BBY, DEUX ANS APRĂS
Il avait 93 ans. Une vie sur presque un siĂšcle. BĂ©chir Ben Yahmed nous a quittĂ©s le lundi 3 mai 2021, il y a dĂ©jĂ deux ans, aux premiĂšres lueurs de lâaube, celle de la journĂ©e mondiale de la libertĂ© de la presse, comme un ultime message. Victime des suites dâun Covid-19, dans un Paris entre deux confinements. BBY est parti fidĂšle Ă lui-mĂȘme, conscient dâaborder son ultime voyage, passant des coups de fil Ă ses amis, cherchant Ă avoir les idĂ©es claires, Ă ĂȘtre « debout ». Jusquâau bout.
CâĂ©tait un homme Ă part, qui a su dĂ©passer ses frontiĂšres, qui a vu grand, parfois trop, un homme fort, soucieux de son pouvoir, de son autoritĂ© et de sa libertĂ©. Il a menĂ© une vie de journaliste, dâĂ©ditorialiste et dâentrepreneur, cherchant Ă sâextraire des contraintes, menant sa barque souvent envers et contre tout.
BBY ne croyait pas beaucoup Ă la postĂ©ritĂ© de lâĆuvre. Il se disait que lâhumanitĂ© avance, que les gens oublient vite⊠Il avait dĂ©jĂ perdu beaucoup de ses amis, de ses compagnons du siĂšcle justement, des personnalitĂ©s souvent flamboyantes et qui, pourtant, semblaient comme disparues quelque part dans un livre dâhistoire, rangĂ© sur lâĂ©tagĂšre.
Pourtant, lâĆuvre de BBY est toujours lĂ , prĂ©sente. Il a Ă©tĂ© lâhomme dâune grande idĂ©e, improbable, certainement « infaisable ». Un concept unique, Ă lâaube des indĂ©pendances. Faire un hebdomadaire pour toute lâAfrique, pour tout un continent Ă peine sorti des nuits coloniales. Câest lâaventure dâAfrique Action et de Jeune Afrique. Et aussi celle dâAfrique Magazine, crĂ©Ă© en dĂ©cembre 1983.
Il aura Ă©tĂ© lui-mĂȘme un acteur de lâhistoire, lâun des tout premiers Ă incarner ce concept rĂ©volutionnaire, puissant, dâune Afrique libĂ©rĂ©e, au cĆur du monde, en charge de son destin. Lâun des premiers tisserands du panafricanisme rĂ©el, avec cette idĂ©e que tous les peuples, au nord et au sud du Sahara, malgrĂ© leurs diffĂ©rences, partageaient un destin commun face aux puissances dominantes. Il aura Ă©tĂ© le seul patron de presse tunisien, arabe et africain de son Ă©poque Ă se construire une audience internationale, Ă ĂȘtre lu et Ă©coutĂ© aux quatre coins de la planĂšte. Un militant de lâĂ©mancipation des « Suds » qui aura dĂ©passĂ© ses frontiĂšres, inspirĂ© des centaines de jeunes journalistes. Une Ćuvre justement sur prĂšs de six dĂ©cennies qui a contribuĂ© Ă la prise de conscience dâune multitude dâentre nous.
Ă©dito
PAR ZYAD LIMAMCes fameux Ă©ditos, les « Ce que je crois » sont lĂ , la plupart encore avec acuitĂ©. BBY nâhĂ©site pas Ă y ĂȘtre iconoclaste, Ă assumer son contre-regard et sa subjectivitĂ©. Avec cette curiositĂ© Ă©tonnante qui peut lâentraĂźner sur tous les chemins, la science, la gĂ©opolitique, la dĂ©mographie, la religion, la fin de vieâŠ
BĂCHIR BEN YAHMED
Et puis, il y a le livre aussi, Jâassume, sorti en juin 2021, toujours dans le tumulte des annĂ©es Covid. Ă la fois des mĂ©moires et une tentative dâautoportrait. Un BBY tel quâil est, soucieux de « dire » avec ses sincĂ©ritĂ©s, ses contradictions, ses ambiguĂŻtĂ©s. Un roman personnel Ă©galement, celui dâun entrepreneur aussi perspicace quâaventureux, qui pensait que seule la persĂ©vĂ©rance pouvait mener au succĂšs.
Et il y a surtout ce tĂ©moignage historique, ce regard incisif, « sans fausse diplomatie », sur le monde tel quâil Ă©tait, tel quâil est, et tel quâil pourrait devenir. Ce livre reste indispensable, pour les jeunes et les moins jeunes. Au fil des pages, on revit les indĂ©pendances, les espoirs et les dĂ©sillusions de lâAfrique contemporaine, les convulsions du monde, on retrouve ceux qui ont fait et qui font notre histoire. Bourguiba, HouphouĂ«t- Boigny, Lumumba, Che Guevara, HĂŽ Chi Minh, Senghor, Foccart, Mitterrand, Omar Bongo, Hassan II, Alassane Ouattara, et tant dâautres⊠On se sent partie prenante du rĂ©cit, de cette Afrique en mouvement.
JâASSUME Les MĂ©moires du fondateur de Jeune Afrique, Ă©ditions du Rocher.
Le temps passe certainement. Mais lâĆuvre de BBY reste. Dans cette Ă©poque bouleversĂ©e, oĂč les libertĂ©s sont constamment remises en cause, BĂ©chir Ben Yahmed nous rappelle lâimportance du tĂ©moignage, du mĂ©tier de journaliste, de la nĂ©cessitĂ© de la librepensĂ©e et de la libre expression. Dans cette Ă©poque oĂč le dĂ©veloppement et lâĂ©mergence des « Suds » restent une bataille largement inachevĂ©e, il nous rappelle toujours, aujourdâhui encore, lâimportance de lâambition, de lâindĂ©pendance et de la souverainetĂ©. â
N°440 MAI 2023
TEMPS FORTS
30 LâAfrique et le monde : 10 tendances qui vont marquer notre futur par CĂ©dric Gouverneur
38 Nigeria : The new president! par CĂ©dric Gouverneur
84 Sami Tchak : « Nous ne sommes pas sortis de la logique coloniale » par Astrid Krivian
90 Nadia Hathroubi-Safsaf et Chadia Loueslati : Oum Kalthoum, une femme puissante par Astrid Krivian
98 Aux sources de lâafrobeat par Jean-Marie Chazeau
104 En Arabie, les trĂ©sors dâAl-Ula par Catherine Faye
DĂCOUVERTE
45 CĂTE DâIVOIRE
La force jeune par Dominique Mobioh Ezoua, Philippe Di Nacera et Jihane Zorkot 46 Une exigence nationale 50 Mamadou TourĂ© : « Accompagner vers lâautonomie »
54 Denise Kouadio et Ibrahim Diarrassouba : « Sensibiliser et nous rassembler » 58 Ă la source de lâemploi 60 Le phĂ©nomĂšne
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ON EN PARLE
Câest maintenant, et câest de lâart, de la culture, de la mode, du design et du voyage
« VINCENT MICHĂA : LE CIEL SERA TOUJOURS
BLEU », Galerie Cécile Fakhoury, Paris (France), du 12 mai au 17 juin. cecilefakhoury.com
Ătude pour Le Grand Retour des copines #3 2021.
EXPOSITION
LES CHEMINS DE VINCENT MICHĂA
Avec un NOUVEAU SOLO kaléidoscopique à la galerie Cécile Fakhoury, à Paris.
DU PHOTOMONTAGE Ă la peinture, en passant par la photographie et lâobjet imprimĂ©, Vincent MichĂ©a nâa de cesse de nous conter Dakar, sa ville de cĆur. Surtout son ciel, toujours bleu, et son esthĂ©tique, Ă la croisĂ©e des mondes modernistes et vernaculaires. Dans la nouvelle exposition qui lui est consacrĂ©e par la galeriste franco-ivoirienne CĂ©cile Fakhoury, Ă Paris, une sĂ©lection de ses portraits se rĂ©pond et sâarticule autour de la capitale sĂ©nĂ©galaise, dont lâarchitecture le fascine. Bien connu de la scĂšne ouest-africaine et occidentale, cet artiste du rĂ©alisme et du symbolique, de la libertĂ© et de lâĂ©motion, vit entre Paris et Dakar depuis le milieu des annĂ©es 1980. Ă la fois irrĂ©vĂ©rencieux, joyeux et mĂ©lancolique, son travail Ă©chafaude une passerelle entre les deux citĂ©s quâil habite, et qui lâhabitent. Un rĂŽle de passeur et de transmetteur, qui sâaccorde Ă la philosophie des talents reprĂ©sentĂ©s par la galeriste, dont le langage plastique sâaffranchit des frontiĂšres et refuse la stigmatisation gĂ©ographique. â Catherine Faye
HOMMAGE
LE GOĂT DE LA LECTURE
Lâautrice DĂCLARE SON AMOUR
aux librairies du monde entier. Et Ă leur rĂŽle fondateur.
« CâEST EN RĂACTION Ă un monde qui a cessĂ© de se soucier de lâĂ©crit que la librairie Diwan a Ă©tĂ© fondĂ©e. Elle est nĂ©e le 8 mars 2002 â qui est aussi, par coĂŻncidence, la JournĂ©e internationale des droits des femmes. » Ce jour-lĂ , Ă Zamalek, au nord de lâĂźle cairote de Gezira, Nadia Wassef, sa sĆur Hind et son amie Nihal inaugurent la premiĂšre librairie moderne et indĂ©pendante dâĂgypte. Vingt ans aprĂšs, elle compte une dizaine de succursales et 150 employĂ©s. PersĂ©vĂ©rant Ă travers les ralentissements Ă©conomiques, une rĂ©volution, un coup dâĂtat militaire, une rĂ©pression de la libertĂ© dâexpression et une pandĂ©mie, ce lieu de connaissance, dâĂ©change et dâouverture, est devenu une vĂ©ritable institution. Dans ce rĂ©cit haut en couleur, au pays de Naguib Mahfouz et de Nawal El Saadawi, lâhistoire de cette caverne dâAli Baba de la lecture nous est contĂ©e, portĂ©e par les diverses significations de son nom, Diwan. Recueil de poĂ©sie, lieu de rĂ©union, divan⊠Tout un monde. â C.F.
SOUNDS
Ă Ă©couter maintenant ! Ils ont beau puiser leur inspiration dans le high life comme dans lâafrobeat, les multi-instrumentistes Damien Tesson et Julien Gervaix vivent en France. Avec le duo Ireke, ils sâillustrent dans une mixture joyeuse, solaire et indĂ©niablement funky, et Ă©largissent leur prisme en convoquant des voix familiĂšres et aimĂ©es, telles celles de Pat Kalla et de Sana Bob, pointure du reggae burkinabĂ©.
Ireke Tropikadelic, Underdog Records
Depuis son dĂ©cĂšs en 2006, lâaura dâAli Farka TourĂ© nâa pas faibli. Entre autres grĂące Ă son fils, Vieux Farka TourĂ©, qui veille Ă prĂ©server la flamme de cet imposant hĂ©ritage. AprĂšs lâavoir explorĂ© dans Les Racines, il produit aujourdâhui un Voyageur proposant neuf inĂ©dits. Lesquels ont Ă©tĂ© enregistrĂ©s, souvent en toute improvisation, entre 1991 et 2004. DĂšs lâouverture, le superbe « Safari », la guitare et la voix de lâartiste malien rĂ©sonnent, emballant nos cĆurs et nos tripes.
Alfa Mist
Variables, ANTI-
Depuis 2015, ce compositeur et rappeur britannique impose, au fil de disques sans cesse plus exigeants, un jazz Ă la fois fidĂšle aux traditions (notamment swing ou hard bop) et en quĂȘte de rĂ©invention. Pour cela, il creuse la voie du hip-hop et livre un nouvel album Ă©patant dâhybriditĂ© comme de cohĂ©rence. Si Variables est trĂšs intime, Alfa Mist nâen invite pas moins dâautres artistes, comme le Sud-Africain Bongeziwe Mabandla, dont le timbre habille Ă merveille le titre « Apho ». â Sophie Rosemont
COMĂDIE MUSICALE
OUIDAH SIDE STORY
Dans le dernier film de Jean Odoutan, des ENFANTS DES RUES DU
TAMBOUR TAM-TAM A FAIT
FORTUNE Ă Paname, et le chantier de la rutilante maison qui lâattend Ă Ouidah suscite des envies de dĂ©part chez quatre enfants qui vivent dans la rue. ĂgĂ©s de 12 Ă 14 ans, plus ou moins orphelins, sans les papiers nĂ©cessaires pour aller Ă lâĂ©cole, ils sont suivis de prĂšs par la camĂ©ra de Jean Odoutan pour une comĂ©die musicale en mouvement, au rythme de leurs menus larcins mais aussi de leur prestation en quatuor, chantant et dansant pour obtenir quelques francs. « VoilĂ les chapardeurs ! », « Les pâtits Macron ! » entend-on sur leur passage. Quelques flash-back en noir et blanc nous racontent lâorigine de leur malheur, mais le rĂ©alisateur (qui a lui-mĂȘme connu la rue) nous montre surtout la vitalitĂ© et la bonne humeur de ces gamins. Ă tel point que lorsque le drame menace de survenir, on a du mal Ă y croire. Le fondateur du festival Quintescence et de lâInstitut cinĂ©matographique de Ouidah, rĂ©alisateur notamment de La Valse des gros derriĂšres (2002), signe une nouvelle charge sociale et burlesque, prĂšs de quinze ans aprĂšs le tournage de son dernier long-mĂ©trage, Pim-Pim TchĂ© : Toast de vie ! Il lui a fallu des annĂ©es dâĂ©criture et des mois de travail auprĂšs de ces jeunes pour mettre au point cette comĂ©die rythmĂ©e par la tchatche et les percussions corporelles. Ces petits aventuriers aux pieds nus rĂȘvent dâouvrir une concession Peugeot sur les Champs-ĂlysĂ©es, et une femme chante soudain
« Brigitte Bardot, Bardot ! », mais tout au long de cette Ă©popĂ©e de quartier un peu chaotique, on est bien au BĂ©nin, entre rap et culte vaudou ! â Jean-Marie Chazeau
LE PANTHĂON DE LA JOIE (France-BĂ©nin),de Jean Odoutan. Avec JĂ©rĂ©mie Ahouansou, Jacob Gbetie-Marcos, Jean-Phlorique Anato, Carl Tchanou. En salles.
BĂNIN rĂȘvent dâexil en chantant et en dansant pour quelques piĂšcesâŠ
LITTĂRATURE
LEYMAH GBOWEE RĂ©sistance paciïŹque
Onze ans aprĂšs sa premiĂšre publication, LâAUTOBIOGRAPHIE de la LibĂ©rienne, prix Nobel de la Paix en 2011, reparaĂźt.
LâĂLAN DâUNE SEULE FEMME peut bouleverser lâexistence de bien dâautres. Rien ne prĂ©disposait pourtant Leymah Gbowee, issue dâune famille modeste, mĂšre cĂ©libataire de quatre enfants Ă 25 ans, victime de violences masculines, sans diplĂŽme, Ă devenir lâune des plus importantes militantes pour les droits des femmes et la paix. NĂ©e en 1972 Ă Monrovia, dans un pays fondĂ© en 1822 par lâAmerican Colonization Society (ACS) afin dây installer des esclaves noirs libĂ©rĂ©s, et premier Ătat africain Ă devenir une rĂ©publique indĂ©pendante en 1847, cette femme au destin tumultueux a eu une vie hors du commun. En 1989, lorsque des rebelles armĂ©s, dirigĂ©s par lâancien membre de gouvernement Charles Taylor, fondent sur la capitale, mettant le pays Ă feu et Ă sang, sa vie bascule. Massacres de masse, viols, enfants soldats, anarchie, prolifĂ©ration dâarmes de guerre deviennent le quotidien du pays. Ă 27 ans, face Ă la barbarie du dictateur, elle dĂ©cide de se lever, de multiplier les mobilisations non violentes et de faire entendre la voix des filles, des mĂšres, des Ă©pouses, criant leur dĂ©sespoir et leur dĂ©sir
de rĂ©conciliation. DĂšs lors, la pierre angulaire de son engagement se dessine : les femmes sont la clĂ© de la rĂ©solution des conflits et stimulent lâĂ©dification de la paix. Tenace, devenue leadeuse, elle conduit des milliers de femmes dans des sit-in ininterrompus, des grĂšves conjugales, menace mĂȘme de se dĂ©vĂȘtir publiquement. Le fĂ©minisme sans frontiĂšre de cette « Femen » avant lâheure salue avant tout la sororitĂ©. CouronnĂ©e, en 2011, du prestigieux prix Nobel de la Paix, avec la prĂ©sidente libĂ©rienne Ellen Johnson Sirleaf et la militante et journaliste yĂ©mĂ©nite Tawakkol Karman, elle a Ă©largi son combat Ă toutes les questions des droits des femmes. « Quand jâai commencĂ©, on ne pouvait pas parler publiquement des mutilations gĂ©nitales, du mariage des mineures, de lâĂ©ducation des filles, du contrĂŽle des naissances, de lâhomosexualité⊠», confiait-elle en 2016 au quotidien Le Monde. Son rĂ©cit (paru pour la premiĂšre fois en France en 2012) est un vrai soulĂšvement pour lâavenir des petites et jeunes filles. Ă travers lâhistoire et lâengagement dâune femme au courage hors norme. â C.F.
LEYMAH GBOWEE, Notre force est infinie, Belfond, 352 pages, 21 âŹ.
MĂMOIRES
DâINTĂRĂT NATIONAL
Rouen, Honfleur, Le Havre⊠Trois ports normands qui ont participĂ© Ă la TRAITE ATLANTIQUE et lâesclavage entre 1750 et 1848.
MĂCONNU, ce pan de lâhistoire normande lâest Ă plusieurs titres. LâidĂ©e que lâon se fait dâun port nĂ©grier est avant tout celle dâun grand port, comme Ă Nantes ou Ă Bordeaux, et ceux du littoral normand ne sont pas toujours associĂ©s Ă lâAtlantique. De plus, le milieu nĂ©grier y Ă©tait trĂšs français, alors quâailleurs, un tiers des armateurs Ă©taient Ă©trangers. Enfin, les bombardements du Havre en 1944 en ont fait disparaĂźtre les traces. OrganisĂ©e simultanĂ©ment dans trois lieux distincts, cette exposition sâinscrit donc dans une volontĂ© de restitution et de transmission. Et se dĂ©cline en trois chapitres. Dans un dialogue entre documents dâarchives, objets et Ćuvres. Au Havre, le rĂŽle des individus et la maniĂšre dont ils se sont retrouvĂ©s impliquĂ©s. Ă Honfleur, lâangle maritime, le dĂ©roulement des diffĂ©rentes Ă©tapes de la navigation et les lieux qui la ponctuent. Et Ă Rouen, lâĂ©tude de lâimpact du commerce triangulaire sur le dĂ©veloppement Ă©conomique du territoire et dans la vie quotidienne de toutes les strates de la population normande et des personnes mises en esclavage. â C.F. « ESCLAVAGE, MĂMOIRES NORMANDES », musĂ©e industriel de la Corderie Vallois, Rouen / musĂ©e EugĂšne Boudin, Honfleur / hĂŽtel Dubocage de BlĂ©ville, Havre (France), du 10 mai au 10 novembre.
esclavage-memoires-normandes.fr
CINĂMA
UNE HISTOIRE DE FOU
Dans les montagnes de Kabylie, un homme est mis au ban de son village parce que jugĂ© trop diffĂ©rent. Des paysages sublimes, un suspens familial et une ODE SUBTILE Ă LA TOLĂRANCE : un premier film Ăąpre, mais qui fait du bien.
CâEST LâHISTOIRE dâun fou qui ne lâest pas vraimentâŠ
Il sâappelle Koukou, il a 20 ans et vit en Kabylie, dans un village de haute montagne, Ă 1 300 mĂštres dâaltitude, sans vraiment travailler, mais toujours prĂȘt Ă rendre service. Hommes et femmes y semblent lĂ depuis des siĂšcles, mĂȘmes gestes et mĂȘmes vĂȘtements, alors que lui porte short et T-shirt et a laissĂ© pousser ses cheveux. Doux et rĂȘveur, il est considĂ©rĂ© comme anormal par les anciens. Câest ainsi que le comitĂ© des sages du village dĂ©cide de le faire interner dans un hĂŽpital psychiatrique, aprĂšs quâil a ouvert la cage dâun oiseau pour lui rendre sa libertĂ©. Mais le scĂ©nario ne sâattarde pas dans cet asile, et la seule intervention dâun mĂ©decin Ă lâĂ©cran sera simple et finalement bienveillante. Il faut dire que Koukou reçoit le soutien de son frĂšre, Mahmoud, parti gagner sa vie en ville â comme de nombreux autres jeunes adultes du village â, oĂč il est instituteur. De retour dans les montagnes, rĂ©voltĂ© par cette dĂ©cision prise avec la complicitĂ© de leur pĂšre, celui-ci tente de sâopposer Ă la figure paternelle, qui terrorise dĂ©jĂ sa mĂšre
et sa sĆur. Pas facile de faire face, seul, Ă la morale et Ă lâordre Ă©tabli⊠« Ce village est un cimetiĂšre », constate-t-il. « Il est malade, il ne nous ressemble pas », disent de Koukou les villageois pour se justifier. Câest vrai que lorsque les femmes ramĂšnent sur leur dos de lourdes charges de bois ramassĂ©es Ă des kilomĂštres Ă la ronde, câest lui qui les aide, alors que les hommes restent au village Ă jouer aux dominos⊠Lâexode rural, le poids de la tradition, lâennui, et la place des femmes dans les sociĂ©tĂ©s conservatrices sont autant de thĂšmes subtilement abordĂ©s, rendant aussi hommage Ă la culture berbĂšre : sa langue, ses chants, les couleurs brodĂ©es et fiĂšrement portĂ©es par les filles et les Ă©pouses⊠Ce premier long-mĂ©trage dâOmar Belkacemi, rĂ©alisateur algĂ©rien formĂ© Ă lâInstitut maghrĂ©bin de cinĂ©ma, Ă Tunis, est un habile dosage de poĂ©sie et de philosophie, dans de superbes et rugueux paysages doucement engloutis par une mer de nuages. â J.-M.C. RĂVE (AlgĂ©rie),dâOmar Belkacemi. Avec Mohamed Lefkir, Kouceila Mustapha, Latifa Aissat. En salles.
FESTIVAL DE CANNES
EN HAUT DE LâAFFICHE
Kaouther Ben Hania
« JE SUIS INSTINCTIVE et je me passionne pour des sujets diffĂ©rents », confiait Kaouther Ben Hania Ă Afrique Magazine en 2020. CâĂ©tait Ă lâoccasion de la sortie de LâHomme qui a vendu sa peau, premier film tunisien nommĂ© aux Oscars, tournĂ© entre Bruxelles et Tunis dans le milieu de lâart contemporain, avec Monica Belluci et Yahya Mahayni, comĂ©dien syrien couronnĂ© du prix dâinterprĂ©tation masculine Ă la Mostra de Venise ! La jeune quadragĂ©naire volontaire, native de Sidi Bouzid et qui a Ă©tudiĂ© le cinĂ©ma Ă Tunis et Paris, nâen revendique pas moins ses racines, oĂč elle a dâabord puisĂ© la matiĂšre de rĂ©cits donnant toute leur place aux femmes. Sa premiĂšre fiction, prĂ©sentĂ©e Ă Cannes en 2014, Le Challat de Tunis, Ă©tait un documentaire parodique qui pistait un agresseur balafrant les postĂ©rieurs fĂ©minins. Deux ans plus tard, aprĂšs une incursion au QuĂ©bec (Zaineb nâaime pas la neige, Tanit dâor aux JournĂ©es cinĂ©matographiques de Carthage en 2016), elle revenait sur la Croisette avec La Belle et la Meute, film coup de poing adaptĂ© du livre de Meriem Ben Mohamed, Coupable dâavoir Ă©tĂ© violĂ©e. La voici cette fois en compĂ©tition pour la Palme dâor face Ă de prestigieux aĂźnĂ©s, comme Nanni Moretti ou Wim Wenders, avec Les Filles dâOlfa, qui suit une mĂšre confrontĂ©e Ă la radicalisation islamiste de ses adolescentes. « Un film Ă la lisiĂšre de la fiction et de lâessai, un engagement humain, humaniste et fĂ©ministe », a soulignĂ© le dĂ©lĂ©guĂ© gĂ©nĂ©ral du festival, Thierry FrĂ©maux, en annonçant la sĂ©lection officielle. Lâaudacieuse cinĂ©aste nâa pas fini de nous surprendre. â J.-M.C.
Ramata-Toulaye Sy
UN PREMIER FILM Ă 36 ANS, et la voici directement en lice pour la Palme dâor ! La rĂ©alisatrice nĂ©e Ă Paris (de parents sĂ©nĂ©galais) a dâabord Ă©tĂ© scĂ©nariste, diplĂŽmĂ©e en 2015 de la FEMIS, prestigieuse Ă©cole de cinĂ©ma parisienne. Elle a notamment cosignĂ© le scĂ©nario de Notre-Dame du Nil, tournĂ© au Rwanda par lâĂ©crivain afghan Atiq Rahimi et sorti en 2020, avant de passer derriĂšre la camĂ©ra pour un court-mĂ©trage, Astel : lâhistoire dâune jeune fille de 13 ans qui garde des vaches avec son pĂšre et va ĂȘtre bouleversĂ©e par sa rencontre avec un berger, dont les images et la mise en scĂšne ont impressionnĂ© les jurys de nombreux festivals. Pour son premier long, la cinĂ©aste est retournĂ©e dans la mĂȘme rĂ©gion isolĂ©e du Fouta-Toro, au SĂ©nĂ©gal : Banel & Adama y montre deux amoureux de 18 et 19 ans qui, dans leur village reculĂ©, vivent presque coupĂ©s du monde. Il est introverti et discret, alors quâelle est passionnĂ©e et rebelle. Normal, Ramata-Toulaye Sy a toujours Ă cĆur dâinterroger la place des femmes dans la sociĂ©tĂ© contemporaine. De formation littĂ©raire, trĂšs inspirĂ©e par des autrices afro-amĂ©ricaines comme Maya Angelou et Toni Morrison, ou africaines telle Chimamanda Ngozi
Adichie, elle porte aussi un grand soin visuel Ă ses rĂ©alisations. En retournant dans les paysages arides du nord de son pays dâorigine, elle a choisi de filmer Ă nouveau des Peuls, parce quâils « sâexpriment davantage avec leur regard, leur corps et leurs mouvements, que par la parole ». LâidĂ©al pour une proposition de cinĂ©ma qui sâannonce visuellement trĂšs forte. â J.-M.C.
DEUX LONGS-MĂTRAGES DU CONTINENT en compĂ©tition pour la Palme dâor, dont un film tunisien pour la premiĂšre fois depuis 1970 ! Un doublĂ© dâautant plus rare quâil concerne des RĂALISATRICES qui ont en commun de porter haut le rĂ©cit intime de femmes dâaujourdâhuiâŠ
Ci-contre, Fagadaga, du Sénégalais Yoro Mbaye et ci-dessous, la Tunisienne Charlie Kouka.
INITIATIVE
SUR LA CROISETTE, LE CINĂMA DE DEMAIN
Le
PROGRAMME DâACCOMPAGNEMENT Ă la crĂ©ation de lâInstitut français voit cette annĂ©e quatre laurĂ©ats africains.
LE FESTIVAL DE CANNES est le rendez-vous des stars et des paparazzis, mais câest aussi une terre dâopportunitĂ©s pour ceux qui rĂȘvent de percer dans le cinĂ©ma. Comme les 10 cinĂ©astes dĂ©butants qui participent Ă La Fabrique CinĂ©ma, un programme de lâInstitut français qui se dĂ©roule durant lâĂ©vĂ©nement : valorisant les talents des pays du Sud et Ă©mergents, celui-ci a permis Ă de nombreux films dâarriver jusquâen salles et dâĂȘtre sĂ©lectionnĂ©s dans de grands festivals. Cette annĂ©e, pour sa 15e Ă©dition, quatre des 10 laurĂ©ats qui bĂ©nĂ©ficieront dâun accompagnement personnalisĂ© sont africains : le SĂ©nĂ©galais Yoro Mbaye et la Tunisienne Charlie
Kouka, qui travaillent Ă leur premier long-mĂ©trage, Fagadaga et Le ProcĂšs de LeĂŻla, ainsi que lâĂgyptienne Nada Riyadh et le NigĂ©rian Michael Omonua (câest dâailleurs la premiĂšre fois que le programme sĂ©lectionne un cinĂ©aste de ce pays), qui visent, eux, la rĂ©alisation de leur deuxiĂšme, Moonblind et Galatians Ils seront marrainĂ©s par une productrice dâexception : la Tunisienne Dora Bouchoucha. En activitĂ© depuis 1994 et vĂ©ritable rĂ©fĂ©rence, elle est reconnue pour son engagement en faveur du cinĂ©ma dâauteur et son rĂŽle dans la promotion des cinĂ©mas arabe et africain. Ils nâauraient pas pu souhaiter mieux ! lescinemasdumonde.com/fr â Luisa Nannipieri
La Fabrique Cinéma se déroulera durant le Festival de Cannes, du 17 au 26 mai.
Ci-contre, Moonblind, de lâĂgyptienne Nada Riyadh, et ci-dessus, le NigĂ©rian Michael Omonua.
DRAME
Lâacteur incarne le principal adjoint dâun collĂšge trĂšs respectĂ©, prĂȘt Ă tout pour que son fils rĂ©ussisse son premier examenâŠ
OBLIGATION DE RĂSULTAT
Encore un beau rÎle, tout en raideur et autorité, pour ROSCHDY ZEM.
DâORIGINE MAGHRĂBINE, le principal adjoint dâun collĂšge de lâest de la France, trĂšs respectĂ©, est prĂȘt Ă tout pour que son fils rĂ©ussisse son premier examen⊠SĂ©vĂšre, droit, et quelque peu rigide, il est incarnĂ© par Roschdy Zem avec toute la raideur et lâautoritĂ© nĂ©cessaires. Vivant seul avec son ado (scolarisĂ© dans son Ă©tablissement), sĂ©parĂ© de sa femme enseignante dans le mĂȘme collĂšge, il frĂ©quente dâautres personnages secondaires, mais ĂŽ combien importants pour apporter complexitĂ© et respiration Ă ce film parfois raide : son frĂšre, socialement Ă la dĂ©rive, et la principale, admirative
de son adjoint et passionnĂ©e de littĂ©rature. JusquâoĂč le mensonge auquel il va devoir recourir va-t-il lâentraĂźner ?
Câest tout le suspens de ce long-mĂ©trage habilement rĂ©alisĂ© et solidement interprĂ©tĂ©, qui Ă©voque bien des sujets dans lâair du temps, comme les transfuges de classes ou lâintĂ©gration des immigrĂ©s, sans tomber dans les piĂšges du film Ă thĂšse. Et sans donner de rĂ©ponses toutes faites non plus. â J.-M.C. LE PRINCIPAL (France), de Chad Chenouga. Avec Roschdy Zem, Yolande Moreau, Hedi Bouchenafa. En salles.
CĂ©lĂšbre dans le monde entier, la chanteuse malienne NâOUBLIE PAS SES RACINES et ses nobles combats. En tĂ©moigne son lumineux nouvel album.
« MES TEXTES sont connectĂ©s Ă lâAfrique, confie-t-elle. Lâamour que je lui porte est tant compris que rĂ©ciproque⊠MĂȘme si mon franc-parler peut ĂȘtre difficile Ă entendre. » Revenir sur le fabuleux destin de Fatoumatou Diawara prendrait des pages. AprĂšs une enfance chaotique, elle a vite trouvĂ© son chemin dans la performance et la musique : elle a incarnĂ© la sorciĂšre dans la comĂ©die musicale Kirikou et Karaba, Ă©tĂ© lâune des rĂ©vĂ©lations du film dâAbderrahmane Sissako, Timbuktu, ou encore collaborĂ© avec le duo Ă©lectro Disclosure et le jazzman Herbie Hancock. Sans oublier Matthieu Chedid et Damon Albarn, invitĂ©s sur ce nouvel album inclassable, oĂč se croisent mĂ©lodies mandingues, jazz, pop et afrobeat : « Depuis mes dĂ©buts, jâai toujours voulu fusionner la musique traditionnelle malienne Ă dâautres styles, sans dĂ©naturer cet hĂ©ritage culturel⊠au sein duquel jâai voulu inviter mes frĂšres Matthieu et Damon, qui mâont toujours accueillie sur scĂšne ou en studio. CâĂ©tait Ă mon tour de leur ouvrir mon univers musical. » A aussi Ă©tĂ© conviĂ©e la chanteuse nigĂ©riane Yemi Alade, avec laquelle elle partage le goĂ»t du travail : « Elle reprĂ©sente la pop africaine contemporaine et respecte beaucoup son image. Je voulais lâencourager Ă persister dans cette voie. »
« Pour ĂȘtre cĂ©lĂšbre, il faut travailler, comme nos anciens. Je suis une femme qui met la main Ă la pĂąte », rappelle la chanteuse, dont lâĂ©patant talent transparaĂźt sur chaque titre de London KO. « Un disque me demande des annĂ©es dâinvestissement. Car les messages comptent. Jâai Ă©tĂ© une enfant avant dâĂȘtre une femme, puis une mĂšre. Jâai traversĂ© bien des Ă©preuves pour imposer ma fĂ©minitĂ©, afin quâelle soit respectĂ©e par des hommes dans un monde qui ne nous facilite guĂšre la tĂąche.
Il faut savoir ce que lâon fait, oĂč lâon va, ĂȘtre capable dâĂȘtre un leader, avoir de la substance. Ce nâest pas parce que je vis en Europe que câest facile pour moi⊠Et cela, jâai besoin de le partager pour sensibiliser la jeunesse. »
« La musique ne ment pas et ne peut se dĂ©dier au seul divertissement », rappelle-t-elle de sa voix ensorcelante. Les inĂ©galitĂ©s sociĂ©tales, les mutilations gĂ©nitales, le besoin de solidaritĂ©, la reconnaissance dâun patrimoine ancestral⊠Tout ceci est abordĂ© dans ce dernier album, qui, aussi universel soit-il, offre le meilleur des passeports Ă son royaume colorĂ©, mais tout en complexitĂ©s : « Je souris beaucoup, mais cela ne doit pas ĂȘtre trompeur. Mon combat de femme nâa jamais cessĂ©. » â S.R.
FATOUMATA DIAWARA LA MUSIQUE NE MENT PAS
FATOUMATA DIAWARA, London KO, 3Ăšme Bureau/ Wagram. En concert Ă la Salle Pleyel le 24 mai.
MUSIQUE
NAĂSSAM JALAL
LA VOIX QUI PANSE LES BLESSURES
GUĂRIR UN MONDE soumis aux plus cruelles absurditĂ©s : telle est la mission de la compositrice et flĂ»tiste franco-syrienne avec Healing Rituals.
RITUEL DU VENT, du soleil, de la riviĂšre ou, superbe conclusion, de la brume. Avec des rythmiques mesurĂ©es, chaque morceau de ce neuviĂšme album subtilement orchestrĂ© offre une proposition pour aller mieux. NĂ©e de parents syriens en banlieue parisienne, NaĂŻssam Jalal a Ă©tudiĂ© la musique classique avant de sâaventurer dans dâautres territoires sonores, notamment celui du nay au Grand Institut de musique arabe de Damas, puis de se former auprĂšs du violoniste Ă©gyptien Abdo Dagher. Depuis, on connaĂźt son parcours sans fautes, son travail pour le quintet Rhythms of Resistance, sa Victoire du Jazz en 2019⊠Aujourdâhui, ce neuviĂšme album sâimpose comme un antidote Ă lâadversitĂ©. Cultivant une musique apaisante, rĂ©pĂ©titive et laissant place Ă moult respirations pour encourager Ă se ressourcer, Healing Rituals panse les blessures, tant psychiques que physiques. Y compris celle de Jalal elle-mĂȘme, puisquâelle lâa composĂ© au sortir dâun sĂ©jour en hĂŽpital⊠Une rĂ©ussite dâune humilitĂ© qui en impose. Et hautement rĂ©confortante. â S.R.
NAĂSSAM JALAL, Healing Rituals, Les Couleurs du son/LâAutre Distribution.
RĂCIT
Héros en culottes courtes
Un portrait sans concession des liens que lâon tisse pour Ă©chapper Ă son destin.
ORIGINAIRE de Sierra Leone, Ishmael Beah sâest fait connaĂźtre avec son autobiographie en 2007 (Le Chemin parcouru : MĂ©moires dâun enfant soldat, Presses de la CitĂ©), traduite dans plus de 40 langues. Au plus prĂšs des enfants victimes de la guerre et des gamins des rues, cet ambassadeur pour lâUnicef et membre engagĂ© de Human Rights Watch met en scĂšne cinq orphelins sâimprovisant un foyer dans une carcasse dâavion abandonnĂ©e, relique du chaos et de la guerre qui
ROMAN
Soif dâidĂ©al
Les tourments dâun jeune tunisien Ă la recherche de sa place dans le monde. SON RĂVE : faire carriĂšre dans le milieu artistique, Ă Paris. Seulement, pour Oualid, qui vit Ă Nabeul, dans la pĂ©ninsule de lâest tunisien, Ă la fin des annĂ©es 1990, lâillusion est de courte durĂ©e. Dans cette France, quâil voit comme un pĂŽle culturel et artistique, comme Rome le fut pour les peintres de la Renaissance, il va prendre conscience de lâabsurditĂ© du monde, de quelque chose de dĂ©faillant dans les relations entre les ĂȘtres. Ă lâaune de sa grande dĂ©couverte littĂ©raire, lâĆuvre de Samuel Beckett,
ISHMAEL BEAH, La Petite Famille, Albin Michel, 320 pages, 22,90 âŹ.
a ensanglantĂ© la rĂ©gion. Une communautĂ© de sort et de survie, qui crĂ©e des liens indĂ©fectibles entre ses membres. Seulement, dans ce pays dâAfrique jamais nommĂ©, mais qui ressemble furieusement Ă celui de lâauteur, lâĂ©quilibre de la petite famille de cĆur chancelle lorsque lâaĂźnĂ©, Elimane, fait la connaissance dâun curieux protecteur et que la jeune Khoudiemata nâa dâyeux que pour les gens des beaux quartiers. Un second roman poignant. â C.F.
AYMEN
GHARBI, Le Centre dâappel des Ă©crivains disparus, Asphalte, 160 pages, 18 âŹ.
notamment Fin de partie, symbole du tragique de la condition humaine. Dans le centre dâappels pas comme les autres oĂč il Ă©choue Ă Tunis, le voilĂ engagĂ© pour incarner son mentor, cette hot-line permettant de converser avec de grands auteurs disparus⊠AprĂšs Magma Tunis et La Ville des impasses, ce roman dâapprentissage tĂ©moigne du souci dâĂ©panouissement intellectuel et de lâaspiration Ă la libertĂ©. â C.F.
POP-UP STORE
Le Maroc sâinvite aux Galeries Lafayette
DANS LE CADRE de leur opĂ©ration « MĂ©diterranĂ©e Mania », les Galeries Lafayette sâassocient Ă la Maison de lâartisan du Maroc pour mettre en valeur la culture marocaine. Jusquâau 28 mai, un pop-up store dĂ©diĂ© Ă lâartisanat du royaume chĂ©rifien prendra ses quartiers au deuxiĂšme Ă©tage du cĂ©lĂšbre grand magasin du boulevard Haussmann, Ă Paris : Mlle Ă Marrakech, qui a soignĂ© la sĂ©lection dâaccessoires, tapis, et objets dĂ©co, ainsi que la mise en scĂšne immersive du corner, propose 20 marques qui revisitent lâhĂ©ritage du pays. Comme Bouchra Boudoua et Chabi Chic, avec leurs cĂ©ramiques aux couleurs flamboyantes, Noun Design, qui prĂ©sente entre autres ses coussins amazighs, design et durables, et ses amusantes tables basses, Hendiya et ses produits pour le soin du corps, Ă base dâhuile de figue de barbarie, ou encore Kessy Beldi et Heirloom, qui proposent un art de la table alliant tradition et modernitĂ©. Une partie de cette offre est Ă retrouver Ă©galement dans le magasin des Champs-ĂlysĂ©es. â L.N.
En mai, le GRAND MAGASIN PARISIEN propose une immersion dans lâartisanat du royaume chĂ©rifien.
La piÚce maßtresse est une magnifique robe jaune à volants et un couvre-chef imposant en forme de cornes de vache Ankole, animal vénéré dans le pays.
MASA MARA, FLOWER POWER
Dans sa collection « SILENCE THE GUNS », le Rwandais Nyambo MasaMara invite à faire la paix avec le passé traumatisant.
COLORĂE, PUISSANTE ET ĂVOCATRICE, « Silence
the Guns » (« Faites taire les armes ») est la huitiĂšme et derniĂšre collection signĂ©e Masa Mara. Un label crĂ©Ă© en 2017, au Cap, par le designeur et visual artist rwandais Nyambo MasaMara : Eli Gold, de son vrai nom, aime se servir de ses piĂšces pour affirmer son identitĂ© panafricaine et prendre position sur des sujets qui lui tiennent Ă cĆur. NĂ© au Rwanda au dĂ©but des annĂ©es 1990 dans une famille multiculturelle, il devient un rĂ©fugiĂ© pour Ă©chapper au gĂ©nocide et grandit dans huit pays diffĂ©rents (RĂ©publique dĂ©mocratique du Congo, Ouganda, ou encore Burundi), avant de sâinstaller en Afrique du Sud Ă 12 ans. Cette collection parle de ses dĂ©mons et revient sur un trauma dâenfance â qui nâest pas seulement le sien. MĂ©langeant mode et art, il cherche Ă le dĂ©passer Ă travers les motifs imprimĂ©s, quâil dessine lui-mĂȘme : « Les couleurs et les fleurs de cette collection reprĂ©sentent la gentillesse et la beautĂ© de notre continent natal, notre dĂ©sir de guĂ©rir
et changer la narrative », explique-t-il. « Câest aussi une invitation au reste du monde, pour quâil nous accompagne dans ce changement. Mettons fin aux violences qui tourmentent tant de communautĂ©s en Afrique. Nous sommes une gĂ©nĂ©ration nouvelle, prĂȘte Ă lutter contre la discrimination, la brutalitĂ© et la division. » Voici donc dĂ©filer sur la passerelle des hommes en uniformes fleuris, moulants et chatoyants, avec des fusils peints en rose et jaune fluo. Les cols et les pochettes des chemises militaires intĂšgrent des robes dĂ©structurĂ©es et des habits deux-piĂšces non genrĂ©s, participant au jeu de dĂ©tournement. Tout a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ© au Cap, Ă partir dâun mĂ©lange de coton et de textiles synthĂ©tiques locaux. PiĂšce maĂźtresse de la collection, une magnifique robe jaune Ă volants et un couvre-chef imposant en forme de cornes de vache Ankole â symbole dâun animal vĂ©nĂ©rĂ© au Rwanda et clin dâĆil au pseudo du crĂ©ateur, Nyambo Ă©tant un autre nom du bovin. masamara.co.za â L.N.
DANS LES PAS
DâARMANDO CABRAL
ARMANDO CABRAL a Ă©tĂ© lâun des mannequins les plus demandĂ©s au monde dans les annĂ©es 2000 : Ă 21 ans, il travaillait dĂ©jĂ avec Louis Vuitton et Balmain. Aujourdâhui, il est Ă la tĂȘte dâun label de chaussures de luxe qui mixe lâexpertise de la manufacture europĂ©enne Ă la culture de son pays dâorigine. NĂ© en GuinĂ©e-Bissau en 1982, il a grandi Ă Lisbonne et parcouru le monde, puis sâest lancĂ© dans lâentrepreneuriat en 2008, aprĂšs avoir arpentĂ© des centaines de podiums dans des chaussures aussi magnifiques quâinconfortables. La marque, Ă son nom â qui a ouvert il y a peu une boutique dans le Rockefeller Center, Ă New York â, propose des crĂ©ations classiques mais confortables pour hommes (quelques-unes sont unisexes). Certaines paires sont confectionnĂ©es avec du Pano di Pinti, un tissu principalement produit par deux peuples en GuinĂ©e-Bissau, les Papel et les Manjaques â dont est issue la mĂšre du crĂ©ateur â, et vĂ©ritable symbole socioculturel du pays. Chaque piĂšce a son histoire et son identitĂ©, lesquelles sâexpriment via des motifs inspirĂ©s par la nature, les animaux et les Ă©vĂ©nements traditionnels, reflĂ©tant toute la richesse de la terre natale du designeur. shop.armando-cabral.com â L.N.
Lâex-mannequin star guinĂ©en sâest reconverti dans la CHAUSSURE DE LUXE, crĂ©ant des piĂšces classiques et confort avec une touche inimitable.
SPOTS
EN ROUTE POUR LA CUISINE LATINE
Champagne et ceviche vont de pair Ă JOHANNESBOURG, alors quâĂ NAIROBI, un
réinvente les saveurs du monde.
AVEC SES 400 M2 qui rendent hommage Ă lâart nouveau Ă lâafricaine et invitent Ă sâĂ©vader de la jungle urbaine de Johannesbourg, Zioux (Ă prononcer « zoo ») est lâun des bars Ă cocktails et champagne les plus cool de la ville. InspirĂ©e par les saveurs du Mexique et du PĂ©rou, la carte, trĂšs produits de la mer, sâallie parfaitement aux boissons. On y propose du ceviche, bien sĂ»r, en version saumon avec sauce ponzu, ou au lampris avec sauce matcha et radis. Ainsi que sa variante pĂ©ruvienne, le tiradito, au saumon du Cap, avec lait de coco et truffes, ou Ă lâespadon, avec cĂąpres et piment habanero jaune. Mais aussi des tacos et des plateaux de fruits de mer. En dessert, la goyave pochĂ©e au sirop de jalapeño, avec gelĂ©e dâhibiscus, est un must. Des plats vibrants de goĂ»t, Ă partager sans modĂ©ration. zioux.com
Les saveurs dâAmĂ©rique latine sâinvitent aussi chez Cultiva, une table de la banlieue pavillonnaire de Nairobi. ImaginĂ©e en 2019 comme un restaurant pop-up, elle propose une cuisine « de la ferme Ă lâassiette », avec des recettes piochĂ©es autour du globe mais rigoureusement
rĂ©alisĂ©es Ă partir dâingrĂ©dients locaux. Le concept du fondateur, le chef Ă©quatorien Ariel Moscardi, a si bien marchĂ© quâil sâest agrandi aprĂšs la pandĂ©mie. Le restaurant peut dĂ©sormais accueillir jusquâĂ 210 personnes, dans une ambiance agro-industrielle adoucie par une dĂ©co chaleureuse et vĂ©gĂ©tale. Ici, pas de carte fixe : le chef sâadapte Ă la production disponible. MĂȘme le ceviche varie en fonction de la pĂȘche du jour. Une adresse expĂ©rimentale et crĂ©ative. Compte Instagram : @cultivakenya â L.N.
chef Ă©quatorienLe Cultiva propose une cuisine « de la ferme Ă lâassiette ». La carte du Zioux, adresse chic, se concentre sur les produits de la mer.
ARCHI
Entre histoire et modernité
La rĂ©habilitation dâun ancien PALAIS DâANTANANARIVO par la Fondation H pourrait aider Ă faire renaĂźtre le centre-ville de la capitale malgache.
LES NOUVEAUX LOCAUX de la Fondation H Ă Antananarivo, inaugurĂ©s en avril dernier, nâont pas seulement une portĂ©e culturelle pour la capitale malgache. Lâarchitecte allemand Otmar Dodel, qui vit Ă Madagascar depuis dix-sept ans et a conçu le projet, espĂšre faire de lâancien palais construit en 1912 pour accueillir la Direction centrale des postes et tĂ©lĂ©graphes un moteur de renaissance pour le centre historique de la « ville des milles ». Travaillant avec des artisans locaux, il a profitĂ© des deux ans de chantier pour parfaire la formation de ses Ă©quipes sur des techniques de construction traditionnelles presque disparues. Dans lâoptique de valoriser ces beaux bĂątiments en briques et bois, il a retrouvĂ©
les plans dâorigine et rĂ©habilitĂ© les façades, les portes, et mĂȘme les descentes dâeau, au plus prĂšs de ce quâelles Ă©taient au dĂ©part. Mais les traces des prĂ©cĂ©dentes « vies » de la structure nâont pas Ă©tĂ© entiĂšrement effacĂ©es. Certaines intĂ©grations, comme celles en bĂ©ton des annĂ©es 2000, ont toute leur place dans le nouveau musĂ©e. Lâannexe a en revanche Ă©tĂ© remplacĂ©e par un bĂątiment contemporain et aĂ©rĂ©. Le contraste entre histoire et modernitĂ©, briques rouges et murs blancs, est saisissant. Tout comme lâeffet crĂ©Ă© par la baie vitrĂ©e qui sĂ©pare le patio et la rue. Une invitation aux passants Ă sâapproprier un lieu ouvert Ă tous, qui accueille aussi un cafĂ© et une bibliothĂšque. fondation-h.com â L.N.
Rania Berrada
DANS SON PREMIER ROMAN, LA JOURNALISTE
dresse le portrait poignant et juste dâune jeune femme marocaine en quĂȘte de libertĂ©, affrontant les carcans du patriarcat et lâarbitraire de lâadministration. par Astrid Krivian
âest lâhistoire dâune femme qui attend : aprĂšs un homme, aprĂšs des dĂ©cisions administratives, aprĂšs un oncle qui pourrait la faire venir en Europe pour quâelle suive des Ă©tudes⊠Issue dâun milieu modeste, Najat rĂȘve de quitter sa ville dâOujda, dans la rĂ©gion de lâOriental, pour devenir chercheuse en biologie. « La tendance Ă partir y est plus forte que dans dâautres villes du pays. Pendant longtemps, Oujda a Ă©tĂ© le parent pauvre des politiques Ă©conomiques de dĂ©veloppement au Maroc. Pour les femmes, le moyen de se rendre en Europe Ă©tait dâĂ©pouser un homme », indique Rania Berrada, qui a des attaches familiales dans cette commune. InspirĂ© dâune histoire vraie, Najat ou la survie retrace le chemin sans cesse semĂ© dâembĂ»ches de son hĂ©roĂŻne, qui encaisse les coups du sort, se dĂ©sespĂšre parfois, se relĂšve toujours, tente de braver les carcans du patriarcat. Le rĂ©cit Ă©voque notamment la frustration des jeunes diplĂŽmĂ©s dans le Maroc contemporain, leur rĂ©volte face au manque criant dâopportunitĂ©s professionnelles, exprimĂ©e lors du Mouvement du 20 fĂ©vrier, en 2011. En France, Najat fera lâexpĂ©rience de la ghorba (lâexil), coincĂ©e dans une situation ubuesque, dans lâattente de ses papiers : « Active et volontaire pour sâintĂ©grer, elle subira la lenteur et la rigiditĂ© des procĂ©dures administratives. »
Pour Ă©crire ce premier roman, Rania Berrada a troquĂ© sa casquette de journaliste pour celle dâĂ©crivaine pendant un an : « La meilleure annĂ©e de ma vie. » NĂ©e en 1993 Ă Rabat, oĂč elle a grandi, elle a un vĂ©ritable coup de foudre pour Paris lors dâun voyage familial, Ă 9 ans. « Cette ville mâappelait. Je nâavais alors quâune hĂąte : partir mây installer. » Sa premiĂšre claque littĂ©raire ? Voyage au bout de la nuit, de CĂ©line, quâelle dĂ©vore Ă 16 ans. « Un Ă©vĂ©nement fondateur. Je sentais que lâauteur avait pris un vrai plaisir. Ăcrire pouvait ĂȘtre un exercice agrĂ©able. » AprĂšs sa scolaritĂ© au lycĂ©e français de la capitale marocaine, elle poursuit des Ă©tudes dâĂ©conomie Ă la Sorbonne, Ă Paris. En parallĂšle, un atelier dâĂ©criture hebdomadaire lui met le pied Ă lâĂ©trier. Et par hasard, elle sâinitie au journalisme, en animant une Ă©mission sur une radio Ă©tudiante. Elle se prend au jeu, passe les concours des Ă©coles et intĂšgre lâĂcole des hautes Ă©tudes en sciences de lâinformation et de la communication (CELSA).
Une fois diplĂŽmĂ©e, elle multiplie les expĂ©riences, les contrats de pigiste en presse Ă©crite, radio, tĂ©lĂ©vision, Web : « Comme beaucoup de journalistes dĂ©butants, jâĂ©tais un couteau suisse, couvrant tous les domaines. »
En mal dâadrĂ©naline, elle qui espĂ©rait partir en reportage au bout du monde bĂątonne des dĂ©pĂȘches, un peu dĂ©sillusionnĂ©e. Puis rejoint le mĂ©dia en ligne Brut, pour lequel elle couvre lâactualitĂ© de sa terre natale : « Par ce mĂ©tier, jamais routinier, on rencontre des personnes de milieux trĂšs diffĂ©rents. Jâaime ce grand Ă©cart, ce cĂŽtĂ© camĂ©lĂ©on : assister Ă un gala, puis enchaĂźner sur une manif. » Ses sujets tĂ©moignent de lâeffervescence et de la richesse de la scĂšne culturelle : « Musique, arts plastiques, cinĂ©ma, mode⊠Les Marocains sont novateurs et portent leur crĂ©ation Ă lâĂ©chelle internationale. Câest trĂšs stimulant de le vivre de lâintĂ©rieur ! » â
«Comme beaucoup de dĂ©butants, jâĂ©tais un couteau suisse, je couvrais tous les domaines.»
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MON MARI EST-IL NORMAL ?
RĂ©union entre femmes plutĂŽt mĂ»res dans une capitale dâAfrique centrale. Elles sont mariĂ©es, aisĂ©es, et devisent sur les relations conjugales, et surtout⊠extraconjugales. Toutes savent que leurs maris batifolent. « On nây peut rien, câest comme ça. Le tout, câest quâils mangent et dorment Ă la maison, sinon ça veut dire que câest grave ! » lance lâune dâentre elles. Elles nâaiment pas non plus que les maĂźtresses les appellent pour les insulter, du genre : « Je suis avec ton mari, laisse-le partir, il va te quitter de toute façon, je suis enceinte. » MĂȘme si câest trĂšs frĂ©quent⊠Lâune dâentre elles reste silencieuse, et les copines se moquent dâelle en riant. Du coup, gĂȘnĂ©e, elle sort du silence : « Moi, mon mari est fidĂšle, il est tous les soirs Ă la maison. Le problĂšme, câest que tout le monde se demande sâil est normal. Câest quand mĂȘme la honte. Je lâencourage Ă sortir, espĂ©rant quâil donne un peu plus une image de "mĂąle" Ă lâextĂ©rieur, quâil ait des copines. Mais il nây a rien Ă faire ! » « Câest quâil tâaime ! » plaisante une autre. Ăclat de rire gĂ©nĂ©ral.
En gros, les hommes doivent frĂ©quenter dâautres femmes, mais jusquâĂ un certain point. Ce qui compte, câest la rĂ©putation. Les messieurs peuvent sâafficher en public avec une « petite cousine », bras dessus, bras dessous. En revanche, leurs femmes, non. MĂȘme si elles avouent avoir des aventures. « Beaucoup plus quâon croit ! » renchĂ©rit lâune dâentre elles. Mais ça ne doit absolument pas ĂȘtre public. « Un jour, mon mari mâa surprise par hasard avec un autre homme. Il mâa immĂ©diatement demandĂ© : "Qui est au courant ?" Si ça ne sait pas "dehors", ce nâest pas si grave ! »
Lâessentiel, câest que le mariage et le statut social de Madame, mĂšre des enfants officiels, comme la virilitĂ© de Monsieur ne soient pas remis en question. « AprĂšs plusieurs annĂ©es de mariage, on est surtout des amis, des complices. On essaye de ne plus divorcer pour des affaires de ce genre. Et câest bien comme ça. On reste une femme respectable », conclut lâune dâentre elles, la cinquantaine.
Car lĂ -bas, avant dâĂȘtre un couple, on appartient Ă un groupe social, familial, avec ses codes et ses coutumes, et cela semble ĂȘtre le plus important. De quoi hĂ©risser le poil des fĂ©ministes occidentales. SĂ»rement. « Mais si lâĂ©quilibre est Ă ce prix, tant mieux ! » lance une derniĂšre convive. Autres cieux, autres mĆurs, certes. Et tout cela Ă©voluera peut-ĂȘtre, au fil des gĂ©nĂ©rations. Quand les femmes sâempareront davantage du pouvoir Ă©conomique aussi. Mais en attendant, on peut relancer le dĂ©bat (ancestral sur le sujet) sur qui a raison et qui a tort. Moi, je nâai finalement pas la rĂ©ponse. Et vous ? â
AM vous a offert les premiĂšres pages de notre parution de Mai
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