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LIVRE
tragique peut avoir une fonction de catharsis. Interroger sur les ravages éventuels de la culpabilité, sur l’injonction de réussir à faire son deuil, sur le tabou du désir de revanche…j’écris en effet souvent des ouvrages assez sombres, alors que je ne le suis moimême pas du tout (rires) !
Par Aurélia Dejond
Jean se sent coupable de la mort de son frère, comme de sa fille. N’y a-t-il pas amalgame entre culpabilité et responsabilité ?
DANIEL CHARNEUX, de la tragédie à la compassion Parce que grandir sur fond de résilience fragilise à vie, le romancier belge Daniel Charneux a décidé, dans son dixième roman, d’explorer le sentiment de culpabilité, le deuil et le désir de vengeance. Des thèmes à priori noirs pour un récit qui ne l’est pas. Un page turner.
PRESSE.
Jean perd son frère jumeau à l’âge de dix ans. Une fois adulte, sa fille se fait égorger. Vous avez un goût particulier pour la tragédie ?
Je ne choisis pas les sujets que j’aborde, c’est plutôt ma plume qui me guide, de roman en roman. J’aime beaucoup la tragédie grecque, oui, et parmi l’uni-
vers de romancier qui me régit et que j’aime explorer, certains thèmes sont récurrents et me parlent sans doute davantage, comme le poids du destin sur la vie d’un être, l’obsession du temps qui passe, les notions de culpabilité et de faute…Écrire libère un auteur. Exactement comme pour un lecteur : ce
C’est presque une question philosophique…Le sentiment de culpabilité relève surtout de l’intime, la responsabilité est plus d’ordre moral. Chaque décision entraîne une conséquence pas toujours anticipée, qui, si elle est nuisible aux autres, peut induire la colère, les regrets, la souffrance… « Nous sommes nos choix », disait Sartre. Jean se sent à la fois coupable et responsable. Pour dépasser ces sentiments extrêmement ravageurs, la résilience est la seule alternative. Or, le désir de vengeance, ou est-ce plutôt un besoin de faire ou de rendre justice, s’immisce en lui, étape nécessaire dans son cheminement personnel. J’aurais pu donner naissance à un héros qui ne se sentait ni coupable, ni responsable, le récit aurait évidemment été tout autre. Faire son deuil du deuil, espoir utopique?
Je déteste l’expression « faire un travail de deuil ». Comme si le deuil était un chantier qui avait un début et une fin. Le deuil est un état à vie ! Le temps est une sorte de gomme potentielle, qui peut contribuer à lisser un peu les blessures. On peut connaître une forme d’estompement de la douleur, avec laquelle on apprend à vivre et qui reste tapie, sans nécessairement se déclarer chaque jour, au fil du temps. Réussir à faire son deuil est une injonction sociétale aberrante, comme si on « ratait » quelque chose en ne parvenant pas à surmonter un décès. Cela revient à obliger quelqu’un à tourner une page, quasiment sur commande, à passer à autre chose. C’est typique d’une société dans laquelle les diktats ont tendance à prendre le dessus… C’est effrayant ! Les oiseaux n’ont pas le vertige, Daniel Charneux, Genèse Édition 21 €.