Slava Ukraïni ! l Or Norme #45

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L E M AG A ZI N E D ’ U N AU T R E R EG A R D S U R ST R AS BO U RG

№ 4 5 J U I N 202 2 D E K Y I V À ST R AS BO U RG

b GRAND ENTRETIEN

c D OS SIE R

S ACTUALITÉ

a TAB L E RONDE

RAPHAËL GLUCKSMANN « Non seulement les Ukrainiens nous ont réveillés mais, de plus, ils nous ont sauvés… » Page 6

SLAVA UKRAÏNI ! Témoignage d’un reporter de guerre, récit d’exode et mobilisations... Page 12

RECHERCHE Tour d’horizon des inquiétudes des chercheurs à Strasbourg. Page 52

SDF : LE DÉBAT L’état des lieux. Existe-t-il des solutions ? Page 72

Slava Ukraïni ! D E K Y IV À ST R ASBO URG


Welcome Byzance - Illust. P. Wisson

s t ê r r a 0 0 6 e d s u l P n e s t r o p s n a r t e d e n n o d a ç , n u m com ! r e g u o b e s e d e i env

strasbourg.eu/climat


É DI T O

DE KYIV À STRASBOURG Par Patrick Adler, directeur de publication

« Audendo virtus crescit, tardando timor. »

« Le courage croît en osant, et la peur en hésitant. » , p o ète lati n P u b li li u s S yr u s ro n ) (- 8 5 à - 4 3 e nvi

ans le grand entretien qu’il nous a accordé, Raphaël Glucksmann nous explique comment les Ukrainiens, par leur résistance à la Russie de Poutine, par leur courage, nous ont vraisemblablement sauvés, nous tous et peut-être l’idée et l’honneur mêmes de l’Europe.

D

C’est parce que nous sommes convaincus, à la rédaction d’Or Norme, que rien de plus important ne se joue actuellement dans le monde que ce conflit, et qu’à Strasbourg, plus que partout ailleurs en France, par notre attachement à l’Europe des libertés et de la démocratie, nous sommes concernés au premier chef, que nous avons souhaité consacrer ce grand dossier à la situation en Ukraine.

Il faut lire enfin l’engagement dont fait preuve Ivanna Pinyak et son association PromoUkraïna, depuis le début du conflit, et comment elle tente, inlassablement, de réveiller nos consciences, face à ce qui se joue dans son pays d’origine. (page 22)

Enfin et surtout, il faut rendre hommage à tous ceux qui se battent là-bas, à ces résistants ukrainiens, sans lesquels nous aurions Il faut lire le reportage de guerre excep- continué à accepter les caprices terribles tionnel qu’Aleksander Pavlov, Russe « né et de Poutine, et, peut-être grâce à qui nous élevé en Ukraine », a réalisé en exclusivité éviterons, si nous renforçons encore notre pour Or Norme. (page 14) soutien, une guerre encore bien plus proche et encore plus terrible. Au plus près des combats et de la souffrance du peuple ukrainien, il nous livre également Si la liberté, la paix et la démocratie ne son message du cœur en ne pardonnant À cet hommage, j’associe également tous suscitaient pas cet engagement de notre pas à Poutine « de faire haïr les Russes par les journalistes présents sur le front de cette guerre, et particulièrement part, alors nous irions tout droit vers un les Ukrainiens. » Aleksander Pavlov, et également tous ceux, nouveau « Münich » qui permettrait à Poutine d’annexer le Donbass, et pour- Il faut lire aussi le témoignage bouleversant présents dans ce numéro d’Or Norme, qui, quoi pas l’Ukraine tout entière, comme de la fuite de Tetyana, de Kiyv à Strasbourg, de près ou de loin, contribuent par leur Daladier et Chamberlain avaient permis à avec son jeune fils de douze ans. (page 19) témoignage, par leur soutien ou par tout Hitler d’annexer la région des Sudètes, en Il faut lire encore l’émotion, et la déter- autre moyen, à ce que nous soyons tous à Tchécoslovaquie, avec les conséquences mination, de Liudmyla et de sa fille Olga, en la hauteur de ce qu’exige le courage des évoquant les « héros ukrainiens ». apocalyptiques que l’on sait. Ukrainiens. Comme lui, nous pensons qu’il faut « soutenir les Ukrainiens sans défaillir » et cesser de faire preuve d’angélisme, ou pire, d’indifférence ou de lâcheté face à ce qui se joue à l’Est de notre continent. En effet, face à la violence d’un tyran qui anesthésie son propre peuple par une propagande odieuse, comment résister si ce n’est par la force ?

№45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg

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SOMMAIRE J U I N 202 2

6-11

S Actualités

b Grand entretien Raphaël Glucksmann « Non seulement les Ukrainiens nous ont réveillés, mais, de plus, ils nous ont sauvés… » c Dossier Slava Ukraïni !

12-33

14 Journal d’un reporter de guerre L’Ukraine entre deux vies, deux soupirs… 19 Sur les routes de l’exode Chérie, je t’aime. La guerre a commencé… 20 Réunies à Strasbourg Ensemble, inséparables : Liudmila et Olga entre amour et larmes… 22 Solidarité PromoUkraïna : les combats d’Ivanna 26 Presse online EuTalk.eu aux avant-postes 30 L’irréductible journaliste azerbaïdjanais Ganimat Zahid : notre seul cerveau ne suffit pas pour comprendre la Russie !

52 Recherche Les illusions perdues (↓) 64 Drogues Piqûres, soumission chimique en soirée 68 Limiter la récidive Quel suivi pour les auteurs de violence ? 72 Table ronde SDF : le débat 84 Habitat intergénérationnel La Bonne Étoile 98 Festival La belle santé de Wolfijazz 100 Chorégraphie Inverser Pinocchio 104 Bye bye le sucre Confitures Beyer 106 Rencontres « L’amour sans algorythme » 108 Nouvelle vie Esther de la chambre 201 112 Le parti-pris de Thierry Jobard Zozotérisme : la vérité est ailleurs 118 Moi Jaja Animal crossing

a Culture

34 MAMCS Un espace pictural libre 36 Fondation Beyeler (→) Mondrian... avant Mondrian 48 Art Basel 2022 L’Œil et l’Esprit 40 Street artists Gloire à l’art de rue 42 Anniversaire Véronique Duflot fête les dix ans de l’Atelier de l’Instant 46 Nouveaux possibles Leonardo Vargas, l’œuvre au-delà de l’image

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E Société 48 Imaginer... Rilke à Strasbourg 50 La troupe Avenir Le théâtre, une clef vers soi 88 Portfolio Fabrice Mercier 128 Grand écran Cet été au cinéma 136 Sélection CD, livres

120 Le séisme de la cigogne Le très vaste univers des bébés 124 « Ballon prisonnier » Christine Loehlé enseigne le sport en prison depuis trente ans 126 Événement Or Norme

Q Or Champ

142 Ninon Chavoz L’odeur des bons livres et des croissants chauds №45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg




b GR AND ENT R ET I EN – LA GUE RRE Jean-Luc Fournier

Nicolas Rosès

Raphaël Glucksmann « Non seulement les Ukrainiens nous ont réveillés, mais, de plus, ils nous ont sauvés… » C’était le 4 mai dernier, au sein même du Parlement européen de Strasbourg. Nous avions rendez-vous avec Raphaël Glucksmann pour parler de la guerre en Ukraine. Dès l’invasion russe le 24 février dernier, le député européen a été aux avant-postes de la mobilisation en faveur de la résistance ukrainienne, multipliant les interventions à la tribune du Parlement et dans les médias. Bon sang ne sachant mentir, son activisme débridé en faveur du peuple ukrainien aura sans doute beaucoup rappelé aux plus anciens d’entre nous celui de son père, le philosophe André Glucksmann, en faveur des boat-people (notamment) essayant d’échapper à la mainmise communiste sur le Vietnam, après la débâcle américaine du milieu des années soixante-dix… À l’évidence, nous ne pouvions rêver mieux que de cet entretien avec Raphaël Glucksmann pour ouvrir les nombreuses pages que nous consacrons à l’Ukraine et à son peuple au sein de ce numéro. Beaucoup de réfugiés sont arrivés en France via notre ville, et beaucoup également se sont sédentarisés à Strasbourg ou en Alsace. Dans le même temps, une bonne part des impératives décisions européennes pour lutter contre la machine de guerre russe se prennent au sein des institutions européennes et notamment ici, au Parlement de Strasbourg. Nous ne pouvions qu’être au rendez-vous de la tragique actualité qui est la nôtre et à laquelle nous nous devons tous de répondre, avec lucidité et détermination… №45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg

b GRA ND ENTRETI EN — Raphaël Glucksmann

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Nous nous rencontrons donc ce 4 mai 2022. Il faut une nouvelle fois rappeler cette précision de date pour pouvoir rester cohérent avec l’actualité de vos propos puisque cet entretien est prévu pour paraître à distance, vers la mi-juin prochain dans les colonnes de Or Norme n° 45. Ne pensez-vous pas que ce sont vingt longues années d’illusions et d’aveuglement sur la véritable nature du pouvoir russe qui nous ont menés là où nous en sommes aujourd’hui ? Depuis son accession au pouvoir en 1999, Poutine a fondé son régime sur la guerre : la Tchétchénie, la Géorgie, le Donbass et la Crimée en 2014, la guerre de Syrie l’année suivante et maintenant l’invasion de l’Ukraine. En toile de fond, n’y a-t-il pas ce que nous avons longtemps refusé d’admettre : sa volonté depuis toujours de se confronter avec l’Europe ?..

Oui, c’est exactement ça : en fait Poutine a inauguré son règne en plongeant la Russie dans la guerre, en rasant une capitale, Grozny, et en exterminant une population. Les Européens n’ont pas voulu voir ça, ils ont refusé d’entendre les cris des Tchétchènes, ils ont refusé d’entendre les alertes des opposants de Poutine en Russie, puis ils ont refusé de prendre les mesures qu’il aurait fallu prendre après les événements de 2014, ils ont refusé de regarder ce qui se passait réellement à Alep, en Syrie… Pendant vingt ans, les élites diplomatiques, politiques et économiques européennes ont vécu dans le déni, refusant de voir et d’admettre que Poutine constituait une menace sur la sécurité de l’Europe et qu’il était, depuis le début, en guerre contre nos principes et nos intérêts. C’est ce déni-là, depuis vingt ans, qui a précipité la guerre en Ukraine, c’est ce déni qui nous met dans la situation dans laquelle on se retrouve aujourd’hui. Effectivement, le 24 février dernier, les yeux se sont brutalement ouverts. Je le constate à mon niveau : que ce soit au niveau du Parlement européen ou dans mes contacts avec la Commission à Bruxelles, ces choses que je défendais depuis longtemps étaient il y a encore peu considérées comme relevant d’un certain romantisme ou d’un alarmisme excessif. Aujourd’hui, elles sont devenues parfaitement audibles et apparaissent comme évidentes. Ce qui m’interpelle vraiment, c’est le pourquoi de cette cécité pendant toutes ces années. Bien sûr, je n’ignore pas toutes ces raisons qu’on connaît bien comme, en tout premier lieu, la corruption et cette influence de l’argent déversé par Poutine dans les cercles européens. Mais je crois que la raison principale, c’est que les Européens ont vraiment cru à 8

cette notion de « fin de l’histoire », théorisée par l’écrivain Francis Fukuyama, juste après l’effondrement de l’URSS, ils ont vraiment pensé qu’ils n’auraient plus d’adversaires politiques sur leur continent. Au sens fort du terme, c’est-à-dire des adversaires qui cherchent à remettre en cause notre rapport au monde. Si les élites européennes n’ont pas voulu se confronter à la réalité du régime de Poutine, c’est parce que ça remettait en cause tout ce qu’ils avaient appris et pensé dans les années 1990 et 2000. Finalement, c’est leur désir de repos et de confort qui les a conduites à cet irréalisme quasi suicidaire. Les Allemands, par exemple, ont décidé d’une politique énergétique qui les a livrés pieds et mains liés à la Russie… Ils l’ont fait sous l’influence directe de Gerhard Schröder, leur ex-chancelier, qui dès son départ du pouvoir en 2005 a été recruté par la société russe Gazprom dont il préside le conseil d’administration depuis le début de cette année. La presse allemande a révélé qu’il perçoit 850 000 € par an au titre de ses activités chez Gazprom. Au lendemain du 24 février dernier, Gerhard Schröder a refusé de démissionner et a même demandé une modération des sanctions occidentales contre la Russie…

Oui, l’ex-chancelier allemand est le salarié numéro un de Poutine, aujourd’hui. Son cas, à lui seul, souligne l’erreur affligeante et criminelle, même, des élites européennes. Mais maintenant, on assiste à un véritable réveil, heureusement…

Nous publions dans le présent numéro de notre magazine (lire page 26) une analyse révélatrice du livre écrit par l’ancien vice-président de la Douma russe, MikhailYuryev, dans lequel ce très proche de Poutine décrit point par point, et dès 2006, date de la sortie du livre, tout ce à quoi nous assistons, de la déstabilisation du Donbass en 2014 à l’invasion de l’Ukraine en passant par l’autosuffisance et l’isolationnisme de l’économie russe. Tout y est pensé, écrit, appliqué. Le livre a été écrit il y a seize ans…

C’est tout à fait exact. Et personne n’a lu l’ensemble des textes des dirigeants russes. Personne n’a lu Douguine, personne n’a lu Sourkov qui est le principal architecte dès le début du pouvoir de Poutine et qui a directement inspiré sa politique envers l’Ukraine, personne n’a même écouté la télé russe, directement aux ordres du pouvoir, qui n’a cessé d’alimenter cette atmosphère de guerre et de montée du fascisme depuis vingt ans. Personne n’a non plus lu les textes des opposants à Poutine, personne n’a lu ce qu’a écrit Anna Politkovskaïa, assassinée en 2006 et qui nous disait pourtant clairement que nous n’arriverions jamais à vivre en paix avec la Russie de Poutine. Elle écrivait aussi que même si nous en venions à nous asseoir sur nos principes comme les droits de l’Homme, par exemple, nous allions avoir à entrer en confrontation avec Poutine parce que, depuis le début, la raison d’être de son régime, c’est l’affrontement avec nous. Une analyse simple et objective du moteur du régime poutinien nous aurait conduits à

« Poutine a inauguré son règne en plongeant la Russie dans la guerre (...). »

b G R A N D E N T R E T I E N — Raphaël Glucksmann

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comprendre immédiatement que ce rapport de force allait avoir lieu tôt ou tard et quoi qu’il en soit. Ce déni, cette non-analyse, est le propre des démocrates quand ils sont fatigués. Oui, nos démocraties fatiguées n’ont pas voulu voir, écouter, entendre, lire tout ce qui allait troubler leur repos…

la résistance ukrainienne, on aurait certes imposé de nouvelles sanctions, mais elles auraient été limitées, et faibles, comme en 2014. Et au bout d’un moment, cela aurait été de nouveau business, as usual… Sans la résistance ukrainienne, on aurait continué à penser qu’on pouvait se lier, énergétiquement parlant, à un régime tel que celui de L’incroyable résistance ukrainienne dès la Russie de Poutine sans avoir jamais à les premiers jours de l’invasion russe a-t- en payer le prix. Sans la résistance ukraielle constitué le déclic d’une prise de nienne, la guerre aurait éclaté plus tard conscience, certes brutale et tardive, de et sur un territoire engageant l’OTAN et ce qui se jouait aux portes de l’Europe ? l’Union européenne. C’est certain. Même les Américains, qui Il faut dire cette chose très simple : non avaient bien prévu l’invasion, nous expli- seulement les Ukrainiens nous ont réveilquaient que Kyiv allait tomber en qua- lés, mais, de plus, ils nous ont sauvés… Si rante-huit heures. Tout le monde anticipait Poutine avait gagné en 48 heures, l’Europe la chute rapide de la capitale quand les pre- serait bien plus menacée qu’elle ne l’est miers bombardements ont eu lieu. C’est aujourd’hui. Un tel tyran, on le sait en anaBiden qui appelle Zelenski et lui propose de lysant l’Histoire, ne peut être arrêté que l’exfiltrer : le président ukrainien lui répond s’il est défait. Chaque victoire militaire de qu’il n’a pas besoin d’un taxi, mais de muni- Poutine, chaque impression de victoire, tions. Cette phrase va d’ailleurs entrer dans même, va nourrir l’agression ultérieure. l’histoire, j’en suis convaincu. La résistance On doit donc beaucoup aux Ukrainiens ukrainienne a surpris tout le monde : les et c’est pour ça qu’il faut les soutenir sans Américains, l’Europe et les Russes, bien sûr, défaillir, pas seulement parce que leur résiset elle a réveillé l’Europe. Sans cette résis- tance est noble et qu’on se doit de la soutance, on aurait continué le même jeu, on tenir par humanisme, mais parce que c’est aurait fait preuve de la même cécité. Sans aussi notre intérêt le plus fondamental que №45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg

b GRA ND ENTRETI EN — Raphaël Glucksmann

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« La grande question qui se pose à nous est celle du prix que nous sommes prêts à payer pour la liberté, la paix et la démocratie en Europe. » cette résistance permette à l’Ukraine de gagner cette guerre et de rendre impossible à une Russie défaite de fomenter la moindre agression ultérieure… La véritable cohérence n’est pas dans les attitudes de certains pacifistes qu’on a entendus expliquer qu’il ne fallait pas ajouter du feu au feu en livrant des armes à l’Ukraine, non, il faut armer l’Ukraine pour bloquer la machine de guerre de Poutine, pour faire en sorte de rétablir un rapport de force qui va obliger celui qui a attaqué, le va-t-en-guerre Poutine, d’arrêter son agression, d’arrêter sa guerre et ne plus en envisager d’autres… L’enjeu est là. J’ai des amis qui vivent en Ukraine, ils sont musiciens, designers, graphistes… et ils sont aujourd’hui les armes à la main. Ces gens-là ont réveillé en nous ce sens de la grandeur et de la noblesse, cette idée que la liberté a un prix et qu’il existe encore des êtres humains prêts à le payer, prêts à combattre pour quelque chose qui les dépasse, pour préserver à tout prix la liberté de leur terre et de leur nation, de leur village ou de leur ville, de leur famille… Leur exemple nous a sortis de notre torpeur. Je l’ai bien senti, même ici au Parlement à Strasbourg ou à Bruxelles. Chez une femme comme Ursula von der Leyen (la présidente de la Commission européenne – ndlr), j’ai même senti comme un changement physique, dans son attitude, sa posture : je crois qu’on n’a pas encore tout saisi de ce qu’on doit à cette résistance ukrainienne… 10

Si on vous suit jusqu’au bout, on en viendrait jusqu’à penser que Poutine l’a d’ores déjà perdue, cette guerre…

La réponse est non, malheureusement. Parce que notre réveil, s’il est bien réel, n’est pas encore assuré définitivement. Parlons de l’Allemagne, par exemple. Il y a eu le discours d’Olaf Scholz au Bundestag, il y a eu la transformation du Fonds européen de la Facilité pour la Paix en fonds d’armement pour l’Ukraine… Je constate même que certains combats que je mène sur la solidarité avec le peuple Ouïghour par exemple avaient du mal à avancer, parce qu’il y avait des réticences au niveau de la Commission, parce que ces choses nouvelles et courageuses n’entraient pas dans le logiciel de cette même Commission… Là, tout à coup, tous ces sujets se sont mis à avancer. Il se passe quelque chose ! Mais, pour autant, rien n’est définitif, très vite on peut se lasser de la guerre en Ukraine, parce que ce sont toujours les mêmes images. Très vite on peut revenir au business as usual, à cette petite politique de merde qui était quand même notre quotidien. Très vite on peut revenir à cette tentation du sommeil et de la lâcheté. Je le sens, vraiment. Prenons par exemple la question de l’embargo sur le gaz. C’est la grande question qui nous agite dans l’Union européenne et au Parlement européen. Ce que je vois, c’est qu’on se réveille sur ce sujet, mais, en

b G R A N D E N T R E T I E N — Raphaël Glucksmann

même temps, on n’a jamais acheté autant de gaz à la Russie, bien sûr en valeur, ce qui est normal puisque les prix augmentent, mais aussi en volume. Chaque jour, on verse à la machine de guerre russe plus de 800 millions d’€ ! Les difficultés que nous rencontrons pour mettre en place cet embargo sur le gaz russe montrent que la grande question qui se pose à nous est celle du prix que nous sommes prêts à payer pour la liberté, la paix et la démocratie en Europe. On a déjà pris toutes les sanctions qui nous coûtaient peu et les décisions qui nous restent à prendre vont être difficiles, elles vont avoir un impact social, un impact économique, un impact sur l’industrie, un impact sur les ménages qui vont nous obliger à prendre des mesures de solidarité extrêmement fortes pour que ce ne soit pas les plus pauvres et les plus modestes qui payent les pots cassés de l’augmentation des coûts de l’énergie. Il va falloir aussi organiser la solidarité entre les nations européennes pour que ce ne soit pas les pays les plus dépendants qui s’effondrent. La Commission européenne a déjà tous les plans, on sait que c’est possible de le faire, on sait que c’est possible d’imposer cet embargo sur le gaz russe. On sort d’une pandémie où on a appliqué le « quoiqu’il en coûte », et bien la paix ou la guerre en Europe, valent bien à mon avis le même type d’efforts. Ça, on n’a pas encore décidé de le faire, à l’heure où nous nous parlons… №45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg


On en revient toujours à la même chose : si nous ne parvenons pas à arrêter net Poutine, nous ne connaîtrons plus jamais la paix sur notre continent. Il suffit d’écouter aujourd’hui ce qui se dit sur les télés russes. Ce ne sont pas des journalistes qui interviennent, ce sont des propagandistes, des pantins du régime payés pour parler ainsi, qui nous expliquent déjà à longueur de temps que la prochaine cible sera la Lettonie, ou un autre pays de l’OTAN. Nous vivons peut-être le dernier moment où se posent des questions ne portant que sur les hausses des prix de l’énergie, des questions purement budgétaires pour nos démocraties… La prochaine fois, ces questions ne seront pas celles-là : si on ne bloque pas Poutine maintenant, si ce dictateur attaque la Lettonie, la prochaine réunion du Conseil européen ne sera plus pour évoquer les points de PIB que notre attitude coûtera, la prochaine question sera bien plus cruciale. Ce sera la guerre, et on sera devant ce dilemme : si on n’applique pas les règles de l’OTAN, c’est la fin et si on les applique, ça pourrait être la fin aussi, à cause du feu nucléaire. Il est évident que tout ce dont on a envie, c’est de ne jamais a avoir à nous poser ce genre de question ! Et bien, pour ne pas nous avoir à nous y confronter, c’est maintenant qu’il faut être fort. Face à un régime dont la conflictualité est l’essence même, profondément inscrite dans son ADN, toute hésitation n’est ni plus ni moins qu’une invitation à la guerre. Toute tergiversation est une préparation à l’agression suivante. En ce sens, notre réponse est encore trop incomplète… Je voudrais aussi ajouter que dans ma famille de pensée, la gauche, il y a un immense impensé sur ce sujet de la guerre. Parce qu’on n’aime pas cette thématique-là, on n’y réfléchit pas et on ne s’en empare pas. Pourtant, il faut maintenant le faire. Et bien je pense que si on accepte l’analyse que je viens de développer longuement, il y aura un bouleversement dans notre société qui serait tout à fait souhaitable sur le plan de notre démocratie. À nouveau, la puissance publique sera amenée à prendre le pas sur les puissances privées. Un seul exemple, et il concerne notre pays : la France tient parfaitement sa position et elle agit sans ambiguïté sur la nécessité de bloquer la machine de guerre de Poutine. Et bien, nous avons une grande entreprise française comme Total qui collabore joyeusement avec les intérêts russes au point, quelques jours №45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg

après l’invasion, et en partenariat avec la Chambre de commerce franco-russe qu’elle soutient et copréside d’ailleurs, d’organiser un colloque sur le thème des « opportunités présentées par la nouvelle situation géopolitique ». En langage clair, comment faire encore plus d’argent grâce à la guerre… Ce n’est pas surprenant, on est là dans le capitalisme pur et dur, non ?

Oui, et c’est pourquoi ces puissances-là, il faut les mettre au pas, si on veut être cohérent. Ce dont on se rend compte, c’est que nos politiques ont perdu l’habitude d’agir ainsi. M. Macron n’a donc pas pris son téléphone pour dire à M. Pouyanné, le président de Total : « C’est fini maintenant, il faut te retirer de Russie. Je comprends que ça va te coûter de l’argent, mais, en même temps, il y a quelque chose qui est bien supérieur à tout cet argent, c’est l’intérêt suprême et fondamental de la France et de l’Union européenne ». Il faut réapprendre aux politiques à passer ces coups de fil, à parler comme ça et expliquer qu’il y a quelque chose qui est bien au-dessus des intérêts des actionnaires de Total… Il va falloir faire en sorte que ces actionnaires intègrent ça. Votre réponse nous amène à terminer cet entretien sur les questions de politique intérieure. Place Publique, le mouvement que vous avez fondé, n’a donné aucun consigne de vote pour la récente élection présidentielle. Quelle est sa position sur les élections législatives de ce mois de juin ?

Nous soutenons clairement la dynamique du rassemblement et nous soutenons l’idée qu’il nous faut le maximum de députés à l’Assemblée nationale qui vont défendre les droits sociaux, qui vont porter la question de la précarité, qui vont porter la cause des migrants ou faire entendre la voix des quartiers défavorisés et qui vont porter à l’Assemblée nationale les exigences de la transformation écologique. Cette Union populaire n’est pas un programme de gouvernement. Quand je suis entré en politique, je me suis promis de ne jamais mentir à ceux qui soutiendraient nos actions. Alors je le dis clairement : a-t-on résolu nos divergences avec Jean-Luc Mélenchon sur la question européenne, sur la question des droits humains, sur la question de la Russie ou de la Chine ? Clairement pas ! Est-ce qu’il y a une discussion de fond réelle ? Non plus !

En revanche, il nous faut envoyer un maximum de députés pour que les causes que nous défendons soient débattues à l’Assemblée nationale. La vérité sur cette Union populaire est qu’elle doit nous permettre d’avoir une gauche de nouveau active au niveau des institutions, de faire en sorte que le débat ne se résume pas à ce qu’il a été depuis trop longtemps maintenant. Il faut qu’il aborde les questions sur le logement, l’environnement… bref toutes ces thématiques qui ne sont apparues que si faiblement lors du premier mandat d’Emmanuel Macron, avec une telle domination de cette majorité pléthorique qu’il n’y a eu aucun débat, en réalité. La principale opposition était une opposition de droite qui, dans les faits, était d’accord avec les principales mesures socio-économiques qui ont été prises. Notre position est un soutien absolu au fait qu’il faut élire un maximum de députés qui soutiennent les causes que j’ai nommées, et en particulier un maximum qui soutiennent nos positions humanistes. Je veux des députés écolos à l’Assemblée, j’y veux aussi des gens épris de solidarité sociale. Quelles que soient mes divergences, et on peut compter sur moi pour ne pas changer d’avis sur ce point, je suis pour que s’établisse une dynamique qui permette l’élection de ces députés. Mais une fois les législatives passées, on n’échappera de toute façon pas aux débats fondamentaux de réfléchir à notre rapport au monde et notre rapport à l’Europe, car la France ne peut pas décider seule quant à imposer des règles à la mondialisation. Si on veut que les multinationales paient leurs impôts, on a besoin de l’échelle européenne. Si on veut que nos pays soient protégés contre des tyrans comme Poutine, on a besoin d’un système de défense collectif. S’il y a des combats à mener, ça doit être au sein de l’Union européenne et à son échelle. Toute cette part de la gauche qui croit que la souveraineté est purement nationale et que l’Union européenne n’est qu’un logiciel libéral et productiviste n’apporte aucune réponse sur les questions fondamentales que pose notre monde contemporain. Ce débat-là doit avoir lieu et il aura lieu. On a vraiment besoin que les questions sociales et environnementales soient portées au sein de nos institutions, sinon ce serait se résigner à revivre, en pire, les cinq années qui viennent de passer… b

b GRA ND ENTRETI EN — Raphaël Glucksmann

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SLAVA UKRAÏNI !

Pourquoi l’Ukraine ?

c D O S S I E R ­ — UK RAIN E Oui, pourquoi l’Ukraine ? Pourquoi l’Ukraine dans Or Norme ? Après tout, penseront peut-être certains, notre magazine est un magazine régional, d’ordinaire plus enclin à traiter l’actualité de Strasbourg et son agglomération que celle de la planète. Certes. Mais voilà : pour la majeure partie des réfugiés ukrainiens aujourd’hui hébergés (avec quel élan, bravo !) en France, le premier panneau d’une ville française qu’ils auront remarqué fut celui de Strasbourg, géographie oblige. On imagine sans peine à quel point l’orthographe de la première ville qui accueille un réfugié loin des atrocités de la guerre dans son pays peut rester gravée dans sa mémoire… Depuis leur arrivée, certains d’entre eux sont restés ici. Nous les avons rencontrés et ils nous parlent dans ce numéro.

exclusivité pour Or Norme par Aleksander Pavlov, un journaliste d’origine russe qui collabore régulièrement au site strasbourgeois en ligne EuTalk.eu que nous connaissons bien et dont nous apprécions le travail depuis longtemps maintenant. Au jour où nous bouclons Or Norme, Aleksander est toujours sur les routes ukrainiennes, avec son seul passeport russe (pas vraiment un avantage en pareilles circonstances…), sa carte de presse, son amour pour l’Ukraine et celui pour sa maman, largement octogénaire, qui pour rien au monde ne souhaite quitter son pays d’adoption…

Enfin, pour tenter de mieux cerner encore le contexte venu de Moscou et essayer de comprendre et d’analyser le plus sérieusement possible l’histoire complexe et entremêlée de la Russie et de l’Ukraine, nous publions le portrait de l’Azerbaïdjanais Ganimat Zahid, un de ces irréductibles journalistes qui ont toujours tout Olga a réussi à exfiltrer sa maman Liudmyla fait pour faire vivre la presse libre dans les et son papa qui, jusqu’au dernier moment, ex-républiques soviétiques, face à leurs dictateurs n’avaient jamais imaginé que la guerre actuels. Nous souhaitions attendre un numéro viendrait bouleverser leur vie, à Kyiv. de plus pour vous présenter ce monstre de Tetyana Kaledina était directrice financière à conviction, mais comme Ganimat, exilé politique Kharkiv. Sous les bombes, elle a réussi à faire à Strasbourg depuis onze ans, connait la mentalité le maximum pour les gens de ses équipes puis, du maître du Kremlin comme personne, il figure avec son fils de douze ans, elle a pris un train, lui aussi dans ce numéro… puis un autre, puis encore un autre pour se retrouver en Hongrie où elle a pu prendre un Alors, pourquoi l’Ukraine ? vol direct pour Bâle-Mulhouse. Elle a rejoint sa fille étudiante à Strasbourg et elle vit chez Parce que Strasbourg n’est pas une ville comme nous, désormais… les autres. Le mantra de notre ville, capitale européenne et creuset d’un formidable et riche Ces réfugiés ne sont pas seuls dans nos cosmopolitisme, est de s’associer spontanément colonnes : vous allez y découvrir Ivanna Pinyak, au destin des femmes et des hommes du monde cette jeune femme d’origine ukrainienne qui entier, de les accueillir du mieux possible, de les vit à Strasbourg depuis dix-sept ans et qui chérir et de les protéger… se démène comme une diablesse, au sein de l’association PromoUkraïna, pour mobiliser la Voilà pourquoi Or Norme Strasbourg affiche communauté ukrainienne alsacienne et au-delà. Slava Ukraïni ! à sa Une et a consacré autant de pages aux gens de ce pays qui résistent et Ce dossier sur l’Ukraine s’ouvre sur un combattent pour une cause qui les dépasse déjà journal de guerre impressionnant écrit en et qui nous concerne ô combien nous aussi… Jean-Luc Fournier

Au lendemain de l’invasion de l’Ukraine, devant le Consulat général de Russie, place Brant à Strasbourg.

Crédit photo : Sam Cottet - DR

C’EST GRÂCE À EUX QUE NOUS SAVONS…

Juste avant notre bouclage, nous avons appris la mort de Frédéric Leclerc-Imhoff. Ce pigiste de BFM TV est le huitième journaliste tombé en Ukraine parce qu’il faisait son métier. Sa mémoire a ensuite été insultée par l’agence d’état Tass, prétendant qu’il n’était « qu’un mercenaire à la solde de l’Ukraine ». JLF

№45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg

c D OS SI ER — Slava Ukraïni !

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c D OS SIER ­ — JOURNAL D’UN REP ORTER DE GUERRE Aleksander Pavlov

Traduit de l’anglais par Charles Nouar

L’Ukraine entre deux vies, deux soupirs… C’est un document exceptionnel que nous publions dans ces colonnes. Par le biais des relations étroites que nous cultivons avec le site strasbourgeois en ligne EuTalk.eu (lire page 26), nous avons demandé à un reporter de terrain, Aleksander Pavlov, de tenir pour nous son journal de guerre, factuel et personnel en même temps. Ses origines, sa situation personnelle, disent tout. Aleksander était le mieux placé, malgré les risques, pour tenter de nous éclairer sur les faits, mais aussi les conséquences de ce conflit qui ravage bien plus que l’Ukraine et ses citoyens…

e suis russe, né et élevé en Ukraine, mais diplômé de l’Université de Saint-Pétersbourg. J’ai vécu et travaillé en Russie durant une longue période. Mon écrivain préféré est l’intellectuel russe Sergueï Dovlatov, mais je peux facilement me précipiter dans un autre pays pour assister à un concert du chef d’orchestre ukrainien Oksana Lyniv. Cette dualité fait pleinement partie de mon identité. À mon âge, 59 ans, il est bien trop tard pour changer. Mon principal reproche à Poutine, au-delà des morts et de l’effroi : que 40 millions d’Ukrainiens ne le haïssent plus lui, seul, mais l’ensemble du peuple russe avec. Panser ces plaies va prendre plusieurs générations… L’Ukraine m’a tant donné. La guerre vous amène à vous concentrer sur ce que vous savez le mieux faire, pour aider du mieux que vous pouvez. Dans mon cas, le journalisme. Le monde a besoin de connaitre la vérité ; l’entière vérité sur ce qui se passe ici. Et puis, la guerre vous oblige à faire des choix, parfois douloureux quand vous êtes issus de deux cultures qui s’entrechoquent dans le sang. Le mien est fait : je reste, aux côtés de mon pays, l’Ukraine. Pour témoigner…

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Les cendres de Marioupol

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Aleksander Pavlov à Kharkiv

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Coventry, Songmy, Guernica : ces tragédies militaires emblématiques du XXe siècle seront ici éclipsées à jamais par Marioupol, désormais symbole de résistance et de résilience des Ukrainiens dans une guerre insensée. Plus de 150 000 réfugiés sont déjà passés par ma ville, Zaporizhya, le plus grand centre urbain à proximité de Marioupol. Des témoignages de ces survivants, combien n’en ai-je entendu, traduit, traduit, traduit encore, pour des envoyés spéciaux étrangers. Que les commentateurs de salons ou influenceurs digitaux me semblent aujourd’hui déconnectés de ces gens qui se sont extraits de l’enfer, dans leurs voitures déchirées, criblées de balles en dépit des chiffons blancs accrochés aux portes et d’inscriptions bien visibles sur lesquelles on pouvait lire très distinctement les mots « civils » et « enfants ». L’« oncle » : c’est comme cela que je l’ai surnommé : dans sa vieille Lada héritée de l’ère soviétique, l’oncle en était à son quatrième aller-retour entre Zaporizhya et Marioupol. Sur sa banquette, dix-huit personnes se sont succédé ces derniers jours : des proches, des connaissances, et des gens qu’il ne connaissait même pas. Un trajet duquel résonne encore le bruit des balles et leurs impacts sur son véhicule. Ce qu’a №45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg


fait cet homme vaut autant par sa valeur et son humanité que le sacrifice des défenseurs d’Azovstal, qui ont fixé longuement des milliers de soldats russes et les ont empêchés de se redéployer sur d’autres fronts. Une typologie du chagrin humain existet-elle ? Sans doute pas. Chacun vit seul avec ses propres douleurs. Mais ce que je sais, c’est que la cité prospère de Marioupol au demi-million d’habitants n’est plus. Et qu’il est impossible de la ressusciter. Là-bas, plus d’alimentation, d’eau, d’électricité, de chauffage, de moyens de communication. Là-bas, les gens y sont enterrés dans les arrièrecours. Là-bas, les pillages des forces russes sont devenus monnaie courante. Les corridors humanitaires ne fonctionnent pas, ou si peu. Celles et ceux qui parviennent à fuir le font le plus souvent par leurs propres moyens, par la route, individuellement ou en colonnes. Le trajet jusqu’à Zaporizhzhya, qui ne prend pas plus de deux heures en temps de paix, peut parfois prendre plusieurs jours. Ces gens sont retenus de longs moments aux check-points russes, sujets à d’humiliantes procédures de filtrage, durant lesquelles ils sont passés au crible pour déceler d’éventuels signes d’appartenance à l’armée ukrainienne – tatouages, traces de tirs sur le corps, données cellulaires oubliées dans leurs smartphones. Vice-Maire de Marioupol, Sergey Orlov, lui, compte les morts dans sa ville : 22 000 à cette heure. Mais il y a encore des gens, à Marioupol…

L’adhésion « Patriot » Les entreprises ferment en Ukraine, beaucoup de gens ont perdu leur emploi, nombreux sont les produits qui manquent. Le pays est au bord d’une catastrophe humanitaire et d’un effondrement économique. Nous manquons d’essence. Dans les dernières stations encore ouvertes, les prix à la pompe dépassent les deux euros le litre. À l’occasion d’un plein, nous nous arrêtons avec un collègue européen, dans une station-service au nom évocateur : « Patriot ». Il me souffle avec ironie : « Regarde, vous y êtes presque : l’Ukraine se rapproche de son rêve d’adhésion : le prix à la pompe est déjà le même que chez nous ! ». À ce moment, je me souviens de ces personnes âgées, rencontrées dans leur cave de Gulyaipole. Sans plus aucun accès à l’électricité, leur vie ne tenait qu’à un petit générateur diesel qu’ils ne peuvent sans doute déjà plus ravitailler. Je pense à eux… À parler de patriotisme, un autre souvenir amer me pèse. Quelques jours en arrière, Naufal Khamdani, un ami marocain qui №45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg

En sécurité dans les stations du métro de Kharkiv

officie comme médecin et qui vit en Ukraine depuis 25 ans, m’appelle. Naufal a organisé l’évacuation de 30 000 étudiants étrangers. Cette fois, Naufal est hors de lui. Il se met à gueuler en Russe : « Pour hurler Gloire à l’Ukraine, il y a du monde, mais pour te permettre d’accéder à un toit, là il n’y a plus personne ». Naufal, cherchait à éloigner sa femme et son fils des combats. À leur louer un appartement d’une pièce à Uzhgorod. Le propriétaire exige un loyer de 1 850 euros ! Certaines personnes, certes rares, mais qui existent encore, sont indécentes…

Deux évêques et un rabbin Plusieurs centaines de milliers d’Ukrainiens se terrent quotidiennement dans des abris antiaériens de toute taille, du plus petit au plus imposant. Nombre de ces gens n’ont plus d’autre lieu où aller : leurs maisons ont été détruites ou sont inhabitables. Pourtant, de Kharkiv à Severodonetsk, Lisichansk, Kramatorsk, ou Chernigiv, jusqu’à des centaines d’autres villes et villages, cette fois, nul n’a perdu son humanité. J’observe des scènes d’entraide, des gens qui, en dépit de leurs situations de détresse, prennent soin les unes des autres et veillent sur les plus anciens.

« Une typologie du chagrin humain existe-t-elle ? Sans doute pas. Chacun vit seul avec ses propres douleurs. » À l’occasion de la Pâque orthodoxe, des prêtres sont descendus dans le métro de Kharkiv, pour y organiser un office religieux et y distribuer de l’aide humanitaire. L’Ukraine est un pays multiconfessionnel, où la religion joue un rôle d’unificateur dans des moments tragiques. À Kharkiv, après qu’il a été bombardé, le siège de l’Église orthodoxe ukrainienne a trouvé asile dans l’enceinte de sa voisine catholique. L’évêque orthodoxe Mitrofan et son homologue catholique Peter, m’accueillent le temps d’un café dans la cuisine de la cathédrale, et me montrent un trou béant causé par une roquette russe. À la grande synagogue de Kyiv, des paroissiens juifs ont constitué un détachement de défense territoriale. Fin mars, presque c D OS SI ER — Slava Ukraïni !

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chaque jour, certains d’entre eux prennent la route, avec le bus de la synagogue, pour se rendre à Chernihiv afin d’en exfiltrer des réfugiés pris sous le feu russe.

Kharkiv, l’autre Moscou qui ne veut pas de Moscou À Karkhiv, au nord de la ville, le microdistrict de Saltivka est situé à proximité des positions russes et de la frontière avec la Russie. Méthodiquement et quotidiennement, les armes lourdes de tout genre tirent et ciblent ce quartier. Durant la semaine de reportage que j’ai passé à Kharkiv, j’y suis venu quatre fois, pour parler avec des résidents qui y vivaient encore. Une « grand-mère », âgée de quatre-vingts ans, et qui avait remarqué mon inquiétude alors que retentissait une nouvelle alerte sonore qui indiquait qu’une nouvelle salve de roquettes allait être tirée, m’a rassuré: « N’ayez pas peur, mon garçon ; cette fois, ce sont les nôtres. Quand il s’agira des envahisseurs, je vous le dirai. Suivez-moi, allons au sous-sol pour nous cacher ». Kharkiv est une histoire dans l’histoire. Deuxième plus grande ville d’Ukraine et ancienne capitale, elle est considérée comme la ville la plus « russe » du pays. Ses

Sous terre, à Gulyaipole

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communautés intellectuelles, culturelles, scientifiques et étudiantes ont toujours tissé des liens économiques et humanitaires forts avec la Russie. Jusque dans son architecture de style impérial stalinien des années 50 et constructiviste des années 20, Kharkiv ressemble à certains endroits de Moscou. Sans doute pour ces raisons, Poutine s’attendait-il que les Kharkovites accueillent ses troupes avec des bouquets de fleurs. Mais au troisième mois de guerre, Kharkiv l’a repoussé farouchement, tout en cherchant à conserver un semblant de vie normale. Les habitants prennent soin de leur ville, des centaines d’employés municipaux sortent chaque jour pour nettoyer les rues et installer des cadres de protection sur les monuments historiques. Prendre soin de sa ville : telle est la position de principe du maire russophone de Kharkiv, Igor Terekhov. Les habitants gardent ici un optimisme à toute épreuve, en dépit des tragédies personnelles. Depuis le 7 mars, mon amie Svetlana Zachinyaeva se protège des bombardements dans une station de métro de la ville. Elle y est ici avec sa fille Julia. Récemment, toutes deux ont même réussi à organiser une modeste table pascale dans leur abri et d’y convier environ vingt de leurs voisins.

L’histoire de Svetlana est douloureuse, dramatique, même. Son mari est décédé le 2 mars alors qu’un missile russe frappait le Bureau central du service de police et de sécurité d’État, le SBU. Svetlana me confie qu’elle n’a appris la mort de son mari que le 7 mars, lorsque son corps a été retiré des décombres. « Il m’a fallu longtemps pour reprendre mes esprits, mais j’ai réalisé que je devais continuer à vivre. Une guerre est en cours et je dois aider les gens » : voilà ce que s’est dit Svetlana. Pour ce faire, elle s’est engagée activement dans des activités bénévoles. Chaque jour, elle livre des médicaments et de l’aide humanitaire à l’armée ukrainienne et dans des maisons qui accueillent des personnes âgées. « En aidant les gens, j’arrive à oublier la perte », dit-elle…

Nous allons miner le pont ! La guerre génère parfois aussi des rencontres inattendues. Comme à la périphérie de Severodonetsk, où je retrouve mon vieil ami Viktor Davydov. Il a vu l’un de mes posts sur Facebook et m’a appelé. Victor est un combattant né, il fait partie de ceux qui vivent la guerre depuis de nombreuses années – depuis le début du conflit dans le Donbass et dans une formation d’unités de volontaires. Depuis 2014, il se bat dans le fameux bataillon Aidar, chargé de lutter contre l’insurrection pro-russe à l’Est. Viktor me fait fièrement une démonstration du fonctionnement des mines antichars posées à l’arrière de son minibus : « Ici, nous avons fait le plein de cadeaux pour les “orcs” (terme utilisé par les Ukrainiens pour désigner les Russes – ndlr) », me dit-il. « Nous allons miner le pont ! ». À l’extérieur du véhicule, Viktor saisit l’une des mines et la laisse presque tomber sur ma jambe. Je réussis à me reculer et à l’éviter, affichant une étonnante souplesse pour mon âge. Viktor est vêtu d’un uniforme de camouflage « britannique », fourni par le RoyaumeUni. Résultat de l’incroyable aide fournit par ses alliés dans son combat contre l’envahisseur, l’armée ukrainienne a un tout autre visage que par le passé. Ses uniformes sont beaux et confortables, les chaussures fonctionnelles, ses soldats équipés de dispositifs de combat à visée nocturne, de casques de protection légers et fiables. Javelins (lance-missile antichar portable – ndlr) et autres armes complètent le tableau des premières semaines, en plus de l’aide humanitaire et des sanctions économiques prises par les Occidentaux contre la Russie. Pourtant, de nombreuses voix ukrainiennes continuent à dénoncer l’insuffisance №45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg


du soutien affiché. Exigent que l’OTAN ferme le ciel au-dessus de l’Ukraine. J’entends cet appel venu des combattants sur la ligne de front, des civils prisonniers de leurs abris, des politiciens de haut rang. Mais j’entends aussi les raisons de ce blocage, inlassablement répétées par l’Alliance. Avec Viktor, nous nous souhaitons bonne chance. De la chance, me dis-je, il lui en faudra, à en croire l’intensité renouvelée des bombardements sur Severodonetsk, Lisichansk et d’autres villes et villages environnants. Du fait, aussi, du regroupement des troupes russes dans cette zone.

La « route de la vie »

deux bombardements, les gens cuisinent ce qu’ils peuvent sur des feux. Les patrouilles de police livrent des repas dans les cours, qui Aujourd’hui, justement, nous tentons une proviennent du dernier entrepôt d’aide alipercée en direction de Severodonetsk, le mentaire venue d’Europe. À proximité de là, long de la « route de la vie », avec Javier – un abri géant, construit exactement comme une route par laquelle passent les convois un abri antinucléaire de l’époque soviétique. de réfugiés. La population de ce territoire Des personnes âgées et plusieurs enfants y a été divisée par dix depuis les premières ont élu refuge et y vivent en permanence. heures de la guerre. 30 000 personnes contre Là-bas, le petit Daniel dessine des maisons 300 000 auparavant. Ce qui n’empêche pas dans un cahier scolaire. Belles et entières. les troupes russes de constamment pilon- Comme avant. Comme une dernière tentaner cet axe. tive de se souvenir et de ne pas oublier, en ce Sur le bord de la route, des restes de terrible printemps ukrainien 2022… véhicules civils et militaires qui ont été New York est récemment détruits. Comment se rendre à Severodonetsk ? Le secret est simple : bombardée ! conduire à une vitesse vertigineuse en mode too fast, too furious, entre Bakhmut et L’humour joue un rôle essentiel en temps de Lisichansk, pour éviter les tirs. Si vous par- guerre. Sans humour, il vous est quasi imposvenez sain et sauf à destination, la moitié sible de survivre tant la pression nerveuse du chemin est fait. Ne vous reste plus qu’à et physique est forte. Avec Javier, nous traconvaincre le poste de contrôle que votre versons de petits villages du Donbass, non présence journalistique à Severodonetsk loin de Bakhmut. La scène qui va se jouer d’ici quelques est absolument nécessaire pour informer le monde. Si vous convainquez les militaires, instants au poste de contrôle que nous atteignons n’aurait pas manqué de faire jubiler vous commencez à travailler. Certains jours sont gratifiants dans Kafka et Ionesco. Le garde nous fixe : « Où ce métier. Cela ne s’explique pas par une allez-vous ? New York est bombardée ! ». Je hypothétique réussite financière, pas davan- traduis à Javier qui répond : « Comment ça ? tage par l’écriture d’une phrase intelligente Déjà ?! ». L’un des villages au-delà de cette sur Facebook. Mais plutôt par un « Bravo ! ligne a été baptisé New York, par des colons Vous n’avez pas eu peur… », lancé à l’occa- mennonites. Ce n’est vraiment pas calme sion d’une poignée de main par un colonel à Donetsk New York. Il n’y a presque perde police quand vous arrivez à Lisitchansk. sonne, ni maire ni police, mais les bombarEt que vous parvenez à vous conduire de dements perdurent. Peut-être le nom de la l’autre côté du pont, jusqu’à Severodonetsk, ville irrite-t-il à ce point les Russes… L’un des clichés martelés par la propaoù pas un seul journaliste n’avait été autorisé à entrer en raison de la force de feu cra- gande russe est que l’Ukraine doit être dénachée par les canons russes depuis deux jours. zifiée. Il me paraît peu probable que notre Severodonetsk est vide et inamicale. président juif partage l’analyse du Kremlin. Quasiment nulle âme qui vive dans les rues. Je me suis rendu plusieurs fois ces der80 % de la population de la ville a déjà fui. Les nières semaines à Kryvyi Rih, la ville de autorités continuent d’évacuer des habitants naissance de Zelensky. Cette ville ouvrière, le long de cette fameuse « route de la vie », minière, qui est une caricature au millimètre inlassablement pilonnée. La ville n’a plus près des banlieues soviétiques, personnifie d’accès à l’eau, à l’électricité, au gaz. Entre désormais la fierté des Ukrainiens pour ce №45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg

En haut : Un tank russe détruit, dans la région de Sumy. En bas : une station-service atteinte par un tir de missiles

« Le secret est simple : conduire à une vitesse vertigineuse en mode too fast, too furious, entre Bakhmut et Lisichansk, pour éviter les tirs. » c D OS SI ER — Slava Ukraïni !

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gars tout à la fois talentueux et proche des sonner – des collègues en recherche de sougens, et qui est devenu un symbole de notre tien logistique, de contacts, d’avis, de traductions. Quand bien même avais-je moi-même unité nationale. mes propres articles à rédiger, je me suis Zelensky a réalisé ce qui semblait jusqu’alors efforcé de répondre à leurs sollicitations, impossible à l’Ukraine moderne : réconci- guidé par une simple motivation aux formes lier des clans irréconciliables – politiques, de mantra : le monde doit savoir la vérité à financiers et industriels – dont l’unique point propos de la guerre que mène la Russie à d’accord se limitait jusqu’alors à s’entre-dé- l’Ukraine. Le destin m’a réuni avec de vrais chirer. Il a réussi à les rassembler autour de professionnels, pour lesquels l’humain est au la cause ukrainienne, à les convaincre de tra- cœur du récit. Des gens, avec lesquels j’apvailler ensemble pour le bien du pays. précie de travailler, parce que nous parlons Un exemple frappant est celui ce langage commun. d’Oleksandr Vilkul. Bien qu’ancien vice-pre80 jours durant, j’ai donc parcouru mier ministre de l’ancien président déchu l’Ukraine de long en large, sur quasiment Ianoukovitch – et donc considéré comme toutes les lignes de front, cette fois comme fermement pro-russe – celui-ci n’a pas hésité reporter de guerre. Ce périple est allé à se ranger aux côtés de la résistance. « Dans jusqu’à me faire redécouvrir mon propre la matinée du 24 février, lorsque le pilon- pays et les Ukrainiens dans leurs multiples nage de Kryvyi Rih a commencé, l’une de mes solidarités. J’ai vu que ceux-ci se battaient premières décisions a été de bloquer l’aéro- pour un idéal bien supérieur à la défense de port », me confie-t-il. J’étais bien conscient leurs seules libertés et territorialités. Ils se de son importance stratégique. Il fallait agir battaient pour éteindre le feu russe avant rapidement et avec les moyens à notre dis- qu’il ne se répande à d’autres pays voisins. position. J’ai alors ordonné à tous les ser- J’en ai beaucoup discuté avec avec mon ami vices urbains de bloquer la piste avec des politiste et philosophe Andrei Okara, jusqu’à camions et des autobus. Les pilotes russes tard le soir dans sa cuisine de Potlava. ne s’y attendaient pas et ont dû changer de cap au tout dernier moment ». Je n’avais jamais vu Depuis, forces de sécurités, industriels, autant de journalistes citoyens n’ont eu de cesse de s’unir pour dans mon pays assurer la défense de la ville : barrages fortifiés, équipement militaire lourd, construction de kilomètres de tranchées et d’abris en tout genre, présence d’unités de l’armée, de la Garde nationale, de la police et des bataillons de défense territoriale, de milices citoyennes composées de plus de cent mille habitants, le district de Kryvyi Rih, dont Oleksandr Vilkul s’est vu confié le poste de chef de l’administration militaire, est bien protégé. D’une longueur de 120 km – la plus longue d’Europe –, la ville paraît désormais impossible à encercler, ni même à contourner.

Dans la cuisine d’Andrei

« L’Ukraine rappelle chaque nouveau jour ce qu’est être un peuple libre et un leader moral de l’occident et du monde libre. » À l’instar des 300 de Sparte, aux Thermopyles, l’Ukraine se bat bien plus pour le monde civilisé dans son entièreté – contre la barbarie et les ténèbres – que pour elle-même. Elle paie de son sang la préservation de l’idéal démocratique européen. Non membre de l’UE pas plus qu’elle ne l’est de l’OTAN, elle rappelle chaque nouveau jour ce qu’est être un peuple libre et un leader moral de l’Occident et du monde libre. c

Severodonetsk

Depuis les premiers jours de la guerre, des milliers de journalistes internationaux se pressent en Ukraine. Je n’en ai jamais vu autant dans mon pays. Un jour, à Vinogrador, l’un des districts résidentiels de Kyiv, alors que deux missiles venaient de s’abattre sur un centre commercial, j’ai compté plus de cent équipes télévisées, plus de 300 journalistes de presse écrite et autres photographes. En mars-avril, alors que les combats faisaient rage autour de la capitale, les hôtels n’accueillaient plus qu’envoyés spéciaux et militaires. Mon téléphone n’arrêtait pas de 18

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c D O S S I E R ­ — S UR L ES ROUTES DE L’E XODE Charles Nouar

Nicolas Rosès

Chérie, je t’aime. La guerre a commencé… Tetyana Kaledina était directrice financière. Mais les bombes ont eu raison d’elle et de son jeune fils de 12 ans, George. Au bout d’une semaine d’enfer, peut-être un peu plus, tant la notion du temps l’a quittée depuis ce matin de fin février, elle a pris la direction de Strasbourg où réside sa fille Kseniia, 24 ans. L’invasion russe, Tetyana la craignait. Elle avait même préparé une valise de secours, si jamais. Kharkiv n’était qu’à quelques kilomètres des manœuvres russes. Kharkiv au nord, le Donbass à l’Est, deux cibles potentielles. En fait, tout un peuple était visé. Récit d’exode.

Tetyana Kaledina №45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg

enlèvent les gravats de la veille. Partout, les gens rient de cette vidéo où un Ukrainien La solution de repli instinctive. Nous dérobe un char russe avec son tracteur. Les étions parmi les premiers. Les rames circu- Ukrainiens sont plus unis que jamais, se prélaient encore. La profondeur moyenne de la parent des lendemains fleuris. station me permettait de capter du réseau. De suivre les flux d’info qui tournaient déjà Seconde tentative...? La bonne. Cinquième jour, je crois, parce en boucle sur les réseaux. Quand j’ai vu les rames s’arrêter, les wagons s’ouvrir comme que le temps n’existe plus depuis ce 4h20 au pour nous indiquer qu’un refuge venait de matin. Un nouveau missile frappe cette fois s’improviser, j’ai su que j’avais pris la bonne le bâtiment de l’administration régionale de décision. J’avais pris quelques snacks. Nous Kharkiv. Selon Telegram, un autre train part avions des banquettes, je savais qu’il y avait dans une heure. 15 mn. Arrivés dans le hall, des points d’eau, j’avais suffisamment de bat- nous nous retrouvons avec une femme et son teries pour ne pas nous couper du monde. fils, handicapé. Son mari pointe un train en direction de Kyiv. Il crie, fait signe au contrôQue faites-vous à ce moment précis ? leur qui stoppe le train. On monte. Il offre Je sors mon ordinateur. Je verse les un dernier baiser à sa femme et à son fils. Je salaires aux employés de la compagnie. lui tends les clés de ma voiture. Cela lui serIls en auront besoin. Puis, j’ai organisé les vira à acheminer médicaments et nourriture. premiers jours de notre vie sous terre. Nul Le plus dur semble fait, mais le trajet prend ne paniquait, chacun était solidaire, parta- une tournure inattendue. Le train prend la geait ce qu’il pouvait. Ce n’est qu’au bout direction de l’Est, Donetsk. Les Russes nous du deuxième jour, je crois, que l’on a vu les ont-ils détournés ? Seul le conducteur sait, premières files se former devant les super- normalement guidé par l’armée ukrainienne. marchés. L’absence de cash n’était pas un J’ai peur. Je m’apprête à sauter avec George, problème. Les transactions électroniques si jamais. GoogleMaps m’indique à nouveau fonctionnaient. D’autres tentaient de fuir, l’ouest. Je respire. 24h plus tard, contre 5h sans jamais paniquer. Fuir : cette question en temps normal : Kyiv… m’obsédait. Pour ma fille, pour mon fils. Hors de question que Poutine enterre cette Et là ? Nouveau train, direction Khmelnytskyï, liberté que m’a offert l’Ukraine. Moi, la russophone d’origine georgienne qui n’a jamais au sud-ouest, à mi-chemin entre Kyiv et été oppressée ici ni n’a jamais demandé à Ivano-Frankivsk. Nuit dans une église tenue être sauvée. par des volontaires. Le lendemain : direction Oujhorod, ville frontalière entre l’Ukraine, la La gare, l’exil... Slovaquie et la Hongrie. Ce sera la Hongrie : En deux temps. Première fois, au bout Kseniia nous a trouvé un vol Budapestde trois jours sous terre, je crois. Les fils Mulhouse. Derniers kilomètres à pieds. Les Telegram nous indiquaient que des trains douaniers prennent leur temps. 4 heures partaient vers l’ouest. Je monte en voiture pour 50 personnes. Si la Hongrie n’avait avec George, jusqu’à la gare. Vision d’hor- été membre de l’UE, pas certaine qu’ils reur : des voitures cassées, explosées, brû- nous auraient ouvert leurs portes. Frontière lées… Des camions, des semi-remorques passée. La Croix rouge nous réchauffe d’une retournés. À la gare, foule immense. Le boisson chaude qui calme le froid ressenti bouche-à-oreille me dirige vers un train par George. Il fait zéro degré. Nous trouvons en partance. Sur le quai, des étudiants afri- un bus, direction l’aéroport 18h : Là-bas, un cains et brésiliens ne comprennent pas qu’il Kazakh me voit emmitouflée dans mon draest réservé aux femmes et aux enfants. Ils peau ukrainien. «Rassurez-vous, maintenant, paniquent… Certains sortent des couteaux. tout ira bien », me dit-il. 20h, l’avion s’envole. Kseniia nous retrouve à Bâle-Mulhouse. George a peur, a les yeux grands ouverts, parle sans arrêt, le stress aidant. C’en est Je fonds en larmes. Tous, nous fondons en trop. Je fais marche arrière. Dans les rues, les larmes. La suite de notre vie nous reste services des espaces verts continuent à plan- à apprendre, mais nous sommes en vie. ter comme si de rien n’était. Les balayeurs Ensemble. c Le métro était la seule issue à ce moment-là ?

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c D O S S I E R ­ — RÉUN IES À STRA S B OURG Jean-Luc Fournier

Nicolas Rosès

Ensemble, inséparables : Liudmyla et Olga entre amour et larmes… Elles arrivent ensemble au rendez-vous à la terrasse de ce salon de thé bien connu à La Robertsau. Dès les premiers coups de canon, Olga Kostenko a tout mis en œuvre pour que ses parents puissent quitter Kyiv et l’Ukraine et la rejoindre à Strasbourg, là où elle travaille. Et elle y est parvenue. Durant l’heure que nous avons passée avec sa mère Liudmyla et elle, toutes deux n’ont fait qu’une, tout à tour et en permanence attentives l’une à l’autre : ensemble, inséparables… elle seule, Olga symbolise cette Europe qui s’affiche si bien à Strasbourg. Fonctionnaire au Conseil de l’Europe, elle vit en France depuis vingt-cinq ans. Son visage trahit imparablement ses origines : cheveux blonds, yeux bleus, les deux couleurs du drapeau ukrainien flotteront autour de la table durant tout l’entretien… Sous son bras, sa maman, Liudmyla Skyrda, a tenu à transporter jusqu’à nous plusieurs exemplaires de ses derniers livres. « J’ai été professeur à l’Université de Kyiv et mon activité de recherche m’a valu de publier plus d’une trentaine d’articles scientifiques dans les principales revues du monde entier. Mais là, c’est la poétesse qui est devant vous, et je vous ai amené seulement une partie de mes livres les plus récents. J’ai été publiée dans plus d’une dizaine de langues, car j’ai eu l’occasion de connaître beaucoup de pays, mon mari ayant été ambassadeur d’Ukraine en Autriche, en Allemagne, au Japon, en Chine, en Mongolie et aux Philippines, notamment. »

À

« Le 24 février dernier, la guerre avec la Russie a éclaté… », raconte Liudmyla. « Sincèrement, jamais je n’aurais cru vivre ce moment, jamais je n’aurais cru que la 20

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Russie aille jusqu’à envahir mon pays. Je savais bien, évidemment, que la Russie de Poutine était un pays totalitaire, mais je ne pensais pas que ce pays était notre ennemi. Je voudrais vous faire remonter un peu le temps, pour que vous compreniez bien. L’histoire de la Russie débute au XVe siècle, celle de l’Ukraine date du IXe siècle, c’est un fait historique. En Ukraine, nous étions déjà une nation, nous avions déjà les cathédrales, les éditions de livres, la culture… quand la Russie était encore un pays de tribus barbares et disparates vivant dans les marécages. C’est un prince ukrainien qui a créé Moscou. Mais, au fil des tsars qui se sont succédé depuis 1622, ceux-ci n’ont eu de cesse que de vouloir annexer l’Ukraine. Par tous les moyens, notamment l’usage de la langue, jusqu’à affirmer que l’Ukrainien n’était qu’un dialecte issu de la langue russe. Mais, malgré tout, aller jusqu’à imaginer que la Russie allait nous envahir était une idée inimaginable il y a encore si peu… » répète Liudmyla. « De mon côté, ici, à Strasbourg » l’interrompt Olga, « j’analysais avec une très grande attention tout ce qui se disait sur la Russie et l’Ukraine. Depuis le tout début de cette année, les troupes russes se massaient

aux frontières, et je pressentais que la guerre allait éclater. Je ne cessais d’appeler mes parents à Kyiv, j’insistais sans cesse pour qu’ils me rejoignent à Strasbourg, je les ai même suppliés de le faire. Sans succès, tous deux me prenaient pour une folle et me reprochaient de paniquer pour rien. Et puis, il y a eu cette nuit du 24 février. Le même soir, à Kyiv, ils avaient fêté l’anniversaire de mon frère et, de mon côté, sans même leur demander leur avis, j’avais pris les billets d’avion pour qu’ils me rejoignent à Strasbourg à partir du 25 février. Malheureusement, tous les vols ont été immédiatement annulés à cause de l’invasion russe. Alors, mes deux parents ont sauté dans leur voiture et ils ont pris la route pour rejoindre la ville de Tchernivtsi, très près de la frontière avec la Roumanie, à plus de 400 km de Kyiv. Ce fut un voyage très long, car ils n’ont pris que les petites routes, les grands axes étaient tous sous les bombardements russes. Tout cela a pu se faire grâce à l’assistance du Conseil de l’Europe qui avait une correspondante à Tchernivtsi qui a pu aider certains membres du bureau du Conseil de l’Europe à Kyiv à quitter l’Ukraine. Mes parents ont franchi la frontière à pied. Ils ont réussi à se loger dans un hôtel en Roumanie et trois jours plus №45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg


tard, j’ai pu acheter leurs billets d’avion, un vol direct pour Memmingen, en Bavière, où je suis allée les récupérer… »

Seule la force peut faire reculer Poutine… Depuis, la famille réunie suit avec bien sûr une énorme attention tous les événements qui lui parviennent de leur pays. Liudmyla les analyse avec une sévérité sans concession : « Cette guerre est la plus absurde des guerres qui aient jamais éclaté » dit-elle, le visage grave et sur un ton qui n’admet pas la moindre réplique. « La Russie s’étale sur un territoire immense, mais elle envahit l’Ukraine. Certains parlent des ressources naturelles de l’Ukraine, mais que la Russie commence à exploiter efficacement les ressources dont elle dispose chez elle ! Il ne faudra jamais oublier que c’est bien la Russie qui a envahi mon pays. En fait, ce que notre ennemi veut acquérir, c’est tout simplement notre histoire. La Russie est profondément impérialiste et a toujours fait preuve d’un énorme chauvinisme. La volonté de Poutine est de reconstituer l’Empire russe et pour cela, il lui faut annexer l’Ukraine, pour la Russie c’est une question existentielle. Mais voilà, Poutine ne s’attendait pas à la résistance de tout notre peuple… » À ces mots, brutalement, Liudmyla craque, de grosses larmes coulent de ses yeux, elle ne peut soudain plus parler. Instinctivement, les mains de la mère et de la fille se rejoignent, se serrent, les deux femmes se pressent longuement l’une contre l’autre et cela dure longtemps… Liudmyla reprend son plaidoyer : « Je ne sais pas si tout le monde, à l’étranger, mesure bien ce qu’il y a d’énorme et d’incroyable dans la résistance dont les Ukrainiens font preuve pour défendre leur pays. Ce que tout le monde doit comprendre, c’est qu’il y a une énorme différence entre les Russes et les Ukrainiens et que cette guerre va changer l’ordre mondial. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, la Russie a réécrit l’histoire, s’attribuant seule les mérites d’avoir vaincu l’ennemi nazi alors que des centaines de milliers d’Ukrainiens, de Géorgiens, d’Ouzbeks, de Biélorusses et j’en passe ont également donné leur vie dans ce combat. L’Europe, peu à peu, est devenue aveugle vis-à-vis de la nature profonde de la Russie. C’est cela que cette guerre va changer, car je suis persuadée que déjà, l’Europe ouvre les yeux sur la réalité du régime russe qui a bâti et consolidé son pouvoir sur la dictature et №45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg

Liudmyla (à gauche) et sa fille Olga

sur le mensonge : la diplomatie, l’économie, la culture, etc., ne sont que des éléments d’une seule et même stratégie basée sur le renseignement, les services secrets qui visent tous à perpétuer et encore renforcer cette dictature et ce totalitarisme qui sont les bases mêmes du pouvoir de Poutine. Vous ne pouvez pas vraiment comprendre tout ça, car vos pays ont une vie publique qui, heureusement, se situe dans une tout autre dimension, celle de la démocratie. Cette guerre montre bien que la négociation avec Poutine est tout à fait inutile, il faut employer la force contre lui, être très ferme. Il n’y a que ça qui peut le faire reculer. Et malheureusement, jusqu’à présent, l’Europe n’avait pas vraiment montré sa force… mais je crois que les choses ont fondamentalement changé depuis la réunion de Ramstein… » (Près de quarante États étaient représentés le 26 avril dernier, lors de ce forum rassemblant à la fois de nombreux membres de l’OTAN, mais aussi des pays d’Asie et du Moyen-Orient. À l’issue, ces États se sont engagés pour coordonner encore plus leurs aides militaires et financières en faveur de l’Ukraine – ndlr). Questionnée sur la pérennité de ces aides, c’est Olga qui analysera avec la même conviction : « Il faut que les gouvernements

européens soient attentifs à ce que pensent leurs peuples. Je suis bien placée pour le voir ici, à Strasbourg. Il n’y a pas de précédent dans la solidarité avec les Ukrainiens que le peuple français a manifestée. Et c’est pareil dans de nombreux autres pays. Les peuples comprennent mieux les enjeux que certains de leurs dirigeants… Il faut aller jusqu’au bout : Poutine n’attend qu’une chose, que les gouvernements européens et occidentaux commencent à essayer de négocier, c’est une évidence. C’est pourquoi il ne faut rien lâcher, rien, l’Ukraine doit redevenir souveraine chez elle, y compris au Donbass et en Crimée… » Dans ce salon de thé strasbourgeois s’était peu à peu installée depuis une heure une étrange ambiance entre le côté cosy et feutré de la clientèle qui appréciait les pâtisseries à l’heure du goûter et la table du fond, occupée par ce couple mère-fille étonnant de détermination et heureuses qu’on leur permette de « vider leurs tripes ». Au moment de conclure, c’est Liudmyla qui aura cette forte parole : « Au final, vous verrez, le monde entier pensera que les Ukrainiens auront été les héros qui auront sauvé l’Europe des griffes de Poutine… Vous verrez, c’est ce qui arrivera ! » c c D OS SI ER — Slava Ukraïni !

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c D O S S I E R ­ — S OL IDA RITÉ Jean-Luc Fournier

Nicolas Rosès

PromoUkraïna : les combats d’Ivanna À peine les premiers chars russes avaient-ils commencé à déferler sur l’Ukraine le 24 février dernier que les rédactions locales étaient déjà informées de la position et des actions menées par PromoUkraïna. Sous chaque mail, une signature : Ivanna Pinyak, attachée de presse. Quatre mois après le début de la guerre (et quelques beaux moments de mobilisation plus tard…), l’énergie déployée par les membres de l’association n’a en rien faibli et Ivanna reste aux commandes d’une performante machine à informer et mobiliser…

lle est la discrétion même et en viendrait quasiment à passer inaperçue lors des manifs et rassemblements que, pourtant, elle initie et soutient avec opiniâtreté depuis des mois. Quand elle parle, sa voix douce oblige presque à tendre l’oreille… Autant d’éléments puissamment capables d’induire en totale erreur : en fait, Ivanna Pinyak se révèle vite comme maîtresse dans l’art de la communication militante, d’autant plus que cette fois-ci, la cause est pour elle d’une noblesse indépassable : ni plus ni moins que la défense acharnée de son pays et sa victoire finale…

E

D’où vient toute cette énergie ? On a vraiment envie d’en savoir beaucoup plus sur vous…

Je suis expatriée ukrainienne, à Strasbourg depuis fin 2005. Au départ, je suis venue ici pour une année de Master en sciences politiques européennes, en tant que boursière du gouvernement français. Depuis deux ans, j’étais déjà très insérée

Ivanna Pinyak

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c D OS SI E R — Slava Ukraïni !

№45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg


socialement dans mon domaine, après avoir obtenu mon diplôme de l’université de Lviv, mais quand j’ai appris l’existence de ce programme d’échange universitaire à Strasbourg, j’ai tout de suite compris qu’il me permettrait de vivre une superbe expérience en Europe et pour moi, ce fut dès lors comme un rêve éveillé. J’avais 24 ans quand je suis arrivée ici… Deux ans plus tard, j’y ai rencontré mon mari, un expatrié alsacien en Belgique avec qui je me suis mariée… en Ukraine. Et un enfant est arrivé il y a dix ans… Quelles sont vos origines en Ukraine ?

Je suis née en Zakarpattia-Transcarpatie (un petit oblast, la plus à l’ouest des régions de l’Ukraine – ndlr). C’est une région qui a beaucoup de similitudes avec l’Alsace, au fond, puisqu’on y parle aussi du pays « de l’intérieur », car elle est séparée du reste de l’Ukraine par les montagnes. La culture, la gastronomie, le dialecte, l’accent, les mentalités, le climat ensoleillé qui est propice à la viticulture, tout ça ressemble un peu à l’Alsace. Dans le cadre de mes activités, j’ai emmené pas mal d’Alsaciens là-bas et tous disaient que les sommets des Carpates qui bordaient la région leur faisaient penser à la « ligne bleue des Vosges »… Ma famille était issue de l’intelligentsia générée par le régime soviétique : mes deux grands-parents étaient professeurs, mes parents sont tous deux médecins…

foulée de Maïdan, en 2014, un peu comme une réaction aux événements. C’est venu de particuliers, mais aussi d’autres associations de la communauté ukrainienne de Strasbourg et de la région, l’idée étant de mettre sur pied une plate-forme commune pour promouvoir tous nos événements et parler d’une voix unique après des partenaires institutionnels. PromoUkraïna est bien sûr très connue par les trois cents membres de la communauté ukrainienne qui vivent à Strasbourg… Venons-en à la guerre. À force de côtoyer depuis des mois les Ukrainiens de Strasbourg, il y a une constante qu’il faut sans doute rabâcher sans relâche à un public français qui n’a peut-être pas tout suivi des épisodes tragiques vécus depuis les dernières décennies par votre pays. Aucun des Ukrainiens vivant en Alsace n’a été surpris par l’invasion de la Russie au mois de février, comme si cet événement était inscrit dans un long processus inéluctable…

aura la guerre. Depuis une vingtaine d’années, Poutine et sa bande de propagandistes hurlent sur tous les tons à la télé et désinforment sans vergogne sur les prétendus « nazis » ukrainiens et malheureusement, en Russie, toute une population a été élevée dans cette haine, toute une population a été éduquée sur cette pseudo foi en la grande Russie et l’idée qu’il faut sans cesse se battre pour ça et contre l’Occident qui est systématiquement présenté comme décadent. Les Russes pensent qu’il faut purifier le monde. Avec l’appui du patriarche de l’Église orthodoxe, l’ami de Poutine, qui bénit le régime, son armée et la guerre… » Quand les troupes russes envahissent l’Ukraine la nuit du 24 février, comment réagit la communauté ukrainienne à Strasbourg et que se passe-t-il au niveau de PromoUkraïna ?

Au moins un mois avant cette date, tous les expatriés ukrainiens en France étaient déjà sollicités par les journalistes de tous les médias français pour des interviews qui Il y a une blague qu’on raconte entre portaient sur nos inquiétudes. Et il faut bien nous, car les Ukrainiens sont comme les avouer que c’était un peu énervant car, tous, Français, ils aiment rire de tout : « Nous nous avons répondu que c’était assez simple en sommes là au quatrième mois d’une à comprendre puisque nous avions déjà tout guerre commencée il y a huit ans et qui dure dit il y a huit ans, quand nous avions créé depuis trois siècles »… Cette blague fait éga- PromoUkraïna. lement référence aux clichés de la propaNos premières manifestations d’alors gande qui déferlent partout, en Russie. Il y exigeaient déjà plus de sanctions contre a aujourd’hui des témoignages documentés la Russie. Quand un certain relâchement sur l’étonnement des soldats russes quand s’est ensuite manifesté, nous avons exigé Comment en êtes-vous venue peu à peu ils sont arrivés dans les zones au nord de avec force le maintien de ces sanctions à défendre les intérêts de votre peuple, Kyiv, en février dernier : « Mais comment et dénoncé par exemple les compromis comment s’est formé votre engagement ? font-ils pour vivre aussi bien ? » se sont-ils qui succédaient aux compromis. On ne Ce sont les événements vécus en Ukraine dit. Leur étonnement faisait écho à l’effroy- transige pas avec la conscience. Malgré par les Ukrainiens qui ont tout déclenché. able collectivisation que l’URSS a mise en nos craintes, nous nous sommes félicités L’esprit de Maïdan, principalement (ces place dans les années trente du siècle der- que les révélations des services secrets quelques jours de 2014 où, lors de la « révo- nier et à « l’Holodomor », cette famine en américains et anglais sur l’imminence lution de la Dignité », le peuple ukrainien Ukraine voulue et orchestrée par Staline de l’invasion nous replacent de nouveau occupa cette place de Kyiv jusqu’à obtenir (cette tentative d’extermination par la faim au centre de l’attention de tous, même la destitution de Viktor Ianoukovytch, le du peuple ukrainien a fait entre 2,5 et 5 mil- si la guerre, nous le savions bien, était président pro-Poutine alors en exercice – lions de morts, selon les sources – ndlr). comme une épée de Damoclès au-dessus ndlr). J’ai généralement beaucoup de mal On a vraiment le sentiment que le peuple de l’Ukraine… à faire comprendre que mon engagement russe est incapable de progresser et que, Je ne juge pas le comportement des n’a rien à voir avec un engagement poli- de ce fait, il ne supporte pas le bonheur uns et des autres, je sais bien qu’après les tique pur et dur, comme on le conçoit géné- des autres. Donc, ces autres-là, il faut les événements de Crimée, la France et les ralement. Il s’agit en fait d’un engagement détruire et les anéantir. Sincèrement, je ne autres pays ont dû faire face eux aussi à purement citoyen, active citizenship comme vois pas d’autre explication rationnelle. Il des événements plus proches d’eux que on le dit dans les pays anglo-saxons, cette n’y a pas que la rage et la haine qui parlent. ne l’était l’Ukraine. On le sait aussi : nous façon d’essayer de comprendre en perma- N’importe quel Ukrainien, qui connait un sommes tous beaucoup plus préoccupés nence ce qui se passe autour de nous et minimum l’histoire, est conscient de cette par ce qui peut se passer au sein de notre qui influe tant sur le cours quotidien de triste évidence : tant que la Fédération de famille et c’est donc tout à fait normal que nos vies. PromoUkraïna s’est créée dans la Russie existera dans son état actuel, il y cette proximité prenne le dessus. №45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg

c D OS SI ER — Slava Ukraïni !

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Cependant, nous avons une nouvelle fois été très surpris que personne n’écoute ou ne lise les discours russes dans leur langue d’origine : une nouvelle fois, il faut le redire, tout ce qui allait se passer était déjà connu. Il en a toujours été le cas lors des défilés commémorant la victoire lors de la Seconde Guerre mondiale ; chaque 8 mai, en occident, les banderoles disaient « plus jamais ça » ; en Russie, d’autres banderoles le lendemain, le 9 mai, proclamaient « ce que nous avons réalisé en 1945, nous pouvons le répéter à tout moment ». Et ça durait depuis plus de dix ans ! Sincèrement, il n’y a pas que le manque d’analyse journalistique ou politique qui a fait défaut : il y aussi la puissance de la gigantesque machine de propagande mise en place par Poutine… Quand la guerre a éclaté, le 24 février, nous avons sollicité l’Ambassadeur d’Ukraine auprès du Conseil de l’Europe à Strasbourg pour organiser à nos côtés un briefing à destination de la presse. Nous avons préféré privilégier ce moyen, car nous nous sentions assaillis de toute part par les journalistes. Depuis les événements de 2014, où un grand élan avait mobilisé toute la communauté ukrainienne de Strasbourg et d’Alsace après l’annonce des premières victimes de Maïdan, nous n’avions pas ressenti un tel impact. Même s’ils nous arrivent à nous aussi d’être individualiste, nous savons aussi nous souder pour combattre un ennemi commun…

Tous les sondages parus depuis quatre mois disent à quel point les Français sont admiratifs de la résistance mise en œuvre par le peuple ukrainien. Un peu comme si nous redécouvrions soudainement le poids d’une nation soudée quand il s’agit de combattre un ennemi qui l’envahit… Quelle est l’explication d’une telle détermination de vos compatriotes qui se battent pied à pied en Ukraine ?

C’est génétique, je pense. Ça a à voir avec la résistance menée contre l’occupation du pays par les Soviets dans la première moitié du XXe siècle par les franges les plus jeunes de la société ukrainienne de l’époque. Leur résistance a été exemplaire, jusqu’en 1953, quand le NKVD a fini par les anéantir. C’est toute une histoire du XXe siècle qui est encore très présente pour les Ukrainiens d’aujourd’hui. Même certains survivants de l’Holodomor, qui sont aujourd’hui des personnes très, très âgées, sont encore parmi nous pour témoigner, comme le font les descendants des membres de l’armée de la résistance ukrainienne à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Alors oui, je crois que le peuple ukrainien a cette notion de résistance dans le sang. Mais pour être franche, je dirais aussi qu’ici, parmi les Ukrainiens et les Ukrainiennes de mon entourage, l’ampleur de cette résistance en a stupéfié plus d’un… Des mythes se sont effondrés, et parmi eux, en tout premier

Ivanna Pinyak en Facebook live depuis la Librairie Kléber

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c D OS SI E R — Slava Ukraïni !

lieu, celui de l’armée russe dont on parlait comme de la seconde armée dans le monde. Depuis quatre mois, on s’aperçoit qu’elle n’est qu’une gigantesque bande de maraudeurs, de violeurs et de bourreaux. Ils ne savent que piller, violer et détruire aveuglément, comme ils l’ont fait il y a vingt ans en Tchétchénie… Au final, cette guerre, l’Ukraine va la gagner…

Oui. C’est ce qui est en train de se mettre en place, à l’heure où on se parle (l’interview a été réalisée le 2 mai dernier – ndlr). Oui, on va gagner cette guerre. Et cette victoire ne sera effective que lorsque l’Ukraine aura retrouvé ses frontières historiques, quand nous aurons reconquis les zones de l’Est, Marioupol et la Crimée. Il ne s’agit pas de conclure un armistice et de signer une paix hybride. Ça, on l’a fait en 2014 et on a pu s’apercevoir que c’était inutile sur le fond et que ça ne servait par ailleurs qu’à encore plus alimenter les appétits bellicistes des militaires russes. Depuis la réunion au sommet de Ramstein, le bloc qui nous soutient dépasse désormais largement les seuls pays de l’OTAN. En fait, il ne s’agit pas que de l’avenir de l’Ukraine. C’est la défense d’un modèle civilisationnel qui est en cause. Ce qu’on souhaite, c’est la victoire des sociétés démocratiques contre celles qui relèvent de la dictature. Ensuite, il faudra que la Fédération de Russie cesse d’exister telle qu’elle est aujourd’hui, il faudra qu’elle soit démembrée, désarmée, dénucléarisée et qu’un tribunal international juge et condamne les assassins, le régime de Moscou et son idéologie meurtrière. Je suis désolée de le dire, mais il va falloir que les Russes finissent par faire face à ces crimes de guerre et à la guerre génocidaire pratiqués en leur nom, tout comme les Allemands l’ont fait il y a quatre-vingts ans quand le régime nazi et ses dignitaires ont eu à répondre de leurs forfaits face au tribunal de Nuremberg. À cette époque, lors de l’invasion de l’Allemagne par les troupes alliées, les civils allemands ont été emmenés de force dans les camps de la mort au lendemain de leur libération, pour avoir à affronter de visu les crimes de leurs compatriotes. Oui, il faut absolument que la victoire de l’Ukraine aille jusque là et vous verrez, vous le comprendrez vite quand elle sera toute proche : à ce moment-là, tous les Ukrainiens qui ne font qu’un aujourd’hui vont commencer à s’engueuler entre eux et à rouspéter. On est comme ça… mais je crois qu’en France, c’est un peu la même chose, non ? (rires). » c №45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg


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c D O S SI E R ­ — PRES S E ON L IN E Charles Nouar

Nicolas Rosès

EuTalk.eu aux avant-postes Rencontre avec l’ex-journaliste européen d’origine strasbourgeoise Christophe Nonnenmacher qui dirige aujourd’hui le Pôle Européen d’Administration Publique (PEAP). Sous sa houlette, l’ex-Revue d’Études Européennes, crée en 2009, est devenue il y a trois ans EuTalk.eu, un magazine en ligne centré sur l’ensemble des problématiques des pays fédérés par le Conseil de l’Europe, pour lequel se mobilise une impressionnante communauté journalistique, universitaire, experts, auteurs… couvrant un vaste champ thématique (politique, institutionnel, économique, culture, international…), c’est-à-dire tout ce qui fait l’Europe au quotidien… vant d’en venir plus précisément à la couverture de la guerre en Ukraine par EuTalk, un mot sur la ligne éditoriale. À consulter régulièrement les articles publiés, on constate rapidement que le grand public est la cible prioritaire du magazine en ligne… Oui, c’est la politique d’origine et on s’y tient. On est sorti de la boucle « les experts parlent aux experts » et on essaie de raconter l’Europe au quotidien via des reportages, des chroniques, des analyses, des débats… On est là au cœur de l’ADN de notre revue, publiée en langue française seulement, car nous manquons de moyen pour tenir à jour une version en langue anglaise…

A

Qui finance EuTalk ?

Initialement, le pôle a été financé dans le cadre du Plan triennal Strasbourg capitale européenne. Aujourd’hui, on est entré dans le cadre des appels à projets et on est principalement soutenu par la Ville et l’Eurométropole de Strasbourg : comme beaucoup d’autres structures, nous bénéficions de moins en moins de budgets pour notre fonctionnement, tout en étant contraints de présenter des projets réalistes. C’est un peu le chien qui se mord la queue… Le Pôle a été fondé en 2004 avec l’idée de faire fonctionner ensemble l’ENA, L’INET (Institut National des Études Territoriales – ndlr), l’Euro Institute, l’Université de Strasbourg sur des projets européens communs qui vont de la formation à la recherche en passant par des actions grand public tels que les Rendez-Vous 26

c D OS SI E R — Slava Ukraïni !

Européens de Strasbourg que Or Norme avait suivis, je m’en souviens. Ce qui fait de nous, de fait, le seul think tank européen dans le Grand Est… Beaucoup de structures françaises et internationales, comme à Londres, Berlin ou Bruxelles, s’intéressent à nos productions, et d’ailleurs, on constate qu’on a presque plus de facilités à bénéficier de partenariats à l’étranger qu’ici, localement… Sur le site EuTalk, on découvre près d’une centaine d’entrées consacrées à l’Ukraine, les plus anciennes datant de 2014 lors des événements de la place Maïdan où s’est déroulée ce qu’on a appelé la Révolution de la Dignité. Évidemment, depuis le 24 février dernier, date de l’invasion russe, vous multipliez les publications. Avez-vous la sensation de vivre un événement hors du commun sur le plan journalistique ?

J’avoue être très mitigé sur ce point. Professionnellement, bien évidemment, EuTalk est le seul média strasbourgeois et du Grand Est à disposer de correspondants sur le terrain. D’un point de vue professionnel, cela nous donne forcément une longueur d’avance sur beaucoup, à commencer par les grands médias traditionnels dont on peut s’étonner qu’ils ne réalisent pas ce travail que le PEAP parvient à réaliser avec des moyens bien moindres et en s’appuyant sur la seule force de son réseau. Écrire des papiers sur la base de dépêches et réécrire ce qui s’est déjà dit mille fois ailleurs est sans doute très bien, mais a aussi

ses limites… Au lieu, par exemple, de se poser la question de ce que veut Poutine, peut-être serait-il bon de donner la parole à des universitaires, des journalistes ukrainiens, russes ou biélorusses qui connaissent parfaitement la réponse… Parlons-en, justement… En date du 16 mars dernier, on lit sur EuTalk une analyse implacable du roman qu’écrivit en 2006 l’ancien vice-président de la Douma d’État (l’Assemblée nationale russe – ndlr), Mikhail Yuryev : Le troisième Empire : La Russie qui devrait être. C’est le « livre de chevet du Kremlin », depuis lors, écrit Aleksandra Klitina, l’auteure du papier. C’est hallucinant, le livre décrit chaque étape de la guerre en cours et celles encore à venir…

Tout comme Mein Kampf à l’époque, tout est en effet expliqué, point par point dans cet ouvrage, tout ce à quoi nous assistons, de la déstabilisation du Donbass en 2014 à l’invasion de l’Ukraine en passant par l’autosuffisance et l’isolationnisme de l’économie russe. Tout est pensé, écrit, appliqué. Et cela dépasse très largement le cadre de la guerre en Ukraine. N’avonsnous en France aucun analyste, journaliste, haut-fonctionnaire russophone capable d’apporter cet éclairage ? Nous l’avons fait au sein d’EuTalk, comme sur de nombreux autres points, et nous continuons à le faire, mais cela nécessite d’aller plus loin que de voir le prisme du monde au travers de notre seul regard ethnocentré et de travailler avec des personnes sur le №45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg


Page du site EuTalks.eu

Christophe Nonnenmacher

terrain. Sur ce sujet précis, nous avons donc engagé ce travail avec l’une de nos auteures, Aleksandra Klitina, qui collabore également avec le Kiev Post. Je pourrais également vous en citer d’autres, à commencer par Olivier Védrine, aujourd’hui de retour en France après dix ans passés à Kyiv qu’il a quittée en train après plusieurs jours de bombardements et que vous pouvez désormais régulièrement retrouver sur les chaînes info françaises. Mais aussi Marina Moiseenko, journaliste télé ukrainienne qui a réalisé plusieurs reportages de terrain pour nous dans le cadre de nos émissions « télévisées » EuTalkS.

qui est traductrice, Ivan qui est étudiant et aujourd’hui engagé auprès des troupes armées ukrainiennes. Beaucoup d’autres pourraient être cités, mais leur travail de relais et d’analyse de l’information est essentiel pour nous, quelle que soit la partie de l’Ukraine où ils résident. Vous savez, écrire sur la situation en Ukraine sur la simple base de dépêches, sans s’être un minimum rendu sur place, sans travailler avec des gens sur place ne fait selon moi aucun sens. Quelle est la plus-value journalistique ?

Comment avez-vous constitué ce réseau ?

Sur la base de contacts réguliers, dont certains, journaliers. C’est exigeant, bien sûr, parce que cela nous oblige aussi à croiser les sources qui nous parviennent, ne pas se précipiter sur l’info, à prendre du recul. C’est usant nerveusement, aussi, parce que l’on s’inquiète pour eux 24h sur 24 et 7 jours sur 7. Parce que selon les frappes, les avancées russes, vous ne savez pas toujours si le jour d’après, vous les retrouverez en vie. J’entends le discours qui veut que, au moins pour ceux qui sont journalistes, cela fait partie du travail. Que ce travail ils l’ont choisi. Mais, quand bien même ils travailleraient avec les envoyés spéciaux du Monde, du Figaro, d’El Mundo, CNN ou ABC News, aucun d’entre eux n’a choisi de vivre cette situation. Tous ont également des familles, certains des enfants et forcément, j’y pense chaque jour. Vous savez, même dans la vie de tous les jours, quand

En s’intéressant à l’Ukraine depuis plusieurs années déjà, comme vous l’avez souligné. En allant sur place aussi. En rencontrant des gens, d’Ouest en Est du pays. En essayant de comprendre ce pays. Ces gens sont universitaires, associatifs, élus, journalistes ou, pour certains, simples citoyens. Cette diversité, y compris linguistique, est quelque chose à laquelle nous tenons parce que leurs cris ou leurs propos nous permettent d’avoir une vue plus globale de la société ukrainienne. Certains restent dans l’ombre médiatique, car ils travaillent auprès d’élus nationaux ou régionaux, d’autres sont russes comme Olga, une journaliste de Moscou réfugiée en Ukraine, Fedor, un autre russe, qui est fondateur du média d’opposition Russian Monitor et sous protection de l’ONU, Vera, №45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg

Comment cette rédaction hybride se gère-t-elle au quotidien ?

vous avez une journaliste qui vous confie avoir un couteau en permanence dans son sac pour pouvoir se défendre elle ou sa fille en cas de tentative de viol par un pro-Russe – les fameux « saboteurs » – ou un membre des forces russes qui sont aux portes de sa ville, vous n’avez qu’une envie, celle de lui dire « Fuis ! ». Mais pour l’heure, ils restent, tant qu’ils le peuvent encore, « jusqu’au dernier moment », comme ils disent, en espérant n’avoir jamais à fuir. Parce qu’ils sont Ukrainiens ou résidents permanents d’origine russe, l’Ukraine est leur pays et ils feront tout pour qu’il le reste. Et puis, se pose la question des plus âgés de leurs familles, celle des grands-parents ou des parents qui refusent de partir. Et, en Ukraine, on ne laisse pas les grands-parents derrière… Des discussions de ce type, je pourrais vous en citer mille. C’est à la fois beau et désespérant… Ils restent en dépit du danger ?

Oui, mais pour de multiples raisons : pour témoigner, ce qu’ils considèrent comme un effort de guerre ou un acte patriote – Aleksander Pavlov, que vous publiez dans vos colonnes de ce même numéro, dit souvent « Le monde doit savoir ». Parce que les grands-parents, aussi, ne veulent pas partir et eux refusent de les laisser seuls dans cette phase de danger extrême. Parce qu’ils ne disposent pas d’un passeport ukrainien et qu’ils craignent de se voir rejetés en Europe de l’Ouest. Parce qu’ils craignent de venir pour se retrouver au final dans un camp de réfugiés, SDF ou c D OS SI ER — Slava Ukraïni !

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cantonnés à des jobs d’hommes ou femmes de ménage alors qu’ils ont toute une carrière nationale, voire internationale en télévision, radio ou presse écrite, derrière eux. Venir, on en discute souvent, tant il y aurait à faire ici en termes d’information. Mais les freins, rationnels ou non, sont réels. Et puis, même s’ils parlent tous anglais, la barrière de la langue leur fait peur aussi. Quitter l’Ukraine, oui, ce serait possible – et ils savent qu’à un moment ou un autre ils devront probablement prendre cette décision – mais c’est un crève-cœur familial, c’est une angoisse sociale, professionnelle. C’est tout cela à la fois. En fait, si l’on y regarde bien, le seul résident ukrainien membre de EuTalk qui a franchi le pas est Olivier Védrine, un français, arrivé à Kyiv au moment de Maïdan. Lui non plus n’avait pas envie de partir, mais les bombardements ont eu raison de lui et il s’est résigné à quitter le pays. Aujourd’hui, si Olivier, comme je vous le disais, témoigne, analyse régulièrement sur les chaînes info françaises, il continue à travailler avec EuTalk, mais la grande différence est qu’il est français, il peut s’appuyer sur un réseau de connaissances locales, parle la langue, a un vrai logement mis à dispositions par des amis français. Il est rentré, mais dans de bonnes conditions. À nous de créer ces conditions pour la protection d’autres journalistes, ukrainiens, bien sûr, mais également de nationalité russe ou biélorusse, par exemple, qui essaient de témoigner de la situation en Ukraine ou dont la situation, simplement parce qu’ils essaient d’informer, est menacée dans leur pays. Comment créer ces conditions ?

C’est un point auquel nous travaillons au sein de la présidence du Pôle européen d’administration publique qui édite EuTalk.eu. L’idée consisterait à accueillir sur Strasbourg cinq journalistes professionnels principalement ukrainiens, mais également russes ou biélorusses. À leur permettre de poursuivre leur travail depuis Strasbourg au travers des informations recueillies depuis leurs propres réseaux, à couvrir, aussi, ce qui se fait depuis Strasbourg quant à l’intégration des populations ukrainiennes, mais également ce qui se décide depuis le Conseil de l’Europe ou le Parlement européen, en tant que correspondants internationaux invités à Strasbourg. Ils conduiraient des enquêtes, des entretiens, des reportages avec 28

c D OS SI E R — Slava Ukraïni !

des personnes auxquelles nous n’avons pas accès du fait du barrage de la langue, aussi. Enfin, ceux-ci pourraient aider au partage d’expérience professionnelle, participer à la formation de jeunes journalistes au sein d’écoles ou associations, apporter leur expérience du terrain, en matière de lutte contre les fake news, auprès d’étudiants, en science politique, par exemple. Mais aussi auprès des institutions européennes, collectivités, etc. Des premiers retours que nous avons eus de journalistes ukrainiens, le projet les séduit grandement, mais se pose encore la question de venir dans de « bonnes conditions ». Et cela passe notamment, en dehors d’une bourse de travail, de celle de l’accès à des cours de langue pris en charge sur le long terme, mais également – et c’est là un enjeu majeur – à celui à un logement pérenne tout le temps de la résidence, qui ne soit pas un hébergement d’urgence. Ce projet est-il porté par la seule présidence du PEAP ?

Non. Le Conseil de l’Europe et le Club de la presse Strasbourg Europe portent avec nous cette initiative. Et c’est extrêmement important parce que celle-ci réunit à nos côtés tout à la fois l’institution continentale symbole de la démocratie et de la liberté de la presse en Europe, mais également l’organisation qui fédère l’ensemble des journalistes basés à Strasbourg. Outre un apport logistique au travers de la mise à destination de bureaux, de moyens techniques professionnels ou d’accréditations, leur rôle consistera entre autres aussi à insérer ces journalistes dans leurs propres réseaux professionnels afin de leur permettre tout à la fois de travailler dans les meilleures conditions possibles depuis Strasbourg, mais également de tisser des liens complémentaires et essentiels avec d’autres médias, ONGs, Hauts-fonctionnaires européens en plus du réseau européen du Pôle. À côté de cela, d’autres partenaires ont déjà fait montre de leur volonté de s’associer à cette résidence parmi lesquels l’association Sp3ak3r avec laquelle les cinq journalistes seront amenés à travailler, mais aussi à former professionnellement des membres de ce média strasbourgeois, la société de production les Indépendants, ou Euradio, première radio européenne francophone qui dispose d’un bureau sur Strasbourg. D’autres partenaires viendront, avec lesquels nous discutons déjà. Or Norme en est.

Cela a un coût, je suppose…

Oui, triple, même : budgétaire, humain, logistique. Budgétaire parce que cela nécessite de leur assurer un minimum financier pour vivre, sur la base d’une bourse mensuelle. Humain parce qu’il faudra les accompagner au quotidien dans les démarches administratives, dans l’enseignement de la langue française, dans l’insertion dans la vie de la cité, dans la conduite régulière de réunions de rédaction, dans l’aide à la traduction de leurs reportages en langue française, dans la coordination avec les partenaires, dans la recherche de médias complémentaires parce que c’est là aussi l’un des objectifs que nous poursuivons et qui leur apporteraient un complément de revenu. Et logistique, enfin, qui nous préoccupe tout particulièrement parce que fondamental : l’hébergement d’urgence ne fait aucun sens dans ce cas précis et ne ferait que les précariser. Les placer dans cinq familles individuellement n’apparaît pas non plus une option, une coexistence de cinq mois, aussi bienveillante qu’elle puisse être, paraissant inadéquate. Les logements étudiants sont en sous-capacité. Leur demander de louer un appartement (voire un pour chacun) ne sera pas sans poser des problèmes et pas que financiers, ne serait-ce qu’au regard de leur statut. Je ne parle même pas, pour chacun, des cautions, des ouvertures de gaz, électricité, etc. L’option idéale consisterait en la mise à disposition d’un grand appartement de cinq chambres ou d’une maison répondant à ses critères sur Strasbourg. Des villes l’ont fait ailleurs en Europe, à commencer par Leipzig dans le cadre d’un projet similaire. Strasbourg aurait tout à gagner à soutenir un tel projet qui en plein accord avec son statut de capitale démocratique de l’Europe. Nous en sommes, au sein de la présidence du PEAP, du Conseil de l’Europe et du Club de la presse, en tout cas pleinement convaincus. J’espère, de ce point de vue, que les partenaires financiers que nous sollicitons dans le cadre des appels à projets du Contrat triennal Strasbourg capitale européenne partageront cette vision qui ferait honneur au plan international à Strasbourg et lui permettrait tout à la fois de gagner en expertise, information et rayonnement à travers l’Europe. Le PEAP, le Conseil de l’Europe et le Club de la presse Strasbourg Europe, avons en tout cas envie d’y croire… » c №45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg


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Nicolas Rosès

Ganimat Zahid: Notre seul cerveau ne suffit pas pour comprendre la Russie ! Quand il arrive pour notre interview dans ce petit bar du quartier des Halles où il a ses habitudes, Ganimat Zahid ne passe pas inaperçu. On remarque tout de suite, en effet, son port de tête altier (la conversation prouvera ensuite que baisser les yeux n’est pas son fort…), ses traits et sa peau burinés, sa barbe parfaitement taillée et cette chevelure de jais où, malgré sa toute prochaine soixantaine, peu de cheveux blancs osent se risquer. Et quand ses yeux noirs se plantent dans les vôtres, vous saisissez instantanément que cet homme-là ne s’en laisse compter par personne et que son caractère ne date pas tout à fait d’hier. Son opinion nous a paru essentielle pour tenter de cerner au plus près la réalité du régime russe, qu’il connait bien… our comprendre ce qui va suivre, il faut se pencher sur l’histoire du pays dont Ganimat Zahid est originaire, l’Azerbaïdjan, et tenter, à grandes enjambées certes, de raconter la saga de cette ex-république soviétique fondée il y a un peu plus d’un siècle, en 1920, quand l’Armée rouge des soviets a envahi Bakou. Deux ans plus tard, la République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan s’amalgamait sans coup férir à l’URSS naissante. Encore un peu plus d’une décennie plus tard, mettant à profit l’éclatement du « scandale du caviar » qui secoua alors toute l’Union soviétique (la révélation que les dirigeants azéris d’alors s’en mettaient directement plein les poches en commercialisant le précieux produit pour leur propre compte), Moscou place à la tête du pays un de ses affidés directs, Heydar Aliyev, ancien responsable local du K.G.B. (ça vous rappelle peut-être quelqu’un de plus actuel ?..) et protégé de Leonid Brejnev. Heydar Aliyev restera le « leader historique » durant toute l’époque soviétique. La chute de l’URSS verra se mettre en place une brève éclaircie démocratique (à peine quelques mois entre juin 1992 et juillet 1993) qui disparaîtra sous les effets d’un coup d’État fomenté conjointement par la Russie et l’Iran (pays frontalier possédant une forte minorité azéri).

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c D OS SI E R — Slava Ukraïni !

Une courte guerre civile plus tard, Moscou aura vite réinstallé le fidèle et servile Heydar Aliyev. Gravement malade en 2003, ce dernier cédera le pouvoir à son fils Ilham qui règne sans partage depuis, ayant même installé en 2017 sa propre épouse, Mehriban Alieva, au poste de vice-présidente. Depuis plus d’un siècle aujourd’hui, le peuple azerbaïdjanais subit de nombreuses atteintes aux droits de l’homme : violentes répressions des manifestations par les autorités, mises en détention illégale de journalistes, trucages des élections et des procès organisés par un pouvoir qu’on pourrait facilement qualifier de pétromonarchie tant il capte l’essentiel de la manne de l’exploitation du pétrole en mer Caspienne, qui représente 70 % des exportations du pays et 50 % du budget de l’État.

Le courage d’être journaliste et indépendant Profession : journaliste (et désormais écrivain). Signe particulier : dur à cuire. Il y a fort à parier que ces termes figurent à coup sûr sur la fiche de Ganimat Zahid dans les dossiers de la police secrète azerbaïdjanaise. « Dès l’université » raconte-t-il, « j’ai créé avec des amis un journal clandestin que nous avons nommé Yurd (La Patrie).

J’en étais le rédacteur en chef. En 1989, j’ai également été associé à la création du journal Azadliq (La Liberté)… Là encore, il faut écouter Ganimat Zahid conter les épisodes tourmentés vécus par ce journal qui n’a jamais cessé d’être censuré (à un certain moment, la rédaction avait décidé de laisser en blanc les espaces occupés par les articles étant tombés sous les ciseaux de la censure, mais le pouvoir leur a alors imposé de remplir ces pages trop voyantes par… des bandes dessinées !). Intimidation et même agression physique directe contre les journalistes, pluies d’amendes contre la publication elle-même (principal prétexte invoqué : atteinte à l’honneur et à la dignité du président), tentative d’expulsion de la rédaction de ses locaux pour loyers impayés… À plusieurs reprises, Ganimat fut informé que les services secrets d’Azerbaïdjan fomentaient des tentatives d’assassinat contre lui. À chaque fois, les colonnes de Azadliq furent là pour évoquer ouvertement ces menaces, faisant ainsi reculer le pouvoir. Devenu rédacteur en chef de Azadliq, il finit par être arrêté le 11 novembre 2007. « Il leur fallait un prétexte, j’ai donc été accusé d’avoir agressé un homme trois jours auparavant, un véritable coup monté » №45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg


Ganimat Zahid

raconte-t-il. Fortement mobilisée sur son cas, l’association Reporters Sans Frontières (RSF) avait alors révélé que son frère aîné, Sakit Zahidov, également rédacteur pour le journal, avait été condamné à de la prison en octobre 2006 pour détention d’héroïne – là encore, une accusation « forgée de toutes pièces » selon l’ONG. Le 7 mars 2008, Ganimat Zahid est condamné à quatre ans de prison pour « hooliganisme aggravé », une décision de justice décriée par RSF pour qui le dossier est monté de toutes pièces. Dès son incarcération, Amnesty International qualifie le journaliste de « prisonnier d’opinion ». La pression internationale ne faiblira jamais, mais il faudra néanmoins toute l’énergie de RSF, d’Amnesty International et d’autres ONG internationales pour contraindre le pouvoir à libérer Ganimat Zahid en mars 2010, après deux ans et demi de détention. « Grâce à RSF, j’ai immédiatement demandé et obtenu l’asile politique en France où je suis arrivé en 2011, avec ma femme et mes quatre enfants » se souvient le journaliste. « Une fois ma famille en sécurité, j’ai décidé de rentrer seul à Bakou où j’ai organisé une conférence de presse pour expliquer les menaces qui avaient pesé sur ma famille, mon intention de continuer à faire mon métier de journaliste à Azadliq, №45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg

malgré les censures permanentes. Le pouvoir est allé jusqu’à arrêter les chauffeurs des camions qui distribuaient le journal. Face à ces conditions qui devenaient de plus en plus difficiles et tendues, je me suis dit qu’il fallait que je réfléchisse sur d’autres moyens d’informer les citoyens. J’ai eu l’idée de créer une émission de télévision par satellite émettant depuis la Turquie et j’ai obtenu la garantie du gouvernement turc de ne rien faire contre cette initiative. Cette émission démarra le 6 avril 2012 et devint immédiatement très populaire. Diffusée deux fois par semaine, elle compta jusqu’à plus de deux millions de téléspectateurs, mais, l’année suivante, la chaîne turque qui l’abritait fut fermée autoritairement par le pouvoir turc, pour raisons politiques, après des pressions directes menées par le gouvernement azerbaïdjanais. J’ai un moment eu l’espoir que l’émission pourrait continuer grâce à une autre chaine turque qui avait décidé de l’abriter à son tour, mais l’année suivante, en 2014, le pouvoir finit par l’interdire elle aussi, allant même jusqu’à la priver de sa licence officielle. Alors, j’ai décidé de tout faire par moimême, j’ai appris les techniques de montage et je me suis lancé en 2016, sans sponsors permanents, en ne comptant que sur les dons réguliers des téléspectateurs azerbaïdjanais qui sont nombreux à nous regarder.

Nous émettons via notre site internet qui est bien sûr censuré par le gouvernement azerbaïdjanais, mais nous sommes aussi diffusés via satellite, et là, le pouvoir ne peut rien faire pour empêcher les gens de nous regarder par ce biais. Depuis, les émissions (pour l’essentiel des débats et tables rondes) se succèdent désormais sans interruption 24h sur 24… » Pour autant, Ganimat Zahid continua à faire face à la vindicte du pouvoir de son pays. Toujours basé en Turquie, il fut informé par l’ambassade d’un pays de l’Union européenne qu’il risquait à tout moment d’être arrêté lors d’un de ses nombreux voyages et transféré en Azerbaïdjan. Une fois encore, ce fut RSF qui négocia son retour définitif en France, notre pays lui garantissant sa sécurité internationale. Il s’installa tout d’abord à Besançon avant de déménager à Strasbourg il y a six ans, attiré par les avantages de résider dans une capitale européenne. Depuis, outre son émission de télévision qui perdure, il a développé AND (l’acronyme de « Démocratie pour l’Azerbaïdjan ») une petite maison d’édition qui a publié son témoignage de ses années de prison, suivi d’un premier roman philosophique (Le dernier derviche). Le Loup, le deuxième roman de l’indomptable et courageux Ganimat Zahid, vient de sortir… c D OS SI ER — Slava Ukraïni !

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Manifestation de soutien pour le journal Azadliq (La Liberté)

Bien sûr, et compte tenu de la tragique actualité de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, il ne fallut pas mille questions pour que Ganimat analyse la situation. Il le fit sans hésiter, fidèle à sa personnalité avec des mots directs : « Je crois que tout le monde a bien compris désormais que le but initial de Poutine n’a jamais été de se contenter de conquérir le Donbass et la Crimée.

Poutine va perdre ! Depuis 1613, depuis l’avènement de la dynastie des Romanov, le but de tous les tsars qui se sont succédé à la tête de la Grande Russie a toujours été de conquérir l’Ukraine et de la fondre dans l’Empire. En 1622, le premier tsar de la dynastie des Romanov, Michel Ier a, par exemple, interdit l’ensemble des bibles rédigées en langue ukrainienne. En 1720, Pierre Ier a totalement interdit l’ensemble des livres religieux ou non en ukrainien. On compte quarante-deux autres décisions du même genre, les dernières ont été prises au début des années 1990, c’est dire à quel point cette question a toujours été sensible… Dès l’avènement des Romanov, tenter d’éliminer la langue ukrainienne a toujours représenté un moyen puissant pour affaiblir la résistance de l’Ukraine. Y compris durant l’URSS, après la révolution russe de 1917. Cependant, l’Ukraine ne s’en est jamais laissée compter, ce pays a toujours résisté contre la russification. Cela s’est même manifesté lors de l’invasion de l’Union soviétique par Hitler : l’Ukraine a immédiatement créé et mobilisé un bataillon pour attaquer l’URSS. Pour autant bien sûr, ce pays n’avait aucune admiration pour Hitler et son régime, la preuve en est que très vite, les partisans ukrainiens se sont organisés pour lutter contre les nazis. Personnellement, dans mes jeunes 32

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années, j’ai rencontré bon nombre de partisans ukrainiens qui avaient été longtemps emprisonnés dans le goulag sibérien par les Soviétiques… Oui, le but ultime de Poutine a toujours été d’annexer l’Ukraine, comme tous les pouvoirs s’étant succédé en Russie depuis le XVIIe siècle ont rêvé de le faire… » Ganimat Zahid ne tarit pas d’éloge sur l’incroyable résistance du peuple ukrainien et rappelle que le président Zelenski « n’avait reçu aucune promesse des pays occidentaux quand le conflit s’est déclaré. D’ailleurs, tout le monde se souvient de sa réplique quand les États-Unis lui ont proposé de l’exfiltrer en Pologne : “Ce n’est pas d’un taxi dont j’ai besoin, mais d’armes pour résister et vaincre la Russie”. À ce moment-là, ni Zelenski ni son peuple n’avaient imaginé cette coalition des pays européens et des États-Unis pour être aux côtés de leur pays. Mais même sans ces pays, le peuple ukrainien se serait battu avec férocité pour sa liberté et son existence, j’en suis persuadé. J’ai beaucoup d’amis qui vivent en Ukraine, je connais leur détermination et leur désir de se battre farouchement. Ça vient de si loin, depuis des siècles l’Ukraine résiste, se bat contre la Russie, cet adversaire qu’elle connait très bien. Les Ukrainiens savent comment les Russes les considèrent, comment ils les rabaissent sans cesse et les insultent. Tout cela nourrit la motivation de l’armée ukrainienne qui, par ailleurs, outre ses combattants de base, peut compter sur des officiers et hauts gradés de très grande valeur. Mais cette guerre risque de durer encore des mois, car Poutine ne peut se permettre de passer pour un perdant aux yeux de son peuple, ce serait comme un suicide pour lui et sa dictature… »

Pour conclure, quand on pousse un peu Ganimat Zahid sur l’hypothèse d’une victoire finale de l’Ukraine, quand on essaie d’imaginer que cet événement essaime un peu partout dans les ex-républiques soviétiques, cet homme qui ne sait pas ce que céder veut dire se reconnecte aussitôt à l’histoire récente de la Russie : « Dès son arrivée au pouvoir, Poutine a, en priorité, réactivé tout son réseau au sein du KGV, tous ceux qui, partout, en Russie et dans les républiques soviétiques, avaient régné en maitres avant l’effondrement de l’exURSS puisque la quasi-totalité des présidents de ces républiques avait servi le KGB à un moment ou à un autre. Aujourd’hui, si Poutine venait à tomber, tous tomberaient aussitôt, d’autant que dans certains pays comme le mien, l’Azerbaïdjan, mais aussi au Kazakstan ou encore en Ouzbékistan subsistent certains mouvements de résistance organisés. Ça vaut aussi pour d’autres pays très éloignés comme le Venezuela où la Russie reste très présente. Si Poutine tombe, ses relais dans le monde entier tomberont aussi. Plus près de nous, qui voudra alors encore entretenir des relations avec Bachar el Assad en Syrie ? » Et quand on lui fait remarquer que tout cela va prendre encore beaucoup de temps, l’irréductible journaliste darde son regard noir dans le vôtre et laisse tomber froidement : « Il finira par céder psychologiquement, notamment sous la pression des oligarques qui savent que leur pouvoir et leur opulence sont en péril. J’ai des informations sûres à ce sujet : Poutine va perdre… » Et pour bien enfoncer le clou, il cite le poète russe Tutchev : « Notre seul cerveau ne suffit pas pour comprendre la Russie ! » Et, à peine ces mots prononcés, Ganimat Zahid esquisse un paisible sourire… c №45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg


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№45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg


La grande exposition de l’été au MAMCS à Strasbourg est dédiée à Marcelle Cahn, peintre, figure méconnue de l’art du XXe siècle, née en 1895 à Strasbourg et morte en 1981. L’exposition est un hymne à la recherche artistique, le leit-motiv obstiné de cette artiste à (re)découvrir… ncore enfant, Marcelle Cahn se met à peindre, s’intéresse à la musique comme à la philosophie. Revenant très régulièrement dans sa ville natale, elle vivra aussi à Berlin et Paris, alternant des périodes de plein échange avec les autres artistes et des moments de retrait (l’un d’entre eux durera dix ans, à Strasbourg). Elle voyagera toute sa vie : « D’une manière générale, je ne fais que passer, je ne reste pas » dit-elle. C’est la grande époque d’Edward Munch, de Suzanne Valloton, de Vuillard, Arp, Sophie Tauber-Arp, Mondrian, Kandinsky et Léger autant d’artistes proches de son travail. L’émulation est intense. Marcelle Cahn est bien de cette époque cubiste, c’est reconnaissable, mais elle est aussi bien elle-même. Elle s’intéresse à l’espace, qu’elle traverse du plus petit au plus grand. Elle fera partie des « puristes » (le mot dit tout) et des constructivistes, pratiquant un mélange d’architecture et d’art plastique inspiré par les machines aux formes géométriques, menant à l’abstraction. C’est l’époque de la reproductibilité de l’art qui commence, de la question du progrès, du moment de bascule où l’homme va se faire dépasser par la technique, décrit par l’immense Walter Benjamin, lui aussi de cette époque.

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UNE IMPRESSION DE LIBERTÉ MAGNIFIQUE Ce qui frappe, en parcourant cette très belle exposition, remarquablement agencée, d’une lumière parfaite pour le regard, c’est la recherche, du commencement à la fin. Marcelle Cahn parcourt son objet de travail, n’hésite pas à expérimenter le collage (de plus en plus petits, sur son lit, dans sa maison de retraite à la fin de sa vie) ou ses fameux « spatiaux » (géométries sur papier, sculptures extérieures). La perspective ne l’intéressant guère, elle explore ce qui est « planifié », à savoir maison, villes, №45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg

mais fermées, fenêtres et portes aveugles. Une solitude s’en dégage, presque une sorte d’inhumanité. C’est la recherche, l’obstination, la continuité qui prévalent, on aurait envie de dire : un silence, un effacement. L’artiste discrète travaille, ne se préoccupe pas d’autre chose. Elle a de commun avec nombre d’autres artistes femmes (notamment l’ultra moderne Charlotte Perriand) de rendre concrète non pas l’idée abstraite, mais la perception sensible des choses. Restons encore devant de très émouvantes petites frises colorées, des esquisses au crayon et peinture, passons aux personnages, parcourons ces villes aux tons rose pâle, bleu pâle, toit surmonté d’un dirigeable, pour arriver à ces constructions de papier dans lesquelles des formes de couleurs vives sont parfaitement posées, revenons aux peintures de départ, encore classiques, mais signifiant déjà la maîtrise du travail. En revenant sur nos pas puis en repartant dans l’autre sens, nous pouvons mesurer cette recherche tout entière dédiée à son appréhension de l’espace, jamais plein, parfois fermé et cependant qui nous laisse une impression de liberté magnifique. Un rond, un carré, une maison, et l’espace « où tous les oiseaux du monde volent librement. » (N. De Staël) a

Marcelle Cahn

MAMCS 1 place Hans-Jean Arp – Strasbourg 29 avril au 31 juillet 2022 L’exposition sera également à Saint-Étienne à l’automne et à Rennes au printemps 2023.

« CE QUI FRAPPE, EN PARCOURANT CETTE TRÈS BELLE EXPOSITION, REMARQUABLEMENT AGENCÉE, D’UNE LUMIÈRE PARFAITE POUR LE REGARD, C’EST LA RECHERCHE, DU COMMENCEMENT À LA FIN. » a CULT U R E

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a C U LT U RE – E X P OS ITION Jean-Luc Fournier

Robert Bayer

FONDATION BEYELER MONDRIAN… AVANT MONDRIAN

Tableau n°I, 1921–1924

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De Piet Mondrian (1872-1944), on connaît (presque par cœur, croit-on…) le puriste de l’abstraction avec ses quadrillages parfaits et ses éclatantes couleurs primaires séparées de filets noirs. Mais comment un artiste né à l’orée du dernier quart du xixe siècle en est-il arrivé à ce génial dépouillement et cette abstraction créatrice quasi parfaite ? C’est ce que Mondrian Evolution, l’expo d’été de la Fondation Beyeler, nous propose de découvrir avec, comme à l’habitude, une floraison d’œuvres (89 exactement) provenant de collections privées et publiques en Europe et aux États-Unis… №45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg


« IL CONCEVAIT L’ABSTRACTION COMME UN PROCESSUS DE RAPPROCHEMENT D’UNE VÉRITÉ ET D’UNE BEAUTÉ ABSOLUES (...). »

Bosch, 1908

ondrian Evolution retrace le parcours unique de l’artiste, de son statut de peintre paysagiste du xixe siècle à celui d’un des protagonistes majeurs de l’art moderne. Une légende de plus dans cette galaxie de peintres qui, à l’orée du xxe siècle et pendant les deux décennies suivantes initièrent un des plus prolifiques et incroyables épisodes de l’histoire de l’art, la naissance de l’art moderne. Dans le cas de Mondrian, ce sont même des pans entiers de la création artistique qu’il aura influencés, du design à l’architecture, en passant par la mode et la culture pop – à sa mort en 1944, ce concept n’avait même jamais encore été formulé…

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UN LONG PROCESSUS DE RÉFLEXION ARTISTIQUE La collection permanente de la Fondation Beyeler comprend surtout des œuvres des périodes plus tardives de Mondrian, mais l’exposition Mondrian Evolution se concentre principalement sur les œuvres des débuts de l’artiste, dont le développement est influencé non seulement par la peinture de paysage hollandaise de la fin du xixe siècle, mais aussi par le symbolisme et le cubisme. №45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg

Ce n’est qu’au début des années 1920 que Mondrian passe à un langage pictural pleinement non figuratif, restreint à des agencements orthogonaux de lignes noires et d’aires de blanc et des trois couleurs primaires bleu, rouge et jaune. Les tableaux abstraits de Mondrian sont l’aboutissement d’un long processus de réflexion artistique en tension entre les pôles de l’intuition et de la précision, ainsi que d’une remise en question personnelle intense et incessante. Il concevait l’abstraction comme un processus de rapprochement d’une vérité et d’une beauté absolues, vers lesquelles il tendait en tant qu’artiste.

L’ÉCLAT ET LE RAYONNEMENT DE LA COULEUR L’exposition est conçue de manière chronologique, mais elle tire son expressivité de la confrontation d’œuvres précoces et tardives, qui met en lumière les forces de transformation à l’œuvre dans le travail de Mondrian. Au fil de neuf salles d’exposition, on retrouve des motifs récurrents tels les moulins à vent, les dunes, la mer, les bâtiments de ferme se reflétant dans l’eau et les plantes, représentés à des degrés

divers d’abstraction. Dans ses paysages, Piet Mondrian explore l’éclat et le rayonnement de la couleur – ce qui donne à ces tableaux leur apparence extraordinairement lumineuse et vive – ainsi que l’influence de la lumière et l’expérience de l’espace, de la surface, de la structure et des reflets. Dans le cadre de l’exposition, la Fondation Beyeler présente le film Piet & Mondrian, un court-métrage de Lars Kraume, l’un des cinéastes les plus renommés de langue allemande. Le film prend pour point de départ l’essai Réalité naturelle et réalité abstraite, formulé par Mondrian en 1919/1920 sur le mode du dialogue pour y exposer ses considérations et ses réflexions sur l’abstraction dans l’art. a

FONDATION BEYELER Jusqu’au 9 octobre 2022 Baselstrasse 101 – Riehen/Bâle Riehen est une petite commune limitrophe de Bâle facilement accessible en tram (20 mn) depuis la gare ferroviaire SBB de Bâle. Lignes 1 + 8 Horaires d’ouverture Du lundi au dimanche de 10h à 18h – le mercredi jusqu’à 20h Ouvert tous les jours de l’année, y compris jours fériés a CULT U R E

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a C U LT U RE — COL L ECTION Aurélien Montinari

Estate of Jean-Michel Basquiat – Artestar New York / MMFA, Jean-François Brière

ART BASEL 2022 L’ŒIL ET L’ESPRIT Du 16 au 19 juin prochain se tiendra Art Basel, célèbre salon du marché de l’art international, avec plus de 250 exposants présentant des œuvres du XXe et du XXIe siècle. Un musée éphémère qui attire un grand nombre de collectionneurs. Discussion avec l’un d’eux (qui a souhaité conserver l’anonymat) sur une activité qui, au-delà du marché, est une affaire d’œil et de sensibilité.

Qu’est-ce qu’être collectionneur d’art ? C’est investir dans le domaine de l’art est généralement la dernière étape, quand on a de l’argent. Je connais une galerie en Suisse dont le patron, un jour, a reçu un jeune homme qui lui a dit : « j’ai 200 millions d’euros, je n’y connais rien, je compte sur vous pour me monter une collection. » Le patron de la galerie lui a répondu : « Pas de problème, revenez dans 2 ans ! Pendant ce temps, allez dans des musées, lisez, faites le tour du monde… Ensuite on se mettra autour d’une table et vous me ferez part de votre expérience. » Collectionner c’est avant tout trouver un objet qui vous plaît ! Après c’est vous qui mettez une valeur sur ce produit par rapport à l’image que vous vous en faites, et peut-être qu’un jour ça vaudra dis fois, vingt fois, cinquante fois, cent fois la valeur que vous l’avez acheté ou alors ça ne vaudra jamais plus rien. À ce moment-là vous n’avez plus que vos yeux pour pleurer sur le plan financier, mais vos yeux peuvent continuer à vous dire que ça vous plaît toujours. L’art fait partie de notre vie, l’art ça peut être une architecture, ça peut être un jardin, ça peut être une photo, un tableau, une belle voiture… tout ce qui est beau est art ! Je connais des gens qui se sont endettés auprès de leurs familles et de leur banque pour pouvoir acheter des pièces. Je pense que si votre œil vous dit : « stop, ça me plaît », et que les signaux sont positifs, il ne faut pas hésiter à acheter ! Le meilleur conseiller au monde c’est vous-même. Et le meilleur collectionneur c’est vous-même aussi. Que pensez-vous des célèbres collectionneurs français ? La différence entre Bernard Arnault et François Pinault, c’est que le premier fait appel à des conseillers artistiques pour constituer sa collection, alors que le second, à force de s’impliquer personnellement dans le domaine de l’art, a acquis une capacité à gérer lui-même ses achats. Un homme comme lui achète deux à trois tableaux par jour !

Jean-Michel Basquiat (1960-1988), A Panel of Experts, 1982. MMFA, gift of Ira Young.

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En quoi Art Basel est-il un événement remarquable pour les collectionneurs ? Art Basel, c’est LE rendez-vous incontournable de l’art contemporain dans le monde, un endroit où vous pouvez voir des tableaux que jamais de votre vie vous ne verrez, que ce soit des tableaux muséaux, №45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg


ou des pièces de galeries. Ça peut être des Picasso, des Warhol, des Basquiat… Vous avez aujourd’hui entre 4000 et 5000 énormes collectionneurs dans le monde, qui sont capables de mettre plus d’un million sur une pièce. Mais Art Basel c’est aussi la mise en avant d’artistes émergents, avec des pièces à 500 ou 1000 €. Y a-t-il des médiums, des artistes que vous affectionnez particulièrement ? Comment faites-vous vos choix ? Aujourd’hui, quand on est collectionneur, on ne peut pas s’intéresser à la fois à la porcelaine, à la peinture et aussi à la sculpture… Personnellement, ma lubie c’est l’art contemporain. Il ne faut jamais oublier que l’art contemporain s’inspire de nos maîtres, que ce soit du XVIe, du XVIIe, du XVIIIe, ou du XIXe ! Concernant les artistes, à mon humble avis, on s’intéresse nécessairement aux artistes établis. Enfin, pour ce qui est du choix, il n’y a pas photo entre une belle peinture et une mauvaise peinture ! Il ne faut pas avoir fait l’École des Beaux Arts ou du Louvre pour savoir qu’une œuvre est plus belle qu’une autre. Qu’est-ce qu’une collection réussie ? Le beau est affreux, l’affreux est beau ! Objets, peintures, sculptures, une collection réussie c’est tout ce qui m’interpelle ! Le véritable problème c’est de choisir le meilleur de l’œuvre, le meilleur de l’artiste… Basquiat par exemple a fait énormément de tableaux pas très bons... Il y a des périodes dans sa vie où un artiste est plus créatif et produit bien. Il faut aussi savoir que beaucoup d’œuvres ne sont pas directement créées par l’artiste luimême. Des gens comme Jeff Koons ont des entreprises de cent personnes qui travaillent pour eux. Tous les artistes sculpteurs, Giacometti, Arman, Moore, Rodin… ont fait appel à des fondeurs. L’artiste ne crée ici en réalité que l’œuvre en plâtre qui servira de modèle au moule. L’art, c’est le dessein de départ, après la fabrication n’est pas forcément maîtrisée par l’artiste, mais par un fabricant. Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un qui souhaite commencer à collectionner ? D’acheter au départ des œuvres qui lui plaisent, et s’il s’intéresse de plus en plus à l’art, cinq ans après, ce qu’il aura acheté, il ne le regardera même plus ! J’ai démarré en achetant ce qu’on appelle de la peinture facile, c’est par exemple l’art figuratif. C’est agréable à voir, c’est №45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg

Jean-Michel Basquiat (1960-1988), Anybody Speaking Words, 1982

« LA PEINTURE NE CÉLÈBRE JAMAIS D’AUTRE ÉNIGME QUE CELLE DE LA VISIBILITÉ. » Maurice Merleau-Ponty

même un peu décoratif. Aujourd’hui, c’est quelque chose que vous ne mettez plus dans votre maison parce que vous passez à autre chose. Cela veut-il dire qu’il faut être capable de se séparer de sa collection au fur et à mesure ? Absolument, elle évolue, c’est ce qu’on appelle une collection vivante. Pour les gens qui aiment s’intéresser aux nouveaux projets, aux nouveaux artistes, plus vous avancez, plus ce que vous avez acheté ne vous plaît plus, parce que vous progressez, parce que vous êtes plus exigeant, parce que vous savez plus ou moins distinguer une belle œuvre d’une œuvre un peu pauvre. Il y a des pièces dont on se lasse… Heureusement, ce n’est pas forcément vrai pour les personnes ! a a CULT U R E

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a C U LT U RE — COL L A B ORATION Aurélien Montinari

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STREET- A ARTISTS

GLOIRE À L’ART DE RUE « Il faut à la fois création et peuple. » Gilles Deleuze

Le bâtisseur innovant Trianon Résidences s’associe au Musée d’Art Urbain et du Street Art (MAUSA) de Neuf-Brisach dans un projet d’ensemble écorésidentiel aux façades décorées par des artistes de renom : Eurêka ! Gros plan sur une idée qui combine immobilier, expression artistique et pédagogie.

Cédric Simonin, PDG de Trianon Résidences.

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près des décennies à faire la chasse aux graffeurs vandales, voilà que les promoteurs immobiliers font appel à des street artists pour embellir leurs programmes, un retournement de situation qui prend pourtant tout son sens dans le cas de cette collaboration. D’un côté Cédric Simonin, Président Directeur général de Trianon Résidences, filiale du groupe Vivialys, et de l’autre Stanislas Belhomme, co-créateur du MAUSA, seul musée d’art urbain en France, ouvert en 2018. Un duo dynamique qui redéfinit l’immobilier en y inoculant valeurs, sens et créativité.

UNE RÉSIDENCE DE GÉNIES Il y a d’abord le projet de Trianon Résidences, le complexe immobilier Eurêka ! en cours de construction à Saint-Louis. 141 logements, dont 6 maisons individuelles et 8 maisons groupées, forment cet ensemble écoresponsable pensé comme une résidence socialement inclusive et écologiquement engagée. Cédric Simonin, PDG de Trianon Résidences et amateur d’art décide d’inclure une dimension patrimoniale et artistique au projet : rendre hommage à la grandeur de l’esprit humain. Pour ce faire, le constructeur va confier les façades des bâtiments d’Eurêka ! à des street-artists sous le patronage du MAUSA. Sur les bâtiments donc, les portraits de 6 grands inventeurs : Einstein, Tesla,

Braille, Lovelace, Bell et Davenport, réalisés par deux stars de l’art de rue, Guy Denning et FrakOne. Le premier, anglais d’origine, est connu pour ses peintures à l’huile, le second, français, pour sa maîtrise de la calligraphie en style gothique. Pour Stanislas Belhomme, il s’agit d’un projet avec « une vraie dynamique muséale, une visée hautement culturelle, et une véritable démarche de co-création. » Un processus de mécénat artistique motivé par des valeurs communes et qui a convaincu le cofondateur du MAUSA, « ce n’est pas juste un homme d’affaires qui est venu nous voir, il y avait une cohérence globale qui a fait que l’on a accepté le projet, c’est rare ! »

PROCESS INNOVANT ET ÉTHIQUE DU BÂTI Le projet immobilier Eurêka ! a été conçu dans une double volonté du respect de l’environnement et des habitants. L’ensemble est ainsi entièrement écoresponsable avec un chauffage à énergie verte, et dispose du label Bâtiment Sain : tous les matériaux utilisés sont non allergènes et ne contiennent pas de COVs (Composés Organiques Volatiles). Le souci du bien-être des résidents dans une dynamique durable s’exprime également à travers d’autres prestations comme par exemple la mise à disposition de 2 voitures électriques accessibles via une application sur smartphone, et ce sans aucuns frais pour la copropriété. Toujours à la pointe de l’innovation, Trianon Résidences a, pour la partie extérieure, opté pour un procédé hors du commun. « C’est une première en France ! L’équipe de Trianon souhaitait des œuvres originales, des portraits reproduits sur les façades à l’aide d’un procédé innovant qui “tatoue” le béton. Une machine duplique l’œuvre en injectant des pigments directement dans le ciment, ce qui donne un rendu proche d’une peinture à l’huile », explique Stanislas Belhomme. Ouverte aux promeneurs, cette exposition à ciel ouvert sera accompagnée d’un dispositif de QR codes permettant d’en apprendre plus sur la vie et les découvertes des six inventeurs représentés. Innovant, écologique et intelligent, Eurêka ! accueillera ses premiers résidents à la rentrée 2023 et ouvrira alors la voie au bâti de demain. a

Stanislas Belhomme, cofondateur du Musée MAUSA Vauban et de la Galerie Cartel. №45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg


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a C U LT U RE — A N N IV ERSAIRE Véronique Leblanc

Alban Hefti

ANNIVERSAIRE

VÉRONIQUE DUFLOT FÊTE E LES DIX ANS DE L’ATELIER DE L’INSTANT

En dix ans, l’Atelier de l’Instant a accueilli 250 stagiaires qui y ont découvert l’art de l’estampe en créant des monotypes nés de leur cœur et de leurs mains. Certains sont revenus après des « pauses », des enfants y ont fêté leur anniversaire en compagnie de copains et copines qui leur ont offert une œuvre collective à l’issue de la séance, cadeau incomparable, réceptacle de tout ce qui a émergé de ces instants d’échange autour de la créativité. 42

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a presse est au cœur de la pratique, raconte la graveuse Véronique Duflot maîtresse des lieux formée, notamment, à l’atelier Bucciali. Les stagiaires l’envisagent comme un gouvernail qui donne le cap. Je les observe au moment où ils s’en emparent, à chaque fois l’émerveillement est palpable. » Les enfants sont très vite « dedans », constate-t-elle, « l’inconnu de la technique n’est pas un frein pour eux », les adultes ont besoin d’accéder à un lâcher-prise, d’accepter un rendu qui les surprennent ». Tous constatent que le moment du stage est une « parenthèse » où le temps suspend son vol.

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Novice en pratiques artistiques, Élisabeth évoque « une façon de se découvrir autrement » dans le « vaste champ des possibles » matérialisé par le choix des formes et des couleurs. « Tourner “la roue” comme celle d’un voilier, écraser lentement le papier contre la plaque de métal, le laisser s’imprégner avant de s’émerveiller après chaque passage, lorsque l’on découvre l’image », ajoute-t-elle avant d’évoquer « presque une thérapie, quelques heures de médiation, l’esprit qui se vide du quotidien pour laisser la place à la douceur, au calme, à la beauté, à la création ».

Hélène évoque elle aussi « la liberté de créer », Michel parle « d’une expérience créative, sensorielle, contemplative et conviviale tout à la fois », Stéphanie se réjouit des progrès de Diane, sa fille de dix ans qui se réjouit à chaque perspective d’un nouveau stage. « Les séances permettent d’être dans les sensations, les impressions », constate Véronique émerveillée du double sens de ce mot « impression ». Intangible lorsqu’il se réfère à l’âme humaine, si concret lorsqu’il consacre le passage par la presse. « Celle-ci permet d’exprimer tout ce que l’on ne contrôle

pas et de lâcher prise à cet endroit. Elle correspond à une quête de recherche, pas à une quête de perfection. En ce sens, elle permet de se rapprocher de soi et de l’autre que l’on connaissait ou pas. »

« QUAND ON EXPÉRIMENTE, ON REVIT » Des mères, des oncles ou des tantes accompagnent parfois des enfants à l’Atelier de l’Instant, des couples s’y échappent du quotidien… On y voit aussi des retraités ou bien encore des futures mariées


Véronique Duflot

qui y enterrent leur vie de jeune fille avec « plein de copines ». C’est la vie qui va qui passe en ces lieux, la vie qui va et qui s’attarde en quête d’un supplément d’âme. Histoire de prendre le temps de vivre. « Créer, enseigner c’est de cet ordre-là », confirme Véronique. « J’ai parfois l’impression que plus personne ne se sent vivant, mais quand on expérimente on revit, la curiosité est un puissant moteur ». Elle-même ne cesse de créer dans une exubérance renouvelée par un voyage en Martinique dont elle a ramené un rapport nouveau à la végétation, à la lumière, au jour et à la nuit, aux saisons. Des séries en sont nées en « hommage à la nature dont nous avions été privés pendant le confinement », « comme une envie de dire “merci” à toute cette énergie retrouvée sous le ciel des Caraïbes. Elle

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« C’EST LA VIE QUI VA QUI PASSE EN CES LIEUX, LA VIE QUI VA ET QUI S’ATTARDE EN QUÊTE D’UN SUPPLÉMENT D’ÂME. »

y explore toujours plus avant ce monde des couleurs qu’elle enseigne depuis plusieurs années en UFR d’Arts afin d’en approcher les “sonorités”, les “intensités musicales”. Les stages à venir cet été se passeront d’ailleurs au son de musiques du monde, histoire de laisser libre cours à ce lien sensoriel. Juste avant, l’Atelier de l’Instant fêtera l’été de ses dix ans lors d’une fête ouverte à tous le 25 juin de 14 à 19h. Il y aura de la douceur et de la musique dans l’air, des sourires éclatants et, aux cimaises, des œuvres qui chantent la vie. a

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a C ULT U R E – P ORTRAIT Véronique Leblanc

Alban Hefti - DR

NOUVEAUX POSSIBLES LEONARDO VARGAS, L’ŒUVRE AU-DELÀ DE L’IMAGE Que peut encore nous dire l’image aujourd’hui ? A-t-elle gardé sa capacité à « créer un lien émotionnel » dans une ère où nous sommes tous devenus producteurs et consommateurs frénétiques de selfies et vidéos marqués au sceau du vite produit et vite oublié ? a publicité avait préparé le terrain, rappelle Leonardo Vargas, peintre colombien arrivé à Strasbourg en 2016 après un master en arts à la Hogeschool voor de kunsten de Utrecht aux Pays-Bas. « L’image a été banalisée », dit-il, mais « certaines, au-delà d’une dimension superficielle, garde la capacité de nous attirer, de nous retenir. Pour moi, elles sont le prétexte pour aller ailleurs ». Cette quête de l’image « interpellante » qui l’ouvre à l’inconnu de la création, Leonardo Vargas la mène depuis plusieurs années. Il l’a débutée en dialoguant avec des scènes d’intérieur classiques du siècle d’or de la peinture néerlandaise qu’il avait découverte sur catalogues en Colombie avant de s’y confronter « en vrai » dans les musées des Pays-Bas. Sous son pinceau, ces univers en suspension ont révélé de nouveaux « possibles » prétextes à des « devenirs » qui jamais ne renient l’harmonie initiale. Pour lui, Il s’agit de traduire à la fois d’où vient l’œuvre et où elle peut aller au filtre de sa création. Après s’être ensuite consacré aux Ménines de Velásquez et aux œuvres de Watteau, il a découvert l’univers des daguerréotypes en préparant des cours pour la Faculté d’Arts plastiques de Strasbourg où il enseigne.

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Daguerréotype

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Il s’agissait de plaques écartées à cause « d’accidents chimiques » qui n’étaient pas compatibles avec la rigueur de portraits officiels.

LA MATÉRIALITÉ DE LA PEINTURE NAÎT DE L’IRRÉALITÉ DE LA PHOTOGRAPHIE Surexposition, poussières, humidité avaient joué les trublions, créant une passionnante « poétique de l’image condamnée » dont le peintre s’est emparé. Il s’est concentré sur l’expression des visages parfois réduits à l’état d’esquisses, ému par le fait que « ces gens ont existé il y a deux-cents ans ». « Un jour, se souvient-il, un visiteur m’a dit qu’il ne parvenait pas à savoir s’ils apparaissaient ou disparaissaient de mes tableaux, c’est ce point médian qui m’intéresse ». Aujourd’hui, il travaille à partir de catalogues de mode foisonnant de photographies qui, elles, ne laissent aucune place l’aléatoire. « Leurs compositions font souvent référence à l’histoire de l’art, mais l’envisagent sous un filtre différent », précise-t-il. « Je les examine jusqu’à ce que l’une d’entre elles me retienne. » Il la laisse alors lui dire « ce qu’elle a à lui dire » avant de lui répondre par les couleurs, les formes et l’énergie du pinceau. La matérialité de la peinture se confronte ainsi à « l’aboutissement technique qui irréalise ces images de mode » pour retrouver l’humain jusque dans ses déchirements. Né de l’association de formes et de couleurs jamais prévisibles, le dialogue ainsi créé ne peut conduire qu’au si bel inconnu de la création artistique. S’y révèlent les mouvances de la vie, ces failles qui retiennent l’âme et le regard sans plus rien céder aux codes figés sur papier glacé que l’on finit par ne plus vraiment regarder. Pour Leonardo Vargas, il s’agit de se réapproprier les vibrations du réel en usant de l’acte pictural. D’aller aussi loin que possible, en brouillant les repères, mais sans jamais trahir. a

« POUR MOI, CERTAINES IMAGES SONT LE PRÉTEXTE POUR ALLER AILLEURS. » Léonardo Vargas

Leonardo Vargas à la Galerie Bertrand Gillig www.galerie.bertrandgillig.fr

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a C U LT U RE — P OÉS IE Isabelle Baladine Howald

E-Venise.com

IMAGINER… RILKE À STRASBOURG Né en 1875 à Prague, de la même génération que Kafka qu’il tenait en très haute estime, et mort en 1926 en Suisse valaisanne, inclassable, à la fois romantique et même sentimental dans ses premiers recueils, que d’avantgarde dans les poèmes si défaits et si énigmatiques des Élégies de Duino, Rainer Maria Rilke se sentait très européen et ne tenait pas en place…

Il aimait profondément la France, pays où il a vécu de très nombreuses années, notamment à Paris. Il aimait dans notre langue ce qu’il ne trouvait pas dans la sienne, par exemple, le mot « verger » qu’il adorait. Mais on sait moins que Rilke aimait Strasbourg, et qu’il y est venu. Le voyage sur lequel on a le plus d’informations eut lieu en été 1925 grâce à son traducteur, Maurice Betz, parisien natif de Colmar. Ils travaillent ensemble à Paris sur les Cahiers de Malte Laurids Brigge. Betz, lui-même écrivain, traduira nombre d’ouvrages de Rilke. Un jeune alsacien, Camille Schneider, connaissance de Maurice Betz, va rejoindre Rilke au Jardin du Luxembourg. Conversation profonde et animée. Rilke décide de partir le même soir par le train avec le jeune homme vers Strasbourg. Il faut dire que l’imprimeur strasbourgeois Kattentidt (Pragois d’origine) avait publié des poèmes du tout jeune Rilke dans son Almanach des Muses et même son premier recueil, Leben und Lieder.

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L’IMAGINAIRE FAIT VIVRE… Kattentidt avait son imprimerie rue des Bouchers, en plein centre de Strasbourg. Mais elle n’existait déjà plus lors du dernier passage de Rilke. Cette rue qui serpente est l’une de nos préférées, elle est l’entrée dans « la grande île », comme on dit ici, bordée par l’eau. Nous n’avons pu, malgré nos recherches, localiser la maison exacte ni l’hôtel où ils logèrent près de la gare, Camille Schneider n’est pas précis dans son récit. Mais simplement imaginer Rainer Maria Rilke, les mains dans le dos, pensif, devant la vitrine de son imprimeur, dans cette rue-là, nous fait tellement rêver. Il n’était venu en fin de compte que pour revoir la cathédrale, le bassin où nage le dauphin vert derrière le Palais Rohan, et cette rue de tous ses premiers poèmes, poèmes qu’il n’aimait plus. Il était venu clore cette période, c’était un peu plus d’un an avant sa mort. Rainer Maria Rilke est un écrivain autrichien né le 4 décembre 1875 à Prague en Bohème et mort le 30 décembre 1926 à Montreux en Suisse.

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À 21 ans, il avait écrit ce poème :

Sur la roche Devant moi s’entend une mer de rochers ; Arbustes, moitié enfouis sous les décombres. Silence de mort. Ivre de brumes, Le ciel pend tout là-haut Seul. Le froissement d’un papillon fatigué Erre sans relâche sur la terre, la terre malade, seul comme la pensée de dieu À travers la poitrine du négateur.

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Encore romantique (les rochers, la brume) déjà moderne (ce Dieu poussé dans ses plus profonds retranchements depuis Nietzsche, ce ciel qui « pend »), il explore cette question du négatif qui était chez lui l’envers des choses en rien une négation. Ce n’est presque rien, le passage d’un poète… Il pleuvait à l’arrivée à Strasbourg, ensuite on ne sait plus. Où ils ont dîné non plus. Ce n’est presque rien, pourtant dans l’imaginaire, c’est la Strasbourg littéraire qui se trouve encore renforcée : celle qui a vu tant de poètes passer, de Goethe à Nerval et Stendhal ou Lenz et Büchner et bien d’autres. De cette rue des Bouchers où nous avons passé tant d’heures, dans un appartement presque sans fenêtres (deux pour quatre pièces !), où il faisait froid (13° en hiver !) mais où nous avons tant aimé vivre, s’il ne restait que cette merveilleuse ombre mince de Rilke, ce serait déjà merveille. L’imaginaire fait vivre… a

À lire absolument :

Maurice Betz, Conversations avec Rainer Maria Rilke, suivi d’un récit de Camille Schneider : de Paris à Strasbourg et Colmar avec Rainer Maria Rilke, postface de Jacques Betz, Arfuyen, 2022.

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a C ULT U RE — ART V IVA N T Lisette Gries

Nicolas Rosès

LA TROUPE AVENIR LE THÉÂTRE, UNE CLÉ VERS SOI Chaque année, le TNS invite une vingtaine de jeunes, aux parcours parfois chaotiques, à découvrir la pratique et l’univers du théâtre dans le cadre de la Troupe Avenir. Trois comédiens de la promotion 2022 nous racontent comment cette expérience intense et intensive a ouvert leurs horizons…

encore ébahi, Marin Politanski, l’un des jeunes comédiens.

« À MA PLACE COMME JAMAIS AUPARAVANT » La Troupe Avenir, dont c’était la 6e édition, tient-elle son pari d’ouvrir une nouvelle porte pour ces novices des planches ? Trois d’entre eux nous répondent. « J’ai découvert des choses en moi que je n’avais jamais vues. Je pensais que j’étais quelqu’un de réservé, et que c’était un défaut. Mais en fait, c’est dans ma personnalité et ce n’est pas un problème », décrit d’une voix posée Thierno Barry. Victoria Prim a eu un vrai déclic. « Je me suis sentie à ma place comme jamais auparavant. Je veux absolument poursuivre dans cette voie, c’est la première fois que je prends un chemin sans qu’une contrainte ne m’y pousse », s’enthousiasme-t-elle. Marin, lui, a changé son regard sur la sociologie du théâtre : « Je pensais que c’était un monde peuplé de personnes hautaines, coupées de la réalité. J’étais en train de me marginaliser et je voulais tenter quelque chose, donc j’ai candidaté… Et j’ai rencontré des gens bienveillants, qui ne nous ont jamais pris de haut. »

UN PEU DE CHACUN SUR SCÈNE

Victoria Prim, Marin Politanski et Thierno Barry : trois comédiens de la Troupe avenir#6

usqu’alors, ils n’avaient jamais (ou presque) eu l’occasion de pratiquer le théâtre, et c’est notamment pour cela qu’ils ont été retenus par le TNS. « La Troupe Avenir réunit des jeunes de 16 à 25 ans, avec des profils très variés, et pour qui le théâtre représente une opportunité qui ne leur a pas encore été proposée », détaille Laurie Dalle-Nogare. Chargée des relations avec les publics, elle démarre toujours son appel à candidatures au sein de son réseau de partenaires de l’action sociale,

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avant de l’élargir à un public plus large. Les vingt jeunes de la promotion 2022 se sont rencontrés en février, lors de leur premier stage d’une semaine, sous la houlette de la comédienne et metteuse en scène Laure Werckmann et du musicien Jérémy Lirola. Neuf samedis et une dernière semaine de stage plus tard, ils ont donné fin avril deux représentations de leur spectacle sur la scène Koltès. La pièce, adaptée du texte Changer : méthode, d’Édouard Louis, a été composée avec eux. « Un projet de fou », résume,

Pour construire la pièce, intitulée J’aimerais reformuler ce que j’essayais de te dire juste avant, Laure Werckmann s’est appuyée sur les propositions des jeunes. Ainsi, Marin, qui souhaite faire carrière dans le rap, a-t-il pu inscrire un peu de son univers sur scène. « Laure m’a proposé de chanter la chanson de ma mère, de mon enfance », sourit Thierno. « Nos histoires personnelles font notre richesse, rebondit Victoria. Un esprit de fratrie s’est rapidement installé : on y a mis nos peurs, nos frustrations, mais aussi un amour qui a circulé très vite entre nous tous. » Chaque année, quelques comédiens de la Troupe Avenir tentent ensuite le concours d’entrée de l’école du TNS. C’est le souhait de Victoria. Mais pour tous, cette expérience a nourri leur sensibilité. « Le texte d’Edouard Louis parle d’émancipation et de construction identitaire, il a résonné en chacun de nous. Je n’ai pas été triste quand la Troupe Avenir a pris fin, parce que je crois qu’en fait, cela ne fait que commencer », conclut Marin. On n’a qu’une envie : leur souhaiter un envol flamboyant et une route étonnante. a №45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg




S ACTUALITÉ ­— RE CH ERCHE ­— L’É TAT DES LI EU X Marine Dumeny - Jean-Luc Fournier

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s n o i s u l l i s e L dues r e p La recherche est devenue un « must » dans les déclarations politiques, toutes rivalisant quand il s’agit de souligner son caractère « essentiel » pour l’avenir du pays. Avec quatre Prix Nobel, soixante-dix unités de recherche, une unité de service et de recherche, six unités mixtes et six structures fédératives de recherche (dont trois en partenariat avec le CNRS), Strasbourg est généralement considérée comme une place forte de la recherche en France. Mais quand on pousse les portes des labos, une autre musique résonne dans les oreilles : elle vient des chercheurs eux-mêmes, elle dit leurs inquiétudes et, quelquefois, leur découragement. Tour d’horizon à cœurs ouverts… S ACTUAL I TÉ

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S ACT UA L I T É ­— RECHERCHE ­— L’ ÉTAT DE S LI E U X Jean-Luc Fournier

Nicolas Rosès

Stéphane Viville « Vous comprenez ma colère ? » Stéphane Viville (59 ans) est professeur à la faculté de médecine de Strasbourg et praticien hospitalier au CHU de Strasbourg où il dirige une unité fonctionnelle au sein du laboratoire de diagnostic génétique, dédiée au diagnostic génétique de l’infertilité. Ses activités de recherche concernent l’identification de gènes responsables d’infertilités masculines et féminines… Depuis longtemps engagé sur le front des moyens mis à disposition de la recherche, il dresse un état des lieux très alarmant. Selon lui, c’est tout le vaste secteur de la connaissance qui, dans notre pays, est entré « dans une ère dangereuse »… omme souvent chez les scientifiques de haut niveau, la voix est calme, posée et ne grimpe jamais dans les décibels. Elle n’a pas besoin de ça pour véhiculer quelques constats incontestables et Stéphane Viville les assène les uns après les autres, avec une certitude impavide et méthodique. Son état des lieux de la recherche en France est implacable et il soulève des interrogations essentielles pour espérer surmonter les défis qui se dressent devant nous…

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Les échecs de l’Institut Pasteur et de Sanofi, les deux fers de lance de la filière pharmaceutique française en matière de développement et de fabrication d’un vaccin contre la Covid ont mis dans la lumière les problématiques de la recherche en France. Il y a un an, une

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note du Conseil d’Analyse Économique et Sociale (CAES) précisait même que c’est toute la recherche française « qui a décroché ». Qu’en est-il ? Stéphane Viville : « N’ayant pas de responsabilités dans les commissions ministérielles ou autres, je ne peux pas bien sûr avoir une vue d’ensemble nationale sur ces questions. Mais j’ai cependant eu un mandat au Conseil scientifique de l’Université de Strasbourg. Effectivement, il y a une baisse conséquente de moyens qui s’est généralisée depuis plusieurs années maintenant. Quelques secteurs qui ont été historiquement très en pointe s’en sortent un peu mieux que les autres, comme celui de la recherche spatiale, où la nécessité de moyens énormes est évidente et les mathématiques ou la physique qui nécessitent généralement peu de moyens, en réalité.

Mais pour tout ce qui concerne la chimie, les sciences de la Santé et de la vie, c’est une véritable catastrophe. Tous les chiffres prouvent ce décrochage dont vous faites état. En à peine quelques années, on est passé de la sixième place mondiale à la dixième dans la plupart des classements internationaux… Est-il toujours vrai que les crédits publics français consacrés à la recherche sur la Santé sont deux fois inférieurs à ceux de l’Allemagne ? Pendant que ce pays les augmentait de 11 %, pendant que le Royaume-Uni les faisait progresser de 16 %, ils auraient diminué de 28 % en France entre 2011 et 2018… Ces chiffres sont exacts. Depuis, on a annoncé une augmentation du budget global de la recherche en France, mais les chiffres avancés sont biaisés, car ils intègrent l’augmentation de la masse salariale due essentiellement à une population de chercheurs vieillissante. Cette masse salariale mobilise entre 75 et 80 % du budget de la recherche. Et pourtant, les salaires des chercheurs français restent à la traîne. En 2019, le salaire moyen en début de carrière d’un chercheur en France était inférieur de 63 % à la moyenne des salaires constatée dans les pays de l’OCDE… Oui, malgré les promesses qu’on nous a faites. Le triste résultat de cette situation est avant tout une fuite des jeunes chercheurs. De moins en moins veulent faire des thèses, de plus en plus les abandonnent en cours de route et pour cause : on ne leur propose rien de concret, il n’y a pas de reconnaissance par le privé de ce niveau d’expertise… Pour ceux qui restent, ils sont dans une filière : Licence, Master puis c’est la thèse, généralement là où ils ont entamé la filière… Quel est leur choix ensuite ? Des conditions de travail qui sont de plus en plus mauvaises, des difficultés constantes en termes de financements des labos de recherche et des charges administratives sans cesse plus envahissantes qui font qu’on a beaucoup moins de temps à consacrer à la recherche pure. On ne leur propose ensuite que très peu de postes et quand ils en décrochent un, c’est à 1,2 ou 1,3 fois la valeur du Smic. La thèse c’est quand même un niveau de Bac+10, il faut le rappeler ! Tout ça s’ajoute à un sous-équipement de nos labos, et des équipements existants par ailleurs vieillissants… №45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg


Beaucoup parlent d’une recherche à deux vitesses sur ce point, car il y a des labos très bien équipés et d’autres clairement “à la ramasse”, si vous me permettez l’expression… Les labos bien dotés sont ceux qui, généralement, travaillent sur des thématiques “à la mode”, un effet qui est devenu important au fur et à mesure que les budgets décrochaient. Actuellement, ces thématiques tournent autour de la Covid, des vaccins ARN par exemple. Une demande de financement aboutit souvent sur ces sujets. Mais c’est bien sûr au détriment de tant d’autres thèmes indispensables… Pour développer des vaccins ARN, c’està-dire de la recherche clinique appliquée, il faut bien sûr avoir fait de la recherche fondamentale auparavant. Mais voilà : le processus de recherche fondamentale est par essence empli de doutes et ça, nos gouvernants ne le supportent pas. C’est un domaine ardu, à l’évidence, et pour les chercheurs aussi. Je le sais, j’ai fait les deux : je préfère d’ailleurs la recherche fondamentale, et de loin, mais en matière de doute, c’est éprouvant. Souvent, on ne sait même pas si la question qu’on se pose est juste. On peut se planter complètement, on ne sait pas vraiment où on est et on ne sait pas où on va… Je connais peu de chercheurs en recherche clinique et appliquée qui ne dorment pas la nuit, mais en ce qui concerne les chercheurs fondamentalistes, il y en a énormément… Il y a aussi ce qui fut très longtemps une spécificité française, d’ailleurs enviée par les chercheurs des pays du monde entier : les crédits récurrents, accordés de façon pérenne aux organismes de recherche et aux universités. Ils sont en très net affaiblissement et de plus en plus supplantés par des budgets accordés sur appels d’offres… C’est un bouleversement fondamental issu d’un choix politique imposé par Nicolas Sarkozy qui a voulu américaniser le mode français de la recherche et vous avez bien raison de souligner que ce modèle, tout le monde nous l’enviait. Il offrait une indispensable liberté aux chercheurs, c’était clairement un luxe, mais un luxe nécessaire. Einstein l’avait dit : cette liberté accordée au chercheur lui permettait de développer son imagination. Le système par appels d’offres, pourquoi pas, mais ça génère une bureaucratie monstrueuse, liberticide même, à mon sens. Et l’Agence Nationale de la recherche qui gère tout ça a un budget ridicule, rien à voir avec №45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg

« Il y a une baisse conséquente de moyens qui s’est généralisée depuis plusieurs années maintenant. »

les budgets américains ou autres. L’ANR n’accepte que de 16 à 20 % des dossiers présentés, contre 40 % en Allemagne ou en Hollande et les financements accordés ne sont en moyenne que de 300 000 € sur trois ans. C’est ridicule : j’ai une collègue belge avec laquelle je collabore : l’an passé j’ai demandé à l’ANR un budget de 500 000 € pour cinq ans, je ne l’ai pas obtenu. De son côté, sur le même projet, elle a obtenu 5,3 millions d’€ pour sept ans ! Rappel : la Belgique, c’est onze millions d’habitants… mais le budget de la recherche est de plus de 3,3 % de son PIB. C’est le même pourcentage en Allemagne. En France, c’est 2,2 %… De plus, le processus d’appels d’offres est incroyablement chronophage. Et son résultat très aléatoire. Oui, le CNRS et l’INSERM ne distribuent presque plus rien. On n’a plus la liberté de prendre des risques, la liberté de rencontrer un échec ce qui est pourtant une situation tout à fait inhérente à notre activité. Au début de ce processus d’appel d’offres, il y a dix ans, il y avait carrément une case à remplir : “Intérêt socio-économique de votre projet” : mais quand on fait de la recherche fondamentale, on ne peut évidemment pas répondre à cette question ! Ça suffisait alors pour se voir rétorquer un “intérêt socio-économique limité”. Et la pression était tellement forte sur les arbitres que le projet était retoqué. Beaucoup de chercheurs ont protesté vigoureusement, le phénomène s’applique de façon moins aveugle depuis… On parle sans cesse de l’excellence. On ne peut bien sûr qu’être d’accord. En France, on a beaucoup de chercheurs S ACTUAL I TÉ

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« Ces trois secteurs (la Santé la recherche et la Culture) font partie de nos biens communs à tous, ils sont les bases de ce qu’un gouvernement civilisé se doit d’offrir à sa population. »

de très haut niveau. Pour me faire comprendre, je parlerais des sportifs. Imaginons deux cyclistes de niveau égal. Si l’un court avec un vélo de huit kilos et un deuxième avec un vélo de trente kilos, ce n’est pas difficile de prévoir qui va gagner l’étape. C’est exactement la même chose en recherche. On n’a pas les moyens. On passe un temps fou à demander des financements, largement plus d’une cinquantaine d’heures de travail pour un seul dossier et huit sur dix sont refusés… Objectivement, l’abandon des budgets récurrents a été une véritable catastrophe ! Il a eu une conséquence directe : on ne peut plus embaucher des chercheurs en CDI donc on se rabat sur des CDD, en fonction des projets financés. Le phénomène concerne environ 30 % des chercheurs. Une personne va donc venir à nos côtés pour trois ans, mettre en place des nouvelles techniques, de nouveaux types d’expérimentation et au bout de trois ans, on n’a plus d’argent pour la payer. Elle s’en va, et elle n’est pas la seule à s’en aller : avec elle disparaissent la mémoire du laboratoire et toute l’expertise qu’elle a générée. Il va donc falloir reformer un jeune chercheur, c’est un cercle sans fin, chronophage et

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coûteux. Et on nous parle d’excellence !… Vous savez, ce n’est pas rare que je vois des projets que j’ai présentés et dont le financement m’a été refusé et qui sont publiés trois ans après par d’autres chercheurs. Vous comprenez ma colère ? Elle est encore plus grande quand je pense à mes jeunes collègues qui arrivent… Pour finir, il faudrait aborder un sujet bien précis. La dernière fois où nous l’avions évoqué dans Or Norme, c’était en interviewant longuement Étienne Klein, le physicien et philosophe des sciences. (lire Or Norme n° 41 de juin 2021 – ndlr) Il soulignait avec force “l’inculture scientifique fondamentale” de nos dirigeants politiques, tous ou presque issus de l’ex-ENA où l’enseignement scientifique est réduit à portion congrue depuis toujours. Pour lui, cette absence de culture scientifique est un énorme souci… Je suis 100 % d’accord avec lui sur ce sujet. Le premier que j’ai entendu en parler a été Michel Serres qui disait que le plus gros problème de la gouvernance de la France était l’absence totale de décideurs possesseurs d’une thèse en sciences dures…

À l’inverse d’Angela Merkel, par exemple, dont la formation scientifique a été sanctionnée par l’obtention d’un Doctorat en physique-chimie, obtenu avec la mention très bien… C’est très exactement ça… Et ce n’est pas la peine de chercher plus loin les raisons qui ont permis à l’Allemagne d’investir aussi considérablement dans la recherche. Mais la remarque de Michel Serres va beaucoup plus loin que ça : il voulait dire que la recherche fondamentale implique une énorme rigueur d’esprit qui permet notamment d’étudier toutes les possibilités qui existent pour résoudre une problématique. Cette formation oblige à bien étudier tous les paramètres avec une rigueur qu’à l’évidence, tous les hommes ou femmes politiques ne possèdent pas. Chez nous, généralement, ils se considèrent comme une très grande élite et, selon moi, je dirais même qu’il existe une forme de mépris, non seulement pour la science, mais même pour la connaissance en général. Dans ce terme, j’inclus la recherche, mais aussi l’enseignement et la culture. Ce mépris a véritablement commencé sous l’ère de Nicolas Sarkozy, avec ce libéralisme débridé et obsédé par la rentabilité à tout prix. Ça n’a pas cessé depuis. Aujourd’hui, on peut constater que le premier quinquennat Macron, en matière de recherche et d’enseignement, n’a été rien d’autre qu’un thatchérisme mâtiné au xxie siècle : il ne peut pas certes taper du poing comme Tatcher le faisait, mais, au bout du compte, on a eu des réformes qui sont très similaires à ce qu’elle a fait à la fin du siècle dernier. Il est en train de détruire définitivement le système de santé : certes, le processus a commencé bien avant lui, mais il n’y a pas mis fin et il l’a encore aggravé et il a fallu la Covid pour que tout le monde se rende compte de l’état de la Santé publique en France. Je crains qu’on ait un jour une crise similaire avec l’Université et l’Enseignement dans sa globalité. Ces trois secteurs, avec la recherche et la Culture, aussi, font partie de nos biens communs à tous, ils sont les bases de ce qu’un gouvernement civilisé se doit d’offrir à sa population. Et qu’on cesse de nous parler de la seule rentabilité pécuniaire. La rentabilité pour l’intérêt général doit aussi être prise en considération. Et largement, même. La rentabilité de la santé d’un citoyen, la rentabilité de l’éducation et de la connaissance qu’il reçoit, de la culture qu’il acquiert, aucun de ces bénéfices n’est calculable et ne peut figurer dans une case d’un tableur Excel. Pourtant, la société en bénéficie, à plein… » S №45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg


COMME EUX, LOUEZ VOTRE ESPACE PROFESSIONNEL SUR LES CHAMPS-ÉLYSÉES PORTRAIT DU MOIS / RÉUNION AÉRIENNE & SPATIALE Christophe Graber, son Président depuis 2013, est né à Strasbourg et est diplômé de l’IECS école de Management. Entré dans le secteur de l’assurance, il commence sa carrière à l’Alsacienne au Wacken puis « monte à Paris » pour poursuivre sa carrière chez plusieurs assureurs prestigieux comme GENERALI et GROUPAMA. Au passage il est admis au Centre des Hautes Etudes d’Assurances dont il est diplômé en 2003. Membre de l’association des Alsaciens à Paris, la Maison d’Alsace est naturellement devenue un petit coin de son « Heimat » dans la grande métropole. Un réel plaisir de s’y retrouver autour d’un verre de Riesling entre deux voyages d’affaires qui l’amènent aux quatre coins de la planète. Sans oublier la fierté d’y organiser régulièrement des événements pour ses clients.

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S ACT UA L I T É ­— RECHERCHE ­— DANS LES LAB OS Jean-Luc Fournier

Nicolas Rosès

Quatre experts sans langue de bois… Pierre Gilliot « La volonté d’ultrastructuration va finir par tuer la recherche. »

Pierre Gilliot est directeur de recherche au CNRS. Chercheur en physique, il s’intéresse à l’interaction entre un conducteur et la lumière sur les matériaux semi-conducteurs tels que les diodes électroluminescentes. À 58 ans, il est impliqué depuis de nombreuses années dans les instances scientifiques telles que le CNRS, ou la Commission de la recherche de l’Université de Strasbourg.

ans les locaux de l’IMPCS, à Cronenbourg, Pierre Gilliot détaille son aire de recherche avec passion. C’est avec autant d’énergie qu’il revient sur l’historique des réformes de la recherche. Pour imaginer où elles se dirigent, il faut savoir d’où elles viennent. Exemples et documents à l’appui, le physicien aime la précision.

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La liste « Alternative » avec laquelle vous avez été élu à la Commission de la recherche, se présentait comme voulant lutter contre des tendances pernicieuses dans le domaine de la recherche. Cela faisait référence, entre autres à une

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Nous avons rencontré quatre experts strasbourgeois qui connaissent très bien les problématiques de la recherche en France. Ils livrent sans fard leur opinion à Or Norme. Au final, les sources d’inquiétude ne manquent pas…

problématique de répartition des moyens. En s’ancrant dans l’actualité nationale, jugez-vous que la Loi de Programmation Pluriannuelle de la recherche (LPR) est représentative des torts causés à la recherche par cette répartition ? C’est un achèvement. Nous nous inscrivons dans une tendance globale qui a débuté avec la LRU (Loi de Responsabilité des Universités) créée par Valérie Pécresse. Pour bien comprendre comment nous en sommes arrivés là, il faut remonter la chronologie des réformes depuis la création des agences ANR et AERES en 2005-2006. Sous François Hollande, la loi Fioraso a transformé en partie l’AERES en HCERES. Sous un gouvernement de gauche, et avec l’organisation d’États généraux de la recherche, la plupart des demandes des chercheurs ont tout de même été mises de côté. Dans la même logique que l’Hôpital Public, qui commence sa descente aux enfers en 1971, on assiste donc depuis environ vingt ans à une dévaluation de la recherche ? Se dirige-t-on, d’après vous, vers un système basé sur une loi d’offre-demande, à l’anglo-saxonne ? Il y a surtout une question de structuration de la recherche. La tendance générale va à enlever des compétences à des organismes du type CNRS. C’est dans la logique de l’économie. Cependant le système américain, par exemple, est plus dirigiste, plus étatique, que le libéralisme tel qu’on l’applique en France. Il y a des programmes entiers de recherche gérés par l’État, là-bas. En France, tout ce qui est CNRS, public, centralisé, est issu de l’aprèsguerre, et fonctionnait en centralisation des politiques de recherche. Aujourd’hui, les différentes réformes tournent autour de l’idée de donner plus de pouvoir au local.

Ce qui présente deux problèmes. Le premier est que les universités n’ont pas la capacité d’avoir une vision globale. Concernant les politiques de recherche, elles ont toutes

envie d’aller sur les mêmes modes. La structuration de la recherche, et la bonne utilisation des deniers publics sont alors questionnables. Auparavant, avec le CNRS, il y avait des décisions qui étaient prises au niveau national (et je parle bien de personnes de partout en France, pas de parisianisme). Ils voient dans quelle université les chercheurs sont compétents dans tel ou tel domaine. Le second, c’est qu’on est parti sur des financements sur projets. Il faut donc évaluer ce projet. Avec une vision d’ensemble, il est aisé de voir qui est le plus compétent dans un domaine. Au niveau local, il y a forcément plus de biais, d’ordres humains ou économiques. Ceux qui vendent les lois et les évolutions, les vendent comme structurantes. C’est le cas ? Ce que je suis en train de mettre en avant, ce sont les effets déstructurants pour les laboratoires, qui deviennent ainsi des coquilles vides, des hôtels, à cause des appels à projets, mais aussi d’un point de vue scientifique. Quand vous financez vivement ce qui est à la mode, quand vous financez exclusivement des individus, quand vous n’avez plus de programmation au niveau national… À la sortie c’est l’efficacité de la recherche qui en pâtit. Il y a aussi la question de la gestion, c’est-à-dire savoir si la collectivité investit l’argent de manière correcte ou non. C’est à ce niveau que se situent les problèmes. La question c’est « comment on utilise cet argent, est-ce qu’on l’utilise à bon escient ? ». Il y a un article très intéressant qui a été coécrit par un certain Emmanuel Macron, dans la revue Esprit de décembre 2007. Il était jeune haut fonctionnaire à l’époque. Il s’agit de beaucoup de banalité sur la recherche, sauf les dernières pages. Ce n’est pas très compliqué, vous prenez la loi de programmation de la recherche (LPR), c’est du copier-coller. Et puis, si vous voulez connaître les suites de la LPR, vous continuez l’article. Cette volonté d’ultra-structuration va finir par tuer la recherche… S №45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg


Julien Gossa « Pour s’en sortir, il faut se retirer de cette compétition mondiale de la recherche. » ulien Gossa est de ces personnes qui creusent leur sujet. Et, des dangers encourus par la recherche, il pourrait certainement en disserter des heures durant. Il le fait d’ailleurs, données à l’appui, régulièrement sur Twitter. Un profil social, dans tous les sens du terme…

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L’État doit publier cette année un premier bilan de la LPR, quels sont vos premiers constats après la suite de réformes depuis la LRU ? Le taux d’encadrement des enseignants-chercheurs a explosé, fait-on finalement peser sur eux la responsabilité de la qualité de la formation, en les faisant choisir entre enseignement et recherche ? Outre les menaces qui pèsent sur les contrats doctoraux et post-doctoraux du fait de la non-obligation du contrat type proposé dans la LPR, il y a aussi la question des CPJ (Chaires Professeurs Juniors) qui n’ont pour le moment pas de suivi, à l’image des contrats LRU. Nous sommes sur une stratégie définie par Aghion et Cohen dans Éducation et Croissance en 2004, où il est écrit : « En guise de méthode générale, l’idée est de toujours procéder par création – sans supprimer ce qui existe déjà – pour ouvrir des possibilités nouvelles au sein du système ancien, sans donner l’impression de remettre en cause ses fondements. ». Pour sauver des modules et des formations, les enseignants-chercheurs vont aller prendre des heures complémentaires. C’est de cette №45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg

Maître de conférences en informatique et recruté il y a 12 ans, Julien Gossa fait partie des engagés. Dix ans de syndicalisme au compteur, il a été élu dans nombre de conseils et d’instances décisionnelles. Désormais au laboratoire SAGE (Action publique), il y travaille sur le lien entre les données d’un côté (ce qu’on peut collecter sur l’action publique et en particulier sur les universités) et leur reflet dans les discours politiques. Son recrutement, en 2009, coïncide avec la LRU…

façon qu’il est possible de restructurer les chercheurs des enseignants. Si vous êtes « futur prix-nobélisable », vous n’avez intérêt qu’à enseigner 30 à 60 heures par an. Et les collègues, conscients de ça, prendront sur eux les heures que vous laissez. La comptabilité étant beaucoup plus poussée, ce sont les présidences d’université qui ont la main ? Le rapport entre les enseignants chercheurs et l’administration n’a jamais été aussi tendu. Avec la LPR, le développement de l’indemnitaire par rapport à l’indiciaire entretient ces tensions. Le fait que les jeunes chercheurs soient gardés dans leur précarité, que les maitres de conférences (donc des jeunes) soient augmentés, que les professeurs soient stables… c’est de la gestion. Les premiers c’est de la sélection, les seconds pour les garder, les troisièmes ne partiront de toute façon pas. Et ça, ça entretient une ambiance de travail très… moyenne. Concernant le moral des chercheurs, « Alternative » a fait une enquête à l’Unistra qui s’est révélée catastrophique. Un enseignant-chercheur sur dix est « sans espoir ». Moins de 20 % qui affichent un moral « neutre ». À terme, c’est la qualité de la recherche qui va s’en ressentir ? À moyen et long terme. La France est extrêmement rentable scientifiquement parlant, quand on met en parallèle notre

production et le coût minime de celle-ci. Pourtant, les places dans les classements internationaux nous échappent parce qu’il y a, soit une question de démographie (explosion de la Chine et de l’Inde), soit financière (États-Unis). Ces derniers fonctionnent très bien du point de vue du ranking sur les publications scientifiques. Avec un système de marché des signatures des articles scientifiques. Les procédés de publication avec des fraudes institutionnalisées caractérisent la LPR en loi d’inconduite. Avec le système actuel, ce qui menace la recherche c’est en somme un problème moral ? La restructuration et la répartition des moyens actuels poussent à l’erreur. Il faut aussi être réaliste, démographiquement et financièrement se battre face aux États-Unis ou à la Chine est impossible. Maintenant, au niveau européen, il est possible de bricoler, mais pas de suivre le flux. Pour s’en sortir, il faut se retirer de cette compétition mondiale de la recherche. Pour privilégier le qualitatif au quantitatif ? Exactement. Plus tôt on fera cette sortie-là, mieux ce sera. L’appareil de production scientifique sera renouvelé. Avec moins de papiers, et a fortiori plus poussés, la France s’assure plus de lectures. Et donc, potentiellement, elle peut devenir une référence… S S ACTUAL I TÉ

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Quatre experts sans langue de bois…

Hélène Michel « Voici venus les conflits d’intérêts… »

Rémi Barillon « Il faut être vigilant. Nous sommes un service public. Nous sommes là pour faire de la recherche… »

Hélène Michel, est professeure de sciences politiques, à Strasbourg, elle travaille sur les politiques européennes. Plus spécifiquement sur les questions de lobbying et d’influence. Arrivée en 2009, elle a été directrice d’une UMR de sciences sociales et s’occupe actuellement d’un ITI (Institut Thématique Interdisciplinaire). Élue dans les conseils centraux durant le premier mandat de Michel Deneken (2017-2020), elle démissionne, avec sa liste « Alternative », en juin 2020.

a posture est affirmée, la question de la moralité des chercheurs importante, et les ressources humaines un sujet de fond. Hélène Michel a un regard aussi franc que ses mots…

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Les impacts des lois et réformes dans le domaine de la recherche, depuis les deux dernières décennies, ne sont pas les mêmes en Sciences Humaines et Sociales qu’en sciences « dures ». Quels sont ceux que vous avez pu observer ? En SHS, on est surtout sur un problème de ressources humaines. Il n’y a plus de recrutement de fonctionnaires, seulement des contractuels. Donc des contrats courts. Une fois ces gens formés, ils sont partis. C’est l’impact le plus visible, parce qu’un contractuel ne remplace pas un fonctionnaire. Et ce, même si le contrat est reconduit. Le fonctionnaire a une sécurité d’emploi, une liberté de penser et une liberté d’ajuster son temps de travail en fonction du calendrier. Les équipes de titulaires sont réduites, les remplacements ne sont pas directement effectués, la charge de travail s’accroît… On demande à ces gens-là de faire des petits contrats, des petites vacations, et ensuite, nos responsables parlent de

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problème d’attractivité ! Ce n’est pas un problème d’attractivité. Le problème, c’est qu’ils ne sont pas embauchés. De fait, un contractuel qui trouve un poste meilleur, plus stable, ou plus long… il part. C’est un souci de recrutement. Concernant le mouvement d’ensemble, avec ces structurations, ces méthodes de financement et leurs impacts, quel est-il ? Le mouvement d’ensemble c’est la réduction, puis la suppression des fonctionnaires. Ça mène aussi à des aberrations avec l’affaire McKinsey. Ce genre de problèmes arrive parce qu’auparavant, le gouvernement avait des ressources compétentes en interne, des fonctionnaires formés. Ce n’est plus le cas. La même logique se retrouve à l’Université, pour les évaluations. Ajoutons à cela les contractuels qui, pour vivre, vont dans le privé, reviennent dans le public… Voici venus les conflits d’intérêts. Externaliser pour une mission publique, dont fait partie la recherche, c’est prendre le risque de se compromettre. Ça pose moins de problèmes en sciences politiques et sociales qu’en pharmaceutique. Et encore ! Il peut y avoir des intérêts politiques… » S

Rémi Barillon est le Vice-Président en charge de la recherche, de la formation doctorale et de la science ouverte à l’Université de Strasbourg. S’il occupe ce poste depuis un an, il est cependant arrivé à Strasbourg en 1996, à l’ancienne faculté de Chimie (désormais l’Institut Pluridisciplinaire Hubert Curien) en tant que Maître de conférences.

ambiance, dans le grand bureau au premier étage de l’Institut Le Bel, est plutôt détendue. Rémi Barillon donne suite, en sa qualité de Vice-Président en charge de la recherche, à une demande d’entretien pour un contradictoire. Avenant et ouvert, il se prête volontiers à l’échange.

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Sur les dernières réformes, avec la LPR, Strasbourg a été fidèle à sa réputation. L’Université n’a pas eu à faire face à un quelconque mouvement social. Y a-t-il tout de même eu des discussions en conseils ? Michel Deneken (le président de l’Unistra – ndlr) a organisé des débats. Nous étions une des seules universités à le faire. Et, cette loi tout le monde l’attend. Ce sont des moyens supplémentaires : grâce à la dotation pour la recherche nous avons pu augmenter les fonds récurrents de tous les laboratoires de 10 %. Il y a de nouveaux contrats doctoraux : de 121, nous arrivons à 130.

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№45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg



Quatre experts sans langue de bois…

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Nous parlons de quel type de contrats ? Il s’agit de ceux du ministère (MESRI). C’est assez conséquent comme augmentation. Nous parlons d’un total de 130 milles euros par contrat. Avec, en sus, une augmentation des salaires des doctorants. Nous avons désormais les CPJ, avec 4 obtenus cette année à Strasbourg. Alors c’est vrai qu’il y a des contestations, mais la loi est votée maintenant. Je me vois donc mal refuser pour raisons idéologiques face à des demandes issues des directeurs d’unité et de composante. Une fois votée, la loi devient un outil disponible. Il suffit de l’utiliser à bon escient, sur des projets de recherche conséquents et en consultation avec les facultés. En outre, ce dispositif ajoute 4 postes à l’Université de Strasbourg. Et dans la pénurie de poste actuelle, c’est important.

L’Université ne s’expose-t-elle ainsi pas à des conflits d’intérêts entre le privé et le public ? On a des comités d’éthique, de déontologie. Impossible de faire de la recherche sans éthique. Ce basculement de source de financement s’est fait avec la LRU. A-t-il tendance à pencher dans le sens des fonds privés ? Le système des appels à projets avec la réduction des financements récurrents va en ce sens. Là on a peut-être poussé le bouchon un peu loin. De plus en plus, nous nous dirigeons vers un fonctionnement à base d’appels à projets. Les chercheurs se retrouvent donc à faire des demandes et évaluer.

Les SHS fonctionnent beaucoup plus sur financement récurrent. Ne risquentelles pas d’être délaissées ? D’autant Le problème soulevé par les syndicats que les labos sont moins fournis en c’est que ces CPJ ne sont pas fonction- main-d’œuvre. naires. Ce sont des contrats de droits N’importe qui peut postuler et avoir publics, ou de droit privé. du succès à nos IDEX à Strasbourg. Nous Dans un premier temps, mais du avons du financement récurrent, bien que moment où la chaire est acceptée, ça ouvre pas assez. Évidemment, nous souhaiteun poste d’enseignant-chercheur. Et donc rions en avoir plus. De fait, les laboratoires de fonctionnaire. C’est un recrutement de sciences et technologies sont plus gros. déjà exploité par le CNRS et l’INSERM. Il Mais c’est important pour nous que l’IDEX ne faut pas prendre ça en concurrence avec soit inclusive. Si on regarde sur l’utilisation, un MCF. On ne recrutera pas de la même les SHS sont un des principaux bénéfifaçon. Sur ces CPJ, nous ne recruterons pas ciaires. En volume financier, c’est équivades docteurs qui viennent d’avoir leur thèse. lent entre les trois domaines que sont les Mais des gens qui auront sûrement une SHS, les sciences et technologie, et vie et expérience de post-doctorat à l’étranger, ou santé. Même s’il est vrai que les sciences, dans des centres de recherche sous contrat. la santé sont plus habitées à travailler avec des appels à projets. Ce qui est en fait déjà le cas pour la sélection sur les postes de MCF, puisque les Avec la LPR, la baisse du nombre de fonccandidats doivent désormais justifier de tionnaires, ne se dirige-t-on pas vers plus en plus d’expériences et donc de un rapport de force entre “gestion” et post-doctorats. Dans ce cas, où se situe “recherche” ? la différence ? Il faut être vigilant. Nous sommes un Alors, c’est vrai. Il faut justifier d’un service public. Nous sommes là pour faire post-doctorat pour accéder au post de de la recherche. MCF, et de préférence à l’étranger parce que le recrutement est sévère à Strasbourg. L’Université de Strasbourg, souvent pionNous n’allons pas recruter des doctorants nière, que ce soit pour les réformes LRU, qui viennent de soutenir ou avec une seule Fioraso ou LPR, a-t-elle un bilan de la expérience. Ce seront des gens qui ont une recherche actuel, en son sein, à avancer ? carrière, mais pas forcément au sein d’orLe bilan est connu. Nous avons ganismes publics. quatre Nobels. Et un de plus accueilli

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par la suite. Nous avons fait le choix d’être pluridisciplinaire. Nous sommes reconnus comme une grande université internationale de recherche avec des thématiques très fortes comme la chimie, la biologie moléculaire et cellulaire, en nano sciences, etc. Quant au bilan général pour la recherche, nous pouvons dire que nous sommes toujours performants. Nous avons aussi des points de vigilance en particulier sur les moyens, pour nos plateformes. Au niveau des financements, le dernier contrat plan Étatrégion (CPER) ne s’est pas vraiment bien passé. Les montants ne sont pas à la hauteur de l’ambition que nous devons avoir en France et dans notre Région pour la recherche. Il devient de plus en plus difficile de financer nos plateformes avec des équipements mi-lourds entre 500 000 et quelques millions d’euros, indispensables à nos activités de recherche pour maintenir nos performances. Et donc notre activité. Quant au bilan général, on est toujours performant. Parlons du bilan humain de la recherche, qu’en est-il des chercheurs ? On a de plus en plus de tensions. Il est beaucoup demandé aux enseignants-chercheurs. Ils doivent enseigner, faire de la recherche, monter des projets, les soumettre, les gérer, faire de l’administratif… Il y a eu la période des confinements qui a beaucoup touché notamment les doctorants. C’est une période compliquée. Il faut que l’État nous donne des moyens supplémentaires en termes de postes et de financements récurrents. Malgré les outils que possède l’Unistra, elle ne peut, à son échelle, rien mettre en place de ce point de vue là ? La nouvelle équipe de présidence a lancé des assises sur les ressources humaines qui viennent de se terminer. Nous sommes vigilants, avec toutes ces nouvelles réformes. Les chercheurs et les BIATSS doivent pouvoir avoir une continuité dans leur carrière. Leur bienêtre est important. Nous veillons aussi à donner aux personnels les moyens de s’épanouir et de travailler dans de bonnes conditions… S №45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg


notre talent Tertiaire - Industriel - ERP et collectivités - Secteur santé Copropriétés - Commerces

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S ACT UA L I T É — P HÉNOMÈN E INQU I ÉTANT Barbara Romero

Nicolas Roses – Pim Myten/Unsplash

n s o e i s u s g i m u Dro o s : , e s e é r r i û o s Piq n e e u q i chim ourg n’est b s a r t e S é n g r a p é pas Après une salve d’alertes sur les réseaux sociaux en fin d’année, le phénomène s’intensifie depuis avril sur l’ensemble du territoire national : des jeunes filles et jeunes hommes alertent sur les réseaux sociaux après avoir été drogués à leur insu dans des bars, soit dans leur verre, soit par piqûre. Un phénomène inquiétant, pris très au sérieux par les autorités. Enquête à Strasbourg.

i-mai, Axel, 19 ans, sort en boîte avec des amis. Ils prennent deux verres, vont aux toilettes, et là « c’est une descente aux enfers de quatre heures », raconte le jeune homme en école d’ingénieur. Il se souvient avoir vomi, puis c’est un trou noir de plusieurs heures. « Je n’ai aucun souvenir. Un pote m’a filmé, mon corps était présent, mais j’étais vide. » Début avril, Coralie (*), 17 ans, prend un verre avec ses copines dans une boîte strasbourgeoise. « On était installées à côté de la fosse, je n’arrêtais pas d’être bousculée, une fille alcoolisée nous criait dessus, se souvient-elle. J’ai quitté la boîte seule, j’ai appelé mon petit ami, et c’est le trou noir. » Par miracle, Coralie parvient à rejoindre son copain à l’autre bout de la ville. Elle arrive dans un piteux état. « Au début je pensais qu’elle avait trop bu, mais j’ai vite compris que quelque chose clochait, raconte Tom, 19 ans. On a pris un Uber, mais elle a été prise de vomissements. Il nous a lâchés avenue des Vosges, j’ai appelé les pompiers. » Ils l’emmènent à l’hôpital d’Hautepierre dimanche à 4h du matin, elle n’en sortira que le lundi à 17h30. « Je me suis réveillée là-bas et j’ai vu mon père, confie Coralie. Au départ, ils pensaient que j’avais trop bu, mais je sentais que c’était autre chose, et je n’avais pris qu’un verre. J’étais extrêmement fatiguée. » Ses analyses ne révèlent aucune trace de drogues « classiques ». Quand elle sort de l’hôpital, l’infirmière lui dit qu’elle a été droguée au GHB. Ce que réfute le professeur Pascal Kintz de l’Institut médico-légal de Strasbourg, seul laboratoire à être habilité à effectuer des analyses toxicologiques dans la région. Un professeur qui n’hésite pas à tordre les idées reçues. « Le GHB, c’est un mythe sur le territoire ! lâche-t-il. En France, on doit trouver un ou deux cas avérés par an. Le GHB est utilisé par les gens qui font la fête pour contrebalancer les effets de l’ecstasy. Sur le plan clinique, avec le GHB on s’endort, comme anesthésié, et au bout de deux heures on a un réveil rapide et limpide. Alors qu’avec la soumission chimique aux médicaments, on est dans le coaltar. »

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« LE GHB, C’EST UN MYTHE » Et le professeur Kintz d’expliquer les deux phénomènes qui sévissent partout en France. Il y a d’abord la soumission chimique dans les verres. « Dans ces cas-là, ce sont essentiellement des

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médicaments qui sont utilisés, comme le Xanax, le Lexomil ou le Rivotril. Un comprimé suffit. Le GHB est très rarement utilisé », insiste-t-il. Deuxième phénomène très nouveau : l’utilisation de piqûres. « A Strasbourg, nous avons une dizaine de victimes, témoigne le professeur Kintz. Ils étaient en boîte de nuit, ont ressenti une sensation de piqûre, attestée par l’examen clinique aux urgences médico-légales. Les symptômes sont une sensation de malaise, un black-out, des difficultés à marcher ou à parler. Très proches d’une ivresse marquée. À l’heure actuelle, nous n’avons pas débouché sur l’identification du produit utilisé. L’une des hypothèses serait de l’insuline ». Fin mai, huit jeunes filles ont été victimes de piqûres lors d’un concert de rap au Zénith de Strasbourg. La gendarmerie du Bas-Rhin avait lancé un appel à témoins, sans que nous connaissions le résultat à l’heure où nous écrivions ces lignes. Ce qui est surprenant aussi, c’est que ces attaques ne sont suivies ni d’agression sexuelle ni de vol. « Comme si c’était gratuit », s’étonne le professeur Kintz. Qu’est-ce qui motive ces agresseurs ? « La difficulté, c’est qu’on a des témoignages sur les réseaux sociaux, mais il y a très peu de plaintes, rappelle Nadia Zourgui, adjointe au maire à la tranquillité publique. Si on avait plus de plaintes, on aurait un faisceau d’indices, il y aurait une enquête sur place pour voir comment ça se passe. C’est un phénomène qui nous dépasse tous, on ne comprend pas le pourquoi. A aucun moment on n’entend parler de viol, d’agression sexuelle, ou de vol aggravé avec violence. Les jeunes sont drogués mais pas dépouillés. Est-ce un nouveau jeu ? »

« C’EST UN PHÉNOMÈNE QUI NOUS DÉPASSE TOUS, ON NE COMPREND PAS LE POURQUOI DE CES AGRESSIONS » Les autorités prennent en tout cas le sujet au sérieux. Selon nos informations, le parquet de Strasbourg a ouvert plusieurs enquêtes, suite à des dépôts de plaintes. La procureure de la République ne souhaite en revanche pas communiquer. « Il faut faire un vrai tri entre les filles trop enivrées qui ne le reconnaissent pas et celles qui auraient vraiment été victimes », témoigne une source proche du

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Le professeur Pascal Kintz, à l’Institut médico-légal de Strasbourg.

« Ce sont essentiellement des médicaments qui sont utilisés, comme le Xanax, le Lexomil ou le Rivotril. Un comprimé suffit. Le GHB est très rarement utilisé. » Pascal Kintz

dossier qui émet quelques réserves et se demande « s’il n’y a pas un emballement médiatique ». Reste que le ministère de l’Intérieur a lancé une campagne de sensibilisation, affichée dans les bars et boîtes strasbourgeois, pour rappeler les gestes de base – faire attention à son verre, ne pas accepter de boisson d’un inconnu, ne pas sortir seul(e). Mais aussi alerter la police (17) en cas de comportements suspects et ne pas laisser seule la victime. Enfin,

appeler les secours (15) en cas de malaise, vomissements, perte de connaissance. Le président des cafetiers et discothécaires de Strasbourg à l’UMIH, Jacques Chomentowski, souhaite aussi s’associer à la Ville pour mener une campagne de sensibilisation localement. Après deux années de pandémie, les professionnels du monde de la nuit se passeraient bien de ce genre de publicité. « Il y a des comportements qui ne sont pas acceptables, rappelle-t-il. Chez moi, quand les mecs sont bourrés, qu’ils laissent leur pote prendre la voiture, ce n’est pas responsable. Ce n’est pas acceptable non plus d’accuser un bar. Quand on a une suspicion d’avoir été drogué, il faut porter plainte, faire un test, et là la police peut enquêter sur le bar. » Restent deux problèmes de taille. Le premier, c’est que les victimes craignent souvent le jugement. « Deux copines de ma fille ont été droguées, l’une à Strasbourg, l’autre en Allemagne, témoigne Virginie, 48 ans. J’ai halluciné que ma fille, en médecine, n’ait pas conduit son amie à l’hôpital alors qu’elle n’arrivait plus à tenir sa tête, comme un nouveau-né. Elle a refusé de porter plainte, alors que je les connais, ce sont plutôt les “Sam” des soirées… Il n’y a pas de honte à avoir été victime, ne pas alerter et porter plainte, c’est donner un sentiment d’impunité et mettre d’autres filles, ou garçons, en danger. » Deuxième problème : le coût des analyses. « Cela revient à 1100 € HT, soit 1320 € TTC, précise le professeur Kintz. Lorsqu’il y a une expertise judiciaire, c’est la justice qui paye. Mais s’il n’y a pas de plainte, c’est à la charge du particulier. » Un frein certain. Une campagne de communication devrait être adoptée en conseil municipal en juin, précise Nadia Zourgui : « L’Eurométropole, la police nationale, mais aussi L’Eurodistrict qui connaît les mêmes problèmes, nous sommes tous mobilisés. Nous souhaitons associer l’UMIH, mais aussi les associations Ithaque et “Dis Bonjour sale pute”, pour mener des testings dans des établissements privés, lors de grosses soirées étudiantes, et sensibiliser aux gestes de prévention. » L’adjointe au maire souhaite aussi la création de Safe zones pour mettre à l’abri d’éventuelles victimes et permettre une prise en charge rapide. Avec un appel général à signaler toute personne en danger. S (*) Le prénom a été changé.

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S ACT UA L I T É — ACCOMPAGN EMEN T Lisette Gries

Nadine Shaabana – Annie Spratt/Unplash

Limiter la récidive Quel suivi pour les auteurs de violences ? Violences conjugales, intrafamiliales ou sexuelles : en parallèle de l’indispensable prise en charge des victimes, l’accompagnement des auteurs est l’un des leviers actionnés dans l’espoir de limiter la récidive. Comment s’organise cette prise en charge ? Avec quel impact ? Deux structures strasbourgeoises, l’Arsea et le Cravs, font le point sur ce qu’elles proposent.

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ai été condamné parce que j’ai eu un geste violent envers ma femme. Je l’ai frappée, et elle a porté plainte », raconte sans se dérober celui que nous appellerons M. X, afin de préserver son anonymat. Condamné à suivre un stage de responsabilisation, il a été orienté vers le Centre de prise en charge des auteurs de violence conjugale (CPCA) de Strasbourg. Les CPCA ont été créés suite au Grenelle des violences conjugales de septembre 2019. Il en existe 30 aujourd’hui, répartis sur le territoire national. Localement, c’est l’Arsea (Association régionale spécialisée d’action sociale, d’éducation et d’animation) qui anime le CPCA. « Nous avons été identifiés comme un acteur important de l’accompagnement des auteurs de violences conjugales et intrafamiliales », explique Claire Rossini, cheffe du service Accompagnement sociojudiciaire. Depuis une vingtaine d’années, l’Arsea déploie différents dispositifs, dont des médiations scolaires, des contrôles judiciaires socio-éducatifs,

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« Nous accueillons également des personnes volontaires (...) qui veulent engager une démarche pour éviter de passer à l’acte. » Héloïse Lepelletier

des stages de citoyenneté ou encore des places d’hébergement pour éloigner les auteurs de leur domicile.

TOUT UN TRAVAIL À FAIRE Au titre du CPCA, ce sont notamment des stages de responsabilisation, qui peuvent être décidés par le juge, qui sont proposés sous forme de deux entretiens individuels et de six séances en groupe. « Nous accueillons également des personnes volontaires, qui n’ont pas été condamnées, mais qui veulent engager une démarche pour éviter de passer à l’acte », détaille Héloïse Lepelletier, travailleur social. Le CPCA propose aussi des suivis individuels dans le cadre d’obligations de soin, ainsi que différents accompagnements complémentaires, non obligatoires. « Nos stages sont étalés dans le temps pour laisser la réflexion mûrir, et l’on observe bien un changement entre le début et la fin chez la plupart des personnes suivies,

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ajoute Héloïse Lepelletier. Notre objectif est de provoquer une prise de conscience. » Charge aux auteurs (des hommes, dans la grande majorité des cas), de poursuivre ensuite une démarche thérapeutique, au sein de l’Arsea ou ailleurs. C’est précisément ce qui s’est passé pour M. X. « Pendant le stage, les intervenants nous ont donné des informations sur différents sujets, comme le cycle de la violence ou les dynamiques relationnelles. Maintenant, j’ai tout un travail sur moi à faire pour comprendre comment j’ai pu en arriver à commettre ce geste, d’où vient cette violence… » Il a engagé une thérapie avec un psychologue libéral, sans lien avec l’Arsea, depuis plusieurs mois. « J’y pense tous les jours », souffle-t-il encore.

S’ADAPTER À CHAQUE CAS S’attaquer aux mécanismes qui provoquent le passage à l’acte : c’est aussi ce qui anime depuis douze ans l’action menée par le Centre de ressources pour les auteurs de violence sexuelle (Cravs). « Nous sommes l’un des deux seuls centres de France à assurer directement le suivi des auteurs, que ce soit dans le cadre d’une obligation de soins ou d’une démarche spontanée, détaille Dr Jean-Georges Rohmer, le responsable du Cravs Alsace. Dans les autres régions, les missions sont dirigées uniquement vers les autres professionnels qui les

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accompagnent. Ici, nous intervenons sur les deux tableaux. » La prise en charge individuelle est toujours précédée par un bilan psychologique et psychiatrique, afin de s’adapter à chaque cas. « On ne propose pas la même chose à un multirécidiviste de viols qu’à un exhibitionniste. De même, les soins ne sont pas les mêmes selon que le sujet présente des troubles dépressifs ou schizophréniques », résume le psychiatre. Des thérapies médicamenteuses peuvent être prescrites, en association avec un suivi psychologique, sous forme de consultations individuelles ou en groupe. Lorsque l’obligation de soins prend fin, la prise en charge peut malgré tout se prolonger. « Parfois, cela fait des années que le travail est engagé, et un lien transférentiel s’est tissé avec le thérapeute et la structure », détaille Nolwenn Scholler, psychologue clinicienne du Cravs. Certains choisissent de poursuivre leur thérapie ailleurs, et d’autres encore l’interrompent totalement lorsque plus aucune mesure ne les y contraint.

DES MOIS, VOIRE DES ANNÉES Les deux professionnels insistent également sur l’importance du temps long, et regardent d’ailleurs d’un œil dubitatif les stages de responsabilisation répartis sur quelques séances seulement. « Il faut compter des mois, voire des années, pour

que la prise en charge des troubles sousjacents fonctionne, souligne Dr Rohmer. C’est une temporalité qui est parfois compliquée à faire entendre, et notamment à ceux qui nous demandent des comptes, mais elle est absolument nécessaire. » L’une des raisons évoquées est l’adhésion aux soins, qui se heurte souvent au déni des auteurs de violence. Leur prise en charge psychologique démarre alors par un travail sur ce mécanisme de défense, afin de faire émerger une prise de conscience plus personnelle. Qu’il s’agisse de prendre en charge les auteurs de violences conjugales, intrafamiliales ou sexuelles, ces dispositifs ont pu faire grincer quelques dents. « Certaines associations estiment que le budget alloué devrait bénéficier aux victimes, et non aux auteurs », rapporte Claire Rossini, de l’Arsea. Cette prise de position tend à s’estomper, que ce soit dans les milieux militants ou au sein du grand public. « Quand les gens vont mieux, le risque de récidive diminue. C’est prouvé scientifiquement par les initiatives mises en place dans plusieurs pays depuis trente ans », lâche Dr Rohmer. S’occuper des auteurs de violence, c’est donc aussi protéger leurs victimes. S

CTS : ourg : CONTA ace à Strasb ls A 0 Cravs 8.22.71.6 .62.16 03.88.11 rasbourg : 03.8 t CPCA S

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S ACT UA L I T É — TABL E RON DE Table ronde animée par Jean-Luc Fournier

Nicolas Roses

Table ronde SDF : le débat Depuis quelques mois, les équipes de notre magazine travaillent sur la problématique de cette table ronde et enquêtent dans l’hypercentre de Strasbourg en dialoguant avec les habitants, les commerçants, les usagers, les associations et bien sûr les personnes sans abri elles-mêmes. Mais aucun indicateur officiel n’est disponible pour évaluer la situation concrète et, au final, chacun ne peut exprimer que son propre ressenti en la matière. C’est la raison d’être de cette table-ronde autour de laquelle nous avons convié des spécialistes de ces questions dans une double intention : y voir plus clair d’une part et favoriser la réflexion sur des solutions allant au-delà de celles déjà connues de tous… LES PARTICIPANTS: Floriane Varieras, Adjointe à la maire de Strasbourg en charge de la ville inclusive et vice-présidente du CCAS (Centre communal d’action sociale) Gabrielle Clar, Porte-parole de l’association Abribus Florian Gesnel, Directeur de l’association L’Îlot David Allard, Gérant de l’enseigne Super U, Grand Rue / Rue du 22 Novembre à Strasbourg Éric Demonsant, Directeur du SAIO 67 (Service Intégré d’Accueil et d’Orientation du Bas-Rhin) Patrick Adler, Directeur de la publication de Or Norme Strasbourg

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Pour lancer cette table ronde, je voudrais donner d’entrée la parole à Patrick Adler pour qu’il synthétise les réactions que nous avons recueillies en dialoguant avec notre environnement, ici, à l’hypercentre de Strasbourg. Patrick Adler : « À la rédaction de Or Norme, nous pensons que cette thématique des sans-abri est un vrai sujet à Strasbourg, comme d’ailleurs, on peut le penser, dans la plupart des grandes agglomérations du pays. Nous avons tous des responsabilités qui nous amènent à fréquenter très souvent le centre-ville et on constate de façon flagrante qu’il y a de plus en plus de SDF qui s’installent de façon pérenne et de plus en plus à proximité directe des commerces. C’est surtout le cas autour de la place Gutenberg et des rues qui y mènent. Ces gens qui sont installés à demeure posent des problèmes aux commerçants et nous avons été frappés sur deux points, en interrogeant ces derniers. D’une part, leur résignation – « on ne peut rien y faire, c’est sans solution, disent-ils – et une forte exaspération d’autre part, qu’ils n’expriment pas seulement qu’en ce qui les concerne. Les №45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg

« Il y a quotidiennement des tensions extrêmes entre les gens qui sont dans la rue et le reste de ceux qui fréquentent l’hypercentre. » Patrick Adler

commerçants nous ont dit : « Après tout, j’arrive à 9h pour ouvrir mon commerce et j’en repars à 19h, mais je pense surtout à tous ces gens qui habitent dans les appartements du centre-ville, à ces petites dames qui n’osent même plus sortir de chez elles et qui, quand elles s’y résignent, se font agresser verbalement ». Si nous avons voulu enquêter sur ces sujets et organiser cette table ronde, c’est parce que nous sentons que quelque chose de très tendu est en train de germer et se mettre en place. Car beaucoup de gens sont à bout, cette situation peut donc déboucher potentiellement sur de véritables drames. Et notre sentiment est aussi que ça n’a jamais été aussi explosif qu’en ce moment. Il y a quotidiennement des tensions extrêmes entre les gens qui sont dans la rue et le reste de ceux qui fréquentent l’hypercentre. Pour être complet, on a également attiré notre attention sur le phénomène des bandes organisées en matière de mendicité, ce qui n’est pas tout à fait la même problématique que celle des sans-abri, mais vient encore renforcer les tensions dans la rue. Une des premières questions que nous S ACTUAL I TÉ

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Réunis autour de Jean-Luc Fournier, directeur de la rédaction de Or Norme et Patrick Adler, directeur de la publication (de dos), de gauche à droite : David Allard, Gabrielle Clar, Florian Gesnel, Floriane Varieras et Éric Demonsant.

« Je dois cependant dire qu’en ce qui me concerne, cette population qui est très visible devant mon magasin ne pose pas de problèmes particuliers. » David Allard

pouvons peut-être examiner ensemble serait peut-être de se demander s’il y a eu un réel afflux des SDF dans l’hypercentre et depuis quand. Une des choses qui nous a été affirmée, et à plusieurs reprises, est que l’abrogation de l’arrêté permettant de lutter contre la mendicité agressive, qui avait été voté sous l’ancienne mandature municipale, aurait abouti à une sorte d’appel d’air. Une forme de fraternité entre les SDF de tout le pays existerait et, dès qu’une ville, à tort ou à raison apparaîtrait comme plus tolérante qu’une autre, elle serait rapidement rejointe par d’autres SDF vivant ailleurs sur le territoire national. Aucun moyen n’existe pour vérifier ça, bien sûr… Alors peut-être pourrait-on commencer par recueillir votre sentiment à toutes et à tous sur ces constats… David Allard : Sincèrement, moi qui me confronte quotidiennement avec les thématiques que vous évoquez, je ne pense pas que ce soit pire qu’avant. En 20122013, j’avais à faire chaque jour à la fermeture de mon magasin de la Grand’Rue à quarante ou cinquante punks à chiens auxquels je devais faire face avec huit agents de sécurité que j’avais recrutés. Cette période-là a été très compliquée, vraiment, ces marginaux, qui me

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reconnaissaient, sont même allés jusqu’à cracher sur mon bébé quand je le promenais, ce qui m’a contraint à déménager du centre-ville. Ça a duré un an puis le problème a fini par s’autoréguler. Aujourd’hui, on n’a plus à gérer ce problème-là, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y en a pas d’autres. Je dépose à peu près 400 plaintes par an, pour vols et violences : ça peut paraître beaucoup, mais il faut quand même savoir que je fais 20 000 passages à la caisse par semaine. Sur ces 400 plaintes, 380 le sont pour vol – et les SDF constituent 70 à 80% de ces cas – et vingt seulement pour agressions, en général. Donc, dans le cas de mon magasin et du quartier où il se situe, il n’y a pas d’augmentation sur ce dernier point. Mais après avoir dit ça, moi qui côtoie mes collègues commerçants dans nos associations, je sens effectivement un certain ras-le-bol lié à la visibilité des SDF dans certains endroits bien précis de l’hypercentre de Strasbourg… Je dois cependant dire qu’en ce qui me concerne, cette population qui est très visible devant mon magasin ne pose pas de problèmes particuliers. Elle sait depuis longtemps qu’elle ne peut plus pénétrer à l’intérieur du magasin et sincèrement, ces gens-là ne posent pas trop de problèmes…

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« En fait, on parle souvent des SDF, mais nous, nous nous adressons aux précaires, au sens large… » Gabrielle Clar

Gabrielle Clar : À mon niveau, j’ai des chiffres qui sont sans doute de bons repères. Notre association existe depuis vingt-six ans, elle distribue des repas trois fois par semaine, sur une période qui va, chaque année, d’octobre à mai. La saison dernière, on avait distribué environ 19 500 repas. Pour la présente saison, on a arrêté la distribution début mai dernier, on a totalisé, à périmètre d’action constant, plus de 35 000 repas. Je pense que ces chiffres illustrent bien l’état de la précarité à Strasbourg : c’est une explosion totale, on n’avait jamais vécu ça… Maintenant, sur l’aspect violence, ce qui est un autre domaine, moi qui suis depuis huit ans à Abribus je me souviens qu’on a dû appeler la Police à une seule reprise. Une seule fois seulement, sur 35 000 repas distribués, il y a eu un SDF complètement ivre qui a sorti un couteau, mais qui a d’ailleurs fini par fuir lui-même avant l’arrivée des policiers… Quels types de publics aidez-vous ? Gabrielle Clar : Nous ne faisons pas de maraude, mais de la distribution alimentaire c’est-à-dire que nous fournissons des repas dans des lieux et à des jours et horaires réguliers. Ce ne sont

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pas les mêmes publics. Nos publics sont évidemment très variés : cela va des punks à chiens, comme on en parlait tout à l’heure, au clochard du coin. Cela concerne toutes sortes de publics et certains sont dans la très grande précarité : ils n’ont pas les moyens de se payer un logement ou, si c’est le cas, ils ne peuvent pas se payer une bouteille de gaz pour faire la cuisine, par exemple. Et on a aussi ce que l’on appelle les travailleurs pauvres. On y rencontre souvent le racisme, envers les Roms par exemple, ou les gens qui sont logés dans des hôtels dont on ne veut pas entendre parler « parce qu’ils viennent manger notre pain ». En fait, on parle souvent des SDF, mais nous, nous nous adressons aux précaires, au sens large… Éric Demonsant : Je pense qu’il faut définir ce qu’on entend par SDF, car il y a beaucoup de réalités différentes. En fait, il y a les sans domicile et il y a les sans-abri. Pour l’INSEE, les sans domicile sont ceux qui ont passé la nuit précédente soit dans un hébergement d’urgence soit à la rue ou dans un lieu non prévu pour l’habitation, un abri de fortune ou un squat par exemple. C’est

important de ramener ces quelques auteurs d’incivilité dont vous parliez à ce qu’ils sont : une statistique assez marginale vis-à-vis de l’ampleur du phénomène du nombre de personnes sans abri. Si on considère ces gens qui sont ceux que la maraude rencontre dans la rue, ils sont environ 250 actuellement à Strasbourg, un chiffre qu’il faut sans doute considérer comme inférieur à la réalité, car les différentes maraudes ne les rencontrent pas tous. Parmi eux, il y a une quarantaine de mineurs. Une partie sont des familles et une autre des isolés, en grande majorité des hommes. On y rencontre des grands précaires, qui n’ont connu que la rue : je ne connais pas les chiffres au niveau de Strasbourg, mais les enquêtes nationales disent qu’ils représentent 43% de la précarité. Si on parle maintenant des personnes qui sont en hébergement d’urgence, leur nombre est autour de 6 000 à Strasbourg : 2 500 environ sont à l’hôtel et 2 500 sont dans d’autres formes d’hébergements d’urgence… Je ne parle pas ici des demandeurs d’asile qui sont dans les CADA, les Centres administratifs pour demandeurs d’asile. Voilà la réalité des chiffres que nous connaissons sur Strasbourg. №45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg


Éric Demonsant

Vous parlez « d’autres formes d’hébergements d’urgence » que les hôtels. Vous pensez à quoi ? Éric Demonsant : Il y a plusieurs dispositifs qui existent. Je précise qu’il y a un raccourci qui est souvent fait quand on dit « qu’il n’y a pas de place au 115 ». En fait, le 115 ne dispose d’aucun local d’hébergement, il ne fait que répartir les sansabri dans les places existantes qui sont mises à disposition. Pour répondre à votre demande de précision, il y a deux sortes de solutions : pour les personnes isolées, il y a les solutions d’hébergements proposées par les associations, mais comme il y beaucoup plus de gens que de places disponibles, elles ont été contraintes de mettre en place des systèmes de roulement d’accueil. Pour les familles, on ne peut plus faire des orientations sur les solutions proposées par les associations, on nous a demandé de cesser de le faire. Ne restent donc que les places dans les hôtels… et ça se passe donc au comptegouttes, quand les critères de vulnérabilité sont réunis… Florian Gesnel, quelle est votre perception de ces problématiques au niveau de l’Îlot ? №45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg

Florian Gesnel : Nous voyons ça d’un peu plus loin puisque nous proposons une structure de logements avec un nombre de places bien défini et donc, par définition, nous sommes toujours pleins. À terme, nous proposerons quarante logements. Mais je voudrais dire qu’il y avait un biais dans votre première question : je pense qu’il y a effectivement une augmentation des sans-abri dans les rues de Strasbourg et qu’elle est liée à une multitude de facteurs, mais je ne crois pas trop, personnellement, à « Radio SDF » qui ferait venir tout le monde dans notre ville. La lutte contre la précarité dépend beaucoup des services de l’État et la politique de la mairie n’est pas forcément la même que celle de la Préfecture. Par rapport à ça, je ne suis pas sûr qu’aujourd’hui, Strasbourg soit la ville la plus hospitalière pour accueillir les personnes à la rue. En ce qui concerne leur nombre qui serait en augmentation, il y a plusieurs explications : le Covid, qui est passé par là, le fait que nous soyons aussi une ville qui est un carrefour européen où se déposent beaucoup de demandes d’asile. En ce qui concerne la perception que nous avons de tout

« C’est important de ramener ces quelques auteurs d’incivilité dont vous parliez à ce qu’ils sont : une statistique assez marginale vis-à-vis de l’ampleur du phénomène du nombre de personnes sans abri. » Éric Demonsant

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Florian Gesnel

« Je pense qu’il y a une question de ressenti et que cela nécessite de la pédagogie. » Florian Gesnel

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ça, et sans refaire un cours universitaire sur l’histoire des politiques sociales, il y a cette peur du pauvre qui existe depuis le Moyen-Âge. Peut-être aurait-il été nécessaire d’avoir un policier autour de la table qui nous aurait précisé le nombre de plaintes qui sont déposées pour des agressions par des SDF, je ne suis pas sûr qu’il y en ait beaucoup… David Allard : Vous savez bien que toutes les plaintes envisagées dans un premier temps ne sont pas toutes déposées effectivement… Patrick Adler : Dans le cadre de notre enquête, nous avons questionné la Police municipale. Ils nous ont confirmé qu’aujourd’hui, ils sont souvent dans l’incapacité d’intervenir. On nous a parlé de ce cas, cet hiver, dans une rue du quartier-Gare, de ce couple de jeunes qui avait installé à demeure sur le trottoir un matelas qu’il avait récupéré dans un hôtel. Tant que ce matelas n’est pas devant l’entrée d’un commerce ou d’un immeuble, on ne peut rien faire, a répondu la Police municipale à des riverains qui se plaignaient. Ce ne sont pas des véritables agressions, ce sont des incivilités, mais les gens n’en peuvent plus…

Florian Gesnel : Je pense qu’il y a une question de ressenti et que cela nécessite de la pédagogie. C’est aussi une question de visibilité : Strasbourg n’est pas une ville qui pratique la chasse aux SDF. Et si cela se pratiquait, ça n’irait pas loin, les SDF sont rarement dans la rue par choix. Floriane Varieras, quelle est la perception que l’adjointe à la Ville inclusive que vous êtes devenue il y a deux ans a de ces questions-là ? Notamment sur le fait qu’il y a eu, et peut-être existent-ils encore, des débats très nerveux entre la préfète du Bas-Rhin, c’est-à-dire l’État, et la maire de Strasbourg, sur ces mêmes questions… Floriane Varieras : C’est assez clair. Sur la grande précarité, la Ville n’a aucune compétence en matière d’hébergement. Légalement, c’est la préfecture. En revanche, la Ville fait de l’accompagnement social en direction des personnes qui sont à la rue. Elle organise elle-même une maraude, elle a ouvert « La Bulle », un espace de soins et d’hygiène pour les sans-abri. Et bien sûr, la Ville soutient les associations qui tentent de venir en aide à ces personnes, par l’intermédiaire de subventions ou d’aides matérielles au cas par cas. La responsabilité de

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« Pour répondre à votre interrogation initiale sur l’augmentation des sans-abri dans nos rues, je pense plutôt qu’il y a des situations qui se cristallisent. » Floriane Varieras

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la prise en charge de ces publics dépend donc essentiellement de l’État, la Ville n’intervient que dans des interstices pour faire en sorte que leur vie soit le moins pénible possible et la période pendant laquelle ils seront à la rue soit la moins longue possible. Depuis votre arrivée à la tête de la municipalité strasbourgeoise, vous avez renforcé les moyens, humains par exemple ? Floriane Varieras : Oui. Au niveau de la maraude du CCAS, il y a cinq personnes désormais, contre trois auparavant. Par ailleurs, 2 500 personnes étant domiciliées juridiquement au point d’accueil de ce même CCAS à la Place de l’Étoile, nous avons renforcé à la fois les personnels d’accueil et les travailleurs sociaux. Il y a bien sûr la prise en charge des personnes sous addiction, qui ne sont pas toutes des personnes dans la précarité. Et puis, même si ça n’entre pas dans leurs obligations légales, la Ville et l’Eurométropole ont financé 400 places d’hébergement qui rentrent dans le pot commun géré par le SAIO. Mais pour répondre à votre interrogation initiale sur l’augmentation des sans-abri dans nos rues, je pense plutôt qu’il y a des situations qui se cristallisent, Gutenberg étant un exemple et pas mal

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d’autres qui sont mouvantes, certaines que ce délai n’était pas suffisant pour soidisparaissant, d’autres réapparaissant… gner ces gens. Un problème qui perdure d’ailleurs et face à ce problème, la Ville PatrickAdler : Il y a bien sûr cette augmen- est bien sûr très démunie… tation de la précarité constatée au niveau national. Mais avez-vous constaté préci- Pour en arriver aux solutions qu’il fausément une augmentation du nombre des drait mettre en œuvre, dont certaines SDF après l’abrogation de l’arrêté munici- nouvelles, pourquoi pas, que pourrait-on pal anti-mendicité agressive ? imaginer pour apporter ne serait-ce qu’un début d’amélioration à la situaDavid Allard : Je me permets d’intervenir tion très tendue qu’on connaît ? sur cette question, si vous permettez. Je Gabrielle Clar : Les réponses sont au vais donner un avis apolitique. Je pense niveau de la politique nationale, et pas seuque cette mesure n’avait aucun intérêt et lement à Strasbourg. Il n’y a qu’à voir au que ses motivations étaient essentielle- niveau des migrants, par exemple : on a à ment politiques. Elle a été prise pour des faire à des gens qu’il faut prendre en charge raisons politiques. Et abrogée pour des pendant des années parce que leurs dosraisons politiques aussi… siers ne sont pas traités dans des délais acceptables. Si on leur donnait des papiers Floriane Varieras : Pour répondre à votre plus vite, plus vite on les sortirait de la précaquestion le plus précisément possible, la rité, et on aurait plus de places à terme dans situation à Strasbourg est plus liée à l’aug- les logements d’urgence. Une autre politique mentation générale de la précarité. Mais il au niveau national permettrait de dégager y a aussi un effet Covid. On a réussi glo- plus de moyens pour les travailleurs sociaux, balement à limiter les dégâts pour les per- ce qui permettrait de sortir de la rue une sonnes à la rue, je trouve, même si on a eu bonne partie des gens qui y sont actuelleà faire face à pas mal de personnes qui ment. Ce n’est pas juste à Strasbourg qu’on a auraient dû être prises en charge par des à gérer la politique d’accueil, la politique du instituts psychiatriques et qui ne l’ont pas logement. Nous, les associations, on est là été parce qu’il n’y avait pas de place ou pour faire de l’urgence, finalement. seulement pendant trois semaines, alors On fait du colmatage…

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« Je pense que cette mesure n’avait aucun intérêt et que ses motivations étaient essentiellement politiques. » David Allard

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Patrick Adler : A-t-on l’exemple de pays comparables au nôtre où on pratique différemment et où des résultats peuvent être analysés ?

Floriane Varieras : Il y a la Finlande qui pourrait nous inspirer. Ils ont lancé le modèle du housing first, le logement d’abord. Strasbourg fait partie des premières villes en France qui ont souhaité expérimenter ce système qui a bénéficié de budgets d’État. Il a vraiment démarré l’an passé : un travailleur social dédié va accompagner la personne, trouve un logement avec elle et l’accompagne tant qu’elle le souhaite. L’arrêt éventuel du suivi n’interrompt pas l’accès au logement, car la personne est détentrice du bail, comme n’importe quel locataire. Mais il a fallu au moins six ans à la Finlande pour commencer à afficher des résultats probants… Florian Gesnel : Il faut bien reconnaître que le système de logement « à la française » a atteint ses limites. Le logement social est lui aussi impacté par les prix du logement à Strasbourg. Il va bien falloir trouver le moyen qu’il puisse se développer sur ses besoins spécifiques, sans quoi

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on n’y arrivera pas via le seul parc privé. Concernant les personnes dans la précarité, rien dans leur parcours n’est linéaire. Ça prend du temps pour qu’une personne soit prête à habiter seule. Ça ne marche pas toujours et l’action sociale, ça coûte cher. La précarité est d’ailleurs son parent pauvre… et ça prend beaucoup, beaucoup de temps pour que les gens parviennent à en sortir… Les gens n’arrivent pas spontanément à la rue, c’est la société qui les y mène. Et certains sont très abîmés : je connais le cas de l’un d’entre eux qui a pu bénéficier d’un logement pérenne. Il a fallu six mois, entre le moment où on lui a remis ses clés et sa décision d’y passer sa première nuit... Éric Demonsant : Il faut à mon sens que Strasbourg poursuive ses efforts sur sa politique du logement d’abord. Ça fait sens. L’idée est bien de dire que c’est à nous, acteurs publics ou associatifs, de nous adapter aux besoins spécifiques de la personne et d’y répondre. Dans toute cette problématique, le manque de logements abordables est criant. Les propriétaires qui lisent Or Norme savent-ils qu’il existe un dispositif très intéressant pour eux qui leur permet de confier la gestion

de leur bien à une association qui va prendre le bail à son nom et ensuite, le louer à une personne en situation précaire ? À mon avis, ce type de dispositif est mal connu et pourtant, il garantit au bailleur privé le versement d’un loyer régulier, sans vacances locatives. Florian Gesnel : Et si ce propriétaire concède un loyer plus modeste que dans le parc privé classique, il peut même défiscaliser une partie de ses revenus… Floriane Varieras : Au niveau de l’Eurométrople, il y a aussi la plateforme FAC’il qui permet ce système que vous évoquez… Mais, au niveau de la politique municipale, je pense qu’il faut miser beaucoup sur le logement d’abord, c’est une voie très prometteuse… Gabrielle Clar : La société dans laquelle nous vivons est malade… c’est le principal problème. Florian Gesnel : Cependant, que ce soit au niveau des associations ou des politiques publiques, il y a un énorme boulot qui est fait. Mais c’est un boulot d’interstices qu’on a du mal à remarquer… » S №45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg


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S ACT UA L I T É — MA IS ON IN TERGÉNÉ RAT IONNE LLE Jean-Luc Fournier

Nicolas Rosès – DR

La Bonne Étoile

mmanuel Kling, 57 ans, est un ex-professionnel du bâtiment qui affiche « trente ans d’activité en tant que promoteur immobilier ». Il préside aux destinées de l’association qu’il a rejointe en tant que bénévole depuis une quinzaine d’années. Il en résume en peu de mots les objectifs : « Il s’agit d’aider les personnes qui ont eu un accident de la vie, de les loger avec des conditions de loyers abordables et de les accompagner pour leur permettre de rebondir. Les bailleurs classiques n’ont évidemment pas le temps de le faire et si nous, nous y parvenons, c’est parce que nous pouvons compter sur beaucoup de bénévoles d’une part, mais aussi des salariés. Ce modèle est tout à fait unique sur ce créneau… »

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Habitat intergénérationnel La Bonne Étoile : un surprenant et séduisant modèle pour le « vivre ensemble ». Face à la galerie marchande de Rivétoile, à l’entrée de l’avenue du Rhin à Strasbourg, un immeuble dont l’extérieur ne raconte rien de plus que cette triste succession de tant d’autres sur cet axe qui concentre à lui seul tant de tares de l’époque. Mais il est joliment nommé « La Bonne Étoile ». Et une fois la porte poussée, c’est une tout autre histoire qui apparaît, où il est question d’humanisme, d’insertion, de liens authentiquement solidaires et de solitudes brisées. Bienvenue chez Habitat & Urbanisme Alsace-Nord… 84

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Au tour de Murielle Bour, la directrice de l’association, de préciser plus avant son fonctionnement : « Nous existons depuis trente-cinq ans au niveau national » ditelle. « C’est à la fois beaucoup, mais peu, pour bénéficier en tout cas d’une notoriété spontanée appréciable. Habitat & Urbanisme Alsace-Nord existe, elle, depuis 2008. Nous avons deux canaux pour aider à fournir un logement : une société civile foncière qui peut devenir propriétaire comme c’est le cas ici dans notre immeuble de l’avenue du Rhin, mais nous agissons aussi par le biais de la mobilisation du parc privé existant à des fins sociales. Ainsi, dans le Bas-Rhin, le levier des propriétaires solidaires comme nous les appelons, est assez conséquent : ils sont 195 et ça représente 247 logements. Auxquels il faut ajouter les 89 logements qui sont la propriété de la société civile foncière. Il me faut tout de suite préciser que nous logeons ces personnes, c’est-à-dire qu’elles sont locataires chez nous ou chez les propriétaires solidaires qui, en contrepartie, bénéficient d’avantages fiscaux intéressants. »

LA GENÈSE DE LA BONNE ÉTOILE Nous réalisons vite que nous sommes là face à un modèle économique performant. Murielle Bour nous apprend qu’au niveau de la société civile foncière, deux levées de fond de 12 millions d’euros chacune sont réalisées chaque année. « Ce modèle clairement capitalistique est reconnu par l’Autorité des Marchés financiers » précise Francis Ehrhart, le trésorier de l’association №45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg


« Il s’agit d’aider les personnes qui ont eu un accident de la vie. »

Opéra national du Rhin Saison ’22’23

Emmanuel Kling

Si l’expression « bien vivre ensemble » est depuis bien longtemps accommodée à toutes les sauces en matière de logement social, elle trouve ici une application très concrète. Depuis août 2020, La Bonne Étoile offre 45 logements à des jeunes étudiants ou salariés de moins de trente ans, à des familles monoparentales et à des personnes âgées en situation de précarité ou des personnes en situation de handicap. L’immeuble comporte également des espaces communs comprenant une cuisine collective et un espace pour les activités de la maison intergénérationnelle et de l’association locale Habitat et Humanisme Alsace Nord. Cet espace peut également s’ouvrir à d’autres partenaires. Un salon, une laverie commune (trois machines à laver et deux sèche-linge), un local à vélos et poubelles, un jardin avec terrasses et bacs de jardinage occupent également le lieu. « Ce projet remonte à huit ans », se souvient Emmanuel Kling. À l’époque il a fallu convaincre le propriétaire du terrain, le Conseil départemental du Bas-Rhin, et pour cela, nous avons fait visiter aux élus notre toute première maison intergénérationnelle qui se situe à Lyon, le berceau d’Habitat & Humanisme qui, à ce jour, réunit 57 associations locales couvrant 80 départements. Nous les avons convaincus que nous pouvions mettre en œuvre à Strasbourg un véritable projet innovant. Ils nous ont alors soutenus pour créer l’Agence Immobilière à Vocation Sociale qui a pu répondre ensuite à un appel d’offres mixte entre la CUS, à l’époque, et le Conseil départemental. Nous avons répondu en mixant le junior et le senior dans notre proposition et c’est ainsi que cette maison a pu voir le jour. №45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg

© Laura Junger

(un ex-directeur administratif et financier aujourd’hui à la retraite). « Ce qui m’a plu chez Habitat & Humanisme, c’est à la fois d’être en permanence dans l’innovation, mais aussi d’avoir les moyens de réaliser nos projets, c’est-à-dire allier l’économique et le social » surenchérit Emmanuel Kling.

Opéra Histoire(s) d’opéra Until the Lions Thierry Pécou Le Chercheur de trésors Franz Schreker La Flûte enchantée W. A. Mozart Petite Balade aux enfers C. W. Gluck La Voix humaine Francis Poulenc / Anna Thorvaldsdottir Cenerentolina Gioachino Rossini Candide Leonard Bernstein Le Couronnement de Poppée C. Monteverdi Le Conte du Tsar Saltane N. Rimski-Korsakov Turandot Giacomo Puccini

Danse Le Joueur de flûte Béatrice Massin Until the Lions Thierry Pécou Giselle Adolphe Adam / Louise Farrenc Martin Chaix Spectres d’Europe Lucinda Childs David Dawson / William Forsythe * * *

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(de gauche à droite) Emmanuel Kling, Murielle Bour, Francis Ehrhart

« Ce qui m’a plu chez Habitat & Humanisme, c’est à la fois d’être en permanence dans l’innovation, mais aussi d’avoir les moyens de réaliser nos projets, c’est-à-dire allier l’économique et le social. » « Notre mission ne s’arrête pas à l’édification des maisons telles que La Bonne Étoile intervient Francis Ehrhart. Il nous faut ensuite mettre en œuvre et poursuivre l’indispensable accompagnement de nos locataires. Nous nous appuyons sur nos bénévoles, certes, mais il faut aussi professionnaliser, à un moment donné. Le challenge est donc de repérer ces professionnels, trouver les moyens de les rétribuer de façon pérenne et ensuite les recruter et les former. »

DÉNICHER DES MÉCÈNES « Ici, deux salariés interviennent directement à La Bonne Étoile, la personne responsable de la Maison intergénérationnelle et une animatrice habitat inclusif qui intervient auprès des personnes en situation de handicap et également auprès des personnes âgées. En outre, quatre bénévoles s’impliquent également ici, de façon très régulière… » précise Murielle Bour qui se félicite aussi d’un bilan « humain » positif : « Globalement, ça se passe bien, et à tous les étages. Les quelques tensions se résorbent assez vite et sont somme toute assez rares, mais il faut bien comprendre que nous ne sommes clairement pas ici dans le cadre d’un foyer d’accueil, avec des règlements stricts qui s’imposent à tous : les gens sont chez eux, intégralement… »

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Questionné sur l’éventuelle généralisation de telles maisons intergénérationnelles, Emmanuel Kling se veut réaliste : « Le revers de la médaille de ce type de projets est qu’on ne se situe ni dans des cases ni dans des lignes budgétaires précises. Ici, par exemple, pour financer les 60 m2 d’espaces communs, il nous a fallu trouver des financements qui ne figuraient dans aucune des ressources conventionnelles. Dans ce cas, c’est la Fondation des Promoteurs Immobiliers (FPI) qui a permis de financer cet investissement. » « Avec l’ouverture de cette Maison, l’association a vraiment changé d’échelle » précise Francis Ehrhart. « Auparavant, nos besoins de fonctionnement étaient couverts par l’aide de promoteurs immobiliers amis grâce un gala annuel qui nous rapportait 20 ou 25 000 € sans problème. La donne a changé aujourd’hui : il nous faut quatre à cinq fois plus. Nous connaissons à peu de choses près les montants des dons des particuliers et des entreprises ; pour cette année, par exemple, il nous reste à trouver près de 130 000 €. Nous sommes en train de mettre en route la machine à dénicher les mécènes et les fonds… » « Je suis persuadé que l’avenir se situe dans une synergie plus grande avec d’autres associations qui poursuivent des buts communs ou très proches des nôtres » conclut Emmanuel Kling. Beaucoup de choses se passent, et autant elles que nous, ne sommes pas forcément au courant. Il y a des pistes très intéressantes qu’il nous faut mieux suivre… » S

Bernard Devert, le fondateur lyonnais d’Habitat & Humanisme il y a 35 ans, est un ex-promoteur immobilier devenu prêtre après une étonnante rencontre avec une locataire qu’il avait dû expulser d’un immeuble « en arrêté de péril » dont il avait fait l’acquisition. Cette locataire avait fait une tentative de suicide, il avait tenu à la rencontrer à l’hôpital et elle lui avait alors asséné : « Vous n’êtes pas tout à fait un salaud puisque vous êtes venu me voir, mais avec votre argent, vous avez quand même le pouvoir d’expulser les gens… » La suite de cette histoire directement à l’origine de la naissance d’Habitat & Humanisme est à découvrir avec le lien suivant : https://youtu.be/ gjlYUYZyPZ4 Depuis sa création en 1985, Habitat & Humanisme a logé plus de 30 000 familles.

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S ACT UA L I T É — F ESTIVA L Erika Chelly

Nicolas Rosès - Laurence Laborie - DR

Festival La belle santé de Wolfijazz Du 22 au 26 juin prochain, le Fort Kléber à Wolfisheim va de nouveau résonner aux notes de la douzième édition de son Wolfijazz, un festival qui ne cesse d’étonner par la qualité de sa programmation et le professionnalisme de ses organisateurs. Après une édition 2021 qui avait enfin signé un début de « retour à la normale » après la disette due au virus, cette douzième édition de ce festival attachant devrait être « l’éclate » attendue !

ur l’affiche, il y a un nom qui claque, plein de promesses. Melody Gardot sera sur la scène de Wolfijazz le jeudi 23 juin. On ne présente plus cette auteure compositrice interprète (37 ans) dont la voix suave et aérienne s’est imposée dès la sortie de son premier album, Worrisome Heart, en 2006. Six autres lui ont succédé depuis… Refusant rarement une participation à l’album d’un artiste qu’elle apprécie, Melody Gardot cultive un style qui mélange beaucoup d’influences, du jazz vocal à la bossa-nova sans oublier le folk, le rock, le scat et même le fado… La France et Paris font régulièrement partie de ses endroits de résidence. Il y a fort à parier que cette soirée du 23 juin sera rapidement sold-out d’autant que la programmation a également prévu la présence sur scène du violoniste Florin Niculescu, déjà considéré comme l’héritier du mythique Stéphane Grapelli. Kimberose (Soul, France), Popa Chubby (Blues-Rock, USA), Daniel Zimmermann (et son album en hommage à Serge Gainsbourg), Fuz Quartet (Jazz Fusion, France), Panam Panic (Jazz, France) et Ceux qui Marchent Debout (Funk, France) complètent cette excellente programmation…

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Programmation à jour et billetterie en ligne sur www.wolfijazz.com

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Quatre questions à… Jean-Noël Ginibre, programmateur Un boulot à temps plein ? Quasiment. Toute l’année, je suis tout et avec méticulosité : les artistes, les producteurs, les sorties d’albums à l’étranger, en France… J’essaie aussi de faire bénéficier mes dates de toutes les opportunités possibles. La venue de Melody Gardot s’insère dans une tournée déjà prévue depuis longtemps…

Ci-dessus : Melody Gardot À droite : Jean-Noël Ginibre

« Il y a une génération de jeunes musiciens qui pousse et veut s’emparer du jazz. S’ils y parviennent, le public suivra » №45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg

Douze ans pour un festival de jazz, c’est un début de maturité ? Bien sûr, les plus anciens festivals de jazz en France sont hors d’atteinte : Antibes, Vienne… ont quand même cinq ou six décennies au compteur. Mais c’est très particulier, le jazz : généralement, on considère qu’un festival est installé au bout de six ou sept éditions. C’est la douzième cette année à Wolfisheim et Wolfijazz est le plus ancien festival du réseau Spedidam (le nom d’un organisme préleveur et distributeur des droits des artistes-interprètes – ndlr) qui organise treize dates estivales dans toute la France que je programme également. Wolfijazz, toujours organisé à la fin du mois de juin, sert traditionnellement à lancer chaque année la saison d’été en France…

Hormis la Diva Jazz-Pop comme on l’appelle, un mot sur l’une ou l’autre affiche de la programmation 2022… Le même soir que Melody Gardot, il y aura Florin Niculescu et son hommage à Stéphane Grappelli. Côté jeunes talents, je pointerais David Zimmermann qui se lance pour son troisième album dans une relecture très personnelle de l’œuvre de Serge Gainsbourg et le groupe local Fuz Quartet avec sa chanteuse ukrainienne Yuliia Vydovska, une ex du Conservatoire de Strasbourg. Le dernier soir, Ceux qui Marchent Debout vont mettre le feu, j’en suis sûr !... Un dernier mot. Il y a un vieux serpent de mer concernant le jazz, celui de l’indispensable renouvellement du public… Oui, on en parle depuis très, très longtemps maintenant. Ce que je sais, c’est qu’il y a une génération de jeunes musiciens qui pousse et veut s’emparer du jazz. S’ils y parviennent, le public suivra, c’est une évidence pour moi… S S ACTUAL I TÉ

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Christophe Raynaud de Lage

Pantins identiques

Chorégraphie Inverser Pinocchio, un jeu d’enfants Le spectacle Pinocchio Live#2, d’Alice Laloy, met en scène une dizaine d’enfants qui se transforment en pantins, guidés par des Gepettos complices. Une désarticulation qui met mal à l’aise les adultes, mais ne choque pas les jeunes danseurs, issus du Centre chorégraphique de Strasbourg.

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u début, les dix enfants courent, grimpent, discutent entre eux, s’amusent : bref, ils sont pleins

de vie. Ca ne va pas durer… Dix jeunes adultes, en costume gris et sabots de bois, poussent chacun un établi. Ils sont les Gepetto de cette version inversée du conte de Pinocchio. Les enfants se juchent sur les établis, et l’on assiste à leur transformation en pantins. « Je viens de la scénographie et du costume, donc le processus du marionnettiste qui anime des objets m’est intime, explique Alice Laloy, qui a conçu et mis en scène Pinocchio Live #2. À l’occasion d’une commande en photo, j’ai commencé à déguiser des enfants en pantins. Le résultat m’a à la fois fascinée et déplacée. J’ai eu envie d’explorer encore ce processus qui passe du vivant

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« Leur performance physique est impressionnante. Ils sont inanimés pendant 45 minutes : ce n’est pas quelque chose qu’on relie à l’enfance habituellement. » Alice Laloy

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à l’inanimé. » Elle en a donc fait un spectacle de 70 minutes, créé lors du festival d’Avignon en juillet dernier. Douze jeunes élèves du centre chorégraphique de Strasbourg, âgés de dix ou onze ans, ont été sélectionnés. Six mois de travail leur ont permis de s’approprier la partition imaginée par Alice Laloy et sa sœur Cécile, chorégraphe. « Leur performance physique est impressionnante. Ils sont inanimés pendant 45 minutes : ce n’est pas quelque chose qu’on relie à l’enfance habituellement », poursuit la metteuse en scène. C’est le fruit d’un engagement important, à la fois moral et physique. « Il faut parfois rester immobile dans des positions inconfortables, décrit Anaïs Rey-Trégan, une jeune danseuse. Une contorsionniste nous a aidés à trouver les bonnes postures. »

DÉSARTICULÉS S’ils fonctionnent tout au long du spectacle en binôme avec « leur » Gepetto (des étudiants comédiens du Cycle à orientation professionnelle du Conservatoire à rayonnement régional de Colmar), les Pinocchios attirent tous les regards. Des regards parfois troublés devant ces enfants peints, maquillés, reliés à des cordes, aux membres presque désarticulés. « Nos yeux sont fermés ou mi-clos pendant presque

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tout le spectacle, puisqu’on a de faux yeux collés sur les paupières. Mais on entend les gens du public qui retiennent leur respiration ou font des “oh” », s’amusent Sarah Steffanus et Romane Lacroix, deux autres petites danseuses. Du côté des parents, le projet est à la fois impressionnant et source d’interrogations. « L’univers est très particulier et il peut y avoir un petit malaise à voir son propre enfant se transformer en marionnette, souligne Valérie Trégan. Mais eux ne sont pas mal à l’aise, et ils sont tous restés eux-mêmes. » Edgar Ruiz Suri s’étonne presque que l’on s’interroge. « Deux amis de ma classe ont vu le spectacle, mais ça n’a rien changé à la façon dont on est ensemble, ou à comment ils me voient », assure le jeune garçon. L’an prochain, Pinocchio ira prendre d’autres traits. « Le spectacle n’est possible que dans cette forme éphémère », affirme Alice Laloy. Les danseurs ont aussi grandi, physiquement, et ne seront bientôt plus de jeunes enfants. Ils passeront donc le relai à d’autres élèves, dans une autre ville de France. « On savait que ça allait se terminer », philosophent-ils, avant de filer jouer... bien vivants ! Les vidéos et la suite de l’aventure sont à retrouver sur le site de la Cie S’appelle Reviens : www.sappellereviens.com S №45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg


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Anthony, Sullivan et Nicolas Beyer (de gauche à droite)

Bye bye le sucre À fond les fruits, les confitures Beyer innovent… « Comme Obélix, nous sommes tombés dans le chaudron dès notre enfance », s’amusent Anthony, Nicolas et Sullivan Beyer. Si ce n’est que pour eux il s’agissait de confiture et pas de potion magique. Quoique… N’y a-t-il pas un peu de magie dans la confiture ? 104

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ous trois travaillent dans « la plus ancienne confiturerie familiale française », titre dont ils ne sont pas peu fiers lorsqu’ils évoquent Charles et Julie, les « grands-parents de leurs grands-parents » qui ont décidé en 1921 d’axer leur épicerie mulhousienne sur leur produit phare fabriqué maison. À l’époque les confitures Beyer s’appelaient « L’Hirondelle mulhousienne » et produisaient une confiture d’églantine dont la recette a perduré jusqu’à aujourd’hui. Depuis les années 1990, Philippe Beyer et sa sœur Delphine, père et tante des trois frères, sont désormais à la tête d’une entreprise qui n’a perdu ni son allant ni son ancrage local puisque c’est à Pfastatt en banlieue mulhousienne qu’elle a déployé ses 4 500 m2. « Sous marque Beyer ou sous marque de distributeur, les confitures représentent 70 à 75 % de notre chiffre d’affaires, précise Sullivan, les “fruits préservés” 25 à 30 %. Nous avons introduit les confitures bio en 2009 et les confitures allégées en 2017. On trouve nos produits partout en France et dans quasi toutes les grandes surfaces du Grand Est. »

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Implantées dans l’HORECA, les confitures Beyer n’apparaissent cependant pas sur la table des petits déjeuners hôteliers. Question de format et de conditionnement. Le plastique et les opercules n’ont pas cours dans une entreprise qui n’utilise que le verre 100 % recyclable, raison pour laquelle elle a renoncé aux compotes désormais consommées version nomade dans une petite « gourde », à l’heure du goûter des enfants.

96 % DE FRUITS ET ZÉRO SUCRE AJOUTÉ : LA CONFITURE QUE LES DIABÉTIQUES N’ATTENDAIENT PLUS… PME familiale sereine face aux grands groupes tels qu’Andros, les Confitures Beyer ont frappé fort et juste à la fin de l’année dernière en proposant un produit nouveau, fruit de deux ans de recherche menées avec le professeur Michel Pinget, directeur du Centre européen du diabète à Strasbourg. « Certes, précise Philippe, des confitures pour diabétiques existent déjà,

« De notre côté, nous avons poussé à 96 % la quantité de fruits, c’est ce qui nous différencie. » Philippe Beyer

mais elles contiennent de l’aspartam, de l’eau et du moût de raisin. De notre côté, nous avons poussé à 96 % la quantité de fruits, c’est ce qui nous différencie. Le jus de citron permet de maîtriser la gélification et, sur les conseils du Centre européen du diabète, nous avons opté pour le sucralose, un sucre de synthèse sans effet sur la glycémie ». L’appellation « confiture » étant strictement encadrée du point de vue des teneurs en sucre et en fruits, ce nouveau produit Beyer a été baptisé « Fruits à tartiner ». Son intérêt pour les diabétiques est précisé sur le couvercle, mais pas sur l’étiquette, car il peut être consommé – et apprécié – par toutes celles et ceux qui souhaitent diminuer leur consommation en sucre. Un produit « sain et sincère », commente Sullivan. Et qui affiche un nutriscore A, une première dans le spectre, ici élargi des confitures. Avec dix fruits à la carte : églantine, mirabelles, figues, oranges, quetsches, rhubarbe, framboises, abricots, fraises et myrtilles. On le trouve dans toutes les grandes surfaces de la région, mais pour les Strasbourgeois « qui font leurs courses à pied », note la famille Beyer, il n’y a guère à ce stade que le centre Leclerc de Rivétoile qui le propose. Qu’à cela ne tienne, le temps fera son œuvre et les « Fruits à tartiner » trouveront leur place dans les rayons des plus petites surfaces citadines où l’espace est compté. Philippe et ses fils en sont persuadés. Issus de la 5e génération, ceux-ci sont passés par tous les postes d’une entreprise où ils jouaient à cache-cache étant enfants. « Elle fait partie de nos vies, raconte Sullivan. Nous en parlons au quotidien et sans barrière puisque nous avons tous le même but et le même statut ». Tous disent leur besoin d’un métier qui « fait sens ». Et quoi de plus important que d’accompagner en douceur et en saveur le premier repas de la journée ? En témoignent la quinzaine de messages dispensés au revers des couvercles des confitures Beyer : « Souriez c’est fruité », « Le bonheur à portée de cuillère », « Je suis votre bonheur du matin », etc. Que des mots doux et vitaminés… S

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c yer.alsa

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S ACT UA L I T É Barbara Romero

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Rencontres L’amour sans algorithme

Nadine Veil (à gauche) et Vanessa Chamszadeh ont lancé leur Agence sentimentale

i les sites de rencontres ont le mérite d’exister, ils ont bien sûr leurs limites. Après leur divorce respectif, Vanessa Chamszadeh, 52 ans, et Nadine Veil, 54 ans, en ont fait les frais et en sont vite revenues. « Je n’ai jamais osé me géolocaliser à Strasbourg, je n’assumais pas d’être sur un site », confie Vanessa. « Quand j’étais sur Happn, je voyais le mari qui déposait les enfants à l’école alors qu’il était inscrit…, se souvient Nadine. On a fait des rencontres, mais ça n’a jamais rien donné. » « Sur un site, tu as un stock illimité de profils, un peu comme un supermarché de l’amour ! », rebondit son associée et amie. Exit aussi les papillons dans le ventre. « Les algorithmes vous promettent l’amour, car vous aimez tous les deux le théâtre, les films d’auteur… C’est la promesse d’une belle histoire, alors que finalement ils nourrissent votre imaginaire. » Et là, patatras : celui qui devait être votre prince charmant s’avère marié, inélégant, voire odieux… « C’est vraiment un full time job de décrypter les codes des sites, se souvient Nadine. Les gens ont l’impression de rompre leur solitude, mais en fait ils y passent un temps fou. »

L’agence sentimentale, « c’est l’amour sans algorithme ». Une agence qui « ré-humanise » le lien, redonne du sens à la rencontre dans le monde réel, avec le coup de pouce de deux bonnes fées, Vanessa Chamszadeh et Nadine Veil, deux amies d’enfance, toutes deux déçues des sites en mode « supermarchés de l’amour », entre Strasbourg et Paris.

agence de rencontres. » Pas une agence matrimoniale, c’est bien trop ringard. Mais une agence, entre Strasbourg et Paris, qui reviendrait aux fondamentaux de l’amour : la rencontre, le lien, dans la vie réelle. Toutes deux fascinées et spécialistes des relations humaines – Vanessa est coach et anime l’émission littéraire bien-nommée La conversation sur la chaîne de Michel Onfray, et Nadine a mené une carrière éclectique avec toujours l’humain au cœur de ses préoccupations – elles se lancent dans l’aventure en février dernier avec cet objectif de permettre de retrouver « l’amour sans algorithme ». « Le COVID nous a confortées dans notre idée, on a vu tellement de séparations, de difficultés dans le couple, beaucoup de solitude aussi, rappellent-elles. Nous proposons de ré-humaniser la relation, avec un vrai accompagnement, sans perte de temps. » À Paris ou à Strasbourg, Nadine et Vanessa commencent leur job par un entretien approfondi, mettant en lumière les valeurs, centres d’intérêts de chacun. « Notre série de questions, très poussée, nous permet de mieux cerner la personne, ses attentes, ses envies. Cela se déroule de OBJECTIF : manière assez fluide, sans volonté d’être intrusives, au contraire. » RÉ-HUMANISER Les entretiens sont évidemment confiLA RELATION… dentiels, et Nadine et Vanessa cherchent Un jour de décembre 2019, Nadine lance à ensuite le match parfait. En trois mois son amie d’enfance : « Et si on ouvrait une d’activité, elles ont déjà permis à quatre

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couples de se former ! « C’est du boulot, sourient-elles. Ce que l’entretien apporte en plus, c’est que l’on peut amener les personnes à revoir certains critères, car on sait qu’il y a un vrai potentiel même si l’autre ne coche pas toutes les cases. » Comme pour cette femme de 45 ans qui ne voulait absolument pas rencontrer un homme de 54 ans et qui aujourd’hui file le parfait amour avec lui. « Les critères d’âge peuvent être réducteurs », constatent-elles. Aussi, avec leur « Agence sentimentale », elles amènent certains hommes qui n’osent plus ne serait-ce qu’offrir un café à refaire la cour. « Après #Metoo, il faudrait retrouver un juste équilibre, nous disons oui à une jolie séduction », sourient-elles. Chaque client qui passe leur porte doit ainsi signer une « charte de bonne conduite » : « Les tordus, on les renifle quand même ! Et dans notre agence, il n’y a plus le bouclier de l’écran… » Vanessa et Nadine invitent à ne surtout pas jouer un rôle. Parce que l’idée quand même, quand on s’engage dans cette aventure qui a somme toute un prix, c’est de trouver ou de retrouver le grand amour. Et une belle histoire d’amour, c’est #nofilter. S www.lagencesentimentale.com Pack sentimental avec deux rencontres : 850 € Pack sentimental + avec 5 rencontres : 1950 € №45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg


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S ACT UA L I T É — IN NOVAT ION Eleina Angelowski

Eleina Angelowski et Dimitri Staub (sur modèles coiffés et maquillés par d’Esther Sanchez)

Nouvelle vie Esther de la chambre 201 Por favor, « Esther Sanchez de la chambre 201 » aurait pu être un titre d’Almodovar, l’inimitable cinéaste espagnol qui a vu et chanté les femmes comme des déesses du quotidien. Singuliers et courageux, ses personnages féminins avancent droit dans leurs bottes face à toutes les tempêtes de la vie. Rebelles et fragiles à la fois, elles partagent un sens de maternité universelle, une sorte de tendresse infinie au sein d’une grande famille humaine qui s’étend à tous les genres. Ces chicas font tout par amour, même si cela les oblige à transgresser les normes, à sortir leurs griffes ou leurs talons aiguilles ! Et puis leur manière de s’habiller : excentriques et en toute simplicité. C’est tout Esther !


vec un père immigré espagnol, elle a grandi dans un milieu populaire de la cité mulhousienne. Et comme ces forts caractères qui ont connu très tôt le goût de la liberté, elle est devenue rapidement maîtresse de son destin pour ne jamais devoir se soumettre à la haine, à l’intérieur ou à l’extérieur de soi. Dès ses quatorze ans, Esther savait déjà qu’elle voulait coiffer les femmes, leurs cheveux la fascinaient, tout comme le pouvoir de les rendre belles et désirantes, pas seulement mignonnes et désirables ! Pendant vingt ans, elle a coiffé et maquillé des mannequins et des comédiens en studio photo transportant en permanence son matériel. Dès sa première jeunesse, car elle a vécu et en vivra plusieurs, elle a été fascinée par les artistes dont elle a partagé la vie, la manière d’être et le travail, devenant elle-même artiste reconnue. En 2017-2018 Signora Sanchez a créé les coiffures des modèles pour les affiches de l’Opéra du Rhin ! Elle n’a jamais touché aux pinceaux des peintres, mais sait modeler des visages à l’aide de ses pinceaux de maquilleuse, sculpter et créer des effets de lumière en se servant des ciseaux de coiffeuse et des produits colorants pour cheveux…

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JAZZ ET ŒUVRES D’ART AUX MURS Et puis, il y a quatre ans elle a voulu s’installer dans une nouvelle vie, comme beaucoup de ces femmes qui viennent aujourd’hui vers elle, décidées à changer d’idées en se changeant d’abord la tête.

Mais pour rien au monde Esther n’aurait troqué sa liberté de nomade avec un salon de coiffure standard. Il lui fallait quelque chose hors norme pour se sédentariser et elle l’a trouvé : près de la gare, l’hôtel Graffalgar a ouvert ses portes aux indépendants deux ans avant la pandémie. Au début, elle a testé presque toutes les chambres en invitant ses clientes à découvrir à chaque fois une autre ambiance créée par des street-artists que le gérant Vincent Faller avait invités à décorer l’établissement aux allures d’une auberge de jeunesse chic. Esther a fini par s’arrêter dans la suite parentale 201, transformée en salon de coiffure professionnel à chaise unique. Petit à petit le 2e étage a accueilli aussi les cabinets d’une naturopathe, d’une réflexologue et la boutique d’habits seconde main de Géraldine. Dès qu’on enfile le kimono choisi sur un cintre à l’entrée de la chambre, on entre dans un ailleurs chaleureux, abreuvé par des confidences de tout genre. Le jazz et les œuvres d’art aux murs rendent la séance encore plus intimiste. « J’invite un artiste tous les 3 mois et je ne prends pas de commission, mais je les choisis selon mes goûts, précise Esther. J’ai mis six mois à persuader la photographe M.M à exposer chez moi ses femmes fontaines ! Aujourd’hui tu vois accrochées les œuvres de Marie Lallemand avec leurs lignes graphiques aux couleurs saturées. J’adore ! Dans une semaine ce sera le tour des envoutantes madones de Stéphanie Convercy… Elle fait partie du cheptel Motoco ».

« Beaucoup d’entre nous se laissent enfermer pendant des années dans des stéréotypes qui nous briment. » №45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg

En réalité, Esther est très proche de ce milieu d’artistes mulhousiens où elle a trouvé beaucoup de ses amis les plus proches. Cet été, pendant trois semaines en août elle et l’amie Géraldine, avec sa boutique de fringues seconde main, déménageront en duo, temporairement, au Motoco. Leur équipe artistique se donnera à cœur joie de réaliser des looks osés, en coiffures et en tenues, pour toutes celles qui désirent braver leurs propres limites. « Cela fait longtemps que Martine, la gérante de Motoco, cliente à moi elle aussi, me propose une résidence en espérant que je redevienne mulhousienne », plaisante Esther, Strasbourgeoise depuis vingt ans, mais toujours attachée à la chaleur humaine de sa ville natale, moins bourge et plus fêtarde que la capitale européenne. Pourtant, elle n’est pas prête à quitter à Strasbourg où elle a tant d’amis, sans oublier ses fidèles clientes qui, comme S., disent ne plus vouloir laisser personne d’autre toucher à leurs cheveux. Car on l’oublie souvent, mais les cheveux sont une part très intime, magique, de nos corps. Dans diverses cultures traditionnelles, se couper les cheveux est un acte d’initiation qui vous prend ou vous redonne de la force. Toucher aux cheveux c’est toucher à l’âme, c’est ce que croient beaucoup de peuples. Même en Occident contemporain, la nouvelle coiffure est un moyen de passer à l’action quand on désire un changement. D’ailleurs, Esther est tout à fait consciente de son rôle de chamane féministe, capable de révéler une femme à elle-même à travers une coupe courte et graphique ou, au contraire, en invitant le vent jouer avec les boucles d’une chevelure de lionne. Le cheveu est la signature de nos personnalités, les poils de la tête sont nos antennes, reliées à la fois au cosmos et à notre nature animale : cheveux racines, cheveux doux, cheveux fous, cheveux hirsutes, tout azimute... « Quand je vois une femme, j’aperçois tout de suite la possibilité d’une transformation qui S ACTUAL I TÉ

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ferait mieux correspondre son tempérament à son look, ses désirs à ses actions. Car, beaucoup d’entre nous se laissent enfermer pendant des années dans des stéréotypes qui nous briment sans que l’on se rende forcément compte. Il faut dire, mes clientes me trouvent quand elles sont prêtes à changer… Elles me choisissent et je les choisis puisque mon salon n’a pas pignon sur rue, ça fonctionne de bouche à oreille et c’est très bien comme ça. Je ne tolère pas tout le monde et tout le monde ne me tolère pas forcément ! » reprend Esther en rigolant, avec un air austère et joueur à la fois. Sacrée Esther !

CHAQUE FEMME EST UNIQUE !

« Elles me choisissent et je les choisis puisque mon salon n’a pas pignon sur rue, ça fonctionne de bouche à oreille et c’est très bien comme ça. »

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Sur le trône du salon aujourd’hui, une professeure de japonais à l’Université de Strasbourg déclare solennellement : « J’ai une coupe politique, les garçons en sont totalement fascinés alors que la moitié des copines restent dubitatives ! Je n’imaginais pas que revenir à ma couleur naturelle, déjà blanche, pouvait me rendre plus attirante. Sans dire à quel point les cheveux courts s’avèrent sexy ! » Esther a aidé beaucoup de femmes à faire le saut en s’affranchissant du rituel de la coloration mensuelle, mais ne défend aucun dogme : « Ce n’est pas obligatoire, c’est une question de feeling, certaines se sentent bien avec leur coloration, d’autres ont envie de se débarrasser

des conventions… D’ailleurs, le processus de “libération” peut prendre six mois ou se faire de suite. Celles qui aimeraient garder la longueur passent par un estompage progressif de la racine graphique, tandis que d’autres, qui n’ont pas peur de la coupe ultra courte, y vont d’un coup. Il n’y a pas de chemin standard parce que chaque femme est unique ! » Chaque homme l’est aussi et la chambre 201 n’est pas exclusivement réservée aux femmes : « On accepte les hommes féministes ! Ce sont souvent les maris ou les copains de mes clientes qui viennent chez moi ! », se félicite Esther. « Ma femme m’a dit de ne pas revenir à la maison si je ne passe pas d’abord par la chambre 201 ! », plaisante B. avec sa tête savonnée entre les mains d’Esther. Elle vient de lui raconter ses projets de voyage à Barcelone où habitent désormais ses parents à la retraite, les prochains concerts à la Laiterie, sa découverte de la boulangerie exceptionnelle Pain Blanc – Pain Noir à Schiltigheim ou ce crémant vendu à l’Épicerie Grande Rue qui pourrait passer pour un bon champagne… « Voyages, divorces, amants, ruptures professionnelles, élans artistiques… je vis tous les jours des aventures exceptionnelles avec mes clients et j’adore ! », conclut Esther en éteignant sa clope à la fin d’une pause cigarette au café de Graffalgar. « Je me dépêche à remonter parce que je n’aime pas les retards dans la vie ! » S

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Zozotérisme la vérité est ailleurs L’année 2021 aura été éprouvante pour tous. Pour le moment 2022 n’est pas terrible non plus ceci dit. Il ne faudrait cependant pas passer sous silence un événement qui a mobilisé l’attention de millions de françaises et de français l’an passé et qui soulève des interrogations fondamentales. Elles se résument à cette question : Carla a-t-elle, oui ou non, jeté un sort à Maéva ?

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os informé-es lecteurs et lectrices auront compris que je parle là de cette production télévisuelle, fleuron du génie hexagonal : Les Marseillais à Dubaï (à ne pas confondre avec Les Marseillais à Miami ni avec Les Marseillais en Thaïlande).(1) Résumons : Carla aurait eu recours aux services d’une voyante afin de réussir à exaucer son vœu le plus cher : devenir célèbre. Et l’on a des images ! Avec sort jeté, poupée, aiguilles et tout le toutim. Grosse activité sur les réseaux, et même création du hashtag #SoutienCarlaMoreau. On voit à quel point la situation est sérieuse, complexe, voire hirsute. De là à y voir une armée de couillon-ne-s se faire entourlouper dans les grandes largeurs, il n’y a pas des kilomètres. Mais je ne juge pas.

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Ce qui m’intrigue davantage, c’est le naturel avec lequel la pratique ensorceleuse semble s’exercer. J’en ai d’ailleurs touché un mot à mon ami Jean-Kévin le libraire. Il se fait du souci, comme souvent : « L’ésotérisme, ça explose ! Avant c’était des vieilles hippies avec des robes à imprimés délavées et des cheveux longs filasses. Maintenant ce sont des jeunes. Et avec le Passculture, ça défile ! Des oracles, des oracles, encore des oracles. Il en sort toutes les semaines ». Jean-Kévin est un atrabilaire, je lui laisse la responsabilité de ses propos convenus sur les vieilles hippies qui puent le patchouli. Le fait est qu’il y a pléthore d’oracles, c’està-dire, au départ, des jeux de cartes de divination. J’ai regardé par curiosité les titres : l’Oracle des astres (normal, l’astrologie fait partie de l’ésotérisme), l’Oracle des visions, l’Oracle du chemin de vie (ouh c’est joli ça), Le petit oracle des guidances étoilées (han ! trop chou !). Mais aussi l’Oracle vibratoire des anges (hé oui), l’Oracle de l’essence chamanique, l’Oracle des runes (le celte et le viking ça a l’air de bien marcher, comme toutes les choses sur lesquelles on peut fantasmer par ignorance).(2) Je ne résiste pas au plaisir de citer aussi l’Oracle de l’hypersensibilité (hyper tendance) et l’Oracle de la grossesse sacrée… Je ne juge pas. Je fis part de mon étonnement à Jean-Kévin : – « Je note qu’il y a une large gamme de choix… – Ça part dans tous les sens oui ! №45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg

« Grand moment d’angoisse face à soi-même, le confinement aura été le moment de la question épineuse : Bordel, mais qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire de moi ? » L’ésotérisme se mélange au développement personnel, à la psychologie, à la religion, il se coule partout, une vraie chiasse ! ». Atrabilaire vous dis-je… Ceci étant, la verdeur du propos ne doit pas masquer sa justesse. J’ai pu le constater en allant musarder sur le site de l’éditeur Alliance Magique.(3) Que de merveilles… je m’esbaudis tel un gueux à la procession de sainte Ursule. Comme c’est bien fait. Différents onglets donnent à voir l’étendue de l’offre : « Bien-être et développement personnel », « Divination et voyance », « Magie et ésotérisme », « Paganisme et féminin » (qui comprend notamment les rubriques « Féminin sacré », « Néochamanisme », « Paganisme et Wicca », « Pratique sorcière »). À boire et à manger. Je ne juge toujours pas. Où l’on voit surtout l’ampleur de l’arraisonnement de cultures qui n’ont que bien peu à voir avec nous et qu’on annexe sans vergogne en les arrachant à leur contexte originel. Arraisonnement ou déraisonnement ?

« GLAUCON, TU NE VOUDRAIS PAS ARRÊTER DE BIAISER DEUX MINUTES AVEC ANTIPHON ? » Longtemps les choses ont paru simples. Il y avait d’un côté la raison (qui évalue, analyse, argumente et construit), de l’autre les croyances (relatives, instables, partiales). Mais on a beaucoup surestimé l’objectivité rationnelle en en

faisant une faculté suréminente. On le sait désormais, la raison n’est ni objective, ni très honnête, mais paresseuse et biaisée.(4) D’ailleurs Platon le disait déjà dans le Parménide : « Glaucon, tu ne voudrais pas arrêter de biaiser deux minutes avec Antiphon ? Merci ! ». (5) Il serait d’ailleurs un brin léger quoique expédient de ranger les individus bien cortiqués d’un côté et les mous du bulbe de l’autre. Le besoin de croire est partagé par tous. Certains croient aux fantômes, d’autres au Paradis, d’autres encore à la croissance économique infinie. Chacun se croyant plus malin que les autres, cela va de soi. Peu importe l’objet de la croyance en somme, pourvu qu’on en ait l’ivresse. On notera au passage la proximité souvent constatée entre ésotérisme, complotisme et/ou mouvements d’extrême droite. Grand moment d’angoisse face à soimême, le confinement aura été le moment de la question épineuse : « Bordel, mais qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire de moi ? ». Avec des enfants, la réponse était toute trouvée : un martyr. Mais sinon ? C’est très simple : trouver du sens. Voilà une idée qu’elle est bonne. Car que faire d’autre lorsque l’angoisse existentielle même nous étreint, avec son cortège de souffritudes ? Les éditeurs d’ésotérisme le confirment : 2021 a été ex-cep-tionelle. Ils se frottent les mains et s’invitent tous au banquet. Dame, avec des croissances à 2 voire 3 chiffres, une augmentation des ventes de 300 % pour certains, ça tire sur la goinfrerie. Florence Massot, responsable éditoriale de la collection S ACTUAL I TÉ

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Aventure Secrète déclare : « Le Covid et les confinements ont poussé les lecteurs à s’interroger sur leur vie et pour beaucoup cela s’est traduit par une quête de sens, par un besoin de se reconnecter. » (6) Qu’est-ce que je disais ? On pourrait arguer que tout ceci n’est pas vraiment nouveau et qu’il ne s’agit que de la forme actualisée d’un phénomène ancestral dont on retrouve la trace dans toute l’histoire de l’Humanité. Et il y a du vrai en cela. Lire dans les viscères d’un mouton pour un haruspice ou interpréter des alignements de cailloux pour un géomancien, c’est tout un. Nihil novi sub sole. Il y aurait donc là une permanence anthropologique, un fond de croyance immémorial subsistant à bas bruit sous le discours des religions établies. Le terme d’ésotérisme s’oppose étymologiquement à celui d’exotérisme, le premier désignant un enseignement réservé à quelques happy few, l’autre s’adressant à tout public. D’où cette notion d’initiation, de secret, d’occulte. Pic de La Mirandole prônait ainsi l’existence d’une philosophia perennis traversant les siècles d’Orphée à Pythagore, de Platon à Hermès Trismégiste. En vivons-nous la résurgence ? Foutre non. Antoine Faivre a établi les traits

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constitutifs de l’ésotérisme. (7) Tout d’abord l’idée de « correspondances universelles ». Il existe des forces invisibles qui relient de façon non directement causale, mais par influence la nature et nous, les astres et nous, les phénomènes entre eux. Ensuite l’idée d’une nature vivante, c’est-à-dire agissante et dotée d’une forme de volonté. Puis le rôle des médiations et de l’imagination. Par exemple un dessin, un mandala, ou bien un ange, un guide, permettant l’accès à d’autres niveaux de réalité. Vient ensuite l’expérience de la transmutation, à savoir l’idée d’une forme de conversion, d’ouverture, de seconde naissance. À cela s’ajoutent deux traits supplémentaires : la concordance (entre des traditions diverses qui renferment une part de la vérité supérieure) et la transmission (de maître à disciple, de sachant à postulant, puisqu’« on ne peut s’auto-initier »).

ON NE PEUT PAS S’« AUTO-INITIER » Retrouve-t-on ces traits aujourd’hui ? Certainement pas. À moins de faire fi de tout ce que la physique et la chimie nous ont appris depuis quatre siècles et de revenir à une conception du monde pré-galiléenne. À ce compte-là, plus de causes,

mais des influences, qu’il s’agit d’orienter. Mais plus de médicaments non plus, simplement des sorts et des cataplasmes, des formules magiques ; il faut être un peu conséquent. Bonne chance en cas de cancer. Nous sommes les enfants de notre temps. Croire que l’on peut s’abstraire de son époque et de la structure mentale qu’elle secrète nécessairement est une fumisterie. À moins d’aller vivre avec quelques tribus de Bornéo ou de Papouasie. Re-bonne chance. Quant à l’idée de transmission, d’enseignement, et donc de quête exigeante, elle est balayée d’un revers de main. Comme le confirme Aurélie Starckmann, directrice du département pratique chez Albin Michel : « Il y a une dimension très ludique et la relation à l’ésotérisme est désormais très décontractée. On tire son oracle, on s’en inspire, on peut aussi en rire ». Bref on n’y croit pas vraiment. Et c’est sans doute ça qui est tout à fait de notre temps.

L’ESPRIT CRITIQUE EN ENSEIGNEMENT OBLIGATOIRE D’une part une sorte de fatras de pratiques auxquelles on ne croit pas vraiment « mais quand même » (astrologie, tarot, numérologie,

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anges gardiens, sorcellerie…) marketées pour un public de petits Occidentaux un peu argentés (300€ quand même, merci Passculture). On passe de l’un à l’autre ou bien l’on combine, comme cette brave dame dont je tairai le nom par pudeur, se présentant comme « naturopathe, coach et sorcière bienveillante » (là je juge quand même). De l’autre un phénomène bien plus ancien qui se poursuit jusqu’à maintenant et que Max Weber à nommé le désenchantement du monde.(8) Celui-ci implique une démagification du monde par le biais des monothéismes d’abord ; une migration des croyances des religions instituées vers des formes individualisées ensuite. Mais celles-ci doivent être pratiques et efficientes, quitte, donc, à les combiner. Les croyances, ou semi-croyances deviennent des biens de consommation aussi, à l’aune d’un marché aussi. Ça marche, on garde ; ça ne marche pas, on passe à autre chose. En somme de simili-croyants, fidèles à rien sauf à eux-mêmes. Mais angoissés par un monde instable ? Peut-être. Orphelins de tout collectif ? Sans doute. Pour tout viatique, Jean-Kévin le libraire m’incita à lire un best-seller, La clé de votre énergie(9). J’y ai appris comment trouver le prénom de mon guide : 1. Positionnez-vous devant une bibliothèque (publique ou individuelle). 2. Prononcez à haute voix : « Merci mon guide de guider ma main vers ton prénom » (si vous ne prononcez pas cette phrase il ne se passera rien). 3. Fermez les yeux (c’est important !) et saisissez un livre au hasard. 4. Toujours les yeux fermés, ouvrez le livre et posez vos pouces à l’intérieur, n’importe où, en pensant au prénom à découvrir. Pas de prénom sous les pouces ? « Lisez la page de gauche ou de droite ». Toujours pas de prénom ? « Observez si ce qui est écrit ne vous rappelle pas un défunt de votre famille ». À tous les coups l’on gagne ! Espérons qu’on ne tombera pas sur Adolf… Alors entre une raison pas si fiable, un discours religieux évidé et un fatras mystico-crétin, que reste-t-il pour tracer son chemin ? Toujours la même chose : l’esprit critique. En enseignement obligatoire. Mais ça ne semble pas en prendre le chemin. S

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S ACT UA LI T É

(1) Produites après le succès des Cht’is. Notamment Les Ch’tis à Mykonos (au secours…) (2) Je rappelle, pour mémoire, que les runes furent un alphabet, utilisé dans toutes les activités du quotidien, et certainement pas un instrument divinatoire. (3) www.alliance-magique.com (4) On lira à ce sujet avec profit L’énigme de la raison, de Hugo Mercier et Dan Sperber, Odile Jacob (5) Dans le Parménide donc, cherchez bien. (6) Livres Hebdo n°15, décembre 2021 (7) Antoine Faivre, L’ésotérisme, Que sais-je ? (8) Max Weber, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, 10/18 (9) Natacha Calestrémé, La clé de votre énergie, 22 protocoles pour vous libérer émotionnellement, Albin Michel. L’auteure, jamais en retard pour niaiser, vient de lancer une collection de « polars guérisseurs »…

« Les croyances, ou semicroyances deviennent des biens de consommation. »

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La Terre demande toute notre attention, est l’engagement de chacun d’entre nous à être, chaque jour, totalement impliqué à atteindre nos objectifs, ambitieux et passionnants, éthiques et pragmatiques, pour l’environnement. Au programme : neutralité carbone en 2050, recyclabilité et réutilisation à 100% de tous nos nouveaux produits et préservation de la biodiversité dans tous nos sites. Parce que notre engagement doit être durable, nous avons créé notre programme d’actions collaboratives « Tous engagés pour la Terre ». wienerberger.fr


S ACT UA L I T É — MOI JA JA Pink Jaja

Charles Nouar

Moi Jaja Animal crossing Pas simple pour le pingouin rose que je suis de porter ma petite conationalité ukrainienne, en ce moment. Je n’en ai pas parlé avec Mama, toujours aux abonnés absents. Je crois qu’elle m’a définitivement oublié. Je lui ai envoyé des photos de ma pièce de théâtre – je crois – mais sans réponse. Ou peut-être n’y ai-je en fait même plus songé, avec les événements. Parce que depuis le 24 février, avec Tato, le temps s’est comme qui dirait arrêté. Infos en boucle, fils Telegram, appels Whatsapp. Mes tontons, les amis de Tato, ma promise – celle dont je vous parlais il y a trois mois – sont toujours en vie. J’espère qu’à la fin de ces lignes, ils le seront encore. es nouvelles, on en a tous les jours. On s’inquiète, ils ne « veulent » pas. On les implore de fuir, ils ne « peuvent » pas. Pas encore, du moins, pas tant qu’un missile n’aura pas frappé leur maison et qu’ils n’auront plus d’autre choix que de... Ma promise fait tout pour me rassurer : on parle fleurs, promenades au parc, je lui envoie des photos de moi. Je la fais rire, je crois qu’elle aime ça. Un jour, elle m’a dit que j’étais le pingouin le plus exceptionnel au monde, ou quelque chose dans le genre. Sous mes plumes roses, j’ai rougi.

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VOYOU ET L’AUTRE EN « A » Tonton Sasha, c’est son diminutif, lui, parcourt le pays. Partout où ça craint, en fait. Il s’est même retrouvé planté avec sa voiture au milieu de nulle part, entre Zaporijjia et Kyiv, à une heure ou deux de la tombée de la nuit et du couvre-feu. Autant vous dire que tant lui que Tato ou moi, on a

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bien flippé ce jour-là. C’était au début de la guerre : les bombes arrosaient tout le pays, à commencer par la région de Kyiv dont il n’était plus très loin. Au moins à vol de missile... Des policiers se sont arrêtés, sont repartis chercher une corde pour tirer sa voiture pendant qu’une milice passait, qui le rassurait moins. Finalement, les policiers sont revenus, l’ont remorqué jusqu’au garage le plus proche. Les miliciens – copains avec les policiers – lui ont trouvé un hôtel – ou ce qu’il en restait – le temps des réparations, finalement impossibles à réaliser, faute de pièces disponibles. Tonton a trouvé un chauffeur qui l’a conduit deux jours plus tard à Kyiv. Aux dernières nouvelles, Sasha était du côté de Severodonetsk, dans le Donbass, l’un des spots les plus chauds du moment. Mon autre Tonton, Olivier, lui, s’est finalement barré avec ses chats sous le bras, Voyou et l’autre en « a », dont je ne me souviens jamais du nom. Tetiana, la mère d’une amie de Tato, a réussi à échapper

avec son plus jeune fils à l’enfer de Kharkiv, après cinq jours passés dans le métro pour se protéger d’une pluie quotidienne de bombes. Aujourd’hui, elle vit à Strasbourg. Depuis le 24 février, le rose reste ma couleur, mais mon cœur est jaune et bleu.

LICORNES, TEDDY BEARS ET BATRACIENS Parfois, je me dis que, plutôt que de leur envoyer des armes, on devrait faire comme dans cette vidéo postée au début de la guerre, où l’on remplacerait les missiles russes par des formes de licornes, des canards gonflables, des Teddy Bears. Je devrais en parler à notre nouveau président qui n’est autre que l’ancien. Moi, Jaja... à l’Élysée. Ça aurait de la gueule. Ou, alors, leur envoyer nos hommes-araignées strasbourgeois. J’ai lu ça dans le journal : « Dans la nuit du 2 au 3 mai, quatre individus déguisés en Spiderman ont été surpris №45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg


alors qu’ils escaladaient la Cathédrale à mains nues ». En bon acteur qu’il fut, mon nouveau président ukrainien de cœur, mon « Serviteur du peuple », ne serait sans doute pas insensible à la démarche. Et, si besoin, on a aussi des sauveteurs à leur fournir, à commencer par Ludovic. Parce que, vous l’avez peut-être raté, mais, le 24 avril au soir, à l’heure où tout le monde, à part Tato, avait les yeux rivés sur la nouvelle couleur Delahousse nationale, Ludovic, lui, sauvait un nombre hallucinant de vies. 40 minutes durant, Ludo a bloqué la circulation, à quatre pattes, sous la pluie, à proximité de la route de l’Oberjaegerhof, au sud de Strasbourg. Toute une colonie de grenouilles ! « Il y en avait une centaine ou deux cents, peut-être, énormément en tout cas. Ce n’était pas facile, elles n’étaient pas très obéissantes » et « il a fallu en pousser certaines à la main, voire en attraper une ou deux ». Parfois, je me dis qu’on aurait dû envoyer Ludo à Marioupol, pour gérer les convois humanitaires et sauver davantage de vies encore. Après tout, ne sommes-nous pas « tous des animaux », comme le soulignait Delphine Wespiser le 8 avril dernier sur une affiche de 51 m2, placardée dans le hall principal de la gare de Strasbourg ? Tato, lui, n’a retenu que son visage mêlé à celui d’une dinde et son engagement politique en faveur d’une candidate proche d’un autre animal russe. « Tous des animaux ! », surtout un, me lança-t-il. Les humains ont parfois cette désagréable tendance à nous sous-estimer, nous, les animaux. À se croire à notre hauteur. Pourtant, que leur avonsnous fait aux humains ? Eux, par contre...

LA « MAISON DE LA POUTINE » L’emploi des doubles sens dans le vocabulaire de nos humains a parfois quelque chose d’insultant pour le représentant Or Norme de la cause animale que je suis. Biden, au moins, a fait le choix de remplacer le mot « animal » par celui de « boucher ». Cela me semble bien plus à propos, même si, de ce que j’en ai récemment vu, certains représentants de cette profession, dont une en particulier, sise à Holtzheim, se destinaient initialement à une vocation vétérinaire. Bien content de ne pas l’avoir choisie comme médecin traitant. Les mots, leurs multiples sens, me fascinent vraiment chez ces bipèdes. Ajoutez à cela une forme d’inculture de plus en plus prégnante dans leur société et vous vous retrouvez avec des témoignages comme celui de Guillaume Natas : №45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg

« Depuis le 24 février, le rose reste ma couleur, mais mon cœur est jaune et bleu. »

de l’époque » : un masque anti-covid Super Bretzel Airlines. Hashtag ourson clown. En parlant d’avion, parfois, je l’enverrai bien sur le front en Ukraine, Pouxit, histoire de faire peur aux Russes avec son masque. Sans compter qu’il aurait de bonnes raisons de s’y rendre et de prendre les armes, ne serait-ce que pour retrouver l’employé du Consulat général de Russie qui lui avait volé son vélo avant d’essayer de lui revendre, quelques mois en arrière. Je lui ai même trouvé une compagnie aérienne qui peut organiser une dépose en tout point : l’ECAM Air Company, de Schiltigheim – une école d’ingénieurs qui participait le 26 avril aux phases qualificatives du tournoi Red Bull Paper Wings. Le principe : plier une feuille A4 de 100 grammes, sans autre découpe ou ajout – le règlement est très strict de ce point de vue – et en faire l’avion qui volera le plus loin ; avec, au besoin, l’apport de quelques formules mathématiques. ECAM Airlines: idée à creuser.

MIKY, PATRON, STEPAN ET LES AUTRES

« “Arrêtez de bombarder l’Ukraine !”, “On va venir vous bombarder”… On a jusqu’à cinq ou six appels par heure, des mauvaises notes et des commentaires déplaisants sur les plateformes en ligne », confie-t-il. Son crime : être l’un des fondateurs des restaurants la « Maison de la Poutine ». La « Poutine », un plat que l’enseigne a dû rappeler qu’il n’était « pas lié au régime russe et à son dirigeant ». Un plat éponyme de notre boucher en chef, « né au Québec dans les années 50 », composé de frites, de fromage en grains et de sauce... brune. Décidément, jusqu’à ses adjectifs explicatifs, ce plat ne s’en sort pas. #FaitIech...

TROIS PRINCESSES, DEUX HARRY POTTER, UN NINJA ET UN HIPPIE Heureusement, Pouxit, lui, va bien, « se sent gai ». Il ne s’en est d’ailleurs pas caché pour Mardi gras : « Ce matin, sur le chemin de l’école, j’ai croisé trois princesses, deux Harry Potter, un pirate, un Ninja et une hippie. J’étais accompagné d’un prisonnier menotté et d’un footballeur avec une perruque verte fluo. Pour ne pas dépareiller, j’ai fait au plus simple avec l’accessoire

Miky, lui, par contre, « on le garde ! », j’ai dit à Tato. Miky, c’est ce chat ukrainien de vingt ans, arrivé le 31 mars à la SPA de Strasbourg, après avoir été sauvé par deux Ukrainiennes des bombardements, dont ne sont pas ressortis ses humains. Orphelin sur le tard, Miky, je crois, a depuis retrouvé un foyer. Si je retrouve sa trace, je le présenterai à Voyou et à l’autre en « a ». Je crois que c’est ce qui me touche le plus, pour le meilleur et pour le pire, dans ma conationalité : dans les moments difficiles, les Ukrainien.ne.s ne laissent personne derrière. Pas même Miky ou ce petit chiot de Donetsk que son humain a retrouvé, avec l’aide de sauveteurs, enfoui sous les débris de sa maison, après qu’elle a été pilonnée par l’armée russe. Ou encore le chat Stepan, à Kharkiv, devenu une star d’Instagram et qui vit désormais en France auprès de Monégasques qui prennent soin de lui. Des exemples comme ça, on pourrait vous en citer des centaines avec Tato, jusqu’à celui de Patron, ce Jack Russel Terrier reconverti en chien démineur et qui a permis de repérer plus de 200 engins explosifs depuis le 24 février. Patron, Volodymyr Zelensky l’a lui-même décoré d’une médaille d’honneur pour services rendus à la patrie. Quel autre président de quel autre pays prendrait le temps de remercier un chien en temps de guerre ? Dans ma part maternelle de nationalité, dans ma part de pays, ben nous, on le fait et, rien que ça, me donne envie de croire en de jolis futurs. #SlavaUkraïni ! S S ACTUAL I TÉ

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E S O CI É T É — E NFAN TS Jessica Ouellet

Caroline Paulus

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D ELE SÉI SM EN L A CIGO G LE TRÈS VASTE UNIVERS DES BÉBÉS Née en 1990 auprès de parents bienveillants, je garde d’heureux souvenirs affublée d’un jogging Pocahontas et d’un t-shirt Tie and Dye. J’ai joué pendant des heures avec un téléphone à tirer Fisher Price, des Polly Pocket, et un Tamagotchi. Au final, je n’ai jamais été très douée avec ma créature japonaise. Je me surprends aujourd’hui à observer le petit humain des autres, parce qu’un boutchou pousse dans mon ventre. Selon les calculs de ma sage-femme, la cigogne porteuse de bébés passera d’ici quelques jours. Je ressens déjà quelques grondements. C’est que le sol – mon sol – commence à trembler.

a plupart des réflexions cueillies au cours des derniers mois me portent à croire que devenir parent de nos jours apportera son lot de défis. À ce sujet, j’aimerais que le devoir social de la performance prenne le bord, et que l’envie que rien ne dépasse explose avec sérénité. Sur la liste des petits miracles de la vie en milieu rural, j’ai découvert l’obtention d’une place en crèche. Afin d’être exaucées dans les meilleures conditions, une ribambelle de démarches administratives ont suivi le test de grossesse positif. La visite de différentes structures fut marquée par des tapis mousses, des chaises miniatures – sur lesquelles mon conjoint et moi avons été invités à nous asseoir pendant une heure – et des discussions éducatives. Chez certains, les activités prennent des airs de propositions pédagogiques. Identifier quelque chose avec précision, ou du moins, lui attribuer une série de mots qui donnent une impression de précision, ça fait toujours son petit effet chez les grandes personnes. Lors de cet échange, un

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Espace Européen de l’entreprise - Bâtiment MIKADO - Schiltigheim


« LE POIDS ET LA TAILLE DE NOTRE BÉBÉ SEMBLENT AINSI PROMPTEMENT ATTENDUS PAR LA SOCIÉTÉ. »

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coffre rempli de LEGO a perdu tout son charme. pour cette tradition. Le poids et la taille de notre bébé C’est que j’imaginais déjà la construction d’un semblent ainsi promptement attendus par la société. château en briques créatives. L’attente de l’indice de masse corporelle d’un boutchou me rend néanmoins perplexe ; je doute qu’elle soit une corrélation directe avec l’idée d’un bébé réussi. ULTRACRÉPIDARIANISME, En fin de grossesse, j’ai pris soin de diminuer les ALGORITHMES ET FAIRE-PART transports en commun. C’est qu’au détour de regards DE NAISSANCE volontairement fuyants, certains utilisateurs – je précise Autour d’un ventre qui s’arrondit, fleurit un discours qui ici que plusieurs genres s’accordent automatiquement est parfois maladroitement amené. Intimement liées à au masculin – semblent désemparés à l’idée de laisser un chiffre sur une balance, les femmes – j’insiste sur ce leur sainte place à une femme distinctement enceinte. point – adorent papoter pesées. Commentaires, juge- Quelques sauts dans le tramway m’ont ainsi arraché un ments et comparaisons fusent. Un véritable feu d’arti- brin de foi en l’humanité. fice numérique. La montée des ultracrépidariens n’aide Avec l’arrivée prochaine de notre bébé, j’ai une en rien certes, mais la plupart des réflexions à ce sujet pensée pour mes grands-mères qui ont, à toutes les me laissent perplexe quant à leur utilité. De grâce, laissez deux, cumulé près de vingt accouchements. Et qui ont les kilos au placenta, au fœtus, au liquide amniotique, et élevé tout autant d’adultes responsables avec les moyens à tout ce qui permet d’accueillir un bébé dans les meil- du bord. Lorsque je regarde certaines photos de mon leures conditions. Si une femme enceinte n’initie pas de enfance, j’accroche un sourire devant un flagrant goût discussion autour de son poids, ne l’y engouffrez pas. passé pour les vêtements fluo, l’émulation discrète du Afin de s’équiper progressivement, nous tâtonnons stampfel bio, la considération favorable du lait indusle très vaste univers des bébés, et ce qui gravite autour. triel, et de la tétine. C’est que je n’en suis pas abîmée À vrai dire, une pluie de marques liées à la puériculture pour autant. s’est immiscée dans les publicités de mes navigations Internet. Magnifiquement futiles, elles permettent de CONTRE TOUTE ATTENTE, créer une chambre poudrée, esthétique, et sécuritaire ; LA CIGOGNE EST PASSÉE AVEC tout ce dont nous avons – a priori – besoin pour remplir UNE HÂTE INESPÉRÉE. notre rôle de parents dignes et attentionnés. Les algorithmes me fusillent de pyjamas de naissance avec bro- Depuis plusieurs jours, ma routine s’en est allée, effritée deries personnalisées, de préparateurs de biberons ins- par une merveilleuse expérience humaine. Elle se rebâtantanés, et de lunettes de soleil réversibles – celles qui tit paisiblement avec un marathon d’émotions et de predonnent inévitablement un air abruti. mières fois. Malgré la course à ce qui est bien rangé, effiEn quête d’une poussette adaptée à nos sorties – cace, et doux dans la rétine, mon conjoint et moi accueiltoutes aussi rurales que la crèche – nous avons comparé lons mini-nous avec toutes nos imperfections. Et notre les modèles avec curiosité. Et longtemps. Entre le cadre volonté de ne pas adhérer à un concept qui nous fait léger, les suspensions dites dynamiques, le rangement sourciller. Ces pensées grappillées ajoutent une couche facile, et l’ombrelle adaptée – parce que nous n’aimons de béton sous mes pieds. Encore tremblants. E pas trop les petites lunettes réversibles –, nous avons découvert de véritables véhicules tout terrain. Enfin sereins avec notre choix de carrosse – étant asbourg Norme Str u petit ipe de Or d u e q donné le prix, nous sommes en droit de croire qu’il est d l’é on te m Tou e au a et de la venu aussi magique que celui de Cendrillon – nous magasients Jessic très se réjouit ar p s se te c ci li on d fé a Jules et de 2022 nons un joli faire-part de naissance qui prendra la route ivra vendange Pierre : la en mai et se poursu de l’imprimeur dans les prochaines semaines. C’est que té … u re éb b d m n te ie b sep ement en certains amis de la famille ont démontré un vif intérêt magnifiqu

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E S O CI É T É — É DITION Véronique Leblanc

Alban Hefti

CHRISTINE D LOEHLÉ ENSEIGNE LE SPORT EN PRISON DEPUIS TRENTE ANS

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Professeur agrégée d’éducation physique et sportive à la Faculté des sports de Strasbourg, Christine Loehlé enseigne depuis plus trente ans la maison d’arrêt de l’Elsau. « Base-ball et badminton en complément des éternels muscu, foot et ping-pong », raconte-t-elle en évoquant ses débuts…

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epuis 1989, date de ses premiers pas en pénitentiaire dans le cadre d’un stage de maîtrise, Christine n’a jamais lâché ces rendez-vous bihebdomadaires où elle était et est encore « la prof ». « Être une femme n’est pas un handicap, au contraire cela permet d’éviter les bagarres », assure-t-elle en évoquant aussi ces conversations nées en marge des séances, dans cet « espace bienêtre de la salle » où quelqu’un « du dehors » vient à la rencontre de celles et ceux qui restent « dedans ». « En trente ans, je n’ai jamais parlé de la pluie et du beau temps avec les détenues et détenus », raconte Christine. « J’ai toujours écouté, sans complaisance, mais avec bienveillance, en me refusant de juger des gens qui l’ont déjà été ». Des trop-pleins de colère, d’émotions ou de simples échos du fil des jours qu’elle a su accueillir. De ces échanges, elle semble avoir puisé une force, un regard forgé au feu du réel le plus âpre sans pour autant perdre en pétillance. Elle raconte aussi le blocage rencontré avec un détenu radicalisé. J’aurais voulu lui demander « pourquoi tuer des innocents ? Toutes les religions l’interdisent… », mais la distance était trop grande. « Il y a des personnes qu’on ne peut pas comprendre… » dit celle qui n’a pas hésité passer les portes de la prison pour partager sans compter son écoute et sa pratique sportive. Elle fut la première femme à le faire en France.

UN CORPS COURBATURÉ QUI NE SE RÉDUIT PLUS À UN NUMÉRO D’ÉCROU Le sport, explique Christine, permet de se « vider la tête ». Les tensions de ce milieu très dur qu’est la prison ne disparaissent pas, mais elles s’estompent. « La fatigue est un bon indicateur, l’objectif est atteint lorsque quelqu’un s’aperçoit qu’il est aussi un corps courbaturé et pas seulement un numéro d’écrou ». De cette expérience hors du commun est né un récit de vies : la sienne, celle d’un milieu carcéral qui a connu bien des évolutions et surtout celles de détenus et détenues souvent brisés dès l’enfance. On la suit entre le quartier femmes et le quartier hommes, parfois chez les mineurs, au fil des étés de canicules, des années sida, de l’après-11 septembre, etc. Elle est dans chaque page, énergique et clairvoyante. Incroyablement solide. Un livre de témoignage(s) complété des lectures de sociologues et philosophes qui ont nourri son activité dans un « milieu carcéral difficile à appréhender » et qu’elle ne voulait pas « mal penser ». Un livre nécessaire pour sortir de nos propres schémas hérissés de préjugés. E

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Pour la sixième année consécutive, Or Norme était le média officiel des INTERNATIONAUX DE STRASBOURG, et en a profité pour recevoir ses amis partenaires et annonceurs à assister à cet événement incontournable du printemps strasbourgeois.

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RAND GRAND GRAN ÉCRAN ÉCRAN ÉCRA

a CULTURE – GRAND É CRAN Erika Chelly (avec les équipes de l’UGC Ciné-Cité Strasbourg Etoile)

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CET ÉTÉ AU CINÉMA… Chaque trimestre dans ces pages, nous vous parlons de l’essentiel de ce qui nous attend dans les salles pour les semaines à venir. On retourne au cinéma, c’est notre leit-motiv ! (En plus, l’été, y’a la clim…) Merci à Laurence Algret et aux équipes de UGC Strasbourg

UNE VRAIE ENVIE DE VOIR… À PARTIR DU 15 JUIN

À PARTIR DU 22 JUIN

INCROYABLE MAIS VRAI De Quentin Dupieux

LE CHEMIN DU BONHEUR De Nicolas Steil

Avec Léa Drucker, Alain Chabat, Benoît Magimel

Avec Simon Abkarian, Pascale Arbillot, Django Schrevens

Alain et Marie emménagent dans un pavillon. Une trappe située dans la cave va bouleverser leur existence…

Enfant, Saül échappe à la Shoah grâce au kindertransport lui permettant de passer de Vienne à Bruxelles. Quarante ans plus tard, il y est propriétaire d’un restaurant Delicatessen dédié au 7e art où se croisent des personnages aux histoires singulières et joyeuses…

... parce que Chabat, Magimel et Léa Drucker sur la même affiche, ça ne se rate pas…

... parce que les années de plomb du cœur du XXe siècle ne devront jamais être oubliées… №45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg


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À PARTIR DU 22 JUIN

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À PARTIR DU 29 JUIN

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Après la mort brutale d’un proche lors d’une séance d’hypnose qu’elle animait, Louise, jeune psychiatre tente de se reconstruire en s’installant dans un petit village de l’Aubrac. L’arrivée d’un nouveau patient au comportement étrange va la plonger dans une spirale infernale. Sa vie et celles des autres vont devenir un véritable enfer…

Vincent Peltier, paisible employé aux « Eaux et forêts » à Limoges, est incité à démissionner à cause d’une révision des effectifs, ce qu’il souhaite le moins du monde. Une inspectrice trop zélée décide de le muter dans les pires endroits au monde pour le pousser à renoncer. Elle l’envoie donc au Groenland pour protéger les chercheurs d’une base scientifique des attaques d’ours. On vous laisse imaginer la suite…

Avec Camille Razat, Olivier Barthelemy, Féodor Atkine

... parce que ce thriller, à mi-chemin du film d’épouvante, est un vrai petit bijou…

Avec Jérôme Commandeur, Laetitia Dosch, Pascale Arbillot

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La folle histoire de Louise qui se retrouve un beau matin, prise au piège dans sa propre voiture, terrassée par une attaque de panique dès qu’elle veut en sortir, et de Paul qui vole la voiture et du coup la kidnappe. Les voilà tous les deux embarqués dans un road-movie mouvementé !

Peter Von Kant, célèbre réalisateur à succès, habite avec son assistant Karl, qu’il se plaît à maltraiter et à humilier. Grâce à la grande actrice Sidonie, il rencontre et s’éprend d’Amir, un beau jeune homme d’origine modeste. Il lui propose de partager son appartement et de bénéficier de ses appuis pour se lancer dans le cinéma...

À PARTIR DU 6 JUILLET

... Parce que François Ozon et une distribution trois étoiles…

À PARTIR DU 13 JUILLET

ENNIO De Giuseppe Tornatore

RIFKIN’S FESTIVAL De Woody Allen

A l’âge de 8 ans, Ennio Morricone rêve de devenir médecin. Mais son père décide qu’il sera trompettiste, comme lui. Du conservatoire de musique à l’Oscar du meilleur compositeur, l’itinéraire d’un des plus grands musiciens du XXe siècle.

Un couple d’Américains se rend au Festival du Film de Saint-Sébastien et tombe sous le charme de l’événement, de l’Espagne et de la magie qui émane des films. L’épouse a une liaison avec un brillant réalisateur français tandis que son mari tombe amoureux d’une belle Espagnole…

Avec Giuseppe Tornatore, Ennio Morricone, Bernardo Bertolucci

... parce que le XXe siècle, le siècle du cinéma, a produit de tels génies…

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PETER VON KANT De François Ozon

Avec Marina Foïs, Benjamin Voisin, Jean-Charles Clichet

... parce qu’un road-movie « à la française » réussi est une chose plutôt rare…

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À PARTIR DU 6 JUILLET

Avec Elena Anaya, Louis Garrel, Gina Gershon

... parce qu’on ne rate pas un film de Woody Allen...

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UNE VRAIE ENVIE DE VOIR…

À PARTIR DU 13 JUILLET

À PARTIR DU 3 AOÛT

SUNDOWN De Michel Franco

BULLET TRAIN De David Leitch

Une riche famille anglaise passe de luxueuses vacances à Acapulco quand l’annonce d’un décès les force à rentrer d’urgence à Londres. Au moment d’embarquer, Neil affirme qu’il a oublié son passeport dans sa chambre d’hôtel. En rentrant de l’aéroport, il demande à son taxi de le déposer dans une modeste « pension » d’Acapulco....

Véritable événement cinématographique, Bullet Train est un thriller d’action déjanté signé David Leitch, réalisateur de Deadpool 2. Virée à 100 à l’heure à travers le Japon contemporain, le film s’attache à une bande de tueurs à gage parfaitement hétéroclite – Brad Pitt en tête – qui ont tous un point commun, mais dont les intérêts divergent radicalement !

Avec Tim Roth, Charlotte Gainsbourg, Iazua Larios

... parce que ce thriller haletant est réalisé de main de maître…

Avec Brad Pitt, Joey King, Aaron Taylor-Johnson

... parce que c’est LE film d’action de l’été…

ET AUSSI... À PARTIR DU 3 AOÛT

À PARTIR DU 10 AOÛT À PARTIR DU 10 AOÛT

L’ANNÉE NOPE LA TRÈS, TRÈS DU REQUIN Un thriller/ GRANDE CLASSE Une comédie épouvante Une comédie de de Ludovic de Jordan Peele Frédéric Quiring Boukherma, Avec Melha Bedia, Zoran Boukherma Avec Daniel Kaluuya, Keke Palmer, Steven Yeun

Avec Marina Foïs, Kad Merad, Jean-Pascal Zadi

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a GR A N D É CR A N

Audrey Fleurot, François Berléand

№45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg


FM, DAB+, APPLI, PODCAST ET TOPMUSIC.FR

• playlist Concert Showcase Evenement Festival

Crédit photo : Preview.

PREMIER SUR LA Région


SPECTACLES FESTIVAL, LIVRES GALERIES, ETC. Petite sélection tout à fait partisane de quelques cadeaux à faire et à se faire, juste façon de ne pas perdre nos très bonnes habitudes culturelles et notre curiosité naturelle !

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a SÉ LE CT ION

a CULT URE — SÉ LE CT ION Benjamin Thomas – Erika Chelly – Alain Ancian Denis Leonhardt – Tatiana Chevalier – DR

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De Profundis Éric Kaija Guerrier feat. Grégory Ott

est un EP de quatre titres, enregistrés lors d’une période de profonde dépression qui a assailli Éric Kaija Guerrier, le cofondateur de Weepers Circus (groupe qu’il a quitté en 2013). Le titre de l’album renvoie aux premiers mots – en latin – du Psaume 130 de la Bible hébraïque : De profundis clamavi ad te, Domine… Que l’on peut traduire par « Des profondeurs de l’abîme je t’invoque, ô Éternel… » Les quatre titres de cet EP sont des adaptations de morceaux qui avaient été écrits, composés et co-interprétés il y a quelques années par Weepers Circus. On ne se trompera pas en soulignant que la voix envoûtante du chanteur/compositeur renforce les textes (tous splendides) :

C’

La parole perdue Du premier jour je ne me rappelle pas, de la dernière nuit je ne me souviens plus. De toute chose née, je suis né, de la mort, j’ai reçu l’estime. Je suis l’errant aux mille errances, je suis l’aveugle qui toujours voit. Je me suis perdu et dévêtu, je me suis détourné et retrouvé. Ce disque sera disponible via toutes les plateformes de streaming et de téléchargement – Apple Music, iTunes, Spotify, Deezer, Youtube, etc. – à la fin juillet prochain. a B.T.

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N



2KLIVRES Racing Database 2O22 Une nouvelle dimension Jeoffrey Voltzenlogel

l’heure de tirer le bilan d’une saison 2021-22 en tous points remarquable (le Racing n’avait jamais été aussi bien classé en Ligue 1 depuis plus de… quarante ans !), on prend un réel plaisir à attirer votre attention sur ce Racing Database 2022 qui sortira à peu près au même moment que ce numéro 45 de Or Norme que vous avez entre les mains. C’est le cas depuis six saisons maintenant, cette parution annuelle est une incroyable mine d’or pour les amoureux du club puisqu’il comporte une foule incroyable de statistiques en tous genres dont la lecture attentive permet de mieux comprendre la saison splendide dont les joueurs et l’entraîneur du Racing nous ont gratifiés. Ce trésor est l’œuvre du journaliste alsacien Jeoffrey Voltzenlogel qui a constitué la base de données la plus exhaustive sur le club. Ce Racing Database 2022 est d’ores et déjà attendu comme un véritable collector dans lequel se plongeront avec gourmandise les dizaines de milliers de fervents du Racing qui, cette saison, auront été gâtés comme personne ne l’avait été depuis si longtemps… a ion mens lle di e A.M. v u l e no

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log – Une 15 € tzen y Vol ase 2O22 ns.com – e r ff Jeo g Datab -editio m n Raci demecu a v . d É

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Ces protestants alsaciens qui ont acclamé Hitler Michel Weckel

ette « enquête sur les secrets de famille du réseau luthérien » comme le dit la jaquette de couverture a rencontré un tel succès à sa sortie, l’hiver dernier, que les Éditions La Nuée Bleue se sont hâtées de réaliser un second tirage pour satisfaire une demande conséquente. En enquêtant dans les archives départementales et auprès de familles au sein d’un réseau qu’il connaît par cœur, le pasteur Michel Weckel lève le voile sur la collaboration tout à fait assumée d’une partie du monde protestant alsacien avec les occupants nazis. C’est une histoire longtemps occultée qui apparaît aujourd’hui en pleine lumière. Il faut saluer ce qui reste, près de 80 ans plus tard, « le courage d’affronter le passé », comme le souligne notre consœur Yolande Baldeweck dans son excellente préface. Huit décennies plus tard, ce livre déclenchera-t-il chez certains historiens l’envie d’enfin publier ces pans entiers de l’histoire alsacienne jamais écrits, toujours tus et scellés quelquefois dans une sépulture voulue comme inviolable ? Les éditeurs sont-ils prêts à jouer le jeu ? En tout cas, La Nuée Bleue a parfaitement assumé qui iens cette édition remarquable… a alsac e – 22 € s t n testa uée Bleu V.L. s pro

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N Ce d. La kel Wec Hitler – É l e h c Mi cclamé ont a

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Mûri au soleil

Servi bien frais

Crédit photo : Zvardon@VinsAlsace

sur une terrasse

L’A B U S D ’A LC O O L E S T D A N G E R E U X P O U R L A S A N T É , À C O N S O M M E R AV E C M O D É R AT I O N


2KLIVRES Nos mots cochons Ùnseri Drackwerter Simone Morgenthaler

Vies de forêt Karine Miermont

e dernier livre de la toujours succulente plume de Simone Morgenthaler Nos mots doux – Ùnseri Schmüswertle était sorti au début de l’automne dernier. Brutalement, le printemps suivant venu, Simone Morgenthaler déboule avec 120 pages de mots, définitions et d’expressions crues à souhait. Après nous avoir gratifié d’entrée d’un chapitre copieux sur les « attributs masculins » illustrés par le récit pittoresque d’un taureau « dont la force titanesque s’abattait sur la vache » sous les yeux de la petite écolière que la journaliste et animatrice de radio et de télévision était encore, Simone Morgenthaler nous régale avec tout l’humour alsacien qui s’exprime avec d’autant plus de verve que le sujet s’y prête assez formidablement, comme sous toutes les latitudes. De l’érection, s Stàngefiwer – La fièvre de la perche à la relation anale, Àrschverkehr, littéralement Le trafic du cul, en passant par la masturbation, s Hàndschittle, La secousse manuelle, la balade est belle à travers « les trésors linguistiques de notre langue millénaire » comme le dit la kokine Simone… a J-L.F.

epuis trente ans, l’auteure-cinéaste Karine Miermont travaille à la protection d’un vaste territoire de vallées, forêts et monts vosgiens à cheval sur l’Alsace et la Lorraine. Dans ce livre inspiré et superbe, les sensations vécues dans ces espaces, les expériences et surtout le désir l’ont poussée à raconter les vies de ceux qui habitent son univers : arbres, herbes, lichens, pierres, eau, animaux, femmes et hommes… Ce livre est un festival d’étonnement et de contemplation : on s’approche de tel pré, tel ruisseau, tel lynx, chat, buse, sanglier, chamois, biche, faon, chevreuil, héron, renard, loup. Ce formidable livre est l’éloge du sauvage, de la lenteur, du silence, la quête d’une totalité première… a B.T. forêt

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e ies d 0€ t – V rain – 2 n o m o r p e i m onte ne M Kari telier C ’A L . d É

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Illustration : ©Studio Lumen

KS promotion UN SAVOIR-FAIRE UNIQUE, DU FONCIER À L’AMÉNAGEMENT Depuis plus de 15 ans, KS promotion intervient dans le montage d’opérations immobilières, leur promotion et leur aménagement. Ces projets se développent notamment dans la région du Grand-Est et plus particulièrement dans le département du Bas-Rhin. De la recherche foncière à la commercialisation des projets, nous avons développé un savoir-faire unique dans quatre secteurs clés pour les investisseurs privés comme institutionnels : les parcs d’activités tertiaires, les bâtiments de bureaux, les ensembles de logements et les immeubles de services (l’hôtellerie, l’immobilier de santé et les résidences senior). kspromotion.fr


OR CHAMP Par Ninon Chavoz, responsable du DU Lethica

L’ODEUR DES BONS LIVRES ET DES CROISSANTS CHAUDS ans un ouvrage de 2011 (L’Influence de l’odeur des croissants chauds sur la bonté humaine et autres questions de philosophie morale expérimentale), le philosophe Ruwen Ogien rappelle les conclusions d’une expérience menée par des chercheurs américains dans un grand centre commercial : sollicités par un inconnu pour faire la monnaie d’un dollar, les sujets de l’enquête se révélaient plus susceptibles de venir en aide à autrui lorsqu’ils se trouvaient exposés à des sensations physiques agréables, par exemple à la douce odeur de croissants chauds qui émanait d’une boulangerie. Un tel constat a de quoi nous inciter à l’optimisme : il suffirait en somme d’un insignifiant détail pour amender nos comportements… Mais si le parfum d’une viennoiserie bien dorée peut nous aiguiller vers le bien, quelle vertu ne faut-il pas prêter à l’odeur des planches, de la gouache ou du papier imprimé ? La littérature, le théâtre et les arts n’auraient-ils pas eux aussi l’insoupçonné pouvoir de nous rendre meilleurs ? Pour répondre à ces questions, l’Université de Strasbourg accueillera en septembre 2022 la première promotion d’une formation nouvelle et absolument inédite en France, le diplôme universitaire LETHICA (Littératures, Éthique & Arts), ouvert aux étudiants de master et de doctorat ainsi qu’aux personnes exerçant un emploi, mais désireuses de s’inscrire en formation continue. Conçue grâce à la collaboration de plusieurs facultés, cette formation interdisciplinaire

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rassemble des enseignements en éthique, en littérature, en arts ainsi qu’en langues et civilisations étrangères (Afrique, monde arabe, Russie, Asie…). Elle comporte en outre deux parcours différenciés, qui ont pour point commun d’associer les productions artistiques à la vie de la cité. Le Laboratoire des cas de conscience, d’une part, permet aux étudiants de se confronter, à partir d’œuvres littéraires et artistiques, à une problématique éthique contemporaine (usages de l’intelligence artificielle, gestion d’une épidémie, changement des modes de vie imposé par le réchauffement climatique, etc.), puis de puiser dans les ressources de la fiction pour aboutir à la proposition d’un scénario envisageable en situation de crise. L’Atelier de bibliothérapie, d’autre part, propose d’initier les étudiants à des méthodes de soin et d’accompagnement par la littérature, en combinant un volet théorique et un stage en immersion dans des institutions socio-culturelles, des établissements médicalisés ou des associations. Les inscrits au diplôme universitaire LETHICA n’apprendront certes pas de recette miracle – pas même celle qui permet de faire gonfler ces délicieux croissants, dotés de l’extraordinaire capacité d’améliorer l’âme humaine. À partir de l’exploration d’œuvres d’art et de livres d’une grande richesse, ils se pencheront néanmoins sur des problématiques essentielles pour tous les citoyens d’aujourd’hui et de demain. Pour le reste, nous nous en remettons – avec délices – aux mains des boulangers… a №45 — Juin 2022 — De Kyiv à Strasbourg



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№45 JUIN 2022 Directeur de la publication Patrick Adler 1 patrick@adler.fr Directeur de la rédaction Jean-Luc Fournier 2 jlf@ornorme.fr Rédaction Alain Ancian 3 Eleina Angelowski 4 Isabelle Baladine Howald Erika Chelly 6 Marine Dumeny 7 Jean-Luc Fournier 2 Jaja 8 Thierry Jobard 9 Véronique Leblanc 10 Aurélien Montinari 11 Jessica Ouellet 12 Barbara Romero 13 Benjamin Thomas 14 redaction@ornorme.fr

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Photographie Franck Disegni 15 Sophie Dupressoir 16 Alban Hefti 17 Abdesslam Mirdass 18 Vincent Muller 19 Caroline Paulus 20 Nicolas Rosès 21 Marc Swierkowski 22 Direction artistique et mise en page Cercle Studio Typographie GT America par Grilli Type Freight Pro par Joshua Darden Impression Imprimé en CE

Couverture Cercle Studio Portraits de l'équipe Illustrations par Paul Lannes www.paul-lannes.com Publicité Valentin Iselin 23 Régis Piétronave 24 publicité@ornorme.fr Directrice Projet Lisa Haller 25

Or Norme Strasbourg est une publication éditée par Ornormedias 2 rue du maire Kuss 67000 Strasbourg Contact : contact@ornorme.fr Ce numéro de Or Norme a été tiré à 15 000 exemplaires Dépôt légal : à parution N°ISSN : 2272-9461 Site web : www.ornorme.fr Suivez-nous sur les réseaux sociaux ! Facebook, Instagram, Twitter & Linkedin

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Sélection CD, livres

4min
pages 136-141

Événement Or Norme

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pages 126-127

Le séisme de la cigogne

4min
pages 120-123

«Ballon prisonnier»

2min
pages 124-125

Le parti-pris de Thierry Jobard

9min
pages 112-117

Moi Jaja Animal crossing

8min
pages 118-119

Nouvelle vie

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pages 108-111

Rencontres

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pages 106-107

Chorégraphie Inverser Pinocchio

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pages 100-103

Bye bye le sucre Confitures Beyer

3min
pages 104-105

Table ronde SDF: le débat

18min
pages 72-83

Habitat intergénérationnel

7min
pages 84-87

Festival La belle santé de Wolfijazz

3min
pages 98-99

La troupe Avenir

3min
pages 50-51

Limiter la récidive Quel suivi

4min
pages 68-71

Drogues Piqûres, soumission chimique en soirée

6min
pages 64-67

Nouveaux possibles

2min
pages 46-47

Réunies à Strasbourg

7min
pages 20-21

Presse online

13min
pages 26-29

L’irréductible journaliste azerbaïdjanais

10min
pages 30-33

MAMCS

2min
pages 34-35

Anniversaire

3min
pages 42-45

Fondation Beyeler

8min
pages 36-39

Solidarité PromoUkraïna

11min
pages 22-25

Sur les routes de l’exode

4min
page 19
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