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SUBSTANCE
MAGAZINE
À 55 ans, Claire accède à la propriété grâce à un héritage inespéré. Pour cette Parisienne au passé familial cabossé, la grande demeure sur laquelle s’est porté son choix est d’abord l’occasion de rassembler enfants et amis. Mais son histoire et celle de ses anciens occupants résonnent étrangement avec la sienne… Par Catherine Durand
MOI LECTRICE
“J’AI ACHETÉ UNE MAISON POUR DONNER DU SENS À MON HISTOIRE” “J’AI TOUJOURS FREINÉ À L’IDÉE DE DEVE-
NIR PROPRIÉTAIRE. J’ai grandi avec des parents nomades, on a dû déménager dix fois dans Paris et, comme eux, j’ai toujours été locataire. En vieillissant, je me suis dit que ce serait bien d’acheter une maison, pas pour faire un bon placement ou une plus-value mais, à 55 ans, après avoir toujours vécu intra-muros et après deux confinements, j’ai eu le fantasme du café dans le jardin. Et puis je voulais une grande maison de famille, avec au moins deux étages, une chambre pour chacun de mes trois enfants – mon fils aîné a 29 ans, mes deux filles, 26 et 21 ans – et une grande pièce à vivre. J’avais des critères précis : elle devait être à moins de 200 km de Paris, accessible en train régional, pas en TGV, trop cher, et être payée cash pour ne pas emprunter. J’ai tracé un cercle
et je suis tombée par hasard sur une petite ville du Calvados. J’avais sur le papier un budget de 400 000 euros mais je ne voulais pas investir au-delà de 240 000, travaux compris. Je suis mère célibataire, ma dernière fait des études chères et j’ai un loyer parisien à payer chaque mois. Inscrite sur le site d’une agence immobilière de la région, je reçois beaucoup d’annonces, tout le temps, et rien ne me convient . Je trouve les mais ons moches ou très isolées. Citadine, je n’ai pas envie de vivre au milieu d’un champ. Je clique, je regarde trois images et je laisse tomber. Et puis, il y a un an pile, je tombe sur la photo d’une maison bourgeoise en briques. Je lis : “4 chambres, en ville avec 700 m 2 de jardin et un lavoir.” Cette annonce m’intrigue. Les lieux n’ont pas été habités depuis vingt ans. Elle est
recouverte de lierre, les volets sont pourris, mais à l’intérieur, je vois des carreaux de ciment et des tomettes sublimes, des cheminées et de beaux planchers et, au premier étage, une porte avec un très joli vitrail. J’envoie tout de suite un SMS à l’agence. Quelques jours plus tard, je donne rendez-vous à ma tante car je n’y connais rien en tout-à-l’égout, chauffage, toiture… J’arrive et je découvre une maison abandonnée, lugubre : la grille est rouillée, le jardin étouffe sous les herbes folles, des chaînes et des cadenas sont accrochés à toutes les portes. Ma tante pose mille questions, moi, je reste silencieuse mais j’ouvre les volets et je fais un tour complet. Je vois déjà où je vais installer ma chambre. Cette maison est pour moi. J’arrive à la négocier en dessous de 100 000 euros et avec les travaux, elle m’en coûtera moins de 200 000. Et elle est en ville. Je n’ai pas de permis de conduire, je dois pouvoir faire mes courses à pied. Or dans cette petite ville charmante de trois mille habitants, dans le pays d’Auge, on trouve une médiathèque, une librairie, un bar-tabac, une excellente pâtisserie, une épicerie avec les produits locaux, une pharmacie, il y a de la vie. Et je ne suis qu’à trente minutes de la mer en train. Ma bonne étoile a encore brillé. J’ai toujours eu de la chance et je ne crois pas au hasard. Cette maison, je l’achète avec l’argent que mes grands-parents paternels m’ont légué. Je veux investir cet héritage dans une maison où, avec ma famille, c’est-à-dire mes trois enfants, je repars de zéro. Je n’ai plus ma mère, je n’ai jamais connu mon père biologique ni sa famille et je vois peu celui qui m’a adoptée et élevée. C’était le deuxième mari de ma mère, laquelle, jusqu’à son lit de mort, ne m’a rien révélé sur ma famille paternelle. C’est le notaire qui m’a appelée pour m’annoncer que j’héritais d’un appar-