Le cinĂ©ma dâanimation
Dossier
« Le cinĂ©ma dâanimation »
05 Ăditorial
Xavier Kawa-Topor, directeur de la NEF Animation
06
Une histoire de lâanimation
Xavier Kawa-Topor
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Benjamin Rabier tout englouti par lâimage
JérÎme Dutel, maßtre de conférences
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Jacques Demy premiĂšre maniĂšre
Jean-Pierre Pagliano, historien du cinéma
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Danot lâenchanteur
Philippe Moins, fondateur du festival Anima
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Laloux, Caza et Moebius Ă Angers : une aventure pionniĂšre
Entretien de David Prochasson, journaliste, avec Christian Rouillard, réalisateur
40
Dans le cabinet de curiosités de Marc Caro
Entretien de CĂ©cile Noesser, spĂ©cialiste du cinĂ©ma dâanimation, avec Marc Caro, rĂ©alisateur
46
ParenthĂšse angevine
Michel Ocelot, auteur, réalisateur
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Les pays animés
Ăva Prouteau, critique dâart
54
Ciel et terre. DrĂŽles dâoiseaux de Charlie Belin
Amélie Galli, programmatrice au Centre Pompidou
60
Se former Ă donner corps
Frédérique Letourneux, journaliste
66
La production en mouvement
Pascaline Vallée, journaliste
Ăchos / Le cinĂ©ma dâanimation
74
Sandrine Henry, Henri Landré, David Prochasson
Carte blanche
75
Artiste invité
Nathaniel HâLimi
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Dessiner plus grand que soi AnaĂŻs LLobet, critique dâart
Chroniques
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Anne-Sophie Bourdais, Alain Girard-Daudon, François-Jean Goudeau, Anthony Poiraudeau, Ăva Prouteau, Pascaline VallĂ©e
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dâanimation
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Dossier Le cinéma
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« Lâanimation contient toutes les formes dâart et, Ă cet Ă©gard, nous vivons une nouvelle Renaissance 1 » Comment mieux dire lâampleur du phĂ©nomĂšne qui se joue aujourdâhui sous nos yeux ?
Le temps est en effet rĂ©volu oĂč lâon considĂ©rait communĂ©ment le dessin animĂ© comme un genre pour enfants obĂ©issant aux canons disneyens, en ignorant Ă peu prĂšs tout de son extraordinaire palette. Peinture animĂ©e, films de marionnettes, grattage sur pellicule, animation sur Ă©cran dâĂ©pingles, ombres chinoises et papiers dĂ©coupĂ©s lui ouvrent pourtant, depuis plus dâun siĂšcle, un champ dâinvestigation sans limite, Ă la croisĂ©e des arts plastiques, de la danse, de la musique, de la littĂ©rature, de la poĂ©sie et du cinĂ©ma.
Avec le numĂ©rique, lâanimation a vu ses possibilitĂ©s expressives sâamplifier et sa prĂ©sence sâĂ©tendre Ă tous les Ă©crans. Aujourdâhui, elle fait feu de toute part : des longs-mĂ©trages du Studio Ghibli Ă ceux de Wes Anderson ou Guillermo del Toro aux sĂ©ries qui sâĂ©mancipent des standards Ă©tablis pour sâouvrir Ă dâautres publics et dâautres Ă©critures, jusquâaux crĂ©ations originales pour internet. Elle nâa jamais Ă©tĂ© aussi visible dans sa diversitĂ© formelle.
En quelques annĂ©es, elle est devenue en France lâune des filiĂšres les plus dynamiques des industries culturelles. TroisiĂšme pays producteur dâanimations derriĂšre les Ătats-Unis et le Japon, notre pays a imposĂ© un modĂšle qui repose sur la personnalitĂ© artistique de ses auteurs â formĂ©s dans un rĂ©seau dâĂ©coles reconnues pour leur excellence â et une Ă©conomie conjuguant financements publics et privĂ©s, et coproductions Ă lâĂ©chelle europĂ©enne. Et la rĂ©gion des Pays de la Loire, dans tout cela ? Elle sâest inscrite dans le mouvement de lâhistoire. Sans quâon le soupçonne, de grands noms sont attachĂ©s Ă son territoire : Benjamin Rabier dont le cĂ©lĂšbre canard GĂ©dĂ©on ambitionna de rivaliser avec ses cousins amĂ©ricains, FĂ©lix le Chat, Mickey Mouse et consorts ; Jacques Demy qui fit ses premiers pas de rĂ©alisateur en animant des marionnettes ; Serge Danot dont Le ManĂšge enchantĂ© ravit plusieurs gĂ©nĂ©rations de jeunes tĂ©lĂ©spectateurs ; RenĂ© Laloux qui jeta Ă Angers les bases de ses films avec Moebius et Caza ; Marc Caro qui participa avec Jean-Pierre Jeunet Ă lâeffervescence crĂ©ative des annĂ©es 1980 ; Michel Ocelot qui fut un temps Ă©lĂšve Ă lâĂ©cole des beaux-arts dâAngers avant que Michel Body nây crĂ©e, en pionnier, lâune des toutes premiĂšres formations Ă lâanimation⊠Une histoire souvent faite dâĂ©clipses, car la condition du cinĂ©ma dâanimation est restĂ©e prĂ©caire en France jusquâau tournant du nouveau millĂ©naire.
Mais il y a aussi les festivals, les salles de cinĂ©ma, les associations qui, au cours de ces dĂ©cennies, ont travaillĂ© Ă crĂ©er un public pour le cinĂ©ma dâanimation, Ă promouvoir celui-ci en tant quâart, en montrant des films de tous horizons, en invitant leurs rĂ©alisateurs Ă rencontrer les habitants, comme Nick Park Ă Premiers Plans, Koji Yamamura aux Trois Continents, David OâReilly Ă La Roche-sur-Yon et tant dâautres⊠Ces lieux de diffusion ont aussi suscitĂ© des vocations, aiguisĂ© des envies de crĂ©er, dâentreprendre en rĂ©gion.
Aujourdâhui, une floraison de talents, dâidĂ©es et dâinitiatives tĂ©moigne que lâanimation est bien prĂ©sente dans les Pays de la Loire, avec ses Ă©coles, ses studios, ses productions, ses rĂ©sidences et les films qui en sont issus, dĂ©jĂ rĂ©compensĂ©s aux CĂ©sars, au Festival dâAnnecy et nominĂ©s aux Oscars. Ici comme ailleurs, ce dynamisme nâest pas prĂšs de sâĂ©teindre tant il est portĂ© par un phĂ©nomĂšne gĂ©nĂ©rationnel. Oui, lâanimation est lâart dâaujourdâhui et de demain !
5 Xavier Kawa-Topor
1. Alberto Mielgo, entretien avec Nicolas ThĂ©venin dans Blink Blank, la revue du film dâanimation no 7, avril 2023.
Ăditorial
Une histoire de lâanimation
Art de pure imagination reposant sur lâillusion du mouvement, le cinĂ©ma dâanimation a conquis le grand public par sa dimension merveilleuse, avant dâĂȘtre reconnu enfin pour ce quâil est aussi : un formidable moyen de reprĂ©senter le rĂ©el.
Sait-on que le dessin animĂ© est nĂ© trois ans avant le cinĂ©ma ? Et que son inventeur est français ? Câest en effet en 1892 que dĂ©butent, au musĂ©e GrĂ©vin Ă Paris, les sĂ©ances du ThĂ©Ăątre Optique dâĂmile Reynaud. Le nouveau procĂ©dĂ© de lâinventeur du praxinoscope consiste en la projection sur un Ă©cran dâune bande de six cents images originales, directement peintes Ă lâencre sur un support transparent qui dĂ©compose, image par image, le mouvement de ses personnages. La vitesse de dĂ©filement crĂ©ant lâillusion du mouvement, les protagonistes de ces pantomimes lumineuses semblent prendre vie Ă lâĂ©cran dans des dĂ©cors fixes, projetĂ©s par une lanterne magique. Toute la magie du dessin animĂ© est dĂ©jĂ lĂ . Pourtant, malgrĂ© son succĂšs populaire, le ThĂ©Ăątre Optique dâĂmile Reynaud, cantonnĂ© Ă sa seule salle parisienne, est rapidement dĂ©trĂŽnĂ© par le cinĂ©matographe, lâinvention des frĂšres LumiĂšre dont les Ă©crans se multiplient. Sur ce nouveau support, le dessin animĂ© renaĂźt entre les mains dâun autre Ămile â Cohl, ou Courtet pour lâĂ©tat civil â dont le premier film animĂ©, Fantasmagorie (1908), inaugure une Ćuvre teintĂ©e de lâesprit du Chat Noir et des avant-gardes prĂ©-surrĂ©aliste, hydropathe et incohĂ©rente. De parapluie en boĂźte Ă malice, de plumes de chapeau en bouteille de champagne, lâhistoire est une succession dâidĂ©es-images qui se transforment lâune dans lâautre pour en inventer une troisiĂšme et faire de la mĂ©tamorphose le propre dâun nouvel art cinĂ©matographique : lâanimation.
Ă la suite dâĂmile Cohl, de grands artistes explorent en pionniers les innombrables possibilitĂ©s formelles du cinĂ©ma « image par image » : marionnettes fantastiques de Ladislas Starewitch (FĂ©tiche, 1933), ombres chinoises de Lotte Reiniger (Les Aventures du prince Ahmed, 1926), papiers dĂ©coupĂ©s de Berthold Bartosch ( LâIdĂ©e, 1932-1934), Ă©cran dâĂ©pingles dâAlexandre AlexeĂŻeff et Claire Parker (Une nuit sur le mont Chauve, 1933), interventions directes sur pellicule de Len Lye, expĂ©riences dadaĂŻstes de Hans Richter et recherches abstraites dâOskar et Hans Fischinger⊠Avec eux, le cinĂ©ma dâanimation est partie prenante de lâavant-garde artistique de lâentre-deux-guerres, Ă laquelle il offre les ressources dâun art total.
Aux Ătats-Unis, en revanche, passĂ© les premiers films de Winsor McCay, gĂ©nial auteur de la cĂ©lĂšbre bande dessinĂ©e Little Nemo, qui fait de chacun de ses courts-mĂ©trages (Little Nemo, 1911, Gertie le dinosaure, 1914) le thĂ©Ăątre dâune expĂ©rience formelle, le dĂ©veloppement de lâanimation prend une tournure industrielle autour dâune technique dominante, le dessin animĂ© qui se prĂȘte, plus que toute autre, Ă la division des tĂąches et Ă la production en sĂ©rie. Stylistiquement, le cartoon trouve sa matrice dans le comic strip, la bande dessinĂ©e des annĂ©es dix et vingt : sa composition en deux dimensions et son cadre spatial se rĂ©fĂšrent Ă la feuille de papier. FĂ©lix le Chat dâOtto Mesmer, dont le hĂ©ros est la premiĂšre star mondiale du dessin animĂ©, est ainsi, au commencement de la sĂ©rie, un dessin animĂ© quasi « typographique » : la silhouette noire du fĂ©lin est presque un glyphe et le hĂ©ros interagit Ă loisir avec les signes de ponctuation formĂ©s au-dessus de sa tĂȘte par ses interrogations ou exclamations silencieuses. De la concurrence que se livrent les firmes amĂ©ricaines, au premier rang desquelles le studio des frĂšres Fleischer (Koko le Clown, Betty Boop, Popeye, SupermanâŠ) et celui de Walt Disney (Alice Comedies, Mickey Mouse, Silly
â JiĆĄĂ Trnka, cinĂ©aste dâanimation tchĂšque sur le tournage du Songe dâune nuit dâĂ©tĂ©, 1959. DR.
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Xavier Kawa-Topor
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Benjamin Rabier
Benjamin Rabier naĂźt le 30 dĂ©cembre 1864 Ă NapolĂ©on-VendĂ©e, un nom qui, Ă lui seul, suffit Ă exprimer les changements politiques du siĂšcle : La Roche-sur-Yon ne retrouvera en effet son nom originel quâen 1870, aprĂšs avoir reçu ceux de NapolĂ©on, Bourbon-VendĂ©e puis NapolĂ©on-VendĂ©e. Benjamin Rabier meurt le 10 octobre 1939, comme sâil ne pouvait quâĂȘtre exclu dâune guerre dans laquelle la France est entrĂ©e officiellement le 3 septembre ; une guerre qui marque la fin dâune Ă©poque et le dĂ©but dâune nouvelle, la nĂŽtre. Entre ces deux dates, Rabier a gardĂ© en tĂȘte les visions de la guerre de 1870 et dâune Commune qui, ses parents ayant rejoint Paris, sâest dĂ©roulĂ©e sous ses yeux ; il a participĂ©, Ă sa maniĂšre, Ă la Grande Guerre, reflĂ©tant lâair patriotique du temps mais le baignant de ce qui est alors devenu son univers, un univers de distance et de proximitĂ©, pastoral et amical. PrĂ©sentant « Le Bon PĂ©lican blanc », dans Les Contes du hĂ©risson, Rabier ne se dĂ©crirait-il pas lui-mĂȘme ? « PerchĂ© sur le toit dâune roulotte [appartenant Ă la mĂ©nagerie dâun cirque] qui lui servait dâobservatoire, il voyait se dĂ©rouler devant lui les pĂ©ripĂ©ties de la vie champĂȘtre 1 » Chaque mot semble ici porter un Ă©cho de ce quâest Rabier, Ă distance mais tout proche, comme Ă la « bonne » place.
Ligne claire, image abymée
Illustrateur et caricaturiste, Rabier, avec lâappui de Caran dâAche (1858-1909), dĂ©bute dans cette presse humoristique quâa fait naĂźtre lâaventure du Chat Noir. Vite, comme le voulait cette pĂ©riode frĂ©missante dâaccĂ©lĂ©rations et dâexpĂ©rimentations, Rabier passe des vignettes et des images dâĂpinal Ă des Ćuvres nouvelles que revendiquent aujourdâhui aussi bien les spĂ©cialistes de lâalbum de littĂ©rature jeunesse que ceux de la bande dessinĂ©e 2. Ă la suite du Britannique Randolph Caldecott (1846-1886), Rabier enlace ses textes et ses images, renversant la prĂ©sĂ©ance qui avait cours jusquâalors dans le livre illustrĂ© et participant, par le succĂš retentissant de sa sĂ©rie prenant le canard GĂ©dĂ©on comme hĂ©ros de la basse-cour et du globe, Ă lâĂ©mergence de lâalbum moderne. Au-delĂ de lâhabiletĂ© sĂ©mantique et spatiale de ses mises en page, Rabier convainc aussi Ă travers son trait. HergĂ© (1907-1983) ne cachera jamais lâinfluence que le dessinateur aura eue sur lui et sur la naissance de la ligne claire. « Je devais avoir douze ou treize ans lorsque quelquâun [âŠ] mâa offert une sĂ©rie de six cartes postales en couleurs illustrant la fable âLe Corbeau et le Renardâ. Et jâai Ă©tĂ© immĂ©diatement conquis. Car ces dessins Ă©taient trĂšs simples. TrĂšs simples, mais robustes, frais, joyeux et dâune lisibilitĂ© parfaite. En quelques traits bien charpentĂ©s, tout Ă©tait dit : le dĂ©cor Ă©tait indiquĂ©, les acteurs en place ; la comĂ©die pouvait commencer. Les coloris, eux aussi, mâenchantaient. CâĂ©taient des aplats de couleurs, sans aucun dĂ©gradĂ©, des couleurs franches, lumineuses, nettement dĂ©limitĂ©es par un trait Ă©nergique et âfermĂ©â. Câest ainsi que, en quelques instants â et Ă mon insu, car ce nâest que beaucoup plus tard que jâai pu analyser mes impressions â, câest ainsi que Benjamin Rabier (car ces dessins Ă©taient de lui, vous lâaurez devinĂ©) est devenu, Ă mes yeux, un maĂźtre ! Et câest Ă coup sĂ»r de cette rencontre que date mon
â PremiĂšre page de GĂ©dĂ©on de Benjamin Rabier, Garnier FrĂšres Ăditions, 1930. Coll. MĂ©diathĂšque de La Roche-sur-Yon.
1. Benjamin Rabier, « Le Bon PĂ©lican blanc », dans Les Contes du hĂ©risson, Escalquens, Ăditions Mic Mac, 2017, p. 13-15, p. 13.
2. Voir Paul Gravett (dir.), Les 1001 BD quâil faut avoir lues dans sa vie, Paris, Flammarion, 2012, p. 62 ; Sophie Van der Linden, Lire lâalbum, Le Puy-en-Velay, LâAtelier du Poisson soluble, 2006, p. 15.
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tout englouti par lâimage
JĂ©rĂŽme Dutel
Connu pour son univers animalier, Benjamin Rabier, « lâhomme qui faisait rire les animaux », a touchĂ© Ă tous les arts du xxe siĂšcle naissant, collaborant ainsi avec Ămile Cohl pour rĂ©aliser quelques films dâanimation reprenant ses personnages.
Jean-Pierre Pagliano
Jacques Demy premiĂšre maniĂšre
En 1989, pour la revue CinĂ©mAction, Jean-Pierre Pagliano sâentretenait de cinĂ©ma dâanimation avec Jacques Demy : de ses premiers films de marionnettes tournĂ©s en amateur Ă sa rencontre avec Paul Grimault.
Un témoignage précieux que nous sommes heureux de vous faire partager.
Romanesque et musical, lâunivers de Jacques Demy se caractĂ©rise tout autant par sa cohĂ©rence plastique. Il est Ă lâĂ©vidence celui dâun coloriste. Avant dâĂ©crire et de mettre en scĂšne, le cinĂ©aste fut attirĂ© par la peinture (quâil pratique encore volontiers aujourdâhui). Câest aux Beaux-Arts de Nantes quâil se lia dâamitiĂ© avec Bernard Evein, son futur dĂ©corateur attitrĂ©. Mais Ă vingt ans, tous deux ne rĂȘvent que de suivre lâexemple du grand Trnka : ils animent des marionnettes, des poupĂ©es joliment costumĂ©es 1. Pour les beaux yeux de ses premiĂšres vedettes, Demy invente des contes et se dĂ©sole de ne pouvoir acquĂ©rir les droits dâun scĂ©nario de Sartre, Les Faux-Nez
Lâhumour et le lyrisme qui nous enchantent dans ses films â de Lola Ă Trois Places pour le 26 âcâest Ă travers lâanimation quâils se sont dâabord exprimĂ©s. Et avant mĂȘme lâĂ©poque des marionnettes, avec des personnages en papier dĂ©coupĂ©... Mais laissons plutĂŽt Demy raconter ses dĂ©buts, puisquâil a bien voulu confier ses souvenirs au magnĂ©tophone...
« Jâai suivi les cours du soir Ă lâĂ©cole des beaux-arts de Nantes (jâĂ©tais dans une Ă©cole technique dans la journĂ©e). Il y avait toute une petite sociĂ©tĂ© de peintres, de dĂ©corateurs, que jâaimais bien frĂ©quenter. Les conversations entre peintres sont tellement drĂŽles ! Ce sont des gens qui parlent bien de la sociĂ©tĂ©, des problĂšmes contemporains. Et puis les problĂšmes de la peinture sont passionnants.
Jâavais commencĂ© Ă dessiner, Ă faire des dĂ©cors, etc., et jâavais une passion parallĂšle qui Ă©tait le cinĂ©ma. Mais je nâaimais au cinĂ©ma, en fait, que les mises en scĂšne reconstituĂ©es, par exemple Sous les toits de Paris de RenĂ© Clair, HĂŽtel du Nord de CamĂ©... Tout cet univers, cette Ă©poque-lĂ , ces dĂ©cors reconstituĂ©s, ces Ă©quipes formidables... CarnĂ©, PrĂ©vert, Trauner, ça a Ă©tĂ© mon adolescence. Le tout premier film que jâai vu, câest Blanche-Neige, de Disney. Mais ensuite, le premier qui mâa marquĂ© câest Les Visiteurs du soir (je devais avoir onze ans). Le dĂ©cor, la transposition de la peinture, tout ce cĂŽtĂ©-lĂ mâa toujours intĂ©ressĂ©. Je ne voulais pas ĂȘtre peintre : cinĂ©aste me semblait vraiment une destinĂ©e. Mais il y avait le dessin animĂ© au milieu de ça. Comme je nâavais pas les moyens de faire ce que je voulais (jâavais treize ans lorsque jâai achetĂ© une camĂ©ra), jâai fait quelques essais de dessins animĂ©s, mais comme je voulais des choses en volume, avec des dĂ©cors plus grands, jâai inventĂ© une espĂšce de systĂšme. Jâavais installĂ© lâĂ©lectricitĂ© dans le grenier de mon pĂšre, et montĂ© une table Ă©norme. Et sur cette table je construisais des dĂ©cors qui Ă©taient tout Ă fait inspirĂ©s par Sous les toits de Paris. Je nâavais jamais Ă©tĂ© Ă Paris, mais jâavais refait des toits de Paris, comme jâavais vu dans le court mĂ©trage de Grimault Le Voleur de paratonnerres. CâĂ©tait vraiment un univers qui me parlait complĂštement et que je reconstituais.
Et câest ainsi quâĂ quatorze ans jâai entrepris mon premier film, qui sâappelait Attaque nocturne, un film de cinq ou six minutes, en papier dĂ©coupĂ© mais en volume. Les dĂ©cors Ă©taient construits,
â Jacques Demy et Paul Grimault lors du tournage de La Table tournante © Photo Patrick Colin.
1. Ainsi que Demy le prĂ©cise, les costumes Ă©taient dĂ©jĂ de Jacqueline Moreau. Autour de ces Ćuvres de jeunesse se prĂ©figurait lâĂ©quipe des Parapluies de Cherbourg et des Demoiselles de Rochefort
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Philippe Moins
Danot lâenchanteur
Avec son ManĂšge enchantĂ© installĂ© dans la tannerie paternelle Ă Cugand en VendĂ©e, Serge Danot fait entrer le cinĂ©ma dâanimation de volume, ou stop motion, Ă lâORTF en 1964.
© Archives
Margote et Pollux, Le ManÚge enchanté.
Serge Danot.
1. De son propre aveu, câest ce programme qui a inspirĂ© Claude Leydu pour crĂ©er Bonne nuit les petits en 1962 (marionnettes en prises de vues rĂ©elles).
2. Pollux a aussi une vague parentĂ© avec Chouchou, la mascotte chevelue de lâĂ©mission Salut les copains âș
Tournicoti, tournicoton⊠Nombreux sont ceux qui ont encore la formule dans lâoreille, petite madeleine dâun temps oĂč le PAF se limitait aux deux chaĂźnes de lâORTF. Pour les autres, Le ManĂšge enchantĂ© fait partie dâun patrimoine tĂ©lĂ©visuel lointain qui dans les annĂ©es soixante sâĂ©panouissait avec succĂšs sans injonctions dâaudience. Thierry la Fronde, Le Canard Saturnin ou Belle et SĂ©bastien Ă©taient des produits jeunesse faits maison, rĂ©alisĂ©s sans grands moyens et animĂ©s⊠des meilleures intentions.
Connu de longue date au cinĂ©ma avec parfois dâexceptionnelles rĂ©ussites (Ladislas Starewitch, George Pal, JirĂ Trnka, pour ne citer quâeux), le stop motion nâest pas conçu au dĂ©part pour la tĂ©lĂ©vision, Ă quelques exceptions prĂšs. LâarrivĂ©e dâune production spĂ©cifiquement destinĂ©e aux tĂ©lĂ©visions europĂ©ennes coĂŻncide avec lâĂ©mergence des programmes destinĂ©s aux enfants. Dans les annĂ©es soixante, la demande pour ceux-ci croĂźt avec la multiplication des postes de tĂ©lĂ©vision dans les foyers. Certains producteurs vont privilĂ©gier le stop motion par rapport au dessin animĂ© car, sous sa forme la plus simple, il sâaccommode mieux du rythme imposĂ© par les Ă©missions quotidiennes dâavant soirĂ©e. Câest ainsi que dĂšs 1959 la Deutscher Fernsehfunk, tĂ©lĂ©vision dâAllemagne de lâEst, propose Das SandmĂ€nnchen (« Le Petit Marchand de sable »), dont les poupĂ©es animĂ©es mettent chaque soir les bambins au lit 1 Petit Ă petit, des programmes animĂ©s en stop motion vont se substituer aux Ă©missions de marionnettes « en direct », lâanimation ayant lâavantage de rendre possibles de multiples rediffusions dâun mĂȘme Ă©pisode, sans parler des ventes Ă lâĂ©tranger. En Grande-Bretagne, Les Nouvelles Aventures de Oui-Oui, dâaprĂšs Enid Blyton, dĂ©marrent en 1963 pour animer les aprĂšs-midis de congĂ© des petits Britanniques. Elles sont suivies au fil de la dĂ©cennie de nombreuses autres productions animĂ©es qui sâexportent dans le Commonwealth et ailleurs. Les standards de ce genre dâanimation ne sont pas ceux du cinĂ©ma car il faut produire vite et beaucoup : une nouvelle esthĂ©tique simplifiĂ©e voit le jour, comme cela avait Ă©tĂ© le cas pour le dessin animĂ© lorsquâil est apparu Ă la tĂ©lĂ©vision amĂ©ricaine, Ă la fin des annĂ©es quarante. Le stop motion reste pourtant affaire dâartisanat, nâatteignant jamais le degrĂ© de standardisation du dessin animĂ© de type cartoon
Une alternative Ă Bonne nuit les petits
Câest dans ce climat favorable que Le ManĂšge enchantĂ© de Serge Danot apparaĂźt pour la premiĂšre fois sur les Ă©crans, le 5 octobre 1964, Ă 19 h 20. Les petits tĂ©lĂ©spectateurs français dĂ©couvrent ainsi une alternative Ă Bonne nuit les petits : au lieu de dire aux bambins quâil est temps dâaller se brosser les
dents, il sâagit plutĂŽt de les baigner dans un univers propice aux doux rĂȘves, oĂč lâimaginaire et lâhumour priment sur lâĂ©ducatif. Ils y dĂ©couvrent jour aprĂšs jour une bande aussi sympathique quâhĂ©tĂ©roclite, mi humaine, mi animale, qui frĂ©quente le Bois joli, autour du manĂšge du PĂšre Pivoine.
Le ManĂšge enchantĂ©, câest dâabord un dĂ©cor volontairement stylisĂ© qui contraste avec le rĂ©alisme de Bonne nuit les petits : une fois Ă©parpillĂ©s sur le plateau, quelques arbres en aplat, dĂ©coupĂ©s dans du balsa, suffisent Ă donner un cadre et une profondeur aux saynĂštes. Un parti pris qui se rĂ©vĂšle pertinent, lâefficacitĂ© tranquille de ce dĂ©cor « Ă©talagiste » opĂ©rant dĂšs quâil est peuplĂ© par les personnages issus de lâimagination de Serge Danot et de ses collaborateurs. Il y a dâabord une marionnette assez classique pour Margote, en qui toutes les petites filles peuvent se reconnaĂźtre. Les autres sont plus dĂ©calĂ©es : le diable Ă ressort ZĂ©bulon surgit rĂ©guliĂšrement pour multiplier les bizarreries, au point que les jeunes tĂ©lĂ©spectateurs guettent avec impatience ses apparitions. Il y a aussi le truculent PĂšre Pivoine, Ambroise lâescargot et la vache AzalĂ©e, tout aussi pittoresques. Plus tard viendront le lapin Flapy et dâautres encore.
Gentiment non conformiste
Lâatout majeur du ManĂšge, câest Pollux, un chien Ă la fois loufoque et snob qui sâexprime avec un fort accent british, une caractĂ©ristique qui le rend irrĂ©sistible. Avec son look hyper poilu (on aurait envie dâĂ©crire chevelu), il a un je-ne-sais-quoi qui Ă©voque les « quatre garçons dans le vent ». Tout ce qui touche au swinging London de prĂšs et mĂȘme de trĂšs loin est alors tendance, et pour les petits le ManĂšge est raccord avec le vent de nouveautĂ© qui agite leurs grands frĂšres et sĆurs encore immergĂ©s dans la vague « yĂ©yĂ© 2 ».
Lorsque la tĂ©lĂ©vision en couleurs entre dans les foyers, Ă partir de 1967, les tĂ©lĂ©spectateurs dĂ©couvrent que le ManĂšge est dĂ©sormais tournĂ© Ă grand renfort de rouges vifs, dâoranges, de roses et de bleus, un parti pris chromatique qui contribue Ă donner Ă la sĂ©rie son cĂŽtĂ© « pop ». Bien avant Casimir et Goldorak, le ManĂšge incarne dans la tĂ©lĂ©vision française une fraĂźcheur qui permettra la survie du programme bien aprĂšs 1968. Quant Ă lâanimation, elle exprime cette mĂȘme modernitĂ© faussement nonchalante que lâon retrouve dans les dessins animĂ©s des Shadoks, en tirant un maximum dâeffets dâun minimum dâefforts : lorsque ZĂ©bulon parle, seule sa moustache marque le tempo du dialogue. Il en va de mĂȘme pour celle du PĂšre Pivoine, ce qui Ă©vite tout fastidieux lipping Les dĂ©placements de Pollux sont rĂ©gis par le mĂȘme astucieux minimalisme : son abondante toison escamotant ses pattes, nul besoin dâanimer celles-ci. Il y aurait sans doute un parallĂšle Ă Ă©tablir entre la
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de David Prochasson avec Christian Rouillard
Laloux, Caza et Moebius Ă Angers
: une aventure pionniĂšre
De 1977 Ă 1980, Angers a accueilli le tout premier studio dâanimation de France. PortĂ© par le rĂ©alisateur RenĂ© Laloux, qui travaillait alors avec des figures comme Roland Topor, Moebius et Caza, le Centre du cinĂ©ma dâanimation a constituĂ© une aventure aussi historique quâĂ©phĂ©mĂšre. Christian Rouillard, ancien chef opĂ©rateur du cinĂ©aste, se souvient.
Dans quel contexte le Centre du cinĂ©ma dâanimation dâAngers est-il nĂ© ?
Au dĂ©but des annĂ©es 1970, le cinĂ©ma dâanimation est encore largement perçu en France comme un genre pour enfants. On parle de « dessin animĂ© ». Et, pour le long-mĂ©trage, il nâexiste guĂšre dâalternatives Ă Walt Disney. Le seul Ă lâincarner, en France, câest peut-ĂȘtre Paul Grimault qui avait rĂ©alisĂ© La BergĂšre et le Ramoneur sur un scĂ©nario de Jacques PrĂ©vert en 1953. Mais ce premier long-mĂ©trage, dĂ©savouĂ© par ses auteurs qui contestaient la version finale imposĂ©e par les producteurs, a dĂ» attendre 1980 pour devenir le fameux Le Roi et lâOiseau
Lorsquâen 1973 RenĂ© Laloux rĂ©alise La PlanĂšte sauvage Ă partir des dessins de Roland Topor, le film fait lâeffet dâune bombe. Prix spĂ©cial du jury au festival de Cannes, il constitue la brillante dĂ©monstration quâil est possible de rĂ©aliser un longmĂ©trage dâanimation pour adultes avec une qualitĂ© plastique exceptionnelle. Il donne Ă RenĂ© la notoriĂ©tĂ© et la crĂ©dibilitĂ© nĂ©cessaires pour envisager de poursuivre le longmĂ©trage tous publics.
Pour quelles raisons dĂ©cide-t-il de sâinstaller Ă Angers ?
La PlanĂšte sauvage a Ă©tĂ© tournĂ© en TchĂ©coslovaquie, oĂč il existe une forte tradition du film dâanimation. RenĂ© en Ă©tait revenu avec une dĂ©testation profonde de la rigiditĂ© du systĂšme communiste dans les pays de lâEst ! Profitant de sa notoriĂ©tĂ© croissante, il dĂ©cide, pour rĂ©aliser ses prochains films, de crĂ©er son propre studio, en France. Il est soutenu dans sa dĂ©marche par le CNC, Centre national du cinĂ©ma, qui voit dâun bon Ćil un crĂ©ateur de cette envergure produire ses films dans son pays. Comme lâheure est Ă la dĂ©centralisation industrielle, on suggĂšre Ă RenĂ© Laloux, pour quâil puisse obtenir des aides, dâimplanter son projet en rĂ©gion. Avant de choisir Angers, il fait un « casting » des villes de province : il souhaite en prioritĂ© une liaison rapide avec Paris, afin notamment de pouvoir envoyer les pellicules aux laboratoires et les rĂ©cupĂ©rer dans les meilleurs dĂ©lais. De son cĂŽtĂ©, la mairie est rĂ©ceptive au projet : accueillir le premier studio français de films dâanimation est valorisant. Elle y voit aussi des dĂ©bouchĂ©s possibles pour les Ă©tudiants de son Ă©cole des beaux-arts. Les subventions se dĂ©clenchent. La Ville propose alors des locaux dans une ancienne usine affectĂ©e Ă la crĂ©ation dâentreprises, dans le quartier de la BrisepotiĂšre. RenĂ© fait amĂ©nager le bĂątiment et dĂ©cide
â Maquette originale de Caza pour le film dâanimation Gandahar, 1977. Coll. part. Avec lâaimable autorisation de Caza.
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Entretien
Dans le cabinet de curiosités de Marc Caro
Depuis ses premiers courts-mĂ©trages, le goĂ»t de lâanimation nâa jamais quittĂ© Marc Caro, de la mĂȘme maniĂšre que son tropisme pour les cabinets de curiositĂ©s peuplĂ©s dâobjets bizarres, lâinventivitĂ© technique et les robots. Rencontre avec un Ă©rudit du cinĂ©ma dâinvention.
En 1974, vous crĂ©ez la revue Fantasmagorie, entiĂšrement dĂ©diĂ©e au cinĂ©ma dâanimation, puis vous rĂ©alisez deux courts-mĂ©trages dâanimation avec Jean-Pierre Jeunet. Comment en ĂȘtes-vous venu Ă vous intĂ©resser Ă lâanimation ?
Tout enfant, je faisais de la pĂąte Ă modeler, des marionnettes⊠Au dĂ©part, je voulais faire de la bande dessinĂ©e. Câest ce quâil y a de plus abordable : un crayon et une feuille de papier suffisent. Mais le mouvement mâa toujours manquĂ©. Mon premier boulot dâĂ©tĂ© mâa permis dâacheter une camĂ©ra Super 8 avec laquelle jâai rĂ©alisĂ© mes premiers films dâanimation. Je lisais un fanzine dans lequel quelquâun Ă©crivait une rubrique sur lâanimation, AndrĂ© Igual, aujourdâhui dĂ©cĂ©dĂ©. Je lui ai Ă©crit : « Ăa te dirait de faire une revue sur le cinĂ©ma dâanimation ? » Ă lâĂ©poque, il nây avait rien sur le sujet. Il mâa dit banco, et en 1974 on a lancĂ© la revue Fantasmagorie, dont le titre rend hommage Ă la fois au film Ă©ponyme dâĂmile Cohl et Ă Ătienne Robertson, ses fantasmagories et son fantascope.
Le premier numĂ©ro Ă©tait consacrĂ© aux liens entre bande dessinĂ©e et animation. Je suis allĂ© au festival dâAnnecy pour la vendre, et jâai rencontrĂ© un jeune homme qui sâappelait Jean-Pierre Jeunet ; nous sommes devenus amis. Nous nous sommes retrouvĂ©s Ă Paris ; Jean-Pierre travaillait dans le studio de Manuel Otero, CinĂ©mation, et moi jây suis allĂ© pour faire de la bande dessinĂ©e et travailler pour MĂ©tal Hurlant. Jâai aussi commencĂ© des Ă©tudes Ă lâĂ©cole des Gobelins, qui venait dâouvrir ; mais je devais travailler pour vivre et je nâai pas pu aller jusquâau bout. Jean-Pierre voulait faire ses propres courts-mĂ©trages. Il mâa demandĂ© de faire les marionnettes pour LâĂvasion, en 1978, puis Le ManĂšge, en 1980.
Les univers de la bande dessinĂ©e et de lâanimation ont toujours Ă©tĂ© corrĂ©lĂ©s dans votre parcours, mais câĂ©tait aussi une caractĂ©ristique de lâĂ©poque de vos dĂ©buts.
Câest vrai que câĂ©tait un domaine qui Ă©tait en train de devenir adulte : avec Fritz le Chat de Ralph Bakshi, en 1972, La PlanĂšte sauvage de RenĂ© Laloux, en 1973⊠LâĂ©diteur Jacques GlĂ©nat, qui a repris Fantasmagorie, a aussi crĂ©Ă© avec AndrĂ© Igual une revue appelĂ©e Carton. Les Cahiers du dessin dâhumour, avec Chaval, Bosc, Mordillo, SempĂ©, tous ces gens-lĂ . Certains auteurs comme Francis Masse, qui a rĂ©alisĂ© Le Cagouince
Entretien de CĂ©cile Noesser avec Marc Caro â
©
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Marc Caro.
Photo Karl Colonnier.
Les pays animés Bien
mariage entre
dans ce domaine. Il contribue depuis Ă singulariser le territoire ligĂ©rien comme un acteur essentiel de lâĂ©mergence de nouveaux talents et de la crĂ©ation de nouveaux rĂ©cits.
De lâidĂ©e au projet
Lâaventure commence en 2006, juste aprĂšs lâarrivĂ©e de Xavier Kawa-Topor Ă la direction de lâAbbaye royale de Fontevraud : ce dernier, en tant quâancien directeur de lâaction Ă©ducative 1 au Forum des images, Ă Paris, avait reçu de nombreuses personnalitĂ©s du cinĂ©ma dâanimation. TrĂšs souvent, lorsquâil les interrogeait sur leur actualitĂ© filmique, lui Ă©tait formulĂ©e la mĂȘme rĂ©ponse : des envies, certes, mais pas de temps Ă leur consacrer, car pour vivre il fallait enseigner, rĂ©aliser des travaux de commande ou jouer les petites mains sur les films dâautres rĂ©alisateurs. Tous ces artistes manquaient de temps pour passer de lâidĂ©e au projet : Ă Fontevraud, centre culturel de rencontre, Xavier Kawa-Topor allait donc concevoir les circonstances de ce passage, en proposant de crĂ©er une rĂ©sidence dâĂ©criture et de recherche.
Qualité de temps
Bien sĂ»r, pour le site comme pour lâart de lâanimation, installer ce type de rĂ©sidence au cĆur dâun bĂątiment monastique faisait sens, mais ce sens ne forçait peut-ĂȘtre pas lâĂ©vidence. Pourtant, le dispositif a immĂ©diatement rencontrĂ© le succĂšs : dĂšs la deuxiĂšme session, les propositions se sont mises Ă pleuvoir, venant de rĂ©alisateurs mais aussi de diffĂ©rents acteurs qui ont dĂ©sirĂ© sâassocier, du festival Premiers Plans dâAngers au festival dâAnnecy. Du cĂŽtĂ© des auteurs sâexprima le profond besoin de pouvoir investir une qualitĂ© de temps dans les Ă©tapes initiales de la genĂšse dâun film, la premiĂšre approche scĂ©naristique et graphique. Souvent, au cours de cette phase fondamentale, tout vient Ă la fois, puisque de nombreux rĂ©alisateurs sont aussi des dessinateurs. Lâanimation Ă©tant un process extrĂȘmement long et laborieux, par consĂ©quent coĂ»teux, les financements se concentrent sur les segments de la fabrication, du tournage autrement dit, en oubliant parfois lâĂ©laboration et la recherche crĂ©ative, qui sont paradoxalement restĂ©es longtemps les parents pauvres de lâanimation. Ce temps dâĂ©criture est un travail en solitaire, loin dâĂȘtre le plus onĂ©reux, et pourtant il constitue lâendroit oĂč la force des films se dessine : si un film nâest pas bien dĂ©fini Ă sa naissance, il aura beau recevoir ultĂ©rieurement les meilleurs animateurs du monde, rien ne pourra compenser sa faiblesse initiale en termes de narration ou dâĂ©criture visuelle.
GĂ©nie du lieu
Cette rĂ©sidence a aussi prospĂ©rĂ© grĂące Ă la rencontre avec une architecture inspirante, lâAbbaye de Fontevraud, qui a des qualitĂ©s tout Ă fait particuliĂšres. La rĂ©sidence dâĂ©criture a participĂ©
â Ćuvre originale de Florence Miailhe pour lâabbaye royale de Fontevraud.
© Florence Miailhe / CCO - Abbaye royale de Fontevraud.
1. Câest lĂ que Xavier Kawa-Topor lance trois Ă©ditions de Nouvelles Images du Japon (19992001-2003), un festival marquant dans le paysage français, qui verra la premiĂšre rĂ©trospective en la prĂ©sence de Miyazaki en France en 2001, et la premiĂšre internationale du Voyage de Chihiro. Par ailleurs, lâĂ©quipe du Forum des images sâest mise Ă organiser Ă lâannĂ©e des rendez-vous rĂ©guliers en invitant les grands rĂ©alisateurs et rĂ©alisatrices Ă venir tĂ©moigner ; câest Ă©galement lâĂ©poque oĂč se met en place le Carrefour de lâanimation.
Ăva Prouteau
quâinattendu, le
lâAbbaye royale de Fontevraud, monument majeur des Pays de la Loire, et le cinĂ©ma dâanimation a vu naĂźtre, au cours des derniĂšres annĂ©es, lâune des plus importantes rĂ©sidences dâĂ©criture
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Amélie Galli
Ciel et terre
DrĂŽles dâoiseaux, de Charlie Belin
Avec DrĂŽles dâoiseaux, la rĂ©alisatrice
Charlie Belin explore le monde de lâenfance Ă travers un film dâaventures dont le territoire, entre Saumur et lâĂźle de Souzay, est devenu le terrain dâexploration de la jeune Ellie, passionnĂ©e par les oiseaux. Un voyage initiatique Ă hauteur dâherbes folles, rendu par un trait dâaquarelle Ă la beautĂ© majestueuse.
Image prĂ©paratoire du film d'animation DrĂŽles dâoiseaux © DoncvoilĂ productions et Camera lucida productions.
Difficile dâimaginer que Charlie Belin, la cinĂ©aste, ne partage pas la passion dâEllie, lâhĂ©roĂŻne dont elle a couchĂ© sur papier la silhouette et les traits pour son deuxiĂšme film dâanimation, DrĂŽles dâoiseaux La premiĂšre est une jeune rĂ©alisatrice formĂ©e notamment Ă lâESAAT de Roubaix, lâEMCA dâAngoulĂȘme puis La PoudriĂšre de Valence, qui avait dĂ©jĂ rĂ©alisĂ© un court-mĂ©trage, Le Coin , en 2016, dans le cadre dâune collection intitulĂ©e « En sortant de lâĂ©cole ». La seconde est une gamine de dix ans rĂ©cemment entrĂ©e en sixiĂšme, Ă Saumur, et qui semble â à lâimage des oiseaux qui littĂ©ralement la passionnent â survoler de trĂšs haut une vie au collĂšge dont elle nâa pas les codes. Ellie vit seule avec sa mĂšre et privilĂ©gie la compagnie des livres. Observatrice du monde qui lâentoure, elle a dĂ©veloppĂ© une fascination pour les oiseaux dont elle traque traces et plumes dans son quotidien, Ă la table du petit dĂ©jeuner en lisant La Hulotte, sur le chemin de lâĂ©cole, en classe. Sâil nâĂ©tait si solaire, le film dans son ensemble aurait la dĂ©licatesse dâun crissement de pas de rouge-gorge dans la neige. Donnant Ă voir le monde, rĂ©el ou imaginaire, du point de vue de sa jeune hĂ©roĂŻne, Charlie Belin dessine dâun geste Ă la fois prĂ©cis et poĂ©tique â dont lâaspect sobre et joyeux nâest pas sans rappeler les planches animaliĂšres de certains
beaux livres du xixe siĂšcle â une faune patiemment observĂ©e : moineaux, corneilles, pigeons, oiseaux des villes invisibilisĂ©s par la grisaille, autant que des mĂ©sanges charbonniĂšres, balbuzards du pĂȘcheur et geais des chĂȘnes, oiseaux des champs croisĂ©s par Ellie dans les pages de lâAtlas de poche des oiseaux de France quâelle emprunte Ă la bibliothĂšque du collĂšge, puis quâelle rencontre au fil dâune aventure Ă hauteur dâenfant, vĂ©ritable rĂ©acteur du film.
DrĂŽles dâoiseaux est nĂ© dâun appel Ă projets lancĂ© par France TĂ©lĂ©visions ; il sâagissait dâimaginer le « rĂ©cit initiatique dâune hĂ©roĂŻne contemporaine ». Charlie Belin avance donc elle-mĂȘme en exploratrice, Ă la fois Ă©thologue et cartographe. Comme dans le plan dâouverture qui contextualise lâaction du film dans la rĂ©gion oĂč elle se situe depuis le point de vue dâun oiseau planant au-dessus du paysage â dĂ©voilant lâorganisation de la ville, son rapport au fleuve, la Loire, Ă la fois imposante et bienveillante, lâimportance des zones boisĂ©es â, la cinĂ©aste sâattache Ă faire dĂ©couvrir un territoire, embrassant dans un mĂȘme mouvement le ciel et la terre.
BĂąti sur un important travail documentaire, Ă©crit au cours dâune rĂ©sidence Ă lâAbbaye royale de Fontevraud et nourri par des repĂ©rages rĂ©guliers sur lâĂźle de Souzay (bras de terre de quelques kilomĂštres de long en aval
Charlie Belin lors de sa résidence à Fontevraud, 2018. © NEF Animation -
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Photo Anne Le Normand.
Se former Ă donner corps
Pour beaucoup dâĂ©tudiants, se lancer dans lâanimation est lâoccasion de rĂ©aliser un rĂȘve dâenfant. MĂȘme si, dans les faits, les profils peuvent ĂȘtre assez variĂ©s, avec une appĂ©tence plus ou moins prononcĂ©e pour lâhistoire, le dessin, le volume ou lâimage de synthĂšse.
Frédérique Letourneux
Travail autour du story-board, ESMA. © Les Ăcoles CrĂ©atives.
1. La NEF est la premiĂšre plate-forme professionnelle francophone dĂ©diĂ©e Ă lâĂ©criture autour de lâanimation ; son dĂ©lĂ©guĂ© gĂ©nĂ©ral est Xavier Kawa-Topor.
Dans le bureau dâAlexis Venet, lâactuel directeur de lâĂ©cole Pivaut, les affiches de films et les dessins accrochĂ©s au mur Ă©voquent la vie passĂ©e de cet ancien professionnel qui pendant vingt ans a travaillĂ© dans les plus grands studios, chez Disney et ailleurs. Depuis 2015, il dirige lâĂ©cole Pivaut dont la rĂ©putation le prĂ©cĂšde : « Câest non seulement lâĂ©cole privĂ©e la moins chĂšre de lâOuest, mais câest surtout lâune des premiĂšres Ă avoir ouvert un cursus spĂ©cialisĂ© dans lâanimation. » Lâhistoire de lâĂ©cole est fortement associĂ©e Ă la figure de son fondateur, GĂ©rard Pivaut, ouvrier soudeur aux Chantiers navals et artiste peintre. AprĂšs avoir donnĂ© pendant des annĂ©es des cours de dessin aux enfants du quartier Saint-Donatien (Ă lâest de Nantes), il ouvre en 1985 une Ă©cole dâart qui Ă©toffe progressivement son offre : « La premiĂšre formation dans le domaine de lâanimation 2D a Ă©tĂ© ouverte en 2000 sous le pilotage de Barham Rohani, qui avait travaillĂ© sur plusieurs sĂ©ries au sein du studio IDDH, Ă Blois, comme Prince Vaillant , Denver le dernier dinosaure, Les Tortues Ninja... Lâanimation Ă©tait alors un secteur trĂšs confidentiel. Les rares studios travaillaient surtout pour la tĂ©lĂ©vision. »
La liste est longue de ces Ă©coles dâart crĂ©Ă©es par des figures emblĂ©matiques. On peut citer, Ă titre dâexemples, la fondation de lâĂ©cole Penninghen Ă Paris, en 1868, par le peintre Rodolphe Julian ; la crĂ©ation par le peintre dĂ©corateur RenĂ© Brassart dâune Ă©cole dâarts graphiques portant son nom en 1949, Ă Tours ; ou encore celle de lâĂ©cole Ămile Cohl, en rĂ©fĂ©rence au dessinateur français qui est considĂ©rĂ© comme lâinventeur du dessin animĂ©, par lâĂ©crivain Philippe RiviĂšre et le plasticien Roland Andrieu, Ă Lyon, en 1984⊠Mais cette derniĂšre dĂ©cennie, le marchĂ© des Ă©coles dâarts appliquĂ©s et de crĂ©ation visuelle a explosĂ©, et des rĂ©seaux de campus se sont dĂ©veloppĂ©s partout. Ă Nantes, par exemple, de nombreuses Ă©coles proposent dĂ©sormais des formations en animation, avec des spĂ©cialisations dans la 2D/3D, les effets spĂ©ciaux ou le motion : ECV, e-artsup, Brassart, lâĂcole de design Nantes Atlantique⊠Quant Ă lâĂ©cole Pivaut, elle fait dĂ©sormais partie du rĂ©seau IcĂŽnes-Ă©coles crĂ©atives qui regroupe plusieurs Ă©coles, dont lâEsma, basĂ©e elle aussi Ă Nantes, qui propose des formations dans lâanimation 3D, et CinĂ©-CrĂ©atis, lâĂ©cole jumelle spĂ©cialisĂ©e dans les formations en cinĂ©ma.
Des profils variés
Ce foisonnement de formations se traduit par une pluralitĂ© de cursus et renforce la variĂ©tĂ© des profils. Ă lâEsma, par exemple, les bacheliers viennent de tous les horizons. « Certains sont vraiment des littĂ©raires, ce qui les intĂ©resse, câest la mise en rĂ©cit ; dâautres aiment surtout dessiner ; dâautres enfin ont surtout une appĂ©tence pour lâinformatique et la modĂ©lisation
3D. Ils sont Ă la fois trĂšs ouverts et trĂšs disciplinĂ©s. Il faut avoir beaucoup de patience pour rĂ©ussir Ă faire bouger une seule patte dâun insecte ! Ils doivent puiser leur inspiration partout », explique Sandra Mellot, la toute nouvelle directrice de lâEsma et de CinĂ©-CrĂ©atis.
Si, pour les jeunes gĂ©nĂ©rations, certaines rĂ©fĂ©rences restent partagĂ©es comme Le Roi et lâOiseau, le film culte de Paul Grimault sorti en 1980, de nouveaux supports, comme le tĂ©lĂ©phone ou la tablette, permettent la diffusion dâimages animĂ©es variĂ©es : « Pour moi, dans lâanimation, il ne doit pas y avoir de dogme, on doit pouvoir passer dâun monde Ă lâautre, dâun univers exigeant graphiquement Ă South Park ou Les Cassos », assure de son cĂŽtĂ© Alexis Venet. Le dĂ©fi pĂ©dagogique relĂšve alors dâun travail dâĂ©quilibriste entre exigence et lĂącher-prise : « Beaucoup de rĂ©fĂ©rences sont puisĂ©es dans lâunivers du manga, mais aussi dans les jeux vidĂ©o comme Zelda ou Dofus. Ils regardent aussi beaucoup de webtoons sur ordinateur. Jâessaye de leur transmettre des rĂ©fĂ©rences autres que les dessins animĂ©s du Studio Ghibli quâils ont biberonnĂ©s Ă©tant petits. Moi, je suis une grande fan du cinĂ©ma dâanimation japonais de Masaaki Yuasa ou de Satoshi Kon. Je leur dis toujours quâil nâest pas nĂ©cessaire de bien dessiner pour faire un film dâanimation, mais quâil nâest pas suffisant de bien dessiner pour faire un film. Ce qui compte, câest aussi lâhistoire », assure Soizic Mouton, qui assure Ă lâĂ©cole Pivaut le cours de design de personnages et de concept art. Pour ceux qui sont avant tout attirĂ©s par le cinĂ©ma dâauteur, que ce soit sous forme de court ou de long-mĂ©trage, certaines Ă©coles sont identifiĂ©es comme des rĂ©fĂ©rences dans le milieu : La PoudriĂšre Ă Valence, lâĂcole La Cambre en Belgique, Le Royal College of Art Ă Londres ou encore lâĂcole nationale supĂ©rieure des arts dĂ©coratifs Ă Paris. Ă Angers, cette attention Ă lâĂ©criture est Ă©galement au cĆur du projet portĂ© depuis 2022 par lâĂcole supĂ©rieure dâart et de design (Esad-Talm), la NEF Animation 1 et le festival Premiers Plans. La formation ECRAn (Ăcriture CinĂ©matographique en RĂ©cit AnimĂ©) permet ainsi de valider un diplĂŽme supĂ©rieur dâexpression plastique, niveau Master, centrĂ© sur lâĂ©criture cinĂ©matographique et la mise en scĂšne, sous toutes ses formes : story-board, Ă©criture scĂ©naristique, Ă©criture sonoreâŠ
Des histoires de hasard
Soizic Mouton, elle, a choisi il y a une dizaine dâannĂ©es de valider un double cursus, via un diplĂŽme dâillustration Ă lâĂ©cole Estienne, Ă Paris, puis un diplĂŽme en cinĂ©ma dâanimation aux Gobelins, pratiquant longtemps en parallĂšle les deux mĂ©tiers : « La nuit je travaillais sur des projets de livres pour enfants et le jour, sur le dĂ©cor de films pour le compte de gros
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La production en mouvement
Depuis les bureaux de LâIncroyable Studio, Ă bonne hauteur du sol, le regard porte loin. Au sud du bĂątiment du MĂ©diacampus, le futur CHU et son quartier ne sont pour lâinstant que soubassements et palissades de chantier. Tout prĂšs, des immeubles rĂ©cents marquent la prĂ©sence de la ville qui grignote peu Ă peu lâancienne surface du MIN et ses alentours. DerriĂšre, la Loire referme son cours autour de lâĂle de Nantes. MĂȘme si la pluie menace, on ne peut quâĂȘtre sensible Ă lâoriginalitĂ© de la vue. Mais en cet aprĂšs-midi de fĂ©vrier, le dĂ©veloppement immobilier de Nantes nâintĂ©resse pas les quelque douze jeunes femmes et jeunes hommes installĂ©s devant des ordinateurs et leurs extensions (palettes graphiques, scanners et autres appareils). Les yeux rivĂ©s sur leurs Ă©crans, ils terminent leur film dâanimation, rĂ©alisĂ© dans le cadre du dispositif « En sortant de lâĂ©cole », qui sâadresse aux Ă©tudiants diplĂŽmĂ©s des Ă©coles françaises de cinĂ©ma dâanimation. Peinture, dessin « tradigital », papier dĂ©coupĂ© : chacun a choisi sa technique pour illustrer Ă sa maniĂšre un poĂšme sur le thĂšme de lâamitiĂ©. Au terme de plusieurs mois de travail, des cris de joie ponctuent lâenvoi des fichiers. Dans quelques semaines, leurs projets, accompagnĂ©s de lâĂ©criture Ă la production par des professionnels, seront diffusĂ©s par France TĂ©lĂ©visions.
Paysage français
Comme certains secteurs Ă©conomiques, celui de lâanimation est rĂ©parti de façon inĂ©gale sur lâensemble de la France. La rĂ©gion parisienne et AngoulĂȘme constituent les deux pĂŽles principaux, suivis, dans une moindre mesure, par la rĂ©gion Nord et Valence, oĂč les entreprises prospĂšrent autour dâune Ă©cole reconnue ou grĂące au soutien dĂ©veloppĂ© par les collectivitĂ©s locales. Les Pays de la Loire sont restĂ©s longtemps sans apparaĂźtre sur cette carte. Une fois formĂ©s, les talents (artistes ou techniciens) quittaient la rĂ©gion, voire le pays. Mais depuis quelques annĂ©es, dans ce secteur comme ailleurs, lâenvie de gagner en qualitĂ© de vie pousse des actifs plus ou moins expĂ©rimentĂ©s Ă chercher des alternatives hors de la capitale.
Câest le cas de Johan Chiron et Sophie Girard, qui rĂ©alisent un audit avant de fonder Ă Nantes, en 2016, LâIncroyable Studio. « Nous nâaurions sans doute pas montĂ© de studio Ă Paris », analyse Johan Chiron. Au-delĂ du vivier potentiel de collaborateurs, sâinstaller ici leur a permis dâĂȘtre identifiĂ©s et dâidentifier un rĂ©seau rapidement. En premier lieu, ils se basent sur leurs douze ans dâexpĂ©rience pour dĂ©velopper une activitĂ© dâĂ©criture, Ă laquelle sâajoute bientĂŽt la production de films et de sĂ©ries, principalement pour un public jeune. Dans lâidĂ©e de « raconter des histoires dâabord, quel que soit le mĂ©dium », ils sâouvrent Ă lâanimation en 2018 en accueillant, dĂ©jĂ , la collection « En sortant de lâĂ©cole » en tant que producteurs exĂ©cutifs. En parallĂšle ils sâinvestissent, avec dâautres acteurs locaux, dans la crĂ©ation dâun Ă©vĂ©nement spĂ©cifique, ExtrAnimation, lancĂ© la mĂȘme annĂ©e.
Pari gagnĂ© ? DĂ©sormais, les diffĂ©rentes activitĂ©s font tourner le studio. « Nous sommes dans une pĂ©riode oĂč lâanimation va trĂšs bien, reconnaĂźt Johan Chiron. Câest un secteur de plein emploi. Il nous est arrivĂ© de dĂ©caler une production de six mois parce quâon nâarrivait pas Ă rĂ©unir les personnes nĂ©cessaires, et ça arrive dans toutes les rĂ©gions... » En fonction des projets, lâĂ©quipe
â Image du tournage du film ĂcorchĂ©e, court-mĂ©trage Ă©crit et rĂ©alisĂ© par Joachim HĂ©rissĂ©, 2022. © Komadoli Studio.
Pascaline Vallée
Loin des imposants studios de la rĂ©gion parisienne ou dâAngoulĂȘme, quelques structures nantaises fabriquent et produisent des films dâanimation. Un Ă©cosystĂšme qui ne demande quâĂ se dĂ©velopper.
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