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SUBSTANCE
MAGAZINE
Petit éloge Les confinements et l’avenir incertain nous ont parfois poussé·es à un repli sur nous-mêmes. Le télétravail et la quête de sens ont changé notre rapport à la sphère professionnelle. Et nous sommes de plus en plus nombreux·ses à éprouver une certaine flemme, quasi existentielle. Paresse ? Symptôme dépressif ? Et si l’assumer, c’était plutôt reprendre la main sur son temps et son destin ? Témoignages et analyse. Par Charlotte Brunel Photo Bunni Nishimura
de la flemme LES JEUNES LA REVENDIQUENT DÉSORMAIS COMME UN DROIT, et non plus comme une tare. À l’instar des Chinois·es de la génération Z qui se photographient couché·es à ne rien faire sur les réseaux sociaux sous le hashtag #TangPing (« s’allonger à plat » en mandarin), façon de protester contre la culture des « neuf, neuf, six » (le fait de travailler de 9 heures du matin à 9 heures du soir, six jours sur sept). Les entreprises de livraison à domicile la brossent dans le sens du poil (de la main) et ont même inventé un nouveau concept : « le business de la flemme ». Quant à la presse, elle l’ausculte aujourd’hui très sérieusement comme un symptôme de l’époque. Où est passé le goût de l’effort ? s’interrogeait ainsi la une du Point en juin dernier. Ces Français qui ne veulent plus travailler titrait dans la foulée Le Figaro Magazine sous la photo de Victor Lora, 33 ans, auteur du best-seller La retraite à 40 ans, c’est possible ! (1)
Car oui, du travail aux relations sociales en passant par la pratique du sport ou des divertissements, la flemme s’est répandue dans la société comme une traînée de poudre. Pour le pire – la tendance « Goblincore » apparue sur TikTok qui consiste à vivre dans sa tanière comme un horrible lutin et à lambiner de son lit à sa triste pitance. Et surtout, le meilleur : une manière inspirante de dire stop et de réinvestir son propre temps, à l’heure où la perspective de retourner au bureau nous donne l’envie de soupirer comme un·e ado : flemme ! Cette lassitude, cette force d’inertie, nous l’avons tous et toutes éprouvée. Qu’il s’agisse de la flemme de bouger – 95 % des Français·es ne font pas assez d’exercice physique, alarmait l’Anses début 2022 –, de se faire à manger – après la lune de miel du confinement, nous avons vécu le ras-le-bol du fait maison – et, bien sûr, de sortir.