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Le cinéma d’animation

Dossier

« Le cinéma d’animation »

05 Éditorial

Xavier Kawa-Topor, directeur de la NEF Animation

06

Une histoire de l’animation

Xavier Kawa-Topor

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Benjamin Rabier tout englouti par l’image

Jérôme Dutel, maître de conférences

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Jacques Demy première manière

Jean-Pierre Pagliano, historien du cinéma

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Danot l’enchanteur

Philippe Moins, fondateur du festival Anima

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Laloux, Caza et Moebius à Angers : une aventure pionnière

Entretien de David Prochasson, journaliste, avec Christian Rouillard, réalisateur

40

Dans le cabinet de curiosités de Marc Caro

Entretien de Cécile Noesser, spécialiste du cinéma d’animation, avec Marc Caro, réalisateur

46

Parenthèse angevine

Michel Ocelot, auteur, réalisateur

48

Les pays animés

Éva Prouteau, critique d’art

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Ciel et terre. Drôles d’oiseaux de Charlie Belin

Amélie Galli, programmatrice au Centre Pompidou

60

Se former à donner corps

Frédérique Letourneux, journaliste

66

La production en mouvement

Pascaline Vallée, journaliste

Échos / Le cinéma d’animation

74

Sandrine Henry, Henri Landré, David Prochasson

Carte blanche

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Artiste invité

Nathaniel H’Limi

80

Dessiner plus grand que soi Anaïs LLobet, critique d’art

Chroniques

82

Anne-Sophie Bourdais, Alain Girard-Daudon, François-Jean Goudeau, Anthony Poiraudeau, Éva Prouteau, Pascaline Vallée

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d’animation

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Dossier Le cinéma
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« L’animation contient toutes les formes d’art et, à cet égard, nous vivons une nouvelle Renaissance 1 » Comment mieux dire l’ampleur du phénomène qui se joue aujourd’hui sous nos yeux ?

Le temps est en effet révolu où l’on considérait communément le dessin animé comme un genre pour enfants obéissant aux canons disneyens, en ignorant à peu près tout de son extraordinaire palette. Peinture animée, films de marionnettes, grattage sur pellicule, animation sur écran d’épingles, ombres chinoises et papiers découpés lui ouvrent pourtant, depuis plus d’un siècle, un champ d’investigation sans limite, à la croisée des arts plastiques, de la danse, de la musique, de la littérature, de la poésie et du cinéma.

Avec le numérique, l’animation a vu ses possibilités expressives s’amplifier et sa présence s’étendre à tous les écrans. Aujourd’hui, elle fait feu de toute part : des longs-métrages du Studio Ghibli à ceux de Wes Anderson ou Guillermo del Toro aux séries qui s’émancipent des standards établis pour s’ouvrir à d’autres publics et d’autres écritures, jusqu’aux créations originales pour internet. Elle n’a jamais été aussi visible dans sa diversité formelle.

En quelques années, elle est devenue en France l’une des filières les plus dynamiques des industries culturelles. Troisième pays producteur d’animations derrière les États-Unis et le Japon, notre pays a imposé un modèle qui repose sur la personnalité artistique de ses auteurs – formés dans un réseau d’écoles reconnues pour leur excellence – et une économie conjuguant financements publics et privés, et coproductions à l’échelle européenne. Et la région des Pays de la Loire, dans tout cela ? Elle s’est inscrite dans le mouvement de l’histoire. Sans qu’on le soupçonne, de grands noms sont attachés à son territoire : Benjamin Rabier dont le célèbre canard Gédéon ambitionna de rivaliser avec ses cousins américains, Félix le Chat, Mickey Mouse et consorts ; Jacques Demy qui fit ses premiers pas de réalisateur en animant des marionnettes ; Serge Danot dont Le Manège enchanté ravit plusieurs générations de jeunes téléspectateurs ; René Laloux qui jeta à Angers les bases de ses films avec Moebius et Caza ; Marc Caro qui participa avec Jean-Pierre Jeunet à l’effervescence créative des années 1980 ; Michel Ocelot qui fut un temps élève à l’école des beaux-arts d’Angers avant que Michel Body n’y crée, en pionnier, l’une des toutes premières formations à l’animation… Une histoire souvent faite d’éclipses, car la condition du cinéma d’animation est restée précaire en France jusqu’au tournant du nouveau millénaire.

Mais il y a aussi les festivals, les salles de cinéma, les associations qui, au cours de ces décennies, ont travaillé à créer un public pour le cinéma d’animation, à promouvoir celui-ci en tant qu’art, en montrant des films de tous horizons, en invitant leurs réalisateurs à rencontrer les habitants, comme Nick Park à Premiers Plans, Koji Yamamura aux Trois Continents, David O’Reilly à La Roche-sur-Yon et tant d’autres… Ces lieux de diffusion ont aussi suscité des vocations, aiguisé des envies de créer, d’entreprendre en région.

Aujourd’hui, une floraison de talents, d’idées et d’initiatives témoigne que l’animation est bien présente dans les Pays de la Loire, avec ses écoles, ses studios, ses productions, ses résidences et les films qui en sont issus, déjà récompensés aux Césars, au Festival d’Annecy et nominés aux Oscars. Ici comme ailleurs, ce dynamisme n’est pas près de s’éteindre tant il est porté par un phénomène générationnel. Oui, l’animation est l’art d’aujourd’hui et de demain !

5 Xavier Kawa-Topor
1. Alberto Mielgo, entretien avec Nicolas Thévenin dans Blink Blank, la revue du film d’animation no 7, avril 2023.
Éditorial

Une histoire de l’animation

Art de pure imagination reposant sur l’illusion du mouvement, le cinéma d’animation a conquis le grand public par sa dimension merveilleuse, avant d’être reconnu enfin pour ce qu’il est aussi : un formidable moyen de représenter le réel.

Sait-on que le dessin animé est né trois ans avant le cinéma ? Et que son inventeur est français ? C’est en effet en 1892 que débutent, au musée Grévin à Paris, les séances du Théâtre Optique d’Émile Reynaud. Le nouveau procédé de l’inventeur du praxinoscope consiste en la projection sur un écran d’une bande de six cents images originales, directement peintes à l’encre sur un support transparent qui décompose, image par image, le mouvement de ses personnages. La vitesse de défilement créant l’illusion du mouvement, les protagonistes de ces pantomimes lumineuses semblent prendre vie à l’écran dans des décors fixes, projetés par une lanterne magique. Toute la magie du dessin animé est déjà là. Pourtant, malgré son succès populaire, le Théâtre Optique d’Émile Reynaud, cantonné à sa seule salle parisienne, est rapidement détrôné par le cinématographe, l’invention des frères Lumière dont les écrans se multiplient. Sur ce nouveau support, le dessin animé renaît entre les mains d’un autre Émile – Cohl, ou Courtet pour l’état civil – dont le premier film animé, Fantasmagorie (1908), inaugure une œuvre teintée de l’esprit du Chat Noir et des avant-gardes pré-surréaliste, hydropathe et incohérente. De parapluie en boîte à malice, de plumes de chapeau en bouteille de champagne, l’histoire est une succession d’idées-images qui se transforment l’une dans l’autre pour en inventer une troisième et faire de la métamorphose le propre d’un nouvel art cinématographique : l’animation.

À la suite d’Émile Cohl, de grands artistes explorent en pionniers les innombrables possibilités formelles du cinéma « image par image » : marionnettes fantastiques de Ladislas Starewitch (Fétiche, 1933), ombres chinoises de Lotte Reiniger (Les Aventures du prince Ahmed, 1926), papiers découpés de Berthold Bartosch ( L’Idée, 1932-1934), écran d’épingles d’Alexandre Alexeïeff et Claire Parker (Une nuit sur le mont Chauve, 1933), interventions directes sur pellicule de Len Lye, expériences dadaïstes de Hans Richter et recherches abstraites d’Oskar et Hans Fischinger… Avec eux, le cinéma d’animation est partie prenante de l’avant-garde artistique de l’entre-deux-guerres, à laquelle il offre les ressources d’un art total.

Aux États-Unis, en revanche, passé les premiers films de Winsor McCay, génial auteur de la célèbre bande dessinée Little Nemo, qui fait de chacun de ses courts-métrages (Little Nemo, 1911, Gertie le dinosaure, 1914) le théâtre d’une expérience formelle, le développement de l’animation prend une tournure industrielle autour d’une technique dominante, le dessin animé qui se prête, plus que toute autre, à la division des tâches et à la production en série. Stylistiquement, le cartoon trouve sa matrice dans le comic strip, la bande dessinée des années dix et vingt : sa composition en deux dimensions et son cadre spatial se réfèrent à la feuille de papier. Félix le Chat d’Otto Mesmer, dont le héros est la première star mondiale du dessin animé, est ainsi, au commencement de la série, un dessin animé quasi « typographique » : la silhouette noire du félin est presque un glyphe et le héros interagit à loisir avec les signes de ponctuation formés au-dessus de sa tête par ses interrogations ou exclamations silencieuses. De la concurrence que se livrent les firmes américaines, au premier rang desquelles le studio des frères Fleischer (Koko le Clown, Betty Boop, Popeye, Superman…) et celui de Walt Disney (Alice Comedies, Mickey Mouse, Silly

← Jiší Trnka, cinéaste d’animation tchèque sur le tournage du Songe d’une nuit d’été, 1959. DR.

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Xavier Kawa-Topor
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Benjamin Rabier

Benjamin Rabier naît le 30 décembre 1864 à Napoléon-Vendée, un nom qui, à lui seul, suffit à exprimer les changements politiques du siècle : La Roche-sur-Yon ne retrouvera en effet son nom originel qu’en 1870, après avoir reçu ceux de Napoléon, Bourbon-Vendée puis Napoléon-Vendée. Benjamin Rabier meurt le 10 octobre 1939, comme s’il ne pouvait qu’être exclu d’une guerre dans laquelle la France est entrée officiellement le 3 septembre ; une guerre qui marque la fin d’une époque et le début d’une nouvelle, la nôtre. Entre ces deux dates, Rabier a gardé en tête les visions de la guerre de 1870 et d’une Commune qui, ses parents ayant rejoint Paris, s’est déroulée sous ses yeux ; il a participé, à sa manière, à la Grande Guerre, reflétant l’air patriotique du temps mais le baignant de ce qui est alors devenu son univers, un univers de distance et de proximité, pastoral et amical. Présentant « Le Bon Pélican blanc », dans Les Contes du hérisson, Rabier ne se décrirait-il pas lui-même ? « Perché sur le toit d’une roulotte [appartenant à la ménagerie d’un cirque] qui lui servait d’observatoire, il voyait se dérouler devant lui les péripéties de la vie champêtre 1 » Chaque mot semble ici porter un écho de ce qu’est Rabier, à distance mais tout proche, comme à la « bonne » place.

Ligne claire, image abymée

Illustrateur et caricaturiste, Rabier, avec l’appui de Caran d’Ache (1858-1909), débute dans cette presse humoristique qu’a fait naître l’aventure du Chat Noir. Vite, comme le voulait cette période frémissante d’accélérations et d’expérimentations, Rabier passe des vignettes et des images d’Épinal à des œuvres nouvelles que revendiquent aujourd’hui aussi bien les spécialistes de l’album de littérature jeunesse que ceux de la bande dessinée 2. À la suite du Britannique Randolph Caldecott (1846-1886), Rabier enlace ses textes et ses images, renversant la préséance qui avait cours jusqu’alors dans le livre illustré et participant, par le succè retentissant de sa série prenant le canard Gédéon comme héros de la basse-cour et du globe, à l’émergence de l’album moderne. Au-delà de l’habileté sémantique et spatiale de ses mises en page, Rabier convainc aussi à travers son trait. Hergé (1907-1983) ne cachera jamais l’influence que le dessinateur aura eue sur lui et sur la naissance de la ligne claire. « Je devais avoir douze ou treize ans lorsque quelqu’un […] m’a offert une série de six cartes postales en couleurs illustrant la fable “Le Corbeau et le Renard”. Et j’ai été immédiatement conquis. Car ces dessins étaient très simples. Très simples, mais robustes, frais, joyeux et d’une lisibilité parfaite. En quelques traits bien charpentés, tout était dit : le décor était indiqué, les acteurs en place ; la comédie pouvait commencer. Les coloris, eux aussi, m’enchantaient. C’étaient des aplats de couleurs, sans aucun dégradé, des couleurs franches, lumineuses, nettement délimitées par un trait énergique et “fermé”. C’est ainsi que, en quelques instants – et à mon insu, car ce n’est que beaucoup plus tard que j’ai pu analyser mes impressions –, c’est ainsi que Benjamin Rabier (car ces dessins étaient de lui, vous l’aurez deviné) est devenu, à mes yeux, un maître ! Et c’est à coup sûr de cette rencontre que date mon

← Première page de Gédéon de Benjamin Rabier, Garnier Frères Éditions, 1930. Coll. Médiathèque de La Roche-sur-Yon.

1. Benjamin Rabier, « Le Bon Pélican blanc », dans Les Contes du hérisson, Escalquens, Éditions Mic Mac, 2017, p. 13-15, p. 13.

2. Voir Paul Gravett (dir.), Les 1001 BD qu’il faut avoir lues dans sa vie, Paris, Flammarion, 2012, p. 62 ; Sophie Van der Linden, Lire l’album, Le Puy-en-Velay, L’Atelier du Poisson soluble, 2006, p. 15.

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tout englouti par l’image
Jérôme Dutel
Connu pour son univers animalier, Benjamin Rabier, « l’homme qui faisait rire les animaux », a touché à tous les arts du xxe siècle naissant, collaborant ainsi avec Émile Cohl pour réaliser quelques films d’animation reprenant ses personnages.

Jacques Demy première manière

En 1989, pour la revue CinémAction, Jean-Pierre Pagliano s’entretenait de cinéma d’animation avec Jacques Demy : de ses premiers films de marionnettes tournés en amateur à sa rencontre avec Paul Grimault.

Un témoignage précieux que nous sommes heureux de vous faire partager.

Romanesque et musical, l’univers de Jacques Demy se caractérise tout autant par sa cohérence plastique. Il est à l’évidence celui d’un coloriste. Avant d’écrire et de mettre en scène, le cinéaste fut attiré par la peinture (qu’il pratique encore volontiers aujourd’hui). C’est aux Beaux-Arts de Nantes qu’il se lia d’amitié avec Bernard Evein, son futur décorateur attitré. Mais à vingt ans, tous deux ne rêvent que de suivre l’exemple du grand Trnka : ils animent des marionnettes, des poupées joliment costumées 1. Pour les beaux yeux de ses premières vedettes, Demy invente des contes et se désole de ne pouvoir acquérir les droits d’un scénario de Sartre, Les Faux-Nez

L’humour et le lyrisme qui nous enchantent dans ses films – de Lola à Trois Places pour le 26 –c’est à travers l’animation qu’ils se sont d’abord exprimés. Et avant même l’époque des marionnettes, avec des personnages en papier découpé... Mais laissons plutôt Demy raconter ses débuts, puisqu’il a bien voulu confier ses souvenirs au magnétophone...

« J’ai suivi les cours du soir à l’école des beaux-arts de Nantes (j’étais dans une école technique dans la journée). Il y avait toute une petite société de peintres, de décorateurs, que j’aimais bien fréquenter. Les conversations entre peintres sont tellement drôles ! Ce sont des gens qui parlent bien de la société, des problèmes contemporains. Et puis les problèmes de la peinture sont passionnants.

J’avais commencé à dessiner, à faire des décors, etc., et j’avais une passion parallèle qui était le cinéma. Mais je n’aimais au cinéma, en fait, que les mises en scène reconstituées, par exemple Sous les toits de Paris de René Clair, Hôtel du Nord de Camé... Tout cet univers, cette époque-là, ces décors reconstitués, ces équipes formidables... Carné, Prévert, Trauner, ça a été mon adolescence. Le tout premier film que j’ai vu, c’est Blanche-Neige, de Disney. Mais ensuite, le premier qui m’a marqué c’est Les Visiteurs du soir (je devais avoir onze ans). Le décor, la transposition de la peinture, tout ce côté-là m’a toujours intéressé. Je ne voulais pas être peintre : cinéaste me semblait vraiment une destinée. Mais il y avait le dessin animé au milieu de ça. Comme je n’avais pas les moyens de faire ce que je voulais (j’avais treize ans lorsque j’ai acheté une caméra), j’ai fait quelques essais de dessins animés, mais comme je voulais des choses en volume, avec des décors plus grands, j’ai inventé une espèce de système. J’avais installé l’électricité dans le grenier de mon père, et monté une table énorme. Et sur cette table je construisais des décors qui étaient tout à fait inspirés par Sous les toits de Paris. Je n’avais jamais été à Paris, mais j’avais refait des toits de Paris, comme j’avais vu dans le court métrage de Grimault Le Voleur de paratonnerres. C’était vraiment un univers qui me parlait complètement et que je reconstituais.

Et c’est ainsi qu’à quatorze ans j’ai entrepris mon premier film, qui s’appelait Attaque nocturne, un film de cinq ou six minutes, en papier découpé mais en volume. Les décors étaient construits,

← Jacques Demy et Paul Grimault lors du tournage de La Table tournante © Photo Patrick Colin.

1. Ainsi que Demy le précise, les costumes étaient déjà de Jacqueline Moreau. Autour de ces œuvres de jeunesse se préfigurait l’équipe des Parapluies de Cherbourg et des Demoiselles de Rochefort

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Danot l’enchanteur

Avec son Manège enchanté installé dans la tannerie paternelle à Cugand en Vendée, Serge Danot fait entrer le cinéma d’animation de volume, ou stop motion, à l’ORTF en 1964.

© Archives
Margote et Pollux, Le Manège enchanté.
Serge Danot.

1. De son propre aveu, c’est ce programme qui a inspiré Claude Leydu pour créer Bonne nuit les petits en 1962 (marionnettes en prises de vues réelles).

2. Pollux a aussi une vague parenté avec Chouchou, la mascotte chevelue de l’émission Salut les copains ›

Tournicoti, tournicoton… Nombreux sont ceux qui ont encore la formule dans l’oreille, petite madeleine d’un temps où le PAF se limitait aux deux chaînes de l’ORTF. Pour les autres, Le Manège enchanté fait partie d’un patrimoine télévisuel lointain qui dans les années soixante s’épanouissait avec succès sans injonctions d’audience. Thierry la Fronde, Le Canard Saturnin ou Belle et Sébastien étaient des produits jeunesse faits maison, réalisés sans grands moyens et animés… des meilleures intentions.

Connu de longue date au cinéma avec parfois d’exceptionnelles réussites (Ladislas Starewitch, George Pal, Jirí Trnka, pour ne citer qu’eux), le stop motion n’est pas conçu au départ pour la télévision, à quelques exceptions près. L’arrivée d’une production spécifiquement destinée aux télévisions européennes coïncide avec l’émergence des programmes destinés aux enfants. Dans les années soixante, la demande pour ceux-ci croît avec la multiplication des postes de télévision dans les foyers. Certains producteurs vont privilégier le stop motion par rapport au dessin animé car, sous sa forme la plus simple, il s’accommode mieux du rythme imposé par les émissions quotidiennes d’avant soirée. C’est ainsi que dès 1959 la Deutscher Fernsehfunk, télévision d’Allemagne de l’Est, propose Das Sandmännchen (« Le Petit Marchand de sable »), dont les poupées animées mettent chaque soir les bambins au lit 1 Petit à petit, des programmes animés en stop motion vont se substituer aux émissions de marionnettes « en direct », l’animation ayant l’avantage de rendre possibles de multiples rediffusions d’un même épisode, sans parler des ventes à l’étranger. En Grande-Bretagne, Les Nouvelles Aventures de Oui-Oui, d’après Enid Blyton, démarrent en 1963 pour animer les après-midis de congé des petits Britanniques. Elles sont suivies au fil de la décennie de nombreuses autres productions animées qui s’exportent dans le Commonwealth et ailleurs. Les standards de ce genre d’animation ne sont pas ceux du cinéma car il faut produire vite et beaucoup : une nouvelle esthétique simplifiée voit le jour, comme cela avait été le cas pour le dessin animé lorsqu’il est apparu à la télévision américaine, à la fin des années quarante. Le stop motion reste pourtant affaire d’artisanat, n’atteignant jamais le degré de standardisation du dessin animé de type cartoon

Une alternative à Bonne nuit les petits

C’est dans ce climat favorable que Le Manège enchanté de Serge Danot apparaît pour la première fois sur les écrans, le 5 octobre 1964, à 19 h 20. Les petits téléspectateurs français découvrent ainsi une alternative à Bonne nuit les petits : au lieu de dire aux bambins qu’il est temps d’aller se brosser les

dents, il s’agit plutôt de les baigner dans un univers propice aux doux rêves, où l’imaginaire et l’humour priment sur l’éducatif. Ils y découvrent jour après jour une bande aussi sympathique qu’hétéroclite, mi humaine, mi animale, qui fréquente le Bois joli, autour du manège du Père Pivoine.

Le Manège enchanté, c’est d’abord un décor volontairement stylisé qui contraste avec le réalisme de Bonne nuit les petits : une fois éparpillés sur le plateau, quelques arbres en aplat, découpés dans du balsa, suffisent à donner un cadre et une profondeur aux saynètes. Un parti pris qui se révèle pertinent, l’efficacité tranquille de ce décor « étalagiste » opérant dès qu’il est peuplé par les personnages issus de l’imagination de Serge Danot et de ses collaborateurs. Il y a d’abord une marionnette assez classique pour Margote, en qui toutes les petites filles peuvent se reconnaître. Les autres sont plus décalées : le diable à ressort Zébulon surgit régulièrement pour multiplier les bizarreries, au point que les jeunes téléspectateurs guettent avec impatience ses apparitions. Il y a aussi le truculent Père Pivoine, Ambroise l’escargot et la vache Azalée, tout aussi pittoresques. Plus tard viendront le lapin Flapy et d’autres encore.

Gentiment non conformiste

L’atout majeur du Manège, c’est Pollux, un chien à la fois loufoque et snob qui s’exprime avec un fort accent british, une caractéristique qui le rend irrésistible. Avec son look hyper poilu (on aurait envie d’écrire chevelu), il a un je-ne-sais-quoi qui évoque les « quatre garçons dans le vent ». Tout ce qui touche au swinging London de près et même de très loin est alors tendance, et pour les petits le Manège est raccord avec le vent de nouveauté qui agite leurs grands frères et sœurs encore immergés dans la vague « yéyé 2 ».

Lorsque la télévision en couleurs entre dans les foyers, à partir de 1967, les téléspectateurs découvrent que le Manège est désormais tourné à grand renfort de rouges vifs, d’oranges, de roses et de bleus, un parti pris chromatique qui contribue à donner à la série son côté « pop ». Bien avant Casimir et Goldorak, le Manège incarne dans la télévision française une fraîcheur qui permettra la survie du programme bien après 1968. Quant à l’animation, elle exprime cette même modernité faussement nonchalante que l’on retrouve dans les dessins animés des Shadoks, en tirant un maximum d’effets d’un minimum d’efforts : lorsque Zébulon parle, seule sa moustache marque le tempo du dialogue. Il en va de même pour celle du Père Pivoine, ce qui évite tout fastidieux lipping Les déplacements de Pollux sont régis par le même astucieux minimalisme : son abondante toison escamotant ses pattes, nul besoin d’animer celles-ci. Il y aurait sans doute un parallèle à établir entre la

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de David Prochasson avec Christian Rouillard

Laloux, Caza et Moebius à Angers

: une aventure pionnière

De 1977 à 1980, Angers a accueilli le tout premier studio d’animation de France. Porté par le réalisateur René Laloux, qui travaillait alors avec des figures comme Roland Topor, Moebius et Caza, le Centre du cinéma d’animation a constitué une aventure aussi historique qu’éphémère. Christian Rouillard, ancien chef opérateur du cinéaste, se souvient.

Dans quel contexte le Centre du cinéma d’animation d’Angers est-il né ?

Au début des années 1970, le cinéma d’animation est encore largement perçu en France comme un genre pour enfants. On parle de « dessin animé ». Et, pour le long-métrage, il n’existe guère d’alternatives à Walt Disney. Le seul à l’incarner, en France, c’est peut-être Paul Grimault qui avait réalisé La Bergère et le Ramoneur sur un scénario de Jacques Prévert en 1953. Mais ce premier long-métrage, désavoué par ses auteurs qui contestaient la version finale imposée par les producteurs, a dû attendre 1980 pour devenir le fameux Le Roi et l’Oiseau

Lorsqu’en 1973 René Laloux réalise La Planète sauvage à partir des dessins de Roland Topor, le film fait l’effet d’une bombe. Prix spécial du jury au festival de Cannes, il constitue la brillante démonstration qu’il est possible de réaliser un longmétrage d’animation pour adultes avec une qualité plastique exceptionnelle. Il donne à René la notoriété et la crédibilité nécessaires pour envisager de poursuivre le longmétrage tous publics.

Pour quelles raisons décide-t-il de s’installer à Angers ?

La Planète sauvage a été tourné en Tchécoslovaquie, où il existe une forte tradition du film d’animation. René en était revenu avec une détestation profonde de la rigidité du système communiste dans les pays de l’Est ! Profitant de sa notoriété croissante, il décide, pour réaliser ses prochains films, de créer son propre studio, en France. Il est soutenu dans sa démarche par le CNC, Centre national du cinéma, qui voit d’un bon œil un créateur de cette envergure produire ses films dans son pays. Comme l’heure est à la décentralisation industrielle, on suggère à René Laloux, pour qu’il puisse obtenir des aides, d’implanter son projet en région. Avant de choisir Angers, il fait un « casting » des villes de province : il souhaite en priorité une liaison rapide avec Paris, afin notamment de pouvoir envoyer les pellicules aux laboratoires et les récupérer dans les meilleurs délais. De son côté, la mairie est réceptive au projet : accueillir le premier studio français de films d’animation est valorisant. Elle y voit aussi des débouchés possibles pour les étudiants de son école des beaux-arts. Les subventions se déclenchent. La Ville propose alors des locaux dans une ancienne usine affectée à la création d’entreprises, dans le quartier de la Brisepotière. René fait aménager le bâtiment et décide

← Maquette originale de Caza pour le film d’animation Gandahar, 1977. Coll. part. Avec l’aimable autorisation de Caza.

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Entretien

Dans le cabinet de curiosités de Marc Caro

Depuis ses premiers courts-métrages, le goût de l’animation n’a jamais quitté Marc Caro, de la même manière que son tropisme pour les cabinets de curiosités peuplés d’objets bizarres, l’inventivité technique et les robots. Rencontre avec un érudit du cinéma d’invention.

En 1974, vous créez la revue Fantasmagorie, entièrement dédiée au cinéma d’animation, puis vous réalisez deux courts-métrages d’animation avec Jean-Pierre Jeunet. Comment en êtes-vous venu à vous intéresser à l’animation ?

Tout enfant, je faisais de la pâte à modeler, des marionnettes… Au départ, je voulais faire de la bande dessinée. C’est ce qu’il y a de plus abordable : un crayon et une feuille de papier suffisent. Mais le mouvement m’a toujours manqué. Mon premier boulot d’été m’a permis d’acheter une caméra Super 8 avec laquelle j’ai réalisé mes premiers films d’animation. Je lisais un fanzine dans lequel quelqu’un écrivait une rubrique sur l’animation, André Igual, aujourd’hui décédé. Je lui ai écrit : « Ça te dirait de faire une revue sur le cinéma d’animation ? » À l’époque, il n’y avait rien sur le sujet. Il m’a dit banco, et en 1974 on a lancé la revue Fantasmagorie, dont le titre rend hommage à la fois au film éponyme d’Émile Cohl et à Étienne Robertson, ses fantasmagories et son fantascope.

Le premier numéro était consacré aux liens entre bande dessinée et animation. Je suis allé au festival d’Annecy pour la vendre, et j’ai rencontré un jeune homme qui s’appelait Jean-Pierre Jeunet ; nous sommes devenus amis. Nous nous sommes retrouvés à Paris ; Jean-Pierre travaillait dans le studio de Manuel Otero, Cinémation, et moi j’y suis allé pour faire de la bande dessinée et travailler pour Métal Hurlant. J’ai aussi commencé des études à l’école des Gobelins, qui venait d’ouvrir ; mais je devais travailler pour vivre et je n’ai pas pu aller jusqu’au bout. Jean-Pierre voulait faire ses propres courts-métrages. Il m’a demandé de faire les marionnettes pour L’Évasion, en 1978, puis Le Manège, en 1980.

Les univers de la bande dessinée et de l’animation ont toujours été corrélés dans votre parcours, mais c’était aussi une caractéristique de l’époque de vos débuts.

C’est vrai que c’était un domaine qui était en train de devenir adulte : avec Fritz le Chat de Ralph Bakshi, en 1972, La Planète sauvage de René Laloux, en 1973… L’éditeur Jacques Glénat, qui a repris Fantasmagorie, a aussi créé avec André Igual une revue appelée Carton. Les Cahiers du dessin d’humour, avec Chaval, Bosc, Mordillo, Sempé, tous ces gens-là. Certains auteurs comme Francis Masse, qui a réalisé Le Cagouince

Entretien de Cécile Noesser avec Marc Caro ←
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Marc Caro.
Photo Karl Colonnier.

Les pays animés Bien

mariage entre

dans ce domaine. Il contribue depuis à singulariser le territoire ligérien comme un acteur essentiel de l’émergence de nouveaux talents et de la création de nouveaux récits.

De l’idée au projet

L’aventure commence en 2006, juste après l’arrivée de Xavier Kawa-Topor à la direction de l’Abbaye royale de Fontevraud : ce dernier, en tant qu’ancien directeur de l’action éducative 1 au Forum des images, à Paris, avait reçu de nombreuses personnalités du cinéma d’animation. Très souvent, lorsqu’il les interrogeait sur leur actualité filmique, lui était formulée la même réponse : des envies, certes, mais pas de temps à leur consacrer, car pour vivre il fallait enseigner, réaliser des travaux de commande ou jouer les petites mains sur les films d’autres réalisateurs. Tous ces artistes manquaient de temps pour passer de l’idée au projet : à Fontevraud, centre culturel de rencontre, Xavier Kawa-Topor allait donc concevoir les circonstances de ce passage, en proposant de créer une résidence d’écriture et de recherche.

Qualité de temps

Bien sûr, pour le site comme pour l’art de l’animation, installer ce type de résidence au cœur d’un bâtiment monastique faisait sens, mais ce sens ne forçait peut-être pas l’évidence. Pourtant, le dispositif a immédiatement rencontré le succès : dès la deuxième session, les propositions se sont mises à pleuvoir, venant de réalisateurs mais aussi de différents acteurs qui ont désiré s’associer, du festival Premiers Plans d’Angers au festival d’Annecy. Du côté des auteurs s’exprima le profond besoin de pouvoir investir une qualité de temps dans les étapes initiales de la genèse d’un film, la première approche scénaristique et graphique. Souvent, au cours de cette phase fondamentale, tout vient à la fois, puisque de nombreux réalisateurs sont aussi des dessinateurs. L’animation étant un process extrêmement long et laborieux, par conséquent coûteux, les financements se concentrent sur les segments de la fabrication, du tournage autrement dit, en oubliant parfois l’élaboration et la recherche créative, qui sont paradoxalement restées longtemps les parents pauvres de l’animation. Ce temps d’écriture est un travail en solitaire, loin d’être le plus onéreux, et pourtant il constitue l’endroit où la force des films se dessine : si un film n’est pas bien défini à sa naissance, il aura beau recevoir ultérieurement les meilleurs animateurs du monde, rien ne pourra compenser sa faiblesse initiale en termes de narration ou d’écriture visuelle.

Génie du lieu

Cette résidence a aussi prospéré grâce à la rencontre avec une architecture inspirante, l’Abbaye de Fontevraud, qui a des qualités tout à fait particulières. La résidence d’écriture a participé

← Œuvre originale de Florence Miailhe pour l’abbaye royale de Fontevraud.

© Florence Miailhe / CCO - Abbaye royale de Fontevraud.

1. C’est là que Xavier Kawa-Topor lance trois éditions de Nouvelles Images du Japon (19992001-2003), un festival marquant dans le paysage français, qui verra la première rétrospective en la présence de Miyazaki en France en 2001, et la première internationale du Voyage de Chihiro. Par ailleurs, l’équipe du Forum des images s’est mise à organiser à l’année des rendez-vous réguliers en invitant les grands réalisateurs et réalisatrices à venir témoigner ; c’est également l’époque où se met en place le Carrefour de l’animation.

Éva Prouteau
qu’inattendu, le
l’Abbaye royale de Fontevraud, monument majeur des Pays de la Loire, et le cinéma d’animation a vu naître, au cours des dernières années, l’une des plus importantes résidences d’écriture
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Amélie Galli

Ciel et terre

Drôles d’oiseaux, de Charlie Belin

Avec Drôles d’oiseaux, la réalisatrice

Charlie Belin explore le monde de l’enfance à travers un film d’aventures dont le territoire, entre Saumur et l’île de Souzay, est devenu le terrain d’exploration de la jeune Ellie, passionnée par les oiseaux. Un voyage initiatique à hauteur d’herbes folles, rendu par un trait d’aquarelle à la beauté majestueuse.

Image préparatoire du film d'animation Drôles d’oiseaux © Doncvoilà productions et Camera lucida productions.

Difficile d’imaginer que Charlie Belin, la cinéaste, ne partage pas la passion d’Ellie, l’héroïne dont elle a couché sur papier la silhouette et les traits pour son deuxième film d’animation, Drôles d’oiseaux La première est une jeune réalisatrice formée notamment à l’ESAAT de Roubaix, l’EMCA d’Angoulême puis La Poudrière de Valence, qui avait déjà réalisé un court-métrage, Le Coin , en 2016, dans le cadre d’une collection intitulée « En sortant de l’école ». La seconde est une gamine de dix ans récemment entrée en sixième, à Saumur, et qui semble – à l’image des oiseaux qui littéralement la passionnent – survoler de très haut une vie au collège dont elle n’a pas les codes. Ellie vit seule avec sa mère et privilégie la compagnie des livres. Observatrice du monde qui l’entoure, elle a développé une fascination pour les oiseaux dont elle traque traces et plumes dans son quotidien, à la table du petit déjeuner en lisant La Hulotte, sur le chemin de l’école, en classe. S’il n’était si solaire, le film dans son ensemble aurait la délicatesse d’un crissement de pas de rouge-gorge dans la neige. Donnant à voir le monde, réel ou imaginaire, du point de vue de sa jeune héroïne, Charlie Belin dessine d’un geste à la fois précis et poétique – dont l’aspect sobre et joyeux n’est pas sans rappeler les planches animalières de certains

beaux livres du xixe siècle – une faune patiemment observée : moineaux, corneilles, pigeons, oiseaux des villes invisibilisés par la grisaille, autant que des mésanges charbonnières, balbuzards du pêcheur et geais des chênes, oiseaux des champs croisés par Ellie dans les pages de l’Atlas de poche des oiseaux de France qu’elle emprunte à la bibliothèque du collège, puis qu’elle rencontre au fil d’une aventure à hauteur d’enfant, véritable réacteur du film.

Drôles d’oiseaux est né d’un appel à projets lancé par France Télévisions ; il s’agissait d’imaginer le « récit initiatique d’une héroïne contemporaine ». Charlie Belin avance donc elle-même en exploratrice, à la fois éthologue et cartographe. Comme dans le plan d’ouverture qui contextualise l’action du film dans la région où elle se situe depuis le point de vue d’un oiseau planant au-dessus du paysage – dévoilant l’organisation de la ville, son rapport au fleuve, la Loire, à la fois imposante et bienveillante, l’importance des zones boisées –, la cinéaste s’attache à faire découvrir un territoire, embrassant dans un même mouvement le ciel et la terre.

Bâti sur un important travail documentaire, écrit au cours d’une résidence à l’Abbaye royale de Fontevraud et nourri par des repérages réguliers sur l’île de Souzay (bras de terre de quelques kilomètres de long en aval

Charlie Belin lors de sa résidence à Fontevraud, 2018. © NEF Animation -
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Photo Anne Le Normand.

Se former à donner corps

Pour beaucoup d’étudiants, se lancer dans l’animation est l’occasion de réaliser un rêve d’enfant. Même si, dans les faits, les profils peuvent être assez variés, avec une appétence plus ou moins prononcée pour l’histoire, le dessin, le volume ou l’image de synthèse.

Frédérique Letourneux Travail autour du story-board, ESMA. © Les Écoles Créatives.

1. La NEF est la première plate-forme professionnelle francophone dédiée à l’écriture autour de l’animation ; son délégué général est Xavier Kawa-Topor.

Dans le bureau d’Alexis Venet, l’actuel directeur de l’école Pivaut, les affiches de films et les dessins accrochés au mur évoquent la vie passée de cet ancien professionnel qui pendant vingt ans a travaillé dans les plus grands studios, chez Disney et ailleurs. Depuis 2015, il dirige l’école Pivaut dont la réputation le précède : « C’est non seulement l’école privée la moins chère de l’Ouest, mais c’est surtout l’une des premières à avoir ouvert un cursus spécialisé dans l’animation. » L’histoire de l’école est fortement associée à la figure de son fondateur, Gérard Pivaut, ouvrier soudeur aux Chantiers navals et artiste peintre. Après avoir donné pendant des années des cours de dessin aux enfants du quartier Saint-Donatien (à l’est de Nantes), il ouvre en 1985 une école d’art qui étoffe progressivement son offre : « La première formation dans le domaine de l’animation 2D a été ouverte en 2000 sous le pilotage de Barham Rohani, qui avait travaillé sur plusieurs séries au sein du studio IDDH, à Blois, comme Prince Vaillant , Denver le dernier dinosaure, Les Tortues Ninja... L’animation était alors un secteur très confidentiel. Les rares studios travaillaient surtout pour la télévision. »

La liste est longue de ces écoles d’art créées par des figures emblématiques. On peut citer, à titre d’exemples, la fondation de l’école Penninghen à Paris, en 1868, par le peintre Rodolphe Julian ; la création par le peintre décorateur René Brassart d’une école d’arts graphiques portant son nom en 1949, à Tours ; ou encore celle de l’école Émile Cohl, en référence au dessinateur français qui est considéré comme l’inventeur du dessin animé, par l’écrivain Philippe Rivière et le plasticien Roland Andrieu, à Lyon, en 1984… Mais cette dernière décennie, le marché des écoles d’arts appliqués et de création visuelle a explosé, et des réseaux de campus se sont développés partout. À Nantes, par exemple, de nombreuses écoles proposent désormais des formations en animation, avec des spécialisations dans la 2D/3D, les effets spéciaux ou le motion : ECV, e-artsup, Brassart, l’École de design Nantes Atlantique… Quant à l’école Pivaut, elle fait désormais partie du réseau Icônes-écoles créatives qui regroupe plusieurs écoles, dont l’Esma, basée elle aussi à Nantes, qui propose des formations dans l’animation 3D, et Ciné-Créatis, l’école jumelle spécialisée dans les formations en cinéma.

Des profils variés

Ce foisonnement de formations se traduit par une pluralité de cursus et renforce la variété des profils. À l’Esma, par exemple, les bacheliers viennent de tous les horizons. « Certains sont vraiment des littéraires, ce qui les intéresse, c’est la mise en récit ; d’autres aiment surtout dessiner ; d’autres enfin ont surtout une appétence pour l’informatique et la modélisation

3D. Ils sont à la fois très ouverts et très disciplinés. Il faut avoir beaucoup de patience pour réussir à faire bouger une seule patte d’un insecte ! Ils doivent puiser leur inspiration partout », explique Sandra Mellot, la toute nouvelle directrice de l’Esma et de Ciné-Créatis.

Si, pour les jeunes générations, certaines références restent partagées comme Le Roi et l’Oiseau, le film culte de Paul Grimault sorti en 1980, de nouveaux supports, comme le téléphone ou la tablette, permettent la diffusion d’images animées variées : « Pour moi, dans l’animation, il ne doit pas y avoir de dogme, on doit pouvoir passer d’un monde à l’autre, d’un univers exigeant graphiquement à South Park ou Les Cassos », assure de son côté Alexis Venet. Le défi pédagogique relève alors d’un travail d’équilibriste entre exigence et lâcher-prise : « Beaucoup de références sont puisées dans l’univers du manga, mais aussi dans les jeux vidéo comme Zelda ou Dofus. Ils regardent aussi beaucoup de webtoons sur ordinateur. J’essaye de leur transmettre des références autres que les dessins animés du Studio Ghibli qu’ils ont biberonnés étant petits. Moi, je suis une grande fan du cinéma d’animation japonais de Masaaki Yuasa ou de Satoshi Kon. Je leur dis toujours qu’il n’est pas nécessaire de bien dessiner pour faire un film d’animation, mais qu’il n’est pas suffisant de bien dessiner pour faire un film. Ce qui compte, c’est aussi l’histoire », assure Soizic Mouton, qui assure à l’école Pivaut le cours de design de personnages et de concept art. Pour ceux qui sont avant tout attirés par le cinéma d’auteur, que ce soit sous forme de court ou de long-métrage, certaines écoles sont identifiées comme des références dans le milieu : La Poudrière à Valence, l’École La Cambre en Belgique, Le Royal College of Art à Londres ou encore l’École nationale supérieure des arts décoratifs à Paris. À Angers, cette attention à l’écriture est également au cœur du projet porté depuis 2022 par l’École supérieure d’art et de design (Esad-Talm), la NEF Animation 1 et le festival Premiers Plans. La formation ECRAn (Écriture Cinématographique en Récit Animé) permet ainsi de valider un diplôme supérieur d’expression plastique, niveau Master, centré sur l’écriture cinématographique et la mise en scène, sous toutes ses formes : story-board, écriture scénaristique, écriture sonore…

Des histoires de hasard

Soizic Mouton, elle, a choisi il y a une dizaine d’années de valider un double cursus, via un diplôme d’illustration à l’école Estienne, à Paris, puis un diplôme en cinéma d’animation aux Gobelins, pratiquant longtemps en parallèle les deux métiers : « La nuit je travaillais sur des projets de livres pour enfants et le jour, sur le décor de films pour le compte de gros

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La production en mouvement

Depuis les bureaux de L’Incroyable Studio, à bonne hauteur du sol, le regard porte loin. Au sud du bâtiment du Médiacampus, le futur CHU et son quartier ne sont pour l’instant que soubassements et palissades de chantier. Tout près, des immeubles récents marquent la présence de la ville qui grignote peu à peu l’ancienne surface du MIN et ses alentours. Derrière, la Loire referme son cours autour de l’Île de Nantes. Même si la pluie menace, on ne peut qu’être sensible à l’originalité de la vue. Mais en cet après-midi de février, le développement immobilier de Nantes n’intéresse pas les quelque douze jeunes femmes et jeunes hommes installés devant des ordinateurs et leurs extensions (palettes graphiques, scanners et autres appareils). Les yeux rivés sur leurs écrans, ils terminent leur film d’animation, réalisé dans le cadre du dispositif « En sortant de l’école », qui s’adresse aux étudiants diplômés des écoles françaises de cinéma d’animation. Peinture, dessin « tradigital », papier découpé : chacun a choisi sa technique pour illustrer à sa manière un poème sur le thème de l’amitié. Au terme de plusieurs mois de travail, des cris de joie ponctuent l’envoi des fichiers. Dans quelques semaines, leurs projets, accompagnés de l’écriture à la production par des professionnels, seront diffusés par France Télévisions.

Paysage français

Comme certains secteurs économiques, celui de l’animation est réparti de façon inégale sur l’ensemble de la France. La région parisienne et Angoulême constituent les deux pôles principaux, suivis, dans une moindre mesure, par la région Nord et Valence, où les entreprises prospèrent autour d’une école reconnue ou grâce au soutien développé par les collectivités locales. Les Pays de la Loire sont restés longtemps sans apparaître sur cette carte. Une fois formés, les talents (artistes ou techniciens) quittaient la région, voire le pays. Mais depuis quelques années, dans ce secteur comme ailleurs, l’envie de gagner en qualité de vie pousse des actifs plus ou moins expérimentés à chercher des alternatives hors de la capitale.

C’est le cas de Johan Chiron et Sophie Girard, qui réalisent un audit avant de fonder à Nantes, en 2016, L’Incroyable Studio. « Nous n’aurions sans doute pas monté de studio à Paris », analyse Johan Chiron. Au-delà du vivier potentiel de collaborateurs, s’installer ici leur a permis d’être identifiés et d’identifier un réseau rapidement. En premier lieu, ils se basent sur leurs douze ans d’expérience pour développer une activité d’écriture, à laquelle s’ajoute bientôt la production de films et de séries, principalement pour un public jeune. Dans l’idée de « raconter des histoires d’abord, quel que soit le médium », ils s’ouvrent à l’animation en 2018 en accueillant, déjà, la collection « En sortant de l’école » en tant que producteurs exécutifs. En parallèle ils s’investissent, avec d’autres acteurs locaux, dans la création d’un événement spécifique, ExtrAnimation, lancé la même année.

Pari gagné ? Désormais, les différentes activités font tourner le studio. « Nous sommes dans une période où l’animation va très bien, reconnaît Johan Chiron. C’est un secteur de plein emploi. Il nous est arrivé de décaler une production de six mois parce qu’on n’arrivait pas à réunir les personnes nécessaires, et ça arrive dans toutes les régions... » En fonction des projets, l’équipe

← Image du tournage du film Écorchée, court-métrage écrit et réalisé par Joachim Hérissé, 2022. © Komadoli Studio.
Pascaline Vallée
Loin des imposants studios de la région parisienne ou d’Angoulême, quelques structures nantaises fabriquent et produisent des films d’animation. Un écosystème qui ne demande qu’à se développer.
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