L’EXCEPTION
C’est une contrée dure, aux prises avec des menaces constantes. Mais qui ne manque pas d’opportunités. Dirigée par un chef de l’État qui sort définitivement des cadres traditionnels.
C’est une contrée dure, aux prises avec des menaces constantes. Mais qui ne manque pas d’opportunités. Dirigée par un chef de l’État qui sort définitivement des cadres traditionnels.
La crise tunisienne semble atteindre une sorte d’apogée. Le président Kaïs Saïed n’est pas apparu pendant quelques jours fin mars, alimentant toutes sortes de rumeurs. Et soulignant surtout que depuis 2011, le pays n’a toujours pas de Cour constitutionnelle, malgré… deux Constitutions successives qui prévoient l’institution. Un blocage hautement politique (l’indépendance de la justice…) et révélateur des paralysies tunisiennes. Des opposants, des intellectuels et des journalistes sont en prison. L’autocensure revient à pas de géant dans ce pays qui a été à l’origine des printemps arabes. L’inflation atteint 10 % depuis le début de l’année, laminant les classes populaires et moyennes. Les jeunes, tunisiens ou en transit d’Afrique subsaharienne, veulent traverser la mer à tout prix. Les nantis, eux, prennent l’avion et s’organisent une vie ailleurs. L’État est au bord de la banqueroute, écrasé par une gestion hasardeuse et une dette de plus 40 milliards de dollars (93 % du PIB). Le gouvernement a négocié pendant des mois un prêt de 2 milliards de dollars auprès du FMI. Une « manne » évidemment assortie de contraintes majeures en matière de réforme, et que personne à Tunis ne semble prêt à endosser. Alors que grosso modo, budgétairement, on ne passera pas l’année… Certains imaginent peut-être que la Russie ou la Chine, ou l’Algérie, ou quelques autres puissances « riches et bénévoles » viendront sauver le système…
Last but not least, comme un autre symbole particulièrement déprimant, le musée du Bardo, magnifique, unique pour ses collections de mosaïques romaines, est inexplicablement fermé depuis le « coup » du 25 juillet 2021 (au risque d’endommager les œuvres…). On pourrait croire que la Tunisie est entrée dans une zone de « no future ». On pourrait laisser tomber, d’une certaine façon, attendre avec résignation qu’elle touche le fond…
Et pourtant, non. Ici, dans ce pays aux trois millénaires d’histoire, l’avenir reste à écrire. La Tunisie existe. Elle a du potentiel. Elle dispose d’une élite politique, sophistiquée, diversifiée, qui va de la gauche à la droite, en passant par les sécularistes et des islamistes relativement modérés. Tous représentatifs de la diversité nationale. Il y a des intellectuels de qualité, des
journalistes, des écrivains, des artistes, et toute cette richesse ne peut être occultée.
Le repli n’est pas une option. La Tunisie est idéalement placée, à deux ou trois heures des grands centres économiques européens. Elle a des accords avec l’UE, que l’on pourrait améliorer. Elle a un lien ancien avec l’Afrique, que les crises migratoires ne devraient pas dissoudre. Elle peut jouer aussi de son orientalisme naturel pour renforcer ses relations avec les pays du Golfe. Les Tunisiens sont des entrepreneurs et des commerçants. Le pays dispose d’une élite de médecins, d’ingénieurs, de jeunes passionnés par la tech. La diaspora, affective, attachée au pays, pourrait rapidement se mobiliser. La société civile est réactive, ambitieuse. Le monde culturel ne cède pas au désespoir. La Tunisie et les Tunisiens bénéficient toujours d’un grand capital de sympathie aux quatre coins du monde, le pays est beau, et le tourisme pourrait redevenir l’un des grands secteurs de l’économie nationale. Il y a du savoir-faire, de l’expérience. Le tissu existe, il est là, il a besoin de confiance, et de visibilité pour redémarrer au quart de tour. La Tunisie peut s’imposer en quelques années comme une plate-forme incontournable de services, industriels, techniques, logistiques, de prestation de santé, etc. Et elle sera aidée. La crise actuelle aura eu le triste mérite de montrer que le pays était devenu stratégique, que l’on ne pouvait pas se permettre de le laisser couler. D’avoir le chaos aux portes de l’Europe, au cœur du Maghreb. Aussi bien à Paris, Rome, qu’à Bruxelles, au siège de l’Union européenne, ou à Washington, au FMI et à la Banque mondiale…
Tout est possible, à condition de retrouver une certaine normalité politique. Ce pays d’à peine 13 millions d’habitants a juste besoin d’être bien gouverné. De libérer les énergies et de libérer un débat normal. Rien de spectaculaire. Juste la norme. De solder aussi une fois pour toutes les comptes du passé. De tourner la page des révolutions, d’hier ou d’aujourd’hui. Et de se tourner vers l’avenir. De travailler. Sans développement économique, sans un nouveau pacte social, sans stabilité, rien n’est possible… Et les promesses, les discours se heurteront sur le mur des impitoyables réalités. ■
3 ÉDITO Une vraie Tunisie par Zyad Limam
6 ON EN PARLE C’EST DE L’ART, DE LA CULTURE, DE LA MODE ET DU DESIGN Tunisie, le choc des images 24 PARCOURS Juste
QUE
TEMPS FORTS
28 Éthiopie : Demeure en péril par Cédric Gouverneur
38 Rémi Carayol : Disséquer la guerre par Astrid Krivian
44 Elgas : « Je cherche la liberté » par Astrid Krivian
84 Lesley Lokko : « Portons une autre voix » par Luisa Nannipieri
90 Nédra Ben Smaïl : « On ne naît pas parent, on le devient » par Frida Dahmani
57 L’exception Niger par Zyad Limam, Thibaut Cabrera, Seidik Abba et Emmanuelle Pontié
58 L’équation Bazoum
62 Rabiou Abdou : « La réalisation du PDES est au cœur de notre stratégie »
66 Le défi démographique
68 L’agriculture de demain
70 Pétrole : un tournant majeur
74 Les nouvelles perspectives de l’uranium
76 Portfolio : Entre le fleuve et le désert
82 À la recherche des dinosaures
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RÉDACTION
94 Une addition salée
98 Marc-Antoine Eyl-Mazzega : « La tendance de fond est à une amélioration sensible du bilan carbone »
100 La production de cannabis médical et industriel s’envole au Maroc
101 La Tanzanie et l’Inde vont se passer du dollar
102 Un nouveau mégaprojet d’hydrogène vert en Mauritanie
103 Surendetté, le Ghana se veut con fiant par Cédric Gouverneur
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P.84
Emmanuelle Pontié
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Violence stylisée récompensée au Fespaco ou descente aux enfers sortant sur les écrans européens : DEUX RÉALISATEURS AUDACIEUX auscultent les d ifficiles lendemains de la révolution du jasmin…
C’EST À L’UNANIMITÉ que le jury du 28e Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco) a décerné en mars dernier l’Étalon d’or de Yennenga à Ashkal, thriller poétique et métaphorique. L’originalité et la résonance politique du film de Youssef Chebbi avaient déjà été remarquées au Festival de Cannes. Cette enquête policière, située à Tunis dans un vaste chantier d’immeubles de luxe à l’arrêt depuis la chute de Ben Ali, est sous tension : les deux inspecteurs (incarnés par l’aguerri Mohamed Grayaâ et la jeune Fatma Oussaifi) sont confrontés à une étrange série d’immolations dans ces carcasses de béton. Un long-métrage très graphique, baigné d’une musique anxiogène, et comme hanté par la figure de Mohamed Bouazizi qui s’était immolé au début de la révolution, suivi depuis par une centaine d’autres. Les silhouettes de ces fantômes incandescents poursuivent longtemps le spectateur après la projection. Autant de héros qui, selon le réalisateur, sont passés du statut de martyre à celui de trouble-fête dans la Tunisie d’aujourd’hui.
C’est dire l’acuité d’Ashkal, à la lisière du mystique et du fantastique, qui a trouvé un distributeur en France fin janvier.
Second film tunisien à ne pas manquer ce mois-ci, Amel et les fauves, qui sort en France un an après sa diffusion officielle.
On est cette fois-ci dans le réalisme le plus sombre, avec une ouvrière manipulée par son patron, mariée à un alcoolique, emprisonnée pour adultère alors qu’elle a été violée, et dont le fils va tomber dans la drogue et la prostitution… Mehdi Hmili a choisi de traiter frontalement cette descente aux enfers en montrant la violence de la police, soumise aux plus riches, mais aussi tout un monde interlope, l’obligeant à couper les scènes de sexe et avec des travestis pour la diffusion dans d’autres pays arabes. Il y a peu de répit dans cette chute sans fin d’une mère et son fils, prisonniers de leur condition sociale et d’une société patriarcale, machiste, et corrompue. Mais il y a également beaucoup d’énergie et d’audace. Une preuve supplémentaire de la créativité de ce cinéma post-révolutionnaire. ■ Jean-Marie
ChazeauSI ON L’A RÉCEMMENT remarqué pour la bande originale des films Black Panther, Baaba Maal s’active depuis quatre décennies sur la scène musicale. Mais Being confirme un talent façonné entre le Sénégal et la France, avec un parcours ponctué de collaborations prestigieuses : Damon Albarn, Brian Eno… Entouré de ses complices (notamment Cheikh Ndoye à la basse ngoni et Momadou Sarr aux percussions), il propose ici un superbe écrin de sept titres ultra-contemporains, aussi percussifs que mélodiques, interrogeant l’absurdité de notre monde actuel, tout en sondant l’âme de chacun. Blues, soul, électro, folk(lore)… Enregistré entre Londres, Brooklyn et son pays, le CD surprend, n’a pas peur des ruptures de ton ou de narration d’une chanson à l’autre. Et pendant ce temps-là, domine le chant, habité, de Baaba Maal… ■ Sophie Rosemont
À écouter maintenant !
Le Cri du Caire, Les Disques du festival permanent/Airfono/L’Onde & Cybèle
Le casting est beau : Erik Truffaz à la trompette, Peter Corser au saxophone, Karsten Hochapfel au violoncelle… et Abdullah Miniawy au chant soufi. Incarnant la soif de liberté de la jeunesse égyptienne, auteur de chaque vers de l’opus, il fait de ce Cri du Caire un disque de spoken word somptueusement orchestré. Et pas que : ici et là, le jazz et le rock’n’roll se manifestent.
Yalla Miku
Yalla Miku, Bongo Joe
C’est l’histoire d’une alliance quasi magique. Ici, le Marocain Anouar Ait Baouna, chanteur et (entre autres) roi du guembri, l’Algérien
Ali Bouchaki, figure de la darbouka, et l’Érythréen Samuel Ades, maître du krar, rencontrent deux duos : l’hyperactif Cyril Cyril, et Hyperculte, lequel cultive un son entre krautrock et électro. En résulte un exaltant voyage transcontinental porté par une authentique hybridité sonore.
David Walters
Soul Tropical, Heavenly Sweetness
Cinquième album solo pour le petit-fils de Carïbéens David Walters, l’une des figures de proue multi-instrumentiste d’une soul créole et éclectique. Ici, il cultive les affinités électives avec des partenaires de haute voltige, tels que Flavia Coelho, Anthony Joseph, Roger Raspail, ou encore K.O.G. (Kweku Of Ghana).
À la réalisation, le beatmaker et producteur Guts. Le tout pour un vibrant hommage au groove antillais. ■ S.R.
L’ARTISTE SÉNÉGALAIS est de retour avec un éblouissant CD, follement avant-gardiste tout en étant accessible. Une merveille !
LORSQU’EN 1981, Tony Rinaudo arrive au Niger pour aider à contrer l’avancée du désert, le jeune agronome australien découvre les ravages d’une agriculture intensive pratiquée depuis la colonisation. Mais sous terre, il constate qu’un immense réseau de racines vit toujours. Des buissons, bientôt des arbres, vont protéger les sols du soleil et du vent, et faire repartir l’agriculture. Une agroforesterie qui a depuis fait école dans une vingtaine de pays africains. Le réalisateur Volker Schlondörff (Palme d’or 1979 pour Le Tambour) a accompagné son ami de retour sur le continent : il parle toujours le haoussa, et si la vie a bien changé (une escorte armée l’accompagne dans les villages où il circulait autrefois librement), son enseignement a visiblement porté ses fruits, applaudi par les femmes et salué par les hommes qui transmettent son savoir. Au passage, le programme international de Grande Muraille verte est épinglé, et le cinéaste allemand a l’intelligence d’intégrer à son documentaire de larges extraits de films africains, comme le très beau Les Larmes de l’émigration (2010) du Sénégalais Alassane Diago. ■ J.-M.C
Le grand cinéaste allemand Volker Schlöndorff rend hommage à un pionnier australien dans le REBOISEMENT DU SAHEL.
AM : Ce nouvel album est-il l’aboutissement de longues années passées à partager votre féminisme ?
Sandra Nkaké : Il est le reflet de mon cheminement intérieur, de mes combats. Écrire et être productrice indépendante me permet de lutter pour un monde plus juste, moins violent et moins patriarcal. Je souhaite œuvrer pour que les femmes soient enfin reconnues et prises pour des sujets. Des sujets qui ont des droits. La sororité est l’une des pierres angulaires de mes combats et se manifeste partout dans mes chansons : « Sisters », « Rising Up », « My Heart »… Mes sœurs sont nombreuses : ce sont des amies, des femmes que je croise dans la vie de tous les jours, des créatrices. Avec leur parcours singulier, elles donnent la force de nous construire. Parmi elle, Axelle Jah Njiké, autrice féministe et créatrice du podcast La Fille sur le canapé. Son approche de la systémie des violences est très inspirante.
En quoi met-il en relief vos racines camerounaises ? Mon parcours commence au Cameroun, pays qui m’a vu naître et que j’ai dû quitter précipitamment. Cette coupure a été douloureuse, mais il vibre toujours en moi. La chanson « Terre rouge » parle de ce sentiment d’appartenance qui me traverse, même si je n’y vis pas. L’automne dernier, j’ai pu me rendre à Fiko, le village de mon grand-père, et redécouvrir les ressources merveilleuses de cette terre, de ces humains si généreux. J’ai été accueillie comme une enfant du pays… Ça m’a remplie de joie. Pourquoi ce très beau titre, Scars, « cicatrices » en français ? Il raconte à lui seul la capacité du corps et de l’esprit à cicatriser et à transformer les traumatismes en traces avec lesquelles on apprend à vivre. J’ai subi l’inceste, les violences conjugales, l’exil… Chanter me fait vibrer de vibrations lumineuses. Écrire des chansons me permet de penser le
monde et de dessiner une route qui me mène jusqu’à vous. Scars aussi, parce que je voulais dire aux personnes en reconstruction qu’une vie est possible après les traumas. Cela demande du temps, de l’accompagnement, mais nous, victimes de violences, pouvons trouver en nous les ressources pour vivre avec, sans qu’ils nous définissent. C’est un disque d’amour, de tendresse, de partage et de lutte. À mes sœurs ! ■ Propos recueillis par Sophie Rosemont
D’UN CÔTÉ, L’UN DES ROIS DE LA KORA Ballaké Sissoko et le violoncelliste et producteur de haut vol Vincent Segal. De l’autre, l’accordéoniste Vincent Peirani et le saxophoniste Émile Parisien. Les cordes et les cuivres. Après un premier concert les réunissant en 2021, au festival des Nuits de Fourvière, les quatre artistes ont décidé de poursuivre l’aventure en studio. L’improvisation est maîtrisée, l’entente nourrie de respect et d’admiration, les instruments semblent mener une discussion que personne n’a envie d’interrompre… D’autant qu’ici, le propos est universel : si les racines sont résolument africaines, le vieux continent est aussi convoqué, et les frontières génériques sont bien poreuses. Musique traditionnelle ? Jazz ? Folk ? Musette détournée ? On ne sait plus trop, et tant mieux ! ■ S.R.
SISSOKO SEGAL PARISIEN & PEIRANI, Les Égarés, Nø Førmat !
UBAH CRISTINA ALI FARAH, Madre piccola, Zulma, 352 pages, 22,90 €.
POLYPHONIQUE, de la guerre civile somalienne à l’exil et la reviviscence.
TROIS FAMILLES. Trois destins. Un même élan vital. Ce premier roman, dans lequel la maternité est un thème central, donne la parole aux exilés de la diaspora somalienne. Le titre, Madre piccola, évoque une réalité prégnante pour la population de l’un des 10 pays les plus pauvres au monde – cette traduction italienne de « tante maternelle » faisant allusion à la fonction qu’assument en temps de guerre les sœurs, les cousines, les amies de la famille, etc., en prenant en charge les enfants des autres. Comme ses personnages, l’auteure, née d’un père somalien et d’une mère italienne, a grandi à Mogadiscio et a dû quitter le pays quand a éclaté la guerre civile, au début des années 1990. Son récit se fait ainsi l’écho du déracinement et du renouveau. À l’aune de ces quelques mots de l’épilogue : « Notre maison, nous la portons en nous, notre maison peut voyager. Ce ne sont pas les murs de pierre qui font du lieu où nous vivons une maison. » ■ Catherine
FayeSes peintures sur toile et sur tissu rendent compte des luttes de s on époque.
RÉTROSPECTIVE
Le musée Picasso MET
RINGGOLD, figure majeure de la scène américaine engagée et féministe.
UN CARNAVAL DE COULEURS. Une effervescence humaine. Difficile de passer à côté de l’œuvre radicale et populaire de Faith Ringgold, depuis le mouvement des droits civiques jusqu’à celui de Black Lives Matter. Dès ses premiers travaux, au début des années 1960, l’Afro-Américaine a su se frayer un chemin dans le monde de l’art majoritairement blanc et masculin : « Il n’y avait aucun moyen d’échapper à ce qui se passait à l’époque ; il fallait prendre position d’une manière ou d’une autre, car il n’était pas possible d’ignorer la situation : tout était soit noir, soit blanc, et de manière tranchée », revendique la native d’Harlem, 92 ans, dont les peintures sur toile et sur tissu, comme les installations, rendent compte des luttes de son époque. À travers ses relectures de l’histoire de l’art moderne et un dialogue plastique et critique avec la scène parisienne du début du XXe siècle – notamment avec Pablo Picasso et ses Demoiselles d’Avignon –, celle qui a su embrasser son destin s’emploie définitivement à créer un art africain-américain, à l’identité propre. ■ C.F.
« FAITH RINGGOLD: BLACK IS BEAUTIFUL », Musée Picasso, Paris (France), jusqu’au 2 juillet. www.museepicassoparis.fr
AFRICA MAMA, un nom simple et efficace pour une musique qui l’est tout autant. Mais sans oublier toute la variété des racines musicales de Djeli Moussa Condé. À l’approche de la soixantaine, il garde toute sa vitalité instrumentiste et s’allie avec le percussionniste Gérald Bonnegrace (du groupe Arat Kilo), pour une réalisation au diapason. Avec une sincérité organique en guise de fil rouge, les compositions de Condé témoignent de son héritage griot, mais également de ses amours transculturelles… Résidant en France dès le début des années 1990, il a accompagné, armé de sa kora, aussi bien Cesária Évora qu’Alpha Blondy ou Manu Dibango. Depuis plus d’une décennie, il se livre à un travail solo qui, une nouvelle preuve en est donnée, est captivant. ■ S.R.
Le destin singulier d’un des derniers mamelouks de Tunis. De la tutelle ottomane à la colonisation française.
EN JUIN 1887, le général Husayn – esclave affranchi devenu dignitaire de l’empire ottoman, avant que la colonisation de la Tunisie par la France, en 1881, ne le contraigne à l’exil en Italie – décède à Florence. Sa mort est suivie de multiples conflits autour de sa succession, entre les années 1880 et 1920, avec un éventail surprenant d’acteurs : le sultan Abdülhamid II et ses vizirs, les gouvernements tunisien, français et italien,
Le nouvel ouvrage d’Achille Mbembe propose une réflexion sur la Terre, ses interactions avec le vivant. Et son devenir.
SI LA GRANDE question qui a toujours occupé l’humanité était de chercher à comprendre les origines de la vie, aujourd’hui, il s’agit de savoir comment elle se termine et s’il est possible de la prolonger. Notre incapacité à vivre ensemble, entre humains, mais aussi avec les animaux et les végétaux, nous met plus que jamais à l’épreuve. Et ce que l’on a perdu est irrécupérable. D’où l’urgence de renouer avec le cosmos et de penser la Terre comme une « communauté terrestre », avec la cohorte d’espèces animées et
M’HAMED OUALDI, Un esclave entre deux empires : Une histoire transimpériale du Maghreb, Seuil, 272 pages, 24 €.
ainsi que des représentants des communautés diasporiques musulmanes et juives. C’est cette trajectoire hors du commun que M’hamed Oualdi, spécialiste de l’histoire du Maghreb moderne et contemporain, relate. Un récit foisonnant, ancré dans le contexte international de la lutte entre les forces ottomanes et françaises pour le contrôle de la Méditerranée. Qui met en lumière les multiples effets d’une telle transition sur la société maghrébine. ■ C.F.
ACHILLE MBEMBE, La Communauté terrestre, La Découverte, 208 pages, 20 €
inanimées qui l’habitent. Une planète où coexister et faire place à d’autres que soi, humains et non-humains, suppose un droit fondamental à la vie et à l’hospitalité. Et où l’histoire africaine et les traditions du continent peuvent aider le monde à trouver un autre chemin. Dans ce dernier volet de sa trilogie, avec Politiques de l’inimitié et Brutalisme, le philosophe camerounais Achille Mbembe continue d’interroger les aspérités du monde contemporain. ■
Les artisanes de cette MARQUE
SUD-AFRICAINE tressent le passé et le présent pour obtenir des accessoires puissants.
LES CRÉATIONS de la marque sud-africaine Pichulik ont de quoi séduire. Ces bijoux sont fabriqués à la main à partir de cordes récupérées, d’éléments en laiton, de pierres précieuses et de matériaux inattendus, le tout donnant vie à des formes sculpturales uniques. Il n’est donc pas étonnant de les voir embellir des collections d’Orange Culture ou de Lukhanyo Mdingi, lors des plus importants défilés de mode. C’est le signe du succès du projet de Katherine-Mary Pichulik, qui a créé le label en 2013 et dirige aujourd’hui un groupe soudé d’artisanes panafricaines installées dans le nouvel atelier-boutique
du Cap, où naissent les collections, inspirées par des histoires de femmes puissantes et les traditions du continent. « Algiers », la dernière, est née d’un travail sur la mémoire familiale de la créatrice. Un voyage qui l’a menée jusqu’aux montagnes du nord-est de l’Algérie, lieu de naissance de sa grand-mère paternelle. On y découvre des boucles d’oreilles dont la forme rappelle une vieille lampe retrouvée au grenier, les cordes couleur sable et rouille évoquent des photos jaunies, et les disques en laiton imitent un ornement nuptial amazigh. Ou encore la silhouette d’un arc en ogive, en référence au Maghreb. pichulik.com ■ Luisa Nannipieri
EN PLUS DE DIX ANS de carrière, la vision de Tina Lobondi a beaucoup évolué. Les pièces de sa marque homonyme aussi. Si, au départ, la styliste franco-congolaise travaillait souvent le wax, en le mixant à des tissus haut de gamme, comme l’organza, la soie ou la mousseline, pour en faire des robes de soirée, ses réflexions et ses expériences l’ont menée vers la création de collections plus casual et une production plus responsable. Qui comprend depuis peu des sacs en bois recyclé et coton bio. Après des études de mode en France, elle s’est très vite fait remarquer en habillant des stars dans
Ses collections, joyeuses et colorées, sont composées de chemises décontractées, jupes légères et mouvantes…
LA PASSION qui lie la peintre américaine Anne
où les danseuses étaient protagonistes. Ses collections, joyeuses et colorées, sont composées de chemises décontractées, jupes légères et mouvantes, blazers et trenchs, à porter peu importe la saison. Toutes ses pièces sont réalisées en France en coton bio et en matières recyclables, sauf quelques-unes qui sont fabriquées en République démocratique du Congo avec des tissus locaux – comme ceux à base de feuilles séchées de raphia, qu’elle utilise depuis des années pour faire de superbes corsets. En s’interrogeant sur l’histoire textile de son pays d’origine avant le wax, moins riche que celle de ses voisins, elle a décidé de dessiner tous ses imprimés et de s’en servir pour célébrer les cultures des deux Congo. Pragmatisme, ténacité et sens du business sont les ingrédients du succès de la designeuse. tinalobondi.com ■ L.N.
Eisner à l’anthropologue non-conformiste Patrick Putnam l’amène à séjourner, de 1946 à 1954, dans une station de recherche, lieu d’hébergement et dispensaire médical, à la lisière de la forêt équatoriale de l’Ituri (au nord-est de la colonie belge du Congo). De ces huit années passées le long de la rivière Epulu, l’artiste a extrait un goût pour les couleurs de la nature, omniprésente dans ses tableaux, et un attachement aux pygmées Mbuti, dont elle témoigne. Attentive à la relation sociale et philosophique que ces chasseurs-cueilleurs tissent avec la sylve, la New-Yorkaise n’a de cesse d’explorer l’analogie entre l’écorce et le corps. Une démarche singulière et solidaire, retranscrite dans une œuvre picturale dépouillée et flamboyante, à l’orée de l’abstraction. Et un dialogue entre l’étranger et le familier, que des écrits viennent enrichir, au gré des mutations du regard de la peintre sur les peuples de la forêt. ■ C.F.
« ANNE EISNER (1911-1967) : UNE ARTISTE
AMÉRICAINE AU CONGO », Musée du quai Branly, Paris (France), jusqu’au 3 septembre. quaibranly.fr
Le regard nuancé de la PEINTRE AMÉRICAINE ANNE EISNER sur les populations autochtones du nord-est de l’ancien Congo belge.… blazers ou encore trenchs, à porter au quotidien.
AMOUR À MORT, amour passion, amour divin, amour tout court. Ce sentiment brûlant est l’un des thèmes récurrents de la littérature arabo-musulmane, porté par la puissance de la langue arabe. Qu’il occupe l’espace entier du poème ou n’en constitue qu’un fragment, son chant s’offre sur tous les modes possibles. Joie, souffrance, fugacité, éternité… Bien avant l’avènement de l’islam, puis au long de la période classique, les poètes et prosateurs rivalisent de créativité et d’expressivité pour l’évoquer, sous toutes ses déclinaisons : versets platoniques, textes érotiques, histoires d’amour légendaires ou populaires, notamment dans les Mille et Une Nuits, poèmes mystiques ou philosophiques. Mais l’amour n’est pas seulement une expérience universelle ou personnelle. Il est également culturel, comme l’écrit Roland Barthes dans Fragments d’un discours amoureux Et chaque culture en a construit sa propre vision. Ainsi, dans le monde arabe, il nous éclaire, au-delà de la poésie qui lui est dédiée, sur la vision tout entière qu’une civilisation s’en fait. Plus de 100 noms y disent le sentiment amoureux, de l’attirance jusqu’à la folie. Dans ce recueil, 23 poètes,
HAMDANE HADJADJI ET ANDRÉ MIQUEL, Les Arabes et l’amour : Anthologie poétique, Actes Sud, 186 pages, 18 €.
choisis par André Miquel et Hamdane Hadjadji, spécialistes de la langue et de la littérature arabes, viennent célébrer l’amour dans la poétique du VIe au XVe siècle. À une exception près, cette anthologie donne la voix aux hommes, reflétant une réalité de l’histoire : le métier d’écrivain est alors, quasi exclusivement, masculin. Or, que dire de ces vers d’Al-Khansâ, grande poétesse aux temps du premier islam, pleurant son frère bien-aimé, mort des suites de blessures reçues au combat ? « Ce cœur, tu l’as brisé, j’en jure, il n’en peut plus ! / Le deuil emplit mon âme et ma tête fléchit. / Le dur bois de ma lance aujourd’hui s’est rompu, / Cassé comme le cœur si solide du buis. » Très certainement qu’ils préfigurent le paysage poétique des femmes du monde arabe, de l’âge d’or de l’islam à nos jours. ■ C.F.
UN ADOLESCENT D’ORIGINE MALIENNE, embarqué dans des petits trafics, est envoyé par sa mère dans une madrassa, au pays, pour retrouver le droit chemin. À son retour, dix ans plus tard, il est choisi pour devenir le nouvel imam de son quartier, prônant un islam tolérant et ouvert. Mais il reste fasciné par l’argent et le business… « Imam, c’est pas un métier », lui rappelle sa mère, inquiète du virage qu’il prend, alors qu’il se lance dans l’organisation de pèlerinages à La Mecque. Une initiative qui va accroître sa popularité… avant de tourner à l’arnaque. Très bien joué, dans une authentique ambiance de famille malienne, avec un scénario limpide, parfois un peu… angélique, ce film coproduit par Ladj Ly (Les Misérables) s’appuie sur une solide morale qui rappelle que « les actes ne valent que par les intentions ». ■ J.-M.C.
DRAME LE JEUNE IMAM (France),de Kim Chapiron. Avec Abdulah Sissoko, Moussa Cissé, Hady Berthe. En salles.
L’AGENCE MAROCAINE El Ouali &Hajji et la française Architecturestudio travaillent ensemble depuis des années. C’est donc tout naturellement qu’elles se sont associées pour participer au concours du plus grand complexe hospitalier d’Afrique du Nord : le nouveau CHU de Tanger. Une collaboration qui leur a permis de remporter le ArchDaily Building of the Year Award de la catégorie « Healthcare ». Le travail, reparti à égalité entre Rabat et Paris,
visait à créer un nouvel espace urbain accueillant et intégré dans le paysage. Le complexe de 81 000 m² est constitué de trois pavillons adossés à la colline, à la lisière de la ville, et reliés par une galerie centrale, développés autour de trois cours intérieures. Un large parvis, recouvert d’une canopée ajourée, sert de hall d’accueil et permet d’orienter les patients et leurs familles. La canopée marque aussi
la séparation entre les espaces publics et l’univers médical, avec les blocs hospitaliers et les chambres. Une grille blanche, où alternent petits et grands carrés, sert d’écran aux fenêtres et aux façades supérieures des pavillons, et créé un motif en dentelle qui couronne le complexe. Les clins d’œil aux codes de Tanger et des moucharabiehs sont évidents, mais les architectes ont su se les réapproprier, les adaptant à un grand espace et aux contraintes hospitalières. architecturestudio.fr ■ L.N.
Le CHU DE LA VILLE BLANCHE a remporté le prix ArchDaily Building of the Year, dans la catégorie santé.
Tout en briques et en t uiles traditionnelles de la « grande île », l e bâtiment de 1 500 m2 a été intégralement restauré.
FONDATION H, Antananarivo (Madagascar), inauguration du nouvel espace le 28 avril. fondation-h.com
CRÉÉE À L’INITIATIVE de l’entrepreneur et mécène
Hassanein Hiridjee, la Fondation H propose, depuis cinq ans, des programmes d’accompagnement pour les artistes du continent africain et de ses diasporas, et soutient la scène artistique dans l’océan Indien, tout en facilitant l’accès du plus grand nombre à l’art. Son nouvel espace de 1 500 m2 se déploie au sein d’un bâtiment historique, construit au début du XXe siècle pour accueillir la Direction centrale des postes et télécommunications, sous le régime colonial français. Tout en briques et en tuiles traditionnelles de la « grande île », le bâtiment a été intégralement restauré et ouvre ses portes le 28 avril. Sa vocation ? Soutenir et faire rayonner la création artistique africaine, non seulement dans chaque pays d’ancrage, mais aussi à l’international. L’exposition inaugurale est consacrée à Zoarinivo Razakaratrimo, dite Madame Zo (1956-2020), tisserande insolite et icône de la scène artistique malgache. Du sur-mesure pour un dessein d’envergure. ■ C.F.
JAMAIS LE CINÉMA ALGÉRIEN n’était remonté aussi loin dans le temps. Nous sommes quelques années avant l’occupation ottomane, au début du XVIe siècle, où Alger est gouvernée par un roi et un conseil de représentants des tribus berbères. Pour se défaire du joug de l’occupant espagnol, un corsaire est appelé à la rescousse : Barberousse, incarné avec force par Dali Benssalah, le méchant du dernier James Bond. Mais une fois l’occupant chassé, le pirate va vouloir le pouvoir pour lui tout seul. Tuant le roi, il veut épouser sa femme, la reine Zaphira, qui se révèle plus coriace qu’il ne l’avait imaginée et devient très populaire dans la Casbah. Peu importe la réalité historique, que l’on connaît d’ailleurs très peu : on ne sait pas si cette reine algérienne est une légende ou si son existence a été effacée des récits officiels. Ce qui est sûr, c’est que son histoire s’est transmise au fil du temps, jusqu’à ce film à grand spectacle avec batailles sanglantes en bord de mer et scènes au cœur de palais luxuriants. Une tragédie classique en quatre actes dans l’Algérie du XVIe siècle : voilà une proposition de cinéma peu banale à ne pas manquer. On y croise même une esclave blonde scandinave, affranchie et convertie à l’islam, incarnée par Nadia Tereszkiewicz (tout récent César du meilleur espoir féminin) ! Dans le rôle-titre, l’actrice algérienne Adila Bendimerad s’impose royalement et coréalise même, avec Damien Ounouri, ce long-métrage qui ressuscite, avec un grand soin apporté aux décors et aux costumes, un chapitre méconnu de l’épopée de la nation algérienne. ■ J.-M.C.
LA DERNIÈRE REINE (Algérie), de Damien Ounouri et Adila Bendimerad. Avec elle-même, Dali Benssalah, Tahar Zaoui. En salles.
En 1516, un corsaire libère Alger de l’occupation espagnole, mais doit affronter une reine coriace. Entre légende et PAGE D’HISTOIRE OUBLIÉE, un film inattendu à grand spectacle.
Deux NOUVELLES ADRESSES PARISIENNES à tester : des plats familiaux solaires dans un décor somptueux, et des burgers inspirés des cultures africaines.
UN SAVOUREUX RESTAURANT a pris ses quartiers sur le toit de l’Institut du monde arabe (5e arrondissement).
Le Dar Mima (« chez Mima ») est né de la coopération entre le groupe Paris Society et Jamel Debbouze, qui y rend hommage à sa mère, Fatima, dite Mima. Les recettes sortent tout droit de la cuisine familiale : le pain, les pâtisseries et le couscous, mais aussi le man’ouché et le fattouche, la pastilla et le tajine. Des classiques métissés, qui combinent touche moderne et cuisson au feu de bois. Le tout présenté dans un décor somptueux, où se côtoient marbre, zellige, marqueterie, tapis et moquettes opulentes, et même fresques peintes à la main sur feuilles d’or. La terrasse est un jardin méditerranéen suspendu, peuplé d’amandiers et de jasmin, tel un pont paradisiaque entre Orient et Occident. darmima-restaurant.com
Toute autre vibe dans la rue du Paradis (10e). Au Bomaye, Camille Gozé et Laurent Kalala Mabuluki, revenus de plusieurs mois de voyage et de recherche sur le continent, servent des burgers inspirés des cultures africaines. Son nom (« tue-le » en lingala) est lié au légendaire match Mohamed Ali-George Foreman qui a embrasé Kinshasa en 1974.
Le lieu reprend l’esthétique brute des échoppes de la ville, avec un côté street art imaginé par Ernesto Novo et Kouka Ntadi, et propose une cuisine hybride, revisitant un classique de la street food. Parmi les six burgers (faits maison) à la carte, mention d’honneur pour le Babi La Douce, qui réussit à traduire les saveurs du garba ivoirien (attiéké, thon frit et piment). Un pari fou et un résultat étonnant, comme pour le végétarien Allocovor, qui apprivoise le goût sucré de la banane. bomayeclub.com ■ L.N.
SUR UNE LANGUE DE SABLE qui s’allonge depuis les côtes du Sahara occidental, entre océan et désert, se trouve une ville coupée du monde qui fait rêver les passionnés de surf, kitesurf ou windsurf. Sous administration du Maroc depuis plus de quarante ans, Dakhla s’étale sur un plateau de roche et de sable, le long de la baie homonyme. L’alizé et le sirocco soufflent sur les plages, et la pointe du Dragon est connue pour ses
déferlantes impressionnantes. Pour le bonheur des sportifs, qui ont contribué à faire de ce havre de paix une destination prisée par une clientèle exigeante et écoresponsable. Plusieurs structures ont d’ailleurs ouvert leurs portes ces dernières années, tel l’écolodge La Tour d’Eole (latourdeole.com), avec sa cuisine locavore et ses chambres de charme, inauguré en 2018, ou le tout nouvel
hôtel Caravan by Habitas Dakhla (ourhabitas.com/fr/caravandakhla), dont le restaurant mélange cuisines latino-américaine et marocaine. Les locaux adorent les poissons (parfois farcis à la viande de dromadaire) et les fruits de mer, et Dakhla est d’ailleurs aujourd’hui le premier site de production d’huîtres du royaume marocain – à déguster dans un restaurant minimaliste et sans chichi, comme le Talhamar. ■ L.N.
Ses prénoms pourraient l’assigner à l’excellence, mais Juste Parfait Menidio, de son vrai nom, a choisi de cultiver l’autodérision. Ce grand échalas (1 m 96 pour 65 kg) s’est même trouvé le surnom de « smartboy » : « Tel un smartphone, je suis long et plat ! » explique en raillant le comédien congolais, actuellement à l’affiche de la série Kongossa Lounge. Adepte de l’humour d’observation, il puise sa matière à rire dans son quotidien à Brazzaville, brossant un portrait cocasse de la société. « Mes sketchs sont tirés du vécu d’un Congolais lambda. Je vis dans le quartier très populaire de Bacongo, celui des sapeurs [le nom des membres de la SAPE, la Société des ambianceurs et des personnes élégantes, ndlr]. Une énergie inspirante ! » Tandis qu’il planche à l’écriture de son cinquième spectacle, il a joué pour la première fois en Europe (au festival Lillarious à Lille, à Paris, et à Bruxelles) en début d’année. Et s’est familiarisé avec un public différent, qui « écoute, rit, puis applaudit ». Avant d’ajouter : « En Afrique, il communie avec l’artiste, l’interpelle… On débat, c’est de l’inattendu ! »
Enfant, à Pointe-Noire où il grandit, Juste Parfait se rêvait d’abord président de la République du Congo, pour améliorer la vie des citoyens. Profondément marqué par la guerre civile de 1997, il en garde un rejet viscéral pour toute forme d’intolérance et de violence : « Avoir vécu les ravages de la haine, du tribalisme, du racisme, vous apprend à les éviter. » Au collège et au lycée, il est l’agitateur de la bande, l’esprit espiègle toujours prêt à dégainer une vanne. En vue de devenir avocat, il fait ses premiers pas sur scène dans un atelier théâtral, apprivoise la prise de parole en public, l’art de l’éloquence, la maîtrise du trac. Poussé par son père, ce jeune polyglotte (lingala, kituba, lari, français, anglais, portugais, mais aussi quelques notions de chinois…) poursuit finalement des études supérieures de traduction-interprétation à Johannesbourg, en Afrique du Sud. C’est là-bas qu’il découvre la magie du stand-up, au Joburg Theatre : l’évidence de sa vocation d’humoriste s’impose.
De retour à Brazzaville en 2013, il écrit et rode ses sketchs, écumant les scènes de la capitale. Il participe au festival tuSeo, suit des séminaires d’art dramatique, intègre le collectif de comiques Brazza Comedy Show. En 2017, il décroche le Graal de tout humoriste africain francophone : une participation à l’émission référente Le Parlement du rire (diffusé sur Canal+ Afrique). Un accomplissement qui lui fait gagner en visibilité. Aux blagues clivantes, ce jeune talent préfère rassembler les publics de 7 à 77 ans, de classes sociales, confessions et ethnies différentes. Il évite d’aborder certains sujets, susceptibles selon lui de heurter ou de susciter des incompréhensions, voire des polémiques. Ce qui ne l’empêche néanmoins pas de parler de politique. « En me glissant dans la peau d’un humoriste, j’ai le courage d’exprimer mon avis, ma vérité, sans choquer. Mon message passe. » Thérapeutique d’un point de vue personnel, le rire est également salvateur pour la société : « Je me sens utile, car je réunis des Congolais en égayant leur quotidien. S’il ne va pas développer un pays, un sketch peut toutefois faire bouger les mentalités. Notre peuple rassemble plusieurs dizaines d’ethnies : ayons conscience que la différence est une richesse. On a tous à y gagner. » ■
«S’il ne va pas développer un pays, un sketch peut lesfairetoutefoisbougermentalités.»
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Il paraît que le continent africain est à la traîne. En matière de développement économique et humain, d’industrialisation. Il paraît aussi qu’il est champion en matière de pas mal de maux : insécurité, corruption, mal-gouvernance, sécheresse, famine. Ceci expliquant peut-être cela, le monde entier se bouscule à son chevet pour le soutenir, l’aider. Les organisations et les institutions financières internationales multiplient les lignes de crédit pour des projets structurants, des idées utiles innovantes, des routes, des écoles, des barrages, créent et annulent les dettes. Mais avant tout, l’Afrique est devenue peu à peu une formidable terre d’opportunités, surconvoitée par les pays du monde entier. Vive le multilatéral, le business Sud-Sud, et la palette incroyablement variée d’offres business qu’elle arrive à capter.
Il suffit de comptabiliser le nombre impressionnant de sommets bilatéraux qui l’englobent. Finie l’époque de l’omniprésent sommet France-Afrique, qui a changé de nom par pudeur après 2010 pour devenir « Afrique-France », voire de format en 2021 pour sa 28e édition, où Macron était le seul chef d’État face à de jeunes Africains… Bref, à force de critiques, la formule se cherche, sans vraiment trouver le ton. Mais dans l’intervalle, il a fallu compter avec les sommets États-Unis-Afrique, Chine-Afrique, Inde-Afrique… Et pas seulement avec des « pays-continents », puisque le président Erdogan, lors du 3e Sommet de partenariat Turquie-Afrique, organisé en plein Covid-19, en décembre 2021, avait décidé d’envoyer 15 millions de doses de vaccins à l’intention des nations africaines, tout en permettant à ses entreprises de signer un nombre record de contrats avec le continent « pauvre ». En juillet, nos chefs d’État sont invités à SaintPétersbourg par Vladimir Poutine pour le Forum de partenariat Russie-Afrique. Un partenariat économique, certes, mais hautement politique d’abord, au moment où le conflit avec l’Ukraine met la grande nation au banc des accusés dans le monde occidental et que son influence grandit sur le continent noir. Dans un an, ce sera au tour de l’Angleterre, qui récidive avec une deuxième édition à Londres du sommet Royaume-Uni-Afrique. Lors de son premier round, en 2020, près de 27 contrats pour un montant d’environ 8 milliards de dollars y avaient été signés. Et je passe volontairement sur la multiplication des rencontres entre les Unions, européenne, africaine, et autre Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (TICAD), où le Japon est coorganisateur.
Bref, notre « pauvre » Afrique excite drôlement les papilles du monde. Elle devrait finir par en tirer profit. En mode BtoB. Version XXIe siècle. Débarrassée des complexes et des pesanteurs d’hier ■
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