Charles Perrault
Risquant la prison, celui-ci se cache, et Charles est chargé par Colbert de connaître la raison du retard de payement. Il plaide sa cause auprès du ministre : « je lui dis qu’assurément mon frère avoit eu tort de se servir des deniers de la présente année pour acquitter les dettes des années précédentes, mais que la faute étoit bien excusable, se voyant menacé tous les jours d’être mis en prison par ses créanciers, ce qui ne pouvoit faire sans ruiner son crédit et sans causer une douleur mortelle à sa femme et à toute sa famille : qu’au fond il étoit dû de grandes sommes par le roi, et qu’il ne seroit pas tombé dans ce malheur si elles avoient été payées. M. Colbert me répondit que mon frère étoit au même cas que les deux autres receveurs généraux ses confrères. Je lui répartis que mon frère m’avoit dit qu’il étoit dans une situation bien différente de celle de ses confrères, dont l’un étoit le neveu et l’autre l’allié de M. Marin, intendant des finances, qui les avoit favorisés en toutes rencontres, en leur procurant des fonds et des réassignations pendant qu’il laissoit tomber sur mon frère tout ce qu’il pouvoit de non-valeurs et de charges fâcheuses » 201. Cette affaire, ainsi que son mariage, marque le différend de Charles avec son ancien protecteur.
LA QUERELLE DES ANCIENS ET DES MODERNES Depuis la Renaissance, et particulièrement sous le règne tyrannique de Louis XIV, les partisans des Anciens et de la modernité se livrent une guerre sans merci dans les domaines littéraire, architectural et artistique, à laquelle participe très activement Charles Perrault. L’enjeu en réalité est d’obtenir la faveur du roi ou de Colbert, homme le plus puissant du royaume après le décès du cardinal de Richelieu, car le public de cette querelle est avant tout la royauté. Le but pour les deux partis est de plaire au roi, arbitre de la Querelle, à travers leurs écrits. Cette polémique dans laquelle s’affrontent principalement Racine, Boileau et Perrault concerne la définition de la littérature et les arts. Faut-il ou non s’appuyer sur les poètes de l’antiquité pour produire des œuvres au XVIIe siècle ? Pour les partisans des Anciens, ce critère est obligatoire, et d’ailleurs, seules les productions antiques sont réellement dignes de considération. Les Anciens, en admiration devant ces écrits sont « du côté d’une poétique des émotions, d’une éloquence des humeurs et des passions » 202. Ils sont représentés par Jean Racine, Nicolas Boileau-Despréaux, Jean de la Bruyère ou encore l’abbé Jean-Paul Bignon et se placent du côté des arts, du génie, de la poésie, et de l’humanité. Les Modernes quant à eux, estiment ne rien devoir à ces poètes ou artistes antiques. Ils se considèrent comme aussi performants que ces derniers, si ce n’est meilleurs, grâce aux nombreuses innovations dont ils sont porteurs, dans les domaines administratifs, militaires, moraux, philosophiques, scientifiques, etc. Ils restent ainsi dans l’univers de la science, de la méthode ou de la raison critique. Ils identifient d’ailleurs les Anciens aux pédants. Les Modernes souhaitent se libérer de la domination italienne sur les arts, qu’elle soit passée ou actuelle. Pour cela, ils refusent toutes références aux légendes antiques, pour mieux se focaliser sur la 201
Idem, p. 122.
FUMAROLI, Marc, « Les abeilles et les araignées », dans La Querelle des Anciens et des Modernes, XVIIe XVIII e siècles, éd. annoté et établie par LECOQ, Anne-Marie, Paris, éd. Gallimard, coll. Folio Classique, 2001, p. 83. 202
BERCEGEAY Marie-Sophie | Diplôme national de master | Mémoire de M1 | juin 2015 Droits d’auteur réservés.
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