URGENCE ECOLOGIQUE Des centaines de milliers de jeunes marchant pour le climat [1]. Une omniprésence du développement durable dans nos discours. Une prise de conscience croissante quant à « l’environnement ». D’aucun·e·s pourraient prétendre que, en 2020, l’on parle déjà bien assez de l’enjeu climatique. En dédiant ce Bulletin à l’urgence écologique nous aimerions montrer que nous devrions, au contraire, toutes et tous nous intéresser encore plus à ces enjeux et remettre radicalement en question nos modes d’action et de pensée. Une prise de recul systémique s’impose. Malgré une conscientisation croissante de la part de la population et les engagements des décideur.euse.s politiques [2], les émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter [3]. Près de 80% de la production énergétique mondiale provient encore aujourd’hui des énergies fossiles [4][5]et les conséquences sociales du dérèglement climatique sont encore largement sous-estimées par une majorité de la population[6]. Une lecture, même superficielle, du dernier rapport du GIEC [7], devrait nous conduire à nous alarmer. Nous fonçons droit dans le mur. En accélérant. Les questions environnementales et climatiques sont dans la sphère politique et médiatique souvent isolées de leur contexte social et économique, des enjeux sous-jacents pourtant essentiels à une comprehension systémique du problème. [8] Et s’il est question “d’urgence écologique”, c’est bien parce que le dérèglement climatique impactera drastiquement chaque sphère et secteur d’activité de nos sociétés, et que ses conséquences exacerberont les inégalités déjà présentes et toucheront de plein fouet les milieux précarisés et les pays en voie de développement. En 1972, le rapport Meadows [9] du Club de Rome mettait en lumière les limites de la croissance de nos états et son lien avec les dérèglements climatiques. [10] La conclusion du rapport était déjà sans équivoque : malgré le très grand nombre de scénarios envisagés, la croissance provoque toujours un “effondrement“ [11] de nos sociétés.
[1] Emma Marris (2019, 18 septembre). Why young climate activists have captured the world’s attention. Nature. https://www.nature.com/articles/d41586 -019-02696-0 [2] Par exemple, l’accord de Paris, négocié lors de la COP21 (2016, 5 octobre). https://ec.europa.eu/clima/policies/international/negotiations/paris_fr [3] GIEC, 2014: Changements climatiques 2014: Résumé à l’intention des décideurs. GIEC, Genève, Suisse, A.1.2 p.4 : https://archive.ipcc.ch/pdf/ assessment-report/ar5/syr/AR5_SYR_FINAL_SPM_fr.pdf [4] Gaz, Pétrole, Charbon. [5] BP présente les chiffres clés de l’énergie dans le monde (13 juin 2018). https://www.connaissancedesenergies.org/bp-statistical-review-worldenergy-2018-les-chiffres-cles-de-lenergie-dans-le-monde-180614#:~:text=Au%20total%2C%20les%20%C3%A9nergies%20fossiles,%2C5%25%20en%202016 [6] Jean-Michel Lex (n.d). Le climat et les aspects sociaux. Les cahiers développement durable. http://les.cahiers-developpement-durable.be/vivre/08climat-aspects-sociaux/#:~:text=Le%20r%C3%A9chauffement%20climatique%20pourrait%20accro%C3%AEtre,d'adaptation%20aux%20changements% 20climatiques. [7] GIEC, 2019: Réchauffement planétaire de 1,5 degrés : Résumé à l’intention des décideurs. GIEC, Genève, Suisse, A.2,B.2 et B.5. https://www.ipcc.ch/site/ assets/uploads/sites/2/2019/09/IPCC-Special-Report-1.5-SPM_fr.pdf [8] Notre système climatique. Réseau action Climat. https://reseauactionclimat.org/urgence-climatique/#:~:text=Ce%20ph%C3%A9nom%C3%A8ne% 20naturel%20repose%20sur,de%20la%20temp%C3%A9rature%20moyenne%20globale [9] Meadows, D. H., & Club of Rome. (1972). The Limits to growth: A report for the Club of Rome's project on the predicament of mankind. New York: Universe Books. Version online : http://www.donellameadows.org/wp-content/userfiles/Limits-to-Growth-digital-scan-version.pdf [10] À cet égard, Jean-Marc Jancovici commente : “La seule ambition du rapport Meadows, finalement, a été de tenter de comprendre quel pourrait
Ne pas agir au plus vite, c’est augmenter les probabilités de catastrophes écologiques et sociales futures. Ainsi, l’urgence climatique est une urgence existentielle. Ces prochaines années seront déterminantes et constituent une dernière chance pour essayer de contenir les effets catastrophiques d’un dérèglement climatique total. [12] Cette crise sanitaire nous a montré qu’il est possible d’infléchir le sort de nos sociétés, de changer drastiquement nos quotidiens lorsque la vie est menacée. C’est une question de volonté politique, et non de faisabilité. En plein confinement, nous parlions de monde d’avant et de monde d’après et cette crise était considérée comme une opportunité pour repenser notre monde. Le monde d’après ne pourra se construire avec les dogmes du monde d’avant. Pour édifier le monde de demain, il faut déconstruire les imaginaires d’aujourd’hui, œuvrer pour un bouleversement radical de nos façons de penser et d’agir en dehors de nos indices de croissance usuels et ce dans le respect du vivant. En d’autres termes, il faut une rupture paradigmatique totale. Il est de notre responsabilité de nous informer rigoureusement et de prendre conscience de l'importance cruciale de l’enjeu écologique. De nous engager pour créer le monde de demain. De ne plus fermer les yeux sur la souffrance et l’aliénation engendrées par nos modes de consommation et de production à travers le monde. De repenser l’être humain comme un être doté d’amour et d’empathie. De faire preuve d’entraide et de solidarité pour les crises et chocs à venir. Sans prétendre à l’expertise ni à l’exhaustivité, ce Bulletin n’est qu’une humble contribution à l’immense combat écologiste et social dans notre société. Il n’est qu’un point de départ d’un engagement commun autour de l’urgence climatique, dans une lutte pour une justice climatique [13] et pour une véritable transition écologique et sociale. “Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse.” Tels furent les mots d’Albert Camus en 1957, lors de son fameux discours de Suède [14], dans un contexte de menace existentielle d’autodestruction nucléaire. En 2020, au début d’un “siècle des catastrophes” [15], ces mots résonnent forts pour une génération qui, plus que jamais, évolue et se construit dans un climat incertain.
ADRIANO LA GIOIA ET LOÏC CROBEDDU
être l’enchaînement des événements qui se produirait si nous ne prenions aucune mesure préventive, à quel horizon de temps ces événements pourraient survenir, et si des choix donnés au niveau mondial permettaient de se prémunir de la chute finale ou de la repousser très loin”. https:// jancovici.com/recension-de-lectures/societes/rapport-du-club-de-rome-the-limits-of-growth-1972/ [11] Ibid. “Par « effondrement » il ne faut pas entendre la fin de l’humanité, mais la diminution brutale de la population accompagnée d’une dégradation significative des conditions de vie” [12] Ibid. 3, p16. [13] Relative aux inégalités face aux dérèglements climatiques, d’un point de vue moral, politique ou juridique. Ce sont les états occidentaux et les grandes entreprises polluantes qui sont les principales responsables du réchauffement climatique, alors que ce seront les régions en voies de développement qui seront les plus fortement touchées par le dérèglement climatique [14] Discours prononcé lors de la réception du prix nobel de littérature, le 10 décembre 1957 [15] Jean Jouzel. 2017. Entrevue radiophonique chez France Culture. Des idées à partager. Diffusé le 31 août 2017.
UNE BRÈVE HISTOIRE DU CLIMAT
Depuis quelques dizaines d’années, le climat et ses enjeux sont devenus une préoccupation majeure et un sujet d’actualité. Pourtant, bien que le réchauffement climatique d’origine anthropique (c’est-à-dire causé par l’activité humaine) fasse bien consensus [1] auprès des scientifiques, certains mythes circulent encore. Pour bien comprendre les enjeux, il est nécessaire de poser les bases du savoir scientifique qui a permis aux chercheur·e·s, en l’espace de moins d’un siècle, de reconstituer les climats du passé et modéliser son évolution. Le présent article a comme seule ambition de passer en revue l’historique de la démarche scientifique qui a conduit à la prise de conscience du réchauffement climatique. Il y sera expliqué, dans les grandes lignes, comment nous avons pu établir les courbes d’évolution des températures et de CO 2 sur une durée de plus de 100 000 ans. Et comment la connaissance du passé peut donner des indications pour les modèles d’évolution du climat à moyen terme.
COMPRENDRE LE PASSÉ Pour déterminer la température du passé, les scientifiques ont recours à des extractions de carottes polaires (pas le légume évidemment, mais un cylindre de glace foré sur une grande profondeur). La neige en Antarctique s’étant accumulée au fil du temps, chaque épaisseur, chaque couche de glace de la carotte nous révèle des informations sur la composition de la glace à différentes époques. Ces carottes sont une véritable ligne du temps, où ce dernier ne se mesure non pas en secondes, mais en centimètres, en profondeur. Les plus longues carottes analysées mesurent près de 3.3km et couvrent une période de 800 000 ans !
Le prélèvement et l’analyse de ces carottes peuvent donner accès à deux paramètres : la teneur en gaz carbonique (symbolisé CO2) et la température. La teneur en gaz carbonique est directement accessible par analyse des bulles dans la glace. En effet, le gaz carbonique est piégé dans la glace sous forme de petites bulles (comme dans les boissons gazeuses). Plus il y a de bulles sur l’échantillon, plus la teneur en
CO2 est importante. La température s’obtient de manière plus indirecte, via un thermomètre isotopique. Cet instrument mesure le taux de deutérium présent dans la glace. Le deutérium est un isotope de l’hydrogène (noyau constitué d’un élément neutre en plus dont la durée de vie est différente) dont il a été observé qu’il était directement proportionnel à la température du site. L’étude des carottes glaciaires permet donc de tracer l’évolution temporelle du CO2 et de la température en Antarctique (là où on a foré). Pouvons-nous tirer des conclusions globales d’un relevé de température et de CO2 pris dans une seule région, l’Antarctique ? La réponse est oui. Certes, l’Antarctique est le seul continent où la nature n’a pas été perturbée par l’intrusion de l’homme et son environnement est très différent de ce qu’on retrouve partout ailleurs. Mais l’air se mélange extrêmement rapidement dans l’atmosphère et les gaz présents d’un côté du globe se retrouvent très vite au pôle Sud. L’étude du continent blanc, et plus précisément à la base polaire de Vostok, n’est pas perturbée par une source locale de gaz et reflète bien une tendance globale des constituants atmosphériques qui circulent et ont circulé aux quatre coins du globe.
[1] Le consensus scientifique est une prise de position collective de la communauté scientifique. Il ne nécessite pas l’unanimité absolue, mais bien un accord général basé sur une méthode et des arguments scientifiques. Le débat du réchauffement climatique anthropique est donc purement médiatique car il fait consensus auprès des scientifiques.
Voici l’évolution des températures et du gaz carbonique sur une période de 420000 ans, obtenus par analyses des carottes glaciaires.
Le résultat est plus que frappant (si frappant que je vous mets le graphique [2] – promis ce sera le seul de cet article !): les deux courbes montrent des variations importantes sur des cycles longs. Les grands cycles de variations sont dus à la trajectoire de la Terre autour du soleil et reflètent le fait que notre planète a connu une alternance de périodes glaciaires et interglaciaires tout au long de son évolution. Les périodes glaciaires désignent les ères géologiques marquées par un abaissement significatif des températures conduisant à l’expansion des glaciers, principalement dans l’hémisphère nord. Comme on peut le constater sur le graphique, notre planète a connu quatre périodes glaciaires et nous nous situons actuellement dans une phase interglaciaire.
fet entre de l’augmentation de la concentration de CO2 et l’élévation des températures, il est qualifié d' « extrêmement probable » (Rapport du GIEC 2013). Le second intérêt de la courbe est la partie tout à droite, donc la plus récente, de l’évolution du taux de gaz carboniques. On voit que celui-ci augmente de manière quasi exponentielle, s’écartant ainsi de son évolution qui était jusqu’ici périodique. Cette augmentation subite de gaz carbonique dans l’atmosphère est principalement liée à l’activité humaine, plus précisément à l'activité industrielle de ces derniers siècles. Puisque les deux courbes sont corrélées, cela laisse présager une augmentation significative des températures qui, quant à elles, impliqueraient une augmentation du niveau des mers.
Une corrélation entre ces deux variables est donc indéniable. Quant au lien de cause à ef-
[2] From : https://environmentcounts.org/ (présenté comme “An independent source of information on environmental matters, based on the best available evidence. We do not advocate any particular position.”)
POUR PRÉVOIR LE FUTUR Comment peut-on donc extrapoler l’augmentation future de température et la quantifier ? Quelles sont les incertitudes et la fiabilité de ces prédictions ? Le GIEC (IPCC en anglais) est l’acronyme de Groupe d'Experts Intergouvernemental sur l'Évolution du Climat. Cet organe, créé en 1988, est composé de près de deux-cents experts qui ont pour mission d’évaluer de la manière la plus scientifique et objective [3] possible les causes, les risques et les conséquences d’un réchauffement climatique d’origine anthropique. Dans son rapport le plus récent, le GIEC mentionne une augmentation de température de 1.5 à 6 degrés d’ici la fin du siècle. Si cet intervalle peut paraitre large de prime abord, c’est parce qu’il prend en compte deux choses : premièrement, les incertitudes liées au fonctionnement du système climatique et, deuxièmement, les futures éjections de CO2 qui dépendront des énergies utilisées dans les années à venir. La première incertitude est intrinsèque à toute science. Une modélisation, par essence même, est une simplification d’un système et toute simplification implique des écarts à la réalité. Il est donc impossible de s’affranchir entièrement de cette source d’incertitude, mais il est tout à parier que les modèles vont gagner en fiabilité dans les prochaines années grâce aux avancées dans le domaine climatique et aux progrès technologiques des supercalculateurs qui permettront de gagner en précision. Mais rappelons tout de même, quand on parle de températures qu’il ne faut pas confondre les prévisions climatiques avec les prévisions météorologiques qu’on écoute chaque matin à la radio pour choisir entre parapluie et crème solaire. En effet, la météorologie étudie des valeurs instantanées et locales de température, précipitation et pression. Pour cela, elle se base sur des modèles d’évolution de l’atmosphère, recourant aux équations de la dynamique des fluides pour décrire les nuages, la pluie et le vent. La climatologie s’intéresse aux valeurs moyennes de l’atmosphère à long terme et
Dans son rapport le plus récent, le GIEC mentionne une augmentation de température de 1.5 à 6 degrés d’ici la fin du siècle. Si cet intervalle peut paraitre large de prime abord, c’est parce qu’il prend en compte deux choses : premièrement, les incertitudes liées au fonctionnement du système climatique et, deuxièmement, les futures éjections de CO2qui dépendront des énergies utilisées dans les années à venir. dans une zone géographique étendue, en tenant compte des interactions entre les différents composants du système terre : atmosphère, biosphère, océans, glaces... Recourant à des équations très complexes, l’incertitude vient principalement des paramètres ajustables. La seconde cause de cet intervalle de température est l’émission de gaz à effet de serre et ce faisant l’utilisation des énergies. L’émission de CO2 par l’homme se fait par exemple lors de la combustion d’énergie fossile ou par la déforestation (les arbres coupés se décomposent en éjectant le CO2 présent dans le tronc et les feuilles). Ainsi la température et le niveau des mers, dans les prochaines décennies, seront dépendants de l’activité humaine. Notre espèce est donc capable de modifier l’ensemble du système terre (constitué de l’atmosphère, la biosphère, l’hydrosphère et la lithosphère). Face à cette nouvelle puissance – car oui l’homme est devenu la force géologique la plus puissante – les géologues et géophysiciens ont introduit une nouvelle ère géologique : « l’Anthropocène »[4], quittant ainsi la précédente : l’holocène, longue de dix-mille ans. Cette entrée dans l’anthropocène, ou l’ère des humains, marque bien une rupture. Une rupture brutale où les humains ont transformé la planète à une vitesse inédite, modifiant de manière irrévocable le cours des évènements
[3] Si cet organe, politique, se dit le plus objectif possible, il est qualifié par beaucoup de scientifique comme trop optimiste dans son positionnement, considérant a minima certaines conséquences du réchauffement climatique sur l’environnement, compte tenu des recherches actuelles.
et introduisant un déséquilibre dont nous commençons enfin à réaliser l’ampleur.
Face à cette nouvelle puissance – car oui l’homme est devenu la force géologique la plus puissante – les géologues et géophysiciens ont introduit une nouvelle ère géologique : « l’Anthropocène »[4], quittant ainsi la précédente : l’holocène, longue de dix-mille ans.
DEMAIN UN AUTRE MONDE Au vu de ce qui a été exposé dans cet article, une question de l’irréversibilité se pose. Est-il encore possible d’envisager de retourner à la situation d’avant en inversant la tendance actuelle ? Ou devons-nous sombrer dans un catastrophisme inactif ? Les climatologues parlent aujourd’hui d’un seuil (les fameux « +2°C ») à partir duquel la situation deviendrait irrémédiable : montée des eaux, libération du méthane stocké dans la banquise, diminution de l’albédo , et autres surprises climatiques qui pourraient entrainer des réactions en chaine non prévisibles. Aujourd’hui, nous sommes au seuil. Une transformation mondiale sans précédent va découler de la crise environnementale. C’est à l’espèce humaine de se rendre compte de son implication et de prendre ses responsabilités et à agir, collectivement. L’urgence de la situation ne doit pas appeler au renoncement, mais servir de moteur pour un bouleversement radical de notre système.
LÉA PLANQUART
[4] Les ères permettent de classifier l’échelle de temps géologique. L’évolution de la terre est actuellement découpée en plusieurs éons, composés d’ères, elles-mêmes divisés en périodes, elles-mêmes subdivisées en Epoques. (vous suivez ?)
Les climatologues parlent aujourd’hui d’un seuil (les fameux « +2°C ») à partir duquel la situation deviendrait irrémédiable : montée des eaux, libération du méthane stocké dans la banquise, diminution de l’albédo , et autres surprises climatiques qui pourraient entrainer des réactions en chaine non prévisibles. Aujourd’hui, nous sommes au seuil. Une transformation mondiale sans précédent va découler de la crise environnementale. C’est à l’espèce humaine de se rendre compte de son implication et de prendre ses responsabilités et à agir, collectivement. L’urgence de la situation ne doit pas appeler au renoncement, mais servir de moteur pour un bouleversement radical de notre système.
SOYONS RESPONSABLES! LE STATUT DE LA RESPONSABILITÉ POUR LES GENERATIONS FUTURES DANS LA PENSEE JONASSIENNE
L’air pur que nous respirons, l’eau que nous buvons et que nous utilisons, les prairies ou les forêts qui nous entourent ; nous pensions que tout cela allait perdurer, qu’il s’agissait de ressources inépuisables que nous maîtrisions. La prise de conscience d’avoir cette maîtrise fut, par la suite, celle de la fragilité de notre environnement naturel et de la nécessité de nous en préoccuper. Comment sera notre futur, peut-on encore entrevoir la possibilité même d’un avenir pour les générations prochaines ? Comment sera le monde dans quelques années, confronté au réchauffement climatique qui dérègle notre maison commune, la Terre ?
Ces questions, Hans Jonas, philosophe allemand, les a abordées dans son œuvre Le Principe de responsabilité : une éthique pour la civilisation technologique, en traitant de « la vulnérabilité critique de la nature par l’intervention technique de l’homme une vulnérabilité qui n’avait jamais été pressentie avant qu’elle ne se soit manifestée à travers les dommages déjà causés. Cette découverte, dont le choc conduisait au concept et aux débuts d’une science de l’environnement (écologie), modifiait toute la représentation de nous-mêmes en tant que facteur causal […] la nature de l’agir humain s’est modifiée de facto et un objet d’un type entièrement nouveau, rien de moins que la biosphère entière de la planète, s’est ajoutée à ce pour quoi nous devons être responsables parce que nous avons pouvoir sur lui. » Jonas fut le premier à prôner le besoin d’une éthique de la responsabilité qui fut, par la suite, une des lignes directrices de l’éthique environnementale qui s’est développée dans les années 70 [1]. La poursuite indéfinie de la croissance économique et du développement technologique a conduit à l’épuisement des ressources naturelles, alors que la multiplication des conséquences involontaires et dommageables de nos interventions techniques a entraîné des destructions irréversibles de notre environnement, et un accroissement des risques de catastrophes naturelles [2]. Au croisement d’une ambition de protection de la nature et d’une volonté de prévention des risques est ainsi apparu un souci éthique : nous avons désormais besoin d’un contrôle normatif de nos activités dans la nature. Ainsi, depuis un peu plus d’un quart de siècle, la réflexion morale s’est donné un nouvel objectif : L’ENVIRONNEMENT. Ainsi, le besoin d’une éthique environnementale a été formulé et cela a donné lieu à des débats au cours desquels différentes réflexions en matière d’économie, de politique et
de développement ont émergé : En 1972, le Rapport Meadows (aussi connu sous le nom de Limites à la croissance) appuyé par le Club de Rome [3], a été une des références des débats qui portent sur les liens entre conséquences écologiques de la croissance économique, limitation des ressources et évolution démographique. Ce rapport souligne la nécessité de mettre fin à la croissance afin de préserver le système mondial d’un effondrement envisageable et de stabiliser à la fois l’activité économique et la croissance démographique. Sur le plan économique, les auteurs du rapport évoquent des taxes sur l’industrie, afin d’en stopper la croissance et réorienter les ressources ainsi prélevées vers l’agriculture, les services et surtout la lutte contre la pollution [4]. La Déclaration de Stockholm à l’issue de la conférence des Nations Unies en 1972 est la première à faire de l’environnement une question majeure. Les participants y adoptent une série de principes pour une gestion écologiquement rationnelle de l'environnement. Une des grandes décisions de cette conférence fut la création du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE)[5]. Un des 26 principes de la déclaration est le suivant : « L’homme a un droit fondamental à la liberté, à l’égalité et à des conditions de vie satisfaisantes, dans un environnement dont la qualité lui permettra de vivre dans la dignité et le bien -être. Il a le devoir solennel de protéger et d’améliorer l’environnement pour les générations présentes et futures. » [6] En 1992, réaffirmant la déclaration de Stockholm, la Déclaration de Rio, au Sommet de la Terre, a fait progresser le concept des droits et des responsabilités des pays dans le domaine de l’environnement et du développement. Elle témoigne de deux grandes préoccupations : la détérioration de l’environnement,
[1] L'écologie au cœur de l'éthique contemporaine, Mathieu Blesson, Dans Revue d'éthique et de théologie morale 2013/3 (n° 275), pp. 79-95. [2] Éthiques de l'environnement, Catherine Larrère, Dans Multitudes 2006/1 (no 24), pp. 75-84. [3] Groupe de réflexion réunissant des scientifiques, des économistes, des fonctionnaires nationaux et internationaux, ainsi que des industriels de 52 pays, préoccupés des problèmes complexes auxquels doivent faire face toutes les sociétés, tant industrialisées qu'en développement. [4] https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Limites_%C3%A0_la_croissance [5] https://www.un.org/fr/conferences/environment/stockholm1972 [6] https://www.ldh-france.org/1972-DECLARATION-DE-STOCKHOLM-SUR/
notamment de sa capacité à entretenir la vie et l’interdépendance de plus en plus manifeste entre la pauvreté, le sous-développement et la dégradation de l’environnement [7]. C’est également lors de ce sommet que le PRINCIPE DE PRÉCAUTION fut défini et entériné. Cette disposition expose que, malgré l'absence de certitudes dues à un manque de connaissances techniques, scientifiques ou économiques, il convient de prendre des mesures anticipatives de gestion de risques eu égard aux dommages potentiels sur l'environnement et la santé [8]. La déclaration stipule qu’« en cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement ». [9]
QU’EST-CE QUE L’ÉTHIQUE ENVIRONNEMENTALE ? L’ÉTHIQUE est la partie de la philosophie qui traite des fondements de la morale. L'éthique regroupe un ensemble de règles qui se différencient et complètent les règles juridiques. C'est une réflexion fondamentale sur laquelle, en principe, la morale (en grec ethos) de tout peuple pourrait établir ses normes, ses limites et ses devoirs. Pour des philosophes tels qu'Aristote ou Kant, l'éthique a pour but de définir ce qui doit être en exprimant des énoncés normatifs, prescriptifs ou encore évaluatifs parmi lesquels on trouve des impératifs catégoriques [10]. L’ÉTHIQUE ENVIRONNEMENTALE est une branche de la philosophie de l’environnement [11] et se veut une nouvelle éthique relative à la protection de l'environnement [12]. Cette réflexion philosophique associe les questions morales classiques (qu’est-ce que la valeur ? Comment distinguer le bien et le mal ? Le pluralisme est-il nécessaire ?) et les problèmes contemporains qui font de la nature l’objet d’un débat philosophique [13]. Elle concerne directement, ou indirectement, les rapports entre idéologies, cultures et actions humaines
PRINCIPE DE PRÉCAUTION : Malgré l'absence de certitudes dues à un manque de connaissances techniques, scientifiques ou économiques, il convient de prendre des mesures anticipatives de gestion de risques eu égard aux dommages potentiels sur l'environnement et la santé. (individuelles et collectives) avec l'environnement et les êtres naturels. .
UNE ÉTHIQUE DU FUTUR ? Les premiers signes de destruction de l’environnement, à partir de la révolution industrielle, ont incité Hans Jonas à écrire en 1979 son magnum opus intitulé Le Principe de responsabilité : Une éthique pour la civilisation technologique. Philosophe allemand et auteur de la première grande éthique de la nature du XXe siècle, passionné de biologie et philosophie, Jonas fut révolutionnaire en son temps, car il fut le premier à transposer une éthique du présent à une éthique du futur. Se basant sur l’impératif catégorique de Immanuel Kant [14], Hans Jonas propose son nouvel impératif de l’éthique de la responsabilité : « Agis uniquement d’après la maxime qui fait que tu peux vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle » (Kant)
« Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre » ou « Agis de façon que les effets de ton action ne soient pas destructeurs pour la possibilité future d’une telle vie ». (Hans Jonas)
[7] http://les.cahiers-developpement-durable.be/outils/declaration-de-rio-les-27-principes/ [8] https://www.ecolomics-international.org/epal_2004_1_mbengue_pp1_evolution.pdf [9] En 1995, en droit français, la loi Barnier sur le renforcement de la protection de l’environnement définit le PRINCIPE DE PRÉCAUTION comme : « un principe selon lequel l’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement, à un coût économiquement acceptable ». [10] https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89thique [11] La philosophie environnementale inclut notamment l'éthique environnementale, l'esthétique environnementale, l'écoféminisme et l'écothéologie. [12] https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89thique_de_l%27environnement [13] Introduction, Catherine Larrère, Dans Les philosophies de l'environnement (1997), pp. 5-17. [14] L’impératif catégorique de Kant donne un critère simple de la moralité de nos actions c’est-à dire si, en agissant de la même manière, les hommes voyaient leur sort amélioré, alors ils pourraient conclure à la moralité de leur action.
La base du principe de responsabilité est simple : il faut préférer la persistance de l’espèce humaine (qui n’est qu’un organisme vivant voué à se perpétuer) à son extinction. D’où découle la responsabilité de protéger l’espèce humaine de sorte que les conditions « pour la survie indéfinie de l’humanité sur terre » ne soient pas compromises. Cette éthique tire les conséquences pratiques de cette conscience aiguë d’une appartenance qui solidarise l’homme et son environnement et d’une prise de conscience des menaces d’une extrême gravité qui pèsent sur l’humanité entière. Plus particulièrement, notre génération, qui diffère de celles d’avant, ayant la capacité de s’auto-détruire au vu de ses avancées technologiques. De fait, Hans Jonas pose le problème de la technique dans le monde contemporain : l’homme ne contrôle plus la technique, celle-ci répond en effet à une logique qui lui est propre, et nous ne parvenons plus à freiner cette irrésistible fuite en avant [15]. Que faut-il faire ? L’éthique traditionnelle, fondée sur l’idée de réciprocité (égalité des droits et de devoirs entre sujets libres et égaux) ne fournit aucune indication, car nous n’avons pas de devoirs à l’égard d’êtres seulement potentiels ! L’éthique est donc à repenser et le PRINCIPE DE RESPONSABILITÉ en constituera le fondement ultime : à partir du moment où l’homme a la puissance matérielle de détruire la nature, ses nouvelles responsabilités concernent la perpétuation (devenue incertaine) de l’humanité. La responsabilité est l’ensemble des obligations que nous avons à l’égard d’êtres qui n’existent pas encore et, selon Hans Jonas, il y a responsabilité là où il y a vulnérabilité, c’est-à-dire lorsque des êtres sans défense doivent être protégés afin qu’ils puissent survivre ou tout simplement naître. Son œuvre prend de l’ampleur au dernier chapitre avec sa critique du progrès. De fait, Hans Jonas expose son idée du progrès qu’il nomme « utopie » comme une croyance pouvant être dangereuse et naïve et qu’il faut donc modérer [16]. Son idée de « progrès de la connaissance » qu’il place comme seul réel progrès, est aux antipodes de nos innovations actuelles
dans le domaine de la technique et de l’économie et va à l’encontre de notre responsabilité vis-à-vis de la Terre.
À partir du moment où l’homme a la puissance matérielle de détruire la nature, ses nouvelles responsabilités concernent la perpétuation (devenue incertaine) de l’humanité. Selon Hans Jonas, il s’agit de penser l’appartenance de l’humain au monde des vivants. Mais il en a modifié la compréhension, pensant ensemble la conscience écologique d’une appartenance et l’exigence éthique d’une responsabilité. Jonas pensera les liens entre éthique et métaphysique, écologie et civilisation dans une éthique de la responsabilité [17]. C’est donc indiscutablement pour son éthique qu’il est le plus connu, éthique qui a pu constituer le cadre intellectuel favorisant le principe de précaution, tant de fois invoqué dans le champ politique, aussi bien par exemple pour les questions de santé que pour les questions environnementales [18]. La pensée jonassienne nous donne de l’espoir et nous incite donc à prendre en main notre destin. Il est temps de lutter pour le bonheur commun et la prospérité planétaire, car nous sommes tous concernés, plus particulièrement notre génération et celle du futur. Au niveau politique, cela se traduit dans : La Déclaration sur les responsabilités des générations présentes envers les générations futures, adoptée par l’UNESCO en 1997. L’article 4 de cette Déclaration proclame que « Les générations présentes ont la responsabilité de léguer aux générations futures une Terre qui ne soit pas un jour irrémédiablement endommagée par l’activité humaine.» [19] Le Rapport « Notre avenir à tous » de 1987, où la Commission mondiale de l’environnement et du développement définit le développement durable comme un « développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ». [20]
[15] L’homme, la technique et la vie dans la philosophie de Hans Jonas, Une approche critique, Xavier Guchet, pp. 79-99. [16] L'éthique de Hans Jonas contre l'utopie (marxiste), Charles Boyer, Dans Le Philosophoire 2014/2 (n° 42), pp. 197-213. [17] De la gnose à la responsabilité de Hans Jonas, Critique de l’acosmisme anthropologique, Jean-Philippe Pierron, pp. 145-162. [18] Le sens de la vie chez Hans Jonas, Éric Pommier, Dans Études 2013/4 (Tome 418), pp. 485-495 [19] https://unesco.delegfrance.org/Declaration-sur-les-responsabilites-des-generations-presentes-envers-les [20] https://www.geo.fr/environnement/le-rapport-brundtland-pour-le-developpement-durable-170566
S’ensuit actuellement une nouvelle vague de jeunes militants écologistes aux quatre coins du monde dont la figure emblématique est la jeune Greta Thunberg et, en Belgique, Camille Étienne, Youna Marette, ainsi qu’Anuna De Wever et Adélaïde Charlier, en Allemagne Luisa Neubauer, en Espagne Carlota Bruna et bien d’autres encore. En guise de conclusion, Hans Jonas, via sa reformulation de l’impératif catégorique, pose comme condition une conduite responsable qui vise à permettre à l’humanité et ses générations futures de persister. Cela implique qu’il est de notre devoir de formuler une éthique pour l’espèce, des droits collectifs et non plus individuels, ainsi que prendre conscience des risques d’une organisation sociétale conférant un pouvoir d’extinction de l’humanité à une élite. Une lueur d’espoir apparaît avec la prise de conscience de l’urgence climatique qui devient de plus en plus manifeste. Le documentaire biographique de David Attenborough: A Life on Our Planet est le parfait témoignage, résultant du principe de responsabilité incité par Jonas, qui donne un plan simple mais qui demande l'implication de tous. Notre génération a la responsabilité de sauver et changer le monde.
LAURA LA GIOIA
Hans Jonas, via sa reformulation de l’impératif catégorique, pose comme condition une conduite responsable qui vise à permettre à l’humanité et ses générations futures de persister. Cela implique qu’il est de notre devoir de formuler une éthique pour l’espèce, des droits collectifs et non plus individuels, ainsi que prendre conscience des risques d’une organisation sociétale conférant un pouvoir d’extinction de l’humanité à une élite.
BIOGRAPHIE DE HANS JONAS [21] 10 MAI 1903 – 5 FÉVRIER 1993
Hans Jonas naît en 1903 en Allemagne, quasiment avec le siècle dont il traversera les épreuves qui marqueront sa philosophie. Élevé dans un milieu de confession juive, très impliqué pendant un temps dans le sionisme (idéologie politique fondée sur un sentiment national juif israélien), il recevra l’enseignement de Husserl, de Heidegger et de Bultmann à Fribourg, Berlin, Heidelberg et Marbourg. Il sera proche de Leo Strauss, de Günther Anders et surtout d’Hannah Arendt dont l’amicale fidélité durera toute sa vie. C’est la prise de pouvoir de Hitler en 1933 qui viendra mettre un terme à cette vie d’étudiant passionné qui s’était concrétisée par un travail de doctorat portant sur le sens de la Gnose (courant religieux des débuts de l’ère chrétienne) et dont Heidegger avait accepté la direction. Obligé de fuir, Jonas s’exile à Londres puis émigre en Palestine où il se lie à Gershom Sholem. L’entrée en guerre de l’Allemagne coïncide avec l’engagement militaire de Jonas qui jure de revenir dans son pays sous l’uniforme du soldat d’un pays libérateur : il rejoint des brigades de volontaires juifs sous commandement britannique et qui, avec les alliés, vont lutter contre les nazis en Italie. Les intermittences du combat lui laissent la possibilité de poursuivre son travail de philosophe, ce qu’il fera loin des bibliothèques, notamment dans une correspondance nourrie et savante, à propos de la philosophie de la biologie, avec sa femme Lore. A la fin de la guerre, il revient en Israël et participe aux luttes pour la formation de l’État d’Israël. Entrant dans un pays libéré de la barbarie nazie en 1945, il apprend la mort de sa mère en camp de concentration à Auschwitz. Hans Jonas poursuivra ensuite des activités d’enseignement à Jérusalem et au Canada avant de devenir professeur à la New School for Social Research (qui est une université de gauche, ouverte sur les questions de sciences sociales) de New York en 1955 où il accomplira le reste de sa carrière. Hans Jonas récapitule lui-même les trois « moments » de sa vie : « Ce fut tout d’abord l’effort de relire la Gnose de la fin de l’Antiquité à la lumière de l’analytique existentielle. Ensuite, il y eut la rencontre avec les sciences de la nature sur la voie d’une philosophie de l’organisme. Puis finalement le tournant depuis la philosophie théorique vers la philosophie pratique – c’est-à-dire vers l’éthique – en réponse au défi de plus en plus incontournable de la technique ». [22]
[21] Hans Jonas et les générations futures - Catherine Larrère [22] https://www.cairn.info/revue-etudes-2013-4-page-485.htm
SOLUTIONNISME TECHNOLOGIQUE, FUITE EN AVANT ET PROGRESSISME
« Je ne crois pas que le modèle Amish permette de régler les défis de l’écologie contemporaine »[1]. C’est ainsi qu’Emmanuel Macron justifiait le déploiement massif de la 5G sur le territoire français en septembre dernier. Au-delà du fait que la 5G n’aidera pas, elle non plus, à régler la crise climatique[2], cette phrase est doublement intéressante. Premièrement par qu’elle illustre cette foi en une technologie salvatrice si répandue aujourd’hui dans le discours politique dominant. Le problème climatique est vu ici comme un problème technique, où il suffirait de développer les technologies adéquates pour contrer toute crise écologique à venir. Ce « solutionnisme technologique » sera l’objet de la première partie de cet article. Deuxièmement, Emmanuel Macron démontre ici sa foi inébranlable par rapport au progrès en général, et affiche son mépris des technocritiques, décroissant·e·s et autres promoteurs·rices des low-techs. Le progressisme et son apparente neutralité seront les thèmes abordés dans la seconde partie de cet article. Nous allons tenter de comprendre pourquoi ni la technologie ni le progressisme tant loué par l’hégémonie capitaliste ne nous sauveront pas de la crise climatique à venir ; Et comment remettre en question ces notions pour imaginer de réelles alternatives.
LE « SOLUTIONNISME TECHNOLOGIQUE » Dans son livre To save everything, click here, Evgeny Morozov dresse un portrait sombre de la Silicon Valley et de ses gourous, démontrant de manière convaincante « la folie du solutionnisme technologique ». Le solutionnisme technologique selon Morozov est cette croyance des entrepreneur·e·s et politiques à penser la technique[3] comme la seule solution aux problématiques actuelles. Concrètement, cela suppose qu’à tout problème donné, lui correspond une technologie[4] qui serait capable de résoudre ce problème complètement. Les applications de ce principe, une fois intégrées, n’ont de limites que celles de l’imagination. Pas assez de rationalité dans le vote des citoyens ? Qu’iels confient leur droit à un algorithme non-influençable, qui votera nécessairement dans l’intérêt du particulier parce que connaissant ses intérêts mieux que lui-même. Réchauffement climatique ? Un champ d’étude y est entièrement consacré : la géo-ingénierie. Celle-ci propose notamment de pulvériser des particules de soufre réfléchissantes dans la haute atmosphère, ou encore de déployer un bouclier solaire spatial pour dévier les rayons solaires[5], avec le soutien financier de milliardaires tels que Bill Gates ou Richard Branson. [6]
Le diable se cache dans les détails. Car audelà de poser des questions importantes, ces solutions toutes faites soulèvent généralement d’autres problèmes de par leur propre action. Cela s’explique d’une part via les choix philosophiques et politiques opérés (inconsciemment ou non) derrière toute technologie, et d’autre part via les limites intrinsèques à celles-ci. Ainsi, développer des solutions au réchauffement climatique sans remettre en cause le système de production qui en est sa principale cause, c’est un choix politique. Aussi, toute solution technologique admet ses externalités, c’est pourquoi même les chercheurs partisans de la géo-ingénierie considèrent souvent qu’il ne s’agit que d’une mesure supplémentaire et non d’une réelle alternative. Mais le solutionnisme technologique a bien un avantage de taille : celui de réduire le champ des solutions possibles à celles qui sont profitables, car élaborées sur base d’une innovation brevetée et dont la diffusion sera commerciale. Pour ce faire, une simplification de la réalité (consciente ou non) est d’abord opérée par les partisan·e·s[7], qui permet de redéfinir les enjeux climatiques, sociaux et technologiques. Et ce afin d’y écarter toute réponse allant à contre-courant de l’idéologie capitaliste de progrès. Ainsi biaisée, le chemin est tout tracé, et la solution la plus désirable selon les nouveaux critères répond aux plus strictes exigences de profitabilité.
[1] extrait vidéo ici : https://www.leparisien.fr/politique/emmanuel-macron-et-la-pique-sur-les-amish-le-president-passe-en-mode-campagne-1509-2020-8384877.php [2] Pour plus d’informtions : https://jancovici.com/publications-et-co/articles-de-presse/faut-il-faire-la-5g/ [3] Ici, ce terme est utilisé dans le sens d’ « un procédé technologique ». [4] Cette technologie n’est pas toujours existante mais est estimée accessible (via des investissements suffisants en recherche et développement) [5] plus d’explications ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Géo-ingénierie#Augmentation_de_la_quantité_d'aérosols_dans_l'atmosphère [6] Pour en savoir plus : https://blogs.mediapart.fr/emmanuelglais/blog/290420/bill-gates-et-les-scientifiques-de-la-geo-ingenierie-guardian-2012
Pour mieux comprendre cette opération, prenons un nouvel exemple, celui de la mobilité. Une mobilité du futur plus verte et responsable est un objectif partagé par beaucoup d’acteur·rice·s de tous horizons. À en croire Elon Musk, symbole de la réussite entrepreneuriale et idole de tout wanna-be startupper, la solution réside dans une voiture électrique autonome pour toutes et tous, ainsi que dans la création de tunnels souterrains pour les accueillir[8]. La solution est de prime abord alléchante. Plus de moteurs à essence, un risque d’accident grandement réduit et moins d’embouteillages, toutes ces choses s’inscrivent dans l’objectif affiché. Mais est-ce vraiment une solution désirable ? Creusons un peu : si l’on part du postulat que la voiture individuelle est quelque chose de nécessaire, y compris en centre-ville, alors Elon Musk se rapproche d’un idéal en termes de mobilité. Mais n’est-ce pas manquer cruellement d’imagination que de se calquer sur un modèle de mobilité contemporaine extractiviste et anti-écologique afin d’en améliorer les composantes ? Existe-t-il d’autres modèles beaucoup plus soutenables et souhaitables pour la circulation de demain ? La réponse est oui, dans une réforme des transports publics, une transformation de l’espace urbain et des déplacements réduits par exemple. Pour que de telles solutions émergent, il faudra plus qu’un nouveau constructeur automobile ou une Boring Company qui creuse des tunnels de métro pour y mettre des véhicules individuels. L’enjeu est crucial et le système actuel ne conduit qu’à des idées tièdes et des solutions tristement hyperextractivistes. Admettre la complexité d’une thématique, c’est d’abord cesser de faire un « état des lieux » en considérant uniquement une collection de faits inaltérables et d’informations pseudo-neutres, et se préoccuper des conditions d’émergence de ces informations, ainsi que du milieu dans lequel elles naissent et évoluent. Car le contexte philosophico-politique qui produit la connaissance transforme et prédétermine déjà ses usages.[9]
Mais le solutionnisme technologique a bien un avantage de taille : celui de réduire le champ des solutions possibles à celles qui sont profitables, car élaborées sur base d’une innovation brevetée et dont la diffusion sera commerciale. Dans ce cas précis, partir avec des données telles que « la consommation moyenne d’une voiture à combustion », « le nombre de personnes prêts à passer à l’électrique moyennant prime écologique » et « la taille potentielle du marché de la voiture en 2050 » oriente déjà le débat. Pas parce que ces informations sont fausses, mais bien parce qu’elles relèvent toutes d’un fétichisme de la voiture individuelle par rapport à tous les autres moyens de mobilité possibles. Dans ce cadre, une solution impliquant moins de déplacement ou une nouvelle ligne de métro est nécessairement mise à l’écart avant même d’être envisagée.[10] Dans un système néolibéral, une solution souhaitable sera une solution profitable, élaborée avec un ensemble de contraintes et de suppositions qui serviront d’axiomes pour maximiser le retour sur investissement. Dès lors une « optimisation » du transport ou d’un autre système, fût-elle élaborée par le biais des big datas avec les meilleurs algorithmes ne conduira qu’à des améliorations tout au plus insuffisantes face à l’ampleur des défis climatiques et sociaux à relever. Néanmoins, le solutionnisme technologique n’est qu’un symptôme d’un mal beaucoup plus profond. Car cette croyance découle d’un biais de sympathie envers ce que l’on appelle encore communément le progrès.
[7] Les promoteur·rice·s du solutionnisme technologique en général (entrepreneur.e.s, politiques, investisseur.euse.s en tout genre). [8] à propos de Tesla : https://www.tesla.com/autopilot ; à propos de The Boring Company : https://www.boringcompany.com/projects [9] À ce sujet, voir Bruno Latour, 2004, Why Has Critique Run out of Steam? From Matters of Fact to Matters of Concern, The university of Chicago, disponible via ce lien : http://www.bruno-latour.fr/sites/default/files/89-CRITICAL-INQUIRY-GB.pdf [10] Cet exemple est bien sûr simpliste et vise uniquement à illustrer les explications sur les choix philosophico-politiques à l’oeuvre dans le système informationnel.
LE PROGRESSISME Selon le Larousse, le progrès peut se définir de plusieurs manières[11] : 1. Transformation vers le mieux dans un domaine particulier, évolution vers un résultat satisfaisant, favorable 2. Évolution régulière de l’humanité, de la civilisation vers un but idéal 3. Fait d’avancer, mouvement en avant, progression Selon la première définition, une notion positive lui est associée, et c’est le plus souvent dans ce sens-là qu’il est utilisé. La deuxième définition indique quant à elle un but idéal d’une société en particulier, impliquant implicitement que cet objectif est souhaitable. Enfin, la troisième fait référence au mouvement ainsi qu’à sa direction, sans spécifier ni la nature positive ou négative de celle-ci ni son but. Si l’on devait définir le mot tel qu’il est utilisé par les dominant·e·s[12] dans la société contemporaine, c’est cette troisième définition qui l’emporterait sur les autres. Car le progrès tel que prôné par les dominant·e·s n’est qu’une représentation naïve et grotesque de ce qu’il conviendrait plus d’appeler une fuite en avant. La 5G, l’« Internet of things », les « big data », pour citer trois éléments parmi une multitude d’autres, ne sont que des produits profitables d’une innovation qui repose toujours sur un système insoutenable. De fait, ces innovations ne font qu’augmenter notre utilisation de ressources et d’énergie, à contresens de toute stratégie écopolitique réaliste. Il est utile à ce stade de rappeler que ces ressources[13], si précieuses pour le maintien du mode de vie occidental se font de plus en plus rares. Résoudre un problème avec une solution employant autant voire plus de ressources est une aberration. D’aucun·e·s conviendront que les bienfaits d’un frigo connecté, d’une énième pub ciblée ou d’une connexion internet plus
rapide ne compensent aucunement l’exploitation humaine, le pillage de ressources précieuses ni la consommation accrue qu’iels engendrent. Les gains sont superflus ; les pertes s’accumulent. En effet, tout n’est pas bon à prendre dans le champ des possibles technologiques. Ce qui devrait sembler être une évidence devient totalement contre-intuitif pour le·a citoyen.ne lambda ; iel qui est constamment baigné·e dans un techno-progressisme et une destruction créatrice[14] si nécessaires à la relance d’un système sans cesse à bout de souffle. Si le progrès est technique, il est avant tout humain. Dès lors une technologie qui n’aide ni à l’émancipation de l’humain ni à son bonheur ou sa résilience devrait à minima faire l’objet d’un examen critique avant son déploiement. Nous pourrions alors considérer le progrès dans sa première définition, celle d’une évolution positive, au moyen d’une technique libératrice. Cependant, force est de constater que le couplage technologie-pouvoir aujourd’hui est plus fort que jamais. Loin de se rapprocher de cette définition, notre innovation aujourd’hui sert bien souvent à concentrer plus de pouvoir au sein d’une poignée de mains toujours plus fermes. Cette concentration définit les conditions d’utilisation et de développement de la technique future, nous éloignant toujours plus d’un progressisme au sens véritable, humain du terme. C’est pourquoi une véritable stratégie écopolitique doit se défaire de l’idée naïve du progrès qui est celle du capitaliste contemporain.
POUR UN NOUVEAU PROGRESSISME Celui qui critique l’innovation technique s’expose toujours aux mêmes réactions binaires des partisans du progrès naïf. Si l’on n’encourage pas la fuite en avant, c’est nécessairement que l’on prône un retour en arrière. Cette vision unidimensionnelle de la technique est réductrice et empêche tout débat sur la question technologique. Voir le
[11] Les définitions sont à retrouver ici : https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/progrès/64212 [12] J’utilise ici le terme dans sa définition sociologique (Farlex, 2009) : "a social group that controls the value system and rewards in a particular society ». [13] Ressources pour notre énergie (charbon, pétrole, gaz etc) mais aussi pour ce que nous fabriquons (lithium, coltan etc) [14] « La destruction créatrice est le processus de disparitions d’activités productives remplacées par de nouvelles activités du fait du progrès technique », pour plus de détails consulter le site https://ses.webclass.fr/notions/destruction-creatrice/, dont cette définition est tirée. [15] Sur la difficulté à concevoir une autre idée de progrès, voir l’interview récente de Francois Jarrige dans Mediapart : https://www.mediapart.fr/ journal/culture-idees/280920/le-modele-amish-vaut-il-mieux-que-le-modele-start
progressisme de cette manière, c’est accepter avec fatalisme tout ce qui est proposé, parce que l’on est « pour le développement technologique en général », « qu’on ne choisit pas la direction du progrès », ou encore « que celui-ci œuvrera toujours pour le bien de toutes et tous ».[15]
Le couplage technologie-pouvoir aujourd’hui est plus fort que jamais. Loin de se rapprocher de cette définition, notre innovation aujourd’hui sert bien souvent à concentrer plus de pouvoir au sein d’une poignée de mains toujours plus fermes. Or nous venons de montrer que le progrès n’est pas au-dessus de toute critique. Il est non seulement critiquable, mais sa trajectoire est, elle, modifiable. Le progressisme reflète ce que notre civilisation considère comme aidant à nous émanciper, à mieux vivre ensemble, à aspirer à une vie meilleure. Sa direction est donc loin d’être arbitraire et dépend in fine des choix que l’on effectue, choix guidés par nos croyances politiques, scientifiques, philosophiques. Nos choix communs déterminent chaque jour ce à quoi ressemblera le monde de demain. Les directions possibles du progrès sont de fait presque infinies, et une critique écologique et sociale de la direction actuelle est non seulement possible, mais nécessaire. Ainsi, il était important de s’indigner lorsque « le progrès » était synonyme de course à l’armement nucléaire au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Car il était évident que ce type de progressisme ne mènerait aucunement l’humanité dans une direction propice à une émancipation ou un bonheur humain accru. De la même manière que la volonté de suprématie militaire a pu influencer notre innovation, le désir de profitabilité, pinacle de notre système capitaliste, influe aussi sur nos choix communs. S’il est possible pour le progrès d’adopter un but militaire et capitaliste, il peut prendre une multitude d’autres directions. Par exemple, il est tout à fait possible de redéfinir le progrès en prenant en compte la finitude de nos ressources, les conditions dans lesquelles celles-ci sont extraites et l’impact de leur utilisation. Vu sous cet angle, l’innovateur·rice
sera celle ou celui qui développera des solutions écologiques et sociales à long terme, loin d’un impératif de rentabilité. La question ne sera plus de savoir comment augmenter le débit du flux de données de la 5G, mais si nous sommes prêts à payer le coût écologique d’une vitesse accrue dans tel ou tel contexte, ou encore d’imaginer d’autres solutions pour les situations considérées. En d’autres mots, la question centrale est la suivante : quelles concessions sommes-nous prêts à faire pour obtenir un résultat désirable selon notre définition du progrès ? Cette question est à peine abordée aujourd’hui. Continuons avec l’exemple de la 5G : au-delà de la vitesse, les politiques jouent aussi sur la peur d’un retard technologique vis -à-vis des autres pays (et la perte d’emploi qui suivrait irrémédiablement) pour justifier le déploiement massif de cette technologie sur nos territoires. En martelant aveuglément qu’il n’y a pas d’alternative (le fameux TINA) et qu’il faut suivre « le cap », iels démontrent leur incapacité à penser un progrès qui ne mène pas tout droit à une catastrophe écologique et sociale. C’est pourquoi ajouter d’autres dimensions au progressisme, le voir comme un ensemble continu de choix collectifs et non comme une ligne indépendante de la volonté humaine est essentiel pour pouvoir questionner nos modèles et se réinventer. Être technocritique, ce n’est pas idéaliser la société du passé ; c’est choisir celle du futur. À ce titre, je propose que nous nous réclamions d’un nouveau progressisme, c’est-à-dire d’un progrès choisi, consenti et tenant pleinement compte des aspects sociaux, climatiques et énergétiques. Concrètement, cela se traduit par des choix en accord avec nos convictions et nos besoins. Et en attendant des propositions valables, cela consiste d’abord en un refus des innovations superflues que l’on nous vend par impératif financier au détriment de tout le reste. Refuser, c’est déjà faire de la place pour réfléchir à d’autres façons de faire, se poser la question de comment faire autrement, de manière plus respectueuse et inventive. Imaginer et mettre en place des alternatives (si besoin est), s’auto-organiser afin de marcher dans la nouvelle direction choisie est alors possible. Bien que possible, cette auto-organisation se
[15] Sur la difficulté à concevoir une autre idée de progrès, voir l’interview récente de Francois Jarrige dans Mediapart : https://www.mediapart.fr/ journal/culture-idees/280920/le-modele-amish-vaut-il-mieux-que-le-modele-start
heurte très vite au problème de la démocratisation des choix à effectuer. Il serait bien naïf de croire que le pouvoir de choisir est réparti équitablement entre toutes et tous. Comme mentionné plus haut, la relation technologie-pouvoir ne fait que s’intensifier, tout comme la concentration de capital économique nécessaire aux changements à grande échelle. Dès lors, reprendre le contrôle collectif de nos choix technologiques devient une nécessité. Les moyens d’y parvenir sont en dehors de la portée de cet article, mais il est évident que sans un changement radical de système politico-économique les chances d’y parvenir sont minces. Cette dernière constatation peut paraître pessimiste. Néanmoins, sortir de cette vision naïve de progrès, c’est déjà se défaire d’une des illusions les plus tenaces du système qui nous a produits. C’est arracher le monopole du développement technologique bienveillant aux promoteurs·rices de l’état policier et du capital prédateur. C’est aussi penser des alternatives sans tomber dans le manichéisme qui polarise les débats sur le progrès. Enfin, c’est poser les bases d’un système résilient qui considère la technique pour ce qu’elle est, comme un outil potentiellement émancipateur et non une panacée à tous nos maux. Pour un nouveau progressisme ambitieux, anautoritaire, écologique, libérateur, humain.
.
JONATHAN VANDESCOTTE
« Sortir de cette vision naïve de progrès, c’est déjà se défaire d’une des illusions les plus tenaces du système qui nous a produits. C’est arracher le monopole du développement technologique bienveillant aux promoteurs·rices de l’état policier et du capital prédateur. C’est aussi penser des alternatives sans tomber dans le manichéisme qui polarise les débats sur le progrès. Enfin, c’est poser les bases d’un système résilient qui considère la technique pour ce qu’elle est, comme un outil potentiellement émancipateur et non une panacée à tous nos maux. »
UN AUTRE RÉCIT DE LA NATURE
[1] http://www.fao.org/3/a-I4581E.pdf#page=54 [2]https://docs.google.com/document/d/1vfHZQ_yF08vndJGAqLlQBetqCpVLJUNIVqhszWrOdIE/edit?usp=sharing [3] https://statbel.fgov.be/fr/themes/agriculture-peche/animaux-abattus#panel-13 [4] http://www.fao.org/news/story/en/item/40893/icode/ [5] Une définition entendue dans le podcast de Présage dédié à Alessandro Pignocchi. [6] Toujours selon l’auteur (entre-autre) de la BD « Petit traité d'écologie sauvage ».
Il y a les chiffres, les centaines de millions de tonnes de viandes produites [1], les dizaines de milliards d’animaux élevés [2] (presque 300 millions de volailles abattues en Belgique en 2019 [3]), les dizaines de millions d’hectares de forêt détruits [4]. Il y a les images, celles des abattoirs, celles des incendies, celles des famines, celles des inondations et des sècheresses, mais surtout une attitude, une attitude de destruction, d’extermination, d’exploitation. La nature, dans les sociétés occidentales, est un bien de consommation, un lieu de production ou un sanctuaire à épargner. La nature est toujours un objet, car elle s’inscrit en dehors de la culture, on la consomme, la protège, l’exploite. La distinction entre nature et culture n’est pourtant pas si absolue, elle n’est pas l’apanage de toutes les sociétés, de tous les systèmes moraux. Devant l’ampleur de la crise qui nous attend, il est peut-être temps de prendre du recul sur des schémas de pensée trop peu questionnés. Déconstruire les sous-entendus, les non-dits, écouter les autres perspectives, (re)penser l’égalité, établir des rapports de forces sont des pistes pour lutter contre l’exploitation et l’extermination de la nature.
LA COSMOLOGIE OCCIDENTALE La séparation entre nature et culture fait partie de la cosmologie occidentale, un terme utilisé ici dans le sens qu’Alessandro Pignocchi lui donne comme étant « l’ensemble des structures mentales partagées les plus fondamentales qui organisent les rapports au monde d’un peuple »[5]. Une autre structure mentale serait par exemple la distinction basée sur le genre. Ces structures, intégrées par habitude, ont besoin d’être remises en cause pour devenir des objets de pensée. Sans cette démarche, elles ne sont pas contestées, car elles apparaissent comme naturelles, logiques et objectives [6]. Pour arriver à comprendre à quel point ce discours est omniprésent dans nos sociétés, il faut déconstruire ces structures mentales en multipliant les points de vue divergents. Ce reflet de la réalité, qui n’en est qu’un parmi tant d’autres, fonde toute une série de concepts comme celui de progrès, de travail ou encore de liberté et d’abondance [7]. Les humains sont la culture et les non-humains sont la nature et nous exerçons notre domination en transformant la nature en objet et en lui refusant un statut de sujet. Cette construction se retrouve partout dans le monde capitaliste et notamment dans la pensée écologique mainstream [8].
CRITIQUE DU MOUVEMENT ÉCOLOGIQUE MAINSTREAM [9] Un mot semble faire de plus en plus l’unanimité dans la lutte écologique : le climat. Les marches pour le climat, la lutte pour le climat, la résistance climatique ou les victoires climatiques, voilà aujourd’hui le vocabulaire le plus utilisé lorsqu’on parle de la crise écologique [10]. Cette focalisation autour du dérèglement climatique se fait au détriment de la biodiversité, de la destruction des sols, des océans … Et s’il rencontre autant de succès, c’est que ses effets sont visibles et se font déjà ressentir directement par les Occidentaux : sècheresses, canicules, incendies, pertes de rendement, épuisements des ressources.
Pour répondre à cette problématique, le grand objectif annoncé du pacte vert européen ou EU Green Deal est la neutralité carbone. Cet objectif se concentre sur les GES (gaz à effet de serre), mais surtout il véhicule l’idée que le CO2 émis par les activités humaines pourrait être absorbé ou compensé. Une idée qui légitime la « compensation carbone », une stratégie de greenwashing de beaucoup d’industriels [11].
[7] Voir la vidéo de Game of hearth « ÉCOPO - Pierre Charbonnier, Abondance et liberté ». [8] « Massivement populaire, grand public, suivi et accepté par la masse. » fr.wiktionary [9] Une critique basée sur les deux articles suivants https://www.vert-resistance.org/actualites/pour-une-resistance-socioecologiste-radicale/? https://floraisons.blog/pour-une-ecologie-radicale/ [10] https://reporterre.net/Resistance-climatique-c-est-le-moment [11] https://www.youtube.com/watch?v=kZvF-5DsxcE
Loin d’être sortie d’un point de vue anthropocentrée, cette vision de la lutte écologique aurait pour but de réguler la planète, contrôler le climat pour nous permettre de conserver nos modes de vie. La nature loin de ne plus être un objet reste ici une ressource qu’il faut préserver pour continuer à l’exploiter.
Aujourd’hui, cet objectif est partagé par l’UE et un tas de groupes industriels, mais aussi par des mouvements écolos [12]. Or, il contribue à ne pas remettre en cause les structures économiques. Loin d’être sortie d’un point de vue anthropocentrée, cette vision de la lutte écologique aurait pour but de réguler la planète, contrôler le climat pour nous permettre de conserver nos modes de vie. La nature loin de ne plus être un objet reste ici une ressource qu’il faut préserver pour continuer à l’exploiter. Sauvons le grand poumon de la planète, préservons nos récoltes … Le concept de décroissance s’inscrit (parfois) lui aussi dans cette optique : il faut moins produire, car il y a une limite aux ressources sur terre. La terre est vue ici comme un grand-supermarché dans lequel il s’agirait d’arrêter de voler les stocks des années à venir. Ces imaginaires ne sont pas sans conséquences politiques ou morales : ils permettent de ne pas remettre en cause nos structures économiques et politiques [13]. Pour construire un imaginaire dépollué de l’omniprésence de ce rapport mortifère avec la nature, il existe aujourd’hui plusieurs outils qui méritent de s’y attarder.
UN RAPPORT UNIVERSEL ? Pour déconstruire une cosmologie, quoi de mieux que de la comparer à une autre ? L’anthropologie permet un pas de côté, de prendre de la hauteur et du recul. En comparant les mécanismes d’un groupe avec un autre, cette discipline nous permet de mieux comprendre les structures internes qui organisent notre rapport au monde.
Pour différencier les différents points de vue, intéressons-nous aux rapports d’intériorité et d’extériorité entre humains et non-humains. Notre vision, appelée le naturalisme, refuse une intériorité aux non-humains, incapable de parler, de penser, de réfléchir, mais trouve une unicité dans le monde physique. Pour mieux comprendre, prenons l’image du perroquet. Le perroquet est capable de reproduire des mots, il répète l’humain. Il n’est en revanche pas capable de créer son propre langage. S’il n’a pas les capacités intellectuelles ou morales de l’humain, il a cependant des capacités physiques qui le rapprochent de nous, qui nous rappellent à nous. Le monde n’est qu’un, mais seul l’humain à la capacité de gérer ce monde, de l’organiser, de le juger. Comme contrepoint à cette vision, l’animisme semble le plus approprié [14]. En effet, les achuar·e·s par exemple, une population amazonienne, considèrent que les non-humains (y compris les plantes) possèdent une intériorité similaire à celles des humains. Iels sont considéré·e·s comme des sujets, des partenaires sociaux. Les rapports sont basés sur le don, l’échange et la prédation. L’humain peut être un prédateur, car sa propre survie peut nécessiter la mort d’un non-humain. Dans nos modèles agricoles ou d’élevages, les animaux ou les végétaux sont niés comme sujets, ils sont créés, transformés et consommés. Il n’y a pas de relation de prédation, car la victime est niée. Les animistes établissent en revanche une séparation physique. Les humains et nonhumains ne sont pas forcément amenés à vivre dans les mêmes espaces, mais c’est la rencontre entre les humains et non-humains dans l’espace physique et l’existence de part et d’autre d’une intériorité, qui va régir leur rapport. Chez les naturalistes, l’intelligence, la conscience et la capacité qui n’est reconnue qu’aux humains permettent de régir de manière totalisante le monde et d’exercer la domination de l’humain sur la nature [15]. La pensée naturaliste, loin d’être universelle, a permis de légitimer moralement la souffrance qu’on inflige aux animaux. Le spécisme était né.
[12]https://www.partage-le.com/2019/10/12/a-propos-dextinction-rebellion-partie-1-zero-emission-nette-par-kim-hill/ [13] Comme en témoigne la description du pacte vert européen « Le changement climatique et la dégradation de l’environnement constituent une menace existentielle pour l’Europe et le reste du monde. Pour y faire face, l’Europe a besoin d’une nouvelle stratégie de croissance qui transforme l’Union en une économie moderne, compétitive et efficace dans l’utilisation des ressources ». https://ec.europa.eu/info/strategy/priorities-2019-2024/ european-green-deal_fr [14] Il existe d’autres cosmologies relatives à la nature : le totéisme, l’analogisme qui ne seront pas abordés ici, mais preuve supplémentaire de l’absence d’universalité chez l’humain dans ses rapports à la nature.
L’ANTISPÉCISME ET LA SENTIENCE
RÉCITS ET LUTTE
Le spécisme est une idéologie qui se base sur une distinction faite entre les espèces pour justifier une hiérarchisation entre celles-ci. Cette hiérarchisation se fait donc entre les humains et les animaux, mais aussi à l’intérieur des animaux, un chien n’ayant pas le même statut qu’une vache par exemple. Cette distinction se base sur l’idée que l’humain serait seul capable « d’intelligence », servant à légitimer moralement la domination et la souffrance infligée à ce qui n’est pas humain ou pas vraiment humain. Il serait mal de faire du mal à ce qui est intelligent.
Réfléchir à nos rapports et comprendre les mécanismes de domination invite à opérer un basculement dans la vision de la lutte écologique. Lutter pour la nature, ce n’est pas négocier, argumenter ou convaincre celles·eux qui l’exploitent, la marchandisent et la détruisent. Une guerre est menée contre le vivant. Il n’y aura pas de capitalisme vert, car le capitalisme implique la croissance, la croissance des biens et des services. Il n’y aura pas de plan écologique ambitieux mené par des organisations qui prônent cette même croissance. Il n’y aura de lutte écologique que celle qui s’émancipe de ces récits.
Le mouvement antispéciste critique ce critère d’intelligence et propose celui de sentience. La définition de ce mot est rentrée dans le Larousse 2020 comme étant « pour un être vivant, capacité à ressentir les émotions, la douleur, le bien-être, etc. et à percevoir de façon subjective son environnement et ses expériences de vie. » Dans ce système moral, il serait mal de faire du mal à ce qui ressent la souffrance. Le but moral serait de minimiser la souffrance [16].
Mais les récits seuls ne suffiront pas. Les acquis sociaux se sont construits dans des rapports de force avec les dirigeant·e·s. Il faudra agir, construire des alternatives à ces modèles, occuper des terres et rentrer en conflit avec le système qui exploite et extermine les vivants.
TOM BLONDIAU
Certain·e·s font du spécisme une critique plus poussée encore, voyant dans les rapports de domination, des mécanismes qui se reproduisent ailleurs. « La perception, la considération et le traitement des animaux comme des choses – des objets inertes, dominables, exploitables, manipulables, exterminables – peuvent être considérés comme le modèle général de toutes les disqualifications, réifications, marchandisations qui investissent le monde des humains et du social. » [17]
[15] Pour aller plus loin : Philippe Descola, « Les animaux et l’histoire, par-delà nature et culture », Revue d’histoire du XIXe siècle ; Philippe Descola, « À qui appartient la nature ? », La Vie des idées, 21 janvier 2008. ISSN : 2105-3030 ; Thomas Lerosier, « Philippe DESCOLA, Par-delà nature et culture », Questions de communication ; Philippe Descola, « Le Grand Partage », EcoRev', vol. 47, no. 1, 2019, pp. 131-137 [16] Demos Kratos « La PIRE ERREUR du Mouvement Écologiste ! » [17] Rivera, Annamaria. « Sexisme, racisme, spécisme : notes introductives à une dialectique complexe », Daniela Cerqui éd., Mélanges en l’honneur de Mondher Kilani. BSN Press, 2015, pp. 133–144.
L’ETAT D’EXCEPTION EN TANT QUE PARADIGME DE GOUVERNEMENT
Depuis le début de la crise Covid, nous avons observé des scènes peu imaginables : port du masque obligatoire, mise à l’arrêt complet du pays, confinements, couvre-feux et restrictions en tout genre. Certes, la sortie de toute crise nécessite la prise de mesures fortes (pour ne pas dire radicales), dans le respect des principes légaux établis, et ce pour garantir la sécurité publique. Néanmoins, force est de constater que la limite à ne pas franchir pour malmener nos droits les plus fondamentaux est ténue. Si la « crise » que nous vivons actuellement et les mesures qui en découlent nous semblent inédites, certain·e·s les analysent comme la continuité d’un mode de gouvernement déjà appliqué depuis plusieurs années, système caractéristique de notre société moderne : l’état d’exception.
L’ÉTAT D’EXCEPTION, LA SOUVERAINETÉ MODERNE ET LA « VIE NUE » L’ « état d’exception » est une notion qui décrit la situation où certaines normes et/ou garanties juridiques sont suspendues afin de faire face, de façon temporaire, à une circonstance exceptionnelle [1]. « Là où, en temps « normal », l’État veille à maintenir un certain équilibre entre les libertés et les restrictions découlant de l’exercice du pouvoir, c’est une dynamique différente – assez paradoxale, où le droit suspend le droit – qui prend effet lorsqu’il est question de faire face à une crise. » Théorisée notamment par le philosophe italien Giorgio Agamben dans ses ouvrages Homo Sacer, cette mise à mal du droit est analysée comme un fondement caché de la souveraineté moderne, dans laquelle l’Etat peut décider de façon arbitraire de suspendre le droit et, de même, d’instaurer un nouveau droit. Au-delà de la simple analyse politico-juridique, Agamben se questionne sur le lien entre le droit, l’exception et la vie et dit « l’exception est le dispositif original grâce auquel le droit se réfère à la vie et l’inclut en lui du fait même de sa propre suspension » [2]. Lorsque nait la situation d’exception, le droit « s’imprègne » de la vie et tend à la réduire à sa simple conception biologique. C’est là que nait ce qu’il appelle « la vie nue » [3].
Si Agamben en démontre l’existence évidente dans l’exemple du camp nazi [4], le rapprochement entre la « vie nue » et l’état d’exception peut être observé non plus seulement dans un régime totalitaire, mais bien dans une démocratie moderne. En effet, l’état d’exception y devient un principe mis en œuvre de façon continuelle par la société, au moyen de la décision d’autorité, que la limite entre politique usuelle et d’exception s’estompe. L’exception devient alors la règle, un paradigme normal de gouvernement de l’État moderne [5].
L’IMPORTANCE DE LA QUALIFICATION ET L’UTILITÉ DE L’EXCEPTION La première étape à l’application d’un régime d’exception est la reconnaissance d’une situation « urgente » ou, plus globalement, d’une « crise ». En effet, la particularité de l’état d’exception, c’est que la qualification de cet état ne peut avoir lieu au préalable : c’est au moment même de la prise de décision arbitraire qu’il nait. C’est lorsque certains faits sociaux sont désignés ou présentés comme « urgents » que les gouvernements s’autorisent à appliquer un régime dérogatoire et mettent dès lors en place un traitement d’exception. Cette qualification est donc cruciale : elle déterminera non seulement la façon dont le problème sera traité, mais aussi les acteurs qui seront en jeu, les ressources qui seront attribuées et les mesures qui seront prises [6].
[1] https://www.universalis.fr/encyclopedie/etat-d-exception/ [2] G. AGAMBEN, Homo Sacer, II, L’état d’exception, 2003, Paris, Le Seuil, p.10. [3] S. HAYAT et L. TANGY, « Exception(s) », Tracés. Revue de Sciences humaines, 2011, mis en ligne le 16 mai 2011, consulté le 18 novembre 2020. http:// journals.openedition.org/traces/5035, 5-7. [4] G. AGAMBEN, Homo Sacer, III, Ce qui reste d’Auschwitz, 1998, Paris, Payot et Rivages. [5] G. AGAMBEN, Homo Sacer, I, Le pouvoir souverain et la vie nue, Paris, Le Seuil, p.27. [6] S. HAYAT et L. TANGY, op.cit., 11.
Sur la question de l’utilité des politiques d’exception, deux finalités sont observables. Tout d’abord, l’histoire nous enseigne que, souvent, les états ayant appliqué une politique d’exception l’ont fait dans une optique de conservation de la sécurité de la société en question. C’était en même temps un moyen de maintenir et accroitre le pouvoir en place, comme le démontre par exemple le cas des seigneurs de l’Ancien Régime, qui octroyaient notamment des privilèges ou des exemptions à certains individus, permettant à la fois d’asseoir leur pouvoir et d’étendre le champ d’action de l’administration de l’État [7]. Ensuite, il peut également exister des régimes d’exception qui ont un objectif de transformation. C’est par exemple le cas des mesures de discriminations positives qui ont pour objectif elles de défaire des pratiques enracinées dans une société donnée. Elles visent alors à un changement de l’ordre en vigueur pour un ordre plus en adéquation avec l’évolution que l’on tend à donner à la société [8].
La qualification de crise d’une situation n’est donc pas un simple constat de fait, c’est un réel choix politique.
L’EXCEPTION ET LE CONTEXTE DE LA CRISE COVID-19 Les contours de la notion ainsi posés, il est possible de nous questionner sur ceux-ci à la lumière des évènements que nous vivons actuellement sous la crise Covid-19. Il n’est évidemment pas question ici de nier l’existence de la pandémie, ni de remettre en question sa gravité, mais plutôt de nous interroger sur l’impact qu’a eu la qualification de cette situation en tant que « crise », et plus globalement sur le devenir de l’éthique et de la politique qu’elle engendre.
« La qualification de crise d’une situation n’est donc pas un simple constat de fait, c’est un réel choix politique. » Nous pouvons nous accorder pour dire qu’une menace grave nécessite une action des autorités, la rapidité et l’efficacité étant des besoins naturels de l’état d’exception. Or, ces impératifs éprouvent nécessairement les grands principes régissant nos états de droit, tel le principe de légalité – nos institutions fonctionnent selon une procédure établie par la loi –, la hiérarchie des normes – un arrêté ministériel ne peut normalement pas contrevenir à une loi – mais aussi le principe démocratique – les modalités de participation populaire (déjà trop peu nombreuses en temps « normal ») sont par essence inutilisables (ou inutilisées) en période de « crise ». Et c’est là que l’on retrouve la notion de « vie nue » : c’est au profit du maintien de celle-ci que sont prises par l’autorité en charge des décisions radicales et que nos libertés, nos croyances, nos rapports sociaux sont sacrifiés. Si les gouvernements sécuritaires ne créent évidemment pas la situation d’exception, ils la définissent, la dirigent et l’exploitent. In fine, la dimension humaine de nos vies est réduite à notre condition biologique, où « la santé devient une obligation juridique à remplir à tout prix » [9]. Ces constats posent question quant à l’« après Covid ». Cette crise va-t-elle cristalliser [10] des projets que les gouvernements n’avaient pas pu établir au sein des états ? Qu’en sera-t-il de la régulation d’aspects de nos vies, allant de la « simple » fermeture des universités et de l’instauration des cours en ligne à la libre circulation des personnes ou encore à la liberté de rassemblement. C’est
[7] Ibidem, 20. [8] D. SABBAGH, L’égalité par le droit. Les paradoxes de la discrimination positive aux États-Unis, 2003, Paris, Economica. [9] Extrait d’une interview du 24 mars 2020 de Giorgio Agamben dans Le Monde, https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/03/24/giorgio-agamben-l -epidemie-montre-clairement-que-l-etat-d-exception-est-devenu-la-condition-normale_6034245_3232.html? fbclid=IwAR0FkJ4HsShIm7l3gJqf_b5Le6-BB_fb6fM2HQUU_hj8d5ELro8nYz6H7Qg [10] Signifie « faire que quelque chose qui était diffus, inorganisé, imprécis devienne fort, cohérent, précis ; concrétiser » (Larousse). [11]Merci au cerveau malade de F. B. pour la relecture avisée.
plus fondamentalement encore la menace de la réduction à son strict minimum des rapports sociaux entre êtres humains qui doit nous alarmer qui – bien qu’endiguant la prolifération du virus – entrave par la même occasion la « contagion » d’idées. C’est l’habitude à la vie dans des conditions telles que nous les vivons actuellement qui doit nous remuer et nous faire nous demander ce qu’il en est d’une société qui ne croit plus qu’à la survie.
Ce sont ces questions fondamentales qui constitueront le fil rouge du Printemps de la Justice de cette année. Le rendez-vous est pris pour mars 2021.
MARIA VARGIAKAKIS
« l’histoire nous enseigne que, souvent, les états ayant appliqué une politique d’exception l’ont fait dans une optique de conservation de la sécurité de la société en question. C’était en même temps un moyen de maintenir et accroitre le pouvoir en place, comme le démontre par exemple le cas des seigneurs de l’Ancien Régime, qui octroyaient notamment des privilèges ou des exemptions à certains individus, permettant à la fois d’assoir leur pouvoir et d’étendre le champ d’action de l’administration de l’État [7]. »
POUR APPROFONDIR : Homo Sacer, I, Le pouvoir souverain et la vie nue, Paris, Le Seuil, 1997. Homo Sacer, III, Ce qui reste d’Auschwitz, Paris, Le Seuil, 1999. Homo Sacer, II, 1, État d'exception, Paris, Éditions du Seuil, 2003. Michel Foucault, « Les mailles du pouvoir », dans Dits et écrits, t. 2, Paris, Gallimard, 2001. Michel Foucault, Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975.
LE DÉNI ENVIRONNEMENTAL
La majorité des individus s’accordant sur l’importance du changement climatique, pourquoi y a-t-il si peu d’engagement de la part de Madame et Monsieur Tout-leMonde ? Les générations futures se poseront peut-être la même question, analysant avec incompréhension l’inaction de leurs prédécesseur·euse·s. Bien que de nombreuses personnes et organisations adoptent déjà des mesures dans le bon sens, l’humain ne cesse de produire des quantités massives de gaz à effet de serre, ce qui persiste à nous engager dans des comportements destructeurs pour l’environnement. Certes, certaines démarches sont plus difficiles d’accès, à cause de limites financières, ou de la situation géographique de l’individu (lorsqu’on vit dans une zone sans transport en commun, la voiture est souvent perçue comme la seule option viable). On observe cependant un manque global d’investissement et d’efforts, même chez celleux qui ont l’embarras du choix. Quels sont les obstacles qui empêchent notre mobilisation, tant au niveau social qu’individuel ? Le but de cet article est ainsi d’essayer de vous décrire certains obstacles psychologiques compromettant notre adaptation au changement climatique.
IGNORANCE ET INCERTITUDE Avant tout, il est de bonne mesure de mentionner que l’ignorance reste un facteur freinant pour une proportion non négligeable de la population. En 2006, 11% des participant·e·s répondaient « don’t know » à la question « Is it possible to reduce the effects of Global Warming ? » dans le sondage du Pew Research Center [1], adressé à 1501 Américain·e·s adultes. De même, 10% des participant·e·s cochaient la réponse « don’t know » face à la question « Is there evidence that the Earth is warming ? ». Au-delà de ce premier degré d’ignorance face au problème, on retrouve une autre partie de la population qui en est certes consciente, mais manque complètement de connaissances quant à l’ampleur du changement climatique et son impact, ce qui peut en partie être lié aux messages contradictoires provenant des médias. En effet, à la fois la sous-exposition et la surexposition à un stimulus sont susceptibles de provoquer une torpeur à propos de l’environnement : le changement climatique peut alors échapper à l’attention immédiate lorsqu’il ne provoque pas de difficultés imminentes pour une personne (sous-exposition), mais, à l’inverse, lorsqu’un individu aperçoit trop sou-
vent de signaux d’alerte (surexposition), l’attention accordée à cet objet se réduit (comme pour un panneau publicitaire par exemple). L’étude de Marian C. Burke et Julie A. Edell datant de 1986 [2] nous démontre que malgré toutes les variations testées, l’attention des spectateur·rice·s face aux publicités présentées déclinait à mesure que l’accoutumance augmentait. Cette étude obtint pour résultats qu’une période de 8 mois sans être exposés auxdites publicités était nécessaire pour que l’attention des sujets revienne à son seuil initial. Nous pouvons déduire de cette étude que l’attention face aux messages mobilisateurs proenvironnementaux décline probablement de manière similaire.
OPTIMISME Les biais cognitifs qui vont influencer l’inaction environnementale sont nombreux. Ainsi, un biais cognitif est une déviation systématique dans le traitement cognitif d’une information . Pour citer les plus connus, nous avons par exemple le biais d'autocomplaisance (se croire à l'origine de ses réussites, mais pas de ses échecs), le biais de confirmation d'hypothèse (préférer les éléments qui confirment plutôt que ceux qui infirment une hypothèse), ou encore le biais de représentativité (considérer un ou certains éléments comme représentatifs d'une population) . Ces biais ont
[1] https://www.pewresearch.org/politics/2006/07/12/little-consensus-on-global-warming/ [2] https://psycnet.apa.org/record/1986-26057-001
notamment contribué à la survie de l’espèce, car une information n’a pas besoin d’être véridique pour nous aider à surmonter la réalité. Abordons donc un biais d’optimisme spatial avec l’étude menée en 2009 par Leila Scannell et Robert Gifford [3]. Les résultats, recueillis auprès de 3232 personnes, soulignèrent que des individus de 15 parmi les 18 pays desquels iels étaient les résident·e·s estimaient que les problèmes environnementaux étaient plus graves ailleurs. Il est tout à fait possible que les conditions soient objectivement pires dans d’autres régions, mais une étude plus ancienne a démontré que cette tendance se produisait même dans des villages anglais distants de quelques kilomètres. Par ailleurs, le concept de « sous-estimation par actualisation » fait référence à la sous-évaluation des risques éloignés géographiquement ou dans le temps.
Un biais qui rejoint celui que nous venons d’aborder est le biais d’optimisme, selon lequel les gens vont avoir tendance à croire qu’iels sont moins exposé·e·s à un évènement négatif que d'autres personnes, ou qu’il y a plus de chances qu’un évènement positif leur arrive qu’à d’autres. En 2012, l’étude de Tali Sharot [4] décrivit l’activité cérébrale des patient·e·s pendant qu’iels estimaient leur probabilité de vivre divers évènements désagréables (exemple : « J’estime que j’ai 10% de chances d’avoir un accident de voiture au cours de ma vie), par IRMf (Imagerie par Résonance Magnétique fonctionnelle). Après chaque réponse, on leur donnait la réelle probabilité que chaque évènement arrive à quelqu’un comme elleux (exemple : « En moyenne, un homme de votre milieu social a 5% de chances d’avoir un accident de voiture »). Les chercheur·se·s ont ainsi observé que les participant·e·s étaient susceptibles de changer leur réponse (exemple : « J’estime donc que j’ai moi aussi 5% de chances d’avoir un accident de voiture ») uniquement dans le cas où l’information donnée était plus avantageuse à leur égard que ce qu’ils avaient annoncé au début.
Certains individus optimistes risquent ainsi d’être freinés dans leur compréhension des enjeux réels du problème climatique. De plus, de nombreuses personnes pensent que leur contribution n’aura aucun impact, étant donné que ce problème est à grande échelle. Cette notion porte le nom de « contrôle comportemental » en psychologie, et il peut être un facteur déterminant lors de simples décisions comme prendre le métro ou la voiture. En observant les résultats de l’IRMf, il était visible que lorsque l’on annonçait aux patient·e·s une information « pire » que ce qu’iels avaient estimé, le codage neuronal [5] se réduisait dans la région du lobe frontal [6]. La conclusion de cette observation est que le biais d’optimisme dérive d’une qualité d’apprentissage détériorée, à cause du rejet d’informations insatisfaisantes. Certains individus optimistes risquent ainsi d’être freinés dans leur compréhension des enjeux réels du problème climatique. De plus, de nombreuses personnes pensent que leur contribution n’aura aucun impact, étant donné que ce problème est à grande échelle. Cette notion porte le nom de « contrôle comportemental » en psychologie, et il peut être un facteur déterminant lors de simples décisions comme prendre le métro ou la voiture. Par ailleurs, on peut parfois retrouver une part d’idéologie dans l’optimisme. Au-delà de l’aspect religieux, certaines personnes plus laïques pourront également croire en « l’ordre des choses », et s’en remettront à Mère Nature. Parallèlement, on observe une croyance en la techno-salvation [7], c’est-à-dire le sauvetage par la technologie. Bien que l’innovation technologique ait largement prouvé qu’elle était capable d’améliorer notre niveau de vie, certain·e·s pensent qu’elle pourrait être notre seule et unique sauveuse. Cette confiance extrême est alors un obstacle à l’investissement individuel (et collectif) des personnes concernées. Certaines sociétés sont
[3]https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0272494408000510? casa_token=5Zv3HjANvqEAAAAA:sB6rm6STAX40MoCh99s3yMkpMukHSnPPuhIL43hd1i46wRmPvN_q2XYCk_FICeui5WbwU_T2ew [4] https://www.thebritishacademy.ac.uk/documents/384/BAR33-05-Beattie.pdf [5] Le codage neuronal correspond à la transformation du stimulus en un schéma de potentiels d’action, propageant ainsi l’information à travers le cerveau [6] Une des régions du cerveau située à l'avant de la boîte crânienne [7] http://loic-steffan.fr/WordPress3/barrieres-psychologiques-pour-agir-pour-le-climat/
ainsi particulièrement convaincues par l’impact technologique potentiel, par exemple l’Institution of Mechanical Engineers, qui croit fortement en la géo-ingénierie (une de ses propositions est la création d’arbres artificiels [8]). Pourtant, l’IME ne préconise pas la géoingénierie seule, mais de concert avec les politiques d’atténuation classiques. Ainsi, la géoingénierie pourrait constituer un remède d’atténuation, mais n’est pas une solution miracle, et reste actuellement un complément à nos actions à petite et grande échelle.
COMPARAISON Comparant régulièrement nos actions à celles des autres, nous tirons sans cesse des normes comportementales et subjectives par rapport à ce que nous considérons comme un comportement « approprié ». Ainsi, ces normes sociales peuvent être des forces de blocage, mais aussi des forces potentielles de progrès. L’étude de Schultz, Nolan, Cialdini, Goldstein et Griskevicius [9], menée en 2007 sur des ménages américains, met en exergue ce pouvoir à double tranchant des normes. Lorsque l'on présentait aux ménages leur propre consommation d’énergie ainsi que la consommation moyenne des propriétaires dans leur voisinage (il s’agit ici d’une norme descriptive), ils avaient tendance à modifier leur consommation pour la rendre conforme à la norme, c’est-à-dire la diminuer pour certains, mais aussi l’augmenter pour d’autres ! Cependant, les chercheurs ont démontré que cette augmentation pouvait être évitée lorsqu’une norme injonctive était ajoutée aux informations de consommation données : une émoticône "sourire" lorsque le ménage faisait partie du groupe à faible consommation, et une émoticône "désapprobation » lorsque le ménage faisait partie du groupe à forte consommation électrique. Dans ces conditions, l'ensemble des ménages diminuaient leur consommation électrique durablement. En effet, il suffit de peu dans la présentation d'un même message pour entraîner une modification substantielle du comportement. Notre utilisation des réseaux sociaux ou même la simple influence de nos mots peuvent être de puissantes influences favorables à des comportements durables.
AVERSION DE LA PERTE Tout d’abord, il est évident que lorsqu’un investissement est fait, une voiture par exemple, la plupart des gens préféreront s’y accrocher plutôt que de commencer à prendre le vélo ou les transports en commun. En effet, en apprenant les effets néfastes de l’utilisation d’une voiture, la personne sera en dissonance cognitive, mais comme un intérêt (ici, financier) est en jeu, il sera plus facile pour elle de changer d’avis que de changer de comportement. En outre, l’habitude constitue l’une des plus importantes barrières au comportement « écoresponsable », car de nombreux comportements sont extrêmement résistants au changement définitif ou n’évoluent que sur de très longues périodes. Cette idée de variation de la résistance au changement est appelée « inertie comportementale » dans le champ psychologique. Dans le même genre de barrières psychologiques, on retrouve le conflit de valeur entre les objectifs et les aspirations (exemple : « je veux avoir une maison plus grande alors que je veux émettre moins de CO2»), ou tout simplement le manque d’attachement au lieu dans lequel les individus évoluent. Passer à un mode de vie plus durable peut également comporter plusieurs risques. Ainsi, si je décide de vendre ma voiture et prendre le train tous les jours, que vont penser mes collègues de bureau et mes voisin·e·s ? L’écoresponsable et la réputation de chacun sont impactés par les jugements des autres, dès lors que nous avons une personnalité publique : c’est le risque social. Très corrélé au précédent, le risque psychologique est défini comme la possibilité de perdre de l’estime de soi ou de la confiance en soi à cause des potentielles critiques et remarques de notre entourage. Les risques sont en effet multiples : risque temporel (le temps que j’ai investi dans mes changements « proenvironnement » n’aboutit pas aux avantages escomptés), risque financier (ne pas amortir le coût de mes nouveaux panneaux solaires), etc.
[8] https://phys.org/news/2009-08-forests-artificial-trees-global.html [9]https://www.psychologie-sociale.com/index.php/fr/experiences/les-normes/118-diminuer-sa-consommation-electrique
En effet, en apprenant les effets néfastes de l’utilisation d’une voiture, la personne sera en dissonance cognitive, mais comme un intérêt (ici, financier) est en jeu, il sera plus facile pour elle de changer d’avis que de changer de comportement.
MÉFIANCE De plus, le concept de réactance nous explique que beaucoup de gens réagissent contre les conseils ou les politiques, car iels ont le sentiment que leur liberté est menacée. Ceci est en partie dû au manque de confiance envers celleux qui définissent ces injonctions et recommandations. Ainsi, une fois que la confiance est brisée entre le·la citoyen·ne et les représentant·e·s de son gouvernement ou les scientifiques, la probabilité d’adopter un changement positif face au changement climatique décline, et peut mener le·la citoyen·ne à nier la véracité des propos des scientifiques, voire à carrément réagir contre leurs conseils.
DÉNI La méfiance, l’incertitude et l’aversion de la perte peuvent souvent mener à un déni actif du changement climatique : nier son existence ou nier le rôle des humains au sein de cette problématique.
En effet, le mécanisme du déni exprime un refus catégorique de reconnaître ce que nos sens nous montrent. Il empêche ainsi un conflit entre une perception désagréable pour le moi et la perception qui est en accord avec la réalité préconstruite de l’individu, non par une comparaison de ces deux réalités, mais par une suspension de jugement et donc de décision vis-à-vis de ces contradictions. D’un point de vue psychopathologique, le déni est un mécanisme de défense, car il nie la réalité d’une perception perçue comme dangereuse ou douloureuse pour le moi. En remettant en question le monde extérieur, le déni va protéger le moi. On observe alors une absence de conflictualité, car deux perceptions incompatibles coexistent au sein du moi, ce qui mène ainsi non pas à un conflit, mais à une conservation du savoir de la réalité tout en lui
substituant une perception imaginaire. Le moi parvient ainsi à vivre sur deux registres différents, avec d’un côté la réalité perçue, et de l’autre, la réalité reconnue. Cette barrière est particulièrement troublante pour les climatologues, car un changement de comportement ne peut pas se produire tant que le problème n’est pas considéré comme tel. Lorsque les individus commencent à avoir une meilleure compréhension des enjeux environnementaux et décident de changer leur comportement, on observe que les comportements adoptés ne sont pas toujours les plus efficaces : c’est « l’hypothèse du faible coût ». En effet, certains comportements ont peu ou pas d’impact sur les émissions de gaz à effet de serre, mais leur facilité d’adoption mène à ce que ces actions-là soient choisies : on peut déduire que l’intention proenvironnementale ne va pas toujours correspondre à un impact pro-environnemental. En guise d’explication, Tyler [10] a avancé en 1982 « l’hypothèse de déni défensif » qui nous explique que lorsque des individus, même fort sensibilisés à la cause environnementale, sont confrontés à une situation qui implique un coût élevé, les personnes vont interpréter la situation de manière à ce que le problème ne leur paraisse pas inquiétant. Ainsi, nous allons éviter la dissonance cognitive et maintenir notre estime de nous-mêmes, en rabaissant voire éliminant l’importance du problème écologique à nos yeux. Par ailleurs, il est vrai que l’inquiétude face au changement climatique n’est pas la norme partout, mais elle reste généralisée. Par conséquent, la norme sociale par comparaison aura un impact très important sur l’implication des différents individus, et pourra soit contrebalancer l’hypothèse du faible coût en les incitant à s’impliquer davantage, soit la renforcer dans le cas où les gens s’impliqueront dans des actions symboliques sans réelles conséquences, afin d’obtenir de la reconnaissance de la part de ses pairs.
CONCLUSION L’étude de ces barrières psychologiques est encore en cours et nécessite de la recherche et de la pratique supplémentaires. De plus, identifier les variations propres à divers groupes culturels et segments de populations pourrait permettre de réagir plus spéci-
fiquement à chacun et d’augmenter l’efficacité des efforts d’atténuation du changement climatique. Les scientifiques sont optimistes : il est possible de dépasser ces barrières, à travers une opposition aux politiques et technologies qui engendrent le changement climatique, une optimisation des stratégies de communication, la mise en place d’études d’intervention visant des choix de comportements liés aux énergies fossiles, la collaboration étroite avec d’autres disciplines telles que des experts techniques et les agences gouvernementales, et bien d’autres. Un domaine que nous connaissons tous et qui a été fortement résistant au changement de comportement est le tabagisme : les barrières de l’inaction qui le concernent ont pu être surmontées, et chacun connaît de nos jours les dangers liés au sujet. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour se débarrasser des gaz à effet de serre ?
ISALINE TOURNEMENNE SOURCES : https://www.universalis.fr/encyclopedie/denipsychanalyse/ https://www.psychanalyse.be/ressource/le-deni/ http://loic-steffan.fr/WordPress3/barrierespsychologiques-pour-agir-pour-le-climat/ https://www.apa.org/science/about/publications/ climate-change.pdf
CASCADE DE FINITIUDES: LA PART D’OMBRE DE LA TRANSITION ECOLOGIQUE
Cet article porte sur l’urgence écologique et la tentation y afférant de « décarboner » l’économie par la transition écologique, telle que théorisée par Rob Hopkins. Plus précisément, ce papier aborde la perversion du concept de développement durable en argumentant que cette notion ne représente actuellement plus un champ opératoire permettant d’affronter les défis titanesques auxquels notre civilisation est confrontée, mais plutôt un concept fourre-tout servant secrètement de refuge aux réflexions critiques de notre système et son « leitmotiv » d’idée de croissance. L’heure de gloire de l’éolien, du solaire, de la biomasse, de l’hydraulique ou encore de la géothermie cherchant à s’accaparer l’énergie de manière infinie semble être arrivée : vive le vent, le soleil et les courants !
POLLUTION, MORTS ET TRANSITION La pollution de l’air tue. Et sa définition par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) comme représentant une «contamination de l’environnement intérieur ou extérieur par un agent chimique, physique ou biologique qui modifie les caractéristiques naturelles de l’atmosphère» [1] lui permet d’englober dans son spectre la plus grande majorité des activités des sociétés humaines. Ainsi, tant les véhicules automobiles et les industries que les appareils à combustion représentent des générateurs routiniers de pollution atmosphérique. Ils dégagent des matières particulaires telles que, de manière non exhaustive, de l’ozone, du dioxyde de soufre ainsi que d’azote; polluants causant des maladies respiratoires, parfois et de plus en plus fréquemment, mortelles. La pollution de l’air tue. Et son nauséabond bilan a jusqu’ici été très plantureusement sousévalué. En 2019, le journal officiel de cardiologie générale de la Société Européenne de Cardiologie [The European Heart Journal (EHJ)] [2] a avancé le chiffre faramineux, attribué à la pollution atmosphérique, de 9 millions de morts prématurées (i.e. décès avant l’âge de l’espérance de vie moyen) à l’échelle mondiale. Ce total est presque trois fois supérieur aux estimations du gendarme de la santé internationale, l’OMS, qui évoque 3.1 millions de morts à l’échelle de la planète, soit 3.2% de la charge mondiale de morbidité [3] . Dans nos contrées, composées des quarante et un pays européens, tandis que l’Agence européenne de l’environnement estime que l’exposition aux
particules fines était responsable d’environ 422.000 morts prématurées en 2018 [4], la pollution de l’air serait à l’origine de plus de 800.000 décès, dont plus de 391.000 dans les vingt-huit États membres de l’Union européenne (UE) [5]. La pollution de l’air tue. Et malgré les querelles morbides entre estimations officielles et indépendantes, les fruits pourris de cette contamination ont amené différent·e·s théoricien·ne·s et scientifiques à se pencher sur de potentielles « solutions », à l’échelle individuelle et globale, dans le but de combattre les conséquences néfastes de la dégradation environnementale. Les compteurs sont dans le rouge. Des concepts et théories nouveaux permettant de mener -sur le court, moyen ou long terme- à une réduction de la pollution ont ainsi vu le jour : le rêve d'une transition vers un monde meilleur, affranchi des énergies fossiles grâce à la force du vent, du soleil ou de l’eau était né. Plus précisément, le concept de transition écologique, théorisé par Rop Hopkins dans son livre «The Transition Handbook: From Oil Dependency to Local Resilience» publié en 2008, consiste en un mouvement d’initiatives concrètes cherchant à consolider la capacité d’une communauté à fonctionner en dépit des crises (économiques et/ou écologiques) extérieures. Autrement dit, sur base d’expériences empiriques testant l’autonomie et la résilience locale, la transition telle que théorisée par Hopkins cherche à assurer la résilience d’une communauté par le biais de différents principes, représentant une mise en place tangible du concept de développement durable tel que définit en 1987 par la Commission mondiale pour l'Environnement et le Développement de l'ONU: «[…] un développement qui ré-
[1] Who.int (2020a), disponible sur https://www.who.int/topics/air_pollution/fr/, consulté le 02 novembre 2020. [2] Lelieveld, J., Klingmüller, K., Pozzer, A., Pöschl, U., Fnais, M., Daiber, A., Münzel, T. (2020), Cardiovascular disease burden from ambient air pollution in Europe reassessed using novel hazard ratio functions, European Heart Journal, 40(20), Pages 1590-1596, https://doi.org/10.1093/eurheartj/ehz135. [3] Who.int (2020b), disponible sur https://www.who.int/ipcs/assessment/public_health/air_pollution/fr/, consulté le 01 novembre 2020. [4] EEA Report (2018), Air quality in Europe - 2018 report, 12. [5] Ces chiffres proviennent d’étude réalisée antérieurement au 31 janvier 2020 et à la sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne.
pond aux besoins du présent sans compromettre la possibilité, pour les générations à venir, de pouvoir répondre à leurs propres besoins». [6] L’impératif écologique, la raréfaction des ressources ainsi que le changement climatique ont favorisé la naissance de nombreuses alternatives censées permettre la résilience de nos sociétés. À l’aurore de sa conception, la transition écologique était appliquée dans le combat contre le réchauffement climatique en milieu urbain avant d’être incessamment déclinée dans différentes sphères socioéconomiques. De nos jours, la transition écologique recouvre ainsi tant la transition industrielle (production durable et locale), énergétique (énergies renouvelables) qu’agroalimentaire (substitution de l’agriculture industrielle prônée dans la Politique Agricole Commune de l’Union européenne par l’agriculture biologique, à taille humaine).
LE MYTHE DE TRANSITION ÉCOLOGIQUE : DE LA POUDRE DE PERLIMPINPIN L’urgence écologique a mené à la tentation de « décarboner » l’économie, de surcroît, par la transition énergétique. La réduction de la pollution est devenue un impératif de notre société capitaliste contemporaine, il fallait en effet urgemment s’orienter vers des sources d’approvisionnement plus propres, ouvrant ainsi la voie à un marché nouveau, celui des énergies renouvelables. L’heure de gloire de l’éolien, du solaire, de la biomasse, de l’hydraulique ou encore de la géothermie cherchant à s’accaparer l’énergie de manière infinie semble être arrivée : vive le vent, le soleil et les courants ! De nos jours, selon différentes estimations, plus de 20% de la consommation énergétique dans le monde serait couverte par le marché du renouvelable. Cependant, la récente consommation rendue possible par les énergies renouvelables, théoriquement plus propres, possède une face cachée. Celleci brise tout espoir vers une certaine résilience de la communauté, qui constitue pourtant l’objectif principal de cette nouvelle politique durable. L’espérance d’un monde meilleur, libéré des énergies fossiles, représente dès lors un mythe prospérant sur une pensée hors-sol, affranchie de tout ancrage à la réalité. En effet, l’emploi intensif des terres rares, impératif à la
production de toute énergie « renouvelable », implique que chaque nouvelle technologie verte « procède d’abord beaucoup plus prosaïquement d’un cratère entaillé dans le sol ». [7]
Les énergies vertes constituent un nouveau marché polluant, en remplaçant simplement le marché précédent. Le développement durable s’est alors « substitué » à l’intelligence critique sur la croissance en intégrant sommairement les angoisses écologiques. Les terres rares comprennent dix-sept métaux (le scandium, l'yttrium, et les quinze lanthanides) qui sont utilisés dans la production de matériaux de haute technologie, principalement industriels légers et endurants, tels que les panneaux photovoltaïques, les rotors d’éoliennes, les batteries de voitures électriques ou encore les pots catalytiques. Ces derniers métaux sont indispensables aux technologies qualifiées de « vertes », malgré leurs coûts environnementaux, souvent sous-estimés, mais pas pour le moins désastreux. Originellement, par la formation des terres rares, nécessitant des milliards d’années, et du stockage de ces dernières dans les entrailles de la Terre, ces dix-sept métaux contraignent les extracteurs à mobiliser une énergie gargantuesque. Ensuite, par la nécessaire présence d’une centrale électrique alimentant l’exploitation d’une mine, le raffinage du minerai ainsi que l’expédition vers des usines incorporant par la suite ces métaux à un panneau solaire ou une batterie de voiture, l’extraction et la transformation des terres rares enfante d’une pollution conséquente. Enfin, par le rejet d’éléments toxiques dans la nature lors de l’extraction ; des métaux lourds, de l’uranium ainsi que de l’acide sulfurique se retrouvent par légions dans les sols et rivières des régions concernées, en très grande majorité chinoises. Dès lors, ces métaux rares possèdent un bilan environnemental qui pourrait se révéler encore plus caricatural que celui qui nous lie actuellement aux énergies fossiles telles que le charbon ou le pétrole. Au surplus, cette utilisation centrale des métaux rares par les nouvelles énergies crée une nouvelle dépendance géopolitique au pays producteur principal de ces métaux, la Chine, qui détient près de 90%
[6] Commission mondiale sur l'Environnement et le Développement (1987), Notre avenir commun. [7] Leclair, L. (2018). Guillaume Pitron, La guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique: Les Liens qui Libèrent.
des terres rares dans ses sols. Conformément, la dépendance des pays occidentaux change, se détournant des monstres pétroliers des pays du Golfe pour se tourner vers la République Populaire de Chine. L’urgence écologique a ainsi mené à un enfumage manifeste. Premièrement, sous prétexte de conversion écologique (la tentation de décarboner l’économie afin d’atteindre la résilience; la transition), la société a accouché de monstres modernes, environnementalement regrettables. Les énergies vertes constituent en effet un nouveau « business », qui en remplace simplement un plus ancien. Pour en prendre conscience, il est primordial de prendre en compte la délocalisation de la pollution et ainsi cesser la vision politique eurocentrée. À défaut de manquer les polluants délocalisés, la consommation d’une voiture électrique roulant dans les rues de Bruxelles ne doit pas être le seul outil servant à mesurer son impact environnemental. Deuxièmement, sous prétexte d’évolution vers un monde plus charitable et moins dépendant des géants maîtres des hydrocarbures du Golfe, la transition écologique translate la dépendance des pays occidentaux vers la Chine, nouvelle « électromonarchie », suscitant des tensions géopolitiques et une potentielle « guerre des métaux ». La transition écologique touche donc adroitement à une contradiction.
CESSONS LA SUBSTITUTION À LA RÉFLEXION CRITIQUE SUR LA CROISSANCE ! La résilience d’une communauté par la transition écologique consiste en une mise en place tangible du concept de développement durable. Toutefois, cette mutation écologique semble avant toute chose représenter une déclinaison du conformisme contemporain, un camouflage face à la « cascade de finitudes » [8] de notre société. Le développement durable ne représente malheureusement plus un champ opératoire permettant d’affronter les défis titanesques auxquels notre civilisation est confrontée, mais plutôt un concept fourretout servant secrètement de refuge aux réflexions critiques de notre système et son « leitmotiv » d’idée de croissance. Ainsi, ce dernier prône une conciliation pharisaïque entre une croissance économique infinie -mesurée par le Produit Intérieur Brut (PIB)- et la sauve-
L’impératif écologique, la raréfaction des ressources ainsi que le changement climatique ont favorisé la naissance de nombreuses alternatives censées permettre la résilience de nos sociétés. À l’aurore de sa conception, la transition écologique était appliquée dans le combat contre le réchauffement climatique en milieu urbain avant d’être incessamment déclinée dans différentes sphères socio-économiques. De nos jours, la transition écologique recouvre ainsi tant la transition industrielle (production durable et locale), énergétique (énergies renouvelables) qu’agro alimentaire (substitution de l’agriculture industrielle prônée dans la Politique Agricole Commune de l’Union européenne par l’agriculture biologique, à taille humaine). garde de l’environnement à défaut d’aborder le problème de l’anéantissement inéluctable des ressources naturelles ou encore la notion d’entropie dans la théorie économique. Les énergies vertes constituent un nouveau marché polluant, en remplaçant simplement le marché précédent. Le développement durable s’est alors « substitué » à l’intelligence critique sur la croissance en intégrant sommairement les angoisses écologiques. Cette trajectoire pernicieuse du concept même de développement durable est communément attribuée au postulat d’un potentiel équilibre entre les dimensions écologiques, économiques et sociales du développement. Dans cette croyance, l’impérialisme et le cannibalisme afférant à la stature économique ont été oubliés, laissant les deux autres dimensions sans contrepoids puissant. Également, la stratégie intrinsèque du développement durable à ambitionner une croissance économique en consommant moins de matière et d’énergie peut être remise en cause. Ainsi, sans doute est-il grand temps de se débarrasser de la notion de développement qualifié de « durable » et de mettre la « durabilité » au centre de la transition écologique.
[8] Bourg, D. (2012), Transition écologique, plutôt que développement durable: Entretien avec. Vraiment durable, 1(1), pp.77-96
L’ÉVEIL CITOYEN La notion actuelle de développement durable ne permet pas de relever les défis globaux auxquels nous faisons face. Ce concept vidé de sens sert purement et simplement d’écran à la réflexion critique sur la croissance. Ainsi, je supporte l’idée que le premier cheminement vers la continuité est d’ordre économique. Afin de sortir de cet engourdissement paradoxal, il est primordial d’échafauder une société sans croissance. Le PIB ne doit plus être l’ayatollah de toute orientation politique. Les flux croissants d’énergie et de matières ne doivent plus être la norme. Cette prise de conscience est impérative et pressante, singulièrement au niveau des décideur·euse·s politiques, car le sommeil profond dans lequel nous sommes actuellement plongé·e·s obère nos chances de survie dans un avenir proche. Nous ne pouvons plus jouer : la résilience des générations futures est corrélée à cet éveil citoyen. À quand la sobriété ?
SEBASTIEN MARTINO
BIBLIOGRAPHIE : Bourg, D. (2012), Transition écologique, plutôt que développement durable: Entretien avec. Vraiment durable, 1(1), pp.77-96. Commission mondiale sur l'Environnement et le Développement (1987), Notre avenir commun. EEA Report (2018), Air quality in Europe - 2018 report, 12. Geo.fr (2014), disponible sur https://www.geo.fr/environnement/definition-terres-rares-scandium-yttrium-et-lanthanides-124433, consulté le 15 novembre 2020. Hopkins, R. (2008), The Transition Handbook. From Oil Dependency to Local Resilience, Green books. Leclair, L. (2018), Guillaume Pitron, La guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique: Les Liens qui Libèrent. Lelieveld, J., Klingmüller, K., Pozzer, A., Pöschl, U., Fnais, M., Daiber, A., Münzel, T. (2020), Cardiovascular disease burden from ambient air pollution in Europe reassessed using novel hazard ratio functions, European Heart Journal, 40(20), pp. 1590-1596, https://doi.org/10.1093/eurheartj/ehz135.
Mandard, S. (2019), La pollution de l’air tue deux fois plus que ce qui était estimé, Le Monde. Pitron, G. (2018), La guerre des métaux rares : la face cachée de la transition énergétique et numérique, Broché. Rivoirard, S. (2019), Les métaux critiques: le côté obscur de nos énergies vertes!, CNRS/Institut Néel, Grenoble, pp.1-39. Transition-europe.eu (2020), disponible sur https://www.transition-europe.eu/fr/page/definitions-2, consulté le 10 novembre 2020. Who.int (2020a), disponible sur https://www.who.int/topics/air_pollution/fr/, consulté le 02 novembre 2020. Who.int (2020b), disponible sur https://www.who.int/ipcs/assessment/public_health/air_pollution/fr/, consulté le 01 novembre 2020.
« Dès lors, ces métaux rares possèdent un bilan environnemental qui pourrait se révéler encore plus caricatural que celui qui nous lie actuellement aux énergies fossiles telles que le charbon ou le pétrole. Au surplus, cette utilisation centrale des métaux rares par les nouvelles énergies crée une nouvelle dépendance géopolitique au pays producteur principal de ces métaux, la Chine, qui détient près de 90% des terres rares dans ses sols. Conformément, la dépendance des pays occidentaux change, se détournant des monstres pétroliers des pays du Golfe pour se tourner vers la République Populaire de Chine. »
LE BIOMIMETISME
DÉFINITION Le biomimétisme est un processus d'innovation et une ingénierie. Le but est de s'inspirer des formes, matières, propriétés, processus et fonctions du vivant. Il peut concerner des échelles nanométriques ou macroscopiques. Ce processus cherche ainsi des solutions soutenables produites par la nature, sélectionnées par de nombreuses espèces, éprouvées par l'évolution au sein de la biosphère vieille de plusieurs milliards d’années. Mais pourquoi devrions-nous nous inspirer de la nature ? L’homo sapiens, plus que dominant sur la planète terre, pousse les scientifiques à estimer que nous basculons dans une période géologique nommée anthropocène tant notre espèce a une influence géologique majeure. Cela n’indique pas qu’encore aujourd’hui de nombreux records sont toujours détenus par la nature. Prenons l’exemple de la barge rousse, oiseau détenteur du record de la plus longue durée de vol sans ravitaillement. Cet oiseau migre annuellement entre l’Alaska et la Nouvelle Zélande, c’est-à-dire plus de 10 000 km au-dessus de l’océan pacifique, et ce en 10 jours de vol ininterrompu. La barge rousse emmagasine des réserves de graisse qui lui permettent de voler pendant 7 jours. Si ces réserves sont épuisées, elle brûle alors ses muscles, trop volumineux, puisqu’il n’y a plus de réserve de graisse à transporter ! Tout se passe comme si un quadrimoteur pouvait, aux trois quart de son vol, désosser un de ses réacteurs et en faire du carburant pour les trois autres. La biomimétique, en tant que processus créatif interdisciplinaire entre la biologie et la technologie, a pour objectif de résoudre des problèmes anthropocentriques par l’abstraction, le transfert et l’application de connaissances issues des modèles biologiques, mettant au point des procédés et des organisations permettant un développement durable des sociétés. Insistons sur le mot durable, car s'inspirer de la nature pour une technologie n’est pas suffisant, il faut que cette application permette une réduction d’émission de CO2 dans l’atmosphère pour parler de biomimétisme ! Un autre exemple éclairant est celui d’un cahier de charge imaginaire proposé à un architecte, où il s’agirait de construire une structure qui remplirait les conditions suivantes :
•
Une hauteur de 60 mètres, sur une surface au sol ronde, de deux mètres de diamètre.
•
Le tiers supérieur du bâtiment est équipé d’une surface souple, découpée et bien fixée, de panneaux solaires d’une superficie de 15 hectares régulants l’humidité, peints en vert et biodégradables.
•
Des fondations de trois mètres de profondeur dans un sol meuble et très humide, afin de prendre en compte les trois mètres de précipitations annuels.
•
Édifiée avec un matériau gratuit, prélevé sur place de façon invisible et silencieuse, afin d’obtenir une construction capable de s'auto-réparer en quelques mois et de se reproduire toute seule.
•
La structure doit être tolérante, voire même accueillante vis-à-vis des organismes vivants.
•
Enfin, l’ensemble des plans doivent tenir dans une boite de moins d’un centimètre de diamètre afin de pouvoir directement et facilement entamer la construction.
Vous l’avez compris, on vient de décrire un des colosses des forêts primaires peuplant notre planète. Le biomimétisme est vu comme une des solutions principales pour sortir de l’impasse écologique dans laquelle nous nous trouvons actuellement. Plusieurs principes se sont développés, se basant sur l’idée que “la vie crée des conditions favorables à la vie” :
•
Évoluer pour survivre : Copier les stratégies du vivant qui fonctionnent, intégrer l’inattendu, réorganiser les informations.
•
Utiliser efficacement les ressources : utiliser un design multifonctionnel, utiliser des procédés économes en énergie, recycler tous les matériaux, adapter la forme à la fonction du processus.
•
S’adapter aux changements de conditions : préserver l’équilibre par autorégénération, renforcer la résilience par la variation, les duplications, la décentralisation, inclure la diversité,…
•
Unir développement et croissance : combiner composants modulaires et emboîtés, construire de la base vers le haut, pousser à une auto-organisation.
•
Être ancré dans son milieu et réactif : Utiliser une énergie et des matériaux facilement accessibles, cultiver les relations de coopération, investir dans des processus cycliques, utiliser des boucles de rétroaction,…
•
Utiliser une chimie respectueuse du vivant : construire à bon escient en utilisant peu d’éléments, décomposer les produits en éléments inoffensifs, pratiquer la chimie dans l’eau,...
Ces principes de biomimétisme radical sont inspirés des seizes principes de la vie d’Hoagland & Dodson (The Way Life Works by M Hoagland and B Dodson. Times Books, Random House, New York. 1995 ISBN 0-8129-2020-1). Ces principes représentent une ligne de conduite du vivant, d’où la notion de radicalité dans le biomimétisme, qui remonte jusqu’à la source même du vivant, en l’observant en profondeur. Cette radicalité met en lumière ce que l’on peut considérer comme un ‘bon’ procédé technique pour le vivant, en ce qu’il prend en compte avec attention et intérêt tous les aspects du milieu dans lequel le procédé voit le jour, et tente de s’y insérer de manière véritablement durable
QUELQUES EXEMPLES Le TGV martin-pêcheur représente une application concrète du biomimétisme dans la société humaine : Les trains à grande vitesse sont apparus dans la seconde moitié du 20ième siècle pour concurrencer l’avion sur des distances moyennes (500 à 1000km). Le Japon a pensé et testé de nombreux designs différents afin de perfectionner la pénétration des trains dans l’air. La “Série 500” des Shinkansen, spécialement conçue pour une ligne remplie de tunnel, a laissé son empreinte dans l’imaginaire du biomimétisme. Le problème était qu’à chaque entrée dans le tunnel à plus de 300km/h, un bouchon d’air brutalement comprimé par le train et le tunnel provoquait un ‘bang’ à la sortie, source de bruit pour les riverain·e·s, d’usure pour le train et le tunnel, entraînant également une augmentation subite de l’énergie consommée. Ce problème fut confié à un ingénieur qui se trouvait être aussi ornithologue à ses heures perdues. Il eut l’idée de s’inspirer du bec du martinpêcheur, qui subit également des changements de densité à de grandes vitesses. Après avoir modélisé un tel train et effectué plusieurs simulations numériques, ce design ressortait grand vainqueur de tous ceux imaginés jusque-là !
En essayant de réduire la pollution sonore, ils ont remarqué aussi une diminution de la consommation d’énergie. Le design de la “Série 500” a conduit à une baisse de la résistance de l’air de 30% et donc une baisse de la con-
sommation d’énergie de 13% par rapport à son prédécesseur. A cette époque, ⅔ de la production énergétique du Japon était issue de centrales thermiques à combustible fossile ayant des rendements de 30%. En combinant ces trois chiffres, le Japon a obtenu une baisse de 25% de la quantité de CO2 émise par km. Presque sans le vouloir, le Japon est passé d’un schéma de bioinspiration classique à un schéma de biomimétisme durable ! Il existe encore des tonnes d’exemples d’application concrète du biomimétisme au sein de notre société. Il faut cependant remarquer que d’une part certaines applications de technologies inspirées de la nature ne sont pas catégorisées comme du biomimétisme car elles ne mènent pas à une réduction d'émission de CO2, d’autre part le biomimétisme n’est pas infaillible. En effet, certains projets échouent, dû au fait que ces derniers ne seront jamais aussi naturels que leurs inspirations.
PROBLÈME ÉCOLOGIQUE Le biomimétisme joue un rôle crucial dans la création d’un avenir durable, voire d’un avenir tout court. L’urgence climatique est à son paroxysme et une petite piqûre de rappel ne fera pas de mal. Dans notre société occidentale actuelle, la consommation d’énergie d’un individu peut être comparée à la production de 400 esclaves énergétiques humains travaillant sans repos tous les jours. Autrement dit, nous consommons quotidiennement l’énergie de 24 heures de travail de 400 hommes . La crise écologique actuelle peut être résumée en 4 chocs :
•
La fonte des glaciers et la boucle de rétroactions positives d’émission de CO2.
•
L’inertie des océans, qui mettra beaucoup plus de temps à se stabiliser que la température ou la concentration de CO2. (voir graphique)
•
La disparition progressive des matières premières comme le pétrole et les métaux rares : dans 80 ans plus de minerais de fer, 30 ans plus de cuivre, etc …
•
Crise de la biodiversité : extinction massive de la majorité des espèces.
Ainsi, pour sortir de cette impasse, le biomimétisme propose de s’inspirer de ce qui nous entoure. Les principes du biomimétisme ne sont qu’une fraction de la solution, et cela fait plus d’un demi-siècle que les premiers scientifiques ont lancé l’alerte du réchauffement climatique. Plus que réduire nos émissions de CO2 chaque année, nous devons changer drastiquement notre mode de vie, nous réinventer sans cesse tout en étant en accord avec le milieu dans lequel nous évoluons. Cet impératif catégorique s’impose de lui-même à l’homme, qui a trop longtemps oublié que tout système ou processus technique interagit en permanence avec son environnement et est composé presqu’exclusivement de ce dernier. Le biomimétisme renoue les liens entre l’ingénierie et le vivant. Ses principes ouvrent la voie à une nouvelle éthique de production centrée sur une insertion saine des processus au sein des écosystèmes, ainsi qu’une meilleure compréhension et utilisation des ressources naturelles de notre planète. Cependant, le biomimétisme n’est qu’une pièce du puzzle parmi tant d’autres. Il est aujourd’hui plus qu’urgent de le compléter afin de construire une société drastiquement plus respectueuse de l'environnement. Battonsnous à n’importe quel prix et avec n’importe quel moyen pour y parvenir. Rassembler les pièces après que les plus gros consommateurs de notre société aient violemment écrasés leurs poings sur la table pour la énième fois n’est plus suffisant. Les enjeux sont connus depuis des années et validés par l’écrasante majorité de la communauté scientifique, mais pourtant aucune conscientisation ne semble émerger. Les entreprises et états continuent de taper sur la table en quête de gain et d’une croissance perpétuelle. Le dialogue ne fonctionne pas, il faut désormais couper ces poings avant qu’ils ne détruisent encore plus ce puzzle que nous essayons de résoudre depuis des années.
GULLIVER VAN ESSCHE Source : Gauthier Chapelle, Michèle Decoust, “Le vivant comme modèle, pour un biomimétisme radical”, Editions Albin Michel 2015.
UNE EUROPE VERTE? LE PLAN DE RELANCE DE L’UNION EUROPÉENNE
Une Europe plus verte, voilà l’objectif souvent répété des dirigeant·e·s européen·ne·s. C’est également un élément principal dans le plan de relance de l’UE. Négocié le 21 juillet 2020 par les dirigeant.e.s des états membres, cet accord est proclamé comme historique par certains ( Charles Michel ), voire même qualifié de « nouveau plan Marshall » par d’autres ( Pedro Sanchez ). Néanmoins certains dirigeant·e·s semblent davantage cacher leur joie face à ce plan de relance qu’iels estiment contraignant et contre lequel iels ont du lutter pour obtenir des accords favorables. Dans cet article, nous allons décortiquer le dessous des cartes des négociations ainsi que le contenu de cet accord, qui n’est pas aussi aussi « vert » que prétendu.
PLAN DE RELANCE 750 Milliards d’euros, voilà le chiffre sur lequel les dirigeant·e·s européen sont tombés d’accord après des jours de tractation soutenue à Bruxelles. Ce chiffre est à nuancer par bien des aspects, car bien que le plan de relance européen « Next Generation EU » soit imaginé dans un objectif plus global, le Green New Deal, visant le zéro carbone en 2050 pour l’UE, une quantité importante de cette somme sera avant tout allouée sous forme de subvention aux états membres afin de pallier aux problèmes financiers urgents dont ceux-ci souffrent depuis maintenant plus de 6 mois et qui promettent de se prolonger pour au moins quelque temps encore. En effet, dans les 750 milliards d’euros du plan, pas moins de 670 milliards seront versés aux états membres pour soutenir les réformes et leurs économies par des investissements dans des secteurs comme le numérique, la transition écologique ou tout bonnement pour pallier le déficit financier des états les plus gravement en difficulté, une partie de cet endettement sera mis en commun pour éviter que ceux-ci ne sombrent dans une crise profonde.
L’autre partie du montant (presque 80 milliards d’euros) sera quant à elle essentiellement utilisée pour renforcer de nombreux programmes européens déjà préexistants comme le programme REACT-EU [1] qui capturera plus de la moitié du montant restant afin d’aider et de soutenir l’emploi dans les
états européens ainsi que divers autres secteurs économiques, privés ou publics. D’autres p r o g r a mm e s existants comme Invest EU [2] visant à capturer les investissements privés bénéficieront aussi d’importantes donations (plusieurs milliards) ou encore le programme Horizon EU [3] ayant pour objectif le développement de la recherche scientifique et la modernisation d’un certain nombre d’industries et d’infrastructures. Certaines institutions dont la controversée Banque d’Investissement Européenne [4] (pour son financement d’entreprises minière en Afrique [5]) et travaillant elles aussi en collaboration avec les acteurs privés bénéficieront aussi de ce renflouage des caisses. Finalement, un peu moins de 20 milliards d’euros seront investis directement dans le fond au développement durable et à l’agriculture ayant des objectifs de transition écologique . Ce qui, pour un plan initialement annoncé comme voulant lancer l’UE dans une transition verte, peut paraître très faible.
BUDGET Toutefois, le plan de relance, bien qu’important, se diluera dans l’espace et le temps. En effet, celui-ci s’étalera sur plusieurs années et est donc à mettre en parallèle avec le budget de l’UE 2021-2027 qui est estimé pour le moment à une somme un peu supérieure au billion d’euros (environ 1050 milliards d’euros) ce qui, sur la période 2021-2027, portera les dépenses de l’UE à un peu plus de 1,8 billion d’eu-
[1] https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/QANDA_20_948 [2]https://ec.europa.eu/commission/priorities/jobs-growth-and-investment/investment-plan-europe-juncker-plan/whats-next-investeuprogramme-2021-2027_en [3] https://ec.europa.eu/info/horizon-europe_en [4] https://www.eib.org/en/stories/climate-bank-roadmap.htm [5] https://www.isf-france.org/articles/bei-leurope-mine-lafrique
ros qui sont censés servir majoritairement à de nombreux programmes (notamment le renforcement des investissements dans les domaines dits stratégiques comme les programmes spatiaux européens, le programme Horizon Europe qui finance la recherche et l’innovation,etc.), mais aussi au service de la transition écologique. Sur cette même période, 30 % du budget (soit un peu plus de 500 milliards) devra s’inscrire dans l’objectif zéro carbone que l’UE vise à l’horizon 2050.
LES FRUGAUX Un accord aussi important a dû être ratifié par l’entièreté des états membres. Comme une bonne partie des débats en Europe, la négociation sur le pacte de relance a été très houleuse. Bien que cet accord soit majoritairement soutenu par nombre de pays se trouvant en grande difficulté économique comme l’Italie l’Espagne ou la France du fait de la crise, certains pays montraient une certaine opposition à ce plan de relance. Un groupe de pays (Pays-Bas Danemark, Suède, Finlande, Autriche) surnommés les ‘’ frugaux ‘’ ou les ‘’ radins ‘’ selon l’article de presse, voulant respecter l’orthodoxie libérale, s’étaient à l’origine opposés à ce plan. Finalement, l’opposition de ces pays riches, favorables à une stricte discipline budgétaire avait pour but de limiter les dépenses de l’UE pour sauver des pays comme l’Italie qu’ils considèrent comme beaucoup trop laxistes au niveau des finances publiques. Cependant, en échange de très nombreuses concessions, les frugaux ont fini par choisir d’adhérer au plan de relance. Toutefois leurs contreparties obtenues dans les négociations vont solidement fragiliser différents pans de l’UE. Premièrement, le budget du plan de relance a dû être revu à la baisse (les pays frugaux ne voulant pas alourdir la dette) et davantage financé par la création de dettes que par des fonds propres limitant ainsi les dépenses et les contributions directes des états au plan. La deuxième victoire des frugaux est leur propre contribution au budget européen. Ceux -ci ont obtenu un rabais de plusieurs milliards sur leur propre contribution au budget de l’UE alors même que de nombreux autres pays voulaient mettre fin à ce système depuis que le Royaume-Uni a quitté l’UE.
Une des autres victoires des frugaux est une coupe dans certaines dépenses de l’UE, notamment dans les programmes communautaires d’avenir proposés par la commission (Erasmus, recherche et innovation, etc…).
L’OPPOSITION DE VARSOVIE ET DE BUDAPEST En plus d’une opposition menée par les frugaux, les partenaires européens ont dû affronter la Pologne et la Hongrie. Le pacte de relance était à l’origine accordé seulement à des pays assurant la sauvegarde de l’état de droit, or les partis au pouvoir en Pologne et en Hongrie qui mènent depuis plusieurs années des politiques de sape de la séparation des pouvoirs et des droits des minorités auraient été freinés sec par ce conditionnement des subventions européennes, alors que ces deux pays sont relativement dépendant des dites subventions.
Voyant donc leurs ambitions de politique intérieure menacées par le plan de relance, Viktor Orban (Premier ministre hongrois) et Andrej Duda (président polonais) ont marqué leur opposition au plan de relance et menacé de ne pas voter en sa faveur si celui-ci restait conditionné à la sauvegarde de l’état de droit. Les Hongrois et les Polonais ont dans les faits un levier très puissant entre leurs mains, car l’endettement commun de l’UE doit être ratifié par presque tous les parlements nationaux pour être valide et effectif, de plus l’accord doit également être ratifié à l’unanimité par les dirigeant.e.s des pays membres. À la suite de ce chantage, les pays européens ont dû revoir leurs positions sur le conditionnement des subventions à l’état de droit, tout d’abord en supprimant le régime de sanction pour de nombreuses ingérences ainsi que le conditionnement des subventions à la sauvegarde de l’état de droit. Et ce alors même que les parlementaires européens de la commission des libertés civiles semblaient vouloir établir une ligne intransigeante sur le conditionnement des subventions à la sauvegarde de la démocratie.
UN ACCORD SI HISTORIQUE QUE ÇA ? Pour finir après tant de concessions, de réduction, de débat et de division, cet accord est-il si historique que prévu ? Comme écrit plus haut dans l’article, les 750 milliards d’euros du fonds ne seront pas disponibles tout de suite et l’impact que ceux-ci auront sur l’économie réelle ne sera chiffrable que dans quelques années. Mais le contenu de l’accord et les négociations nous donnent déjà le début d’une réponse. On pourrait qualifier d’historique cependant la mise en commun de dettes pour éviter un surendettement individuel de certains états encore lourdement atteints par les impacts de la mise en commun de dettes pour éviter un surendettement individuel de certains états encore lourdement atteints par les impacts de la crise de 2007 et de 2011 (comme l’Espagne l’Italie ou la Grèce et dont bien souvent les systèmes de santés ont été dégradés pour des raisons budgétaires). Il a été ainsi décidé que plusieurs centaines de milliards d’euros seront empruntés auprès des marchés financiers par l’émission de titre au nom de l’UE. Ce nouveau système de mise en commun des dettes, qui a longtemps été bloqué par les pays du nord de l’Europe est vu par certains comme un pas supplémentaire vers une construction européenne. De plus, cette émission de titres au nom de l’Europe, qui jusque-là devait garder un budget à l’équilibre, rompt avec un certain nombre de traités assez restrictifs (notamment le très médiatisé traité de Maastricht qui limite les dépenses budgétaires au-delà d’un certain déficit). Ce nouveau système a été soutenu par des pays qui réclamaient un système de mutualisation des dettes depuis plusieurs années, mais aussi par la très libérale chancelière allemande, et ce, aussi bien dans un objectif économique (dont le pays très exportateur dépend des bonnes santés économiques de ses voisins friands de ses produits) et un objectif plus global de renforcement de l’UE. Ce système de mutualisation va cependant représenter un désavantage pour certains pays, en effet certains pays ayant une forte santé économique et un haut taux d’épargne (les pays
frugaux) vont devoir prendre sur leur économie pour financer celle des pays du Sud de l’UE, selon certains une mutualisation de la dette est ‘’ donc une redistribution de l’épargne réelle européenne qui est en jeu ! ‘’ [6]
ET LE VERT ? 30%, voilà l’objectif annoncé des partenaires européens en matière de transition écologique sur un budget de plus de 1 800 milliards pour la période 2021-2027, ce qui devrait amener à une somme un peu supérieure à 500 milliards. Ce montant peut paraître énorme mais il reste insuffisant pour réaliser la transition écologique dont l’Europe a besoin et l’accomplissement des objectifs de diminution d’émission de carbone, c’est finalement assez peu en comparaison des besoins. N’oublions pas que l’UE est un des premiers producteurs mondiaux de carbone derrière la Chine et les USA, qu’une bonne partie des pays européens sont encore alimentés en électricité par des centrales à charbon, et que notre principal moyen de transport reste encore la voiture. L’UE veut s’appuyer sur des projets massifs [7] de digitalisation, automatisation, d’une dépendance moins forte aux énergies fossiles en développant un transport plus vert et en accentuant l’utilisation des énergies vertes, et en pariant sur une réduction des émissions de carbone grâce à une meilleure efficacité énergétique aussi bien pour les logements que pour les industries les plus polluantes. Cependant, le problème est comme bien souvent une question d’argent, car faire passer une des aires géographiques les plus polluantes de la planète en un exemple à suivre risque de coûter cher.
Voyant donc leurs ambitions de politique intérieure menacées par le plan de relance, Viktor Orban (Premier ministre hongrois) et Andrej Duda (président polonais) ont marqué leur opposition au plan de relance et menacé de ne pas voter en sa faveur si celui-ci restait conditionné à la sauvegarde de l’état de droit.
[6] https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/10/12/thierry-aimar-derriere-la-mutualisation-de-la-dette-c-est-une-redistribution-de-l-epargneeuropeenne-qui-est-en-jeu_6055662_3232.html [7] https://www.connaissancedesenergies.org/la-commission-europeenne-veut-tracer-la-voie-de-la-neutralite-carbone-181129
Ainsi selon de récentes estimations de la commission, il faudrait pour réaliser les objectifs en matière de climat un budget annuel de 260 milliards d’euros pendant les dix prochaines années, donc un budget total de 2600 milliards d’euros. Les 550 milliards investis directement dans la transition écologique sont donc à prendre avec prudence selon la Cour des comptes européenne. De plus, la méthodologie attribuant les fonds est « profondément biaisée ». Nombre de projets estampillés « verts » ne devraient plus l’être si une nouvelle méthode d’attribution des fonds voyait le jour. Pour finir, bien que d’importantes dépenses du projet de relance soient concentrées sur la transition écologique, d’autres fonds européens tel que le « fonds pour une transition juste et durable » ont été rabotés pour éviter un déficit trop important.
CONCLUSION Le plan de relance, bien qu’étant défini par certain·e·s comme ambitieux et historique sur certains aspects, notamment sur l’endettement commun et le non-respect des traités instituant une intransigeance pour un équilibre des budgets et qu’il est vu comme une prolongation de la construction européenne qui depuis le brexit et la crise de la dette en 2011 semblait prendre du plomb dans l’air, celui-ci est très loin d’être parfait. Outre les rabotements de certains budgets, la réduction des recettes du fait de la négociation des frugaux, et un projet annoncé comme vert alors qu’il n’est ni suffisant, ni réellement vert, cet accord, annoncé ambitieux et historique, ne l’est pas vraiment. Cependant, il pourrait constituer une première étape vers davantage de communication et de mise en commun entre les différents états européens par l’utilisation du mécanisme de mutualisation de la dette. De plus, et ce grâce à de récentes évolutions au sein du parlement européen, de nombreuses choses risquent encore de changer (le parlement a notamment obtenu une légère hausse de l’enveloppe et la création de nouvelles taxes dans les années à venir (même si les modalités de celle-ci ne sont pas encore définies)). [8]
ARTHUR NOTERIS [8] https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/11/10/plan-de-relance-europeen-un-nouvel-obstacle-est-leve_6059257_3234.html
« Ainsi selon de récentes estimations de la commission, il faudrait pour réaliser les objectifs en matière de climat un budget annuel de 260 milliards d’euros pendant les dix prochaines années, donc un budget total de 2600 milliards d’euros. Les 550 milliards investis directement dans la transition écologique sont donc à prendre avec prudence selon la Cour des comptes européenne »
LA POLITIQUE AGRICOLE COMMUNE DE L’UE
La terre brûle. Le monde agricole se meurt. Dans ce contexte, le mois dernier, un vote de la plus haute importance a eu lieu au parlement Européen. Comme tous les 7 ans, les eurodéputé·e·s se sont prononcé·e·s sur une réforme de la PAC, la Politique Agricole Commune de l’Union Européenne. La proposition de PAC qui a été votée favorise largement les intérêts des grands industriels. Dans un contexte de Green Deal [1]et de promesses ambitieuses de la part de la Commission Européenne, c’est par là un pilier majeur de la transition écologique au niveau Européen qui sera figé dans le marbre[2].
QU’EST-CE QUE LA PAC ? La PAC est la politique agricole commune aux États membres de l’Union Européenne. Prévue par le traité de Rome, elle est entrée en vigueur en 1962 et constitue l’un des fondements de la construction européenne. Son objectif initial était de garantir une sécurité alimentaire pour l’ensemble des européen·ne·s en augmentant la productivité du secteur. Le but était de rendre la Communauté des États membres autosuffisante, plus solidaire et de moderniser un secteur agricole encore très disparate selon les pays [3]. Elle constitue encore aujourd’hui 38% du budget européen, c’est à dire près de 60 milliards d’euros par an [4], et est considérée comme l’un des leviers d’actions majeurs pour les enjeux d’autosuffisance alimentaire et de développement durable au niveau Européen.
producteurs en répartissant les subsides en fonction de critères comme le nombre d’animaux possédés. Or ce sont justement ces “petits” producteurs qui auraient besoin de nombreux subsides, cela dans un contexte où les prix européens, alignés sur les prix mondiaux, ne permettent pas à de nombreux·ses producteur·rice·s de couvrir leurs frais de production et de gagner dignement leur vie.
II. Le développement rural :
COMMENT ÇA FONCTIONNE ?
Cette partie de la PAC est cofinancée par les états-membres. Il s’agit d’un soutien accordé aux agricult·eur·rice·s en situation de désavantage compétitif lié à leur zone géographique, leur pratique ou du fait de leur démarrage dans le secteur. Cette aide complémentaire a pour but de favoriser la compétitivité de l’agriculture, de garantir une gestion durable des ressources et d’établir des mesures pour préserver le climat, mais aussi d’assurer un développement territorial équilibré des économies et des communautés rurales[6].
Concrètement, La PAC est divisée en 3 piliers[3] :
III. L’organisation commune des marchés :
I. Les aides directes :
Cet axe de la PAC sert à garantir une stabilité sur les marchés agricoles par des interventions de l’UE. Son rôle est également d’aiguiller le secteur agricole afin qu’il s’adapte aux évolutions du marché[7].
Il s’agit d’un soutien financier directement accordé aux agricult·eur·rice·s. Les aides sont distribuées selon 2 critères : 85% en fonction de la surface de l’exploitation et 15% en fonction du potentiel de production [5]. Ces critères sont critiqués car ils favorisent les grandes surfaces de production au détriment de petits
[1] Un pacte vert pour l’Europe. https://ec.europa.eu/info/strategy/priorities-2019-2024/european-green-deal_fr [2] Lire aussi : Le Parlement Européen sauvera-t-il le Green Deal ? Natagora. https://www.natagora.be/news/le-parlement-europeen-sauvera-t-il-legreen-deal?fbclid=IwAR0MOomtEwsXiMA9BerbvPcWy_8kHduPMCrwlHqaiSV1ZbuCcDoTp8aNoYY [3] Politique Agricole Commune. Wikipédia. https://fr.wikipedia.org/wiki/Politique_agricole_commune? fbclid=IwAR30Gvi3BRiJQ4mLo6khyogGnQTOEAZ6Ao6SajyIN6Ob8tnKRylrG-Ka1vc#Budget_de_la_PAC_(en_millions_d'%E2%82%AC) [3] La politique agricole commune en bref. European Commission. https://ec.europa.eu/info/food-farming-fisheries/key-policies/commonagricultural-policy/cap-glance_fr#howitspaidfor[4] EU expenditure and revenue 2014-2020 [Base de données]. European Commission. https:// ec.europa.eu/budget/graphs/revenue_expediture.html [5] Développement rural. European Commission. https://ec.europa.eu/info/food-farming-fisheries/key-policies/common-agricultural-policy/ruraldevelopment_fr [6] Les mesures de marché en bref. European Commission. https://ec.europa.eu/info/food-farming-fisheries/key-policies/common-agriculturalpolicy/market-measures/market-measures-explained_fr [7] Lire aussi : Stanka Becheva et Véronique Rioufol (2019, 11 février). Fermes : croître ou céder. https://fr.boell.org/fr/2019/02/11/fermes-croitre-ou-ceder
QUEL EST LE PROBLÈME ? Aujourd’hui, le monde agricole n’a plus la même allure qu’au début de la PAC : les fermes sont plus grandes mais moins nombreuses et les conditions de plus en plus difficiles pour des petit·e·s producteur·trice·s. Les prix de vente des aliments en supermarché ne permettent pas de couvrir les frais et coûts de production des agricult·eur·rice·s. Ces dernier.ère.s dépendent donc des subsides alloués par la PAC pour vivre, ou plutôt survivre. De plus, comme explicité auparavant, La PAC alloue davantage de subsides à l’agriculture industrielle, à grande échelle et à rendements très élevés[8]. Elle encourage ainsi la surexploitation des ressources qui s’accompagne d’une utilisation généralisée de pesticides, réduit la diversité des cultures et menace la biodiversité. En tant que telle, la PAC pourrait être un outil adapté pour arriver à concilier sécurité alimentaire, revenu digne pour les agriculteur·trice·s et respect des écosystèmes. Ainsi, pensée différemment, la PAC pourrait favoriser la transition vers un secteur agricole plus durable et résilient face aux futurs chocs liés au dérèglement climatique, freiner la perte de biodiversité dans l’Union Européenne et permettre à une plus large tranche de la population de se nourrir de façon saine et durable. Malheureusement, les sommes déboursées pour des enjeux environnementaux restent marginales par rapport à celles qui poussent à une production intensive. De fait, selon les critères actuels, il faut avant tout produire beaucoup pour toucher plus de subsides. [9] Ainsi, la PAC peut, dans sa version actuelle, être considérée comme une politique de subventions à l’agro-industrie Européenne. Agroindustrie, qui, par conséquent, est très compétitive sur les marchés internationaux, avec des conséquences drastiques pour les secteurs agricoles de nombreux pays en développement. A titre d’exemple, le secteur agricole de l’Afrique de l’Ouest, non concurrentiel face aux exports européens, s’est “effondré” ces dernières années (SOURCE)
VOTE DE LA PAC AU PARLEMENT EUROPÉEN Le vote qui a eu lieu au Parlement le vendredi 23 octobre aurait été une occasion d’établir de nouvelles mesures favorisant l’agroécologie et les plus petits producteurs. Et, a priori, tous les indicateurs étaient au vert et les associations militantes se réjouissaient d’une réforme de la PAC qui prenait en compte les enjeux de durabilité et d’agroécologie. Cependant, sous la pression de lobbys industriels, entre autres la CopaCogeca, lobby européen rassemblant de nombreux industriels du secteur agricole, la réforme actuellement à l’ordre du jour ne correspond en rien au texte de réforme initial et ne répond plus à ses idéaux initiaux [10]. En effet, les lobbies industriels sont particulièrement puissants et influents dans l’élaboration et la modification de divers projets de loi. Dans le cadre de cette réforme-ci, le lobby CopaCogeca , qui exerce une influence majeure dans le processus législatif européen, semble avoir contré les velléités de verdissement de la politique agricole commune avec succès.
ET MAINTENANT? Les retombées de la PAC nous concernent directement [11]. L’agriculture joue un rôle plus qu’essentiel dans notre système alimentaire. Or l’urgence climatique et la détresse socioéconomique des agricult·eur·rice·s nous imposent un changement de nos systèmes alimentaires [12]. Changeons la PAC, pour préserver la biodiversité, assurer une alimentation saine à l’ensemble de la population européenne et arrêter de négliger les enjeux climatiques.
Que faire? Du bruit. Manifester notre mécontentement du système agricole actuel et notre envie de nouvelles mesures mieux adaptées aux enjeux environnementaux et sociaux actuels. Il est intéressant de remarquer que, suite aux manifestations citoyennes de contestation de la PAC, une soixantaine
[8] En réalité, il a été prévu de diminuer le montant des aides pour les très grandes exploitations (https://ec.europa.eu/eip/agriculture/en/news/futurefood-and-farming) en prévoyant un plafond et un prélèvement sur les exploitations à partir d’un certain montant. Mais cette mesure n’aura que peu d’effet puisqu’il est possible de faire augmenter ce plafond à hauteur des charges de travail ; (lire aussi : « Une politique agricole si peu commune » : https://www.monde-diplomatique.fr/2018/10/COURLEUX/59117) [9] Vallet Cédric, “Le lobby agricole lutte contre un verdissement de la PAC”, 2020, 12 octobre. https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/10/12/lelobby-agricole-lutte-contre-un-verdissement-de-la-pac_6055667_3234.html [10] Privileged access for Copa-Cogeca and industry in DG Agriculture. Corporate Europe Observatory. https://corporateeurope.org/en/2020/10/ privileged-access-copa-cogeca-and-industry-dg-agriculture [11] La PAC, ça m’impacte ? Pouruneautrepac. https://pouruneautrepac.eu/comprendre-la-pac/la-pac-ca-mimpacte/ [12] Lire aussi : Arthur Dielens (2019, 22 août). Je pige pas ces bouffeurs de graines, pourquoi manger c’est voter. https://asbean.be/2019/08/22/as-bean/
d’eurodéputé·e·s supplémentaires ont affirmé être contre l’état actuel de la réforme de la PAC. Cela n’a cependant pas été suffisant dans un contexte Européen où les partis dominants du Parlement et Conseil Européen sont des partis conservateurs et libéraux. Il reste cependant une chance pour changer de politique agricole commune. Dans le cas présent, la PAC a déjà été approuvée par le Parlement et le Conseil, mais il reste l’étape finale de négociation entre le Conseil et le Parlement autour du texte final du projet de réforme (nommée “Trilogue” dans le jargon des institutions européennes). Et la Commission a donc encore la possibilité de retirer sa proposition. [13] Les député·e·s européen·ne·s des partis verts, les militants pour le climat et les organisations de la société civile demandent à la Commission de retirer sa proposition de réforme de la PAC, arguant que cette dernière, dans sa forme actuelle, n'est pas compatible avec les engagements pris dans le cadre du Green Deal. Frans Timmermans, vice-président de la Commission européenne et figure de proue du Green Deal, a déclaré « Je dois admettre honnêtement que j'ai été très déçu. Déçu que le Conseil européen et le Parlement européen s'en tiennent à une politique agricole qui n'est pas durable et qui ne peut pas continuer ainsi ». [14] La probabilité pour que la Commission retire sa proposition est faible, mais cela n’empêche pas de continuer le combat. Ainsi, depuis des semaines, les manifestations citoyennes continuent autour de nouvelles revendications : Withdraw The CAP [15] !
ADRIANO LA GIOIA ET MARGOT DIOR PEELMAN
Les retombées de la PAC nous concernent directement [11]. L’agriculture joue un rôle plus qu’essentiel dans notre système alimentaire. Or l’urgence climatique et la détresse socioéconomique des agricult·eur·rice·s nous imposent un changement de nos systèmes alimentaires [12]. Changeons la PAC, pour préserver la biodiversité, assurer une alimentation saine à l’ensemble de la population européenne et arrêter de négliger les enjeux climatiques
[13] Au niveau Européen, c’est la Commission qui propose diverses propositions de lois (règlements et directives) et de réformes, et c’est ensuite au Parlement européen (composé d’élu·e·s) et au Conseil de l’UE) de soumettre des amendements et d’approuver le projet de réforme. [14] Timmermans est “déçu” par la réforme en cours de la PAC (2020, 16 novembre). Village FSE. https://www.villagefse2016.fr/timmermans-est-decupar-la-reforme-en-cours-de-la-pac [15] Retirez la PAC (2020, 2 décembre), withdraw the cap. https://withdrawthecap.org/fr
LES ECOLOGIES D’EXTREME-DROITE
Certain·e·s affirment sans trembler que les nazi·e·s étaient écolos, et pour preuve Hitler n’était-il pas végétarien ? Quoi qu’il en soit et contrairement à ce que l'on pourrait croire, l’intérêt ou l’instrumentalisation de l’écologie par l'extrême droite n'est pas neuf. Si le greenwashing des thèses racistes est une tendance au Rassemblement National et que c'est un renouveau depuis le départ de Bruno Mégret en 1990 [1], nous ne pouvons faire fis des réflexions écologiques à la droite de la droite depuis cinq décennies au moins. En effet, l'ex-Front national (ou votre parti nationaliste favori) n'est que la face immergée de l'iceberg. Par ailleurs se trouve tout un contrechamp intellectuel dont le GRECE [2], pour ne citer que lui, est un des fers de lance. Dans cet article, nous traiterons des tentatives écologistes dans les milieux conservateurs et réactionnaires. Il ne sera donc pas question de climato-scepticisme, et de carbo-fascisme non plus [3]. Nous nous bornerons à deux tendances de ces extrêmes droites écologistes en rappelant bien sûr qu’elles ne résument pas à elles seules l’ensemble des courants idéologiques de l’extrême droite sur la question. Premièrement l'écologie intégrale. Deuxièmement l’écofascisme. Aussi, nous ferons une incise importante sur la notion de confusionnisme - en politique -appliqué à l'écologie.
L’ÉCOLOGIE INTÉGRALE, UN CHEVAL DE TROIE RÉACTIONNAIRE En France, le concept « d'écologie intégrale » est introduit en 2007 dans les milieux catholiques par l’anarchiste chrétien Falk Van Gaver, [4]. Sur fond de critique de la modernité, il oppose la frugalité à un mode vie individualiste, ultra-techniciste et fondé sur l'exploitation de la nature. Il imagine une écologie naturelle, mais aussi humaine. Dans sa vision des choses, l'humain et la nature sont les deux pièces d'une même création, ainsi la destruction de la nature est une offense à Dieu. Rapidement, l'expression est reprise par des milieux intégristes catholiques jusqu'au Vatican en 2015 dans l'encyclique Laudato Si' du Pape François. Pour l’Église, l'écologie est un conservatisme, elle prône une écologie de la nature et des corps, selon l’expression de Jean Paul II « non seulement la terre a été donnée par Dieu à l'homme […], mais l'homme, lui aussi, est donné par Dieu à lui-même et il doit donc respecter
la structure naturelle et morale dont il a été doté" [5]. Cette « écologie » adoubée par le Vatican justifie des positions conservatrices, voire réactionnaires, en termes bioéthiques. Le Pape François écrit, dans l'encyclique susnommé « Puisque tout est lié [principe au cœur du texte], la défense de la nature n'est pas compatible non plus avec la justification de l'avortement ». L'écologie intégrale (et catholique) est donc un cheval de Troie réactionnaire anti-IVG et anti-PMA. À ce sujet, la revue Limite dont le sous-titre est « Revue d’écologie intégrale » héberge les écrits d'Eugénie Bastié (la co-fondatrice antiavortement), de Gautier Bès de Berc (le cofondateur anti-mariage homosexuel) et de Tugdual Derville (délégué général de l'alliance Vita « pro-vie » et figure de proue de la manif pour tous). Dans les partis politiques d’extrême droite, l'écologie est intégrale quand elle prend en compte l'immigration. Iels proposent une écologie des civilisations farouchement antimigrant·e·s, les migrant·e·s étant vu·e·s comme des facteurs de déséquilibre culturels et naturels. Iels emploient souvent la rhétorique de la « vraie écologie », et nous comprenons que pour elleux, l’immigration est le
[1] En 1990, Bruno Mégret (issu des rangs de la Nouvelle Droite) quitte le FN avec 60 % de ses cadres. Il tendait à euphémiser les discours radicaux d’extrême droite, engager des alliances avec les partis libéraux et tenait un discours écolo-identitaire. [2] Sous l’acronyme GRECE: le groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne co-fondé en 1970 par Alain de Benoist. Le philosophe initiait en 1969 un courant de pensée appelée « la Nouvelle Droite ». Le GRECE tente d’allier l’écologie et l’identité européenne. [3] Le/la climato-sceptique met en doute l'effet des activités humaines sur les changements climatiques actuels tandis que le/la carbo-fasciste accepte ou non la réalité scientifique des dérèglements climatiques mais vise à accentuer la hiérarchie sociale pour s’accaparer les dernières ressources disponibles. [4] Puis il développe le concept dans L’Écologie selon Jésus-Christ, éditions de l’Homme Nouveau, 2011) [5] in. l’encyclique Centesimus Annus, 1991. [6] « Le sang et la terre »
seul vrai sujet . Petit détour par le nationalisme allemand pour expliquer les soubassements de cette non-pensée écologiste.
BLUT UND BODEN [6] C’est dans une Allemagne pas encore unifiée et dans un contexte de modernisation rapide à la fin du XIXe siècle qu’apparaît le mouvement Völkisch, un courant de pensée réactionnaire qui prendrait racine dans le romantisme allemand pour devenir le creuset du nationalsocialisme. En effet, les penseur·euse·s nationaux-völkischer exaltent une mystique de la terre et du sang allemand qui nous renvoie à la période idéalisée des anciens germains. Il y a cette idée que, tout autant que la cohésion linguistique, la nature environnante serait ellemême un facteur d’unification de la nation allemande. Sur fond de critique anti-moderne et d’industrialisation massive donc, on prône un retour à la terre émancipatrice ! Ce qui est dénoncé est un déracinement profond dû à l’exode rural vers les grands centres ouvriers des premières métropoles. On accuse entre autres les juif·ve·s d’être les instigateur·rice·s sinon les grands profiteur·euse·s de ce changement de civilisation. Vu depuis des temps immémoriaux comme des éterne·lle·s déraciné·e·s et des cosmopolites, iels occuperaient aussi les bonnes places dans les commerces et la finance naissante. En réalité, il n’en est rien, la masse des juif·ve·s étaient des travailleur·euse·s pauvres et les seul·e·s qui y échappaient n’auraient jamais pu correspondre à l’idéal paysan en vogue chez les penseur·euse·s Völkischer. En effet, ces derniers omettent volontairement de dire que la possession de terres était interdite aux populations juives. L’idée même que des populations construites comme « étrangères » puissent parasiter notre société occidentale est particulièrement fascisante. Premièrement, parce qu’elle sous-tend des politiques policières et militaristes en vue des millions de réfugié·e·s climatiques annoncé·e·s dans les décennies à venir. Deuxièmement, parce que, bien que l’Occident délocalise sa pollution sur d’autres continents, il n’en est pas moins vrai que l’Union Européenne figure au podium des plus grands pollueurs mondiaux et a donc toute sa part de responsabilité dans les catastrophes à venir sur tous les continents. Troisièmement, ces populations minoritaires sont largement invisibilisées et absentes des institutions, sinon la cible de celles-ci. Les tenant·e·s de cette pensée en
viennent à dénoncer une société « décadente » qu’iels commandent elleuxmêmes. Une pensée fascisante qui a inspiré le régime fasciste par excellence, le régime nazi. Quand le mouvement völkisch prend un tournant expansionniste, le NSDAP [7] fait entrer le nationalisme allemand dans un nouveau paradigme et il est important de saisir le rapport ambivalent des nazi·e·s à la modernité. Avec la logique du Lebensraum (espace vital), on découvre la nécessité impérieuse de s’étendre. C’est le début d’une séquence impérialiste au service de la race germanique (on radicalise aussi la question de l’identité puisqu’on passe de la nation à la race). Qui dit puissance impérialiste dit puissante armée et donc puissante industrie. Dans la critique nazie de la modernité on fait donc l’éloge du complexe militaroindustriel mais l’on décrie le capitalisme financier auquel sont associé·e·s les juif.ve·s dans l’imaginaire nazi. Du reste, le IIIe Reich a-t-il été le protecteur de l’environnement ? Entre l’explosion de l’agrochimie, la destruction des forêts pour le bois ou pour laisser place aux camps de concentration et la bétonisation massive des côtes atlantiques à des fins défensives, Johann Chapoutot, historien spécialiste du nazisme et auteur de La Loi du sang. Penser et agir en nazi (Gallimard, 2014), est très clair : « Partout, la nature est mise en coupe réglée pour servir la protection et l'accroissement du sang allemand » [8]. La prétendue protection de la nature et de la ruralité allemande est donc un leurre pour justifier l’exclusion et la barbarie. Pour l’extrême droite, le fonctionnement écologique de la planète repose sur un ethnodifférentialisme [9] du chacun chez soi (qui veut surtout dire « rentrez chez vous »), une sorte « d'utopie racialiste » comme si l'histoire de l'Humanité n'était pas faite de flux migratoires ininterrompus et en tous sens. « Cette extrême droite défend la thèse de l’origine polygénique du genre humain, et donc des différentes «races humaines» et des différentes cultures. La «vraie écologie» consisterait ici à préserver cette diversité raciale et culturelle par le maintien des grandes «races» dans leur environnement naturel. Les cultures sont dites incompatibles entre elles, car racialement différentes. » selon l’historien Stéphane François spécialiste de l’extrême droite. [10] Toutefois, le concept d'écologie intégrale n'est pas l'apanage de la droite dure, il est revendiqué par des figures plus centristes de la social -démocratie française comme Delphine Batho [11]. La présidente de Génération Ecologie et députée des Deux Sèvres y voit une écologie
[7] Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei, parti nazi. [8] "La protection de la nature permettait aux nazis de justifier la violence", Catherine Vincent, Le Monde, 4 Octobre 2019 [9] Conceptualisé par le GRECE à partir des thèses Lévi-straussiennes du différencialisme [10] Covid-19 : le «localisme» ou comment l'extrême droite rêve un «monde d’après» raciste, Stéphane François, Libération
respectueuse des trois piliers du développement durable que sont l'économie, le social et l'environnement. Au philosophe Dominique Bourg d'ajouter « Au sens où je l’emploie, c’est avant tout un synonyme de durabilité forte : l’économie est dans la société, laquelle est intégrée au sein du système Terre. Chaque système imposant ses contraintes au soussystème qu’il intègre ou comprend». [12] S'il y a donc une tentative de récupération du concept d'écologie intégrale par les milieux « soce-dem », il y a un concept dont l'orientation politique ne souffre pas l'ambiguïté, c'est l'écofascisme.
L’ÉCOFASCISME, EUGÉNISTE ET DÉCROISSANT Comme nous le disions, la protection de la nature a toujours été un cheval de bataille du fascisme. Tout bonnement, l'écofascisme qui nous intéresse est une alliance subtile d’eugénisme et de décroissance, mais comme avec l'écologie intégrale, nous nous proposons un bref historique. Le terme « écofascisme » a deux acceptions principales. L'une popularisée par les libéraux entend dénoncer la « tendance totalitaire » des critiques écologiques de la société techno -industrielle. L'autre désigne le régime écofasciste lui-même où la population est réduite de manière artificielle et où la croissance économique est proscrite à des fins de protection de l'environnement. Pour bien comprendre l'écofascisme, il faut comprendre le fascisme Un des meilleurs moyens de le décrypter étant d'écrire son histoire - et d'ailleurs elle se poursuit - nous nous contenterons de balayer brièvement les composantes fascistes de cette doctrine.
Bien que l’Occident délocalise sa pollution sur d’autres continents, il n’en est pas moins vrai que l’Union Européenne figure au podium des plus grands pollueurs mondiaux et a donc toute sa part de responsabilité dans les catastrophes à venir sur tous les continents.
En matière de démographie, les écofascistes sont rompu·e·s au malthusiannisme. C'est Proudhon qui crée ce terme pour désigner les théories économiques de Thomas Malthus en même temps qu' il le réfute (Marx et Engels en feront de même). Thomas Malthus est un économiste bourgeois des XVIII et XIXè siècle. Dans An Essay on the Principle of Population [15], la grande crainte de Malthus est que la population – dont il suppose la croissance exponentielle – croit plus vite que les ressources disponibles. Il se pose donc un problème de surpopulation. Fort teinté de mépris de classe, Malthus impute cette catastrophe aux familles pauvres qui font trop d'enfants incitées à procréer par les Poor laws (lois sur les pauvres). En vigueur au Royaume-Uni du XVI au XIXè siècle, elles se matérialisent sous forme d'aides gouvernementales. Il propose donc d'abroger ces lois et elles le seront quatre mois avant sa mort en 1834. Toutefois, si cette abrogation ne suffisait pas, il indique également des freins à la surpopulation nommés « checks ». Les positive checks (famines, épidémies, guerres) & les préventive checks (contrôle des naissances, ou contraintes morales comme la chasteté) [16]
Un vieux refrain de l’extrême droite consiste à connecter la surpopulation et l’immigration. D’ailleurs, les tueurs de Christchurch et El Paso en sont témoins du fond de leur cellule. Le premier écrivait dans son manifeste « L’environnement est détruit par la surpopulation, et nous, les Européens [17], sommes les seuls qui ne contribuent pas à la surpopulation. (…) Il faut tuer les envahisseurs, tuer la surpopulation, et ainsi sauver l’environnement. »
SAVE BEES, NOT REFUGEES [18] Comme l'explique Ugo Palheta dans La Possibilité du Fascisme [19], une des particularités de cette idéologie (le fascisme) est d'occulter les questions sociales et maintenant écologiques en plaçant au cœur des débats la question identitaire, qu'elle soit nationale, européenne ou blanche. C'est dans une sphère complètement idéelle qu'évolue le fascisme alors il se fait le récit d'une population « opprimée » puis révolutionnaire et triomphante, typiquement l'homme blanc cisgenre hétérosexuel selon l'extrême droite contemporaine, ). Pour la faire courte, les dominant·e·s se font passer pour les dominé·e·s et l'oppression se perpétue de mal en pis. Le « racisme antiblanc » et la « crise de la masculinité » en sont
[11] Delphine Batho, Écologie intégrale: Le manifeste, éditions du Rocher, 2019. [12] Dominique Bourg en développe sa conception dans Écologie intégrale: pour une société permacirculaire, Presses universitaires françaises, 2017.
des cas d'école. C'est en déplaçant la question de l'écologie sur le terrain identitaire que les fascistes et plus globalement l'extrême droite se font les serviteurs du Capital, au lieu d'adresser une critique radicale du capitalisme ils travaillent à un « bloc blanc sous domination bourgeoise, une alliance de classe contre l’étranger ». [20]
avec le fascisme, qu’il a combattu en Espagne. Par là, iels travaillent à brouiller les lignes entre l’extrême gauche et l’extrême droite.
Le comble du paradoxe, c’est que l’extrême droite voit une alliance objective entre les réfugié·e·s et les grands patrons. Encore une fois iels ajoutent à la confusion en faisant une utilisation malhonnête de la notion marxiste d’« armée de réserve ». En effet, les immigré·e·s en général, issu·e·s de « peuples sans histoires » et donc peu enclins à la lutte ouvrière contribueraient à une baisse tendancielle des salaires [21]. Ce qui est largement contredit et, plus globalement, nous constatons avec quelle fermeté l’État et sa « justice », loin d’organiser l’immigration, refusent l’accueil des réfugié·e·s. Si le Capital a pu soutenir l’immigration durant les « Trente Glorieuses », il a cependant profité aux ouvrier·ère·s européen·ne·s, leur permettant ainsi de monter dans la hiérarchie des entreprises avec moins de difficultés [22]. L’extrême droite fantasme donc une complicité entre les immigré·e·s et les capitalistes. En divisant la classe des producteur·rice·s, iels détournent le prolétariat de ses intérêts, c’est-à-dire renverser la société de classes. Nous pourrions par conséquent considérer que ce sont elleux les vrais allié·e·s du Capital.
Depuis de nombreuses années, l'extrême droite essaie d'infiltrer les territoires en lutte comme à Sivens ou ailleurs. Iels tentent de s'approprier des symboles, des méthodes de lutte et des concepts de gauche. Parmi les grands écueils dans lesquels le mouvement écologiste ne doit pas surtout pas s’engouffrer, il y a sans doute le confusionnisme.
Enfin, les écofascistes dont le maître à penser est le suédois feu Pentti Linkola aiment à se parer de l’étiquette primitiviste en ce qu’iels veulent interdire toute croissance économique et bannir toute technologie. Seulement, la proposition primitiviste n'est pas de retourner au modèle Amish (comme dirait l'autre) ou de retourner à l’époque des chasseurs-cueilleurs. C'est plutôt lutter contre les effets néfastes de la société techno-industrielle (travailleur outil de la machine – dépendance aux outils téléphonique, automobiles destruction de l’environnement). En rejetant en bloc toute technologie, ils sont dans une réaction stérile. Ajoutons que l’extrême droite aime à formuler sa critique de la technologie à grands renforts de textes orwelliens extraits de 1984. Mais George Orwell a sa vie durant flirté avec le trotskisme et l’anarchisme, certainement pas
SUR LE CONFUSIONNISME
Attention, le Larousse le définit comme « une attitude visant à empêcher l'analyse objective des faits ». Nous ne prétendons pas avoir la science infuse, en politique le concept de confusionnisme est ancré historiquement [21]. Il désigne une tactique consciente de l'extrême droite pour tromper la classe des producteur·rice·s. Exemples types, « le nationalsocialisme » qui constitue une antithèse en soit ou Alain Soral qui dirige le média Égalité et Réconciliation dont le sous-titre est « Gauche du travail, droite des valeurs, réconciliation nationale ». En mathématiques on appelle ça un espace non-euclidien (deux droites parallèles qui finissent par se rejoindre en un certain point), pour reprendre la métaphore du sociologue Gérald Bronner. Sauf que dans les faits, la gauche et la droite sont irréconciliables. Elles défendent des visions diamétralement opposées. Cas pratique en écologie : « Tout le pouvoir au local », c'est le slogan qu'affichait en une Socialter dans son n°39, reprenant un slogan célèbre des révolutions russes de 1917. Ainsi la revue interrogeait la relation entre les communes et l’État. Seulement n’oublions pas que cette antienne est de longue date en proie aux assauts d’un certain Alain de Benoist, principal représentant de la « Nouvelle Droite » qui théorise son propre « localisme » et n’hésite pas à user de rhétoriques marxistes à ses fins. Pour lui, le localisme est un repli sur soi et par ailleurs un vieux concept exhumé par Marine Le Pen en ces temps de crise sanitaire[22]. En opposition à une économie mondialisée, le localisme se veut une alternative écologiste
[13] Thomas Malthus, An Essay on the Principle of Population, 1798. [14] Les trois approches de Malthus pour résoudre le problème démographique, Donald Rutherford, Revue Population, 2007 [15] Bien qu’australien, Brenton Tarrant se considère comme européen, l’Australie ayant été par le passé colonisée par l’Empire britannique. [16] « Sauvez les abeilles, pas les réfugiés », Slogan d’extrème-droite [17] Ugo Palheta, La Possibilité du Fascisme, éditions La Découverte, 2018. [18]ibid [19] Une analyse critique des théories de Francis Cousin, 2ème partie. Émission "Sortir du Capitalisme" sur les ondes de Radio Libertaire. [20] ibid
mais ce que sous-tend cette réflexion à droite c’est l’exploitation des terres par l’ethnie « enracinée » (concept dont le flou n’a d’égal que sa dangerosité) sur celles-ci et le refus du métissage. Il va sans dire que ces théories sont directement inspirées du mouvement völkisch. Face à l'urgence écologique et sociale, nous l’avons dit l’extrême droite ou même certain.es d'entre nous pourraient penser la nécessité d’un repli sur nous-même ou d’une figure forte pour mettre au pas la société. Un nouveau de Gaulle comme dirait un·e politicien·ne français·e totalement quelconque. Cela dit, ne nous y trompons pas, c'est la centralisation du pouvoir et la hiérarchie qui nous mènent au pied du mur. Nous posons ici la question de l’État et du gouvernement dont le pantouflage, la faillite face au lobbyisme, les actuels retournements quant à la politique agricole commune de l’Union Européenne, l’énième séquence autoritaire du gouvernement français ne sont que les symptômes d’un mal plus profond, consubstantielle à l’idée d’État. Sans doute notre génération fait la pire expérience à ce jour de la dépossession. C'est pourquoi nous devrions favoriser un dépassement antiautoritaire, anarchiste des catastrophes climatiques en marche.
AZEDDINE H.
[21] Le «confusionnisme» est-il le nouveau rouge-brun ? Simon Blin, Libération, 16 Janvier 2019 [22] Covid-19 : le «localisme» ou comment l'extrême droite rêve un «monde d’après» raciste, Stéphane Francois, Libération, 20 Mai 2020
LA SURPOPULATION: UN FAUX PROBLÈME?
« On ne pourra pas nourrir tout le monde »..Point à la ligne. « Circulez, il n’y a rien à voir », comme dirait un boomer complotiste en commentaire Facebook d’un article sur une réunion du Kern [1]. Cela semble être devenu un lieu commun, une de ces évidences si manifestes qu’elle n’a plus à être questionnée. La population mondiale ne cesse d’augmenter, les sols et la biodiversité s’effritent, les maladies liées à la malnutrition explosent. Mais comme pour tous les problèmes scientifiques, l’interprétation des causes et solutions à y apporter qui sont politiques. Argument bateau, hein ? Sans doute, mon bon Éric, mais tout le monde n’a pas ton don pour dissocier rhétorique d’éthique. Et pour cause, en matière de démographie, le discours prime sur la réflexion. Pour faire court, on a commencé à capter y’a déjà un petit bout de temps que la population augmentait, d’une manière forte (pour ne pas dire très forte). Mais un chic type, Thomas Robert Malthus, économiste mais surtout prêtre (ou l’inverse ?), s’est mis à jouer au lanceur d’alerte, déclarant entre deux tasses de thé de la Compagnie des Indes que cette croissance sans limite entrainerait catastrophe sur catastrophe. Sur le plan des idées, voilà une critique de l’autorégulation des populations, légitimement mise en doute par la croissance différée des ressources en nourriture, qui pourrait s’entendre. Sauf qu’au-delà d’une thèse qui ne peut être vérifiée tout le temps et partout, cette théorie repose sur un cadre qui aujourd’hui est plus fragile que la confiance du Mouvement Réformateur en son président (bien fait). Selon Malthus, la solution évidente pour résoudre le problème de la surpopulation était une forte politique de régulation de la natalité, dont le meilleur moyen de s’assurer le respect est… la chasteté avant le mariage. Et également arrêter d’aider les pauvres, ainsi que concentrer les politiques anti-natalistes sur ces groupes de population, les jugeant inaptes à nourrir leurs futures progénitures. Ça, c’était déjà du bon niveau pour l’époque – Malthus est mort en 1834 (riche année diront les folklos). Mais c’était sans compter les années soixante et la nécessité absolue de faire retomber les hippies de leur trip au LSD et leurs cheveux longs face à ce qui s’impose : la ré-ali-té. C’est Paul et Anne Ehrlich qui vont lâcher le gros mot en 1968 : The Population Bomb fait un carton. Pas de panique cette fois bande de
Selon Malthus, la solution évidente pour résoudre le problème de la surpopulation était une forte politique de régulation de la natalité WASP[2], c’est plus nos pauvres pècheresses cette fois, c’est celles d’ailleurs. Vous savez, ces populations qu’on a pas encore assez montré du doigt sur un territoire qu’on ne désigne encore que comme une entité homogène. Oui, celles-là, qui comme nous le montrent nos anthropologues depuis qu’on les envoie sur place, sont moins civilisées que les autres. Ah, attention on est pas racistes hein ! C’est culturel là-bas, d’avoir beaucoup d’enfants. Vous commencez à les sentir là, les dénominateurs communs des malthusianistes et néo- ? L’Enfer, c’est toujours les autres, et en plus d’être inquiétant on ne peut rien y faire puisque c’est dans leur nature ou dans leur culture (ça fait moins moche) de pas savoir gérer leur fécondité. Sans doute inutile de préciser, mais cette Afrique pointée du doigt est la même qui produit moins de gaz à effet de serre que l’occident et qui savait depuis longtemps comment ne pas détruire ses sols et se nourrir de manière résiliente. Il s’agit finalement d’une politique de la peur, encore une parmi d’autres. C’est un regard particulier sur la science, où l’observation d’un phénomène – la transition démographique, c’est-à-dire un accroissement de la population qui semble suivre les mêmes étapes dans une part plutôt large du monde – revient à décrire ce phénomène comme tout aussi dramatique qu’inéluctable, comme un orage qu’on voit arriver au loin, et qu’il faudrait brûler le village nous-même pour ne pas le laisser faire. Sauf qu’on a inventé le paratonnerre. Et en démographie, on découvre vite que ce phénomène « naturel » est indissociable d’un contexte politique, historique, économique, social. Car il semble bien là, le souci. Jouer du discours de la « Nature » comme un ensemble immuable de règles, sur lequel on construit des connaissances absolument distinctes du contexte politique et de l’environnement social, on est pas loin du discours divin. C’est bien ce discours qui prédomine pourtant et qui produit par conséquent des politiques et pratiques de contrôle des corps reproducteurs. C’est aussi cette « Nature » sauvage et incontrôlable qui est au centre de nos représenta-
[1] Conseil des ministres restreints ou Kern est le conseil ministériel Belge qui réunit autour du Premier ministre tous les vices-premiers ministres du gouvernement [2] White Anglo-Saxon Protestant, désigne les blancs américains d’origine anglaise et protestante dont la pensée et le mode de vie furent structurels pour les Etats-Unis
tions du vivant et de notre environnement, nous amenant à produire une relation de constante prédation envers le vivant nonhumain. Cela, le célèbre anthropologue Philippe Descola l’a bien compris quand il dit que la Nature, ça n’existe pas. En très synthétique, il s’est rendu compte lors de ses séjours auprès des Achuar d’Amazonie que les types de relations entre humains et non-humains étaient profondément différentes de la sienne, ces populations entretenant avec plantes et animaux qu’on pourra apparenter à des liens de filiation, de séduction, d’échanges ou autres. Après enquête, il a relevé que non seulement ces différences de conception du monde étaient multiples au travers du globe et de l’histoire, mais aussi que le « grand partage » entre « Nature » et « Culture » relevait d’une construction occidentale très particulière qui s’était diffusée de manière complexe – et souvent très violente – à de nombreuses sociétés. Dans le registre plus spécifique du genre, c’est aussi ce qu’a compris Judith Butler en affirmant que le masculin et le féminin n’existent que parce qu’on pense qu’ils existent et qu’on agit en fonction, ou Monique Wittig quand elle écrit sur l’hétérosexualité comme culture hégémonique, ou Donna Haraway en publiant son Manifeste Cyborg. Ces dynamiques ont depuis longtemps fait tiquer les mouvements écoféministes. Sur ce sujet, beaucoup d’encre a coulé et beaucoup en coulera encore. Difficile à appréhender tant l’expansion des mouvements qui s’en réclament révèle une incroyable diversité de conceptions et pratiques, l’écoféminisme est souvent réduit à des aspects qui reflètent peu la réelle pertinence des questions qu’il pose, voire dénigré en le limitant à une dimension folklorique. Pourtant, questionner nos rapports au corps reproducteur, vouloir faire circuler les savoirs sur le contrôle de la naissance, la gestation et l’accouchement, tout en tenant à promouvoir un engagement de première ligne dans une lutte pour une relation plus équilibrée avec notre environnement, tels sont des sujets au cœur du projet écoféministe. Quelles que soient les critiques qu’on pourrait lui opposer, ce projet a le mérite de proposer non pas une mais des multitudes d’alternatives aux discours (néo-) malthusianistes sur la population. Une piste à suivre parmi d’autres, dans un domaine si important comme tant d’autres, où les pressions du projet néolibéral sont plus fortes que d’autres.
On verra bien, en attendant j’ai tenté ici de rassembler sur un même thème un florilège de mes influences du moment. Mais ce qui est chouette avec les influences (à part la mauvaise influence de vos ami·es qui vous font fumer de la drogue, dixit Darmanin), c’est qu’elles circulent. Alors je fais tourner : Un tour chez les potes d’AS BEAN, iels s’y connaissent pas mal en alimentation durable pour tout le monde et en plus y’a à manger mioum (quand c’est pas confinement) ; Jeanne BURGART GOUTAL, Être écoféministe. Théories et pratiques, Paris, L’échappée, coll. Versus, 2020, 318 p. ; Neil DATTA, « Démographie », La Revue Nouvelle, 2020/5, n°5 – « Les nouveaux lieux communs de la droite », pp. 38-42 Les cours de géographie et démographie de Jean-Michel DECROLY, nombreux en option à l’ULB ; Philippe DESCAMPS (coord.), « La bombe humaine », Le Monde diplomatique. Manières de voir, n°167, octobre-novembre 2019 ; MAZOYER, Marcel, ROUDART, Laurence, Histoire des agricultures du monde. Du néolithique à la crise contemporaine, Paris, Seuil, 2002, 705 p. ; Franck POUPEAU, « Ce qu’un arbre véritablement cacher », Le Monde diplomatique, septembre 2020 ; Victoire TUAILLON, Le patriarcat contre la planète, Les Couilles sur la Table, 2020, podcast disponible sur www.binge.audio ;
LOUIS DE PELSMAECKER BALAES
« Cela, le célèbre anthropologue Philippe Descola l’a bien compris quand il dit que la Nature, ça n’existe pas. En très synthétique, il s’est rendu compte lors de ses séjours auprès des Achuar d’Amazonie que les types de relations entre humains et non-humains étaient profondément différentes de la sienne, ces populations entretenant avec plantes et animaux qu’on pourra apparenter à des liens de filiation, de séduction, d’échanges ou autres. Après enquête, il a relevé que non seulement ces différences de conception du monde étaient multiples au travers du globe et de l’histoire, mais aussi que le « grand partage » entre « Nature » et « Culture » relevait d’une construction occidentale très particulière qui s’était diffusée de manière complexe – et souvent très violente – à de nombreuses sociétés.»
REFUGIE·E·S CLIMATIQUES: DE QUELS DROITS ?
[1]Je tiens à remercier tout particulièrement LouAnne Aubry pour l’aide qu’elle m’a apporté au travers son TFE. [2] C. Vanderstappen, « Quels droits pour les personnes migrantes de l’environnement », CNCD, 10 juillet 2019 disponible en ligne : https://www.cncd.be/migrations-climat-bruxelleslaique-echos-quels-droits-personnes-migrantes-environnement. [3] UNHCR, « Concepts clefs relatifs aux déplacements liés aux catastrophes et au changement climatique », Genève, mai 2017, disponible sur https://www.unhcr.org/fr/5a8d480c7. [4] Actualités du Comité économique et social européen, « Les réfugiés climatiques ne bénéficient que d’une faible protection, alors qu’ils représentent plus de la moitié de l’ensemble des migrants », 17 avril 2020, disponible en ligne : https://www.eesc.europa.eu/fr/news-media/news/les-refugies-climatiques-ne-beneficient-que-dune-faible-protectionalors-quils-representent-plus-de-la-moitie-de. [5] D. Watrin, « Les migrations climatiques, une multitude de raison d’envisager d’urgence des réponses aux boulversements environnementaux », CRVI, 25 mai 2018 ; W. Kalin, « Conceptualising Climate-Induced Displacement », Climate Change and Displacement. Multidisciplinary Perspectives, J. Mcadam (ed.), Oxford, 2010. [6] La mise à l’agenda vise le fait d’inscrire une thématique dans le temps de l’action, que les autorités politiques s’en saisissent. Pour mieux comprendre les processus de mise à l’agenda : J. de Maillard et D. Kübler, Analyser des politiques publiques, Presses Universitaires de Grenoble, 2016 ; Pour un retour sur l’historique de cette mise à l’agenda : HautCommissariat aux Nations Unies des droits de l’homme, A/HRC/37/CRP.4, « The Slow onset effects of climate change and human rights protection for cross-border migrants », mars 2018, disponible en ligne : https://www.ohchr.org/Documents/Issues/ClimateChange/SlowOnset/A_HRC_37_CRP_4.pdf.
Réfugié·e·s climatiques, déplacé·e·s écologiques, déplacé·e·s environnementaux, migrant·e·s de l’environnement, « personnes migrantes de l’environnement »[2], « personnes déplacées dans le contexte des catastrophes et du changement climatique »[3] ou encore mobilité humaine induite par les (effets des) changements climatiques sont autant de mots pour désigner un phénomène, et au moins autant de réalités différentes. Il y aurait aujourd’hui déjà trois fois plus de déplacé·e·s des suites de catastrophes environnementales que des suites de conflits[4], ce qui ne représenterait pas loin de 26,4 millions de personnes par an[5]. Toutes les projections font état d’une augmentation massive de ces déplacements d’ici à 2050.
Depuis les années 90’ cette thématique a d’abord été inscrite à l’agenda scientifique, puis politique[6], quoiqu’encore en 2016, le Gouvernement belge, interrogé au sujet des migrations climatiques qualifiait celles-ci « d’hypothétiques »[7]. Force est de constater qu’aucun consensus ne s’est formé autour d’une notion qui serait propre à ces « nouvelles » formes de mobilité humaine, ni qu’aucun cadre global de protection n’a été mis en place.
Il y aurait aujourd’hui déjà trois fois plus de déplacé·e·s des suites de catastrophes environnementales que des suites de conflits[4], ce qui ne représenterait pas loin de 26,4 millions de personnes par an[5]. Toutes les projections font état d’une augmentation massive de ces déplacements d’ici à 2050. On constate que les multiples terminologies[8] – recouvrant respectivement certaines situations et en excluant de facto d’autres – mobilisent tantôt le statut juridique de réfugié·e, tantôt la notion de migrant·e ou encore celle de déplacé·e[9]. L’indétermination terminologique se prolonge sur le plan juridique[10]. On le sait, l’enjeu de définir juridiquement un phénomène est d’établir une définition suffisamment précise, claire et complète sans toutefois créer de – trop nombreuses – exclusions supplémentaires. Au-delà de la prise de conscience (salutaire) de la nécessité d’offrir une protection aux « réfugié·e·s climatiques » ou « déplacé·e·s par effet du changement climatique »[11] et de garantir l’effectivité des droits dont ces per-
sonnes sont titulaires[12], la complexité du phénomène continue d’être mobilisée comme excuse à l’inaction. Sans nier sa grande complexité et les multiples questions que cette réalité soulève, c’est en tout cas un indice de plus qu’il est urgent de repenser la manière dont on appréhende les migrations.
LA CATÉGORIE À L’ÉPREUVE DE RÉALITÉS MULTIPLES La construction et la (re)mise à l’agenda politique de la catégorie des « réfugié·e·s climatiques » ne doit pas faire perdre de vue que de tous temps, les êtres humains ont été amenés à se déplacer, notamment à cause de facteurs environnementaux[13]. Ce n’est donc pas un phénomène nouveau, contrairement à ce que les tenant·e·s de discours politiques sécuritaires laissent entendre[14]. Les interactions entre mobilité humaine et climat sont aujourd’hui largement reconnues, reste que les catastrophes, effets du changement climatique et la dégradation de l’environnement tendent – plus ou moins directement mais certainement– à accroitre à la fois l’intensité et la fréquence des mouvements de population.
Contrairement aux représentations sociales communes de la figure de « réfugié·e climatique », la plupart des déplacements se font au sein des frontières nationales. On parle dans ce cas de déplacements internes[15]. Plusieurs autres caractéristiques de cette forme de migration ont été identifiées et étudiées. Ainsi, parmi les catastrophes liées aux dérèglement environnemental et climatique – la montée des eaux, la désertification, les aléas météorologiques, hydrologiques ou géophysiques
[7] Question écrite n° 0660 de M. Marco Van Hees du 24 juin 2016, « Les réfugiés climatiques », Ch., législature n°54, 2014- 2019, disponible sur http://www.lachambre.be/QRVA/ pdf/54/54K0079.pdf. [8] Sur la question de l’usage des termes environnemental ou climatique : CA. Vlassopoulos, « Des migrants environnementaux aux migrants climatiques : un enjeu définitionnel complexe », Culture&Conflits, 2012 ou B. Mayer, The concept of « Climate Migration » : Advocacy and its prospects, Edward Elgar Publishing, 2016. [9] M. Courtoy, « Les migrants climatiques : symptômes d’une gouvernance mondiale de la migration défaillante? », Annales de Droit de Louvain, vol. 77, n°3, 2017. [10] S. Doumbé-Billé, « A la recherche d’un régime international pour les déplacés environnementaux », D’Urbanisme et d’environnement, Liber amoricum Francis Haumont, Bruylant, 2015. [11] Qui se traduit aussi par une (tardive) reconnaissance politique du changement climatique comme cause de déplacements « forcés ». [12] Par exemple : Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, Résolution 2307, Res/2307, « Un statut pour les réfugiés climatiques », 3 octobre 2019 ; UNHCR, « Les réfugiés dans le monde : en quête de solidarité », Genève, 2012 ; FORESIGHT, « Migration and Global Environmental Change. Future Challenges and Opportunities », Final Project Report, Government Office for Science, London, 2011. [13] Rapport « Groundswell : se préparer aux migrations climatiques internes », Banque Mondiale, 2018 (le rapport est disponible en anglais dans sa version intégrale) ; A. Yeh, « 7 idées reçues sur les migrations climatiques », France Culture, 14 décembre 2018. [14] Ce qui participe à la construction d’une figure de “dangerosité” en la personne du/de la « migrant·e ».
(entre autres) – on distingue généralement les évènements dits graduels ou à évolution lente des évènements à évolution rapide ou soudains[16]. Les déplacements peuvent être temporaires ou permanents (fonction de l’habitabilité des régions et des capacités de réinstallation notamment) et enfin, ils peuvent être situés sur un continuum allant de forcés à volontaires[17]. Autant de caractéristiques qui se combinent en des trajectoires et parcours singuliers. Concrètement, le concept vise tout à la fois l’agricult·eur·rice au Sahel qui voit ses récoltes (et donc sa principale source de revenus) détruites en raison de modification du sol et est amené à se déplacer (qu’il le décide ou qu’il soit contraint à le faire) ou l’habitant·e de Flandre qui verrait son terrain disparaitre en raison de la montée des eaux. [18]
ENTRE RÉSILIENCE, VULNÉRABILITÉ(S) ET (IN)JUSTICE(S) : VOUS AVEZ DIT RESPONSABILITÉ ? Tout laisse à penser qu’on aurait affaire à une troisième catégorie de migrations qui s’ajouterait à la distinction bien connue et dépassée [19] entre migrant·e·s économiques « volontaires » – celleux qui sont parti·e·s de leur plein gré en quête d’une « vie meilleure » – et politiques ou « forcées » – celleux qui ont été poussé·e·s à l’exil. Seul·e·s les second·e·s méritant, si l’on se place dans cette perspective datée, d’être protégé·e·s, les premier·e·s étant réputé·e·s faire usage de leur liberté de mouvement. Cette troisième catégorie entendue au sens des seuls déplacements forcés rejoindrait les « bon·ne·s migrant·e·s » dans le discours traditionnel désuet. Et, certainement que la mobilisation du statut de réfugié·e, bien que largement considérée comme juridiquement impropre, vise à rapprocher cette catégorie de celle de réfugié·e politique afin de convaincre de la nécessité de leur offrir une protection internationale. En fait, la reconnaissance du phénomène éprouve une catégorisation selon les motifs de déplacement et en montre les limites : comment considérer que
les facteurs environnementaux ne sont pas tout à la fois des facteurs politiques et économiques ? [20] La migration est quasi-systématiquement multifactorielle et ses facteurs – environnementaux, sociaux, politiques, économiques et culturels – s’interpénètrent [21]. En tout état de cause, la mobilité (ou l’immobilité) sera fonction des risques[22], de la vulnérabilité et de la capacité des personnes touchées pour y faire face[23]. Il est également évident que les migrations sont étroitement liées à la capacité d’un individu à jouir de ses droits humains de toutes natures (comme le fait d’être représenté politiquement, d’avoir des voies de recours légales, l’accès à un logement, l’accès à l’eau potable, etc.). A cet égard, le Conseil des Droits de l’Homme des Nations-Unies [24] reconnait que le changement climatique touchera plus durement les groupes de populations déjà vulnérables en raison d’inégalités socioéconomiques. Ce qui nous amène à aborder la problématique « des condamné·e·s à l’immobilité », ces personnes déjà extrêmement vulnérables, qui affectées par les effets du changement climatique, n’auront pas ou plus les moyens de se déplacer[25]. Si la question des déplacements est la plus souvent mise en avant, elle ne doit pas occulter ce phénomène d’immobilisation « forcée ». Plus largement, la catégorie offre l’avantage de mettre en évidence le caractère humainement induit des changements climatiques au travers de ses effets sur la mobilité humaine et ainsi de poser la question de la responsabilité [26]. On en revient alors à la justice climatique. Si certaines personnes sont plus vulnérables à ces phénomènes, certaines régions le sont également (L’Afrique subsaharienne, l’Asie du Sud et l’Amérique latine/le Pacifique). Ainsi, la situation en zone intertropicale, la forte densité de population aux littoraux ou encore les capacités socio-économiques influent à la fois sur l’exposition et la résilience face aux catastrophes naturelles et aux processus lents. On comprend aisément que si ces évènements sont indiscriminés par nature (en ce sens qu’ils ne touchent pas directement ou spécifique-
{15] Centre d’études du développement durable, Conférence « Climat et Migration : Comment concevoir la migration dans l’Anthropocène », accessible sur : http://cedd-pes.com/ nos-activites-2019/climat-et-migration. [16] Interventions de F. Gemenne et S. Henry à la conférence : « Climat et Migration : Comment concevoir la migration dans l’Anthropocène », 2019, ; Podcast Greenletter Club : l’écologie décortiquée, épisode 07, « Réfugiés climatiques : vers des migrations massives ? » (avec F. Gemenne), 20 juin 2020. [17] The Nansen Initiative, « Agenda for the protection of cross-border displaced persons in the context of disasters and climate change », décembre 2015, disponible en ligne : https://nanseninitiative.org/wp- content/uploads/2015/02/PROTECTION-AGENDA-VOLUME-1.pdf. [18] On a récemment reparlé de cette « menace » pour la Flandre dans la presse. Par exemple : RTL, « La montée des océans d'ici 2050 pourrait impacter une partie de la Belgique: voici les régions concernées », 30 octobre 2019, disponible en ligne : https://www.rtl.be/info/belgique/societe/la-montee-des-oceans-d-ici-2050-pourrait-impacter-une-partie-dela-belgique-voici-les-regions-concernees-1169860.aspx. [19] Interventions de F. Gemenne et S. Henry à la conférence : « Climat et Migration : Comment concevoir la migration dans l’Anthropocène », 2019, ; Podcast Greenletter Club : l’écologie décortiquée, épisode 07, « Réfugiés climatiques : vers des migrations massives ? » (avec F. Gemenne), 20 juin 2020. [20] Intervention de F. Gemenne à la conférence : « Climat et Migration : Comment concevoir la migration dans l’Anthropocène », 2019 ; J. Garain, « La problématique des déplacés climatiques dans les négociations internationales : rencontre avec Samuel Lietaer », ULB inside COPs, 19 novembre 2018, disponible sur : http://www.ulbinsidecops.com/l. [21] F. Lacaille-Albiges, « Changement climatique : une hausse des migrations semble inévitable », National Geographic, 2019, disponible sur : https://www.nationalgeographic.fr/ environnement/2019/07/changement-climatique-une-hausse-des-migrations-semble-inevitable. [22] Intensité, durée, caractéristiques, etc. [23] Le Conseil des droits de l’homme (CDH) est un organe des Nations-Unies dont la mission est de promouvoir et assurer le respect des droits humains, de formuler des recommandations au sujet de situations violant ces droits. [24] Conseil des droits de l’homme des Nations-Unies, Résolution 10/4 « Droits de l’homme et changements climatiques », 2009, particulièrement le §51. [25] Podcast Greenletter Club : l’écologie décortiquée, épisode 07, « Réfugiés climatiques : vers des migrations massives ? » (avec F. Gemenne), 20 juin 2020. [26] P. Alston, « Climate change and poverty : report of the Special Rapporteur on extreme poverty and human right », United Nations Human Rights Council, A/HRC/41/39, Genève, 25 juin 2019. Voir aussi : B. Mayer, S. Lietaer ou F. Gemenne.
ment un groupe de personnes), leurs retombées sont en fait inégalitairement réparties [27]. Les pays les plus pollueurs sont ceux qui sont et seront, a priori, les moins durement – ou les plus tardivement – touchés par les effets de la dégradation de l’environnement. Dans cet esprit, le droit international de l’environnement tend à responsabiliser les Etats quant à leur participation à la dégradation de
Ainsi, la situation en zone intertropicale, la forte densité de population aux littoraux ou encore les capacités socio-économiques influent à la fois l’exposition et la résilience face aux catastrophes naturelles et aux processus lents. On comprend aisément que si ces évènements sont indiscriminés par nature (en ce sens qu’ils ne touchent pas directement ou spécifiquement un groupe de personne), leurs retombées sont en fait inégalitairement réparties [27]. l’environnement, et on peut imaginer inclure dans cette responsabilité les conséquences en termes de mobilité humaine, plus précisément les « migrant·e·s écologiques ». Les Etats devraient ainsi prendre part à la gestion et la protection de la « communauté humaine mondiale » pour reprendre les mots de A. Michelot. [28]
DE LA (L’IN)CAPACITÉ DU DROIT À PROTÉGER LES PERSONNES DÉPLACÉES (I.) : INTERNAL DISPLACEMENT La prise en compte juridique des déplacé·e·s environnementaux met en tensions le droit international au sens large, mais aussi le droit humanitaire, le droit des réfugiés, le droit de l’environnement et les droits humains (tant civils et politiques qu’économiques et sociaux). Elle conduit à s’interroger non seulement sur les protections accordées aux déplacé·e·s environnementaux ou climatiques internes (PDI) mais aussi sur celles des personnes qui traversent les frontières nationales.
Les Principes directeurs relatifs au déplacement des personnes à l’intérieur de leur propre pays [29] constituent depuis 1998 le principal instrument de protection des PDI, lorsqu’elles sont contraintes d’opérer un déplacement – à l’exclusion donc de migrations internes volontaires.[30] Les catastrophes naturelles ou provoquées par l’homme et leurs effets y sont explicitement visés comme un des motifs de déplacement. Ces principes établissent un cadre (notamment concernant la réinstallation potentielle des personnes ou en régulant les déplacements arbitraires) et identifient toute une série de droits que les Etats devraient garantir. Toutefois, il s’agit d’un instrument non contraignant[31] pour ces derniers et qui nécessite d’être implémenté par chacun en son sein, et selon son bon vouloir. De plus, les évènements liés au changement climatique gagneraient à être expressément visés par le texte. Si l’avantage des Principes est de proposer une approche globale des déplacements internes, leur effectivité reste faible. Il est logique qu’un texte non-contraignant rencontre plus d’adhésion, et aille plus loin dans les protections offertes, dès lors que les Etats ne sont pas liés par les lignes de conduite établies. A nouveau, on touche à une question épineuse en lien avec la nature du droit international et son effectivité voire sa capacité à constituer un cadre d’action et de protection effectif. Plus concrètement, on peut mobiliser l’exemple du continent africain pour illustrer la manière dont ces principes jouent sur les protections des PDI. Ainsi, le Protocole additionnel sur la protection et l’assistance à apporter aux personnes déplacées au Pacte de la région des Grands Lacs est le tout premier instrument conventionnel qui vise à implémenter ces principes. Les Etats qui y sont parties s’engagent, entre autres, « dans toute la mesure du possible [à atténuer] les conséquences des déplacements provoqués par des catastrophes naturelles ou dus à des causes naturelles ». [32]De plus, la Convention de l’Union Africaine du 23 octobre 2009 prévoit également tout un régime juridique protecteur contraignant des PDI. [33] On le voit, les Principes directeurs constituent une protection qui a le mérite d’exister mais se révèle faiblement implémentée et certainement insuffisante.
[27] Conseil éco soc européen, p. 4. “ [28] A. Michelot, « Vers un statut de réfugié écologique ? », J-M Lavieille, J. Bétaille et M. Prieur (ed.), Les catastrophes écologiques et le droit, Bruylant, 2012. [29] Ce texte a été adopté au niveau de l’ONU en 1998. Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays, Doc. ONU E/CN.4/1998/Add.2, 11 février 1998. [30] W. Kälin et N. Schrepfer, « Protecting People Crossing Borders in the Context of Climate Change Normative Gaps and Possible Approaches », UNHCR, 2012, p. 30. [31] On parle de soft law pour désigner les textes juridiques non-contraignants, c’est-à-dire qui n’ont pas de caractère obligatoire pour les Etats.
DE LA (L’IN)CAPACITÉ DU DROIT À PROTÉGER LES PERSONNES DÉPLACÉES (II.) : CROSSING -BORDERS Les déplacé·e·s environnementaux au-delà de leurs frontières nationales font partie des grand·e·s laissé·e·s pour compte du droit international. Il n’existe à ce jour aucun statut juridique qui permette de leur offrir une reconnaissance et protection adéquate. Plusieurs voix se sont élevées pour appeler les décideurs·euses politiques à mettre fin à cette situation, prônant un renforcement du cadre légal existant ou sa modification par la création d’un nouvel instrument juridique.
PROTECTION INTERNATIONALE ET STATUT DE RÉFUGIÉ·E CLIMATIQUE, VRAIMENT ? Bien qu’on parle souvent de « réfugié·e » écologique ou climatique, il est généralement admis que les personnes déplacé·e·s au-delà des frontières dans le contexte des catastrophes et du changement climatique ne peuvent prétendre à cette protection internationale. [34] La Convention internationale relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951 (ou Convention de Genève) propose la définition suivante du réfugié : « Toute personne (…) qui, [...] craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; …».[35] Outre l’élément spatial de la définition (à savoir, le fait pour la personne réclamant la reconnaissance de sa qualité de réfugié·e de se trouver hors des frontières nationales de son pays d’origine), trois éléments principaux sont donc à considérer : la crainte (avec raison), d’une persécution, pour un des motifs limitativement énumérés par la Convention. [36]
Sans entrer dans une analyse trop technique, on peut pointer les éléments qui font débat lorsqu’il s’agit d’envisager les déplacé·e·s audelà des frontières nationales en raison des dégradations environnementales et catastrophes sous l’angle du statut de réfugié·e. Les discussions portent principalement sur la notion de persécution. Celle-ci peut être entendue au sens d’actes (ou d’omissions) d’origine humaine portant gravement atteinte aux droits fondamentaux de la personne. Le seuil de gravité s’évalue par l’acte en lui-même et/ ou par ses effets. Il doit être déterminé sur base d’une analyse in concreto [37], tenant compte des vulnérabilités de la personne concernée. A cet égard, si les effets du changement climatique sont des conséquences d’une activité humaine, d’aucun·e·s considèrent que l’élément intentionnel de la persécution ne pourra être prouvé par la personne prétendant à la reconnaissance de son statut de réfugié·e. Il serait par ailleurs difficile d’identifier la responsabilité d’un Etat en particulier dans ces phénomènes [38]. La persécution renvoie aussi à l’exigence d’identifier un agent persécuteur auquel les actes (ou inactions) peuvent être imputés. Il s’agira généralement de l’Etat que la personne a fui, soit que celui-ci ait posé des actes contribuant à la crainte de persécution, soit qu’il ait été incapable de protéger l’individu des dommages causés par d’autres acteurs (non étatiques). Enfin, cette persécution doit être liée à un des cinq motifs énumérés par la Convention parmi lesquels le facteur environnemental ne figure pas. On l’a vu, les causes de migration s’entremêlent généralement, ce qui conduit à affirmer que certain·e·s déplacé·e·s pourront bénéficier du statut de réfugié·e s’iels sont persécuté·e·s en raison d’un motif visé par la Convention. Le lien de causalité ne doit, en effet, pas être strict. Si les quatre premiers motifs renvoient à des cas bien spécifiques et définis, l’appartenance à un groupe social est la seule catégorie à permettre une extension de la protection [39]. Pour être considéré comme groupe social au sens de la Convention, les membres du groupe doivent posséder une caractéristique commune essentielles pour e.ux.lles ou être perçu·e·s comme un groupe distinct par la société. Dans le cas des déplacements climatiques, il est objecté que les effets des dégra-
[32] Voir l’article précité de S. Doumbé-Billé, « A la recherche d’une régime international pour les déplacés environnementaux » à cet égard. Pour un focus sur l’Afrique de l’Ouest, consulter : F. Gemenne et al, « Changement climatique, catastrophes naturelles et déplacements de populations en Afrique de l’Ouest » dont le PDF est accessible via ce lien : https://orbi.uliege.be/bitstream/2268/218730/1/Gemenne%20et%20al_Geo-Eco-Trop_Final.pdf. [33] Union africaine, Convention sur les déplacés internes signée le 23 juillet 2009 à Kampala. Dans cette convention, la ddéfinition des PDI est la suivante: Personnes déplacées : « les personnes ou groupes de personnes ayant été forcées ou obligées de fuir ou de quitter leurs habitations ou lieux habituels de résidence, en particulier après, ou afin d’éviter les effets des conflits armés, des situations de violence généralisée, des violations des droits de l’homme et/ou des catastrophes naturelles ou provoquées par l’homme, et qui n’ont pas traversé une frontière d’État internationalement reconnue » ( Art 1e, point k). [34] Le droit d’asile ou le droit à la protection internationale est reconnu à tous les êtres humains, au titre de droit fondamental. En Belgique, deux statuts coexistent : le statut de réfugié·e (Convention de Genève) et de protection subsidiaire (Directive Qualification). En pratique, lorsqu’une demande d’asile est introduite sur le territoire belge, les autorités examineront d’abord sa demande sous l’angle du statut de réfugié·e, puis automatiquement sous l’angle de la protection subsidiaire. L’octroi de ces statuts donne accès à certains droits. [35] Art. 1, A., §2.
dations environnementales sont généralement indiscriminés. Si l’instrument est inadapté, on peut se demander pourquoi il ne serait pas opportun de le réformer. En ce sens, plusieurs aut·eur·rice.s et associations ont proposé une réouverture de la Convention pour y insérer les motifs liés aux catastrophes et changements climatiques ou d’élargir la notion persécution pour l’étendre aux risques de fuite. Toutefois, il faut se rappeler que la Convention a été adoptée dans un contexte bien plus favorable aux migrations que celui que l’on connait aujourd’hui. En proposer une réforme reviendrait (à risquer de) à détricoter cet instrument et à réduire son champ d’application, en pratique déjà bien limité. Et, peut-être plus fondamentalement, on en reviendrait à une protection condamnant des persécutions et garantissant des libertés alors que, au-delà de la protection qui doit être accordée à tous les êtres humains et en particulier aux plus vulnérables, on peut considérer qu’il est en fait question de gérer internationalement des « populations dans un contexte de pénurie localisées d’espaces habitables »[40]. On en reviendrait alors à la nécessité de répartir le poids de cette gestion d’une manière qui soit compatible avec les principes de justice climatique, et s’inscrive dans l’idée défendue par le Hoge Raad des Pays-Bas (affaire Urgenda)[41], selon lequel malgré le fait que ce phénomène est une conséquence d’actions communes, chaque Etat doit prendre sa responsabilité pour contribuer à l’encadrer et le solutionner.
DROITS HUMAINS ET NON-REFOULEMENT : TOUJOURS PAS DE STATUT MAIS DES AVANCÉES [42] A défaut de trouver des solutions dans le droit des étrangers, certain·e·s ont prôné une approche fondée sur les droits humains. A cet égard, il convient d’examiner la protection qui peut être accordée par le principe de nonrefoulement. Ce dernier est parfois qualifié de « protection subsidiaire subsidiaire » (c’est-àdire qu’elle permet de pallier à l’absence de
protection par un des statuts de protection internationale ou protection humanitaire). Il interdit qu’une personne soit renvoyée vers un pays où elle risquerait de subir une atteinte grave à ses droits fondamentaux. On l’aura compris, sont à nouveau uniquement concernés par ce mécanisme de protection les déplacements transfrontaliers. En théorie, ce principe constitue un dernier rempart et, il se vérifie qu’il est bien difficile de le voir activé en pratique. Ainsi, le seuil de gravité requis est extrêmement élevé et les droits fondamentaux conduisant à son application sont généralement le droit à la vie et l’interdiction de traitements inhumains ou dégradants (autrement dit des droits absolus, auxquels il n’est pas possible de déroger, ni faire exception) – des droits civils et politiques [43] donc, bien qu’on puisse théoriquement invoquer l’atteinte à d’autres droits fondamentaux. Plusieurs aut·eur·rice.s avaient plaidé pour une application de ce principe aux personnes déplacées au-delà des frontières dans le contexte des catastrophes et du changement climatique. Cette solution a par ailleurs déjà été mobilisée par certains Etats, notamment à la suite du tremblement de terre ayant touché Haïti en 2010.
Tout récemment, le Comité des droits de l’homme[44] a ouvert la voie à une mobilisation de ce principe dans le cadre des migrations climatiques transfrontalières – reconnaissant que les dégradations environnementales et effets du changement climatique, en ce compris les processus lents et soudains, pouvaient constituer une menace pour le droit à la vie, et activer le principe de nonrefoulement dans la mesure où l’atteinte environnementale portée à ce droit était suffisamment grave – sans toutefois considérer qu’une telle protection devait s’appliquer à la situation du requérant (Ioane Teitota). Ainsi, cet homme ressortissant du Kiribati, Etat insulaire du Pacifique, a décidé de s’installer en Nouvelle-Zélande dès lors que la montée des eaux avait des effets (entre autres : inondations, pénurie d’eau potable, perte de territoires habitables liée à l’érosion) sur son île de résidence. Malgré épuisement des voies de recours interne, les cours et tribunaux néo-
[36] Pour une présentation complète : S. Saroléa et J-Y. Carlier, Droit des étrangers, Bruylant, 2016, pp. 410-456. La Convention est muette sur l’interprétation qui doit être réservée aux éléments constitutifs de la définition de réfugié·e. Il convient dès lors de se référer au Guide des procédures et critères établit par le UNHCR, à la jurisprudence et à la Directive « Qualification » pour saisir les contours de ce statut. La directive « Qualification » est une directive (norme) européenne qui fixe les conditions minimales requises pour l’octroi d’une protection internationale. [37] Qu’on oppose à une analyse in abstracto. Lorsqu’on apprécie in concreto, ça implique de se saisir des faits propres au cas qu’on étudie tandis que lorsqu’on porte une appréciation in abstracto, on analysera la situatio de manière impersonnelle et plus générale. [38] Sauf à démontrer l’instrumentalisation par ce-dernier par exemple dans des cas d’empoisonnement de l’eau, ou de famines induites. [39] Elle a déjà été utilisée pour une extension aux violences liées au genre ou à l’orientation sexuelle. [40] L’article déjà cité de M. Courtoy, « Les migrants climatiques : symptômes d’une gouvernance mondiale de la migration défaillante ? ». [41] Pour un commentaire de cette affaire : O. De Schutter, « Changements climatiques et droits humains : l'affaire Urgenda », Rev. Trim. D.H., 2020/123, pp. 567-608. Pour un bref résumé de cette affaire (et de sa place dans les récents contentieux climatiques) : C. Collin, « Suite et fin de l’affaire Urgenda : une victoire pour le climat », Dalloz Actualité, 29 janvier 2020, disponible : https://www.dalloz-actualite.fr/flash/. [42]Pour approfondir cette section, l’article de M. Courtoy, « Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies face à l’homme qui voulait être le premier réfugié climatique : une avancée mesurée mais bienvenue », Rev. Trim. DH., 124/2020, pp. 941-968.
zélandais avaient estimé qu’il ne pouvait prétendre au statut de réfugié, ni à quelconque autre forme de protection. [45] Là où le Comité innove encore, c’est en examinant le droit à la vie dans ses interactions avec des droits économiques et sociaux [46] (on peut penser à l’accès à l’eau). Ce faisant, il s’inscrit en rupture avec la distinction classique déjà évoquée entre migrant·e·s « économiques » et « politiques ». On peut aussi se réjouir qu’il (re)mette en avant les impacts évidents des dégradations environnementales sur les droits humains. Enfin, il formule un appel à l’action à l’égard des Etats et souligne la nécessité de prendre urgemment des mesures d’atténuation et d’adaptation. En revanche, cette décision présente des limites et est, en ce sens, insatisfaisante. On peut pointer le maintien d’un seuil d’atteinte requis élevé, l’absence de renversement de la charge de la preuve qui laisse donc peser un poids très lourd sur les épaules de la personne revendiquant une protection.[47] Pour l’instant, aucune juridiction n’a encore considéré que la menace posée par les effets des changements climatiques était suffisamment imminente ou grave pour déclencher l’application de cette protection. Enfin, le principe de nonrefoulement reste une protection non spécifique et subsidiaire. On peut se réjouir de sa mobilisation mais on ne peut que la considérer pour ce qu’elle est, c’est-à-dire un (ultime) filet de sécurité.
La souveraineté nationale reste un des obstacles à l’octroi des (très peu nombreuses) protections existantes et bien souvent, les « réfugié·e·s climatiques » sont en fait dépendant·e·s du bon vouloir (et des capacités à faire face) de l’Etat au sein duquel (ou vers lequel) iels se déplacent. Par ailleurs, la communauté internationale se montre bien incapable de répondre à ce phénomène, pourtant déjà bien connu et décrit, autrement que par des réactions « exceptionnelles » face aux seules situations dont le caractère urgent saute aux yeux (on peut par exemple penser aux protections temporaires massivement accordées suite à des catastrophes comme des tremblements de terre). Enfin, on retiendra particulièrement qu’on peine à sortir d’une catégorisation binaire entre déplacements « forcés » et « volontaires », ce qui ne permet pas de rendre compte des nuances autour de la contrainte et perpétue l’idée que seul·e·s les déplacements « forcés » doivent enclencher une protection. Seul·e·s seraient ainsi protégeables celleux qui attendent jusqu’à ne plus avoir le choix pour se déplacer. Fondamentalement, cela fait de la migration comme forme d’adaptation préventive face à des processus de détérioration progressive un impensé. Il s’agirait donc, d’enfin, (re)penser les migrations, et a fortiori les migrations climatiques, autrement.
FLORE BELENGER
(RE)PENSER LES MIGRATIONS ? Il est évident que le droit international devrait être mobilisé (et mobilisable) pour pouvoir répondre à la nécessité de protéger les personnes déplacées dans le contexte des catastrophes et changements climatiques. Il est tout aussi évident, qu’en l’état actuel, il demeure bien incapable d’assurer sa fonction protectrice et régulatrice. Des normes non contraignantes en matière de déplacement interne à l’absence de statut pour les déplacé·e·s au-delà des frontières nationales, le constat s’impose : les cadres existants se montrent inadaptés et insuffisants.
[43] Les droits civils et politiques, dont on dit qu’ils sont de la “première génération”, regroupent des droits et libertés fondamentales de l’individu face à l’Etat (et l’arbitraire), et de l’individu dans la société. On peut citer le droit à la vie, l’interdiction de torture, la liberté de conscience, la liberté d’expression, etc. [44] Organe des Nations-Unies chargé de veiller à la bonne application du Pacte international des droits civils et politiques ou PIDCP. [45] Les Etats sont souverains pour accorder d’autres types de protection. On peut penser à la protection humanitaire par exemple. [46] Les droits économiques et sociaux, qu’on qualifie aussi de “seconde génération”, regroupent toute une série de droits tels que le droit au travail, le droit à la nourriture et la santé, le droit à l’éducation, etc. Très schématiquement, il s’agit de tous les droits qui permettent de garantir des conditions socio-économiques essentielles à la dignité humaine et à l’exercice des libertés fondamentales des individus. [47] In fine, pour saisir tous les effets qu’une telle décision peut avoir, il faudra rester attenti·f·ve à la mobilisation qu’en auront les cours et tribunaux nationaux.
Enfin, on retiendra particulièrement qu’on peine à sortir d’une catégorisation binaire entre déplacements « forcés » et « volontaires », ce qui ne permet pas de rendre compte des nuances autour de la contrainte et perpétue l’idée que seul·e·s les déplacements « forcés » doivent enclencher une protection.
5G : UN FUTUR ENVISAGEABLE ?
Attendu pour 2021, le lancement de la cinquième génération en téléphonie mobile suscite de nombreuses questions et rumeurs en termes de consommation, santé et environnement. Le déploiement de la 5G va permettre un débit de connexion plus puissant. Son réseau augmentera le débit permettant ensuite de nouveaux usages comme de nombreuses connexions simultanées et par exemple le développement de la réalité virtuelle. Néanmoins, elle représente un bond technologique moins surprenant que l’ancienne génération. La 4G, ou LTE (Long Term Evolution), est la quatrième génération des standards pour la téléphonie mobile. Succédant à la 2G et la 3G, elle permet le « très haut débit mobile » ou, plus simplement, permet d’utiliser des applications, lire des vidéos et télécharger plus rapidement. Rappelons que cela n’était pas le cas avec la 3G qui offrait un accès internet certes, mais restreint et la 2G qui nous permettait uniquement d’envoyer des appels et d’envoyer des SMS. [1][2]
Avant de rentrer dans le vif du sujet, voici quelques notions sur ces technologies. Tout d’abord, un champ électromagnétique se manifeste lorsque circule un courant électrique. Il en existe partout autour de nous et leur intensité varie selon leur consommation électrique. Certains champs, tels des orages, surgissent de manière naturelle. Les rayonnements électromagnétiques sont des séries d’ondes et fréquences progressant à la vitesse de la lumière. “Fréquence et longueur d'onde sont donc totalement indissociables : plus la fréquence est élevée, plus la longueur d'onde est courte”. [3] Ces champs proviennent de nos ordinateurs, aspirateurs, machines à cafés et télévisions (cette dernière émet 60 V/m comparativement à 5 pour une ampoule). Elles sont également présentes hors de chez nous près des lignes de tram, de train, des radars, etc. Nos smartphones fonctionnent grâce aux stations relais installées sur les toits des immeubles. Les antennes diffusent constamment des signaux (= champs électromagnétiques) dans diverses directions. Pour la 5G, il s’agirait d’une nouvelle génération d’antennes qui orienteraient (cette notion d’orientation des champs est importante, car elle engendre des concentrations) leurs signaux vers les appareils qui en ont directement besoin, jumelés à des bandes de fréquences hautes, pour accroître les débits. C’est justement ces bandes de fréquences hautes qui suscitent des polémiques. En effet, ces dernières fonctionneraient à plus de 24,25 Ghz (gigahertz), or les basses fréquences sont 20 fois moins importantes (entre 3 et 6 Ghz).[4] Les nouvelles antennes MIMO (Multiple Input Multiple Output. En français, entrées mul-
tiples sorties multiples) permettent des transferts de données sur de plus longues portées avec des débits plus élevés que des antennes SISO (Single input single output). Les antennes MIMO sont déjà employées en Belgique. Cependant pour couvrir la 5G, elles devront être beaucoup plus nombreuses. [5] «Le but est de desservir plusieurs utilisateurs simultanément sur la base de faisceaux d'antennes séparés par utilisateur. Le massive MIMO est considéré comme l'une des clés et composantes de base d'un nouveau réseau 5G moderne». [6] Ces nouvelles antennes seraient « plus intelligentes » car se dirigeraient vers un signal dans une direction précise et non pas dans toutes les directions comme le font actuellement les antennes pour la 4G. De manière générale, ces nouvelles et nombreuses antennes comptent plus de connecteurs pouvant envoyer et recevoir de données en même temps. Afin de pouvoir installer ces antennes, son cadre légal belge pour la région bruxelloise s’arrête à 6 V/m et pour que la technologie fonctionne, les antennes devraient passer au minium à 14 V/m. Le processus belge est actuellement à l’arrêt, car son cadre légal sur les normes d’expositions aux ondes électromagnétiques ne permet pas l’implantation des nouvelles antennes à la 5G. [7] Rémi de Montgolfier, directeur général d’Ericsson pour la Belgique et le Luxembourg annonce que “nous sommes en retard par rapport au reste de l’Europe. La Belgique, sans la complexité, ça ne serait pas la Belgique. Mais on n’arrivera pas à développer la 5G avant 2022”.[8] Ce sont les entreprises qui profiteront davantage de cette tendance (voitures autonomes, pilotage automatique de certaines industries, chirurgies à distance…). D’abord, pour le consommateur il faudra un nouvel appareil com-
1 Damgé, M. (2020), Sur la 5G, ce qui est vrai, ce qui est faux et ce qu’on ne sait pas encore. Le Monde. URL : https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2020/09/24/5g-le-vrai-lefaux-et-ce-qu-on-ne-sait-pas-encore_6053447_4355770.html (Consulté 4 novembre 2020) 2 Lemke, C. (2020). La 5G est-elle dangereuse pour la santé ?. Sciences et Avenir. URL: https://www.sciencesetavenir.fr/high-tech/reseaux-et-telecoms/5g-et-danger-pour-la-santel-article-pour-tout-comprendre_135033 (consulté le 4 novembre 2020) 3 Duraffourg, L., & Arcamone, J. (2015). Nanosystèmes électromécaniques. ISTE Group. 4 Lemke, C. (2020). La 5G est-elle dangereuse pour la santé ?. Sciences et Avenir. URL: https://www.sciencesetavenir.fr/high-tech/reseaux-et-telecoms/5g-et-danger-pour-la-santel-article-pour-tout-comprendre_135033 (consulté le 4 novembre 2020) 5 Damgé M. (2019). Non, Bruxelles n’a pas interdit la 5G pour des raisons de santé.Le Monde. URL : https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/08/07/non-bruxelles-n-a-pasinterdit-la-5g-pour-des-raisons-de-sante_5497462_4355770.html(consulté le 4 novembre 2020) 6 IBPT. (2018). L’impact des normes de rayonnement bruxelloises sur le déploiement des réseaux mobiles. Bruxelles. URL: https://www.bipt.be/file/cc73d96153bbd5448a56f19d925d05b1379c7f21/08c338ae8ae4e42488f85998879c14e6a4789a2d/ Etude_impact_normes_rayonnement_bruxelloises_deploiement_reseaux_mobiles.pdf ( 7 Witsel V. (2020). Le climat ou la 5G ? La Belgique à l’heure des choix. Politique. URL: https://www.revuepolitique.be/le-climat-ou-la-5g-la-belgique-a-lheure-des-choix/ ( 8 Marsac, A. (2020). La 5G a été associée à une multitude de fake news, selon Ericsson. La Libre. URL: https://www.lalibre.be/economie/entreprises-startup/la-5g-a-ete-associee-aune-multitude-de-fake-news-selon-ericsson-5f97282f7b50a66bd816560d
patible avec le haut débit. On peut s’attendre à une augmentation des abonnements proposés par les opérateurs téléphoniques, qui quant à eux devront renflouer leurs caisses pour obtenir les fréquences 5G. De plus, les opérateurs affirment que la nouvelle génération sera moins énergivore que la génération actuelle. « Mais les antennes MIMO doivent offrir un débit jusqu’à dix fois plus élevé, de façon très réactive et à davantage de personnes. C’est cette augmentation des capacités du réseau qui permet d’affirmer qu’à bande passante équivalente, elles sont moins énergivores que les installations des générations précédentes » résume l’opérateur Orange. [9] Or, pour Huawei, les stations seraient au contraire jusqu’à 3 fois plus énergivores. Aussi, l’opérateur Orange assure qu’un développement marquant de la cinquième génération concerne les modes de veilles possibles. En effet, les opérateurs pourront éteindre un ou plusieurs équipement(s) faute de trafic. En Chine où la 5G est déjà opérante, Unicom laisse ses stations en pause la nuit afin d’alléger le réseau électrique. Orange affirme que ces systèmes de veilles pourraient engendrer 50% d’économies d’énergies. [10] Néanmoins, à ce jour aucune stratégie de démantèlement des anciens équipements n’a été mentionnée. Voici l’avis de 3 opérateurs mobiles différents où il est évident que leur prise de position tente de nous rassurer sur cette consommation d'énergie. Mais il n'en est rien. Ces opérateurs ne prennent pas en compte l’effet rebond. Certes les énergies peuvent réduire les impacts négatifs sur l’environnement, mais l’accroissement de notre consommation nécessite une augmentation de stockage numérique et par conséquent rompt tout bénéfice environnemental de ces gains. [11] De plus, notre industrie numérique repose sur une multitude d’infrastructures (câbles satellites, ordinateurs, tablettes, serveurs…) tous produits à partir de minerais variés et rares. Ces derniers sont bien souvent issus d’Afrique et Asie du Sud-est. Entre autres les collines du Congo contiendraient 24 000 milliards de dollars d’or, de cobalt, de cassitérite, etc. Beaucoup de ces minerais sont indispensables à la fabrication d’équipements numériques et font l’objet de guerres incessantes, exploitation d’enfants, d’hommes et de femmes qui doivent travailler sous la contrainte de groupes armés ... [12] Un smartphone est composé d 40 et 60 minerais différents, ce qui à lui seul rend une économie circulaire compliquée. Les minerais sont tous entremêlés par des al-
« La 5ème génération entraînera des coûts colossaux et multipliera par 2,5 à 3 notre consommation énergétique actuelle. » liages complexes rendant leur recyclage ou réparation envisageable. De ce fait, plus les métaux employés sont éparpillés, plus leur récupération est coûteuse et difficile. Selon le rapport Ericsson publié en juin 2020, au kilomètre carré, jusqu’à un million d’objets pourraient communiquer entre eux avec le déploiement de la nouvelle génération. Or, cette année, on compte déjà 20 milliards d’objets connectés dans le monde. Pour en venir à une évolution si importante, l’industrie prévoit donc l’équipement de millions d’antennes 5G tous les 50 à 150 mètres en milieu urbain. Une étude récente réalisée en France par Jean -Marc Jancovici a indiqué que la 5ème génération entraînera des coûts colossaux et multipliera par 2,5 à 3 notre consommation énergétique actuelle. [13] On peut dès lors parler de e-pollution, celle-ci constituant une crise écologique. Derrière l'électricité, internet serait le troisième “pays” polluant, après la Chine et les Etats-Unis. Internet et ses multiples objets connectés émettent plus de gaz à effet de serre que l’ensemble du secteur aérien. Un rapport de Shift Projet (2018) exposait déjà l'empreinte énergétique directe du numérique. Ce dernier augmente de 4% par an et ses émissions de gaz à effet de serre sont d’environ 4% également. L’envoi d’un mail est de 1 Mo, qui équivaut au fonctionnement d’une ampoule de 60 watts pendant 25 minutes soit 20 grammes de CO2 émis. “Tous ces équipements sont très gourmands en énergie : un simple routeur consomme 10 000 watts (10 kW), un grand data center frise les 100 millions de watts (100 MW), soit un dixième de la production d’une centrale thermique ». [14] Enfin, à ce jour, aucune stratégie de démantèlement des anciens équipements n’a été mentionnée.
Au-delà du coût financier mentionné, attendons-nous à davantage de surveillance ou encore « mieux », un capitalisme de surveillance. Sur un modèle de « villes intelligentes » en évolution dans le monde, il implique de manier une quantité considérable d’informations personnelles de tout citoyen. Dominique Dubarle, logicien, a exposé en 1948 une idée plutôt avant-gardiste de la politique et de l’informatique en la nommant « machine à gouverner ». Il prédit que l’accroissement du stockage et traitement de données amènera à un sur-
9 Damgé M. (2020). La 5G va-t-elle réduire ou augmenter la consommation d’énergie ?. Le Monde. URL: https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2020/09/23/la-5g-va-t-ellereduire-ou-augmenter-la-consommation-d-energie_6053336_4355770.html 10 Bonnemé R. (2020). 5G : un bilan énergétique et écologique qui fait débat. LaLibre. URL:https://www.lalibre.be/planete/environnement/le-lourd-poids-environnemental-et-energetique-de-la-5g-5f59061b9978e2322faffd69 11 Ferreboeuf, H. (2018). Pour une sobriété numérique. The Shift Project. URL: https://theshiftproject.org/wp-content/uploads/2018/11/Rapport-final-v8-WEB.pdf (consulté le 30 novembre 2020) 12 Lepidi, P. (2017). “Congo : la guerre des minerais”. Le monde. URL: https://www.lemonde.fr/televisions-radio/article/2017/03/15/tv-congo-la-guerre-des-minerais-le-recit-d-undesastre_5095053_1655027.html (consulté le 22 novembre 2020) 13 Ferreboeuf H., Jancovici J. (2020). La 5G est-elle vraiment utile ?. Le Monde. URL: https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/01/09/5g-ne-sommes-nous-pas-en-train-de-confondre-ce-qui-est-nouveau-avec-ce-qui-est-utile-ce-qui-semble-urgent-avec-cequi-est-important_6025291_3232.html (consulté le 23 novembre 2020) 14 Caillosse L. (2018). Numérique : le grand gâchis énergétique. URL: https://lejournal.cnrs.fr/articles/numerique-le-grand-gachis-energetique
gissement d’un prodigieux Léviathan politique (Léviathan : personnage de monstre biblique considéré comme un chaos pouvant modifier la planète). [15] De ce constat, le confinement nous permet de percevoir plus clairement les incitations à la technologie dans nos processus d’achats. Qu’en est-il de notre santé ? Il y existe tout d’abord deux types de rayonnements : ionisant et non ionisant. Le premier est un rayonnement pouvant porter atteinte à notre matériel génétique (ADN) émis par des substances radioactives ou encore par l’activité humaine (radiothérapies, centrale nucléaire…). Ensuite, le rayonnement non ionisant transporte, lui, peu d’énergie pour altérer notre ADN, du moins en théorie. Nos smartphones, les antennes, nos appareils électroniques émettent donc ces rayons non ionisants. Des doutes persistent quant à notre utilisation intensive de nos smartphones. [16] Lorsqu’un tissu biologique est orienté à une onde électromagnétique non ionisante, une partie de l’énergie transposée par cette onde est ensuite réfléchie ; une autre sera alors absorbée. Et cette dernière peut avoir des conséquences biologiques et sanitaires. [17] Les champs électromagnétiques ont des effets néfastes sur la santé humaine. L’OMS mentionne qu'il existe “des effets biologiques établis associés à une exposition aiguë à de fortes intensités (bien au-dessus de 100 ..Teslas) qui s’expliquent par des mécanismes biophysiques reconnus. Les champs magnétiques ELF (fréquence extrêmement basse) extérieurs induisent des champs et des courants électriques dans l’organisme qui, lorsque l’intensité du champ est très forte, provoquent une stimulation nerveuse et musculaire et modifient l’excitabilité des cellules du système nerveux central ”. En d’autres termes, « on a recensé des lacunes dans les connaissances et ces dernières constituent la base d’un nouveau calendrier de recherche. » [18] En France, l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’alimentation, l’environnement et du travail a déclaré en janvier 2020 qu’elle manquait encore de données scientifiques pour se prononcer quant aux effets des technologies sur la santé publique. [19]
monde déjà hyper-connecté et vivant une crise sanitaire depuis presque un an, allonsnous entrer dans une réalité totalement virtuelle et interconnectée ? Dans un système enclin à l’écologie personnelle et en augmentation, tous nos efforts individuels et collectifs sont-ils déjà voués à l’échec ?
ANASTASIA DE BRAEKELEER
Le déploiement de la 5G va donc engendrer une multitude de changements environnementaux et économiques puisqu’il est en constante évolution. Autant il dévore continuellement notre environnement à divers et nombreux niveaux, autant il en sera davantage néfaste pour notre santé. Les impacts environnementaux directs et indirects sont bien souvent sous-estimés. Nous pouvons nous poser les questions suivantes : Dans un
15 Tréguer F. (2019). La « ville sûre » ou la gouvernance par les algorithmes. Le Monde Diplomatique. URL: https://www.monde-diplomatique.fr/2019/06/TREGUER/59986 16 Blondet, M. (2020). Tout savoir sur les antennes 5G. Ariase. URL: https://blog.ariase.com/mobile/dossiers/antennes-5g 17 Société Française de Physique. (2020). Les ondes de téléphonie mobile. Reflet de la physique. N 23. URL: https://www.refletsdelaphysique.fr/articles/refdp/pdf/2011/01/ refdp201123p20.pdf(consulté le 22 novembre 2020)(consulté le 24 novembre 2020). 18 Organisation Mondiale de la Santé. (2007). Champs électromagnétique et santé publique. URL: https://www.who.int/peh-emf/publications/facts/fs322/fr/(consulté le 23 novembre 2020) 19 ANSES. (2020). Déploiement de la 5G en France : l’Anses se mobilise pour évaluer les risques pour la santé. URL: https://www.anses.fr/fr/content/d%C3%A9ploiement-de-la-5g-en-france-l%E2%80%99anses-se-mobilise-pour-%C3%A9valuer-les-risques-pour-la-sant%C3%A9(consulté le 23 novembre 2020)
ARCHITECTURE ENVIRONNEMENTALE ET RÉNOVATION THERMIQUE
UN GOUFFRE ÉNERGÉTIQUE Tandis que le réchauffement climatique dû aux émissions de polluants par les diverses usines et moyens de transport, le coût environnemental des logements, bien que très lourd, reste très souvent à dans l’ombre de ces deux premières sources qui inquiètent beaucoup plus le grand public.
En Belgique le chauffage seul des bâtiments représentait 19% des émissions de CO2 de tout le pays et ce sans compter l’éclairage, les divers appareils électroménagers et autres. Les logements bruxellois, représentent 74% de la consommation énergétique de la région et près d’un tiers de ceux-ci ne sont pas équipés de la moindre forme d’isolation aussi minime soit-elle. Ces bâtiments, en raison de leur état et de leur statut extrêmement gaspilleur, sont vus comme un grand potentiel de rénovation thermique dans l’espoir d’optimiser l’usage des ressources énergétiques allouées. Face à ce problème alarmant, le gouvernement belge compte suivre le PNEC 2030 (plan national énergie climat) visant à réduire de 32% les émissions de gaz à effets de serre de la région (et de 80% d’ici 2050) ; cela implique l’adoption d’une stratégie de rénovation thermique, tentant d’amoindrir le gouffre énergétique que représente Bruxelles . Contrairement aux problèmes de pollution dûs à l’industrie, l’énergie ou le transport, celui de l’optimisation énergétique des bâtiments est en comparaison assez facile et rapide à régler. Mais quelles sont les solutions possibles au problème de nos foyers énergivores, requièrent-elles des changements radicaux à nos méthodes actuelles ?
ET CONCRÈTEMENT ? Le gouvernement met en place :
•
Des primes énergie, pour promouvoir des travaux « remboursés jusque 70% » par la région Bruxelles-Capitale, qui amélioreront grandement l’efficacité thermique des bâtiments énergivores.
•
Le programme SolarClick ayant pour but l’installation de cellules photovoltaïques sur les toits de bâtiments publics.
•
Un programme NrClick renforcé, service de comptabilité énergétique servant à accompagner les pouvoirs publics dans leur gestion de l’énergie.
•
Une réglementation urbanistique sur performances énergétiques de bâtiments (PEB) mise à jour
•
Et d’autres mesures moins signifiantes, s’il vous intéresse de vous informer dessus je vous invite à consulter le site le Bruxelles environnement afin d’avoir des informations plus complètes.
DIVERSES SOLUTIONS Parmi les innombrables concepts et solutions qui existent et qui se rapportent au caractère énergivore de nos constructions, les quatre mentionnés dans la liste non exhaustive suivante font beaucoup parler d’eux et sont déjà utilisés à une échelle plus ou moins grande. L’habitat passif : Par définition un bâtiment dont les apports solaires compensent grandement voire totalement les besoins énergétiques et se basant sur six caractéristiques, selon Wikipedia : une bonne isolation thermique, une étanchéité excellente, une absence de ponts thermiques, une ventilation à double flux, une captation optimale des énergies solaires et du sol et la limitation de la consommation des appareils électroménagers. Un point positif de l’habitat reposant sur les critères stricts suivants qui doivent être remplis pour être qualifié d’habitat passif : •
1. énergie en chauffage requise par an inférieure à 15 kWh/m2
•
2. étanchéité à l’air (n50 < 0,6 h−1), (considéré comme très étanche pour un bâtiment, pour en savoir plus se renseigner sur l’unité n50)
•
3. besoin en énergie finale inférieure à 50 kWh/m2 par an
L’habitat passif est donc une appellation standardisée et rigoureusement caractérisée et est le plus probablement le résultat visé par toutes les mesures de rénovation thermiques. Le bâtiment frugal : Concept qui n’est pas indissociable de l’habitat passif malgré sa dénomination similaire, ce dernier correspondant à des concepts quasi identiques. La définition du bâtiment frugal est plus sinueuse, moins rigoureuse et plus laxiste, et finalement plus commerciale. Il peut être problématique d’être induit en erreur et de confondre les deux, tout comme biodégradable et compostable sont à tort, bien trop souvent confondus.
Le négawatt : Le négawatt, unité de mesure théorique représentant l’énergie économisée prenant en compte des facteurs tels que la sobriété énergétique qui est le comportement des usagers de l’infrastructure par rapport à
leur consommation d’énergie et de l’efficacité énergétique. Autrement dit, c’est la consommation énergétique brute des appareils sans que la façon dont on en fait usage soit altérée, qui est liée assez souvent à la sophistication technologique des appareils (ampoules basse consommation plutôt que des ampoules incandescentes) ou simplement à la conception/modification d’un environnement facilitant l’économie d’énergie. Par exemple l’isolation thermique augmente l’efficacité d’un chauffage, ou le positionnement des fenêtres d’une maison peut faire en sorte que les pièces occupées durant la journée soient face au soleil pour accroître l’efficacité de l’éclairage et du chauffage. L’usage du négawatt peut donc s’avérer très utile pour mieux évaluer et répertorier la performance énergétique des bâtiments ; permettant ainsi par la suite de promouvoir de nouveaux standards écologiques et permettre, à défaut de rejoindre la liste des arguments marketing à la définition et aux réglementations floues et dont l’aspect écologique ne sont subséquemment que marginales. Ce concept est promu par l’association négawatt, principalement active en France, que la Belgique pourrait prendre à son tour.
La construction circulaire : Tout comme l’économie circulaire est une alternative à l’économie linéaire, la construction circulaire est une alternative à la construction linéaire et est par son fonctionnement, une partie intégrante de l’économie circulaire. Il est donc normal que les deux aient par essence un raisonnement identique. Sa logique consiste à maintenir les produits, leurs composantes et les matériaux déjà présents en circulation le plus longtemps possible afin de recourir un minimum à la transformation de matières premières. On aurait tendance à penser que la construction circulaire va presque exclusivement avoir recours au recyclage, mais cela n’est pas très exact. Le recyclage étant toujours favorisé par rapport à la production ; celui-ci passe tout de même par plusieurs phases coûteuses de transformation. Cela reste moins polluant que de produire à partir de matières premières extraites. Le processus du recyclage est tout de même coûteux et énergivore. En Europe, 31% des ressources naturelles exploitées sont utilisées dans le secteur de la construction, qui représente d’ailleurs 33% des déchets. Il est donc essentiel de maximiser l’usage des matériaux afin de minimiser l’exploitation des ressources naturelles pour les produire. La construction circulaire peut se résumer grossièrement de la façon suivante :
•
Utiliser un bâtiment le plus longtemps possible pour ne pas devoir en construire un nouveau (tant que les normes de sécurité le permettent)
•
Si un bâtiment doit absolument être démoli, essayer au maximum de récupérer ses matériaux en bon état pour les réutiliser dans d’autres structures (poutres en acier, fenêtres,
•
Pour les matériaux en trop mauvais état pour être réutilisés, les envoyer au recyclage
•
Et finalement, pour la construction suivante utiliser en priorité les matériaux récupérés pendant des démantèlements, ensuite des matériaux recyclés et ainsi utiliser le minimum de matériaux nouvellement fabriqués, issus de circuits linéaires.
•
Quand la nouvelle structure est trop âgée et que son démantèlement est inévitable, le cycle se répète, d’où le nom circulaire.
On aurait tendance à penser que la construction circulaire va presque exclusivement avoir recours au recyclage, mais cela n’est pas très exact. Le recyclage étant toujours favorisé par rapport à la production ; celui-ci passe tout de même par plusieurs phases coûteuses de transformation. Cela reste moins polluant que de produire à partir de matières premières extraites. Le processus du recyclage est tout de même coûteux et énergivore. En Europe, 31% des ressources naturelles exploitées sont utilisées dans le secteur de la construction, qui représente d’ailleurs 33% des déchets. Ce système permet de soulever des problèmes graves comme le gaspillage d’une partie significative des matériaux dans les chantiers et l’impossibilité de réutiliser des matériaux à cause d’un usage bien trop répandu de matières toxiques. Ce système met aussi en évidence des solutions, telles que designer des bâtiments de façon à faciliter son démontage et la réutilisation de ses matériaux, ou même de favoriser le préfabriqué pour de nombreuse applications. La construction circulaire est donc un jeune système en pleine mutation avec ses propres avantages et ses propres défis à surmonter. Son défaut majeur est actuellement sa sous-utilisation malgré beaucoup de tentatives de mise en place. Est-ce que son usage universel est une question de temps ou est-ce un idéal inatteignable ?
CONCLUSION Une proportion excessive des bâtiments que chacun·e occupe journalièrement n’est pas respectueuse de l’environnement. Outre le manque d’optimisation énergétique, les matériaux de construction ont également un poids non négligeable sur l’environnement. Les solutions possibles sont légions. Un enjeu majeur est de rendre ces solutions accessibles au plus grand nombre, afin d’éviter que l’architecture durable ne soit finalement qu’un luxe pour personne fortunée. Un changement à l’échelle d’une société se doit de s’effectuer à chaque niveau. Éviter ce problème permettra d’avoir un immense impact à l’échelle nationale, voire mondiale. Un autre enjeu majeur est de rendre ces changements rentables pour l’usager ; en effet l’installation d’infrastructures plus respectueuses de l’environnement coûte plus cher que l’utilisation d’anciennes installations archaïques, inefficaces et polluantes pendant de nombreuses années.
L’un des meilleurs moyens de faire face à ces enjeux est simplement l’intervention du gouvernement, par le biais de réglementations (PEB) et de subventions comme celles mentionnées plus haut, pour inciter voire contraindre à diverses rénovations et à l’usage de certains matériaux afin d’alléger le poids de celles-ci. D’autres primes et subventions à plus grande échelle devraient être les bienvenue, notre gouvernement s’est après tout engagé à réduire ses émissions de gaz à effet de serre, celui-ci doit respecter son engagement et montrer sa volonté d’apporter un changement durable.
EMRE DALGIC
CAMPUS EN TRANSITION
UNE NOUVELLE ÉQUIPE À LA TÊTE DE CAMPUS EN TRANSITION Campus en Transition, une association basée sur le campus de l’ULB depuis 2013, accueille une nouvelle équipe, pleine de projets et d’ambitions. On vous la présente ici.
CAMPUS EN TRANSITION, C’EST QUOI AU JUSTE ? Née en 2013 dans la lignée du mouvement international nommé « En transition », l’association se constitue d’abord autour du projet d’aménager un potager collectif sur le campus de l’ULB. Très vite cependant, l’idée de mettre en place des actions écologiques au sein de l’université via l’association émerge. Ainsi naissent divers projets sur le campus : un marché bio sur l’avenue Paul Héger, des ateliers « DIY », une pièce de théâtre sur la transition écologique et le fameux potager collectif. Plutôt cool, non ? L’association se veut transversale, apolitique et ouverte à tous : chaque étudiant est libre d’y présenter ses projets et de s’y investir. Ses membres prônent une approche locale, positive et collective et s’intéressent à des problématiques à la fois sociétales, environnementales et économiques. Malheureusement, comme beaucoup de personnes engagées dans le tissu associatif, les membres de l’équipe se sont peu à peu désinvestis et l’association a périclité. Du projet initial de promouvoir d’autres modes de consommation et de vie durable, responsable et écologique ne demeure que le potager collectif, désormais géré par l’association « Potager en Transition ». C’est avec la ferme volonté de revitaliser ce projet porteur d’espoir qu’une nouvelle équipe reprend les rênes de l’association. La philosophie de l’association ne change que peu ou prou : l’inclusivité et la transversalité demeurent au cœur du projet. Ses activités, quant à elles, se focaliseront sur les aspects tant individuels que systémiques de l’écologie, par le biais de conférences, de ciné-débats, de formations, d’articles de fond et d’ateliers en tout genre.
QUELLES SONT LES ORIGINES DU MOUVEMENT INTERNATIONAL « EN TRANSITION » ? Le mouvement « En Transition », ou Transition Network, est né en 2006 en Angleterre à l’initiative de Rob Hopkins, professeur en permaculture. Lors de sa création, le mouvement souhaite répondre à trois défis majeurs : le pic pétrolier, le changement climatique et la crise financière. Depuis, le discours a quelque peu évolué : les causes et luttes se sont élargies et interconnectées. En revanche, la volonté de promouvoir des initiatives durables, alternatives et résilientes à travers le monde reste intacte. Il existe aujourd’hui plus de 4 000 initiatives de Transition réparties dans plus de 51 pays à travers le globe. Le mouvement est collectif, local et social : de nouvelles formes d'entrepreneuriat, d’agriculture, de commerce, ou même d’interactions sociales émergent, fruits de l’intelligence collective.
COMMENT ENVISAGE-T-ON NOTRE ENGAGEMENT AU SEIN DE L’UNIVERSITÉ ? Comme évoqué précédemment, Campus en Transition prône une approche collective et participative, ouverte à tous les membres de la communauté universitaire. Dès lors, toute initiative, idée ou projet visant à rendre notre campus plus vert sera accueilli avec intérêt, respect et bienveillance. Nous aurons à cœur de travailler de concert avec les entités déjà présentes sur le campus (étudiant·e·s, cercles, administrations et autres associations), afin de sensibiliser et réfléchir ensemble à des stratégies pour rendre notre université davantage en symbiose avec la nature. Afin de marquer notre volonté de construire ce projet avec l’ensemble des étudiant··e·s, un questionnaire ouvert à toutes et à tous sera bientôt publié sur nos réseaux sociaux. Des idées à partager ? N’hésite pas à nous en faire part et à remplir le sondage .
ENVIE D’EN SAVOIR PLUS ? Nous t’invitons à aller jeter un œil à nos pages instagram @campus_transition où tu pourras suivre tous les projets et évènements que nous mettrons en place afin de faire vivre l’association au sein du campus.
LES MAUVAIS JOURS FINIRONT
J’aimerais vous partager un court texte que j’ai écrit cette semaine, alors que la nuit progresse et que l’actualité ressemble de plus en plus à une dystopie. Je crois quand même qu’il est possible de déceler quelques lumières ou, du moins, quelques lucioles. Ce qu’on nomme complotisme et les passions qu’il déchaîne aujourd’hui nous montrent de façon spectaculaire le désarroi, la confusion et la détresse dans lesquels nombre d’entrenous sont englués, perdus. Nous sommes dépossédés. La politique ne nous concerne pas et elle nous le rappelle tous les jours par son langage, ses codes vestimentaires, par la complexité bureaucratique extrême de nos institutions. C’est vrai qu’on pourrait croire que cela est fait exprès pour nous larguer, pour nous tenir bien éloignés de là où s’exerce le pouvoir. Le conspirationnisme n’est pas juste une affaire de gens bêtes, malléables à qui on peut faire avaler n’importe quoi. Pour beaucoup d’entre nous, c’est simplement ce qu’il nous reste quand tout a été fait pour nous rendre le monde illisible. Quand nous avons très bien compris que le modèle économique global est absurde, sordide et inégalitaire ; que les industries détruisent à peu près tout ce qu’il y a de beau en ce bas-monde ; quand nous voyons que Jeff Bezos a pratiquement doublé sa fortune pendant la pandémie, à l’heure où nombre de petits commerçants mettent la clef sous la porte, se désespèrent ou se suicident ; quand les services publics ont été largement définancés et qu’on a envoyé des milliers de soignants au casse pipe ; que les médias et les autorités nous bombardent d’informations contradictoires pendant que des journalistes, sérieux, qui font leur travail, nous révèlent tour à tour les scandales, les conflits d’intérêts, les comportements vicieux et les corruptions éhontées de cette parodie de démocratie. A part voter une fois tous les X temps pour départager une série de personnalités désignées par avance par un appareil partisan, pouvez-vous citer les outils qui vous permettent d’avoir une influence quelconque sur les choix stratégiques qui nous engagent collectivement ? Qui conditionnent nos vies, l’aménagement des territoires que nous habitons, les normes de production de la nourriture ou de l’énergie que nous utilisons ? Les matières qu’on enseigne à nos enfants ? Les investissements considérés comme prioritaires ?
Le succès du film Hold up lève le voile sur l’ampleur de cette dépossession. C’est normal d’avoir envie de se jeter dans ses bras même si c’est un mauvais film ! Même s’il est confus, mal réalisé, mal écrit, tantôt dramatisant des informations accessibles à tous en les faisant passer pour des révélations, tantôt simplement mensonger, NRJ12 à côté c’est Arte : Hold Up pose quoi qu’on en dise des questions capitales. Des sujets du siècle, qui nécessitent toute notre attention et notre lucidité. Qu’il s’agisse des mensonges d’état et des abus d’autorité, des conflits d’intérêts flagrants dans les milieux de pouvoir, des empires médiatiques, du business de la peur, des monopoles pharmaceutiques, de la surveillance de masse, du déploiement anti-démocratique de nouvelles technologies aliénantes ou de la 5G qui réaffirme l’emballement du développement industriel à l’heure de l’effondrement écologique global, des fantasmes d’immortalité d’Elon Musk, de tous les nouveaux outils d’un nouveau capitalisme toujours plus puissant, insidieux et mortifère… tout ça, c’est du sérieux. Il est vital de pouvoir penser ces sujets avec méthode pour pouvoir se défendre. “Le capitalisme n’est pas un complot : il ne se cache pas. Nous savons parfaitement comment il fonctionne, de même que nous connaissons aussi bien ceux qui en profitent que ceux qui en pâtissent. Pourtant, au lieu de le combattre clairement et nommément, le complotisme procède en détournant le regard ailleurs au prétexte d’ennemis imaginaires qui, bien souvent, paraissent encore plus difficiles à combattre. Le complotisme est donc très utile au capitalisme parce qu’il brouille la réalité du problème, grossit la difficulté, favorise la résignation” écrit le poète Yannis Youlountas. C’est peut-être cela le plus impardonnable : Hold Up est une machine de dépolitisation massive. Au lieu de nous appeler à lutter collectivement contre les monstres qu’il désigne, le film nous isole dans notre pauvre condition d’individu atomisé. On en ressort lessivé, encore plus largué qu’avant de l’avoir regardé. Mais surtout, on en ressort seul. Aucun lien n’est fait entre le constat catastrophe, nous allons tous mourir, et la possibilité de nous rassembler, nous autres, les condamnés, pour faire front et nous défendre collectivement ! Cela fait des années que des collectifs se battent tous les jours contre les géants de la tech, contre la mondialisation et les violences de cet ordre social, contre la destruction organisée des espaces naturels, des espèces et les conditions de vie inhumaines que ce modèle en-
gendre. Il y a deux ans a démarré en France l’un des mouvements sociaux les plus importants de la décennie, les Gilets Jaunes, où une partie de la population s’est battue pour obtenir de nouveaux outils démocratiques et a imposé le sujet social au centre du débat public. C’est en sortant de chez eux, au détour d’un rond point, que Yacine de Seine-Saint-Denis rencontrait Daniel qui a voté FN toute sa vie, et qu’ils se sont finalement rendu compte en se parlant que ce n’est pas tant l’un contre l’autre qu’ils ressentaient de la colère. Ils n’ont pas gagné, certes, mais Macron a tremblé. D’autres mouvements verront le jour. Nous serons de ces mouvements. Nous pouvons espérer reprendre possession de nos vies. Nous pouvons nous rassembler autour d’intérêts communs, plutôt que de perdre notre énergie à nous trouver stupides, à nous invectiver, les corps figés derrière l’écran. Nous ne sommes pas tous dans le même bateau, nous n’avons pas tous les mêmes intérêts à défendre. Vos intérêts ne sont pas ceux d’Emmanuel Macron. Vous avez intérêt à avoir accès à des services publics de qualité, à vivre dignement dans un monde habitable ; lui veut rendre l’entreprise France plus compétitive, relancer la croissance, faire des économies. Si vous bossez dans une grosse boîte, vos intérêts ne sont souvent pas les mêmes que ceux de votre patron. Vous avez intérêt à avoir du temps libre, à donner du sens à ce que vous faites, à ne pas vous abîmer le moral, la santé à répéter des tâches pénibles, parfois absurdes… Lui veut surtout faire du profit, dépenser le moins possible pour le plus de résultats possibles. Ce n’est pas parce qu’il vous appelle “collaborateur” que vous avez le même objectif. Vos intérêts ne sont pas les mêmes que ceux de Mark Zuckerberg. Vous avez intérêt à avoir l’esprit libre, les idées claires pour pouvoir décider par vous-même ; il a intérêt à ce que vous passiez le plus de temps possible sur ses plateformes à vous bombarder la tête de publicités ciblées qui dicteront vos choix de consommation. Ce n’est pas parce qu’il vous appelle “utilisateur” que ce n’est pas vous qui êtes utilisé. Il n’y a pas de démocratie sans conflit entre ces différents intérêts. Les mineurs de charbon du 19e siècle n’avaient pas intérêt à travailler soixante heures par semaine, avec une espérance de vie qui ne dépassait pas les quarante ans et un taux de mortalité infantile de 25% et c’est précisément pour cela qu’ils ont commencé à se regrouper pour parler de leurs conditions de travail et de vie, à s’organiser en nombre pour faire pression contre leurs exploitants. C’est littéralement grâce à cet embrasement des colères mais aussi de l’espoir
d’arracher des conditions de vie meilleures que la plupart des avancées sociales dont nous profitons aujourd’hui ont été obtenues. Les progrès sociaux les plus élémentaires ont été arrachés par des luttes. Bien sûr les conditions de vie des ouvriers du 19e donnent à la plupart d’entre nous une impression de vieux cauchemar - bien qu’elles soient beaucoup plus familières aux millions de femmes et d’hommes qui, à travers le monde, alimentent par leur peine les chaînes de production de Zara, Chanel, Primark, Apple, Microsoft ou Tesla. Mais dans cet horizon glacé, face à l’emballement du développement technique, de la robotique, du big data, des technologies de surveillance ; face aux stratégies du choc dont les gouvernements jouent pour faire passer des lois impopulaires en temps normal ; face à la course effrénée à la croissance et la compétitivité, au mépris de toutes limites humaines ou naturelles, tous ces acquis sociaux peuvent être perpétuellement remis en question. Nous pouvons techniquement reprendre possession de nos vies. Nous pouvons nous libérer des récits officiels, des manipulations politiciennes ou de la propagande libérale des grands médias privés. Nous pouvons éteindre la télé. Nous pouvons voir de bons films ! Comme Les Nouveaux Chiens de Garde de Gilles Balbastre et Yannick Kergoat. L’homme a mangé la Terre de Jean-Robert Viallet. Ni Dieu Ni Maître de Tancrède Ramonet. Nous pouvons lire de bons livres, comme le Petit cours d'autodéfense intellectuelle de Normand Baillargeon ou La stratégie du choc de Naomi Klein. Comme ceux de Noam Chomsky. Nous pouvons suivre des médias et journalistes indépendants qui enquêtent sérieusement sur les coulisses du pouvoir, comme Médiapart, Bastamag, Médor, Reporterre ou Premières Lignes. Nous pouvons nous rassembler dans des mouvements citoyens, créer des poches de résistance, que ce soit sur des ZAD, des ronds-points ou ailleurs ! Nous pouvons nous parler et imaginer ensemble d’autres façons d’habiter ce monde. D’autres sociétés, basées sur le commun, la solidarité, la production locale, l’agriculture paysanne, la démocratie directe, par le débat et la co-construction. Nous pouvons nous repolitiser finalement, reprendre la politique à ceux qui l’ont prise en otage : se remettre à penser la vie ensemble et à l’organiser. Nous pouvons nous inspirer de tous ces mouvements citoyens qui - à travers le temps - ont allumé des lumières dans la nuit, en luttant contre les systèmes qui menaçaient leur liberté, leur bonheur, leur santé ou leur survie. Nous pouvons être ces lumières. Ne laissons ni les menteurs professionnels, ni les
marchands de sommeil, ni l’état d’urgence sanitaire nous faire oublier la force qu’on peut avoir lorsque l’on se rassemble. Lorsque l’on se rend compte qu’on peut se battre ensemble contre cet ancien monde et en construire de nouveaux, plus vivables et plus vivants ! Les mauvais jours finiront.
FELICIEN BOGAERTS
« Nous pouvons espérer reprendre possession de nos vies. Nous pouvons nous rassembler autour d’intérêts communs, plutôt que de perdre notre énergie à nous trouver stupides, à nous invectiver, les corps figés derrière l’écran. Nous ne sommes pas tous dans le même bateau, nous n’avons pas tous les mêmes intérêts à défendre.»
Tous nos remerciements aux auteur·e·s de ce Bulletin, à Lucas VanHufflen pour la couverture et l’aide pour la mise en page et à Elisa Veys pour ses incroyables dessins ! Ce Bulletin « Urgence Écologique » n’est, comme précisé dans notre édito, qu’un point de départ, un travail collectif sans prétention à l’exhaustivité, tant il y aurait de sujets à traiter et de mythes à déconstruire. Il reflète les interrogations et analyses d’une jeunesse qui est et sera touchée de plein fouet par de nombreuses crises systémiques. Pour aller plus loin et se former, voici une liste personnelle et non exhaustive de podcasts, journaux, et de pages à suivre: Podcasts: Présages, Time to Shift, Homo Ethicus, Sismisque Pages à suivre:: Reporterre, Le Biais Vert, Pour un réveil écologique, La Fresque du Climat, Bon Pote Youtube: Le Réveilleur, Game of Hearts, le « Cours des Mines 2019 » de Jean-Marc Jancovici
ADRIANO LA GIOIA ET LOIC CROBEDDU, RÉDACTEURS EN CHEF