a C ULT U RE – I N TERVIEW Jean-Luc Fournier
Franck Disegni
EN JANVIER AUX BIBLIOTHÈQUES IDÉALES MARCEL RUFO : « IL N’Y A PAS DE VIE MINUSCULE… » Comme toujours avec ce monstre d’optimisme, ce fut une rencontre profondément chaleureuse, pleine de soleil et de vitalité. Le plus célèbre des pédo-psychiatres du pays continue, à 77 ans, de s’investir pour que les jeunes en difficulté qui lui sont confiés reçoivent le meilleur de sa pratique au quotidien. Ne ratez pas sa venue en janvier prochain, lors du week-end des Bibliothèques idéales : écouter cet homme fait du bien… Depuis votre tout premier livre, Œdipe toi-même, c’était il y a un peu plus de vingt ans, en 2000, vous nous régalez avec vos récits des consultations menées par l’étonnant pédopsychiatre que vous êtes, des récits marqués par cette chaleur sans cesse affirmée qui est vite devenue votre marque de fabrique. Mais, dans Autoportraits en thérapie, votre dernier ouvrage, c’est vous qui vous racontez par le biais de ces mêmes récits de rencontres avec vos patients. C’est une belle idée… Cela faisait longtemps que je voulais écrire ce livre de cette façon. Je me suis vite aperçu que la clinique fabrique du roman et de la poésie. Le beau métier que je pratique fait que les gens me racontent des histoires très souvent sublimes. Pas toujours, bien sûr, parce qu’il y a aussi des histoires
60
a CU LT U R E
tristes, des échecs, des traumatismes…, c’est la vie, quoi. L’idée de départ du livre est très simple. Il y a deux sortes d’êtres sur terre, les gens qui se souviennent avoir été des enfants et les gens qui croient l’avoir oublié. Ce n’est pas de moi, c’est de Paul Valéry. Ça, c’est la clé : comment, en puisant dans les parcours de ma propre enfance, je peux les utiliser pour aider les gens en difficulté ? En m’en servant, je prouve que le passé a de l’avenir, voilà… Parmi ces souvenirs, vous parlez de cet épisode de la tuberculose, très tôt dans votre enfance, dont vous allez réchapper un peu miraculeusement, car, nous somme en 1945, il n’existe pas encore de médicaments permettant de lutter contre cette terrible maladie. Vous n’aviez pas encore un an…
Au pédiatre qui alors pose ce diagnostic, ma grand-mère rétorque : « Vous êtes un grossier personnage, personne n’est tuberculeux chez nous ». Et elle décide de me faire changer d’air et cette forte femme nous emmène ma mère et moi à trente kilomètres de Toulon, à Collobrières. Jusqu’à l’âge de dix-huit mois, j’ai donc vécu neuf mois là-bas, entouré par l’amour de ces deux femmes qui m’a servi de médicament. C’est génial comme développement affectif, non ? J’ai gardé une addiction intense de ce séjour : personne ne peut s’imaginer à quel point j’aime la crème de marrons de Collobrières. Tous les ans, je retourne là-bas pour en acheter. Et quand j’en achète, je sais que c’est la vie que j’achète. Il y a une phrase qu’on vous a souvent entendu dire, dans les interviews ou dans vos conférences ; « un enfant guéri devient un pédopsychiatre ». De quoi d’autre avez-vous guéri ? J’ai guéri d’une drôle d’enfance, une enfance où mes pensées ont occupé très vite un champ bien trop important dans ma vie de gosse par rapport à l’agir, en général et aussi par rapport aux relations qu’un môme peut avoir à ces âges-là. Bref, j’aurais dû consulter un pédopsychiatre, mais à l’époque, ça ne se faisait pas. C’est sans doute pour ça que je me suis débrouillé, bien plus tard, pour en devenir un… (sourire) Cette capacité hors-norme d’écoute, de patience, de réflexion a même été prise pour un handicap par votre institutrice, quand vous aviez cinq ans et demi et que vous veniez d’entrer au CP… Elle me prend pour un fada. Plus précisément, elle hésite entre sourd ou idiot. Coup de pot pour moi à une époque où la psycho commence à peine à être enseignée, une psychologue m’examine et conclut qu’il n’y a rien de grave, allant même jusqu’à confier à l’institutrice qu’elle me trouvait plutôt intelligent. Ça, ça a été ma chance. Car l’institutrice, culpabilisant parce qu’elle m’avait pensé idiot, me prend alors sous son aile. Elle me narcissise, en quelque sorte et à l’arrivée, je décroche le prix d’Excellence. Elle était une bonne professionnelle, car non seulement elle a admis qu’elle s’était trompée, mais elle m’a accompagné efficacement ensuite. Ce fut tout bénef pour moi, au final… Celles et ceux qui vous lisent depuis longtemps, qui vous ont aussi écouté lors des innombrables émissions de radio que vous avez animées, connaissent par cœur votre №43 — Décembre 2021 — Splendeurs