Philippe Choler
Le paysage est d’abord une expérience sensible mais nos modes de vie nous détachent de cette expérience. Nous restons en dehors du paysage. On l’observe, on le traverse, on le craint mais toujours dans une vision distanciée et surplombante. Il nous faut arriver aujourd’hui à mieux habiter le monde, comme nous y invite Bruno Latour. C’est une exigence de plus en plus pressante, notamment pour les scientifiques qui ne peuvent plus simplement l’observer à travers des microscopes, des télescopes, etc. Si les termes sensible employés par les artistes : émotion, immatérialité, fugacité … nous invitent à raffiner nos perceptions du paysage, ils se prêtent très mal à une approche scientifique et produisent un inconfort pour les scientifiques car ils nous sont en quelque sorte étrangers. Le paysage, pour l’écologue, c’est un niveau d’organisation complexe, qui apparait en bout de chaîne. On peut parler des molécules d’ADN, des populations, des espèces, des communautés, des assemblages d’espèces, des écosystèmes et en bout de chaine des paysages comme un assemblage d’écosystèmes qui sont en interaction et échangent matière, énergie, etc. C’est cet objet que la science des paysages a essayé de circonscrire pour étudier non seulement les trajectoires des paysages, leur fonctionnement, comment ils métabolisent la matière, comment ils transforment l’énergie et éventuellement comment la structure spatiale des paysages détermine les modalités de fonctionnement. On s’écarte donc assez nettement de la manière dont on peut qualifier les paysages sur un mode plus sensible et la circulation de l’une à l’autre de ces approches pose une vraie difficulté. Le récit dominant en science est le suivant : le paysage est le fruit d’une histoire partagée entre humains et non humains. On a produit quelque chose, on a métabolisé la nature et le fruit de cette interaction, qui s’est joué depuis des milliers d’années, ce sont les paysages que nous observons. Le paysage est donc le fruit d’interactions entre de l’humain et du non humain et c’est précisément l’étude de ces interactions qui est au cœur des sciences du paysage.
Directeur de recherche au CNRS, chercheur en écologie, Philippe Choler étudie les effets des changements climatiques et des modifications de l’usage des sols sur la biodiversité et le fonctionnement des écosystèmes de montagne.