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 Les 10 donnĂ©es qui vont marquer notre futur. N°440 - MAI 2023 L 13888 - 440 H - F: 4,90 € - RD INTERVIEW CRÉATION TV Nigeria BBY, deux ans dĂ©jĂ  par Zyad Limam CÔTE D’IVOIRE Bola Tinubu Le « faiseur de roi » devenu prĂ©sident France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – AlgĂ©rie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – GrĂšce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 ÂŁ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3 000 FCFA ISSN 0998-9307X0w BANDE DESSINÉE BUSINESS 75 % DE LA POPULATION A MOINS DE 35 ANS Un dossier spĂ©cial de 32 pages OUM KALTHOUM Une femme puissante

BBY, DEUX ANS APRÈS

Il avait 93 ans. Une vie sur presque un siĂšcle. BĂ©chir Ben Yahmed nous a quittĂ©s le lundi 3 mai 2021, il y a dĂ©jĂ  deux ans, aux premiĂšres lueurs de l’aube, celle de la journĂ©e mondiale de la libertĂ© de la presse, comme un ultime message. Victime des suites d’un Covid-19, dans un Paris entre deux confinements. BBY est parti fidĂšle Ă  lui-mĂȘme, conscient d’aborder son ultime voyage, passant des coups de fil Ă  ses amis, cherchant Ă  avoir les idĂ©es claires, Ă  ĂȘtre « debout ». Jusqu’au bout.

C’était un homme Ă  part, qui a su dĂ©passer ses frontiĂšres, qui a vu grand, parfois trop, un homme fort, soucieux de son pouvoir, de son autoritĂ© et de sa libertĂ©. Il a menĂ© une vie de journaliste, d’éditorialiste et d’entrepreneur, cherchant Ă  s’extraire des contraintes, menant sa barque souvent envers et contre tout.

BBY ne croyait pas beaucoup Ă  la postĂ©ritĂ© de l’Ɠuvre. Il se disait que l’humanitĂ© avance, que les gens oublient vite
 Il avait dĂ©jĂ  perdu beaucoup de ses amis, de ses compagnons du siĂšcle justement, des personnalitĂ©s souvent flamboyantes et qui, pourtant, semblaient comme disparues quelque part dans un livre d’histoire, rangĂ© sur l’étagĂšre.

Pourtant, l’Ɠuvre de BBY est toujours lĂ , prĂ©sente. Il a Ă©tĂ© l’homme d’une grande idĂ©e, improbable, certainement « infaisable ». Un concept unique, Ă  l’aube des indĂ©pendances. Faire un hebdomadaire pour toute l’Afrique, pour tout un continent Ă  peine sorti des nuits coloniales. C’est l’aventure d’Afrique Action et de Jeune Afrique. Et aussi celle d’Afrique Magazine, crĂ©Ă© en dĂ©cembre 1983.

Il aura Ă©tĂ© lui-mĂȘme un acteur de l’histoire, l’un des tout premiers Ă  incarner ce concept rĂ©volutionnaire, puissant, d’une Afrique libĂ©rĂ©e, au cƓur du monde, en charge de son destin. L’un des premiers tisserands du panafricanisme rĂ©el, avec cette idĂ©e que tous les peuples, au nord et au sud du Sahara, malgrĂ© leurs diffĂ©rences, partageaient un destin commun face aux puissances dominantes. Il aura Ă©tĂ© le seul patron de presse tunisien, arabe et africain de son Ă©poque Ă  se construire une audience internationale, Ă  ĂȘtre lu et Ă©coutĂ© aux quatre coins de la planĂšte. Un militant de l’émancipation des « Suds » qui aura dĂ©passĂ© ses frontiĂšres, inspirĂ© des centaines de jeunes journalistes. Une Ɠuvre justement sur prĂšs de six dĂ©cennies qui a contribuĂ© Ă  la prise de conscience d’une multitude d’entre nous.

Ă©dito

Ces fameux Ă©ditos, les « Ce que je crois » sont lĂ , la plupart encore avec acuitĂ©. BBY n’hĂ©site pas Ă  y ĂȘtre iconoclaste, Ă  assumer son contre-regard et sa subjectivitĂ©. Avec cette curiositĂ© Ă©tonnante qui peut l’entraĂźner sur tous les chemins, la science, la gĂ©opolitique, la dĂ©mographie, la religion, la fin de vie


BÉCHIR BEN YAHMED

Et puis, il y a le livre aussi, J’assume, sorti en juin 2021, toujours dans le tumulte des annĂ©es Covid. À la fois des mĂ©moires et une tentative d’autoportrait. Un BBY tel qu’il est, soucieux de « dire » avec ses sincĂ©ritĂ©s, ses contradictions, ses ambiguĂŻtĂ©s. Un roman personnel Ă©galement, celui d’un entrepreneur aussi perspicace qu’aventureux, qui pensait que seule la persĂ©vĂ©rance pouvait mener au succĂšs.

Et il y a surtout ce tĂ©moignage historique, ce regard incisif, « sans fausse diplomatie », sur le monde tel qu’il Ă©tait, tel qu’il est, et tel qu’il pourrait devenir. Ce livre reste indispensable, pour les jeunes et les moins jeunes. Au fil des pages, on revit les indĂ©pendances, les espoirs et les dĂ©sillusions de l’Afrique contemporaine, les convulsions du monde, on retrouve ceux qui ont fait et qui font notre histoire. Bourguiba, HouphouĂ«t- Boigny, Lumumba, Che Guevara, HĂŽ Chi Minh, Senghor, Foccart, Mitterrand, Omar Bongo, Hassan II, Alassane Ouattara, et tant d’autres
 On se sent partie prenante du rĂ©cit, de cette Afrique en mouvement.

J’ASSUME Les MĂ©moires du fondateur de Jeune Afrique, Ă©ditions du Rocher.

Le temps passe certainement. Mais l’Ɠuvre de BBY reste. Dans cette Ă©poque bouleversĂ©e, oĂč les libertĂ©s sont constamment remises en cause, BĂ©chir Ben Yahmed nous rappelle l’importance du tĂ©moignage, du mĂ©tier de journaliste, de la nĂ©cessitĂ© de la librepensĂ©e et de la libre expression. Dans cette Ă©poque oĂč le dĂ©veloppement et l’émergence des « Suds » restent une bataille largement inachevĂ©e, il nous rappelle toujours, aujourd’hui encore, l’importance de l’ambition, de l’indĂ©pendance et de la souverainetĂ©. ■

AFRIQUE MAGAZINE I 440 – MAI 2023 3

N°440 MAI 2023

TEMPS FORTS

30 L’Afrique et le monde : 10 tendances qui vont marquer notre futur par CĂ©dric Gouverneur

38 Nigeria : The new president! par CĂ©dric Gouverneur

84 Sami Tchak : « Nous ne sommes pas sortis de la logique coloniale » par Astrid Krivian

90 Nadia Hathroubi-Safsaf et Chadia Loueslati : Oum Kalthoum, une femme puissante par Astrid Krivian

98 Aux sources de l’afrobeat par Jean-Marie Chazeau

104 En Arabie, les trĂ©sors d’Al-Ula par Catherine Faye

DÉCOUVERTE

45 CÔTE D’IVOIRE

La force jeune par Dominique Mobioh Ezoua, Philippe Di Nacera et Jihane Zorkot 46 Une exigence nationale 50 Mamadou TourĂ© : « Accompagner vers l’autonomie »

54 Denise Kouadio et Ibrahim Diarrassouba : « Sensibiliser et nous rassembler » 58 À la source de l’emploi 60 Le phĂ©nomĂšne

Afrique Magazine est interdit de diffusion en AlgĂ©rie depuis mai 2018. Une dĂ©cision sans aucune justification. Cette grande nation africaine est la seule du continent (et de toute notre zone de lecture) Ă  exercer une mesure de censure d’un autre temps

Le maintien de cette interdiction pĂ©nalise nos lecteurs algĂ©riens avant tout, au moment oĂč le pays s’engage dans un grand mouvement de renouvellement. Nos amis algĂ©riens peuvent nous retrouver sur notre site Internet : www.afriquemagazine.com

4 AFRIQUE MAGAZINE I 440 – MAI 2023
VINCENT MICHÉAGRÉGORY COPITETFINABRR O’REILLY/NYT/REDUX/RÉA
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 Les 10 donnĂ©es qui vont marquer notre futur. N°440 MAI 2023 13888 440 F: 4,90 € RD INTERVIEW CRÉATION TV Nigeria BBY, deux ans dĂ©jĂ  par Zyad Limam CÔTE D’IVOIRE Bola Tinubu Le « faiseur de roi » devenu prĂ©sident – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – AlgĂ©rie 320 DA – Allemagne 6,90 ––BANDE DESSINÉE 75% DE LA POPULATION A MOINS DE 35 ANS Un dossier spĂ©cial de 32 pages OUM KALTHOUM Une femme puissante AM 440 COUV Zyad.indd PHOTOS DE COUVERTURE : BRUNO LÉVY POUR JA - SHUTTERSTOCK - KOLA SULAIMON/AFP - DR - FRANCESCO GATTONI
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»
de l’école
!
EN
chemins de Vincent Michéa
PARCOURS Rania Berrada par Astrid Krivian 29 C’EST
? Mon mari est-il normal ? par Emmanuelle Pontié 78 PORTFOLIO World Press Photo
: Une si sombre année par Zyad Limam
CE QUE J’AI APPRIS Conti Bilong par Astrid Krivian 120 VIVRE MIEUX
: Les allergies se multiplient par Annick Beaucousin 122 VINGT QUESTIONS À
 Wifa par Astrid Krivian
des « repats
62 La bataille
64 En action
3 ÉDITO BBY, deux ans aprùs par Zyad Limam 6 ON
PARLE C’EST DE L’ART, DE LA CULTURE, DE LA MODE ET DU DESIGN Les
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COMMENT
2023
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Alerte
P.06

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FONDÉ EN 1983 (39e ANNÉE)

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ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO

Jean-Marie Chazeau, Philippe Di Nacera, Catherine Faye, CĂ©dric Gouverneur, Aude Jouanne, Dominique Jouenne, Astrid Krivian, Camille LefĂšvre, Élise Lejeune, Dominique Mobioh Ezoua, Luisa Nannipieri, Sophie Rosemont, Jihane Zorkot.

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Danielle Ben Yahmed RÉDACTRICE EN CHEF avec Annick Beaucousin.

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La rĂ©daction n’est pas responsable des textes et des photos reçus. Les indications de marque et les adresses figurant dans les pages rĂ©dactionnelles sont donnĂ©es Ă  titre d’information, sans aucun but publicitaire. La reproduction, mĂȘme partielle, des articles et illustrations pris dans Afrique Magazine est strictement interdite, sauf accord de la rĂ©daction. © Afrique Magazine 2023.

AFRIQUE MAGAZINE I 440 – MAI 2023 5 110 L’uranium fait son come-back 114 Teva Meyer : « Il manque un rĂ©seau Ă©lectrique transnational » 116 PrĂȘt record du FMI en soutien Ă  la croissance ivoirienne 117 Des vaccins ARN messager « made in Africa » 118 Le Naira fait tanguer le Nigeria 119 Fortune : NigĂ©rians et Sud-Africains font la course en tĂȘte par CĂ©dric Gouverneur BUSINESS EVGENIY MALOLETKA/ASSOCIATED PRESSDRKEEWU PRODUCTIONS

ON EN PARLE

C’est maintenant, et c’est de l’art, de la culture, de la mode, du design et du voyage

« VINCENT MICHÉA : LE CIEL SERA TOUJOURS

BLEU », Galerie Cécile Fakhoury, Paris (France), du 12 mai au 17 juin. cecilefakhoury.com

Étude pour Le Grand Retour des copines #3 2021.

6 AFRIQUE MAGAZINE I 440 – MAI 2023
VINCENT MICHÉA

EXPOSITION

LES CHEMINS DE VINCENT MICHÉA

Avec un NOUVEAU SOLO kaléidoscopique à la galerie Cécile Fakhoury, à Paris.

DU PHOTOMONTAGE Ă  la peinture, en passant par la photographie et l’objet imprimĂ©, Vincent MichĂ©a n’a de cesse de nous conter Dakar, sa ville de cƓur. Surtout son ciel, toujours bleu, et son esthĂ©tique, Ă  la croisĂ©e des mondes modernistes et vernaculaires. Dans la nouvelle exposition qui lui est consacrĂ©e par la galeriste franco-ivoirienne CĂ©cile Fakhoury, Ă  Paris, une sĂ©lection de ses portraits se rĂ©pond et s’articule autour de la capitale sĂ©nĂ©galaise, dont l’architecture le fascine. Bien connu de la scĂšne ouest-africaine et occidentale, cet artiste du rĂ©alisme et du symbolique, de la libertĂ© et de l’émotion, vit entre Paris et Dakar depuis le milieu des annĂ©es 1980. À la fois irrĂ©vĂ©rencieux, joyeux et mĂ©lancolique, son travail Ă©chafaude une passerelle entre les deux citĂ©s qu’il habite, et qui l’habitent. Un rĂŽle de passeur et de transmetteur, qui s’accorde Ă  la philosophie des talents reprĂ©sentĂ©s par la galeriste, dont le langage plastique s’affranchit des frontiĂšres et refuse la stigmatisation gĂ©ographique. ■ Catherine Faye

AFRIQUE MAGAZINE I 440 – MAI 2023 7
VINCENT MICHÉAGREGORY COPITET
Étude pour Quand on arrive en ville #1, 2022.

HOMMAGE

LE GOÛT DE LA LECTURE

L’autrice DÉCLARE SON AMOUR

aux librairies du monde entier. Et Ă  leur rĂŽle fondateur.

« C’EST EN RÉACTION Ă  un monde qui a cessĂ© de se soucier de l’écrit que la librairie Diwan a Ă©tĂ© fondĂ©e. Elle est nĂ©e le 8 mars 2002 – qui est aussi, par coĂŻncidence, la JournĂ©e internationale des droits des femmes. » Ce jour-lĂ , Ă  Zamalek, au nord de l’üle cairote de Gezira, Nadia Wassef, sa sƓur Hind et son amie Nihal inaugurent la premiĂšre librairie moderne et indĂ©pendante d’Égypte. Vingt ans aprĂšs, elle compte une dizaine de succursales et 150 employĂ©s. PersĂ©vĂ©rant Ă  travers les ralentissements Ă©conomiques, une rĂ©volution, un coup d’État militaire, une rĂ©pression de la libertĂ© d’expression et une pandĂ©mie, ce lieu de connaissance, d’échange et d’ouverture, est devenu une vĂ©ritable institution. Dans ce rĂ©cit haut en couleur, au pays de Naguib Mahfouz et de Nawal El Saadawi, l’histoire de cette caverne d’Ali Baba de la lecture nous est contĂ©e, portĂ©e par les diverses significations de son nom, Diwan. Recueil de poĂ©sie, lieu de rĂ©union, divan
 Tout un monde. ■ C.F.

SOUNDS

À Ă©couter maintenant ! Ils ont beau puiser leur inspiration dans le high life comme dans l’afrobeat, les multi-instrumentistes Damien Tesson et Julien Gervaix vivent en France. Avec le duo Ireke, ils s’illustrent dans une mixture joyeuse, solaire et indĂ©niablement funky, et Ă©largissent leur prisme en convoquant des voix familiĂšres et aimĂ©es, telles celles de Pat Kalla et de Sana Bob, pointure du reggae burkinabĂ©.

Ireke Tropikadelic, Underdog Records

Depuis son dĂ©cĂšs en 2006, l’aura d’Ali Farka TourĂ© n’a pas faibli. Entre autres grĂące Ă  son fils, Vieux Farka TourĂ©, qui veille Ă  prĂ©server la flamme de cet imposant hĂ©ritage. AprĂšs l’avoir explorĂ© dans Les Racines, il produit aujourd’hui un Voyageur proposant neuf inĂ©dits. Lesquels ont Ă©tĂ© enregistrĂ©s, souvent en toute improvisation, entre 1991 et 2004. DĂšs l’ouverture, le superbe « Safari », la guitare et la voix de l’artiste malien rĂ©sonnent, emballant nos cƓurs et nos tripes.

Alfa Mist

Variables, ANTI-

Depuis 2015, ce compositeur et rappeur britannique impose, au fil de disques sans cesse plus exigeants, un jazz Ă  la fois fidĂšle aux traditions (notamment swing ou hard bop) et en quĂȘte de rĂ©invention. Pour cela, il creuse la voie du hip-hop et livre un nouvel album Ă©patant d’hybriditĂ© comme de cohĂ©rence. Si Variables est trĂšs intime, Alfa Mist n’en invite pas moins d’autres artistes, comme le Sud-Africain Bongeziwe Mabandla, dont le timbre habille Ă  merveille le titre « Apho ». ■ Sophie Rosemont

ON EN PARLE 8 AFRIQUE MAGAZINE I 440 – MAI 2023
Ali Farka Touré Voyageur, World Circuit
❶ ❷ ❞ ANDREW MASONDR (4)
NADIA WASSEF, La Libraire du Caire, Stock, 360 pages, 22 €.

COMÉDIE MUSICALE

OUIDAH SIDE STORY

Dans le dernier film de Jean Odoutan, des ENFANTS DES RUES DU

TAMBOUR TAM-TAM A FAIT

FORTUNE Ă  Paname, et le chantier de la rutilante maison qui l’attend Ă  Ouidah suscite des envies de dĂ©part chez quatre enfants qui vivent dans la rue. ÂgĂ©s de 12 Ă  14 ans, plus ou moins orphelins, sans les papiers nĂ©cessaires pour aller Ă  l’école, ils sont suivis de prĂšs par la camĂ©ra de Jean Odoutan pour une comĂ©die musicale en mouvement, au rythme de leurs menus larcins mais aussi de leur prestation en quatuor, chantant et dansant pour obtenir quelques francs. « VoilĂ  les chapardeurs ! », « Les p’tits Macron ! » entend-on sur leur passage. Quelques flash-back en noir et blanc nous racontent l’origine de leur malheur, mais le rĂ©alisateur (qui a lui-mĂȘme connu la rue) nous montre surtout la vitalitĂ© et la bonne humeur de ces gamins. À tel point que lorsque le drame menace de survenir, on a du mal Ă  y croire. Le fondateur du festival Quintescence et de l’Institut cinĂ©matographique de Ouidah, rĂ©alisateur notamment de La Valse des gros derriĂšres (2002), signe une nouvelle charge sociale et burlesque, prĂšs de quinze ans aprĂšs le tournage de son dernier long-mĂ©trage, Pim-Pim TchĂ© : Toast de vie ! Il lui a fallu des annĂ©es d’écriture et des mois de travail auprĂšs de ces jeunes pour mettre au point cette comĂ©die rythmĂ©e par la tchatche et les percussions corporelles. Ces petits aventuriers aux pieds nus rĂȘvent d’ouvrir une concession Peugeot sur les Champs-ÉlysĂ©es, et une femme chante soudain

« Brigitte Bardot, Bardot ! », mais tout au long de cette Ă©popĂ©e de quartier un peu chaotique, on est bien au BĂ©nin, entre rap et culte vaudou ! ■ Jean-Marie Chazeau

LE PANTHÉON DE LA JOIE (France-BĂ©nin),de Jean Odoutan. Avec JĂ©rĂ©mie Ahouansou, Jacob Gbetie-Marcos, Jean-Phlorique Anato, Carl Tchanou. En salles.

AFRIQUE MAGAZINE I 440 – MAI 2023 9 DR (2)
BÉNIN rĂȘvent d’exil en chantant et en dansant pour quelques piĂšces


LITTÉRATURE

LEYMAH GBOWEE RĂ©sistance paciïŹque

Onze ans aprĂšs sa premiĂšre publication, L’AUTOBIOGRAPHIE de la LibĂ©rienne, prix Nobel de la Paix en 2011, reparaĂźt.

L’ÉLAN D’UNE SEULE FEMME peut bouleverser l’existence de bien d’autres. Rien ne prĂ©disposait pourtant Leymah Gbowee, issue d’une famille modeste, mĂšre cĂ©libataire de quatre enfants Ă  25 ans, victime de violences masculines, sans diplĂŽme, Ă  devenir l’une des plus importantes militantes pour les droits des femmes et la paix. NĂ©e en 1972 Ă  Monrovia, dans un pays fondĂ© en 1822 par l’American Colonization Society (ACS) afin d’y installer des esclaves noirs libĂ©rĂ©s, et premier État africain Ă  devenir une rĂ©publique indĂ©pendante en 1847, cette femme au destin tumultueux a eu une vie hors du commun. En 1989, lorsque des rebelles armĂ©s, dirigĂ©s par l’ancien membre de gouvernement Charles Taylor, fondent sur la capitale, mettant le pays Ă  feu et Ă  sang, sa vie bascule. Massacres de masse, viols, enfants soldats, anarchie, prolifĂ©ration d’armes de guerre deviennent le quotidien du pays. À 27 ans, face Ă  la barbarie du dictateur, elle dĂ©cide de se lever, de multiplier les mobilisations non violentes et de faire entendre la voix des filles, des mĂšres, des Ă©pouses, criant leur dĂ©sespoir et leur dĂ©sir

de rĂ©conciliation. DĂšs lors, la pierre angulaire de son engagement se dessine : les femmes sont la clĂ© de la rĂ©solution des conflits et stimulent l’édification de la paix. Tenace, devenue leadeuse, elle conduit des milliers de femmes dans des sit-in ininterrompus, des grĂšves conjugales, menace mĂȘme de se dĂ©vĂȘtir publiquement. Le fĂ©minisme sans frontiĂšre de cette « Femen » avant l’heure salue avant tout la sororitĂ©. CouronnĂ©e, en 2011, du prestigieux prix Nobel de la Paix, avec la prĂ©sidente libĂ©rienne Ellen Johnson Sirleaf et la militante et journaliste yĂ©mĂ©nite Tawakkol Karman, elle a Ă©largi son combat Ă  toutes les questions des droits des femmes. « Quand j’ai commencĂ©, on ne pouvait pas parler publiquement des mutilations gĂ©nitales, du mariage des mineures, de l’éducation des filles, du contrĂŽle des naissances, de l’homosexualité  », confiait-elle en 2016 au quotidien Le Monde. Son rĂ©cit (paru pour la premiĂšre fois en France en 2012) est un vrai soulĂšvement pour l’avenir des petites et jeunes filles. À travers l’histoire et l’engagement d’une femme au courage hors norme. ■ C.F.

LEYMAH GBOWEE, Notre force est infinie, Belfond, 352 pages, 21 €.

ON EN PARLE 10 AFRIQUE MAGAZINE I 440 – MAI 2023
DR
FLORENCE BROCHOIRE/SIGNATURES

MÉMOIRES

D’INTÉRÊT NATIONAL

Rouen, Honfleur, Le Havre
 Trois ports normands qui ont participĂ© Ă  la TRAITE ATLANTIQUE et l’esclavage entre 1750 et 1848.

MÉCONNU, ce pan de l’histoire normande l’est Ă  plusieurs titres. L’idĂ©e que l’on se fait d’un port nĂ©grier est avant tout celle d’un grand port, comme Ă  Nantes ou Ă  Bordeaux, et ceux du littoral normand ne sont pas toujours associĂ©s Ă  l’Atlantique. De plus, le milieu nĂ©grier y Ă©tait trĂšs français, alors qu’ailleurs, un tiers des armateurs Ă©taient Ă©trangers. Enfin, les bombardements du Havre en 1944 en ont fait disparaĂźtre les traces. OrganisĂ©e simultanĂ©ment dans trois lieux distincts, cette exposition s’inscrit donc dans une volontĂ© de restitution et de transmission. Et se dĂ©cline en trois chapitres. Dans un dialogue entre documents d’archives, objets et Ɠuvres. Au Havre, le rĂŽle des individus et la maniĂšre dont ils se sont retrouvĂ©s impliquĂ©s. À Honfleur, l’angle maritime, le dĂ©roulement des diffĂ©rentes Ă©tapes de la navigation et les lieux qui la ponctuent. Et Ă  Rouen, l’étude de l’impact du commerce triangulaire sur le dĂ©veloppement Ă©conomique du territoire et dans la vie quotidienne de toutes les strates de la population normande et des personnes mises en esclavage. ■ C.F. « ESCLAVAGE, MÉMOIRES NORMANDES », musĂ©e industriel de la Corderie Vallois, Rouen / musĂ©e EugĂšne Boudin, Honfleur / hĂŽtel Dubocage de BlĂ©ville, Havre (France), du 10 mai au 10 novembre.

esclavage-memoires-normandes.fr

ON EN PARLE 12 AFRIQUE MAGAZINE I 440 – MAI 2023
DR (3)
AttribuĂ© Ă  Pierre Nicolas Selles, Portrait de Joseph-Armand Coudre Lacoudrais (1751-1789), fin du XVIIIe siĂšcle. Panorama de la ville de Honfleur, de l’église Saint LĂ©onard Ă  l’extrĂ©mitĂ© du Cordon Royal, XVIIIe siĂšcle.

CINÉMA

UNE HISTOIRE DE FOU

Dans les montagnes de Kabylie, un homme est mis au ban de son village parce que jugĂ© trop diffĂ©rent. Des paysages sublimes, un suspens familial et une ODE SUBTILE À LA TOLÉRANCE : un premier film Ăąpre, mais qui fait du bien.

C’EST L’HISTOIRE d’un fou qui ne l’est pas vraiment


Il s’appelle Koukou, il a 20 ans et vit en Kabylie, dans un village de haute montagne, Ă  1 300 mĂštres d’altitude, sans vraiment travailler, mais toujours prĂȘt Ă  rendre service. Hommes et femmes y semblent lĂ  depuis des siĂšcles, mĂȘmes gestes et mĂȘmes vĂȘtements, alors que lui porte short et T-shirt et a laissĂ© pousser ses cheveux. Doux et rĂȘveur, il est considĂ©rĂ© comme anormal par les anciens. C’est ainsi que le comitĂ© des sages du village dĂ©cide de le faire interner dans un hĂŽpital psychiatrique, aprĂšs qu’il a ouvert la cage d’un oiseau pour lui rendre sa libertĂ©. Mais le scĂ©nario ne s’attarde pas dans cet asile, et la seule intervention d’un mĂ©decin Ă  l’écran sera simple et finalement bienveillante. Il faut dire que Koukou reçoit le soutien de son frĂšre, Mahmoud, parti gagner sa vie en ville – comme de nombreux autres jeunes adultes du village –, oĂč il est instituteur. De retour dans les montagnes, rĂ©voltĂ© par cette dĂ©cision prise avec la complicitĂ© de leur pĂšre, celui-ci tente de s’opposer Ă  la figure paternelle, qui terrorise dĂ©jĂ  sa mĂšre

et sa sƓur. Pas facile de faire face, seul, Ă  la morale et Ă  l’ordre Ă©tabli
 « Ce village est un cimetiĂšre », constate-t-il. « Il est malade, il ne nous ressemble pas », disent de Koukou les villageois pour se justifier. C’est vrai que lorsque les femmes ramĂšnent sur leur dos de lourdes charges de bois ramassĂ©es Ă  des kilomĂštres Ă  la ronde, c’est lui qui les aide, alors que les hommes restent au village Ă  jouer aux dominos
 L’exode rural, le poids de la tradition, l’ennui, et la place des femmes dans les sociĂ©tĂ©s conservatrices sont autant de thĂšmes subtilement abordĂ©s, rendant aussi hommage Ă  la culture berbĂšre : sa langue, ses chants, les couleurs brodĂ©es et fiĂšrement portĂ©es par les filles et les Ă©pouses
 Ce premier long-mĂ©trage d’Omar Belkacemi, rĂ©alisateur algĂ©rien formĂ© Ă  l’Institut maghrĂ©bin de cinĂ©ma, Ă  Tunis, est un habile dosage de poĂ©sie et de philosophie, dans de superbes et rugueux paysages doucement engloutis par une mer de nuages. ■ J.-M.C. RÊVE (AlgĂ©rie),d’Omar Belkacemi. Avec Mohamed Lefkir, Kouceila Mustapha, Latifa Aissat. En salles.

AFRIQUE MAGAZINE I 440 – MAI 2023 13
DR (2)

FESTIVAL DE CANNES

EN HAUT DE L’AFFICHE

Kaouther Ben Hania

« JE SUIS INSTINCTIVE et je me passionne pour des sujets diffĂ©rents », confiait Kaouther Ben Hania Ă  Afrique Magazine en 2020. C’était Ă  l’occasion de la sortie de L’Homme qui a vendu sa peau, premier film tunisien nommĂ© aux Oscars, tournĂ© entre Bruxelles et Tunis dans le milieu de l’art contemporain, avec Monica Belluci et Yahya Mahayni, comĂ©dien syrien couronnĂ© du prix d’interprĂ©tation masculine Ă  la Mostra de Venise ! La jeune quadragĂ©naire volontaire, native de Sidi Bouzid et qui a Ă©tudiĂ© le cinĂ©ma Ă  Tunis et Paris, n’en revendique pas moins ses racines, oĂč elle a d’abord puisĂ© la matiĂšre de rĂ©cits donnant toute leur place aux femmes. Sa premiĂšre fiction, prĂ©sentĂ©e Ă  Cannes en 2014, Le Challat de Tunis, Ă©tait un documentaire parodique qui pistait un agresseur balafrant les postĂ©rieurs fĂ©minins. Deux ans plus tard, aprĂšs une incursion au QuĂ©bec (Zaineb n’aime pas la neige, Tanit d’or aux JournĂ©es cinĂ©matographiques de Carthage en 2016), elle revenait sur la Croisette avec La Belle et la Meute, film coup de poing adaptĂ© du livre de Meriem Ben Mohamed, Coupable d’avoir Ă©tĂ© violĂ©e. La voici cette fois en compĂ©tition pour la Palme d’or face Ă  de prestigieux aĂźnĂ©s, comme Nanni Moretti ou Wim Wenders, avec Les Filles d’Olfa, qui suit une mĂšre confrontĂ©e Ă  la radicalisation islamiste de ses adolescentes. « Un film Ă  la lisiĂšre de la fiction et de l’essai, un engagement humain, humaniste et fĂ©ministe », a soulignĂ© le dĂ©lĂ©guĂ© gĂ©nĂ©ral du festival, Thierry FrĂ©maux, en annonçant la sĂ©lection officielle. L’audacieuse cinĂ©aste n’a pas fini de nous surprendre. ■ J.-M.C.

ON EN PARLE 14 AFRIQUE MAGAZINE I 440 – MAI 2023
PHILIPPE QUAISSE/PASCODR

Ramata-Toulaye Sy

UN PREMIER FILM À 36 ANS, et la voici directement en lice pour la Palme d’or ! La rĂ©alisatrice nĂ©e Ă  Paris (de parents sĂ©nĂ©galais) a d’abord Ă©tĂ© scĂ©nariste, diplĂŽmĂ©e en 2015 de la FEMIS, prestigieuse Ă©cole de cinĂ©ma parisienne. Elle a notamment cosignĂ© le scĂ©nario de Notre-Dame du Nil, tournĂ© au Rwanda par l’écrivain afghan Atiq Rahimi et sorti en 2020, avant de passer derriĂšre la camĂ©ra pour un court-mĂ©trage, Astel : l’histoire d’une jeune fille de 13 ans qui garde des vaches avec son pĂšre et va ĂȘtre bouleversĂ©e par sa rencontre avec un berger, dont les images et la mise en scĂšne ont impressionnĂ© les jurys de nombreux festivals. Pour son premier long, la cinĂ©aste est retournĂ©e dans la mĂȘme rĂ©gion isolĂ©e du Fouta-Toro, au SĂ©nĂ©gal : Banel & Adama y montre deux amoureux de 18 et 19 ans qui, dans leur village reculĂ©, vivent presque coupĂ©s du monde. Il est introverti et discret, alors qu’elle est passionnĂ©e et rebelle. Normal, Ramata-Toulaye Sy a toujours Ă  cƓur d’interroger la place des femmes dans la sociĂ©tĂ© contemporaine. De formation littĂ©raire, trĂšs inspirĂ©e par des autrices afro-amĂ©ricaines comme Maya Angelou et Toni Morrison, ou africaines telle Chimamanda Ngozi

Adichie, elle porte aussi un grand soin visuel Ă  ses rĂ©alisations. En retournant dans les paysages arides du nord de son pays d’origine, elle a choisi de filmer Ă  nouveau des Peuls, parce qu’ils « s’expriment davantage avec leur regard, leur corps et leurs mouvements, que par la parole ». L’idĂ©al pour une proposition de cinĂ©ma qui s’annonce visuellement trĂšs forte. ■ J.-M.C.

AFRIQUE MAGAZINE I 440 – MAI 2023 15
PHILIPPE QUAISSE/PASCODR
DEUX LONGS-MÉTRAGES DU CONTINENT en compĂ©tition pour la Palme d’or, dont un film tunisien pour la premiĂšre fois depuis 1970 ! Un doublĂ© d’autant plus rare qu’il concerne des RÉALISATRICES qui ont en commun de porter haut le rĂ©cit intime de femmes d’aujourd’hui


Ci-contre, Fagadaga, du Sénégalais Yoro Mbaye et ci-dessous, la Tunisienne Charlie Kouka.

INITIATIVE

SUR LA CROISETTE, LE CINÉMA DE DEMAIN

Le

PROGRAMME D’ACCOMPAGNEMENT Ă  la crĂ©ation de l’Institut français voit cette annĂ©e quatre laurĂ©ats africains.

LE FESTIVAL DE CANNES est le rendez-vous des stars et des paparazzis, mais c’est aussi une terre d’opportunitĂ©s pour ceux qui rĂȘvent de percer dans le cinĂ©ma. Comme les 10 cinĂ©astes dĂ©butants qui participent Ă  La Fabrique CinĂ©ma, un programme de l’Institut français qui se dĂ©roule durant l’évĂ©nement : valorisant les talents des pays du Sud et Ă©mergents, celui-ci a permis Ă  de nombreux films d’arriver jusqu’en salles et d’ĂȘtre sĂ©lectionnĂ©s dans de grands festivals. Cette annĂ©e, pour sa 15e Ă©dition, quatre des 10 laurĂ©ats qui bĂ©nĂ©ficieront d’un accompagnement personnalisĂ© sont africains : le SĂ©nĂ©galais Yoro Mbaye et la Tunisienne Charlie

Kouka, qui travaillent Ă  leur premier long-mĂ©trage, Fagadaga et Le ProcĂšs de LeĂŻla, ainsi que l’Égyptienne Nada Riyadh et le NigĂ©rian Michael Omonua (c’est d’ailleurs la premiĂšre fois que le programme sĂ©lectionne un cinĂ©aste de ce pays), qui visent, eux, la rĂ©alisation de leur deuxiĂšme, Moonblind et Galatians Ils seront marrainĂ©s par une productrice d’exception : la Tunisienne Dora Bouchoucha. En activitĂ© depuis 1994 et vĂ©ritable rĂ©fĂ©rence, elle est reconnue pour son engagement en faveur du cinĂ©ma d’auteur et son rĂŽle dans la promotion des cinĂ©mas arabe et africain. Ils n’auraient pas pu souhaiter mieux ! lescinemasdumonde.com/fr ■ Luisa Nannipieri

La Fabrique Cinéma se déroulera durant le Festival de Cannes, du 17 au 26 mai.

Ci-contre, Moonblind, de l’Égyptienne Nada Riyadh, et ci-dessus, le NigĂ©rian Michael Omonua.

16 AFRIQUE MAGAZINE I 440 – MAI 2023 DR (4)PHOTO PERSONNELLEDR

DRAME

L’acteur incarne le principal adjoint d’un collĂšge trĂšs respectĂ©, prĂȘt Ă  tout pour que son fils rĂ©ussisse son premier examen


OBLIGATION DE RÉSULTAT

Encore un beau rÎle, tout en raideur et autorité, pour ROSCHDY ZEM.

D’ORIGINE MAGHRÉBINE, le principal adjoint d’un collĂšge de l’est de la France, trĂšs respectĂ©, est prĂȘt Ă  tout pour que son fils rĂ©ussisse son premier examen
 SĂ©vĂšre, droit, et quelque peu rigide, il est incarnĂ© par Roschdy Zem avec toute la raideur et l’autoritĂ© nĂ©cessaires. Vivant seul avec son ado (scolarisĂ© dans son Ă©tablissement), sĂ©parĂ© de sa femme enseignante dans le mĂȘme collĂšge, il frĂ©quente d’autres personnages secondaires, mais ĂŽ combien importants pour apporter complexitĂ© et respiration Ă  ce film parfois raide : son frĂšre, socialement Ă  la dĂ©rive, et la principale, admirative

de son adjoint et passionnĂ©e de littĂ©rature. Jusqu’oĂč le mensonge auquel il va devoir recourir va-t-il l’entraĂźner ?

C’est tout le suspens de ce long-mĂ©trage habilement rĂ©alisĂ© et solidement interprĂ©tĂ©, qui Ă©voque bien des sujets dans l’air du temps, comme les transfuges de classes ou l’intĂ©gration des immigrĂ©s, sans tomber dans les piĂšges du film Ă  thĂšse. Et sans donner de rĂ©ponses toutes faites non plus. ■ J.-M.C. LE PRINCIPAL (France), de Chad Chenouga. Avec Roschdy Zem, Yolande Moreau, Hedi Bouchenafa. En salles.

AFRIQUE MAGAZINE I 440 – MAI 2023 17 DR
ON EN PARLE

CĂ©lĂšbre dans le monde entier, la chanteuse malienne N’OUBLIE PAS SES RACINES et ses nobles combats. En tĂ©moigne son lumineux nouvel album.

« MES TEXTES sont connectĂ©s Ă  l’Afrique, confie-t-elle. L’amour que je lui porte est tant compris que rĂ©ciproque
 MĂȘme si mon franc-parler peut ĂȘtre difficile Ă  entendre. » Revenir sur le fabuleux destin de Fatoumatou Diawara prendrait des pages. AprĂšs une enfance chaotique, elle a vite trouvĂ© son chemin dans la performance et la musique : elle a incarnĂ© la sorciĂšre dans la comĂ©die musicale Kirikou et Karaba, Ă©tĂ© l’une des rĂ©vĂ©lations du film d’Abderrahmane Sissako, Timbuktu, ou encore collaborĂ© avec le duo Ă©lectro Disclosure et le jazzman Herbie Hancock. Sans oublier Matthieu Chedid et Damon Albarn, invitĂ©s sur ce nouvel album inclassable, oĂč se croisent mĂ©lodies mandingues, jazz, pop et afrobeat : « Depuis mes dĂ©buts, j’ai toujours voulu fusionner la musique traditionnelle malienne Ă  d’autres styles, sans dĂ©naturer cet hĂ©ritage culturel
 au sein duquel j’ai voulu inviter mes frĂšres Matthieu et Damon, qui m’ont toujours accueillie sur scĂšne ou en studio. C’était Ă  mon tour de leur ouvrir mon univers musical. » A aussi Ă©tĂ© conviĂ©e la chanteuse nigĂ©riane Yemi Alade, avec laquelle elle partage le goĂ»t du travail : « Elle reprĂ©sente la pop africaine contemporaine et respecte beaucoup son image. Je voulais l’encourager Ă  persister dans cette voie. »

« Pour ĂȘtre cĂ©lĂšbre, il faut travailler, comme nos anciens. Je suis une femme qui met la main Ă  la pĂąte », rappelle la chanteuse, dont l’épatant talent transparaĂźt sur chaque titre de London KO. « Un disque me demande des annĂ©es d’investissement. Car les messages comptent. J’ai Ă©tĂ© une enfant avant d’ĂȘtre une femme, puis une mĂšre. J’ai traversĂ© bien des Ă©preuves pour imposer ma fĂ©minitĂ©, afin qu’elle soit respectĂ©e par des hommes dans un monde qui ne nous facilite guĂšre la tĂąche.

Il faut savoir ce que l’on fait, oĂč l’on va, ĂȘtre capable d’ĂȘtre un leader, avoir de la substance. Ce n’est pas parce que je vis en Europe que c’est facile pour moi
 Et cela, j’ai besoin de le partager pour sensibiliser la jeunesse. »

« La musique ne ment pas et ne peut se dĂ©dier au seul divertissement », rappelle-t-elle de sa voix ensorcelante. Les inĂ©galitĂ©s sociĂ©tales, les mutilations gĂ©nitales, le besoin de solidaritĂ©, la reconnaissance d’un patrimoine ancestral
 Tout ceci est abordĂ© dans ce dernier album, qui, aussi universel soit-il, offre le meilleur des passeports Ă  son royaume colorĂ©, mais tout en complexitĂ©s : « Je souris beaucoup, mais cela ne doit pas ĂȘtre trompeur. Mon combat de femme n’a jamais cessĂ©. » ■ S.R.

FATOUMATA DIAWARA LA MUSIQUE NE MENT PAS

ON EN PARLE 18
FUSION

FATOUMATA DIAWARA, London KO, 3Ăšme Bureau/ Wagram. En concert Ă  la Salle Pleyel le 24 mai.

ALUN BE

MUSIQUE

NAÏSSAM JALAL

LA VOIX QUI PANSE LES BLESSURES

GUÉRIR UN MONDE soumis aux plus cruelles absurditĂ©s : telle est la mission de la compositrice et flĂ»tiste franco-syrienne avec Healing Rituals.

RITUEL DU VENT, du soleil, de la riviĂšre ou, superbe conclusion, de la brume. Avec des rythmiques mesurĂ©es, chaque morceau de ce neuviĂšme album subtilement orchestrĂ© offre une proposition pour aller mieux. NĂ©e de parents syriens en banlieue parisienne, NaĂŻssam Jalal a Ă©tudiĂ© la musique classique avant de s’aventurer dans d’autres territoires sonores, notamment celui du nay au Grand Institut de musique arabe de Damas, puis de se former auprĂšs du violoniste Ă©gyptien Abdo Dagher. Depuis, on connaĂźt son parcours sans fautes, son travail pour le quintet Rhythms of Resistance, sa Victoire du Jazz en 2019
 Aujourd’hui, ce neuviĂšme album s’impose comme un antidote Ă  l’adversitĂ©. Cultivant une musique apaisante, rĂ©pĂ©titive et laissant place Ă  moult respirations pour encourager Ă  se ressourcer, Healing Rituals panse les blessures, tant psychiques que physiques. Y compris celle de Jalal elle-mĂȘme, puisqu’elle l’a composĂ© au sortir d’un sĂ©jour en hĂŽpital
 Une rĂ©ussite d’une humilitĂ© qui en impose. Et hautement rĂ©confortante. ■ S.R.

NAÏSSAM JALAL, Healing Rituals, Les Couleurs du son/L’Autre Distribution.

RÉCIT

Héros en culottes courtes

Un portrait sans concession des liens que l’on tisse pour Ă©chapper Ă  son destin.

ORIGINAIRE de Sierra Leone, Ishmael Beah s’est fait connaĂźtre avec son autobiographie en 2007 (Le Chemin parcouru : MĂ©moires d’un enfant soldat, Presses de la CitĂ©), traduite dans plus de 40 langues. Au plus prĂšs des enfants victimes de la guerre et des gamins des rues, cet ambassadeur pour l’Unicef et membre engagĂ© de Human Rights Watch met en scĂšne cinq orphelins s’improvisant un foyer dans une carcasse d’avion abandonnĂ©e, relique du chaos et de la guerre qui

ROMAN

Soif d’idĂ©al

Les tourments d’un jeune tunisien Ă  la recherche de sa place dans le monde. SON RÊVE : faire carriĂšre dans le milieu artistique, Ă  Paris. Seulement, pour Oualid, qui vit Ă  Nabeul, dans la pĂ©ninsule de l’est tunisien, Ă  la fin des annĂ©es 1990, l’illusion est de courte durĂ©e. Dans cette France, qu’il voit comme un pĂŽle culturel et artistique, comme Rome le fut pour les peintres de la Renaissance, il va prendre conscience de l’absurditĂ© du monde, de quelque chose de dĂ©faillant dans les relations entre les ĂȘtres. À l’aune de sa grande dĂ©couverte littĂ©raire, l’Ɠuvre de Samuel Beckett,

ISHMAEL BEAH, La Petite Famille, Albin Michel, 320 pages, 22,90 €.

a ensanglantĂ© la rĂ©gion. Une communautĂ© de sort et de survie, qui crĂ©e des liens indĂ©fectibles entre ses membres. Seulement, dans ce pays d’Afrique jamais nommĂ©, mais qui ressemble furieusement Ă  celui de l’auteur, l’équilibre de la petite famille de cƓur chancelle lorsque l’aĂźnĂ©, Elimane, fait la connaissance d’un curieux protecteur et que la jeune Khoudiemata n’a d’yeux que pour les gens des beaux quartiers. Un second roman poignant. ■ C.F.

AYMEN

GHARBI, Le Centre d’appel des Ă©crivains disparus, Asphalte, 160 pages, 18 €.

notamment Fin de partie, symbole du tragique de la condition humaine. Dans le centre d’appels pas comme les autres oĂč il Ă©choue Ă  Tunis, le voilĂ  engagĂ© pour incarner son mentor, cette hot-line permettant de converser avec de grands auteurs disparus
 AprĂšs Magma Tunis et La Ville des impasses, ce roman d’apprentissage tĂ©moigne du souci d’épanouissement intellectuel et de l’aspiration Ă  la libertĂ©. ■ C.F.

20 AFRIQUE MAGAZINE I 440 – MAI 2023 SEKADR (2)

POP-UP STORE

Le Maroc s’invite aux Galeries Lafayette

DANS LE CADRE de leur opĂ©ration « MĂ©diterranĂ©e Mania », les Galeries Lafayette s’associent Ă  la Maison de l’artisan du Maroc pour mettre en valeur la culture marocaine. Jusqu’au 28 mai, un pop-up store dĂ©diĂ© Ă  l’artisanat du royaume chĂ©rifien prendra ses quartiers au deuxiĂšme Ă©tage du cĂ©lĂšbre grand magasin du boulevard Haussmann, Ă  Paris : Mlle Ă  Marrakech, qui a soignĂ© la sĂ©lection d’accessoires, tapis, et objets dĂ©co, ainsi que la mise en scĂšne immersive du corner, propose 20 marques qui revisitent l’hĂ©ritage du pays. Comme Bouchra Boudoua et Chabi Chic, avec leurs cĂ©ramiques aux couleurs flamboyantes, Noun Design, qui prĂ©sente entre autres ses coussins amazighs, design et durables, et ses amusantes tables basses, Hendiya et ses produits pour le soin du corps, Ă  base d’huile de figue de barbarie, ou encore Kessy Beldi et Heirloom, qui proposent un art de la table alliant tradition et modernitĂ©. Une partie de cette offre est Ă  retrouver Ă©galement dans le magasin des Champs-ÉlysĂ©es. ■ L.N.

PAULO ANDRADEDR (2)
En mai, le GRAND MAGASIN PARISIEN propose une immersion dans l’artisanat du royaume chĂ©rifien.
POP-UP STORE MLLE À MARRAKECH, Galeries Lafayette Haussmann, Paris (France), jusqu’au 28 mai. haussmann. galerieslafayette.com Une vingtaine de marques de dĂ©coration revisite l’hĂ©ritage du pays.

La piÚce maßtresse est une magnifique robe jaune à volants et un couvre-chef imposant en forme de cornes de vache Ankole, animal vénéré dans le pays.

MASA MARA, FLOWER POWER

Dans sa collection « SILENCE THE GUNS », le Rwandais Nyambo MasaMara invite à faire la paix avec le passé traumatisant.

COLORÉE, PUISSANTE ET ÉVOCATRICE, « Silence

the Guns » (« Faites taire les armes ») est la huitiĂšme et derniĂšre collection signĂ©e Masa Mara. Un label crĂ©Ă© en 2017, au Cap, par le designeur et visual artist rwandais Nyambo MasaMara : Eli Gold, de son vrai nom, aime se servir de ses piĂšces pour affirmer son identitĂ© panafricaine et prendre position sur des sujets qui lui tiennent Ă  cƓur. NĂ© au Rwanda au dĂ©but des annĂ©es 1990 dans une famille multiculturelle, il devient un rĂ©fugiĂ© pour Ă©chapper au gĂ©nocide et grandit dans huit pays diffĂ©rents (RĂ©publique dĂ©mocratique du Congo, Ouganda, ou encore Burundi), avant de s’installer en Afrique du Sud Ă  12 ans. Cette collection parle de ses dĂ©mons et revient sur un trauma d’enfance – qui n’est pas seulement le sien. MĂ©langeant mode et art, il cherche Ă  le dĂ©passer Ă  travers les motifs imprimĂ©s, qu’il dessine lui-mĂȘme : « Les couleurs et les fleurs de cette collection reprĂ©sentent la gentillesse et la beautĂ© de notre continent natal, notre dĂ©sir de guĂ©rir

et changer la narrative », explique-t-il. « C’est aussi une invitation au reste du monde, pour qu’il nous accompagne dans ce changement. Mettons fin aux violences qui tourmentent tant de communautĂ©s en Afrique. Nous sommes une gĂ©nĂ©ration nouvelle, prĂȘte Ă  lutter contre la discrimination, la brutalitĂ© et la division. » Voici donc dĂ©filer sur la passerelle des hommes en uniformes fleuris, moulants et chatoyants, avec des fusils peints en rose et jaune fluo. Les cols et les pochettes des chemises militaires intĂšgrent des robes dĂ©structurĂ©es et des habits deux-piĂšces non genrĂ©s, participant au jeu de dĂ©tournement. Tout a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ© au Cap, Ă  partir d’un mĂ©lange de coton et de textiles synthĂ©tiques locaux. PiĂšce maĂźtresse de la collection, une magnifique robe jaune Ă  volants et un couvre-chef imposant en forme de cornes de vache Ankole – symbole d’un animal vĂ©nĂ©rĂ© au Rwanda et clin d’Ɠil au pseudo du crĂ©ateur, Nyambo Ă©tant un autre nom du bovin. masamara.co.za ■ L.N.

ON EN PARLE 22 AFRIQUE MAGAZINE I 440 – MAI 2023
MODE
Ci-dessus, les hommes défilent en costumes militaires fleuris et chatoyants. Ci-contre, le styliste Nyambo MasaMara.
HLALANATHI RADEBE (3)

DANS LES PAS

D’ARMANDO CABRAL

ARMANDO CABRAL a Ă©tĂ© l’un des mannequins les plus demandĂ©s au monde dans les annĂ©es 2000 : Ă  21 ans, il travaillait dĂ©jĂ  avec Louis Vuitton et Balmain. Aujourd’hui, il est Ă  la tĂȘte d’un label de chaussures de luxe qui mixe l’expertise de la manufacture europĂ©enne Ă  la culture de son pays d’origine. NĂ© en GuinĂ©e-Bissau en 1982, il a grandi Ă  Lisbonne et parcouru le monde, puis s’est lancĂ© dans l’entrepreneuriat en 2008, aprĂšs avoir arpentĂ© des centaines de podiums dans des chaussures aussi magnifiques qu’inconfortables. La marque, Ă  son nom – qui a ouvert il y a peu une boutique dans le Rockefeller Center, Ă  New York –, propose des crĂ©ations classiques mais confortables pour hommes (quelques-unes sont unisexes). Certaines paires sont confectionnĂ©es avec du Pano di Pinti, un tissu principalement produit par deux peuples en GuinĂ©e-Bissau, les Papel et les Manjaques – dont est issue la mĂšre du crĂ©ateur –, et vĂ©ritable symbole socioculturel du pays. Chaque piĂšce a son histoire et son identitĂ©, lesquelles s’expriment via des motifs inspirĂ©s par la nature, les animaux et les Ă©vĂ©nements traditionnels, reflĂ©tant toute la richesse de la terre natale du designeur. shop.armando-cabral.com ■ L.N.

DESIGN
L’ex-mannequin star guinĂ©en s’est reconverti dans la CHAUSSURE DE LUXE, crĂ©ant des piĂšces classiques et confort avec une touche inimitable.
DR (2)

SPOTS

EN ROUTE POUR LA CUISINE LATINE

Champagne et ceviche vont de pair à JOHANNESBOURG, alors qu’à NAIROBI, un

réinvente les saveurs du monde.

AVEC SES 400 M2 qui rendent hommage Ă  l’art nouveau Ă  l’africaine et invitent Ă  s’évader de la jungle urbaine de Johannesbourg, Zioux (Ă  prononcer « zoo ») est l’un des bars Ă  cocktails et champagne les plus cool de la ville. InspirĂ©e par les saveurs du Mexique et du PĂ©rou, la carte, trĂšs produits de la mer, s’allie parfaitement aux boissons. On y propose du ceviche, bien sĂ»r, en version saumon avec sauce ponzu, ou au lampris avec sauce matcha et radis. Ainsi que sa variante pĂ©ruvienne, le tiradito, au saumon du Cap, avec lait de coco et truffes, ou Ă  l’espadon, avec cĂąpres et piment habanero jaune. Mais aussi des tacos et des plateaux de fruits de mer. En dessert, la goyave pochĂ©e au sirop de jalapeño, avec gelĂ©e d’hibiscus, est un must. Des plats vibrants de goĂ»t, Ă  partager sans modĂ©ration. zioux.com

Les saveurs d’AmĂ©rique latine s’invitent aussi chez Cultiva, une table de la banlieue pavillonnaire de Nairobi. ImaginĂ©e en 2019 comme un restaurant pop-up, elle propose une cuisine « de la ferme Ă  l’assiette », avec des recettes piochĂ©es autour du globe mais rigoureusement

rĂ©alisĂ©es Ă  partir d’ingrĂ©dients locaux. Le concept du fondateur, le chef Ă©quatorien Ariel Moscardi, a si bien marchĂ© qu’il s’est agrandi aprĂšs la pandĂ©mie. Le restaurant peut dĂ©sormais accueillir jusqu’à 210 personnes, dans une ambiance agro-industrielle adoucie par une dĂ©co chaleureuse et vĂ©gĂ©tale. Ici, pas de carte fixe : le chef s’adapte Ă  la production disponible. MĂȘme le ceviche varie en fonction de la pĂȘche du jour. Une adresse expĂ©rimentale et crĂ©ative. Compte Instagram : @cultivakenya ■ L.N.

ON EN PARLE 24 AFRIQUE MAGAZINE I 440 – MAI 2023
DR (3)
chef Ă©quatorien
Le Cultiva propose une cuisine « de la ferme Ă  l’assiette ». La carte du Zioux, adresse chic, se concentre sur les produits de la mer.

ARCHI

Entre histoire et modernité

La rĂ©habilitation d’un ancien PALAIS D’ANTANANARIVO par la Fondation H pourrait aider Ă  faire renaĂźtre le centre-ville de la capitale malgache.

LES NOUVEAUX LOCAUX de la Fondation H Ă  Antananarivo, inaugurĂ©s en avril dernier, n’ont pas seulement une portĂ©e culturelle pour la capitale malgache. L’architecte allemand Otmar Dodel, qui vit Ă  Madagascar depuis dix-sept ans et a conçu le projet, espĂšre faire de l’ancien palais construit en 1912 pour accueillir la Direction centrale des postes et tĂ©lĂ©graphes un moteur de renaissance pour le centre historique de la « ville des milles ». Travaillant avec des artisans locaux, il a profitĂ© des deux ans de chantier pour parfaire la formation de ses Ă©quipes sur des techniques de construction traditionnelles presque disparues. Dans l’optique de valoriser ces beaux bĂątiments en briques et bois, il a retrouvĂ©

les plans d’origine et rĂ©habilitĂ© les façades, les portes, et mĂȘme les descentes d’eau, au plus prĂšs de ce qu’elles Ă©taient au dĂ©part. Mais les traces des prĂ©cĂ©dentes « vies » de la structure n’ont pas Ă©tĂ© entiĂšrement effacĂ©es. Certaines intĂ©grations, comme celles en bĂ©ton des annĂ©es 2000, ont toute leur place dans le nouveau musĂ©e. L’annexe a en revanche Ă©tĂ© remplacĂ©e par un bĂątiment contemporain et aĂ©rĂ©. Le contraste entre histoire et modernitĂ©, briques rouges et murs blancs, est saisissant. Tout comme l’effet crĂ©Ă© par la baie vitrĂ©e qui sĂ©pare le patio et la rue. Une invitation aux passants Ă  s’approprier un lieu ouvert Ă  tous, qui accueille aussi un cafĂ© et une bibliothĂšque. fondation-h.com ■ L.N.

THIERRY
FABIO

Rania Berrada

DANS SON PREMIER ROMAN, LA JOURNALISTE

dresse le portrait poignant et juste d’une jeune femme marocaine en quĂȘte de libertĂ©, affrontant les carcans du patriarcat et l’arbitraire de l’administration. par Astrid Krivian

’est l’histoire d’une femme qui attend : aprĂšs un homme, aprĂšs des dĂ©cisions administratives, aprĂšs un oncle qui pourrait la faire venir en Europe pour qu’elle suive des Ă©tudes
 Issue d’un milieu modeste, Najat rĂȘve de quitter sa ville d’Oujda, dans la rĂ©gion de l’Oriental, pour devenir chercheuse en biologie. « La tendance Ă  partir y est plus forte que dans d’autres villes du pays. Pendant longtemps, Oujda a Ă©tĂ© le parent pauvre des politiques Ă©conomiques de dĂ©veloppement au Maroc. Pour les femmes, le moyen de se rendre en Europe Ă©tait d’épouser un homme », indique Rania Berrada, qui a des attaches familiales dans cette commune. InspirĂ© d’une histoire vraie, Najat ou la survie retrace le chemin sans cesse semĂ© d’embĂ»ches de son hĂ©roĂŻne, qui encaisse les coups du sort, se dĂ©sespĂšre parfois, se relĂšve toujours, tente de braver les carcans du patriarcat. Le rĂ©cit Ă©voque notamment la frustration des jeunes diplĂŽmĂ©s dans le Maroc contemporain, leur rĂ©volte face au manque criant d’opportunitĂ©s professionnelles, exprimĂ©e lors du Mouvement du 20 fĂ©vrier, en 2011. En France, Najat fera l’expĂ©rience de la ghorba (l’exil), coincĂ©e dans une situation ubuesque, dans l’attente de ses papiers : « Active et volontaire pour s’intĂ©grer, elle subira la lenteur et la rigiditĂ© des procĂ©dures administratives. »

Pour Ă©crire ce premier roman, Rania Berrada a troquĂ© sa casquette de journaliste pour celle d’écrivaine pendant un an : « La meilleure annĂ©e de ma vie. » NĂ©e en 1993 Ă  Rabat, oĂč elle a grandi, elle a un vĂ©ritable coup de foudre pour Paris lors d’un voyage familial, Ă  9 ans. « Cette ville m’appelait. Je n’avais alors qu’une hĂąte : partir m’y installer. » Sa premiĂšre claque littĂ©raire ? Voyage au bout de la nuit, de CĂ©line, qu’elle dĂ©vore Ă  16 ans. « Un Ă©vĂ©nement fondateur. Je sentais que l’auteur avait pris un vrai plaisir. Écrire pouvait ĂȘtre un exercice agrĂ©able. » AprĂšs sa scolaritĂ© au lycĂ©e français de la capitale marocaine, elle poursuit des Ă©tudes d’économie Ă  la Sorbonne, Ă  Paris. En parallĂšle, un atelier d’écriture hebdomadaire lui met le pied Ă  l’étrier. Et par hasard, elle s’initie au journalisme, en animant une Ă©mission sur une radio Ă©tudiante. Elle se prend au jeu, passe les concours des Ă©coles et intĂšgre l’École des hautes Ă©tudes en sciences de l’information et de la communication (CELSA).

Une fois diplĂŽmĂ©e, elle multiplie les expĂ©riences, les contrats de pigiste en presse Ă©crite, radio, tĂ©lĂ©vision, Web : « Comme beaucoup de journalistes dĂ©butants, j’étais un couteau suisse, couvrant tous les domaines. »

En mal d’adrĂ©naline, elle qui espĂ©rait partir en reportage au bout du monde bĂątonne des dĂ©pĂȘches, un peu dĂ©sillusionnĂ©e. Puis rejoint le mĂ©dia en ligne Brut, pour lequel elle couvre l’actualitĂ© de sa terre natale : « Par ce mĂ©tier, jamais routinier, on rencontre des personnes de milieux trĂšs diffĂ©rents. J’aime ce grand Ă©cart, ce cĂŽtĂ© camĂ©lĂ©on : assister Ă  un gala, puis enchaĂźner sur une manif. » Ses sujets tĂ©moignent de l’effervescence et de la richesse de la scĂšne culturelle : « Musique, arts plastiques, cinĂ©ma, mode
 Les Marocains sont novateurs et portent leur crĂ©ation Ă  l’échelle internationale. C’est trĂšs stimulant de le vivre de l’intĂ©rieur ! » ■

PARCOURS 26 AFRIQUE MAGAZINE I 440 – MAI 2023  C
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Najat ou la survie Belfond, 336 pages, 20,50 €.
XXXXXXXXXXX CHLOÉ VOLLMER-LO
«Comme beaucoup de dĂ©butants, j’étais un couteau suisse, je couvrais tous les domaines.»

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MON MARI EST-IL NORMAL ?

RĂ©union entre femmes plutĂŽt mĂ»res dans une capitale d’Afrique centrale. Elles sont mariĂ©es, aisĂ©es, et devisent sur les relations conjugales, et surtout
 extraconjugales. Toutes savent que leurs maris batifolent. « On n’y peut rien, c’est comme ça. Le tout, c’est qu’ils mangent et dorment Ă  la maison, sinon ça veut dire que c’est grave ! » lance l’une d’entre elles. Elles n’aiment pas non plus que les maĂźtresses les appellent pour les insulter, du genre : « Je suis avec ton mari, laisse-le partir, il va te quitter de toute façon, je suis enceinte. » MĂȘme si c’est trĂšs frĂ©quent
 L’une d’entre elles reste silencieuse, et les copines se moquent d’elle en riant. Du coup, gĂȘnĂ©e, elle sort du silence : « Moi, mon mari est fidĂšle, il est tous les soirs Ă  la maison. Le problĂšme, c’est que tout le monde se demande s’il est normal. C’est quand mĂȘme la honte. Je l’encourage Ă  sortir, espĂ©rant qu’il donne un peu plus une image de "mĂąle" Ă  l’extĂ©rieur, qu’il ait des copines. Mais il n’y a rien Ă  faire ! » « C’est qu’il t’aime ! » plaisante une autre. Éclat de rire gĂ©nĂ©ral.

En gros, les hommes doivent frĂ©quenter d’autres femmes, mais jusqu’à un certain point. Ce qui compte, c’est la rĂ©putation. Les messieurs peuvent s’afficher en public avec une « petite cousine », bras dessus, bras dessous. En revanche, leurs femmes, non. MĂȘme si elles avouent avoir des aventures. « Beaucoup plus qu’on croit ! » renchĂ©rit l’une d’entre elles. Mais ça ne doit absolument pas ĂȘtre public. « Un jour, mon mari m’a surprise par hasard avec un autre homme. Il m’a immĂ©diatement demandĂ© : "Qui est au courant ?" Si ça ne sait pas "dehors", ce n’est pas si grave ! »

L’essentiel, c’est que le mariage et le statut social de Madame, mĂšre des enfants officiels, comme la virilitĂ© de Monsieur ne soient pas remis en question. « AprĂšs plusieurs annĂ©es de mariage, on est surtout des amis, des complices. On essaye de ne plus divorcer pour des affaires de ce genre. Et c’est bien comme ça. On reste une femme respectable », conclut l’une d’entre elles, la cinquantaine.

Car lĂ -bas, avant d’ĂȘtre un couple, on appartient Ă  un groupe social, familial, avec ses codes et ses coutumes, et cela semble ĂȘtre le plus important. De quoi hĂ©risser le poil des fĂ©ministes occidentales. SĂ»rement. « Mais si l’équilibre est Ă  ce prix, tant mieux ! » lance une derniĂšre convive. Autres cieux, autres mƓurs, certes. Et tout cela Ă©voluera peut-ĂȘtre, au fil des gĂ©nĂ©rations. Quand les femmes s’empareront davantage du pouvoir Ă©conomique aussi. Mais en attendant, on peut relancer le dĂ©bat (ancestral sur le sujet) sur qui a raison et qui a tort. Moi, je n’ai finalement pas la rĂ©ponse. Et vous ? ■

AFRIQUE MAGAZINE I 440 – MAI 2023 29
EMMANUELLE
DOM
PAR
PONTIÉ C’EST COMMENT ?

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