local-contemporain 10 paysage en mouvements

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Les paysages nous recueillent

En tant que géographe, j’avoue que j’ai au départ une relation au paysage un peu compliquée, parce que d’un côté je sais bien que c’est un objet qui traverse la discipline de façon fondamentale, mais de l’autre, je constate que très peu de gens ont su vraiment l’attraper par un discours scientifique. Un des rares qui aient su faire quelque chose de cette affaire est Augustin Berque, et d’ailleurs ce qu’il écrit sur le paysage n’est jamais facile à saisir. Mais nos échanges, ici, m’ont beaucoup aidé à me faire finalement une petite doctrine, qui vaut ce qu’elle vaut, mais qui a le grand mérite d’avoir été le produit de ces rencontres.

Martin Vanier

Ma doctrine est la suivante : 1 __ « Quand une fraction de l’espace terrestre (et là on peut mettre un point d’interrogation parce qu’il commence à y avoir de très beaux paysages de l’espace interstellaire dans le cinéma notamment), quand une fraction de l’espace terrestre raconte quelque chose, par conséquent a été investie d’un ensemble de représentations qui font récit, alors c’est un paysage. » C’est aussi simple que cela. 2 __ Le paysage, c’est ce qui nous raconte en nous inscrivant dans quelque chose de plus grand que nous. On y est immergé, jusqu’à l’horizon, mais pas perdu parce qu’il y a le récit, parce que cela nous raconte. L’humain y est éventuellement absent, ou très lointain. L’Antarctique est-il un paysage ? Oui bien sûr, parce que l’humain n’est pas horsjeu dans l’Antarctique. Le récit y est puissant, épique. 3 __ Le paysage est éventuellement agressif, mais toujours « recueillant » malgré tout, au moins pour ceux pour qui il fait sens. Ma ville est très agressive, j’habite à Barbès, c’est très agressif, mais c’est recueillant en même temps. Barbès me recueille tous les soirs. Je sors du métro Marcadet-Poissonniers sur Barbès, et il y a quelque chose de désespérant à constater que ce que je haïssais le matin en partant, je l’adore le soir en le retrouvant. Voilà, c’est agressif et recueillant, je ne peux pas vraiment vous expliquer pourquoi ça m’exaspère, et c’est pourtant chez moi.

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4 __ Le paysage est trop souvent sublime parce qu’on nous répète que c’est sublime, on construit ce sublime. Cette nature splendide dont nous avons beaucoup parlé aujourd’hui est une construction, et le géographe ou l’historien savent que le sublime d’aujourd’hui a pu être le répulsif ou l’illisible d’hier. Peut-être qu’au fond les beaux paysages sont ceux qui nous recueillent. Que dire de l’approche du paysage urbain banal qui fait l’essentiel de notre expérience paysagère ? Quand c’est un paysage de travail, de production, de souffrance, d’exploitation, etc. Il y a assez peu de débat quand on met un public devant un superbe paysage alpin archétypique, parce que les codes de l’éblouissement vont l’emporter, mais devant un paysage urbain banal ? Certains vont s’y retrouver parce que cela les recueille. D’autres ne vont pas voir de quoi est fait ce spectacle, ils vont même y projeter tout un récit de stigmates. Martin Vanier est géographe, il enseigne à l’École d’urbanisme de Paris, après avoir fondé et dirigé à Grenoble le laboratoire PACTE-Territoires.


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