si vous avez la chance d’avoir vécu jeune homme à Paris, où que vous alliez pour le reste de votre vie, cela ne vous Œuvre polyphonique quitte pas, Paris est une fête. » On prend ainsi conscience, tout au long Plonger dans Le Paris de Dufy, c’est aussi découvrir ses influences, ses goûts et ses divers moyens d’expression artistique.
de l’exposition, de la passion du peintre pour la musique, certaines œuvres étant pensées comme une véritable synesthésie entre musique et peinture, avec des hommages à Bach, Chopin, Mozart ou encore Debussy. Le talent de l’artiste s’exprime également à travers le dessin, toujours par passion pour un autre artiste, et Dufy d’illustrer une édition du célèbre recueil de contes, Le Poète Assassiné de Guillaume Apollinaire. Après la peinture et le dessin, c’est au tour de l’impression sur tissu d’inspirer Raoul Dufy. Il ira d’ailleurs jusqu’à créer en 1911, avec le couturier Paul Poiret, La petite usine, entreprise d’impression textile qui lui permettra d’explorer d’autres matériaux et techniques, avec comme aboutissement la conception du Salon de Paris, un ensemble
Ernest Hemingway
canapé, fauteuils et chaises, tout en fleurs et monuments parisiens. Il créera également un impressionnant paravent, panorama imaginaire de Paris. Dufy dessinera même des croquis de mode, projets d’étoffes aux multiples thèmes, tantôt animaliers, végétaux ou encore architecturaux. Le Musée de Montmartre nous fait entrer dans l’intimité d’un artiste au travers de sujets et médiums inédits. Raoul Dufy disait : « Nous avons l’arbre, le banc, la maison. Mais ce qui m’intéresse, le plus difficile, c’est ce qu’il y a autour de ces objets. Comment les faire tenir ensemble ? » Cette exposition nous prouve qu’il y est parvenu… c
Le Moulin de la Galette, 1939 MUSÉE DE MONTMARTRE JARDINS RENOIR 12 rue Cortot 75018 Paris Tél. : 01 49 25 89 39 www.museedemontmartre.fr Jusqu’au 2 janvier 2022 Accès : Métro : Stations Lamarck-Caulaincourt ou Abbesses (Ligne 12) Station Anvers (Ligne 2) Tarifs : Plein tarif : 13€ 18-25 ans : 10€ 10-17 ans : 7€ Gratuit pour les moins de 10 ans Personnes à mobilité réduite : 10€ Le billet d’entrée donne accès aux magnifiques Jardins Renoir Le musée est ouvert tous les jours de 10h à 18h №43 — Décembre 2021 — Splendeurs
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c D O S S I E R – E X P OS TGV PARIS Jean-Luc Fournier Estate of Vivian Maier, Courtesy of Maloof Collection and Howard Greenberg Gallery, NY / RMN Paris
STREET PHOTOGRAPHY AU MUSÉE DU LUXEMBOURG
L’incroyable destin de Vivian Maier et de sa vie anonyme Oh oui, elle est incroyable cette histoire ! Voici la vie, l’œuvre et le destin artistique – dont une bonne part reste encore à écrire – d’une des plus grandes photographes du xxe siècle dont le talent inouï sut capter les grandes mutations sociales et politiques de son temps, au cœur battant de l’Amérique de quatre décennies, des années cinquante à la fin des années quatre-vingt. L’extraordinaire de cette histoire, l’incroyable, le sidérant total est qu’elle aurait pu rester enfouie au fond d’un box anonyme et poussiéreux de la banlieue de Chicago sans un mirifique et improbable concours de circonstances qui date de quatorze ans seulement… À droite : Autoportrait de Vivian Maier, Chicago, 1958
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ous sommes en 2007, à Chicago. Quand il marche dans la rue pour rejoindre l’agence immobilière dans laquelle il travaille depuis à peine deux ans, John Maloof, alors âgé de 28 ans, bénéficie d’une notoriété qui ne dépasse pas le cercle de ses rares clients, sa famille, ses amis et quelques collègues de travail. John Maloof est un agent immobilier anonyme. Il y a cependant un aspect, hors de sa vie professionnelle, qui sort du lot : il est passionné par l’histoire de sa ville au point d’être devenu président de la société historique locale. C’est d’ailleurs dans ce cadre qu’il vient juste de coécrire un petit livre sur l’histoire de Portage Park, un quartier de Chicago. Perfectionniste, Maloof est à la recherche de photos pouvant illustrer son livre. Pour cela, il court les salles des ventes des environs, sachant très bien que c’est là que les familles des défunts se débarrassent volontiers de vieux albums de photos qu’elles jugent sans grand intérêt. Vers la fin de l’année 2007, John Maloof achète pour trois fois rien une partie des biens d’une inconnue, qui sont vendus parce que la location du box où ils étaient entreposés n’est plus payée depuis des mois…
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Dans le lot, il y a une malle en fer qui est remplie à ras bord de tirages papier de photos, de négatifs et même de nombreuses pellicules non encore développées, encore soigneusement rangées dans leurs petits cylindres de plastique noir. Il y a aussi quelques cartons remplis d’objets hétéroclites sans valeur et de la sempiternelle paperasse personnelle que tout le monde s’acharne bien souvent à conserver… Le jeune agent immobilier n’a bien sûr alors aucune conscience qu’il vient de devenir propriétaire d’un fabuleux trésor. Un an et quelques mois plus tard, il a déjà commencé à mesurer (faiblement) la richesse iconographique qu’il a acquise sans le №43 — Décembre 2021 — Splendeurs
vouloir. Il est à la recherche de l’identité de l’auteur de ces milliers d’images (et de quelques films Super 8 qui sont également présents dans la malle). Dans un des cartons, il y a une enveloppe vide sur laquelle figure un nom : Vivian Maier. Après quelques recherches sur internet, il tombe sur un avis d’obsèques d’une femme du même nom, décédée quelques jours à peine plus tôt. C’est ainsi que débute l’extraordinaire deuxième vie de Vivian Maier. Dans les deux années qui suivront, John Maloof n’aura de cesse de rencontrer les gens qui l’ont connue et qui vont l’aider à reconstituer totalement la vie de l’inconnue.
« En janvier 2011, les photos de Vivian Maier entrent en pleine lumière, par la grâce d’une petite exposition que John Maloof organise au Chicago Cultural Center. » c D OS SI ER — Expos TGV
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Parallèlement, le chanceux agent immobilier va peu à peu consacrer la totalité de son temps à trier, classer et numériser la masse exceptionnelle du travail photographique dont il est devenu propriétaire. En janvier 2011, les photos de Vivian Maier entrent en pleine lumière, par la grâce d’une petite exposition que John Maloof organise au Chicago Cultural Center. Le succès est immédiat, fulgurant. De partout, les journalistes affluent pour raconter cette histoire hors du commun. Malin, mais sans pourtant manquer de respect à l’œuvre qu’il possède et à son auteure, sans enjoliver la réalité aussi, Maloof co-produit et co-réalise immédiatement un documentaire, Finding Vivian Maier (À la recherche de Vivian Maier). Dès sa sortie en 2013 aux États-Unis (à l’été 2014 en France), la sarabande des expos débute et c’est le monde entier qui va alors s’emparer du phénomène. Car le film réussit à reconstituer avec une minutie impressionnante la vie d’une simple nounou qui avait une passion personnelle, la photographie de rue, et qui, même quand elle promenait en poussette les enfants dont elle avait la garde, ne se séparait jamais de son Rolleiflex… La nounou n’a jamais dévoilé à quiconque le fruit de son travail, plus de 150 000 clichés dont certains encore à l’état de négatifs. Vivian Maier est donc morte en 2009, sans famille, à l’âge de 83 ans, laissant derrière elle quelques objets et meubles sans valeur, et une malle en fer, au fond d’un box qu’elle ne payait plus lors des deux dernières années de sa vie…
À l’égal des plus grands de la Street Photography Voilà donc toute l’histoire. Simple, belle, émouvante, unique, fantastique et merveilleuse, au sens plein de ces adjectifs. L’expo du Musée du Luxembourg aborde l’intégralité du travail de cette immense photographe au travers des grandes thématiques qui ont structuré son œuvre durant quatre décennies, depuis le tout début des années cinquante. Ce sont des scènes de rue, des chroniques au ras du trottoir, des portraits, une foultitude de détails de gestes et de situations quelquefois simplement capturés grâce aux reflets sur les omniprésentes surfaces vitrées des rues new-yorkaises ou de Chicago. On est à l’épicentre du mythique American way of life de ces décennies d’après-guerre, au 32
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Chicago, IL, 1954
cœur de cette Amérique urbaine où se vit à pleins poumons ce qu’on appelle encore le rêve américain et sa modernité assumée qui essaime déjà résolument dans le monde occidental. Alors, et sans doute sans même le savoir, entre deux poussettes qu’elle trimballe, les bras souvent encombrés par les grands sacs plastiques qu’elle utilise pour ses courses, Vivian Maier écrit jour après jour l’histoire emblématique de l’Amérique de ces années-là. Oui, sans même le savoir, elle capte chaque jour qui passe l’essentiel de la deuxième partie de son siècle, vivant même sa disparition au fil des terribles années 80 où il n’y a pas que le rêve américain qui se dissout dans le brutal bain néo-libéral qui ne fait alors que commencer… On a bien affaire à une photographe amateur d’un professionnalisme et d’un talent hors du commun et qui révèle son temps sans s’épuiser… Un des atouts de cette sublime exposition est de faire nettement apparaître un aspect essentiel du langage photographique de Vivian Maier (et en écrivant ces derniers
mots, on réalise soudain que la talentueuse nounou aurait bien ri si on les avait prononcés de vive voix en face d’elle) : si sa culture visuelle se situe résolument dans le courant de la Street Photography américaine, sa sensibilité humaniste évidente est sans doute largement héritée de ses origines françaises, via sa mère, née Maria Jaussaud, divorcée de Charles Maier en 1929 qui revint s’installer trois ans plus tard dans les Alpes de HauteProvence d’où elle était originaire avec sa petite Vivian alors âgée de six ans. En 1938, la mère et la fille retournèrent à New York où elles vécurent dix-huit ans, avant de définitivement s’installer à Chicago en 1956. De petit boulot en petit boulot, de famille en famille, la nounou-photographe réussit péniblement à continuer à gagner faiblement sa vie tout en accumulant ses si belles images. Vers la fin des années 90, les enfants de la famille Gensburg dont elle s’était occupée alors qu’ils étaient petits la retrouvèrent alors qu’elle était tombée dans la misère, sans famille. Ils veillèrent sur elle et l’assistèrent financièrement. En №43 — Décembre 2021 — Splendeurs
« Vivian Maier écrit jour après jour l’histoire emblématique de l’Amérique de ces années-là. (...) Sans même le savoir, elle capte chaque jour qui passe l’essentiel de la deuxième partie de son siècle. » №43 — Décembre 2021 — Splendeurs
New York 3 septembre, 1954
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c D O S S I E R – E X P OS TGV PARIS décembre 2008, une mauvaise chute sur une plaque de verglas provoqua son hospitalisation. Quelques mois plus tard, le 21 avril 2009, Vivian Maier décédait dans une maison de repos où les frères Gensburg l’avaient installée à sa sortie de l’hôpital… Elle n’a jamais su qu’un jeune agent immobilier, à quelques kilomètres d’elle, allait prendre grand soin du trésor dont il était devenu propriétaire, grâce au hasard de la vie et que son nom allait étinceler en haut des frontons des grands musées du monde, à l’égal de ses illustrissimes compatriotes Robert Frank, Lee Friedlander, William Klein et autres Garry Winogrand ou Diane Arbus… À l’égal aussi de Robert Doisneau ou Henri Cartier-Bresson, pour sa moitié d’orange française, sans même qu’on sache si elle avait jamais entendu parler d’eux… Le nom de Vivian Maier étincellera au fronton du Musée du Luxembourg jusqu’au 16 janvier prochain. Ce serait dommage que vous n’y alliez pas lui faire un petit coucou… c Au dessus : Bibliothèque publique de New York, sans date Au dessous : Chicago, 1957 MUSEE DU LUXEMBOURG 19 rue Vaugirard – 75006 Paris jusqu’au 16 janvier prochain. Accès : Métro St Sulpice (Ligne 4) ou Mabillon (Ligne 10) ou RER B Station Luxembourg Bus : 58 ; 84 ; 89 arrêt Musée du Luxembourg/Sénat Tous les jours de 10h30 à 19h nocturne les lundis jusqu’à 22h fermeture anticipée à 18h les 24 et 31 décembre. Tarifs : Plein tarif : 13 € ; Tarif réduit : 9€ Spécial Jeune 16-25 ans : 9€ pour 2 personnes du lundi au vendredi après 16h. Gratuit pour les moins de 16 ans, les bénéficiaires des minima sociaux. Réservation hautement conseillée. À noter, seul point négatif de cette expo, qu’aucun support papier (même modeste) n’est disponible dans l’exposition pour apporter une explication sommaire du contexte. Quand on s’en étonne, on vous renvoie au téléchargement d’une application gratuite de la RMN (Réunion des Musées Nationaux). C’est vrai, le téléchargement est gratuit, mais pas celui du module d’information de l’expo qui vous en coûtera 3,99 €. Cette absence de support papier traditionnel est justifiée pour de pseudo raisons écologiques, elle cache mal une forme de mesquinerie assez étonnante venant d’un musée national…
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RÉSIDENCE
VERTCITY
Un nouvel ensemble ÉCO-RÉSIDENTIEL Qualité de vie et bien-être à Strasbourg !
ÉCONOMIE D’ÉNERGIE ET RÉDUCTION CARBONE Le choix des matériaux, la sélection d’équipements fonctionnels peu énergivores, l’orientation bioclimatique des bâtiments et le recours aux énergies renouvelables permettent d’atteindre des économies d’énergie importantes. La conception des bâtiments, le choix et la mise en œuvre des matériaux comme le bois, par exemple, et l’obligation faite aux artisans de veiller à la réduction des émissions de gaz à effet de serre sur le chantier, concourent à la réduction de l’empreinte carbone.
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Studio Bouroullec – Marc Domage
BOURSE DU COMMERCE PINAULT COLLECTION
Un tout nouveau et magnifique musée à Paris Covid ou pas, Paris est une fête quand il s’agit d’art, vous dit-on depuis les premières pages de ce numéro de décembre 2021. Une preuve de plus : l’inauguration au début de l’automne dernier de la Bourse du Commerce, devenue le site parisien de la collection du milliardaire François Pinault. On est allé voir et on vous le confirme, on a vécu un moment rare : celui de la découverte d’un tout nouvel écrin, magnifiquement pensé et conçu, doublée de celle de sa toute première exposition, simplement nommée Ouverture, qui présente plus de deux cents œuvres d’une trentaine d’artistes. De quoi passer deux ou trois heures délicieuses… Drapeau devant la façade de la Bourse du Commerce, Ronan et Erwan Bouroullec
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ne aussi longue attente… Les amateurs d’art contemporain se souviennent encore des pitoyables vicissitudes qui, il y un peu près de vingt ans, avaient empêché la construction de la Fondation Pinault sur l’Île Seguin, une immense friche industrielle désertée par la Régie Renault. Une pathétique conjuration des médiocres avait fini par provoquer le renoncement de Pinault, après plus de cinq ans de tergiversations et d’incessantes salves de scuds venues de toutes parts : aux manettes, des politiques « locaux » (le sénateur-maire de Boulogne-Billancourt, Jean-Pierre Fourcade, s’étant alors tristement illustré en faisant tout pour retarder le projet) et les plus éminents spécialistes de la tambouille politique nationale (le milliardaire n’avait jamais caché sa longue et riche amitié avec Jacques Chirac, alors président de la République).
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De guerre lasse, François Pinault avait ensuite, en 2005, acheté et aménagé le Palazzo Grassi puis, quatre ans plus tard, la Punta della Dogana à Venise, deux sites où il présentait, depuis, son immense collection privée : pas moins de 19 expositions y ont été organisées ces quinze dernières années, attirant artistes, collectionneurs et visiteurs venus du monde entier. Voilà ce dont Paris a été privé depuis vingt ans à cause de quelques médiocres acteurs du théâtre d’ombres de la politique nationale…
Un écrin précieux… Pour autant, François Pinault n’a jamais renoncé à être présent dans la capitale. La récente inauguration de la magnifique Bourse du Commerce, un peu plus de cinq ans après que la Ville de Paris ait pu réaliser l’acquisition du site puis confier sa gestion à une filiale de la Financière Pinault, est là pour prouver que l’homme a de la suite dans les idées… Un mot sur le chantier, d’abord. L’architecte japonais Tadao Ando avait déjà été pressenti par François Pinault pour bâtir le musée de l’Île Seguin. Depuis, il a complètement restructuré les deux sites vénitiens du milliardaire et s’est attaqué il y a cinq ans à la rénovation de la Bourse du Commerce. En soi, la seule vision des prouesses architecturales qui ont métamorphosé le vénérable site niché au cœur du premier arrondissement parisien vaut votre visite. À l’exact aplomb de la superbe verrière de 1813 qui constitue le plus beau puits de lumière naturelle qui soit, Tadao Ando a imaginé un gigantesque anneau de béton brut de 29 mètres de diamètre sur 9 mètres de haut, dont l’une des vertus est de permettre au regard de s’envoler vers l’incroyable verrière qui surplombe les espaces d’exposition… Ce cylindre de béton permet d’accéder aux trois niveaux d’expositions, tous ouverts sur ce gigantesque espace central. Durant la visite, à chaque palier, on est sans cesse happé par la vision de cet espace et, peu à peu, on s’imprègne de la géographie des œuvres magistrales qui l’occupent, rendant ainsi palpables les paroles de Tadao Ando qui, présentant son projet 38
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en 2017, disait : « Mon intention est de faire s’enchaîner avec force des séquences d’espaces très variés découlant de la combinaison de la rotonde et du cylindre. L’espace existant et le nouveau créent un lieu plein de vie, apte à porter la bannière de la culture urbaine des générations à venir… » L’architecture est un art, pour qui en douterait encore…
Une première expo qui va marquer… Et puis bien sûr, il y a donc Ouverture, la toute première des expositions de la Pinault Collection. Tout de suite, le regard est littéralement magnétisé par L’Enlèvement des Sabines d’Urs Fischer, une réplique en cire de l’ensemble de Giambologna, le sculpteur italien du xvie siècle. Urs Fischer, cet artiste suisse qui vit et travaille aux États-Unis, est surnommé « le sculpteur phénoménal ». Il reproduit chez Pinault à Paris son coup de génie déjà remarqué à la Biennale de Venise en 2011 : sa sculpture de plus de 6,50 m de haut est en fait une gigantesque bougie dont les mèches fichées dans les différentes sculptures superposées ont été allumées le jour de l’inauguration et qui se consument depuis en combustion lente au beau milieu de l’espace central de la Bourse du Commerce. Le catalogue explique que « ce qui était le fruit d’un travail minutieux et précis est gagné par le hasard et l’entropie. Ce qui était formel devient informe. Le temps de l’exposition coïncide avec la fonte des bougies, de leur métamorphose, dans un saisissant processus de destruction créatrice. » On peut ne pas être fan des arguties un peu pompeuses et alambiquées souvent développées pour « expliquer » l’art aux prétendus béotiens, là, ces mots sonnent parfaitement juste…
Les 29 mètres de diamètre du gigantesque cylindre de béton à l’aplomb de la majestueuse verrière de 1853. Une prouesse architecturale !
Le reste de l’exposition enchaîne les belles surprises, comme ces vingt-quatre vitrines tout au long de la rotonde qui accueillent les objets du quotidien et les œuvres de Bertrand Lavier ou encore cette galerie où le New-Yorkais David Hammons expose ses objets surprenants nés du minutieux assemblage de matériaux de récupération. Au deuxième étage, les peintures et les sculptures de pas moins de treize №43 — Décembre 2021 — Splendeurs
« Mon intention est de faire s’enchaîner avec force des séquences d’espaces très variés découlant de la combinaison de la rotonde et du cylindre. L’espace existant et le nouveau créent un lieu plein de vie, apte à porter la bannière de la culture urbaine des générations à venir… » Tadao Ando
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artistes se répondent dans trois galeries en enfilade, magie de l’aménagement des espaces baignés de lumière de ce musée surprenant. On y remarque tout particulièrement les peintures de l’à peine trentenaire Claire Tabouret et ses personnages qui vous fixent et capturent votre regard… Depuis notre visite à la mi-octobre dernier, deux sections de l’exposition ont déjà été renouvelées (on y admire depuis le début décembre les photos du photographe japonais Nobuyoshi Araki et l’installation vidéo du Canadien Stan Douglas). Ce début de roulement confirme ainsi que, peu à peu, nous découvrirons l’essentiel des 10 000 œuvres (c’est un nombre non officiel qui circule, mais qui n’a jamais été démenti…) de la collection de François Pinault. Voilà. En plein cœur de Paris (on est à deux pas des Halles), c’est une vraie rencontre avec l’art que vous propose la Bourse de Commerce – Pinault Collection qui vient de faire son apparition majestueuse dans la galaxie des grands musées parisiens. c BOURSE DE COMMERCE PINAULT COLLECTION 2, rue de Viarmes 75001 Paris Accès : Métro Les Halles (Ligne 4) ou RER A Station Châtelet-Les Halles Du lundi au dimanche de 11h à 19h – Fermeture le mardi. Nocturne le vendredi jusqu’à 21h. Le premier samedi du mois, nocturne gratuite de 17h à 21h. Ouvert le 24 décembre et le 31 décembre jusqu’à 17h, le 25 décembre jusqu’à 19h, le 1er janvier jusqu’à 21h. L’Enlèvement des Sabines, Urs Fisher
En raison de la situation sanitaire, la réservation est obligatoire en ligne ou sur place. Un billet unique pour toutes les expositions. Tarifs : Plein tarif : 14 € Tarif réduit : 10 € La présentation d’un pass sanitaire est obligatoire pour accéder au musée. Contact : 01 55 04 60 60 www.pinaultcollection.com
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Le Dragon
Evgueni Schwartz | Thomas Jolly * 31 janv | 8 fév
Après Jean-Luc Godard CRÉATION AU TNS
Eddy D’aranjo * 22 fév | 2 mars
Berlin mon garçon
Marie NDiaye * | Stanislas Nordey 24 fév | 5 mars
Je vous écoute CRÉATION AU TNS
Mathilde Delahaye * 3 | 10 mars
Les Frères Karamazov
Fédor Dostoïevski | Sylvain Creuzevault 11 | 19 mars
mauvaise
debbie tucker green | Sébastien Derrey 23 | 31 mars
La Seconde Surprise de l’amour Marivaux | Alain Françon 24 mars | 1er avril
Nicolas Bouchaud, acteur associé au TNS © Jean-Louis Fernandez
Bajazet, en considérant Le Théâtre et la peste Jean Racine, Antonin Artaud | Frank Castorf 6 | 10 avril
Julie de Lespinasse CRÉATION AU TNS
Christine Letailleur * 25 avril | 5 mai
Les Serpents
Marie NDiaye * | Jacques Vincey 27 avril | 5 mai
Mont Vérité
Pascal Rambert * 17 | 25 mai
Fév | Juin 22 TNS Théâtre National de Strasbourg 03 88 24 88 24 | tns.fr | #tns2122
Ils nous ont oubliés (La Plâtrière)
Thomas Bernhard | Séverine Chavrier 3 | 11 juin
Superstructure
Sonia Chiambretto | Hubert Colas 8 | 15 juin * Artistes associé·e·s au TNS
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MoMA/Jeu de Paume
MUSÉE DU JEU DE PAUME I
Les chefs-d’œuvre photographiques du MoMA
S’il avait clos ses portes comme tous les autres dès le début de l’annonce du confinement au printemps 2020, ce musée, antre magique pour tous les amoureux de la photo, n’a rouvert ses portes qu’au printemps dernier après avoir mené d’importants travaux de rénovation. Jusqu’au 20 janvier, il nous propose de nous plonger dans les incroyables inventions visuelles qui ont caractérisé la photo dans l’entre-deux-guerres du siècle dernier… Max Burchartz, Lotte (Eye), 1928
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l y a vingt ans, le MoMA de New York a fait l’acquisition (pour 27 millions de dollars de l’époque) d’une des plus belles collections de photos au monde, celle du collectionneur allemand Thomas Walther. Le hasard n’existant décidément pas, Quentin Bajac, auparavant responsable des collections photo du MoMA et qui, à ce titre avait organisé une première grande expo de la collection Walther à New York à l’hiver 2014-2015, est devenu depuis peu le nouveau directeur du Jeu de Paume à Paris. L’évidence d’exposer enfin cette collection prestigieuse s’est donc imposée sans coup férir…
Des 350 photographies de cette collection, 230 figurent sur les cimaises du musée voisin de la place de la Concorde, à l’orée des jardins des Tuileries. Elles retracent ni plus ni moins que l’invention de la modernité en photographie. En outre, l’expo parisienne dévoile aussi, en №43 — Décembre 2021 — Splendeurs
avant-première, certaines photos acquises vraie approche plus abstraite et surréadepuis par l’institution new-yorkaise. liste et des représentants les plus connus de la straight photography américaine, Une effervescence adeptes d’images plus fidèles à la réalité, souvent caractérisées par un nombre incomparable important de détails. Tous les réseaux Chefs-d’œuvre photographiques du MoMA artistiques typiques de ces décennies-là – La Collection Thomas Walther explore sont représentés, cela va du Bauhaus donc ce chapitre marquant de l’histoire au Surréalisme, sur tout l’axe Moscou – de la photo moderne. Les artistes réunis Berlin – Paris – New York. par ce collectionneur ont évidemment L’exposition témoigne donc de cette tous laissé une empreinte sur cette pre- effervescence artistique incomparable mière moitié du xxe siècle. La sélection qui s’était emparée de ces années-là. de Quentin Bajac mélange certains très On en ressort un rien subjugué par l’esreconnus comme Henri Cartier-Bresson, prit d’utopie de ceux qui déclaraient Berenice Abbot, Walker Evans à plein alors « vouloir changer le monde par les d’autres photographes dont certains ne images ». De quoi faire pleinement comse revendiquaient même pas comme tels prendre les propos du photographe Lazlo du temps de leur vivant. De fait, voisinent Moholy-Nagy qui, il y a un siècle, avait dans l’expo des tirages rares des prin- proclamé que « l’analphabète du futur cipales icônes des avant-gardes euro- ne sera pas l’illettré, mais l’ignorant en péennes principalement attirées par une matière de photographie »… c Ci-dessus : Sans titre, 1925 (portrait de László Moholy Nagy), épreuve gélatinoargentique, 9,3 × 6,3 cm. À gauche : Sans titre, 1929-1932 Épreuve gélatinoargentique, 29,4 × 23,3 cm.
MUSÉE DU JEU DE PAUME 1 place de la Concorde Jardin des Tuileries 75001 Paris Accès : Métro Station Concorde (Lignes 1, 8 et 12) Bus 24 ; 42 ; 72 ; 73 ; 84 ; 94 Fermé le lundi Mardi : 11h–21h Du mercredi au dimanche : 11h–19h Fermeture exceptionnelle à 17h les 24 et 31 décembre Fermé les 25 décembre et 1er janvier Tarifs Plein tarif : 10€ – étudiants, moins de 25 ans, plus de 65 ans, enseignants : 7,50€ Pass sanitaire obligatoire №43 — Décembre 2021 — Splendeurs
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Alan Strutt/Christophe Dellière/ The Helmut Newton Estate
MUSÉE DES ARTS DÉCORATIFS DE PARIS
Thierry Mugler, Couturissime Couturissime, le mot laisse présager un événement de tous les superlatifs, et pour cause, il s’agit de retracer le parcours du célèbre styliste strasbourgeois Thierry Mugler à travers 140 tenues exposées jusqu’au 24 avril au Musée des Arts Décoratifs de Paris. Plus qu’une rétrospective, un hymne à l’audace… Yasmin Le Bon, 1997
est une silhouette de plusieurs mètres de haut, suspendue dans le hall du MAD, qui vous accueille, le mannequin Yasmin Le Bon, en habit de Chimère, tout en plumes, écailles et crin. L’exposition Thierry Mugler, Couturissime, pensée comme un opéra, nous plonge dans plus d’un demi-siècle de mode par le plus audacieux des stylistes français ; une vie dédiée au corps et à ses expressions les plus extrêmes.
C’
Des planches aux podiums C’est par la danse que le jeune Mugler aborde l’univers du corps, de ses techniques, mais aussi de ses exigences. Né à Strasbourg en 1948, il rejoint le ballet de l’Opéra national du Rhin à quatorze ans et tourne en tant que danseur classique professionnel pendant six ans, une expérience qui influencera profondément ses travaux futurs, « la volonté de se dépasser pour aller plus loin, plus haut, cela me correspondait bien et cela m’a suivi dans la création de mes vêtements. » En parallèle, il étudie à l’École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg (la HEAR désormais) et commence à créer ses propres vêtements. En 1967, Thierry Mugler 44
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décide d’auditionner à Paris auprès de ballets contemporains, mais sa passion pour la mode prend le dessus. Il vend des croquis de ses vêtements à de grandes maisons de couture et commence à se faire un nom. Il travaille ainsi comme styliste pendant sept ans et fonde, en 1973, sa propre maison, Thierry Mugler, qui n’aura de cesse de redéfinir, jusque dans les années 2000, les codes de l’esthétique et du genre, « fusionnant l’organique et l’inorganique, l’homme et la machine, le masculin et le féminin », selon la spécialiste de la mode, Rhonda Garelick. L’exposition Thierry Mugler, Couturissime se joue en neuf actes qui nous plongent dans autant d’univers, couvrant ainsi l’étendue des talents du styliste que l’on découvre également chorégraphe (évidemment), photographe, parfumeur, mais aussi metteur en scène.
Xéno couture La scénographie très sombre met en valeur robes et parures et des projections de jungles et de fonds marins parachèvent le procédé. Face à des robes qui semblent évoquer des mythologies inconnues, une écologie extraterrestre ou les artefacts d’une civilisation fantastique, №43 — Décembre 2021 — Splendeurs
03 69 33 26 42 locespaces@levaisseau.com
levaisseau.com
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La suite de l’exposition nous révèle le secret de la célèbre fragrance Angel, premier parfum gourmand incluant un composé alimentaire, le chocolat ! Mugler habille, parfume et… lasse Helmut Newton, en intervenant constamment lors de ses séances photo, si bien qu’il devient alors, en 1976, le propre photographe de ses campagnes de publicité. Après l’appareil photo, c’est derrière la caméra que se glisse le créateur, avec la direction du clip Too Funky de Georges Michael en 1992, une ode trash au métier de mannequin. Toujours plus spectaculaire, Thierry Mugler redéfinit le milieu de la couture lui-même, inventant l’opéra mode, sorte de super défilé ouvert au public (mais payant) ultra théâtralisé et qui deviendra ensuite la norme. Le théâtre, Mugler y reviendra en 1985 pour la création des costumes de La tragédie de Macbeth dans une exubérance moyenâgeuse, tout en collerettes surdimensionnées et armures couvertes de pointes d’acier, « des cuirasses magistrales, des musculatures-pourpoints, en cuir et en métal », des corps extrêmes, toujours. Artiste polymorphe (au sens propre, comme au figuré), celui qui se fait aujourd’hui appeler Manfred Thierry Mugler a marqué de son empreinte les années 80/90. Ovide d’un genre nouveau, il aura su saisir les enjeux du transhumanisme à venir, mais dans une version glamour et festive : un carnaval cyberpunk, un manifeste cyborg. c
« Mon approche était de proposer l’étonnement, la découverte, des beautés plurielles, des êtres qui avaient le courage d’être eux-mêmes. »
on évolue dans un continuum de mondes étonnants. Insectes, Atlantes, Chimères, Méduses... une anthropologie xénomorphe s’offre à nous, vêtements, cocons, carapaces, uniformes, armures, les créations de Thierry Mugler s’inspirent de tous les espaces, de tous les temps, et de tous les objets, en un mariage à la fois baroque et fétichiste. Le corps est architecturalisé, il devient le vaisseau d’une nouvelle humanité, « mon approche était de proposer l’étonnement, la découverte, des beautés plurielles, des êtres qui avaient le courage d’être eux-mêmes. »
Une œuvre totale Ci-dessus : Jerry Hall et Thierry Mugler, 1996.
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MUSÉE DES ARTS DÉCORATIFS 107 rue de Rivoli – 75001 Paris Accès : Métro : Palais-Royal ou Tuileries (Ligne 1) Bus : 21; 27; 39; 48; 68; 69; 72 Thierry Mugler, Couturissime jusqu’au 24 avril 2022 Le mardi, mercredi et vendredi de 11h à 18h Le samedi et dimanche de 11h à 20h Nocturne le jeudi jusqu’à 21h Fermé le lundi Fermé le 25 décembre et le 1er janvier Tarifs : Plein tarif : 14€ – Tarif réduit : 10€ – Gratuit pour les moins de 18 ans, les enseignants, les demandeurs d’emploi et bénéficiaires du RSA
Une altérité magnifiée dont David Bowie, Contact : Mylène Farmer ou encore Beyoncé (entre Tél : 01 44 55 57 50 autres) seront les ambassadeurs. www.madparis.fr №43 — Décembre 2021 — Splendeurs
S O L U T I O N S
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M U R - T O I T U R E - F A Ç A D E
La Terre demande toute notre attention -15%
NEUTRALITÉ
CARBONE 2050
D’ÉMISSIONS CARBONE
2023
La Terre demande toute notre attention, est l’engagement de chacun d’entre nous à être, chaque jour, totalement impliqué à atteindre nos objectifs, ambitieux et passionnants, éthiques et pragmatiques, pour l’environnement. Au programme : neutralité carbone en 2050, recyclabilité et réutilisation à 100% de tous nos nouveaux produits et préservation de la biodiversité dans tous nos sites. Parce que notre engagement doit être durable, nous avons créé notre programme d’actions collaboratives « Tous engagés pour la Terre ». wienerberger.fr
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! e t ê f e n u t s e s i r a P , i Ou Jean-Luc Fournier
Christo and Jeanne – Claude Foundation
armi toutes les arabesques de ce feu d’artifice artistique de fin d’année dont nous vous avons parlé avec gourmandise dans les pages précédentes, nous n’envisagions pas de conclure sans parler de ce très beau cadeau offert en septembre-octobre dernier à tous les amateurs d’art et au grand public, à Paris. Dans les mois qui ont précédé sa disparition le 31 mai 2020, Christo avait exprimé avec force et sans la moindre ambiguïté sa volonté de voir aboutir son œuvre Arc de Triomphe – Wrapped. Ce qui fut fait, après un chan2 tier gigantesque qui a vu l’Arc emballé à l’aide de 25 000 m de tissu argenté et trois kilomètres de cordes rouges. Oui, on parle bien d’une œuvre, n’en déplaise aux rageux de toutes sortes qui se sont déchaînés sur les réseaux sociaux. On a tout lu et tout entendu sur cet événement, le gaspillage de l’argent public, l’art-bobo, la population à qui on n’a pas demandé son avis, l’utilisation de matières plastiques pour fabriquer le tissu, on a entendu des débats sans fin sur le beau ou le moche, la laideur de l’art contemporain (sidérant, abject, une infamie… a-t-on même lu), à certains moments on est même passé pas loin du retour de « l’art dégénéré »…
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Très vite, on a su que pas un centime d’argent public n’avait été dépensé, le budget ayant été totalement supporté par la Christo and Jeanne-Claude Foundation qui a toujours financé intégralement le coût des œuvres monumentales des deux artistes, notamment par la vente des esquisses originales aux collectionneurs du monde entier.
Très vite, on a su que le tissu argenté qui magnifiait l’Arc était totalement recyclable, de même pour les cordages… Et qu’évidemment, toute trace de l’installation disparaitrait après son démontage qui s’est poursuivi jusqu’à la mi-novembre dernier. Ce qui fut amplement vérifié depuis… Que nous raconte donc tout ça, aujourd’hui ? Qu’en 1985, quand Christo avait tout aussi superbement emballé le Pont Neuf, on avait aussi parlé de transgression, sans pour autant être allé jusqu’à charrier de tels torrents de haine verbale. Il est vrai qu’alors les réseaux sociaux n’existaient pas. À sa façon, le bon Umberto Eco avait décrit le phénomène, peu de temps avant de disparaître : « Les réseaux sociaux ont donné le droit à la parole à des légions d’imbéciles qui avant ne parlaient qu’au bar et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite. Aujourd’hui ils ont le même droit de parole qu’un prix Nobel... » Tout cela nous confirme aussi qu’il est au fond heureux qu’une œuvre d’art déchaîne les passions, transgresse les attentes du sens commun et, même, parvienne à s’imposer à la vue de chacun. Que n’avait-on pas entendu à l’époque où Eiffel inaugurait sa tour ? Que n’avait-on pas entendu quand Pei érigeait sa pyramide au Louvre ou quand Buren fignolait ses colonnes pas loin de là ? Que n’avait-on pas entendu quand Anish Kapoor installait son Dirty Corner dans les jardins du château de Versailles en 2015 ?
Très vite, on a su que le grand public répondait présent : L’art fait braire. Parfait ! Il bouleverse, il vit… c entre le 18 septembre et le 3 octobre derniers, plus d’un million de visiteurs ont pu admirer l’œuvre de visu... Jean-Luc Fournier 48
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Gewurztraminer d’Alsace. Puissant et tellement délicat. *
* L’ u n i c i t é d e s t e r ro i r s a l s a c i e n s e t l e t r a v a i l d e s v i g n e r o n s l u i c o n fè r e n t u n e fo r t e r i c h e s s e a r o m a t i q u e
L’A B U S D ’A L C O O L E S T D A N G E R E U X P O U R L A S A N T É , À C O N S O M M E R AV E C M O D É R AT I O N
a C U LT U RE – FON DATION BEY EL ER Alain Ancian
Museo Nacional del Prado. Madrid – Fundación Lázaro Galdiano, Madrid – Collection du Marquis de la Romana.
FONDATION BEYELER GOYA, DE LA PEINTURE DE COUR À LA LIBERTÉ ARTISTIQUE…
La Maja Vestida, 1807
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275 ans après sa naissance, Francisco de Goya se voit consacrer à la Fondation Beyeler une des plus importantes expositions jamais réalisées à ce jour. 70 tableaux et plus de 100 dessins et gravures projettent en pleine lumière une évidence : le maître espagnol est bel et bien un des précurseurs majeurs de l’art moderne. Et Sam Keller et ses équipes n’ont rien oublié : des œuvres maîtresses en provenance des grands musées européens et américains, mais aussi d’importantes collections privées côtoient d’autres œuvres plus confidentielles dont certaines n’avaient jamais quitté leur écrin originel. Une déambulation exceptionnelle vous attend à Riehen… №43 — Décembre 2021 — Splendeurs
rancisco de Goya y Lucientes (1746-1828) occupe dans l’histoire de l’art européen une position paradoxale : il fut en effet un des derniers grands peintres de cour d’une part, mais fut également annonciateur de la figure de l’artiste moderne. L’exposition chez Beyeler présente tout l’éventail des genres et des sujets de prédilection de Goya (du rococo au romantisme) et permet de mieux cerner la richesse formelle et thématique de son œuvre peinte, dessinée et gravée. Conçue de manière chronologique, elle réunit des tableaux de représentation grand format tout comme des pages de carnets de croquis, mettant l’accent sur l’œuvre tardive de l’artiste. Aux cimaises sont évidemment accrochées les toiles du peintre de cour qu’il fut, réalisées pour le compte de la maison royale, de l’aristocratie et de la bourgeoisie. Mais y figurent également (et surtout) des œuvres d’univers picturaux énigmatiques et inquiétants, son œuvre sacrée comme son œuvre profane, ses représentations du Christ et de sorcières, ses portraits et ses peintures d’histoire, ses natures mortes et ses scènes de genre. Dans ce domaine, on peut découvrir des œuvres que Goya crée dans un espace de liberté artistique conquis à la force de sa volonté et de son talent, et parmi elles des peintures de cabinet souvent réservées à un cercle intime. Dans l’histoire de l’art européen, Goya est l’un des premiers artistes qui s’élève avec une opiniâtreté rebelle contre les dogmes et les règles qui entravent la création artistique, plaidant au contraire pour l’impulsivité et l’inventivité de l’artiste.
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TEMPS FORTS ET RARETÉS… Aux côtés des temps forts de l’accrochage (le portrait de la duchesse d’Albe [1795] et l’emblématique Maja vêtue [La maja vestida, 1800–1807], tout comme deux tableaux rarement exposés en provenance de collections privées européennes, Maja et Célestine au balcon et Majas au balcon, que Goya peint entre 1808 et 1812), on peut admirer des peintures de genre de petit format détenues pour la plupart dans des collections privées espagnoles et à ce jour rarement montrées hors d’Espagne. Dans ces tableaux, Goya – de même que dans ses dessins et ses gravures – donne libre cours à ses inspirations intimes. Pour №43 — Décembre 2021 — Splendeurs
la première fois depuis son unique présentation à ce jour au Museo Nacional del Prado, le public pourra ainsi découvrir à la Fondation Beyeler la série complète de huit peintures d’histoire et de genre qui nous sont parvenues de la collection madrilène du marquis de la Romana. Elles seront accompagnées des quatre célèbres panneaux dépeignant des scènes de genre de la Real Academia de Bellas Artes de San Fernando à Madrid, prêts d’une grande rareté. Parmi les décors récurrents de ces scènes figurent les marchés et les arènes, les prisons et les institutions ecclésiastiques, les asiles de fous et les
El Aqualerre (Le Sabbat des sorcières), 1798
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Hospital del Apestados (L’Hôpital de la peste), 1810
tribunaux de l’Inquisition. Les sorcières constituent également un motif majeur, par lequel Goya illustre la superstition de son temps. Outre un remarquable et superbe groupe de gravures des Désastres de la guerre (Los desastres de la guerra, 1811– 1814), l’exposition présente une sélection de planches de la série des Caprices (Los caprichos) parue en 1799, parmi elles la célèbre gravure n°43 au titre éloquent Le Sommeil de la raison enfante des monstres, qui reflète le constat résigné de Goya : ni la raison ni l’ironie et le sarcasme ne peuvent lutter contre la déraison.
LA QUINTA DEL SORDO, UN FILM RARE À NE PAS RATER Tout comme elle le fit en 2020 pour l’exposition Edgar Hopper, pour laquelle Wim Wenders tourna en 3D un somptueux court métrage seulement visible durant l’expo,
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la Fondation Beyeler a confié à l’artiste plasticien Philippe Parreno le soin d’évoquer par l’image les célébrissimes quatorze peintures murales à l’huile – connues sous le nom de « peintures noires » en raison de leurs couleurs sombres – dans deux des pièces de la maison de campagne que l’artiste avait rénovée et agrandie et dans lesquelles les principaux thèmes de son œuvre trouvent leur expression critique finale sous une forme monumentale. Les peintures murales de Goya, réalisées entre 1819 et 1824, n’ont été découvertes que post-mortem. Lorsque le baron Émile d’Erlanger a acquis la maison en 1873, il a transféré les peintures sur toile et en a ensuite fait don à l’État espagnol. Depuis 1889, ces chefs-d’œuvre visionnaires sont exposés au Museo Nacional del Prado à Madrid dont elles ne sortent jamais, en raison de leur extrême fragilité. Le film de Parreno permet au public de voyager dans le temps et de découvrir les Pinturas negras dans leur cadre original.
Lors du tournage au Prado, l’artiste a pu capturer les peintures de très près, avec un souci du détail incroyable, et créer ainsi une proximité et une intimité uniques entre les peintures et l’observateur, où chaque détail et chaque coup de pinceau sont visibles. Lors des tournages, Parreno a créé une ambiance lumineuse qui imite la lumière des bougies et d’une cheminée ouverte, créant une atmosphère similaire à celle dans laquelle les peintures étaient probablement vues à l’époque. L’espace prend vie avec le grincement des planches, le crépitement de la cheminée, le bruit du vent dans les arbres ou le tintement des cloches de l’église au loin. Les sons et la lumière changent également en fonction de l’heure de la journée. La synthèse granulaire permet de créer un changement permanent du son, générant ainsi une acoustique globale qui n’est jamais la même. Ce remarquable film est un des points forts de l’exposition GOYA à Bâle, à découvrir jusqu’au 23 janvier prochain. a №43 — Décembre 2021 — Splendeurs
a CULTUR E – FON DATION BEY EL ER Benjamin Thomas
Banco de México Diego Rivera & Frida Kahlo Museums Trust, México D.F – Kerry McFate
CLOSE-UP NEUF ARTISTES FEMMES EN MAJESTÉ ! Toujours chez Beyeler, l’exposition CLOSE-UP met à l’honneur neuf artistes femmes dont l’œuvre occupe une position éminente dans l’histoire de l’art moderne de 1870 à nos jours. L’exposition s’intéresse au regard particulier que posent les artistes sur l’environnement qui leur est propre, tel qu’il s’exprime dans les portraits et les représentations qu’elles créent d’elles-mêmes. Cette juxtaposition permet de découvrir comment le regard des artistes sur leurs sujets a évolué entre 1870 et aujourd’hui, ce qui s’y reflète et ce qui le caractérise. Remarquable exposition. Frida Kahlo, Autorretrato con traje de terciopelo, 1926
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erthe Morisot, Mary Cassatt, Paula Modersohn-Becker, Lotte Laserstein, Frida Kahlo, Alice Neel, Marlene Dumas, Cindy Sherman et Elizabeth Peyton : pour ces neuf femmes, développer une activité artistique professionnelle sur une large base est soudain devenu possible, pour certaines dès les années 1870. C’est aussi l’époque à laquelle la notion du portrait fait l’objet d’une mutation profonde, qui s’accompagne d’une réévaluation radicale de la notion d’individu. Tout comme l’impressionnisme avait engagé la transformation du portrait classique, le début du xxe siècle leur permit de se détacher de toute notion de ressemblance. Le portrait est ainsi devenu une forme d’expression permettant d’explorer de nouvelles conceptions de subjectivité et de nouvelles possibilités de représentation. Les artistes figurant dans l’exposition illustrent cette évolution de manière exemplaire. Sans que l’exposition constitue à proprement parler une histoire du portrait depuis les débuts de l’art moderne, chacune des artistes présente avec son œuvre une forme spécifique du portrait qui s’ancre dans et émane de son époque. Des « impressionnistes » Berthe Morisot et Mary Cassatt aux plus « contemporaines » Marlène Dumas, Cindy Sherman et autres Elizabeth Peyton en passant par la toujours iconoclaste Frida Kahlo, CLOSE-UP ouvre des perspectives inédites sur l’histoire du portrait et les trajectoires des artistes présentées. Avec une centaine de prêts en provenance de musées internationaux et de collections privées en Europe, aux États-Unis et au Mexique, quelle belle idée d’avoir imaginé une telle exposition !... a
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Marlène Dumas, Teeth FONDATION BEYELER Baselstrasse 101 – Riehen / Bâle Riehen est une petite commune limitrophe de Bâle facilement accessible en tram (20 mn) depuis la gare ferroviaire SBB de Bâle. Lignes 1 + 8
« CHACUNE DES ARTISTES PRÉSENTE AVEC SON ŒUVRE UNE FORME SPÉCIFIQUE DU PORTRAIT QUI S’ANCRE DANS ET ÉMANE DE SON ÉPOQUE. » №43 — Décembre 2021 — Splendeurs
Horaires d’ouverture Du lundi au dimanche de 10h à 18h – le mercredi jusqu’à 20h Ouvert tous les jours de l’année, y compris jours fériés Tarifs Expos GOYA + CLOSE-UP : Plein tarif : 30 CHF – Tarif réduit : 25 CHF Gratuit pour les moins de 25 ans Billetterie en ligne (recommandée) www.fondationbeyeler.ch a CULT U R E
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a C ULT U RE – E X P OS ITION Isabelle Baladine Howald RMN-GP (Musée national Jean-Jacques Henner) Franck Raux / RMN-GP (Musée d’Orsay) Hervé Lewandowski / Sylvie Chan-Liat – DR
JEAN-JACQUES HENNER « ON NE TOUCHE PAS ! » La Chair et l’Idéal est un très beau titre pour une très belle exposition au Musée des Beaux-arts de Strasbourg consacrée à Jean-Jacques Henner, grand peintre alsacien (1829-1905). Céline Marcle, commissaire de l’exposition et Maeva Abillard, conservatrice du Musée Henner à Paris ont fait un remarquable travail d’accrochage et d’agencement dans la galerie et les salles, certaines petites comme des chambres, dans une lumière basse qui convient à merveille à ces tableaux jouant de somptueux clairs-obscurs… La liseuse, 1883
est la première rétrospective consacrée consacrée à Henner avec 90 tableaux et 40 œuvres graphiques et, sous vitrines, les émouvants carnets d’esquisse ou d’écriture, des objets, médailles ou pipe. Le tout grâce aux prêts de grands musées étrangers et de collections privées. Le « maître alsacien » est exposé à Paris dans son propre musée bien sûr, mais aussi au Musée des Beaux Arts de Mulhouse où l’on peut voir de nombreux dessins.
C’
UN INCLASSABLE ÉNERVANT Henner, mais qui donc est ce peintre ? Un inclassable énervant qui remporta quand même le grand prix de Rome, avec une facture très personnelle. Ce qui frappe, c’est la beauté des visages et des corps, la pâleur de la chair, et quelle chair… et d’incroyables ciels turquoise dans les petits paysages. Les visages pâles un peu carrés, les chevelures noires ou rousses évoquent un symboliste comme Knopf, les teintes ainsi que ce turquoise encore éclairé de l’intérieur, Gustave Moreau, mais juste à peine. Une luminosité qui n’est qu’à lui, dans les ciels, mais surtout dans la chair. Les nus féminins sont très sensuels, contrastant avec d’austères portraits. Mais le plus impressionnant est cette jeune veuve alsacienne (veuve de la France, l’Alsace étant alors sous bannière allemande), avec sa coiffe, ses yeux pensifs et ses cheveux cendrés retenus : L’Alsace. Elle attend. Nous aussi nous avons des peintres, pour paraphraser on ne sait plus qui. Et pas des moindres, pensons également à l’Alsacienne endeuillée de Zwiller. On ressort ébloui de beauté, la cathédrale en jette encore une brassée, les lycéens se pressent vers Fustel, on pense à ces scènes idylliques et champêtres, et à un petit intérieur peint qu’on verrait bien chez soi ! Un idéal en effet… Et que dire de cette chair pâle, masculine ou féminine, veloutée, angélique et prometteuse à la fois, allez voir, mais surtout ne touchez pas ! Oui, c’est dur ! a Jean-Jacques Henner (1829-1905) la Chair et l’Idéal Musée des Beaux-Arts – Place du château à Strasbourg, jusqu’au 24/1/2022 Jean-Jacques Henner dessinateur Musée des Beaux-arts – 4 place Guillaume Tell à Mulhouse, jusqu’au 30/1/2022 À signaler l’excellent numéro de Saisons d’Alsace d’octobre dernier sur Jean-Jacques Henner et le catalogue de l’exposition.
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a C ULT U RE – A N N IVERSAIRE Isabelle Baladine Howald
Palazzo Vecchio Firenze
700e ANNIVERSAIRE DANTE SOUS LA DENT !
La copie du masque mortuaire de Dante au Palazzo Vecchio de Florence
ante Alighieri est né en 1265 à Florence et est mort en 1321 à Ravenne. Quand il rencontre Béatrice, il a 9 ans. Ils font partie des grands couples d’amoureux mythiques, comme Pétrarque et Laure, comme Tristan et Yseult ou Roméo et Juliette. Béatrice est morte très jeune, Dante ne l’a jamais oubliée. Par ailleurs il développera toute sa vie un engagement très démocrate dans la vie politique, après avoir étudié le droit et la philosophie. Il sera condamné à mort pour ces activités et s’exilera. Surtout il commence à écrire, Le convive, bien d’autres livres, puis La Divine Comédie. Il meurt à Ravenne à 56 ans.
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PARLONS DU PARADIS, POUR UNE FOIS… Que nous apporte Dante aujourd’hui ? Une vision, une incroyable vision : une proposition de résurrection de Béatrice (c‘est à dire de l’amour) dans Le Paradis, projet qu’il a lui-même en secret depuis un rêve fait après la mort de sa jeune amoureuse.
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Dante est à peu près synonyme d’enfer (on entend à tour de bras que « ce fut dantesque » qu’il s’agisse d’une étape du Tour de France ou d’une journée de météo capricieuse), on oublie toujours qu’il a aussi écrit La Vita Nova, Le Purgatoire et surtout Le Paradis, entre autres et eut une vie très remplie. Et ce tout jeune homme n’est mort que depuis 700 ans cette année ! Allegretto !
Autrement dit, porter un projet toute une vie, faire d’une personne un mythe. C’est-à-dire aussi, donner du sens à sa vie, à nous les multi-causes. Le Paradis n’est pas moins puissant que L’Enfer, tant de fois décrit à travers ses neuf cercles parcourus en compagnie de Virgile (les mêmes cercles auxquels Jérôme Bosch aura consacré sa vie à sans parvenir à les achever). Alors parlons du Paradis, pour une fois. Il n’est que mouvement, traversée de neuf cieux jusqu’au dernier ciel, dit le ciel immatériel, tout y est nimbé de lumière, et l’ascension s’y fait d’une planète à l’autre. Rien de terrestre, sauf le voyageur. C’est la beauté de plus en plus étincelante de Béatrice retrouvée qui donne au voyageur sa certitude d’approcher le paradis tout de blancheur et de scintillement. Au loin une « petite aire », notre terre, sinon ce n’est qu’étoiles, astres, pureté, extase. Le paradis, toujours devant nous, est promesse, mais promesse tenue, au-delà des passages initiatiques nombreux. « La fin reporte au commencement ». Le présent nous renvoie aussi au passé.
Le passé envoie vers l’avenir. C’est Dante mais aussi Proust.
DANTE, SINON RIEN… Traduire Dante relève, comme pour tout grand texte, de la gageure. Il y a bien des écoles, des querelles, des désaccords. Mais tout le monde tombe comme une mouche devant l’intensité et la beauté du livre. Il se lit comme un roman, bien qu’en vers. Certes, pour y parvenir, les épreuves ne manquent pas, après tout c’est de bonne guerre… Leçon de littérature, leçon de vie. Dante aujourd’hui ? Ce tout jeune poète écrit quoi ? Une chose que tout un chacun devrait chercher dans sa vie, éternité du sentiment, bien autrement célébré qu’en sms : « L’amor che chove il sole e l’altre stelle. » « L’amour qui meut le soleil et les autres étoiles. » Quoi dire d’autre ? Rien. Dante, sinon rien. a №43 — Décembre 2021 — Splendeurs
a C ULT U RE – I N TERVIEW Jean-Luc Fournier
Franck Disegni
EN JANVIER AUX BIBLIOTHÈQUES IDÉALES MARCEL RUFO : « IL N’Y A PAS DE VIE MINUSCULE… » Comme toujours avec ce monstre d’optimisme, ce fut une rencontre profondément chaleureuse, pleine de soleil et de vitalité. Le plus célèbre des pédo-psychiatres du pays continue, à 77 ans, de s’investir pour que les jeunes en difficulté qui lui sont confiés reçoivent le meilleur de sa pratique au quotidien. Ne ratez pas sa venue en janvier prochain, lors du week-end des Bibliothèques idéales : écouter cet homme fait du bien… Depuis votre tout premier livre, Œdipe toi-même, c’était il y a un peu plus de vingt ans, en 2000, vous nous régalez avec vos récits des consultations menées par l’étonnant pédopsychiatre que vous êtes, des récits marqués par cette chaleur sans cesse affirmée qui est vite devenue votre marque de fabrique. Mais, dans Autoportraits en thérapie, votre dernier ouvrage, c’est vous qui vous racontez par le biais de ces mêmes récits de rencontres avec vos patients. C’est une belle idée… Cela faisait longtemps que je voulais écrire ce livre de cette façon. Je me suis vite aperçu que la clinique fabrique du roman et de la poésie. Le beau métier que je pratique fait que les gens me racontent des histoires très souvent sublimes. Pas toujours, bien sûr, parce qu’il y a aussi des histoires
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tristes, des échecs, des traumatismes…, c’est la vie, quoi. L’idée de départ du livre est très simple. Il y a deux sortes d’êtres sur terre, les gens qui se souviennent avoir été des enfants et les gens qui croient l’avoir oublié. Ce n’est pas de moi, c’est de Paul Valéry. Ça, c’est la clé : comment, en puisant dans les parcours de ma propre enfance, je peux les utiliser pour aider les gens en difficulté ? En m’en servant, je prouve que le passé a de l’avenir, voilà… Parmi ces souvenirs, vous parlez de cet épisode de la tuberculose, très tôt dans votre enfance, dont vous allez réchapper un peu miraculeusement, car, nous somme en 1945, il n’existe pas encore de médicaments permettant de lutter contre cette terrible maladie. Vous n’aviez pas encore un an…
Au pédiatre qui alors pose ce diagnostic, ma grand-mère rétorque : « Vous êtes un grossier personnage, personne n’est tuberculeux chez nous ». Et elle décide de me faire changer d’air et cette forte femme nous emmène ma mère et moi à trente kilomètres de Toulon, à Collobrières. Jusqu’à l’âge de dix-huit mois, j’ai donc vécu neuf mois là-bas, entouré par l’amour de ces deux femmes qui m’a servi de médicament. C’est génial comme développement affectif, non ? J’ai gardé une addiction intense de ce séjour : personne ne peut s’imaginer à quel point j’aime la crème de marrons de Collobrières. Tous les ans, je retourne là-bas pour en acheter. Et quand j’en achète, je sais que c’est la vie que j’achète. Il y a une phrase qu’on vous a souvent entendu dire, dans les interviews ou dans vos conférences ; « un enfant guéri devient un pédopsychiatre ». De quoi d’autre avez-vous guéri ? J’ai guéri d’une drôle d’enfance, une enfance où mes pensées ont occupé très vite un champ bien trop important dans ma vie de gosse par rapport à l’agir, en général et aussi par rapport aux relations qu’un môme peut avoir à ces âges-là. Bref, j’aurais dû consulter un pédopsychiatre, mais à l’époque, ça ne se faisait pas. C’est sans doute pour ça que je me suis débrouillé, bien plus tard, pour en devenir un… (sourire) Cette capacité hors-norme d’écoute, de patience, de réflexion a même été prise pour un handicap par votre institutrice, quand vous aviez cinq ans et demi et que vous veniez d’entrer au CP… Elle me prend pour un fada. Plus précisément, elle hésite entre sourd ou idiot. Coup de pot pour moi à une époque où la psycho commence à peine à être enseignée, une psychologue m’examine et conclut qu’il n’y a rien de grave, allant même jusqu’à confier à l’institutrice qu’elle me trouvait plutôt intelligent. Ça, ça a été ma chance. Car l’institutrice, culpabilisant parce qu’elle m’avait pensé idiot, me prend alors sous son aile. Elle me narcissise, en quelque sorte et à l’arrivée, je décroche le prix d’Excellence. Elle était une bonne professionnelle, car non seulement elle a admis qu’elle s’était trompée, mais elle m’a accompagné efficacement ensuite. Ce fut tout bénef pour moi, au final… Celles et ceux qui vous lisent depuis longtemps, qui vous ont aussi écouté lors des innombrables émissions de radio que vous avez animées, connaissent par cœur votre №43 — Décembre 2021 — Splendeurs
credo personnel qui est en quelque sorte votre marque de fabrique en tant que praticien : « l’empathie sensible » qui désigne votre attitude face au patient qu’on pourrait grossièrement opposer à la traditionnelle « neutralité bienveillante » qui existe depuis l’aube de la psychiatrie… C’est mon travail en cancérologie infantile qui m’a amené à pratiquer ainsi. C’était très tôt dans ma carrière, à partir du milieu des années 70. J’ai rencontré Michel, un fabuleux petit garçon cancéreux. On ne sort pas indemne d’une rencontre avec un petit garçon qui va mourir, vous voyez… Je n’ai jamais cessé depuis de me laisser pénétrer par des émotions incroyables, tout comme j’avais fini par devenir le petit cancéreux que Michel était. Oui, j’ai assez vite fait en sorte de ne pas être dans une position trop verticale, vis-à-vis de mes patients. J’ai spontanément cru que c’était mieux, pour eux et pour moi aussi quelque part. Quand je ne comprends pas une situation après une consultation, et ça arrive, c’est moi, le problème, pas le patient. J’ai vécu un truc extraordinaire sur ce sujet, il y a quelques temps. Ce jour-là, je ne me comporte pas bien avec un ado, je suis en retard, il me fait suer et ses parents aussi et comme le sale con que je peux être quelquefois, je l’envoie paître. Bref, je me comporte mal. Le même soir, je rentre chez moi, à Cassis, et je m’arrête sur la route pour admirer le magnifique coucher de soleil. Je repense à cet ado, je téléphone à ma collaboratrice à l’hôpital pour qu’elle me donne son numéro de mobile. Je l’appelle. Et vous savez ce qu’il me dit, cet ado ? Et bé, tu en as mis du temps à m’appeler ! C’est merveilleux, non ? C’est ça, l’horizontalité… Très vite également, et là je le dois à mon rôle d’enseignant, j’ai toujours cherché à parler le langage de tous pour pouvoir être compris du plus grand nombre, pour que ce qu’est la pédopsychiatrie soit accessible aux gens. Je crois que si j’ai réussi quelque chose dans ma carrière, c’est ça : aujourd’hui, aller consulter un pédopsychiatre ne fait plus peur depuis longtemps. Les chiffres le montrent : au début de ma carrière, dans les années 70, il devait y avoir 4% de consultations dites spontanées, c’est-à-dire des gens qui venaient me voir directement. Aujourd’hui j’en suis à 75%... Cette attitude générale face à vos patients et cette facilité à pratiquer un langage accessible au plus grand nombre ont à l’évidence fortement contribué à votre notoriété et à votre audience. Mais il y a un élément particulier qui a aussi beaucoup joué en votre faveur : vous écouter, №43 — Décembre 2021 — Splendeurs
« LE BEAU MÉTIER QUE JE PRATIQUE FAIT QUE LES GENS ME RACONTENT DES HISTOIRES TRÈS SOUVENT SUBLIMES. »
c’est bénéficier d’une sacrée dose d’optimisme, mais c’est aussi entendre « la voix du soleil » avec cet accent du Sud inimitable qui est le vôtre… C’est curieux que vous me disiez ça aujourd’hui. Car je suis en train d’écrire ce qui sera sans doute mon dernier livre, presque mon testament vous voyez… C’est dans la collection Les Nuls et le titre sera : Comment être parent pour les Nuls. C’est une écriture colossale, comme bâtir une pyramide. Et bien, j’ai demandé qu’on farcisse ce livre de ces petits systèmes où on scanne avec le portable, des QR Code. Ainsi, on pourra m’entendre et de plus, j’ai demandé qu’on me pose des questions sans que je les connaisse à l’avance, pour que je puisse improviser. En fait, j’ai un grave défaut, et c’est pour ça que l’effort vigoureux que me demande l’écriture de a CULT U R E
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ce livre de la série Les Nuls est si important, c’est qu’en fait j’adore le désordre psychologique, j’adore les associations d’idées, j’adore partir d’un bord à l’autre. Quelquefois, on me dit que j’improvise mes exposés, mais ça ne veut pas dire du tout que je ne les travaille pas. Bien au contraire, j’y pense pendant des semaines avant de les faire. C’est comme quand j’étais petit, les trucs tournent sans arrêt dans ma tête. Alors oui, j’improvise, mais en fait, pendant des semaines, je ne cesse de bâtir mes arguments. Il m’arrive même parfois d’en rêver… Ah, le rêve voilà quelque chose qui est important chez moi. Finalement, je n’ai pas tellement changé depuis l’adolescence : à cette époque, c’était l’héroïne qui tenait le haut du pavé chez beaucoup de jeunes. Moi, je n’ai jamais eu besoin d’en prendre de l’héroïne, je m’en suis toujours fabriqué de façon interne… Votre livre s’ouvre sur un épisode récent. La pandémie est là depuis plus de dixhuit mois et vous vous rendez en Ligurie, sur la tombe de Lisa, celle que vous appelez votre maman-bis, choisie et aimée, ajoutez-vous. Lisa est décédée durant le confinement et vous ne pouviez évidemment pas l’accompagner pour son dernier voyage…
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Lisa, je l’avais immédiatement investie comme une mère idéale. De plus, ce fut une chance pour moi, elle avait épousé Angelo et les anges, ils ne peuvent pas avoir d’enfant, c’est bien connu. Donc, Lisa et Angelo n’ont pas eu d’enfant et j’ai été cet enfant qu’ils n’ont pas pu avoir. Un peu avant sa mort, Lisa m’avait demandé quand je pourrais venir la voir en ajoutant : « Tu sais, tu es notre enfant… » La pandémie m’a empêché de lui dire adieu. J’ai connu ce sentiment très douloureux que des milliers de gens ont vécu, en ne pouvant pas voir une dernière fois avec leur enveloppe charnelle ceux qu’ils avaient aimés. Sincèrement, aujourd’hui, je ne vais pas voir Angelo très souvent, j’ai fait la connaissance de cette peur de me rendre sur les lieux d’un amour filial. Quelquefois, on ne va pas sur la tombe de ses parents, non pas parce qu’on n’y pense plus, mais bien parce que ça peut être très douloureux. Lisa était une femme intelligente et géniale dans la sécurité affective et amoureuse dans laquelle elle m’a enveloppé… Qu’avez-vous pu observer des autres conséquences des confinements, notamment chez les jeunes ? Une chose est sûre, les idées suicidaires flambent chez les adolescents fragiles. C’est
indubitable, le phénomène est en progression massive. Et encore, heureusement que les écoles sont restées ouvertes, car quand tu es fragile et que tu doutes terriblement de toi, ce sont tes copains et tes copines dont tu as besoin, pas de tes parents… Le regard que ton ami porte sur toi te construit et te protège. Dans le service que j’anime, je m’intéresse de plus en plus à la co-thérapie, comment parfois les ados se soutiennent entre eux, en dehors des soins qu’on peut leur prodiguer. Ils bâtissent une communauté de soutien qui est essentielle. Il faut quand même bien réaliser qu’avec cette pandémie, nous avons vécu un moment rare : les jeunes se souviendront que ce confinement a été le moment où ils ont sans doute vu le plus leurs parents. C’est assez incroyable… Et puis, les ados ont développé une forme assez étonnante de solidarité virtuelle, via les réseaux sociaux. Beaucoup, dans la vraie réalité, se sont faits plus d’amis durant le confinement, grâce aux réseaux sociaux. Non, la catégorie qui selon moi a le plus souffert, ce sont les étudiants. Là, ça a été terrible. Je n’ai pas lu beaucoup d’articles sur cette question : tu n’es pas un adulte quand tu deviens majeur, à dixhuit ans. Je le vois bien dans l’unité que j’ai développée à l’intention des jeunes adultes : je peux les suivre jusqu’à
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« MAIS DE TEMPS EN TEMPS, ET MÊME SOUVENT, IL NE FAUT PAS OUBLIER DE TENDRE LA MAIN À L’AUTRE. C’EST ESSENTIEL… IL FAUT LUTTER CONTRE LE MOI, MOI, MOI… QUI ENVAHIT TOUT. »
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l’âge de 24 ou 25 ans, ça m’arrange. Quand tu es jeune et que tu développes une anorexie, il faut qu’on puisse pouvoir te suivre au-delà de tes dix-huit ans, pouvoir continuer à organiser les parcours de soin nécessaire. Ceci dit, en ce qui me concerne, j’ai souvent continué à voir des gens que j’avais connus bébés et qui avaient dépassé leur cinquantaine. Un de mes maîtres, Arthur Tatossian, me racontait qu’il continuait à écrire à des jeunes qu’il avait accompagnés. « Bonjour, comment allez-vous ? », toutes ces lettres débutaient avec ces mots-là…
C’est ce même Arthur Tatossian (un psychiatre et professeur de psychiatrie à Marseille - NDLR) qui vous avait confié : « Ce qui aide les gens à vivre, ce n’est pas l’actualité, c’est l’anticipation… » C’est tellement évident. Regardez-moi, qu’est-ce qui fait qu’aujourd’hui, là, ici et maintenant, je suis encore vivant ? C’est parce que je fourmille de projets : purée, il m’en reste des choses à inventer et à faire en pédopsychiatrie ! Alors, on me pourrait me dire : tu es fada, Marcel, tu as eu une carrière honorable, mission accomplie ! Non, non, surtout pas de ça. Je vais vous dire, quand je vois les internes, je les jalouse, je rêverais d’être à leur place, pour tout recommencer. Et pour faire encore mieux ! On n’a pas réussi à faire exister la sortie du CHU en ville, avec tous les trucs intéressants qui auraient pu alors de développer. Là, on travaille sur un projet de consultation par vidéo en direct des écoles, plutôt que de faire en sorte que les minots viennent en psychiatrie à l’hôpital. Ça me plaît beaucoup, ça… Vous n’arrêterez jamais… Jamais, jamais, jamais… J’espère que je mourrai en consultation, ce sera grave pour le patient qui sera là, mais pas pour moi. On va en sortir un jour de cette pandémie ? Évidemment. Ça va se terminer comme la grippe, avec un vaccin annuel en fonction des variants. Il faut vraiment applaudir la recherche, ce qu’elle a réalisé est fabuleux.
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Bien sûr, il y a toutes ces polémiques qui se sont déclenchées, notamment concernant les anti-vaccins. Il ne faut jamais cesser d’essayer de les convaincre, c’est ce que je m’efforce de faire. Je ne veux pas céder. Pour moi, il n’y a pas à discuter : les soignants, les enseignants, les pompiers, les policiers, les chauffeurs de taxis et j’en passe devraient être dans l’obligation de se faire vacciner. L’argument de la liberté ne vaut rien : la liberté, c’est d’abord de respecter la vie des autres. Ce petit garçon qui va contaminer son grand-père ou sa grand-mère et qui va la tuer : il se le reprochera toute sa vie. C’est bien pour ça que je suis même pour la vaccination des enfants, à partir de cinq ans… Enfin, dans votre livre, il y a cette phrase merveilleuse : « Il n’y a pas de vie minuscule ». C’est Charles Gadou, un ami à vous qui est l’auteur de ces mots. Qui est-il ? Charles est un prof, un mec génial, un ami Lyonnais. Comme quoi les Marseillais peuvent aimer les M. Brun… (grand rire). En fait, l’idée centrale de cette phrase évoque que la construction de soi, on la fabrique dans le regard des autres. On est entré dans une civilisation de l’image. On ne peut que l’accepter, on ne peut pas lutter contre internet et le numérique… Mais de temps en temps, et même souvent, il ne faut pas oublier de tendre la main à l’autre. C’est essentiel… Il faut lutter contre le moi, moi, moi… qui envahit tout. Quand tu es môme dans les quartiers nord de Marseille, le fait de ne pas pouvoir t’intégrer correctement dans la société fait que tu deviens hostile à ce monde qui te refuse. C’est devenu banal et c’est bien pour ça qu’il faut mettre tous les moyens possibles pour casser cette fatalité-là et réussir leur inclusion. On est loin du raisonnement de cet imbécile heureux, le petit crapaud, qui dit des choses insensées. Il me fait honte, ce Zemmour… J’ai honte que la France l’écoute. Je m’en fous de son prétendu talent intellectuel et verbal : je voudrais juste qu’il ait un peu de cœur. Il faudrait lui faire une perfusion d’empathie, à ce mec, une perfusion d’empathie à ses quatre membres… a
Bibliothèques idéales DU 18 JANVIER AU 23 JANVIER 2022 Même si la semaine des Bibliothèques idéales de janvier reste programmée à l’heure du bouclage de notre magazine, les plus grandes inquiétudes planent sur la tenue de la manifestation. La raison est bien sûr à chercher du côté des contingences sanitaires : cinquième vague, propagation du variant Omicron ; difficile pour François Wolfermann, le programmateur, de confirmer quoi que ce soit. Quelques écrivains ont certes déjà donné leur accord (comme Francis Huster et Marcel Rufo, présents dans ce numéro) mais beaucoup d’entre eux réservent encore leur réponse. Côté Médiathèques, de belles rencontres orientées jeune public sont prévues, ainsi qu’un riche programme dans le cadre de La Nuit de la lecture. Or Norme vous informera sur la tenue de cette manifestation via ses pages sur les réseaux sociaux…
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a C ULT U RE — 2 5 e A N N IV ERSAIRE Jean-Luc Fournier
Marc Zwierkowski
GALERIE RITSCH-FISCH DEPUIS VINGT-CINQ ANS, À LA RECHERCHE DE LA PIÈCE EMBLÉMATIQUE, CELLE QUI COMPTE… Soixante et onze ans et une passion intacte, telle qu’au premier jour. Rencontre avec Jean-Pierre Ritsch-Fisch dont la galerie fête son quart de siècle et qui compte aujourd’hui parmi les toutes premières galeries mondiales spécialisées dans l’art brut : un itinéraire rare et pavé de passion…
On imagine que, comme un peu tout le monde qui se retourne sur le chemin parcouru, vous vous dites aujourd’hui que ce quart de siècle est passé vite, au fond… C’est exactement ça, en effet. Il y a vingt-cinq ans, quand tout a débuté, j’étais à des années-lumière de m’imaginer arriver là où j’en suis maintenant. Et je ne parle pas seulement de la galerie en ellemême, je pense surtout à là où en est mon œil pour découvrir les artistes. Je pense que ça vient du fait que j’ai toujours été un peu obtus et un peu têtu dans ma tête dès que j’ai commencé ma collection de figuration narrative. Au moment où j’ai abordé l’art brut, cette première démarche m’a convaincu qu’il fallait absolument que je monte cette collection avec les pièces que moi, je trouvais intéressantes ou importantes pour tel ou tel artiste afin que je puisse assez vite bénéficier des échos de certains collectionneurs qui se diraient : « Tiens, il opère une sélection assez drastique ». Ça a été ma démarche initiale et elle ne m’a jamais quitté depuis. J’ai encore pu vérifier son bien-fondé lors de la foire Art Paris à laquelle j’ai participé à la mi-septembre dernier : on a fait un véritable tabac, on a réaménagé notre stand à quatre reprises lors des quatre jours. Il faut dire que je n’avais pas hésité à réaliser un premier accrochage très dense, juste façon de pouvoir montrer à ceux qui ne me connaissaient pas que j’occupais une place assez importante dans l’univers de l’art brut, depuis tout ce temps. Tous les collectionneurs importants qui étaient les clients de la galerie ces dernières années sont bien sûr venus, j’y ai même retrouvé des clients qui avaient pris leurs distances aussi ce qui est un comportement tout à fait normal… L’art brut a longtemps été étiqueté comme un secteur de l’art assez étroit, susceptible de n’intéresser que quelques collectionneurs bien ciblés. Les choses ont changé ? D’autres regards se sont posés sur ces œuvres presque inclassables ? C’est vrai, oui, les choses ont changé. Beaucoup de collectionneurs d’art contemporain ont fini par s’intéresser fortement à l’art brut, bien conscients que nombre d’artistes qu’ils plébiscitaient s’en étaient, à l’évidence, inspirés depuis longtemps. Partis à la recherche des ori-
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gines artistiques des artistes qu’ils collectionnaient, ils en sont arrivés à l’art brut. Et comme moi je reste résolument sur la base de l’art brut historique, comme l’a défini Jean Dubuffet, c’est-à-dire l’art produit par des non-professionnels produisant des œuvres très loin des normes esthétiques convenues, j’ai au fil du temps su attirer beaucoup de collectionneurs. Ça ne m’a pas empêché de m’intéresser aussi à des jeunes qui sont aujourd’hui dans l’air du temps, dans la mouvance de l’art brut ou un peu en marge… Mais globalement, je ne dévie pas des axes qui sont les miens depuis si longtemps, maintenant : les Lesage, Crépin, Paul Amar (dont les coquillages colorés de deux tableaux-sculptures majeurs trônent dans le bureau du galeriste strasbourgeois - NDLR), A.C.M. dont je viens de vendre une œuvre à un collectionneur luxembourgeois… Même si je m’intéresse quelquefois à des artistes moins connus, j’ai une démarche de base qui est immuable : j’essaie toujours de dénicher la pièce emblématique, caractéristique de l’artiste, la pièce qui compte ou celle qui est importante dans son histoire. En ce moment, je travaille déjà sur la prochaine édition de Art Paris qui aura lieu en avril de l’année prochaine. Je suis №43 — Décembre 2021 — Splendeurs
en train d’essayer de trouver des œuvres historiques de Carlos Zinelli, un artiste que j’avais été le premier en Europe à exposer dans une galerie et pour lequel j’avais participé à la création du catalogue raisonné il y a une vingtaine d’années. Il y a bien sûr quantité de très belles pièces, mais moi, je suis à la recherche des pièces muséales. Cette démarche est mienne pour une bonne et simple raison : il m’a toujours été impossible de présenter une œuvre à un client en lui disant qu’il serait bien qu’il l’achète pour qu’elle figure dans sa collection si, moimême, je n’y crois pas… Ça, sincèrement, je ne sais pas faire et c’est pour ça d’ailleurs que je ne l’ai jamais fait durant ces vingt-cinq dernières années. Je me rappelle avoir un jour montré à New York une œuvre de Albert Louden, un artiste que j’aime beaucoup, à une personne qui m’avait contacté, car j’étais passé à la télévision américaine : ce collectionneur m’a dit : bon, j’aime beaucoup, mais je n’ai aucune comparaison, aucun repère. Pas grave, lui ai-je dit, il y a une galerie à vingt mètres d’ici qui vend quelques pièces de cet artiste. Allez donc voir… Cinq minutes après, cette personne est revenue vers moi et m’a dit : j’ai vu, mais c’est votre pièce qui est importante…
« J’AI UNE DÉMARCHE DE BASE QUI EST IMMUABLE : J’ESSAIE TOUJOURS DE DÉNICHER LA PIÈCE EMBLÉMATIQUE, CARACTÉRISTIQUE DE L’ARTISTE »
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C’est une forme d’exigence vis-à-vis de soi-même, non ? Oui, assurément. Bon, ce n’est sans doute pas toujours très habile commercialement, mais c’est ce qui marque ma différence par rapport aux autres. Cette différence a été considérable sur le marché américain, là où beaucoup de collectionneurs d’un âge certain ont reçu une éducation à l’européenne et ont perçu que ce qui m’importait à moi, visà-vis des autres galeristes qu’ils connaissaient, c’était d’abord et avant tout l’œuvre et pas son prix. Sincèrement, c’est cette différence-là qui a permis à beaucoup d’œuvres que je défendais de rentrer dans des collections très importantes aux États-Unis. Les lecteurs de Or Norme se souviennent sans doute de vos confidences assez étonnantes. C’était dans notre numéro 19, daté de décembre 2015. Vous y racontiez dans le détail ce douloureux divorce qui a bien failli ruiner votre vie. C’était en 1996 et vous étiez alors « dans la cave » comme on dit…
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Pas dans la cave, au troisième sous-sol. À fini par me dire qu’il fallait que je lui montre cette époque, c’était chaque jour un face- que j’étais quelqu’un qui était capable de à-face entre mon pot de yaourt et moi… réussir même en étant dans l’état catastrophique dans lequel elle m’avait trouvé. Alors aujourd’hui, vingt-cinq ans après Dans ma tête, je me suis dit qu’il fallait vos débuts, comment jugez-vous les que je me remue et que je montre de quoi ingrédients qui ont fait de vous un des j’étais capable. Son amour m’a littéraleplus réputés galeristes de l’art brut ? ment boosté ! Ça, je crois que c’est l’ingréLa part du travail, la part de la chance, dient primordial. Puis il y a eu en effet le fait même si bien souvent on la provoque soi- d’avoir pu montrer ma collection privée lors même ou la part du hasard brut lui aussi, d’un salon à Paris où j’ai rencontré cette comme ce vieux monsieur qui, en cette personne que vous citez à qui j’ai fait un terrible année 1996, va vous sortir de la petit topo sur l’art brut. Je ne le connaispanade en vous signant un chèque de sais pas, je ne savais pas que c’était un des 150 000 francs de l’époque, achetant en plus grands collectionneurs français de bloc toutes les œuvres que vous entas- l’époque. Il a fini par prendre l’initiative de me rappeler et heureusement qu’il l’a fait siez à terre dans votre appartement… Il y a un fait dont je ne vous avais pas parce que moi, je n’aurais pas pu le faire, parlé il y six ans, à l’époque de cette inter- dans la panade où j’étais, mon téléphone view parue dans Or Norme. C’est curieux, était coupé, je ne pouvais que recevoir des mais tout récemment, j’ai réentendu une appels ! Bref, trois jours plus tard, il était à interview de Bernard Tapie, diffusée juste Strasbourg et il m’achetait toute ma colaprès son décès. Il disait : « derrière chaque lection… Plus tard, j’ai pu participer à la réussite d’un homme, il y a une femme… » FIAC puis à Art Paris où, quelques jours Il n’avait pas tort : quand j’étais très, très avant l’ouverture, on m’a contacté pour un mal, j’ai rencontré une dame qui avait deux Lesage d’une dimension fort imporenfants – moi-même j’en avais trois – et j’ai tante découvert en piteux état sous
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G U C C I , P R A D A , V A L E N T I N O , D I O R , G I V E N C H Y , C E L I N E , C H L O É , B A L E N C I A G A , F E N D I , S A I N T L A U R E N T , S T E L L A M C C A R T N E Y , D O L C E G A B B A N A , I S A B E L M A R A N T , I R O , R E D V A L E N T I N O , K A R L L A G E R F E L D , M O N C L E R , D S Q U A R E D 2 , S T O N E I S L A N D , M A I S O N K I T S U N É , O F F I C I N E G E N E R A L , B U R B E R R Y , S E R G I O R O S S I , Z I M M E R M A N N , J I M M Y C H O O , T O D ' S , H O G A N , S T U A R T W E I T Z M A N , G I U S E P P E Z A N O T T I , A S H , S T R A T E G I A , R O B E R T C L E R G E R I E , Z A N E L L A T O , U G G ,
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un lit après le décès de son propriétaire. J’ai pu l’acheter grâce au budget de la vente de ma collection et j’ai pu le faire restaurer et c’est au cours de cette restauration que j’ai découvert qu’à côté de la signature de Augustin Lesage, il y avait une date bien antérieure à celle connue pour ce tableau. Du coup, cette pièce qui était déjà très intéressante devenait remarquable. Je raconte cette histoire à une journaliste qui s’intéressait à l’art brut. Elle publie son article la veille d’Art Paris. Et bien ce tableau a été réservé avant même l’ouverture de la Foire par Antoine de Galbert, un des plus importants collectionneurs d’art contemporain et mécène du pays qui m’a ensuite longtemps honoré de sa confiance pour pas mal de pièces. Très vite, les personnes se sont parlé et, de fil en aiguille, le boucheà-oreille a fonctionné…
On a le sentiment que le fait de vivre et travailler à Strasbourg, dans un milieu artistique et de collectionneurs où les budgets pour l’art brut ne sont pas considérables, dira-t-on pudiquement, ne vous a jamais handicapé, au fond... C’est dû à quoi ? À tout un ensemble de choses. Mais je crois que le sérieux et la notoriété finissent toujours par payer. J’ai le souvenir d’un journal américain qui avait écrit sur moi lors d’une foire à New York : « S’il y a une pièce que vous cherchez et que vous ne parvenez pas à trouver, il est possible que Ritsch-Fisch l’ait dans un coin… ». Et Roberta Smith, qui est la plume artistique du New York Times, n’a jamais manqué de me citer dans ses articles d’une foire où je présentais des œuvres. Et pourtant, on connaît bien le phénomène des Américains toujours très élogieux jusqu’au moment où ils estiment que ce petit frenchy vient manger la laine sur le dos des galeristes américains en égalant leur chiffre d’affaires… Tout naturellement, mon activité de galeriste s’est toujours plus tournée vers la clientèle étrangère. Ce qui m’a contraint à me perfectionner dans les langues : je parle bien l’anglais et l’allemand et je me débrouille plutôt pas mal en italien et en espagnol. Mais ce qui compte surtout, c’est la sincérité de la démarche. Ça, ils le lisent dans mes yeux et puis il y a le bouche-à-oreille qui fait vite son œuvre. Je me souviens de ce galeriste qui faisait partie des quelques-uns que j’admirais à
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mes débuts et qui m’a dit, bien plus tard : « Tu sais, Jean-Pierre, quand je regarde ton parcours, je me dis que c’est celui que j’aurais aimé avoir… Ce propos-là m’a toujours paru incroyable, c’est une reconnaissance inouïe pour ma galerie qui prouve qu’elle figure parmi celles qui comptent… Comment jugez-vous le positionnement de l’art brut dans le marché actuel ? Depuis vingt-cinq ans, les choses ont bien bougé, non ? Ah ça oui, on peut le dire ! À mes débuts, je m’étais résolu à éditer des petits flyers pour expliquer ce qu’était l’art brut. J’y citais évidemment abondamment Jean Dubuffet pour que les gens aient une explication concise. Mais je dois dire que très vite, il y a eu énormément d’émissions de télé, de magazines et de journaux qui se sont intéressés au sujet et l’ont popularisé. Et puis, il y a eu aussi nombre d’artistes contemporains, et non des moindres, qui ont raconté comment ils se sont inspirés de l’art brut. Picasso et Max Ernst collectionnaient l’art brut, par exemple… Et puis, il faut quand même bien le dire : une œuvre d’art, elle est bonne ou elle n’est pas bonne, point ! Soit telle pièce est un truc merdique ou soit elle interpelle, et basta !... Sincèrement, on peut aujourd’hui dire que l’art brut est partie intégrante de l’histoire de l’art, ça ne fait plus débat. Tous les musées montent des expos, il y a eu la donation de 950 pièces de la collection de Bruno Decharme à Beaubourg… Si un de nos lecteurs veut se rendre dans un endroit de référence pour découvrir une collection d’art brut, où doit-il se rendre ? Au plus proche de Strasbourg, il faut qu’il aille à la découverte de la collection Hanz Prinzhorn à Heidelberg. C’est LA collection de référence de l’art brut, elle est exceptionnelle et somptueuse. Ensuite, il y a bien sûr ce lieu formidable à Lausanne, La Collection de l’art brut où Dubuffet a déposé sa collection. Je n’oublierai pas non plus de citer le LaM, le Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut de Villeneuve-d’Ascq, près de Lille ou encore, j’en ai déjà parlé, la collection Decharme à Beaubourg. Enfin, mais c’est plus loin bien sûr, il y a aussi l’American Folk Art Museum de NewYork… Jean-Pierre, en guise de clin d’œil, quels sont vos projets pour les vingt-cinq prochaines années ?
« CE QUI COMPTE SURTOUT, C’EST LA SINCÉRITÉ DE LA DÉMARCHE. ÇA, ILS LE LISENT DANS MES YEUX ET PUIS IL Y A LE BOUCHEÀ-OREILLE QUI FAIT VITE SON ŒUVRE. »
(Rires). Et bien, continuer sur ce chemin-là, peut-être un petit peu plus tranquillement et peut-être aussi trouver quelqu’un à qui je puisse transmettre ma passion pour qu’il puisse continuer l’aventure sachant qu’au début je serai à ses côtés… On a le sentiment que vous savez déjà qui est ce repreneur… Oui, j’en ai une certaine idée… mais je ne peux rien vous dire. Pour l’instant, cette personne réfléchit. Mais c’est quelqu’un qui connaît bien l’art brut… Un Strasbourgeois ? Oui. Cette personne est enthousiaste et ça, c’est le plus important. C’est ce que je vous disais : malgré toutes ces vicissitudes que j’ai traversées, il n’y a pas un jour depuis vingt-cinq ans où je ne suis pas venu à la galerie sans ressentir l’immense plaisir d’être là. Ressentir du bonheur de faire quotidiennement ce qui vous passionne le plus au monde, c’est un bonheur et un véritable privilège. Si j’ai la chance de pouvoir accompagner mon successeur, ce serait formidable, car j’ai bien sûr très envie de continuer cette quête des œuvres, ça, c’est une démarche qui n’a jamais de fin… a №43 — Décembre 2021 — Splendeurs
COMME EUX, LOUEZ VOTRE ESPACE PROFESSIONNEL SUR LES CHAMPS-ÉLYSÉES PORTRAIT DU MOIS / ACTIVO ACTIVO a fait une entrée remarquée dans le Club des 100 en organisant les 29 et 30 novembre la première conférence dédiée 100% au DAM à la Maison de l'Alsace, réunissant plus de 150 clients, experts et partenaires.
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a C ULT U RE — P ORTRAIT Véronique Leblanc
Alban Hefti
ENTRE MUSIQUE ET PEINTURE LES FULGURANCES DE BRICE BAUER Violoncelliste, Brice Bauer est l’âme du parvis de la cathédrale, sa voix. Il nous a tous capturés un jour ou l’autre dans les filets de sa musique, aussi pressés que nous ayons pu l’être. Mais la musique est loin d’être la seule corde à son arc…
usicien compositeur, Brice Bauer est aussi plasticien, peintre dans l’âme. Et peut-être « peintre avant tout », dit-il en regrettant que « la France cartésienne ait du mal à envisager la polyvalence ». Lui se veut « voué au monde » depuis l’enfance, se reconnaît saisi de « fulgurances », « de choses qui frappent comme une évidence, comme en amour ». Tant en musique qu’en peinture, « un son peut s’imposer tout comme un geste ou une couleur, les remettre en cause fait souvent perdre du temps car on finit par y revenir ». Ses gestes de peintre transcrivent l’urgence et le mouvement, mais « n’empêchent pas l’approfondissement », dit-il en passant en revue la pile d’œuvres sur papier qu’il a préparée en prévision de l’interview. Le but est de « pousser les choses jusqu’au bout », de questionner, de tendre vers un horizon pour transmettre une émotion aussi partageable que possible. Cet horizon qui habite ses innombrables paysages tous jaillis de ses souvenirs ou de ses rêves, mais souvent « reconnus » par ceux qui les découvrent. « Il y a une mémoire universelle » estime
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Lorsque s’étend au loin le souffle du monde – Acrylique et huile sur bois
l’artiste heureux de revoir des œuvres anciennes. Bunker émergeant de la douceur des sables pour se noyer dans le ciel, paysages anodins rythmés de pylônes électriques… dessins et peintures confinent à une forme d’abstraction, mais une abstraction sans brutalité, comme à mi-chemin, poétique. « Je vais revenir au ciel, à la ligne d’horizon », se promet-il, « à des œuvres de cet entre-deux face auxquelles on puisse inventer sans être emprisonné par une ambiance ».
« RENDRE L’INVISIBLE VISIBLE OU DU MOINS PERCEPTIBLE » Mais s’impose aussi l’importance de reprendre une série de peintures sur verre entamée il y a un an. Des plaques peintes, conçues non comme des tableaux, mais comme des œuvres en trois dimensions « avec un recto et un verso complètement différents », des « sculptures auxquelles il faudra un socle en pierre ou en bois qui №43 — Décembre 2021 — Splendeurs
devrait permettre, dans certains cas, d’insérer une source de lumière ». Des œuvres « vivantes et aléatoires » résume Brice en évoquant une ancienne exposition Artside où, dans une installation de carcasses d’ordinateurs et de fils tendus soumise aux aléas de la déambulation, il « avait tout misé sur la lumière, les diapos, les voiles de tulle et une musique très expérimentale ». « Lors des expos suivantes, plus carrées, j’ai toujours eu tendance à ajouter un détail qui anime l’espace. J’aime l’idée de rendre visible ou du moins perceptible ce qui ne l’est pas et qui pourtant est partout. » « Comment révéler ces choses qui appartiennent tant à la matière qu’à à nos sentiments, à nos ressentis ? ». La question le taraude. Il l’explore pour se confronter à lui-même afin d’y trouver une part qui touche tant à l’intime qu’à l’universel, échapper au « décoratif ». Trouver l’expression « où il est le plus présent », dit-il en évoquant une série qui lui a valu le Prix Schuller décerné par la Société des Amis des Arts et des Musées de Strasbourg en 2011. Réalisées à l’encre et brou de noix en techniques mixtes, il
s’agissait d’œuvres « très spontanées dont la force émanait de la lumière », réalisées sur papier « pour la rapidité du geste ». L’huile permet-elle la rapidité d’exécution requise par ce travail assez graphique ? Revenu à son chevalet en cet automne, l’artiste cherche la réponse, le geste libérateur. Un geste hybride correspondant à sa musique et à sa peinture. « Quand je compose, raconte-t-il, je travaille par aplats et couches successives, quand je peins, je laisse place à l’improvisation et je rythme mes toiles de marques et de signes comme une sorte d’écriture sur portées musicales ». S’étonnera-t-on qu’il ait composé de longues plages sonores conçues pour l’accompagner quand il dessine ou quand il peint ? « La dernière remonte à deux heures, confie-t-il. Je l’ai titrée avec les couleurs que le son me semblait avoir. » Synesthésies baudelairiennes ? « Je n’y avais jamais pensé, s’amuse-t-il, mais la boucle est bouclée, il fut un temps où je ne jurais que par lui ! » a a CULT U R E
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S ACTUALI TÉ — R É NOVAT ION Barbara Romero
Nicolas Rosès
Bains s e u q i mag Enfin ! s é v réno N’en déplaise aux grincheux, les nouveaux Bains Municipaux de Strasbourg sont une belle réalisation, accessible à toutes et à tous, dans l’esprit de service public. Pour accéder aux Bains Romains, il vous en coûte 3€ de plus qu’avant la fermeture de ce joyau strasbourgeois il y a trois ans. Prêts à plonger ? Une splendide rénovation
vec l’énergie qu’on lui connaît, le docteur Alexandre Feltz, seul élu strasbourgeois à suivre depuis 2010 le dossier longtemps polémique des Bains municipaux, nous guide dans les nouveaux Bains avec l’émerveillement d’un enfant dans un magasin de jouets. « Les gens pensent encore qu’on a réalisé un Molitor, c’est horrible ! » s’exclame-t-il. Tout en haut des Bains domine le blason de la Ville de Strasbourg, c’est ça les Bains Municipaux, depuis toujours ! Aujourd’hui, les Strasbourgeois peuvent accéder au petit et au grand bassin au même tarif que dans n’importe quelle piscine strasbourgeoise. À 5€ l’entrée, 3,50€ si vous prenez 10 tickets. Pour un étudiant,
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c’est entre 2€ et 3€. Pour les plus démunis, 1€… « Nous avons également 800 heures d’ouverture supplémentaires. » Et les nouveaux Bains Romains ? « Avant les travaux, cela vous coûtait 17€, aujourd’hui, nous proposons des prestations qui n’ont rien à voir pour 3€ de plus, avec une piscine extérieure, des bains modernes… »
FAIRE ÉVOLUER LE PATRIMOINE EN RESPECTANT L’HISTOIRE Le site, propriété de la Ville, est exploité en délégation de service public par la société Equalia. Avant même leur réouverture, les S ACTUAL I TÉ
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« Notre objectif était de faire évoluer le patrimoine mais en respectant l’histoire. » Antonin Gilles, architecte directeur de projet Le docteur Alexandre Feltz, Colette Audebert et Antonin Gilles (de gauche à droite)
Bains municipaux étaient sous le feu des critiques. « Les Bains municipaux plongent dans le luxe, à contre-courant de leur histoire ». « Les choses qui froissent les Amis des Bains municipaux », « Pour un retour des créneaux non mixtes »… Des mécontents, on en trouvera toujours. Surtout quand on parle d’un programme de rénovation de 40 millions d’euros, entièrement financé avec l’argent public. Logique. Mais après 113 ans sans travaux, les Bains municipaux méritaient un bon lifting. Et une mise aux normes avec une diminution de 40% de l’énergie dépensée et de 60% de l’eau utilisée. En confiant la rénovation de ce bâtiment classé au titre des monuments historiques au cabinet d’architecture de François Chatillon, architecte des Bâtiments de France, Strasbourg ne prenait finalement pas trop de risques en termes de respect du patrimoine… Parmi les critiques des Amis des Bains municipaux : la fermeture des mezzanines, le non-respect de la couleur d’origine, des douches rasées (sic), la profondeur des bassins revue à la baisse et l’horloge non mise en valeur selon eux. Des critiques gentiment balayées par Antonin Gilles, directeur de projet pour Chatillon Architectes. « La couleur d’origine a été retrouvée par un peintre spécialiste en stratigraphie qui a trouvé au scalpel, dans les parties les moins remises en peinture, la première couche
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de couleur. » Les douches ? « Aucune douche n’a été supprimée. Si en bas nous avons pu les remettre en marche, dans la partie des bains romains il était impossible de les remettre en fonctionnement, précise-t-il. Nous avons donc pris le parti de les laisser tels quels dans l’espace. » Les douches contemporaines, qui ont été installées à côté, sont dans un style d’époque. Tout comme le système de filtration du jacuzzi au cœur du nouveau SPA qui a été spécialement réalisé dans le même esprit. Quant aux mezzanines, elles sont désormais fermées à la circulation en raison des nouvelles normes à incendie. « Notre objectif était de faire évoluer le patrimoine mais en respectant l’histoire », souligne l’architecte. Autre exemple, en retirant le granit de précédentes restaurations des bains chaud et froid, des colonnes dégradées ont été découvertes. « Ils ont bataillé pour obtenir le budget nécessaire pour les refaire à l’identique selon les plans de Fritz Beblo, l’architecte allemand à l’origine des Bains », sourit Alexandre Feltz.
AU CŒUR DU SERVICE PUBLIC…
une belle lumière naturelle filtrante, les Bains nouveaux invitent à la déconnexion. Chaque détail, chaque moulure, a retrouvé toute sa superbe. Le passage entre l’espace rénové et la partie contemporaine assurée par TNA Architectes se fait sans césure malheureuse. À l’heure où nous écrivions ces lignes, les Strasbourgeois n’avaient pas encore pu s’approprier les lieux, mais sa directrice Colette Audebert, était très confiante. « Ce qui me fait rêver aux Bains, c’est qu’au cœur du service public, il y a la notion de service de qualité pour toutes et tous, la notion de mixité sociale, qui n’est pas un fantasme. Je travaille 16h par jour totalement portée par la belle énergie de ce bâtiment, des gens qui l’ont construit, de ceux qui y ont évolué. » La directrice avait également entendu les appels de Strasbourgeoises pour le retour de créneaux non mixtes. « J’ai pris attache, les Bains sont une grosse machine à ouvrir, tout le monde doit y trouver son bonheur, confiait-elle. J’ai besoin de concertation pour savoir quel chapitre nous allons écrire ensemble pour les cent prochaines années. » Dans un bâtiment qui doit toujours avoir pour vocation la rencontre… S
Il faut dire que la réalisation est assez dingue. Que ce soit de nuit avec une ambiance si particulière dans ce bâtiment chargé d’histoire ou de jour avec
g asbour x nicipau Victoire – Str rg.f r u M s in u la bo Ba vard de destras 10 boule smunicipaux in a www.b №43 — Décembre 2021 — Splendeurs
S ACT UA L I T É – L E P RIN TEMP S Jean-Luc Fournier
Nicolas Roses – DR
Feu le Printemps Chronique d’une mort annoncée
Une grosse verrue bronze anodisé : voilà ce qui reste désormais du Printemps sur la place de l’Homme-de-Fer à Strasbourg. Derrière les vitrines encore aveuglées par le fuchsia des maxi auto-collants annonçant la fermeture définitive, on est en train d’éradiquer tous les éléments de la luxueuse décoration intérieure. Gravats, poussière, enchevêtrement de matériaux : comme une image-symbole d’un désastre impensable. Pressentant depuis longtemps qu’il y avait derrière tout ça quelques vérités bien cachées, nous avons enquêté : le long silence du siège parisien de l’enseigne, qui n’a donné suite à nos demandes d’entretien que… le jour que nous lui avions indiqué comme étant celui de de notre bouclage, nous a formidablement encouragés à aller à la recherche des vraies raisons de cette décision de fermeture, tombée il y a un an, le 10 novembre 2020, et qui a trouvé son épilogue le 16 octobre dernier. Et cette enquête nous a appris et fait comprendre bien des choses… merta, vous avez dit omerta ? Une omerta de la part du siège parisien de l’enseigne ? Trois mails en près d’un mois, dans lesquels nous demandions un entretien avec la gouvernance du groupe, pour tenter de mieux comprendre l’enchainement des événements ayant provoqué cette décision. Pas de réponse. Une dernière tentative, à la veille de notre bouclage le 22 novembre dernier a été plus prolixe : réponses à nos questions souhaitées « par écrit » promises pour le lendemain avant 16h, heure de notre ultime bouclage. Nous avons reçu 1h30 après l’heure prévue quelques lignes de réponses sculptées dans une langue de bois des plus massives… Une omerta totale de la gouvernance locale du magasin, également : manifestement, les ex-employés de la direction strasbourgeoise de l’enseigne (même ceux ayant quitté leurs fonctions au cours des dernières années) n’avaient aucune envie de parler… Il en fut de même pour l’ex-directeur de l’immobilier du groupe Le Printemps (parti depuis à la concurrence…) qui avait négocié le loyer, un des éléments essentiels
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ayant contribué au marasme de l’enseigne à Strasbourg. Pas de réponse à nos demandes d’entretien et, à force de harcèlement de notre part, quelques minutes abscondes au téléphone… Une omerta totale, enfin, venue du Groupe Benarroch et Oussadon (Groupe B&O), qui était propriétaire des murs au moment de la rénovation et la restructuration de l’immeuble et qui a donc fixé le loyer à son locataire. Denis Oussadon, un des deux dirigeants, nous a rappelés pendant quelques secondes du Luxembourg où il réside, sans doute intrigué par notre numéro qui s’affichait à tant de reprises sur son mobile. Quelques mots d’une grande banalité (bien sûr voulue) et ce fut tout. Aucune information à attendre de ce côté-là non plus… Alors ? Et bien alors, il nous a fallu prendre quelques chemins de traverse pour tenter de comprendre ce qui s’est vraiment passé depuis près d’une décennie. Nous y avons rencontré les deux seules personnes qui ont parlé à visage découvert : elles se nomment Yolande Fischbach, 62 ans, vendeuse depuis 1976, et Martine
Ebersold, 58 ans, dont 38 passés dans le magasin, toutes deux déléguées syndicales CGT et membres du comité social et économique (CSE) national du Printemps, ce dernier point expliquant la fiabilité des informations dont elles disposent. Nous avons confronté leur avis avec celui d’un ex-cadre du siège parisien du groupe (à qui nous avons garanti l’anonymat, à sa demande) qui a suivi professionnellement de près l’historique de l’enseigne strasbourgeoise, pendant quelques années après les travaux de rénovation et restructuration. Pour l’essentiel, ces sources sont parfaitement d’accord entre elles, ce qui nous a permis de reconstituer l’invraisemblable cascade de mauvaises décisions et d’erreurs stratégiques commises par le siège national du Groupe depuis près d’une décennie. Le Printemps, sous plusieurs appellations au fil du temps – Le Louvre, Les Grandes Galeries… – était présent à Strasbourg depuis 1905. Un sacré bail qui vient donc de disparaître après 116 ans d’existence (moins quelques années de fermeture, lors des guerres). C’est dire l’attachement dont l’enseigne a bénéficié jusqu’à sa disparition effective, en octobre dernier. Ses locaux de la rue de la Haute-Montée étant devenus vétustes et de moins en moins adaptés à l’activité, des travaux ont été décidés au tout début des années 2010 et réalisés de 2011 à 2013, année de l’inauguration du nouveau Printemps entièrement rénové et restructuré. Pendant la durée des travaux, un nouveau positionnement très haut de gamme a été décidé par le siège national du Groupe. À la réouverture, après un premier exercice légèrement en dessous des objectifs minimums prévus au budget prévisionnel, le chiffre d’affaires n’a alors jamais cessé de chuter (on parle d’une baisse de 40 %). En mars 2020, on apprenait la décision brutale du Groupe de fermer sept magasins en province (dont Metz et Strasbourg) et de céder le magasin du Havre à une société franchisée. Motif invoqué : dégager des budgets pour redéployer la politique commerciale du groupe. À Strasbourg, le Groupe n’est même pas parvenu à poursuivre son activité jusqu’au 31 décembre prochain et a définitivement clos ses portes le 16 octobre dernier. Depuis l’annonce de la fermeture, aucun repreneur unique ni aucune enseigne susceptible d’occuper l’un ou l’autre des sept niveaux désaffectés n’ont fait connaître la moindre intention de reprise… S ACTUAL I TÉ
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Une étonnante et dramatique série d’erreurs stratégiques au plus haut niveau UNE GOUVERNANCE ERRATIQUE Rembobinons le film. Depuis 1992, le Groupe Le Printemps était la propriété du groupe PPR (Pinault-Printemps-Redoute). C’est en 2006 que le milliardaire François Pinault décide de mettre l’enseigne en vente. Le deal sera conclu en faveur d’un consortium articulé autour de la Deutsche Bank via sa structure d’investissement Reef (qui deviendra propriétaire à hauteur de 70 % du capital de France-Printemps) et le groupe familial italien Borletti (exploitant les grands magasins La Rinascente, (l’équivalent du Printemps dans la péninsule italienne – NDLR) possesseur de 30 % du capital. En septembre 2007, Paolo de Cesare, auteur d’une longue carrière internationale chez la multinationale américaine Procter & Gamble (hygiène et produits
de beauté) est nommé PDG de FrancePrintemps. « Il a tout de suite fait part de sa volonté de positionner le groupe dans le haut de gamme » nous confie l’ex-cadre du siège parisien du Printemps. « Avec un certain succès », ajoute-t-il, « puisque le magasin “amiral” du boulevard Haussmann s’est modernisé au prix de dizaines de millions d’euros de travaux qui ont permis d’accueillir ensuite une importante clientèle internationale… » Preuve évidente de la cote dont a pu bénéficier Paolo de Cesare depuis son arrivée, il a été maintenu à son poste par les actionnaires qataris du fonds Disa, qui ont racheté Le Printemps en 2013. Notre interlocuteur parisien n’hésite pas à commenter ce rachat en des termes frisant l’ironie : « Ce fut vite un secret de Polichinelle : le fonds Disa était la propriété de l’émir Al-Khani, un des membres de la famille régnante du Qatar. En interne, on ne s’est pas longtemps demandé le pourquoi de
cette arrivée surprise des Qataris. Très vite, on a su qu’en fait, la raison principale était somme toute assez simple : l’émir a fait ce cadeau à une de ses épouses favorites qui était une cliente historique du Printemps-Haussmann, une véritable fan de l’enseigne… » (elle possédait déjà à cette époque le maroquinier Le Tanneur – NDLR) Ainsi vont les choses dans ce monde-là… Il ne faudra pas longtemps attendre après l’arrivée de la nouvelle propriétaire pour que la presse économique française et internationale se voit bombardée de dossiers de presse, tous informant sur un développement tous azimuts du groupe et annonçant l’ouverture « prochaine » de ses deux premiers magasins à l’étranger (à Milan et à Doha – ces deux magasins, dont les 30 000 m2 prévus à Doha [!], n’ont jamais vu le jour – NDLR), prélude à l’ouverture de cinq à dix autres magasins en dix ans, susceptibles de doubler les ventes d’ici 2030. « Le groupe a aussi acquis à grands frais un site de commerce en ligne dédié au design » (la plate-forme Made in Design – NDLR) complète notre interlocuteur parisien. Ces projets et ces ambitions vont très vite prendre l’eau, en raison « de résultats annuels moins bons que prévu qui se sont succédés en rafale » précise cette même source qui révèle même des chiffres récents portant sur l’exercice clos à la fin mars 2019, marqué par l’impact négatif bien réel des premières manifestations des Gilets jaunes à Paris : « le Groupe avait tablé sur une croissance de 8 % de son chiffre d’affaires. Avec 1,7 milliard d’euros réalisés, le chiffre d’affaires n’a finalement progressé que de 3 %... » Ces pertes financières sont-elles la raison du départ du play-boy italien comme on le surnommait dans le groupe ? « C’est vraisemblable »
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Paola Locatelli en CALI DREAM
alsaciennes et nationales – NDLR). Le numéro 5 de Or Norme (daté d’avril 2012) citait Benoit Guillemin, le responsable de opérations du chantier : « Pas moins de 100 millions d’€ ont également été investis dans les travaux par le groupe B&O ». Un gros investissement, mais très rentable pour les deux hommes d’affaires tant leurs ambitions immobilières sur tout le secteur (commerces et appartements résidentiels) étaient immenses. Elles ont été réalisées depuis…
POUR RÉNOVER ET RESTRUCTURER, IL A FALLU VENDRE DES BIENS… En amont du début des travaux, un élément n’a que peu été médiatisé (à l’époque) à la hauteur de la future importance qu’il aura sur les comptes d’exploitations, au final. Pour pouvoir financer sa part des travaux, Le Printemps a cédé l’immense parking de plusieurs étages bordant l’Ill, à l’extrémité de la rue du Noyer (c’est le gigantesque immeuble de la société irlandaise Primark qui occupe aujourd’hui cet emplacement – NDLR). Cette cession s’est réalisée dans le contexte global de la gestion nationale du groupe qui avait alors décidé la cession d’une grande part de ses importants actifs immobiliers afin de financer ses projets de développement, notamment à l’international.
TRÈS VITE, AU PLUS HAUT NIVEAU, LES ERREURS S’ACCUMULENT…
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commente notre interlocuteur. « Et d’ailleurs, on peut le lire entre les lignes du communiqué du groupe paru le 2 mars 2020 et qui annonçait le départ de Paolo de Cesare le 28 février précédent. »
LE FINANCEMENT DES TRAVAUX DE RESTRUCTURATION ET DE RÉNOVATION DU MAGASIN STRASBOURGEOIS En effet, on peut y lire ces tournures de phrases qui ne laissent pas la place à un grand doute : « La décision du Conseil de Supervision fait suite au constat des difficultés rencontrées ces dernières années dans le secteur de la vente au détail, à l’international et tout particulièrement en
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France, et de la nécessité de mettre en place un nouveau leadership, afin d’accélérer et concrétiser le plan de développement du Printemps qui est ambitieux et grandement soutenu par ses actionnaires. » C’est peu de temps après que Le Printemps annonçait la fermeture de sept magasins en France. Dont celui de Strasbourg… Selon les sources, Le Printemps a dépensé entre 25 et 35 millions d’euros pour rénover et restructurer entièrement son enseigne strasbourgeoise dont le propriétaire d’alors (2011) était le Groupe B&O – créé par les deux redoutables hommes d’affaires strasbourgeois Jacques Benarroch et Denis Oussadon (la rumeur publique dit qu’ils possèdent la moitié des plus beaux emplacements de la capitale alsacienne et qu’ils pointent dans les tout premiers rangs des fortunes
On arrive là à un des nœuds du problème. Nos deux sources (l’ex-cadre parisien du groupe et les deux déléguées syndicales du magasin strasbourgeois) concordent parfaitement. Plus d’un an avant l’inauguration du nouveau Printemps (fixée au 4 avril 2013), la direction locale multiplie les alertes en direction de la rue de Provence, le siège parisien du groupe. « Je me souviens parfaitement des centaines de mails et de notes que nous avons reçus de la part de Laurence Peiffer (la directrice d’alors, que nous n’avons pas pu joindre malgré nos sollicitations répétées – NDLR) et ses collaborateurs directs. Chaque semaine, ils nous faisaient part de leurs inquiétudes et elles portaient sur de nombreux points capitaux : les mauvais choix concernant l’architecture intérieure du magasin, le staff strasbourgeois ayant très vite exprimé ses doutes sur la fluidité des flux de clientèle dans le №43 — Décembre 2021 — Splendeurs
Martine Ebersold (à gauche) et Yolande Fischbach
magasin. La disparition du restaurant fut également une source de grande inquiétude pour la direction strasbourgeoise du magasin, bien consciente qu’il avait toujours été plébiscité par la clientèle traditionnelle de l’enseigne… Yolande Fischbach et Martine Ebersold confirment de leur côté : « Pour notre part, dans le cadre du CSE national du groupe, nous n’avons jamais manqué de tirer les sonnettes d’alarme » disent-elles à l’unisson. « Ça a commencé par la vente du parking. Bien sûr, on nous l’a tout de suite justifiée par le besoin de fonds pour financer les travaux. Mais comment a-t-on calculé tout ça ? Notre expérience à nous les anciennes n’a jamais été entendue. Nous avons dit et redit que ce parking était comme un véritable aspirateur à clients. On nous a répondu : les gens viendront par le tram. Nous, nous pensions que c’était bien mal connaître notre clientèle de base qui était relativement âgée et pour qui la voiture représentait confort et sécurité. Nous sommes absolument certaines, encore aujourd’hui, que Le Printemps sans son parking nous a privés d’entrée de jeu de très nombreux clients. Comme la direction du magasin nous informait très régulièrement de l’avancée du projet, nous avons pointé très vite également ce vrai handicap qu’était la disparition des deux grands ascenseurs centraux. Nous nous souvenons encore avec peine des clients handicapés ou en chaises roulantes. Avec le petit ascenseur dissimulé aux yeux de tous que nous avons découvert après les travaux, quel vrai service pouvaient-ils attendre de leur magasin ? Et c’est sans parler de ce ridicule et minuscule monte-charge qui nous était destiné. Plus tard, on a pu mesurer le nombre invraisemblable d’heures perdues №43 — Décembre 2021 — Splendeurs
à multiplier les aller et retour entre le stock et les étages à approvisionner. Une vraie galère. Incroyable… Pour rester sur la même thématique, comment a-t-on pu imaginer un unique accès aux étages supérieurs avec des escalators peu visibles pour un client entrant pour la première fois dans le magasin ? Que ce soit par l’entrée du coin rue de la Haute Montée/rue du Noyer ou par l’une ou l’autre des deux autres entrée, les escalators n’étaient pas spontanément visibles. Que de handicaps de base pour développer une clientèle ! » Interrogé sur ces points matériels concrets, notre ex-cadre du siège confirme avoir eu sous les yeux très tôt nombre de notes de la direction locale du magasin, attirant l’attention sur tous ces points. « Je crois que les collaborateurs de la direction strasbourgeoise ont été éberlués de ces erreurs de conception du nouveau magasin. Rien n’a bougé malgré leurs alertes, je crois même savoir qu’ils ont tout tenté ensuite, notamment au niveau de la signalétique intérieure, pour que les clients circulent mieux dans le magasin, mais c’était sans doute bien trop tard : au siège, on n’a tenu que très peu compte de la liste impressionnante des choses à revoir communiquée par le staff strasbourgeois qui, pourtant, ne raisonnait que dans l’intérêt de nos clients » conclut-il.
DES ERREURS COLOSSALES, JUSQU’AU CŒUR DES MÉTIERS DU GROUPE… Nous sommes plus d’un an avant l’inauguration d’avril 2013. Pendant que le chantier s’active (pour le meilleur comme pour le pire), c’est le temps du développement
de la stratégie de marque. Elle tient en peu de mots : Le Printemps s’en va voguer vers le très haut de gamme, c’est le credo répété à tout va par le PDG Paolo de Cesare. Dans l’esprit des décideurs du siège, il est évident que Le Printemps Strasbourg se doit d’être à la pointe du positionnement et doit absolument « reprendre des parts de marché » à son voisin de l’autre côté de la place, Les Galeries Lafayette, d’autant que cette enseigne a particulièrement réussi sa rénovation et son repositionnement peu de temps auparavant. Par ailleurs, il n’aurait dû échapper à personne que, déjà plusieurs années avant la réouverture du nouveau Printemps, son concurrent avait attribué à son enseigne strasbourgeoise un « colossal budget » pour multiplier les offres promotionnelles à ses clients (« qui étaient les nôtres également, puisqu’à Strasbourg comme partout ailleurs où les deux enseignes existent, la grande majorité des clients “Grands Magasins” possèdent les deux cartes de fidélité des deux magasins » précise notre discret interlocuteur). Personne ne pouvait donc ignorer que c’était une lutte féroce et meurtrière qui s’annonçait… « Je me souviens très bien, là encore, des alertes rapides et circonstanciées venues de la direction locale de notre magasin » poursuit-il. « Comme l’imposait la stratégie commerciale, la directrice du magasin, accompagnée de son directeur du marketing, a entrepris une veille commerciale en se rendant à plusieurs reprises arpenter les étages de notre concurrent. Leurs notes presque quotidiennes que nous recevions ne laissaient pas de place au doute : ils nous signalaient sans discontinuer que la plupart des grandes marques du luxe (vêtements et accessoires) avaient S ACTUAL I TÉ
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investi en masse sur les Galeries Lafayette et il est devenu assez vite évident qu’elles ne seraient pas présentes chez nous ». Sans ces marques prestigieuses, adieu l’ambition de représenter le summum du luxe à Strasbourg. L’angoisse s’est donc rapidement installée à l’étage de la direction strasbourgeoise. Mais on n’avait encore rien vu… « La direction strasbourgeoise s’est ensuite fortement étonnée d’une nouvelle effectivement assez stupéfiante » raconte encore notre interlocuteur. « On a décidé, à Paris, que le rayon beauté-parfumerie serait situé... au sous-sol du magasin, contre toute attente ». Pour être franc, ce point n’avait pas échappé aux observateurs attentifs au moment de la réouverture, mais il aura fallu attendre huit ans – et la présente enquête – pour avoir le fin mot de cette histoire pour le moins stupéfiante, en effet. En poussant un peu notre interlocuteur dans ses retranchements, il a fini par nous confier que la responsabilité de ce ratage insensé revient à Charlotte Tasset, la toute puissante directrice du marché Beauté, alors proche du PDG, recrutée peu de temps avant, en 2010, en provenance du groupe Sephora. « À ma connaissance, très peu de magasins dans les grandes villes du monde entier avaient “innové” de la sorte. (deux seuls, en réalité, Bergdorf Goodman, à New York et Selfridges à Londres – NDLR). Très vite, j’ai appris que les marques de produits de beauté sont devenues hystériques en apprenant ça » poursuit notre source. Une directrice Grand comptes Beauté de l’une d’entre elles, Chanel, a même lancé : « Mais, je n’y crois pas, vous voulez nous mettre à la cave ! » Quand nous racontons cette anecdote à nos deux syndicalistes, elles surenchérissent : « À un certain moment, on nous a même interdit de prononcer le mot “soussol”, on nous a obligés de parler de “rez-dechaussée bas” » ironisent-elles.
d’un charisme assez décomplexé » dit-il. Les journalistes strasbourgeois peuvent en témoigner, eux qui se souviennent encore de son apparition soigneusement mise en scène, ébouriffante et très exhib, sur les talons du PDG et sous les flashs des photographes, le 4 avril 2013, jour choisi pour inaugurer le nouveau Printemps. Charlotte Tasset a quitté le groupe il y a trois ans pour le poste de directrice générale mode et parfum de Nina Ricci. Court passage : elle vient de quitter ce poste en septembre dernier... Le staff local avait très bien fait les choses lors de cette inauguration, même dans l’ambiance de doute qui s’était déjà solidement installée. Plus d’un millier d’invités, dont un grand nombre de journalistes (nous étions là au titre de la rédaction de Or Norme) et, dans la foulée, 20 000 clients qui ont poussé les portes du magasin ce jour-là (16 000 les imiteront le lendemain, un samedi). Les journalistes présents se souviennent encore de Martine Delzenne, la vice-présidente du Groupe, claironnant au micro, durant son discours officiel : « Le Printemps sera l’écrin du luxe à Strasbourg ». Plus tard, en aparté, elle confiera « vouloir laisser l’esprit populaire aux Galeries Lafayette » (Nos propres oreilles se souviennent l’avoir entendue prononcer ces mots – NDLR). Nul doute qu’intérieurement, le staff local du magasin a dû se désespérer, lui qui avait multiplié les notes mettant en garde sur le manque de compréhension de la nature profonde de la clientèle strasbourgeoise du magasin. « Il aurait fallu éviter le trop-plein de dorures et tout ce bling-bling
totalement inadapté à la mentalité alsacienne » commente Martine Ebersold, largement approuvée parYolande Fischbach… Dans les jours qui ont suivi, les craintes émises quelquefois un an avant par le staff du magasin strasbourgeois prenaient un tour bien réel : les clients ne « circulaient » pas correctement parmi les niveaux du magasin, l’offre du rez-de-chaussée ne correspondait pas du tout à leurs attentes, le sous-sol, même rebaptisé « rez-de-chaussée bas », rencontrait une fréquentation très moyenne. Bref, l’expérience-client (comme on appelle aujourd’hui, avec snobisme, le séjour d’un consommateur dans un grand magasin) commençait déjà à ressembler de près à un fiasco. Nous n’étions pourtant qu’à peine une semaine après la réouverture…
DES INTERROGATIONS… SANS RÉPONSES On terminera cette évocation du désastre du dernier repositionnement du Printemps à Strasbourg avec pas mal de nos interrogations qui n’ont pas eu de réponse. Le loyer du nouveau Printemps tout d’abord : selon les sources, il aurait été négocié entre le propriétaire de l’époque, le Groupe B&O, et le siège parisien du Printemps pour une somme annuelle variant de 3,3 à 3,8 millions d’€, selon nos différentes sources. « Une somme exorbitante » affirment en chœur Yolande Fischbach et Martine Ebersold « que nous avons dénoncée à plusieurs reprises lors des CSE du groupe. Quand on songe à la baisse régulière des chiffres d’affaires annuels, et ce
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UNE JOURNÉE D’INAUGURATION RÉVÉLATRICE ET DES SUITES ÉDIFIANTES… Malgré les mails qui proviennent du staff strasbourgeois du magasin, Charlotte Tasset ne veut rien entendre et maintient sa décision d’exiler le rayon beautéparfumerie au sous-sol. « Elle pouvait être butée à mort » commente son ex-collègue du siège. « Elle avait les dents qui rayaient le parquet, profitant d’une aura certaine et
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Établissement d’enseignement supérieur privé. Cette école est membre de
Il y a des Business Schools qui forment à l’école, et des Business Schools qui forment au Business.
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bien avant l’impact de la pandémie, ce n’est pas la peine d’avoir fait de longues études pour comprendre qu’on allait depuis pas mal d’années droit dans le mur. À peine 15 millions d’euros de chiffre d’affaires lors du dernier exercice en date » répète en soupirant Yolande Fischbach. « Une misère… Le montant de ce loyer aura gravement contribué au déséquilibre des comptes » commente-t-elle avec une pointe de dépit dans la voix. Faute d’information venue directement du siège du groupe, il s’est avéré impossible pour nous d’en savoir plus sur un tel sujet même après avoir réussi à parler brièvement au téléphone avec le directeur de l’immobilier du groupe en charge de cette négociation à l’époque, qu’on a fini par retrouver… au même poste, dans une société concurrente. Sans succès. Le mutisme a été total… Sur ce même sujet, parmi nos questions demeurées sans réponse, il y avait un point particulier concernant l’identité du (ou des) propriétaire(s) des murs du magasin strasbourgeois désormais définitivement fermé. À qui donc le groupe Benarroch et Oussadon a-t-il cédé la propriété de ses murs, après la réouverture du magasin ? C’est l’omerta totale sur ce point-là. Ce qui, évidemment, autorise les rumeurs les plus folles à circuler. Parmi les plus « fiables », il ne faudrait pas chercher très loin des ex-propriétaires pour trouver les nouveaux. Ou encore, cette autre rumeur qui a le vent en poupe depuis quelques semaines et qui concernerait la reprise des lieux : un département de Primark, spécialisé dans l’Habitat et la Maison, serait sur les rangs pour s’installer dans tout ou partie des milliers de m2 délaissés par le Printemps… Joël Steffen, l’adjoint à la maire de Strasbourg en charge du commerce, ne peut que déplorer lui aussi les mystères et le silence qui règnent comme des fantômes autour du gigantesque bâtiment désormais désert. « Avec les services, nous travaillons sans relâche sur ce sujet » nous a-t-il confié. « La situation centrale de cet immeuble désormais vide impose bien sûr de mettre en place des solutions de reprise des locaux. Je ne pense pas que ce soit possible par une seule et même enseigne, c’est trop vaste. Quoi qu’il en soit, nous sommes pour l’heure actuelle sans grande possibilité d’agir. Nous ne parvenons pas, nous non plus, à savoir à qui, exactement, appartiennent les murs. Et nous aussi, nous avons entendu parler d’un loyer qui serait encore dû jusqu’en 2024 par le locataire. Nous ne parvenons donc pas à savoir si le ou les propriétaire(s) se sont déjà rapprochés
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de potentiels candidats à la reprise des locaux. S’ils décidaient d’y installer une ou plusieurs enseignes, la loi prévoit que la maire de Strasbourg serait informée. Sans cela, nous sommes dans l’impuissance… » Impuissance partagée par Laurent Maennel, le manager du commerce du centre-ville qui lui aussi avoue s’être cassé les dents sur l’identité du propriétaire actuel des murs. Ce professionnel reconnu des problématiques commerciales de centre-ville soulève également un problème bien réel : « Avec la disparition du Printemps et si les locaux restent vides trop longtemps, cette situation signerait un piètre avenir pour ce secteur de la place de l’Homme-de-Fer. » Le dernier restaurant « traditionnel » de cette place, l’historique P’tit Max, bien connu depuis des décennies par la clientèle strasbourgeoise, a en effet cessé ses activités voilà quelques mois, cédant ses locaux à son voisin, un boulanger industriel. Commentaire tranchant de l’associé de son désormais ex-propriétaire : « Bientôt, ici, il n’y aura plus ici que des fast-food… »
ET, POUR FINIR, LE MÉPRIS… Il aura été dit, jusqu’au bout, que le groupe Le Printemps ne serait pas à la hauteur de
sa belle et longue histoire avec Strasbourg. À sa propre demande, nous avions posé nos questions par écrit, directement sur le mail de Corinne Berthier, la directrice des relations extérieures et de la communication interne du groupe. Reçues in extremis, 1h30 après notre heure limite de bouclage le mardi 23 novembre dernier (une bonne vieille ficelle de com, usée jusqu’à la semelle, qui empêche le journaliste de revenir à la charge – NDLR) – et après que nous ayons vigoureusement insisté par mails et messages laissés sur son mobile – ses réponses tiennent en à peine deux lignes sur l’écran de notre boîte mail : « Pour faire suite à votre mail, nous tenions à vous repréciser que le Printemps a tenté tout ce qu’il était possible pour maintenir ce magasin ouvert, y compris en réinvestissant dans le bâtiment. Les syndicats ont validé la fermeture, conscients qu’il n’y avait pas d’autre solution. Enfin l’épidémie de Covid a impacté les comptes du magasin de manière irrémédiable. » Et c’est tout ? Oui, c’est tout. Figuraient en pièces jointes trois communiqués de presse (le plus récent datant du 10 novembre 2020 !) dont nous connaissions évidemment la teneur depuis longtemps… Le mépris… Le mépris, jusqu’au bout. S
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S ACT UA L I T É — D O CUMEN TAIRE Véronique Leblanc
Alban Hefti – Keren Productions
Dire le « non su » Françoise Schöller filme Karim, à notre insu « Aujourd’hui, j’ai moins peur », confie Rita Tataï dans le beau désordre de son Atelier de la Colombe rue du Faubourgde-Pierre. « Comme tout parent d’enfant en situation de handicap, j’étais hantée par la question de savoir ce que deviendrait Karim quand je ne serais plus là. Désormais, je sais qu’il peut vivre loin de moi… »
Françoise Schöller (à gauche) et Rita Tataï
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« Elle en parle à ses fils et à certains de leurs amis tout en mûrissant le projet de faire un film non pas sur Karim et l’autisme, mais avec Karim et l’autisme. » e miracle, elle le doit à Karim, à notre insu, film documentaire signé par Françoise Schöller, une autre Strasbourgeoise. Longtemps journaliste « Europe » à France Télévision, un temps présidente du Club de la Presse, Françoise a cofondé la Société 2 Caps Production fin 2014 pour devenir auteure-réalisatrice freelance au printemps 2020. Elle voulait « ne plus seulement raconter une histoire », mais « faire des choses qui aient du sens », « être dans le journalisme d’action ». Elle a rencontré Rita et son fils après avoir lu Moi Karim, je suis photographe, un ouvrage paru aux éditions strasbourgeoises Un bout de chemin, dirigées par Angelita Martins. Un texte de Rita y accompagne un choix de photos prises par Karim au gré de ses promenades dans la ville. S’y raconte leur vie menée ensemble, le verdict « handicapé mental » très tôt tombé, le diagnostic d’autisme posé à l’âge de 23 ans et la décision de sortir Karim des systèmes institutionnels tout simplement parce qu’il n’en pouvait plus. « Je me suis demandé ce que je pouvais faire pour eux, raconte Françoise et, en discutant avec Rita, j’ai compris que Karim avait besoin de rencontrer des jeunes de son âge ».
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Elle en parle à ses fils et à certains de leurs amis tout en mûrissant le projet de faire un film non pas sur Karim et l’autisme, mais avec Karim et l’autisme.
« ACCUEILLIR L’INSU » Et tout à coup, les planètes s’alignent. L’un des jeunes, Arnaud, rencontre Rita et Karim, se lie avec celui-ci, l’emmène dans son atelier de réparation de vélos ou en balades… autant de moments simples qui bâtissent une belle amitié. En juillet 2020, juste avant de partir pour la Normandie où il devait participer avec une bande de potes à la réalisation d’un long métrage de fiction, Arnaud n’a pu se résoudre « à abandonner Karim pendant six semaines alors qu’il commençait à sortir de sa forteresse ». Il l’a donc emmené et Françoise a suivi sans budget ni production, forte d’une seule certitude : « il fallait y aller », capter ce qui se passerait avec Karim embarqué loin de sa mère dans une communauté de jeunes garçons et filles de son âge, ne rien imposer, accepter de lâcher prise et filmer avec délicatesse les interactions qui naîtraient. « Ce qui devra nous guider, a-t-elle écrit dans son dossier d’intentions, c’est cette définition que donne Fernand Deligny de ceux qu’on nomme éducateurs avec les enfants ou les adultes autistes : “être
des créateurs de circonstances, prêts à accueillir l’insu d’où naissent de nouvelles configurations” ». Accueilli à part entière et sans a priori par la bande d’artistes et acteurs indépendants de La Garande entre Saint-Lô et Coutances, Karim trouve sa place non seulement dans la maison commune, mais aussi dans le film politico-poético-humoristique réalisé par Paul Gaillard, comédien diplômé du TNS, comme plusieurs autres membres de l’équipe. Karim y joue le rôle de l’« inspecteur Gilbert » et il a été traité exactement comme tous les autres acteurs. « C’était hors de question que je m’adapte à lui, raconte Paul, j’avais trop de trucs à faire, je me suis pris la tête avec lui comme je le fais avec d’autres personnes. »
LA PUISSANCE DE LA NON-DISCRIMINATION Soutenu par les Régions Grand Est et Normandie ainsi que par l’Eurométropole de Strasbourg, le documentaire de Françoise est très justement titré Karim, à notre insu. Il dit le « non su » et révèle un être humain au contact d’autres êtres humains, stimulé par une intégration sans réserve et un projet partagé. S ACTUAL I TÉ
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Chaque membre de la bande a sa façon à lui d’être au monde, chacun doit s’adapter aux autres et a besoin qu’autrui s’adapte à lui, Karim compris. Point barre. C’est tout cela qui a convaincu le producteur Samuel Moutel (Keren Production) de rejoindre ce qu’il qualifie d’« aventure humaine au parcours étonnant ». Et puis, ajoute-t-il, « le juste milieu trouvé par Françoise m’a convaincu d’y aller. Pour filmer quelqu’un comme Karim, il fallait gagner sa confiance et celle de sa famille, sans oublier qu’il s’agissait de faire un film. Françoise a trouvé la bonne distance et cela n’allait pas de soi, Karim a une telle puissance, un tel potentiel d’émotions. » Dans le film comme dans la vie quotidienne à La Garande, Karim a trouvé sa place d’égal à égal avec ses nouveaux compagnons. Toutes et tous s’expriment dans le film, face caméra. Avec leurs mots, ils disent la vie sans mode d’emploi. Ils ne veulent rien démontrer, mais ils nous prouvent une chose essentielle : la puissance de la non-discrimination.
UN FILM QUI CHANGE LA DONNE… La sortie de Karim, à notre insu est prévue au printemps prochain sur France 3 Grand Est avec plusieurs avant-premières en Normandie et à Strasbourg.
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Il faudra en être, car ce film lumineux fait un bien fou. Karim, lui, retourne régulièrement chez Paul et Hélène à La Garande en Normandie. Avec Thomas, le fils de Françoise, avec Arnaud ou avec un autre de ses nouveaux amis. Il progresse, se réjouit Rita, il intègre progressivement les jours de la semaine, acquiert un vocabulaire plus précis qui lui permet de mieux canaliser ses émotions, tient des conversations téléphoniques de plus en plus structurées, s’intéresse aux autres et pas qu’à lui-même, raconte ce qu’il a fait et surtout ce qu’il va faire, ce qui est essentiel pour quelqu’un qui ne parvenait pas à se projeter dans l’avenir. Signe qui ne trompe pas, avec Thomas, Karim a été témoin au mariage d’Arnaud et Hasna en août dernier, juste après la première projection du film de fiction. « Je rêvais qu’il ait deux ou trois copains, dit sa mère, et voilà qu’il en a une flopée ! » Ses espoirs ont été comblés et Françoise a gagné son pari : réaliser un film juste et qui change la donne… S
Karim (à gauche) et Arnaud, photo tirée du film
, je suis oi Karim de Joseph M ï, ta Ta in, préface et Rita Karim phe avec une bout de chem om a n .c r U g in s hem photo ec, Édition boutdec n Schova euros, www.un 2019, 20 insu, ller à notre Karim, rançoise Schö r .f F n e o d ducti film ren-pro www.ke №43 — Décembre 2021 — Splendeurs
Illustration : ©Studio Lumen
KS promotion UN SAVOIR-FAIRE UNIQUE, DU FONCIER À L’AMÉNAGEMENT Depuis plus de 15 ans, KS promotion intervient dans le montage d’opérations immobilières, leur promotion et leur aménagement. Ces projets se développent notamment dans la région du Grand-Est et plus particulièrement dans le département du Bas-Rhin. De la recherche foncière à la commercialisation des projets, nous avons développé un savoir-faire unique dans quatre secteurs clés pour les investisseurs privés comme institutionnels : les parcs d’activités tertiaires, les bâtiments de bureaux, les ensembles de logements et les immeubles de services (l’hôtellerie, l’immobilier de santé et les résidences senior). kspromotion.fr
S ACT UA L I T É — F RIP ERIES Gaël Chica
Marc Swierkowski
Seconde main La frip’ c’est chic En 2021, la ville de Strasbourg compte 1166 magasins de vêtements. Parmi eux, une dizaine de chantres de la seconde main se dressent contre l’envahissante fast fashion. Et les clients accourent. En 2019, 40% de Français auraient acheté un article déjà utilisé selon l’Institut Français de la Mode. Entre convictions personnelles et industrie inclusive, partez à la découverte de l’univers des friperies strasbourgeoises...
Anne, OK BOOMERS
ans la Cour du Brochet, entre deux repos bien mérités, Guinness vérifie le bon port du masque à l’entrée d’OK BOOMERS pendant que sa maîtresse et patronne Anne s’affaire derrière le comptoir à trier les derniers arrivages. Depuis près de deux ans, la boutique propose des vêtements portés à l’époque par les baby-boomers. Ou pas. Entre les années 1980 et 1990, entre DDP et Levi’s, entre veste de survêtement et joli chemisier, il y en a pour tous les goûts. Plus brocante sédentaire que magasin de vêtement traditionnel, on vient seul ou entre amis passer du bon temps. On fouille, on fouine et on découvre des pièces uniques. Certains s’y sentent si bien qu’il n’est pas rare de voir les clients prendre possession de l’enceinte et partager leur playlist à tout le magasin pendant leurs emplettes. Même si le slogan est déjà pris par une célèbre marque de restauration rapide, Anne n’en démord pas. « Ici, venez comme vous êtes. »
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SE DÉMARQUER À PETIT PRIX Cette friperie solidaire et non binaire a vu le jour grâce à l’envie de deux associés de mêler entrepreneuriat et foi personnelle. Anne l’assure, en ouvrant leur friperie, c’est un bout de leur personnalité qu’elles dévoilent. Dans une démarche écologique et éco responsable, elles veulent faire prendre conscience aux visiteurs qu’il ne sert à rien de se précipiter vers les grandes enseignes de prêt-à-porter, synonyme de fast fashion, pour trouver son bonheur. Il ne faut pas oublier la qualité des modèles
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anciens, bien meilleurs qu’aujourd’hui, et la possibilité de se démarquer à petit prix. Pourtant, rien ne les prédestinait à ouvrir ce genre de boutique... En 2019, Anne et Vic’ acquièrent un local industriel en plein milieu de la Krutenau. Mais quoi faire ? Un café culturel ? Un espace de danse ? La première, venant de Lille, possède la culture de la friperie. Elles tentent ce pari d’un commerce de vêtements de seconde main. Pendant plusieurs semaines, Anne part chiner dans tout ce que la France compte d’Emmaüs entre Strasbourg et Lille. Elle ramène des cartons entiers remplissant son magasin pour le jour de l’ouverture. Guinness, son fidèle destrier, s’accapare la boutique à la fausse allure d’un loft. À l’aube de 2020, OK BOOMERS ouvre ses portes et trouve rapidement son public. Deux confinements et des kilogrammes de fringues vendues plus tard, l’essai est transformé. Désormais, plus besoin de courir partout pour trouver les plus belles pièces. Elles se fournissent dans des usines de recyclage textiles comme beaucoup de friperies. Le principe est simple. Des conteneurs sont entreposés un peu partout en France. Les personnes désirant se débarrasser de leurs vieilles pièces les déposent dans ces grands bacs. Ces dernières arrivent dans un entrepôt. Elles sont triées en fonction de critères précis comme la qualité du tissu ou l’année de fabrication et vendues au poids. Ensuite, ces pièces sont empaquetées dans des gros cartons direction OK BOOMERS. Un dernier tri est opéré par Anne. Et une fois lavées et repassées, elles sont entreposées en magasin. Chaque friperie possède son fournisseur. Vous ne connaîtrez jamais leur nom. C’est un secret bien gardé par chaque boutique. Plusieurs entreprises se partagent le marché en France. En l’occurrence, celle-ci participe à la réinsertion de personnes précaires. Et les vêtements ne transitant pas vers des friperies trouvent toujours preneurs. Les pièces de bonne qualité sont données à des associations caritatives. Et le reste est transformé en chiffons ou, plus étonnant, rentre dans la composition d’isolant thermique pour la construction. À mesure que le temps passe, Anne se №43 — Décembre 2021 — Splendeurs
professionnalise même si elle préfère ne pas le dire. Elle confesse avoir encore à apprendre. Comme lorsqu’elle vend une chemise à 10€ cotée à 100€… Mais alors, comment devient-on une professionnelle du vêtement de seconde main ?
LES MŒURS ONT ÉVOLUÉ… Karine, la patronne de TROC MODE, a la réponse. Il faut beaucoup travailler, toujours se démarquer de la concurrence et rester honnête. Sa boutique pour femme située rue du Jeu-des-Enfants est devenue, en 40 ans d’existence, une institution dans la capitale alsacienne. Ici, on y achète du Gucci, du Zadig et Voltaire, du Saint-Laurent ou du Maje. Tous les jours, Karine assiste à un défilé de mode. Pionnière du genre, elle rejette le terme de friperie. Karine préfère se considérer comme gérante d’un dépôt-vente de luxe. Si les mots changent, le principe reste le même. Aucun article neuf. Seulement de la seconde main. Et pour cette raison, elle était décriée à ses débuts. Personne ne la saluait dans la rue. Elle reconnaît avoir souffert d’être le vilain petit canard. Vendre des vêtements n’était pas à la mode à cette époque. Les mœurs ont évolué. L’entrée dans le nouveau millénaire a été un déclic. L’expérience ? Le début d’une conscience éco responsable ? Ou simplement un besoin de changement dans la garde-robe ? Karine ne peut l’expliquer. Et la piétonnisation de la rue en 2017 a élargi son horizon. Comme ce lundi 16 mars 2020. À quelques heures de l’allocution d’Emmanuel Macron, les clientes se ruent au dépôt-vente de luxe. Bilan ? Une vingtaine de sacs à main vendus. Karine n’en démord pas : « Ici, on vient pour faire plaisir. » Existe-t-il un point commun entre Karine et Anne ? Oui. Leur indifférence à l’égard de Vinted et d’internet en général. Rentrer dans une friperie demeure une expérience. On n’y va pas forcément dans le but d’acheter. On échange. On apprend. On découvre. On touche. On essaye. On se regarde dans le miroir. On se dit pourquoi pas. Et bien souvent, on repart avec un nouveau sac dans la main… S
Karine, TROC MODE
La mode en chiffres 1,2 milliard
c’est le nombre de tonnes de gaz à effet de serre émis chaque année par le secteur du textile. Un impact plus important que les vols internationaux et le trafic maritime réunis.
130 milliards
c’est le nombre de vêtements produits chaque année dans le monde.
56 millions de tonnes
c’est la quantité de vêtements vendus chaque année dans le monde.
65 000
c’est le nombre de nouvelles pièces imaginées et conçues par an chez Zara S ACTUAL I TÉ
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Abdesslam Mirdass
Exclusion Ces gros que nous ne saurions voir… En France, plus d’un adulte sur six est obèse. Pourtant, que ce soit au restaurant, dans les cinémas voire dans les librairies, on retrouve rarement cette proportion parmi les usagers. Les personnes grosses seraient-elles moins avides de culture et de vie sociale que les minces ? Non. Mais l’inadaptation des lieux leur barre l’entrée d’un certain nombre de structures... u café Boma, des banquettes confortables jouxtent les tables circulaires. « J’ai proposé qu’on se rencontre ici parce que je savais qu’on pourrait s’installer facilement, sans demander d’aménagement particulier », glisse Debby Gallien-Badii. Sacrée Miss Ronde Univers 2019, l’énergique jeune femme vient de créer une association, Debby Positive, pour promouvoir « l’acceptation de tous les corps » par ceux qui les habitent. À l’aise dans ses kilos, elle revendique le droit de s’habiller comme elle l’entend : en robe moulante, en jupe en cuir, en collants résille, en veste cintrée, en chemisier échancré… Pourtant, même pour cette
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Pélagie (à gauche) et Debby
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frondeuse glamour, il y a une certaine lassitude à devoir solliciter un traitement de faveur pour passer un moment convivial. En effet, les bars qui ne proposent que des tabourets instables ou des chaises à accoudoirs excluent d’emblée les personnes en surpoids. « Sans compter les regards hautains voire les remarques insultantes des serveurs ou des autres clients », s’attriste-t-elle.
OFFRE LIMITÉE « On prend déjà de la place visuellement, donc c’est parfois compliqué de demander encore aux autres de faire des exceptions. Il y a des moments où on n’a pas envie d’attirer l’attention… » ajoute Debby. À ses côtés, son amie Pélagie Eberhardt acquiesce. De caractère plus réservé, elle trouve d’autant plus difficile de batailler contre cette grossophobie permanente. Son association, Les Coquelicots, accompagne et soutient les personnes en surpoids depuis 2013. Dans ce cadre, elle anime des groupes de parole, ainsi que des rendez-vous d’écoute. « De nombreuses personnes n’osent pas sortir de chez elles. Le Covid a encore aggravé cette retenue », remarque-t-elle. Quand le contexte le permet, Pélagie organise des sorties pour les membres de son association : restaurant, bowling… Être en groupe rassure les participants. « C’est plus facile d’être un troupeau de baleines qu’une baleine seule » lance Debby, un peu provoc’. En amont de ces soirées, elle contacte les gérants des lieux pour s’assurer qu’ils sont accessibles. Mais les possibilités sont limitées. Et c’est ainsi qu’une proportion non négligeable de la population se retrouve interdite d’accès à une partie de l’offre culturelle.
rangées… Mais moi, ce que j’aime, c’est les petites salles, où personne ne va faire de bruit avec du pop-corn ou une boisson, et qui passent des films indépendants. Eh bien, c’est rarement adapté ! » Idem pour les galeries ou les musées, qui ne proposent pas tous des assises pour faire des pauses. « On ressent aussi l’impatience des autres visiteurs quand on ne se déplace pas assez vite et qu’on ralentit TOILETTES leur propre progression » note Hélène. Elle (IN)ACCESSIBLES aussi confesse la fatigue de devoir vérifier, Médiathécaire et militante dans différentes avant de se rendre à un concert ou un fesassociations, Hélène s’insurge : « On n’a tival, si les toilettes seront adaptées. pas à être prescripteurs d’une forme de culture ou d’une autre. » La question de la MIEUX CHEZ SOI représentativité et de l’inclusion est centrale dans son engagement professionnel « Mais le premier tri se fait par les transet associatif, mais elle est aussi concernée ports… C’est très bien de rendre les lieux directement. « Certains cinémas ont fait accessibles en bus ou en tram, mais des efforts et proposent des sièges plus encore faudrait-il que ceux-ci soient pralarges, avec davantage d’espace entre les ticables. Les soupirs, les remarques, les №43 — Décembre 2021 — Splendeurs
Hélène
coups de genoux, c’est usant », décritelle. Les parkings étroits ne sont pas plus faciles. « Moi j’ai tendance à m’asseoir sur les gens, mais tout le monde n’a pas envie d’être dans ce rapport conflictuel aux autres et de nombreux gros font profil bas, ou restent chez eux » complète-t-elle. La même logique est à l’œuvre pour les librairies aux rayons exigus, les cafésthéâtres, les salles de spectacles, les lieux « alternatifs » au mobilier récup, etc., où les personnes en surpoids ne sont pas envisagées comme un public potentiel. « On est parfois mieux chez soi : on commande nos livres sur internet et on regarde des films grâce aux plateformes », reconnaissent les trois femmes. Pourtant, l’obésité, considérée comme une pathologie chronique multifactorielle, concerne 17% de la population adulte, soit quelque dix millions de Français… S S ACTUAL I TÉ
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S ACT UA L I T É — F RAGRA NCES Véronique Leblanc
Alban Hefti
Parfums Serena Galini, au bonheur des fragrances Le nom de la maison de parfums Serena Galini intrigue… « Il nous arrive d’avoir des coups de fil où l’on nous demande de parler à Séréna », s’amuse David Weiss qui gère avec sa sœur Nina la boutique installée rue de la Krutenau. Mais nulle dame énigmatique ne se cache derrière ces deux mots qui signifient « sérénité » en grec et en latin… eux mots pour une ambiance qui correspond bien au lieu, entre cabinet de curiosité et boudoir, sur le fil d’un suranné teinté de modernité. On oublie tout en y entrant et l’on s’immerge instantanément dans un univers d’odeurs délicates. « Je suis le couteau suisse de la maison », s’amuse Nina qui accueille clientes et clients avec une attention tout en finesse. Choisir un parfum, le composer à partir des essences présentées dans le bar à fragrances n’a rien d’anodin. Il faut prendre le temps de l’échange, découvrir « qui on est vraiment sans céder aux codes éphémères de la mode », « sentir et ne pas mentaliser ». Des ateliers olfactifs sont d’ailleurs organisés pour que chacun puisse créer son propre parfum, que ce soit pour lui-même ou pour son intérieur. Une odeur à nulle autre pareille. David, lui, œuvre au laboratoire et conçoit bougies et parfums d’ambiance accompagnés de courts récits.
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S ACT UA LI T É
À chaque fois se raconte un quartier de Strasbourg : la Krutenau, les Contades, la Petite France, la Cathédrale, l’Orangerie… jusqu’au quartier gare évoqué par des notes piquantes de poivre et de bergamote adoucies par un bouquet de feuilles de menthe, de basilic et de tomates. Souvenirs du marché des maraîchers qui autrefois y plantaient leurs étals. Chacune de ces odeurs est le fruit de recherches aux archives municipales, à l’affut de secrets et de légendes, du mythe du diable prisonnier de NotreDame aux sulfureuses maisons closes du Quai des Pêcheurs… Toutes les bougies sont faites de cire de tournesol, de mèches en bois recyclés et de fragrances naturelles. « Notre démarche est aussi éthique », précise David. « Rien de ce que nous utilisons n’a été testé sur les animaux, nous veillons à avoir le moins d’impact possible sur l’environnement et nous réutilisons verres et flacons. » №43 — Décembre 2021 — Splendeurs
Nina et David Weiss en leur royaume
« Nous avons grandi dans le respect de la nature », racontent Nina et David en évoquant leur mère Isabelle Prin Du Lys férue d’aromathérapie, de phytothérapie et de tarots. Une mère « pétillante », « un peu sauvage », « une cavalière qui adore l’odeur du cuir ».
ILS SIGNENT L’ODEUR DES BAINS MUNICIPAUX Isabelle se définit comme une « éditrice de parfums, artisane et partisane du beau ». Elle a ainsi collaboré avec le maître parfumeur Thierry Bernard pour la création d’Auditorium – Spirit of Europe, une eau de parfum mixte composée d’absolues de plantes endémiques en Europe – et avec Antoine Lie pour Égide et Eau d’atrium de la collection Élixir de protection inspirée d’une histoire d’amour du xviie siècle bercée d’effluves de benjoin, de cardamome, de rose et de géranium. №43 — Décembre 2021 — Splendeurs
« Nous avons grandi dans le respect de la nature »
Désormais installée à Lusse, dans les Vosges, Isabelle va y ouvrir une nouvelle Maison Serena Galini en cette fin d’année. Des compositions nouvelles y naîtront, fruits des contes de la nature. À Strasbourg, ses enfants ont créé l’ambiance olfactive des Bains municipaux en collaboration avec l’équipe de la Ville qui a fait le choix final entre dix propositions. « Mousse de chêne, ambre,
cèdre… » embaumeront les lieux et des bougies seront mises en vente afin d’en retrouver chez soi le souvenir olfactif. La création foisonne dans cette boutique intime et douce. Maxime Labat, bijoutier, y a son atelier. Ses créations uniques d’argent, de pierres, de coquillages, de verre dépoli ou de pierre de lave trouvent tout naturellement leur place dans cette belle ambiance ponctuée des tableaux du peintre Stéphane Joannes soutenu dès ses débuts par Isabelle. Une certaine idée du raffinement, une ode à la sérénité sensuelle et joyeuse… S
ni na Gali m Sere fu r a p de Maison la Krutenau de 27 rue ena-galini.com r e Labat www.se Maxim e d y lr e eZ Jew yez4ey Bijoux E z4eyez.f r e www.ey S ACTUAL I TÉ
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ICube L’IA, autrement Laboratoire de recherche éclaté entre Illkirch-Graffenstaden et le centre de Strasbourg, ICube a su se construire une réputation internationale. Sa spécialité ? L’intelligence artificielle (IA). Terme dont la transparence flirte avec le brouillard. Michel de Mathelin, professeur et vice-président de l’Université de Strasbourg, présente ce complexe scientifique, unique en France, qu’il a participé à fonder en 2013… 98
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S ACT UA L I TÉ – IN TEL L IGENCE ART I FICI ELLE Marine Dumény
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est “i cubeuh”, pas “aïe qiub” », s’amusent les chercheurs du laboratoire. I pour informatique, ingénierie, imagerie. Si le nom du laboratoire n’évoque rien pour la plupart des Strasbourgeois, il est à associer à une de ses équipes : l’IRCAD, au cœur de l’Hôpital civil, avec son bloc opératoire alimenté à l’innovation et l’intelligence artificielle. Celle-ci profite du savoir des plus de 650 chercheurs d’ICube et en est l’étendard. Michel de Mathelin, missionné en 2013 pour rassembler six équipes de recherche, a « fondé et rêvé avec eux ce fonctionnement qui bousculait le conservatisme universitaire ». « Ici nous travaillons tous ensemble, il n’y a pas de compétition entre les chercheurs ».
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« L’ADN D’ICUBE, C’EST SA TRANSVERSALITÉ ET SA PROXIMITÉ DU MONDE INDUSTRIEL » Le concept est courant dans les pays anglosaxons, beaucoup moins en France, où le complexe strasbourgeois est unique. « Nous fonctionnons avec des axes transversaux, c’est-à-dire que toutes les équipes et tous les chercheurs disposent des recherches de leurs confrères et consœurs en direct. Cela permet une plus grande efficacité » détaille le directeur du laboratoire. Ainsi, l’imagerie satellite peut entraîner ou vérifier ses données à l’aide de l’imagerie médicale. C’est grâce à ces pratiques qu’émerge, il y a deux ans, un axe IA. « Amené par le plan IA national, nous avons eu des financements et comptons désormais plus de 150 personnes sur cet axe de travail transverse de l’IA, avec en prime des bourses et formations doctorales qui ont permis de recruter de jeunes chercheurs ». Le développement du complexe ne s’arrête pas là, puisque dans une volonté d’application de la recherche, une chaire industrielle est créée. « Elle est financée par six entreprises alsaciennes, à travers une fondation (Crédit Mutuel, SOCOMEC, Électricité de Strasbourg, Heppner, RSI) ». La chaire permet la naissance ou l’application de projets de recherche utiles aux entreprises et variés, et participe au dynamisme économique de la région. №43 — Décembre 2021 — Splendeurs
« ICube, c’est la connexion du monde numérique et du monde physique. » Affirmation aisément rattachable aux domaines de l’IA dans leur ensemble.
« TOUT EST IA » De votre pot de yaourt communicant sa date de péremption, à la télédétection en passant par la médecine, aujourd’hui l’IA est partout. Pourquoi ? En premier lieu, le terme employé est marketing. Vendeur, il séduit entreprises et jurys académiques. Il s’agit surtout d’une réduction. Machine learning et deep learning, utilisés à ICube, en font partie. Derrière ces mots, du traitement de données et un système de réseau de neurones, fonctionnant par entraînement. Pour Cédric Wemmert, professeur et chercheur, l’omniprésence de l’IA s’explique par les capacités informatiques disponibles depuis la fin des années 90. « Avec les nouvelles cartes graphiques, les centres de calculs, et les ordinateurs actuels, on peut désormais appliquer des algorithmes inapplicables auparavant. Ces outils s’adaptent à n’importe quel domaine où il y a des données à exploiter ». Dans ce laboratoire, déjà unique en France, se détachent certaines équipes. Le SERTIT permet à la sécurité civile et aux ONG de commander, via deux institutions européennes et internationales, en cas de catastrophe naturelle ou de volonté de suivi de la déforestation, des cartographies rapides. La chaire industrielle travaille en partenariat avec les entreprises alsaciennes et comporte une pépinière. Deux chercheurs présenteront ces équipes.
UNE CHAIRE INDUSTRIELLE POUR STRASBOURG Portée par Thomas Lampert, enseignant chercheur, la chaire industrielle Science des données et intelligence artificielle d’ICube est une des premières en France. Former les data-scientists de demain, et faire le lien entre entreprises et recherche. Deux buts que Thomas Lampert s’applique à atteindre depuis sa nomination, en janvier 2020, à la chaire industrielle du laboratoire. Cet enseignant-chercheur est
(De haut en bas) Michel de Mathelin, Cédric Wemmert, Thomas Lampert et Michal Parusinski
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arrivé d’Angleterre en 2011 pour poursuivre en postdoctorat à Strasbourg. Spécialisé pendant sa thèse en intelligence artificielle, il a travaillé avec des start-up. Cette situation entre les deux mondes offrait le profil parfait pour le poste. Financée dès sa création par des entreprises, la région et l’ANR, la chaire compte comme mécènes le Crédit Mutuel Alliance Fédérale – Euro-Information, Heppner, Hager Group, le groupe ÉS, Socomec et 2CRSI. Ce réseau est doublé par la plateforme GAIA. Elle mutualise les compétences des ingénieurs de recherche autour de thématiques relatives à la donnée numérique, et permet d’offrir aux entreprises des prestations de service. Une demi-douzaine bénéficient déjà de ces expertises. Le réseau régional ainsi tissé rend cette chaire unique en France.
VISION SUR LE LONG TERME En outre, Télécom Physique Strasbourg (TPS) et ICube partagent à parts égales la paternité de la chaire. Sous l’impulsion de Thomas Lampert, l’école forme, en s’appuyant sur le réseau d’entreprises, les futurs spécialistes en données. Les élèves ingénieurs de TPS doivent ainsi rendre un projet de fin d’études en rapport avec un besoin d’entreprise. La première promotion est sortie cette année. La chaire industrielle Science des données et intelligence artificielle est un projet développé sur cinq ans. Force est de constater que son lancement en 2020 n’a pas été freiné par la crise sanitaire. C’est un parfait exemple de ce qu’est capable le paysage économique et scientifique strasbourgeois.
ICUBE, C’EST AUSSI LA VEILLE CARTOGRAPHIQUE FACE AUX CATASTROPHES Abrité dans un bâtiment adjacent au laboratoire ICube, le SERTIT en est un organe discret. Ce service de cartographie rapide assure pourtant une veille décisive pour les instances européennes et internationales face aux catastrophes naturelles ou d’origine humaine. Inondations rhénanes, feux australiens ou méditerranéens, déforestations du globe… le SERTIT est de toutes les urgences. Outil indispensable au déploiement des
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secours dans de bonnes conditions lors de catastrophes naturelles, la cartographie rapide assurée dans cette unité d’ICube s’y perfectionne inlassablement grâce à la recherche. Copernicus Emergency Management Service (EMS), pour la Commission européenne et la Charte internationale Espace et Catastrophe majeure, à l’échelle mondiale, utilisent le Service régional de traitement d’image et de télédétection (SERTIT). Une veille permanente, assurée par deux personnels de la plateforme permet un traitement rapide des demandes envoyées par le consortium européen et par la Charte internationale. Le fonctionnement est tourné vers l’efficacité. En cas de crise, une fois les images satellites ou radars disponibles et téléchargés, le SERTIT produit et analyse en six à neuf heures les données, pour permettre la disponibilité d’une cartographie en moins de 24 heures auprès du sollicitant d’un des deux dispositifs majeurs. La plateforme strasbourgeoise ouvre également ses services aux assureurs et entités publiques locales.
RENDRE LA RECHERCHE OPÉRATIONNELLE Lorsque l’on pose la question à Michal Parusinski, ingénieur de recherche au sein du SERTIT, de la plus-value de la plateforme dans ces dispositifs de cartographie, il n’hésite pas : « nous sommes beaucoup plus opérationnels que nos collègues européens. Nous regardons comment mettre en pratique et de manière fiable, comment appliquer la recherche. Et grâce aux axes transversaux d’ICube nous avons les moyens de pousser cette recherche en s’appuyant sur celle d’autres équipes du laboratoire. L’accès aux experts est direct ». Formé à l’Imperial College (Londres) en informatique et mathématiques, Michal Parusinski a été recruté pour son appréhension de l’Intelligence artificielle (IA). Une partie de son travail, notamment pour les veilles, consiste à appliquer des outils d’IA déjà développés. Comme pour les catastrophes incluant des inondations ou des incendies : « ici nous l’utilisons dans un cadre d’automatisation. Nous avons une chaîne où on lui donne l’image, le programme télécharge et extrait des données. » L’autre est de recherche. Il perfectionne, pour plus d’efficacité, à l’aide du deep learning, la méthode de cartographie rapide : « j’essaie de trouver une recette
de création de modèles IA à appliquer. Si ces chaînes fonctionnent, on aura des outils d’entraînement de modèle. Il faudra ensuite savoir comment les utiliser le plus efficacement possible en urgence. C’est en développement. Je réplique des résultats de recherche, des données et jeux de données académiques. Ce n’est pas exactement la même chose, mais pouvoir reproduire cela et développer dessus c’est une première étape. Grâce à ça, je vois quelle performance je peux obtenir. Maintenant, il me faut pouvoir généraliser. Il y a une partie programmation d’algorithme et de code pour traiter des données, les changer de format ou les adapter. Le code construit le réseau neuronal. Puis l’entraîne de manière itérative. Il y a aussi la phase d’amélioration des performances. Et une partie visuelle ». Pour augmenter les données et permettre d’entraîner l’IA à d’autres situations, les toits de Rio de Janeiro peuvent ainsi être transformés en ceux de Shanghaï. À terme, ces recherches permettront de cartographier plus rapidement et finement. Avec le SERTIT, ICube s’inscrit non seulement dans le quotidien, puisque la veille de la plateforme est du 24/7, mais aussi dans le concret. D’autant plus au vu de la direction que prennent les besoins en matière de cartographie rapide, du fait du dérèglement climatique. S
La cartographie de la catastrophe de l’arrière-pays niçois en octobre 2020 №43 — Décembre 2021 — Splendeurs
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S ACT UA L I T É – INCUBATEUR Barbara Romero
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SINGAmi, un labo d’idées transfrontalier plein de sens Entre Strasbourg et Karlsruhe Juliette détaille les étapes de la création d’entreprise avec les futurs entrepreneurs
Et si la coopération franco-allemande s’étoffait grâce aux idées ingénieuses des migrants ? C’est le pari du programme SINGAmi sur l’axe Strasbourg-Karlsruhe, fondé en 2020 par l’ONG Singa Stuttgart et la Maison de l’emploi Strasbourg, en accompagnant les migrants et les locaux dans leur projet entrepreneurial transfrontalier.
abos d’idées, workshops, méthodes pour développer un projet, obtenir un financement ou décrypter la réglementation française et allemande… SINGAmi, c’est le nouvel incubateur visant à booster et concrétiser les idées transfrontalières des nouveaux arrivants sur l’axe Strasbourg-Karlsruhe. « Avec nos partenaires, nous soutenons des projets d’entrepreneuriat entre locaux et nouveaux arrivés afin de façonner ensemble la société transfrontalière de demain », précise l’incubateur. Avec des méthodes entrepreneuriales d’aujourd’hui. Démarré en avril 2020, le programme monte crescendo. Dans un premier temps, pandémie oblige, les organisateurs ont recruté une trentaine de candidats pour des boot camps digitaux durant deux week-ends. « Cela leur a permis de découvrir l’entrepreneuriat et comment développer un projet à travers des workshops autour de l’interculturalité ou des méthodes pour développer des idées, précise Juliette, manager de projet basée à Stuttgart. Tout n’a pas forcément abouti, mais deux projets ont eu le mérite de ressortir. » À l’instar de celui de Zafar Khalili qui a créé le Petit Mandawi, un site de vente et livraison à Strasbourg de denrées alimentaires importées directement d’Afghanistan. Si la crise afghane a mis à mal son projet financé par
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l’ADIE après sa participation à SINGAmi, Zafar travaille sur de nouveaux axes de développement. De même, le Colombien Daniel et son collègue allemand Micha sont en train de monter Kaffe Parce pour importer du café de manière durable et éthique.
INSTALLATION AU KALEÏDOSCOOP EN 2022 2021 et la sortie progressive de la crise sanitaire a permis à SINGAmi de mixer rencontres virtuelles et réelles, une fois par mois, avec son programme « Entreprenariat 360 » accompagnant des projets déjà plus aboutis. On peut par exemple citer Stamtish, une association strasbourgeoise pour l’insertion professionnelle des réfugiés dans le secteur de la restauration. Ou encore Rund um Kultur, un projet de théâtre documentaire et biographique pour retracer l’évolution du quartier Port du Rhin à Strasbourg, porté par Jennifer, Allemande vivant en France. Juliette s’est aussi lancée avec deux participants allemand et vénézuélien pour monter l’association Cultural 4KAST développant des événements interculturels et culturels pour créer du lien entre nouveaux arrivants et locaux à Karlsruhe et Strasbourg.
Pour 2022, SINGAmi nourrit de nouveaux projets. Déjà en s’installant au KaleïdosCOOP, futur tiers-lieu transfrontalier de coopération dédié à l’emploi, l’innovation sociale et l’entrepreneuriat collectif. Ensuite en cherchant de nouveaux partenaires, institutionnels et privés, experts, « intéressés par le thème de l’intégration par la migration », souligne Juliette. Avec la volonté de se recentrer sur des personnes et non plus des associations comme en 2021. « On constate que les migrants qui ne sont pas Français ou Allemands ne se pensent pas concernés par les programmes transfrontaliers, nous avons donc du mal à trouver du public, regrette Juliette. C’est pourquoi nous avons développé un programme Strasbourg-Karlsruhe, et un programme Bonus pour tous, avec un laboratoire d’idées pour accompagner les personnes autour des thèmes de l’intégration et de la participation à la vie citoyenne. » En plus d’être dirigés par des experts, ces programmes sont entièrement gratuits pour les participants pour ouvrir les possibles au plus grand nombre. En résumé, une belle initiative pour l’avenir franco-allemand… S gami nd.de b.de/sin sinessla inga-deutschla u b a g in s .s @ w e w h w ru t : karls Contac №43 — Décembre 2021 — Splendeurs
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Un amour de jeunesse oublié… « Elle est réapparue il y a deux ans, presque par hasard… La photographie et un amour de jeunesse oublié… » : c’est ainsi que parle Denis Leonhardt, plus connu par ses activités de musicien (clarinette, saxophone et chant) et de compositeur au sein du groupe Wheepers Circus avec lequel il a enregistré pas moins de treize albums et assuré plus de mille représentations. « La photo et moi, on a profité du confinement pour se ré-apprivoiser » ajoute-t-il. « J’aime le surréalisme des reflets, la puissance de la géométrie, et le mystère de la lune… » Série sans titre de Denis Leonhardt Merci à l’ami photographe Simon Woolf d’avoir guidé notre regard vers Denis. Contact : denis.leonhardt@free.fr
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Tout commence par un murmure
a CULTU RE — HOM M AGE Isabelle Baladine Howald
Nicolas Rosès
JEAN-LUC NANCY 1940-2021 Garder à sa fenêtre son beau vieux visage, son sourire, sa pensée du monde, inoubliables…
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S ACT UALI TÉ – LE PART I -PRI S DE T H I ERRY JOBAR D Thierry Jobard
Caroline Hernandez – Janko Ferlič / Unsplash
e v i t i Pos e d u t i t at est bien simple, leur emploi du temps, je le connais par cœur. Ou par oreille, si l’on veut bien me pardonner ce jeu de mot facile. En effet je n’ai pas besoin de voir pour savoir à quel moment ils sortent de chez eux, à quel moment ils rentrent chez eux. Invariablement, imperturbablement, irrémédiablement j’entends ces deux petits morveux gémir, pleurer, hurler dès qu’ils mettent leur trogne enchifrenée hors du logis. Je ne sais pas pourquoi, je ne sais pas comment que ça se fait, mais à chaque fois – je dis bien à chaque fois – qu’ils sont dehors, ils gueulent. D’où mes interrogations angoissées. Moi qui suis un être sensible et plein d’amour pour mon prochain, je me suis senti tenu d’investiguer. De ma fenêtre j’ai donc observé, encore et encore, quitte à me sentir, peu fier, dans la posture d’une mégère de banlieue. Quel ne fut pas mon étonnement de constater que, bien que les hurlements des lardons fussent inévitables, la quiétude de leurs parents demeurait inébranlable. Finis Poloniae ! Aux cœurs purs qui s’inquiéteraient de ces pleurs d’enfants, je m’empresse de préciser qu’ils ne s’agit pas de vrais pleurs. Ni vrais chagrins, ni peurs sérieuses dans tout cela, mais de ces agaçants geignements que les parents savent reconnaître, de ces plaintes feintes et forcées, chevrotements, jérémiades et lamentations en tous genres. Je n’ai pas une si grande expérience en matière d’éducation (d’ailleurs je devrais parler de parentalité puisque c’est le terme qui convient). Je me suis contenté de contribuer (mais avec conviction) à franchir le seuil de renouvellement des générations. Rien de plus, rien de moins non plus. Mais quand j’entends jouer lesdits loustics avec une sonnette de vélo (une belle grosse sonnette), dix fois, vingt fois, cinquante fois ; quand j’entends taper dans la porte du portail (une belle grosse porte en métal résonnant) un nombre de fois comparable sans que le brave papa présent ne bronche ni ne manifeste le moindre signe
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Mes voisins sont des gens formidables. Moi, je les adore. Ils sont gentils, souriants, propres sur eux et votent sans doute écolo. Jamais un mot plus haut que l’autre, ils sont pleins de douceur et de bienveillance. Ils ont deux enfants, un garçon et une fille. Et ils font chier toute la rue… d’énervement, je me dis qu’il y a des coups de pompe dans le derche qui se perdent. Dans le derche du père évidemment. En lui suggérant par la présente d’exercer un minimum son autorité sur sa progéniture afin que celle-ci veuille bien consentir à cesser de nous emmieller. Avec cette question, taraudante : comment fait-il pour garder son calme (bordel) ?
LE PLEIN DÉVELOPPEMENT DE L’ENFANT, C’EST UN BEL IDÉAL, MAIS ÇA VA NOUS FAIRE UN SACRÉ BOULOT Dans ces moments, je sens poindre au fond de moi, derrière le prompt agacement, une angoisse réelle. Car si ce papa-là parvient à ce degré de détachement, c’est qu’il est rompu aux toutes dernières techniques éducatives qui me renvoient, moi, dans l’Ancien Monde. Ces techniques ce sont celles de la pédagogie positive. On serait bien en peine d’y échapper, pour peu qu’on soit parent, elles sont partout. Dans les livres, dans les magazines, dans les conférences, dans les formations, dans les vidéos du net, sur tous les sites dédiés. Jusque dans les textes officiels de l’Éducation Nationale dont les directives intègrent les termes d’« évaluation positive » et de « bienveillance ». Ça devient grave. Quant à savoir ce que cela recouvre exactement, le Conseil de
l’Europe nous en informe doctement : la « “parentalité positive” se réfère à un comportement parental fondé sur l’intérêt supérieur de l’enfant, qui vise à l’élever et à le responsabiliser, qui est non violent et lui fournit reconnaissance et assistance, en établissant un ensemble de repères favorisant son plein développement ». C’est beau, mais c’est haut. Le plein développement de l’enfant, c’est un bel idéal, mais ça va nous faire un sacré boulot. Développement physique, développement moral, développement intellectuel, développement spirituel, développement créatif, développement social….j’en oublie sans doute. Tout ça pour deux parents. Enfin, surtout un. Surtout une. Plus précisément, comment faut-il faire pour s’approcher de l’idéal que postule le Conseil de l’Europe ? Car ce qu’attendent les parents, plus que des envolées certes admirables, mais bien trop générales, ce sont des méthodes, des conseils, des trucs et des astuces. Du concret tudieu, du concret ! Pour ce, ne mégotons pas. Le site petitecrapule.fr(1), m’informe des huit principes de l’éducation positive : « être bienveillant envers soi-même », « reconnaître les émotions de l’enfant » (il faut être dans l’empathie et savoir mettre des mots sur les émotions), « s’informer des progrès des neurosciences pour pratiquer une éducation positive », « changer ses formulations pour pratiquer une éducation positive et bienveillante » (donc « abandonner les tournures négatives » et « bannir le tu accusateur et culpabilisant »),
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« À force de défaire les collectifs dans nos sociétés, les individus apparaissent désormais comme des atomes s’agitant dans le vide. »
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« respecter le rythme des enfants », « responsabilisation et confiance au fondement de l’éducation positive », « établir des règles (pour éduquer avec bienveillance) (sic), enfin “encourager et motiver (autrement que par la récompense) au cœur d’une éducation bienveillante”.
LA BIENVEILLANCE, IL FAUT EN METTRE PLUSIEURS COUCHES, POUR QUE ÇA IMPRÈGNE BIEN… Au cas où vous ne l’auriez pas saisi, la bienveillance c’est important, il faut en mettre plusieurs couches pour que ça imprègne bien. Une éducation positive, débordant de bienveillance, qui ne signerait des deux mains ? Ça a quand même plus de gueule qu’une éducation négative pleine de malveillance… Et puis, entre l’éducation à l’ancienne, violente, répressive, sclérosante, et le fameux laxisme qui lui répondît, la pédagogie positive a su trouver une place qui semble juste, toute faite de mesure et de bons sentiments. Il est bien entendu que jusqu’à maintenant les parents ne savaient pas éduquer leurs enfants. Il était temps de les remettre dans le droit chemin. Que retenir de ces nobles principes ? Que les vendeurs de vitamines vont faire fortune. Parce que pour tenir un tel programme il va en falloir à ces braves parents. On aura
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reconnu en filigrane les formulations habituelles du développement personnel et de la pensée positive, ce véritable flux alvin du xxie siècle(2). Pédagogie positive, éducation positive, psychologie positive, la filiation est là. Pour mémoire, je rappellerai que le trait de génie de ce courant de la psychologie né au tout début du siècle consiste non plus à s’occuper de ceux qui vont mal, mais à faire en sorte que ceux qui vont bien aillent mieux.
FAUT-IL DONC QU’ILS SOIENT PERDUS TOUS CES PARENTS POUR S’EMPÊTRER DANS UNE TELLE MÉLASSE. On retrouve donc logiquement les mêmes caractéristiques dans l’éducation positive. Tout d’abord le public auquel elles s’adressent toutes deux. Il n’est pas masculin, il n’est pas rural, il n’est pas dans la dèche. Dame il faut bien les aligner les 150 à 250€ pour une formation. Et puis il faut du temps pour mettre des mots sur les émotions et être bienveillant envers soimême (c’est-à-dire s’accorder beaucoup d’importance et bien s’ausculter le nombril), de même que pour se tenir informé des progrès des neurosciences. Et avoir un minimum de diplômes pour bien les comprendre. Des gens qui vont bien donc, mais qui veulent aller encore mieux, toujours mieux pour toujours mieux faire. Ce qui, reconnaissons-le, est épuisant. Qu’à cela ne tienne puisque, ensuite, cette positivité-là repose sur l’idée selon laquelle nous posséderions tous un gentil petit moi, entravé par des pensées incapacitantes, qu’il s’agit de libérer pour qu’il laisse irradier une énergie sans fin. Il m’a déjà été donné de traiter de cela ailleurs, je n’y reviens donc pas. Je me permets simplement de résumer d’un mot la considération que j’éprouve pour cette conception de l’individu : foutaise. Quant à la manie de revendiquer les apports des neurosciences afin de confirmer des directives incontestables (ah ben si c’est scientifique, c’est forcément que
c’est vrai hein !), manie dont la psychologie positive elle-même fait montre à longueur de temps, elle en devient suspecte. En fait, à force de simplifications, d’approximations lexicales et de glissements sémantiques, on finit par leur faire dire ce qu’on veut aux neurosciences. Y compris que le cerveau reptilien existe, cette vieille fable pourtant démontée dès la fin des années 60. Faut-il donc qu’ils soient perdus tous ces parents pour s’empêtrer dans une telle mélasse. Perdus car seuls. À force de défaire les collectifs dans nos sociétés, les individus apparaissent désormais comme des atomes s’agitant dans le vide. Quid des solidarités de naguère ? Car un enfant ce n’est pas seulement le trésor sublime de ses parents ; c’est aussi un futur citoyen. C’est très bien de laisser ses émotions s’exprimer. Encore faut-il savoir comment et avec qui. La pédagogie positive, à la maison comme à l’école, n’est-elle pas la pure mise en conformité qui guette chacun d’entre nous ? Ces petits qui doivent acquérir des compétences, qui vont être entraînés, motivés, coachés, challengés (les hauts le cœur me prennent à écrire ces mots-là), que ne fait-on sinon les préparer à la grande mise en concurrence qui les attend ? Seulement certains seront mieux préparés que d’autres. Seront-ils alors si bienveillants ? Ou bien ne joueront-ils pas à la perfection la partition de l’hypocrisie calculatrice, ne visant qu’à la satisfaction de leurs envies en instrumentalisant les autres ? Habitués qu’ils ont été, comme les deux chérubins susmentionnés, à ne jamais différer leur désir. On ne sait. Ce que je sais en revanche c’est que, quelle que soit la quantité d’apophtegmes lénifiants qu’on ânonnera, quel que soit le pouvoir qu’on attribue à la pensée magique d’un monde transformable selon une doucereuse volonté, ce monde n’est pas, mais vraiment pas, bienveillant. a
(1) https://petitecrapule.fr/education-positive8-principes-clefs (2) C’est-à-dire cette chiasse de notre époque №43 — Décembre 2021 — Splendeurs
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Moi Jaja... x e s o n , a k d o V ! s e u q r a g i et ol Adieu décadence, adieu la France ! Un mois peinard avec Tato, loin des anti-vax, des pro, des anti-tout. #MentalRelief. Un mois sans Pouxit, aussi. Deux ans que je voulais voir le pays d’origine de Mama, même si, depuis le Covid, Mama a fait le choix de ne pas choisir et de rester à Munich. Tato, lui, n’avait pas envie de se battre contre des moulins à vent. Il avait tendu des perches, proposé des solutions mais aucune ne semblait convenir. Bayern über alles – sans connotation historique. Quoique...
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es femmes slaves, j’en ai beaucoup parlé avec Tonton Stephen. Longtemps, il les a collectionnées dans un monde parallèle, virtuel. « Celles-ci, tu sais Jaja, elles sont complexes », m’avait-il expliqué. Sans dec’… Mais bon, j’avais envie de creuser le vide abyssal de son analyse, de mener ma propre enquête. Et, d’une certaine manière, d’en apprendre un peu plus sur mes origines maternelles. D’adoption du moins. Sans Mama…
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DU FÉMINISME SELON DODO Alors on a pris l’avion avec Tato. Depuis Baden. Direction Kiev, pour séjourner chez un autre Tonton, qui vit dans un vieil immeuble de feu la nomenklatura soviétique. Tonton Olivier, il n’a pas de femme. Juste deux chats : Voyou et un truc en « a ». Douchka, Dora, Dacia, Grieshka, Lada : je ne me souviens jamais. Les Ukrainiennes, m’a-t-il à son tour expliqué, le lassent. Impossible, selon lui, d’en trouver une de bien. Mentalement, entend-t-il. Parce que la légende urbaine n’en est pas une de ce qu’on a pu vérifier avec Tato, tous deux transformés pour l’occasion en Roger Rabbit. Belles, très belles pour la plupart №43 — Décembre 2021 — Splendeurs
d’entre-elles, elle cultivent une féminité qui n’existe quasiment plus à l’Ouest de l’ancien Rideau de fer depuis la fin des années soixante. « Plaisir des yeux – je suis un pingouin, certes, mais un pingouin mâle –, plaisir d’offrir » pourrait être leur devise. Parce qu’ici, au pays des Femen, le féminisme garde un peu des accents de Dodo la Saumure. La femelle humaine sourit, le mâle humain paie en toute circonstance. C’est son rôle. Et que celui-ci n’attende pas un merci en retour tant la chose est intégrée et que chercher à faire évoluer la règle serait au mieux pris pour de la goujaterie. La femelle, si le mâle sait se montrer généreux, lui fera également part de ses aspirations féministes : voyager – à Dubaï, Istanbul, re-Dubaï, Majorque, Dubaï encore – vivre dans une humble demeure sortie des pages de Elle Déco, et conduire une jolie voiture à plus de cinquante mille euros. Je comprends mieux pourquoi Mama n’aimait pas ses congénères, elle qui était aux antipodes d’un tel romantisme. Un soir, un ami ukrainien nous a expliqué qu’un de ses proches vécut un temps avec une femme ravissante, aimante jusqu’au bout des ongles. Lorsqu’elle apprit que son merveilleux époux avait fait faillite, sa première réaction fut de faire ses valises. №43 — Décembre 2021 — Splendeurs
Sa deuxième : de les boucler et de partir avec avis de paiement. Ici, Barbie sait être cruelle avec Ken…
« Au pays des Femen, le BAKER POUR OUBLIER PARKER féminisme Plus chanceux, Tato a rencontré par hasard une séduisante américaine, à Kiev. garde un peu Avec ce pathétisme qui le caractérise, il ne l’a guère épousée pas plus, à mon plus des accents grand regret, qu’il ne lui a retourné les plumes. Ancienne actrice et doctorante de Dodo la passée par la classe strasbourgeoise de Jean-Luc Nancy, celle-ci l’avait deux soirs Saumure. » durant envoûté dans un petit bar populaire de Maïdan, sur fond de vin géorgien, de mots de Charles Bukowski et de Dorothy Parker, avant de reprendre les airs pour NYC. À peu de choses près, mon cliché de l’érotisme local s’arrêta là un mois durant. Point positif, néanmoins, Tonton Olivier nous a emmenés très rapidement au H Club, afin de me changer les idées. Le H : un lieu interdit aux « sans dents » où se côtoient Grand restaurant, hôtels de luxe, spa, golf, stands de tir et centre équestre, qui n’eut pour moi d’égal que le Charles Baker, un bar caché créé par Roman, un passionné d’épices et de cocktails, auquel on accède par un petit couloir S ACTUAL I TÉ
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souterrain au carrelage blanc. Au bout de celui-ci, un peu comme chez l’un de mes deux chefs éditoriaux, un petit Aedaen niché derrière une fausse bibliothèque. Tout ou presque, après deux verres, pour me faire oublier le misérabilisme sexuel de Tato. Quelques jours après, Alexander, un journaliste russe qui a fait de l’Ukraine son pays de cœur, vint nous chercher de nuit à la gare de Krivoy Rog, une imposante station minière, à défaut de balnéaire, située dans l’Est du Pays. Adieux forêts, plages et criques fluviales de Kiev. Adieu poésie, évanouie entre cieux transatlantiques, Jigger, Beaker & Flask.
« Fait surprenant, ici, Strasbourg est loin d’être une inconnue. »
MAROTTES GÉNÉRATIONNELLES De l’hôtel, où nous avons séjourné deux nuits, je ne me souviens guère que du Karaoké : LE repère des Ukrainiennes, toutes plus désirables les unes que les autres. Souci pour Tato et moi, la moindre chanson était écrite en cyrillique. La moindre parole était prononcée en russe. Une particularité historique de ce pays où connaître la langue de Pouchkine s’avère dans de nombreux cas bien plus utile que de savoir s’exprimer dans celle de Taras Chevtchenko. Du coup, on n’a pas chanté, mais on a tenté avec succès la Vodka locale. Nos journées étaient également assez éloignées du programme estival que je m’étais imaginé : visite de mines à ciel ouvert, rencontre avec des oligarques, un élu local et, quand même, deux charmantes guides – Olenka et Iryna – qui nous ont parlé diversification économique dans une ville rue de 126 km, où Mittal emploie 50 000 habitants sur un peu plus de 600 000. Hubs technologiques, tourisme industriel, énergies renouvelables : trois marottes portées par les nouvelles générations, inquiètes tant de l’impact sanitaire d’un tel productivisme que d’une dépendance à ce qui ressemblerait, à peu de choses près, à un propriétaire économique de la ville. Fait surprenant, ici, Strasbourg est loin d’être une inconnue. Sergii, le vicemaire de Krivoy Rog – le maire s’étant fait descendre à son domicile deux jours avant notre arrivée… – souhaiterait même développer des liens avec elle, depuis son passage au Congrès des pouvoirs locaux. Économiques, mais également en matière de culture, d’éducation, d’environnement. « Des investisseurs, des consultants, on en cherche partout en Ukraine », nous a-t-il dit. Dans le secteur agricole aussi, où Alexey, un oligarque fermier de Zaporijjia
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– ville distante de 2 h 30 de Krivoy Rog en mode Mario Kart, où Tato et moi avons eu l’insigne honneur de passer à la télé – nous a même confié un sac de charcuterie et de fromage de sa production pour convaincre d’éventuels partenaires français de la qualité de ses produits. Rentrés en France, et faisant fi de notre mission commerciale, nos palais en furent pleinement assurés.
PETITS CHIENS EN FAÏENCE ET IMAGES PIEUSES Selon Victoriya, une entrepreneuse aux atouts un brin remaniés, Zaporijjia est la ville qui compterait le plus grand nombre de jolies femmes au mètre carré. Igor, un énième oligarque, cette fois spécialisé dans le secteur des transports, ne l’aurait sans doute pas contredite s’il avait eu vent de cet échange, lui qui ne bouda pas son plaisir à chanter avec elle et son amie Yulia dans sa petite datcha. Sur la longue table du salon, cernée de bibelots en tout genre parmi lesquels de petits chiens en faïence, des images pieuses, des gravures liturgiques sur bois, ou autres bestiaux de foire aux gros yeux multicolores hérités du productivisme
chinois, la Vodka – toujours elle – coulait à flots entre moult mets préparés par son entourage. Ceci, alors que tous trois enchaînaient succès régionaux et compositions d’Igor himself, aidés d’une installation karaoké aux normes locales ; comprendre : démesurée.
KGB CONNEXION Certes, qu’Igor confesse son ancienne proximité avec le KGB ne manqua pas de jeter un petit froid sibérien du côté des filles, mais cela permit au moins à Tato de faire quelques emplettes journalistiques – une lubie qui me le rend parfois agaçant, en particulier en si charmante compagnie. Igor, lui, devint médiatiquement intarissable, criant à l’injustice fiscale imposée aux honnêtes citoyens et entreprises, dont certaines finissaient par se détourner du droit chemin. Deux semaines plus tôt, un entrepreneur européen expatrié à Kiev n’en faisait déjà pas mystère. Son truc : changer le statut légal de sa société tous les deux mois plutôt que de se voir « racketter » par l’État. Pour y parvenir, graisser la patte à quelques fonctionnaires du Trésor suffisait à le rendre confiant en l’avenir. Rencontrée dans un café d’Odessa, Véra, la sœur de №43 — Décembre 2021 — Splendeurs
« Le fameux mâle blanc de plus de 50 ans qui fait appel à une agence matrimoniale pour combler le vide de son existence. »
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feu un célèbre journaliste ukrainien, ne manqua pas de nous confier à son tour que la fraude était tout autant répandue chez les salariés, secteur des IT en tête. Alors que le salaire mensuel ukrainien ne dépasse généralement pas les 200 à 400 dollars, l’ajout d’une enveloppe en cash – de fait non imposable parce qu’officiellement inexistante – pouvait facilement le rehausser à 2 000 dollars ou plus. Dans un pays où rares sont encore ceux qui croient à la bonne gestion des services publics et des caisses de retraite, cette option salariale aurait, à ses dires, quelque chose de bien ancré dans un pays qui n’en finit plus de se chercher entre post-soviétisme et ultralibéralisme.
ses échanges littéraires endiablés avec sa « promise » tient bien plus de l’imagination d’une cohorte de ghost writers que du talent inné de celle-ci. Pas plus qu’il n’imagine que lorsque la fille lui propose de le débarrasser du ticket de caisse de ses présents, cela ne s’explique que par le projet de la dame de se les faire rembourser en cash, une fois son Roméo rentré chez lui… Intarissable sur le sujet, Véra n’en finissait plus de nous émerveiller par tant de malice.
Le dernier soir venu, nous nous retrouvâmes Tato et moi sur les marches de l’Escalier du Potemkine. Face à nous, la mer, le port, et ce groupe – Water In The PIGEON MARITAL Amp – qui se plaisait à jouer Soldat de 5Nizza. La guerre, elle, hors une attaque Autre petite astuce de survie financière, cosaque contre ma personne que j’avais l’appel au pigeon marital : le fameux mâle pourtant pris soin d’anticiper en me raviblanc de plus de 50 ans qui fait appel taillant en matériel militaire auprès du à une agence matrimoniale pour com- Faeton Retro Cars Museum de Dmitry, un bler le vide de son existence. Véritable autre ami d’Alexander, on l’aurait presque bienfaiteur malgré lui de l’industrie fémi- oubliée, tant personne n’en parle ici. Un niste locale, ce que celui-ci ne sait pas peu comme du Covid, joliment inexisest que pour chaque rencard, il paie tant dans les respirations sociales mais certes l’agence, mais également la fille aux effets toujours autant ravageurs à en qu’il rencontre, via une part des émolu- croire, quelques semaines après notre ments versés à l’interprète. Ce qu’il ne retour, la publication d’un nouveau selfie sait pas non plus est que le contenu de de Pouxit, transformé en clown. S №43 — Décembre 2021 — Splendeurs
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À l’heure de trinquer, les Strasbourgeois sont avides de conseils et de pépites à boire. Ils cherchent un rouge pour les spaghetti du mardi. Ils cherchent quelques bouteilles d’effervescent pour le weekend. Puis ils cherchent encore un vin d’exception pour l’anniversaire de Julia. Conscients de l’acte d’achat lié à la consommation courante, les Vignerons Indépendants d’Alsace amèneront prochainement un brin du vignoble à Strasbourg. Les flûtes s’installeront dans l’hôtel consulaire de la CCI, historiquement lié au commerce des vins de la région. Un nouveau lieu de promotion destiné à faire briller les vins d’Alsace au pays du kougelhof.
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es Vignerons Indépendants cultivent leurs propres vignes, transforment leurs raisins en vin, et vendent eux-mêmes leurs bouteilles – avec fierté. Les quelque 500 adhérents sont représentés par le Syndicat des Vignerons Indépendants d’Alsace, aussi appelé SYNVIRA. C’est cette organisation de la filière viticole alsacienne qui supervise l’avancée de ce projet valorisant en matière d’image collective.
Engagés en faveur d’une viticulture florissante pour demain, tous les producteurs seront portés dans une démarche environnementale (HVE, Terra-Vitis, bio, ou biodynamie). À ce volet humain s’ajouteront des activités découvertes liées à la gastronomie et au patrimoine. Cette offre effervescente vise à « développer le chiffre d’affaires Alsace des cavistes de la métropole » mentionne Alain Renou, directeur du SYNVIRA. Entre d’autres mots, il faut « donner envie d’avoir envie », Entièrement autofinancée par 100 vignerons enthou- avec la ferveur de Johnny. siastes, cette « ambassade » permettra – évidemment – de faire du commerce. Les règles de prix liées à la revente À l’instar de la Alte Wache de Fribourg, ou encore de la seront identiques à celles d’un caviste, l’idée n’étant pas séduisante Cité du Vin de Bordeaux, l’amenuisement des de les concurrencer. Au-delà de ce même modèle écono- kilomètres entre l’hypercentre et la route des Vins d’Almique, la volonté de ne pas faire que de la vente de bou- sace donnera de l’élan à une poignée de vigneronnes et de vignerons qui piochent leur terre avec passion. Ils teille est inhérente. représentent quasi autant de structures familiales aux « DONNER ENVIE D’AVOIR ENVIE » moyens limités, notamment par rapport au développement et à la prospection commerciale. Les produits préLes paysans de la terre seront présents chaque jour à sentés permettront de prendre conscience de la large tour de rôle, favorisant ainsi la discussion avec les cita- gamme Alsacienne, innovante et résolument moderne. On dins et les touristes de la capitale. L’échange convivial y court dès que les délais d’instructions administratives et éveillera les visiteurs au savoir-faire, aux terroirs envi- les travaux seront terminés. D’ici là, quelques visages du ronnants, et à la dégustation ; une étape primordiale à vignoble s’affichent sur le plus vieux bâtiment en pierre la compréhension d’un vin, voire d’une région viticole. de taille de Strasbourg… E
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TRÉSORS DE LA RENAISSANCE… EN MODE XXIe SIÈCLE
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Intrinsèquement Ambassadeur d’Alsace, la Bibliothèque humaniste de Sélestat, témoin des trésors de la Renaissance et inscrite au registre « Mémoire du monde » de l’Unesco, est un joyau bien ancré dans son époque qui mérite le détour...
a Bibliothèque humaniste n’a de bibliothèque que le nom. Dans ce musée réhabilité en 2017 par l’architecte Rudy Ricciotti est conservée et exposée la collection unique de livres et manuscrits légués par l’humaniste Beatus Rhenanus à sa ville natale en… 1547. « Elle est depuis lors le reflet du savoir de la Renaissance rhénane, rappelle Benjamin Fendler, directeur depuis 2017. Elle est le témoin d’une histoire ancienne toujours bien vivace. » Inscrite au registre « Mémoire du monde » de l’Unesco depuis 2011, la Bibliothèque jouit d’une renommée internationale pour son aspect scientifique et historique… Mais veut aujourd’hui accroître son attractivité auprès du grand public.
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« GRÂCE AU NUMÉRIQUE, NOUS AVONS RÉUSSI À ATTIRER DES JEUNES TRÈS ÉLOIGNÉS DU SUJET » « On dit qu’en Alsace il y a trois trésors : la cathédrale de Strasbourg, le Retable d’Issenheim et la Bibliothèque humaniste de Sélestat, rappelle Benjamin Fendler. L’idée est de la rendre plus attractive, plus moderne. Grâce au numérique, nous avons réussi à attirer des jeunes très
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éloignés du sujet… Ils viennent et s’ouvrent à un lieu qui leur appartient. » Le pire serait qu’elle tombe dans l’oubli : « Nous devons nous mettre dans le mouvement, il faut un dialogue entre le lieu et le visiteur. » Lors de sa réouverture, elle a attiré 60 000 visiteurs contre 40 000 attendus. Puis le COVID est passé par là. Aujourd’hui, toute l’équipe se mobilise pour proposer des expos dans l’air du temps, pour rendre plus accessibles ces trésors de la Renaissance et faire rayonner l’Alsace hors les murs en véritable ambassadeur de la région. En décembre, la Bibliothèque humaniste renoue avec les traditions de Noël à travers deux expositions (gratuites). La première présente au centre du lieu la mention de 1521 du sapin de Noël… Un document qui fête ses 500 ans et témoigne d’une tradition « ancienne et vivante à Sélestat ». La seconde mettra en scène les boules de Meisenthal, autour d’une expo consacrée aux contes de Noël. Deux expositions résolument « ambassadeurs d’Alsace » ! E tat de Séles umaniste r – Sélestat H e u q è Biblioth Maurice Kuble r 1 place D 58 07 20 .f r 8 8 3 0 umaniste l. Té theque-h io il ib .b www
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Respire – Un CD et un livre Marikala oilà un rare projet pédagogique complet qui représente un très beau cadeau de noël pour vos enfants. La chanteuse haut-rhinoise Marikala, dont on vous a, à plusieurs reprises, vanté le talent dans les colonnes de Or Norme, vient de réaliser son rêve en sortant conjointement un CD et un livre sous le titre commun Respire, tous deux préludes à un spectacle musical appelé lui aussi à tourner partout en France, salles de spectacles, lieux culturels, écoles - via des ateliers de création de chansons – et même entreprises… Militante de la nature depuis toujours, Marikala met sa voix cristalline au service de notre Terre et exorte à « retrouver nos valeurs en reprenant contact avec la nature qui nous entoure… » Le CD, enregistré au studio strasbourgeois Downtown
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présente onze titres bien écrits où le positif règne en maître et le livre, écrit par Michel Hutt, est un conte pour enfants magnifiquement et ô combien talentueusement illustré par Dôriane. Si vous avez dans l’idée d’instituer (ou prolonger) un dialogue fructueux avec vos jeunes enfants, cet album et ce livre seront des starters idéaux en cette époque de cadeaux de fin d’année... a
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2KLIVRES Nos mots doux Simone Morgenthaler imone Morgenthaler est toujours au rendez-vous de Noël en Alsace. Cette fois-ci, pas de gourmandises sucrées au voisinage du sapin, mais un lexique qui rappelle « le sens de ces mots doux de l’enfance que beaucoup d’Alsaciens prononcent encore aujourd’hui avec bonheur ». Dans un très bel avant-propos, la journaliste et animatrice de radio et de télévision écrit : « Je souhaite avec ce livre rendre hommage aux mots de mon enfance pour contribuer au partage si joyeux et si nécessaire de l’alsacien, aux couleurs de nos paysages et de nos états d’âme. » Avec, en prime, quelques petits dictons locaux liés à l’amour. Comme celui-ci : D’Manner hànn immer racht ùun d’Fräuen niemols ùnracht – Les hommes ont toujours raison et les femmes n’ont jamais tort. Malicieuse Simone ! a
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est un petit livre, comme un trésor qu’on peut garder sur sa table de chevet… Prendre forêt de Claire Audhuy, illustré par les aquarelles délicates de Sophie Bataille, n’est pas un carnet de voyage ordinaire. Partie vivre quelques semaines, en plein hiver, dans un refuge rustique des Vosges, l’autrice livre une poésie intime, mais jamais impudique, pour relater un « voyage immobile » aux confins de ses sentiments. « J’ai pris forêt/ comme on prend vie/ J’ai pris forêt/ comme on prend feu », annonce-t-elle. Sans les arbres, sans le froid, sans la tempête, le chemin intérieur aurait-il été aussi intense ? Probablement non. Dans le corps à corps avec la rugosité de l’hiver et la constance de la montagne, Claire Audhuy se rend disponible à son ressenti. Les premières pages sont constellées de mots d’amour pour son compagnon, qui partage avec elle cet hivernage, des mots si doux que l’on s’y réchauffe. Puis, petit à petit, les poèmes laissent entrer le chagrin et le deuil. « J’escalade ma douleur/ pour en faire le tour/ l’apercevoir de tout là-haut/ et pouvoir enfin dire/ je surplombe le chagrin/ je l’ai gravi », écrit Claire Audhuy, dans le long passage où elle s’autorise à apprivoiser sa peine. Enfin, le printemps s’amorce. « J’ai eu besoin des oiseaux/ pour revenir aux hommes ». On referme le livre avec l’impression d’avoir participé à un périple nécessaire et fertile, dont on me s’inspirera peut-être pour o d’Â Rodé cartographier nos s n io Édit propres hivers. a 8€
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Sherlock Holmes Compléments d’enquête Jean Alessandrini uand ils le croisent à la librairie Kléber ou dans ce centreville de Strasbourg qu’il affectionne tant (et où il vit depuis près de vingt-cinq ans), peu de Strasbourgeois savent qui est Jean Alessandrini : illustrateur talentueux, immense typographe qui a révolutionné sa discipline, entre autres… Il est aussi un bel écrivain et il le prouve avec la sortie de trois nouvelles où l’on retrouve Sherlock Holmes à Strasbourg, puis à Paris. Dans la dernière nouvelle, c’est son descendant qui prend le relais, en 2045, dans un Londres plongé dans un cybermonde effrayant ou la criminalité a changé de visage. Ce petit livre brillant se déguste comme un sucre-d’orge… a
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La face cachée de Pierre Pflimlin Claude Mislin
#JESUISZOMBIE Alexis Metzinger
ttention livre inclassable ! De la rencontre intergénérationnelle entre un pianiste français trentenaire, d’origine mexicaine et libanaise à la déjà formidable carrière et un presque septuagénaire historien de la musique, reconnu dans le monde entier comme faisant autorité dans le domaine des études wagnériennes, sont nées ces plus de deux cents pages jubilatoires écrites durant la crise du Covid où les deux compères partagent leurs itinéraires. Le point central vers lequel tout converge : la crise traversée par la musique classique, en raison de son inadaptation au xxie siècle. Dans les salles de concert et d’opéra, un public âgé, blanc, « acquis aux principes conservateurs. Ainsi, en 2019, seulement 2,2 des Français âgés entre 15 et 18 ans avaient assisté à un concert de musique classique l’année précédente… » C’est passionnant du début à la fin, iconoclaste et totalement traversé par une notion centrale : « la capacité d’agir… ». a
est une histoire tout à fait commune, au fond. Car il y en eut beaucoup (en Alsace comme ailleurs) de ces jeunes à peine trentenaires qui, dans les deux décennies précédant la Seconde Guerre mondiale, furent dans l’errance politique et se mêlèrent sans complexe avec l’extrême droite antisémite d’abord, les « pétainistes » à Vichy ensuite. Parmi eux, rares furent ceux qui, tel Daniel Cordier devenu ensuite le secrétaire de Jean Moulin, rompirent résolument avec leurs idées dès le discours d’abdication du Maréchal le 17 juin 1940. Dans ce livre documenté et décapant, précis comme un scalpel, Claude Mislin raconte les années de jeunesse politique de celui qui allait devenir après la libération maire de Strasbourg, ministre et président du Parlement européen. L’éditeur ajoute en quatrième de couverture : « Puisse ce livre contribuer à ouvrir et libérer notre regard sur l’histoire de l’Alsace, qui comporte encore tant de zones d’ombre. » De fait, le temps paraît être venu d’ouvrir ces pages-là… a
e livre démarre fort. C’est un live sur internet du journal Le Monde qui apprend au monde entier que la ville de Strasbourg vient d’être placée en quarantaine en raison d’une très grave crise sanitaire. Le département du Bas-Rhin, dans son entier, vient également d’être placé en état d’urgence. Le ministre de l’Intérieur intervient pour déclarer : « Je ne vous le cache pas : Ebola, à côté de ce que vit Strasbourg, c’est du pipi de chat… » Plus de 200 pages plus loin (et quatre jours plus tard), tout à la fin du livre, c’est un épouvantable chaos qui règne à Strasbourg… Entre-temps, les lecteurs de ce surprenant roman de Alexis Metzinger, connu pour être producteur et réalisateur de documentaires – et aussi auteur du remarqué Confessions d’un chasseur de sorcières en 2020, auront été tenus en haleine par une histoire palpitante qui, l’air de rien, décode sans la moindre indulgence le quotidien de notre société hyper médiatisée d’aujourd’hui… a
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2KLIVRES Après les livres Pierre Weber
Gutenberg et le signe du dragon Pascal Prévot et Benjamin Strickler
Vers l’Orient. Géographies d’un désir Christine Peltre
ans Barbares, la même bien nommée collection qui publie #JESUISZOMBIE, La Nuée Bleue édite le surprenant premier roman de Pierre Weber, un professeur agrégé de lettres de la vallée de la Bruche, qui imagine ici un monde post-apocalyptique à la Cormac McCarthy (La route – 2006) se déroulant en Alsace. Un récit plein de finesse, mais aussi d’aventure et de suspense où on se passionne pour le devenir de Sam et sa fille Lise, recluses toutes deux au cœur d’une forêt qu’elles tentent de préserver de ce qui reste d’une humanité devenue sauvage à l’extrême. « Les hommes d’avant méritaient l’extinction – Les hommes d’après méritent de savoir » dit l’un des personnages vers la fin de ce livre ultra-passionnant, qui correspond à une surprenante, mais profonde réflexion sur notre réelle nature humaine… a
est (déjà) le septième titre d’une collection (Graine d’histoire) tout à fait originale puisqu’elle mêle heureusement des thématiques historiques régionales (ici, le Strasbourg du moyen-âge où un orfèvre, Gutenberg, est en train d’inventer l’imprimerie…), avec de illustrations adaptées à la cible « jeunesse » de la collection et, en fin d’ouvrage, un petit précis historique rédigé avec habileté par l’historien Daniel Fischer. Le récit contenu dans ce petit livre fourmille d’anecdotes et de situations qui, au final, donneront aux enfants une belle idée de la réalité de la vie quotidienne au xve siècle. Du beau travail, ue e Ble vraiment… a Nué
est une fois de plus un livre précieux et formidable que publie L’Atelier Contemporain. En un peu plus d’une douzaines d’étapes, Christine Peltre, qui fut la directrice de l’Institut d’Histoire de l’art de l’Université de Strasbourg, nous guide à travers certains de ces hauts-lieux de l’« ailleurs » que nous connaissons souvent par les images de nos musées – Athènes, Istanbul, Izmir, Smyrne, Alger, Marrakech, Tunis... et dans ces villes de l’ouest de l’Europe, Madrid, Barcelone, Marseille – où universitaires et institutions culturelles s’efforcent d’écrire l’histoire du pourtour méditerranéen. Vers l’Orient. Géographies d’un désir combine avec bonheur essai, récit de voyage et autobiographie intellectuelle. Une belle richesse iconographique parsème ce livre érudit, superbement co-édité avec l’Université de Strasbourg… a er
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OR CHAMP Par Caroline Eliacheff
Vincent Muller
L’ENFANT TRANSGENRE OU LA PASSION D’ÊTRE SOI Caroline Eliacheff Pédopsychiatre, psychanalyste.
(1) Ce qui représente un facteur de multiplication de cas de 10 à 40. Cf. notamment ce site d’un collectif de médecins, psychologues, chercheurs segm.org Ou : KJ Zucker. Epidemiology of gender dysphoria and transgender identity, Sex Health, 2017 Oct;14 (5):404-411. doi : 10.1071/ SH17067.
eux qui ont vu, sur Arte ou au cinéma, le documentaire Petite Fille de Sébastien Lipshitz, ont découvert avec stupéfaction non pas qu’un petit garçon de 8 ans, Sasha, souhaite devenir une fille, mais que son désir puisse être pris au pied de la lettre par ses parents, l’école avec plus de réticence et surtout la pédopsychiatre d’un grand service parisien : sa seule réponse est de satisfaire ce désir sans la moindre interrogation. Comment ? En administrant à cet enfant des bloqueurs de puberté avant de lui prescrire des hormones femelles à vie, voire une castration.
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Si ces cas sont encore rares chez les enfants, il n’en est pas de même pour les adolescents. À cette période de la vie, ils peuvent légitimement se poser des questions sur leur identité sexuelle, masquant parfois un malaise moins dicible quant à leur orientation sexuelle. Selon les pays, sur une période de dix à quinze ans, le diagnostic de « dysphorie de genre » qui traduit un sentiment d’inadéquation entre le sexe de naissance et le « ressenti », aurait augmenté de 1000 à 4000%1. On observe aussi que les jeunes filles sont majoritaires, alors qu’antérieurement, il s’agissait de garçons. Que signifie ce phénomène, ce refus croissant de la féminité chez les jeunes filles ? Difficile de répondre dans un contexte de « libération de la parole » mais surtout de recrudescence des militances identitaires mêlant ressentiment et commisération – laissant une large place aux affects ou tout questionnement est par avance assimilé à de la transphobie et par là même disqualifié.
Mais quelle réponse apporte le corps médical à ces adolescents en souffrance ? Dans les consultations spécialisées qui se disent « transaffirmatives », la transidentité est considérée non pas comme symptôme psychique à entendre et à interroger dans toute sa complexité mais comme « un fait social à accompagner ». La transition serait un acte positif d’auto-détermination et d’auto-affirmation. Hormones voire interventions chirurgicales sont présentées comme des solutions « thérapeutiques »… qu’elles ne sont pas. Il n’est pas exclu que nous assistions à l’avenir au premier grand scandale médical du xxie siècle avec les traitements aux effets secondaires non négligeables voire irréversibles dispensés aux mineurs qui souhaitent changer de sexe. C’est déjà l’alerte lancée par des médecins, des professionnels de l’enfance mais aussi des féministes et des groupes de parents dans les pays où les demandes ont explosé : USA, Canada, Suède, Finlande, Angleterre, Suisse, Belgique, France. On ne peut reprocher à des jeunes de penser que leur désir doit être satisfait, alors que tout désir peut s’exprimer mais n’a pas toujours vocation à être satisfait… dans l’immédiat. Mais on peut reprocher à la société et aux adultes responsables, parents et médecins, de consentir à ces demandes et de ne plus oser dire des choses simples : on ne change pas de sexe même si on change d’apparence ; on ne change pas de corps même si on peut le modifier ; on ne change pas d’identité parce qu’on ne change pas d’histoire. a a OR CHAMP
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Couverture Urs Fisher, L'Enlèvement des Sabines (détail). © Marc Domage / Fondation Pinault Portraits de l'équipe Illustrations par Paul Lannes www.paul-lannes.com
DÉCEMBRE 2021 Directeur de la publication Patrick Adler 1 patrick@adler.fr Directeur de la rédaction Jean-Luc Fournier 2 jlf@ornorme.fr Rédaction Alain Ancian 3 Eleina Angelowski 4 Isabelle Baladine Howald Erika Chelly 6 Gaël Chica Marine Duméry Jean-Luc Fournier 2 Thierry Jobard 7 Véronique Leblanc 8 Aurélien Montinari 9 Charles Nouar 10 Jessica Ouellet 11 Barbara Romero 12 Benjamin Thomas 13 redaction@ornorme.fr
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Photographie Franck Disegni 14 Sophie Dupressoir 15 Vincent Eschmann Alban Hefti 16 Abdesslam Mirdass 17 Vincent Muller 18 Caroline Paulus 19 Nicolas Rosès 20 Marc Swierkowski 21 Direction artistique et mise en page Cercle Studio Typographie GT America par Grilli Type Freight Pro par Joshua Darden Impression Imprimé en CE
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Or Norme Strasbourg est une publication éditée par Ornormedias 2 rue de la Nuée Bleue 67000 Strasbourg Contact : contact@ornorme.fr Ce numéro de OR NORME a été tiré à 15 000 exemplaires Dépôt légal : à parution N°ISSN : 2272-9461 Site web : www.ornorme.fr №43 — Décembre 2021 — Splendeurs
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