Transhumance, un déplacement du regard Conversation avec Nicolas Hubert
Deux corps habillés de peaux de bêtes déboulent dans la Grande galerie du musée, roulent l’un sur l’autre, l’un sous l’autre, l’un avec l’autre, aspirent la foule des spectateurs de salle en salle jusqu’à se retrouver face aux deux grandes peintures de paysage de Laurent Guétal : Le lac de l’Eychauda (1886) et La Bérarde en Oisans et la vallée de la Pilatte (1882). Maryvonne Arnaud __ Comment est née cette proposition présentée durant « Ça remue » au musée de Grenoble ? Nicolas Hubert __ Nous voulions travailler sur la densité des corps, quelque chose d’assez épais, plutôt lent, dans une sorte d’animalité. Nous cherchions à travailler les formes d’hybridation entre l’humain et l’animal, en créant une certaine confusion de perception : Est-ce un seul corps ? Deux corps ? À qui appartiennent les membres ? Nous voulions créer ce genre de trouble perceptif, comment désorganiser ce corps pour interroger l’organisation de nos corps. Quand s’est présentée l’opportunité du cycle « Ça remue », j’ai tout de suite pensé que notre recherche sur cette hybridation pouvait s’appuyer sur les grandes toiles de paysages de la collection du musée. Ce musée est un endroit que je viens visiter régulièrement, de par mon histoire avec les arts plastiques. À l’origine, j’ai fait les beaux-arts, au Mans, tout en jouant dans un groupe de rock. Et puis la danse est devenue le prolongement de mon engagement artistique, de la pensée sensible que je trouvais dans les arts plastiques. Et je retrouve aussi dans la danse la fougue et l’énergie du rock. Elle est pour moi à la convergence entre les arts plastiques et le rock, et cristallise les deux. Cette performance, nous l’appelons Transhumance, car ce mot véhicule un imaginaire au plus près de l’animalité. La notion de déplacement nous intéresse, dans tous les sens du terme, on se déplace du plateau vers l’extérieur, on se déplace pendant la performance et l’idée était aussi de faire se déplacer le public. Nous n’avions pas mesuré combien, à ce point-là, ça deviendrait aussi la transhumance du public : le public suit vraiment, s’engage. Il est surpris, puis accepte cette surprise, et ça c’est vraiment plaisant. On pressentait bien que les choses seraient très différentes de ce que l’on vit sur scène, car le changement de contexte modifie les comportements. Le public ici n’est plus simple récepteur de la proposition, il fait partie de la proposition. Il y a transhumance parce que le public se déplace, autant que les deux protagonistes danseurs.
Transhumance Compagnie Épiderme Ça remue, musée de Grenoble Performances, séminaire et conversations entre artistes et chercheurs 4 mars 2018
Il y a aussi déplacement dans le sens où on dit « c’est déplacé », quand on parle de quelqu’un qui dit une phrase ou fait une action décalée, ou hors contexte. Nos corps roulant dans le musée induisaient aussi ce déplacement, ils créaient une situation incongrue, contrastée dans ce lieu qui est par essence l’espace du respect de l’art, qui transpire le calme et l’intimité.
Théâtre Jean Vilar de Bourgoin-Jallieu 22 mars 2018
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Maryvonne Arnaud __ Comment avez-vous choisi votre parcours dans le musée et comment est arrivé le choix de ces deux toiles comme décor ?
Nicolas Hubert est chorégraphe
Nicolas Hubert __ J’avais ce souvenir de grandes toiles de paysages, même si je ne savais plus précisément qui en était l’auteur ni où elles se situaient. Nous avons donc commencé, Giulia et moi, par retourner voir ces tableaux, et les observer tout en étant attentifs à l’endroit où ils étaient situés. Notre intuition première était de faire une performance en rapport avec ces tableaux, puis on a pensé l’itinéraire en lui-même afin de naviguer entre de grands espaces, d’autres plus petits,