David Poullard ou l’école du regard urbain Guillaume Monsaingeon
Y ci où vers
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Exposition de David Poullard Espace Vallès, Saint-Martin-d’Hères 1er mars > 14 avril 2018
La rue est à tout le monde, c’est même pour cela qu’on ne la voit pas. Une posture efficace pour l’observer serait la position allongée, par exemple depuis l’arrière d’une ambulance roulant vers l’hôpital. À travers les vitres ajourées, les façades défileraient à toute vitesse, les enseignes se bousculeraient. Mots et formes de la ville, joyeux et colorés, feraient signe en guise de prompt rétablissement. La Sécurité sociale peut remercier Poullard, qui nous épargne l’accident des gens trop pressés et malvoyants. Ouvrez les yeux : aux antipodes de la chasse à l’extraordinaire, David Poullard s’attache à débusquer l’ordinaire tassé dans les replis du quotidien. Il excite notre regard, attire notre attention sur des formes qu’il transforme en ressorts dynamiques. Certains sursauteront lorsqu’il évoque des signes banals – oui, banals, en effet, le mot heurte au pluriel comme la chose glisse au singulier quotidien. Au sol joue la confrontation de notre échelle humaine avec celle de la signalétique horizontale. Qui avait jamais regardé avec attention ce coude, cette bifurcation, cette flèche brisée ? Qui d’entre nous avait pris la peine de s’arrêter, de rivaliser avec des formes excédant de loin un modulor allongé ? Les voilà qui pendent sur décision de l’artiste, figures molles légèrement ridicules, accrochées au porte-manteau. Elles n’attendent que nous pour les replacer au sol ici ou là. Enfin une exposition où l’on peut marcher sur les œuvres – c’est même ce que nous faisons tous les jours en traversant dans ou hors des passages cloutés. Parlons-en des passages cloutés : plutôt des passages bandés, bien peu protégés, signes prémonitoires d’une inattention coupable aux signes. Tentative d’épuisement de signes ordinaires, hommage discret mais efficace à Georges Perec, collecte les flèches qui conditionnent notre vie. Les ordres im$$périeux (« à droite », « pas par là », « range-toi ici ! » deviennent invitation à la valse. Tel un joueur de flûte qui attirerait à soi les signes tracés sur le bitume, il s’en va en dansant avec un ballet de flèches d’abord verticales, puis repliées, bientôt contorsionnées. Sous son impulsion, le paysage urbain se met à swinguer. Le paysage de nos quotidiens est toujours en mouvement, parfois jusqu’à l’absurde : les mots s’étirent pour être lus depuis la voiture, depuis l’autoroute. La typographie connaissait autrefois le maigre et le gras, le condensé et l’espacé. Il faut désormais distinguer la vieille police immobile de celle qui régit nos macadams à 30 ou à 130 km/h : longiligne, inscrite de bas en haut, dans le sens de la lecture du véhicule, mouvementée et anamorphosée. Le paradoxe Poullard consiste à réaliser un arrêt sur image pour en tirer une animation festive. Plus besoin de courir, de tomber ou de se retirer du monde pour le scruter vraiment. Avec David Poullard, la jubilation naît de notre capacité à redécouvrir les couleurs, les mots et les formes endiablées de notre vie urbaine.