L’attente magnifiée
Par Emmanuel Abela
Sylvie Durastanti a été la compagne de Jean Eustache au cours des dernières années de sa vie. En complément de deux scénarios écrits pour le cinéaste, elle nous relate les circonstances particulières de leur rédaction dans un essai. Cette traductrice de William S. Burroughs et Virginia Woolf en profite pour publier son premier roman, Sans plus attendre. L’une des merveilles de ce début d’année. D’où vous est venue l’idée de publier les scénarios et votre premier roman ? La publication de Nous Deux roman-photo et Sans plus attendre s’est faite par ricochets. En juin dernier, Bernard Wallet, ami de longue date, m’a dit avoir passé la veille à évoquer l’importance de l’œuvre de Jean Eustache avec des amis éditeurs, Sylvie Martigny et Jean-Hubert Gailliot, alias le bicéphale Tristram. Eux-mêmes m’ont écrit pour me demander s’il existait des archives. Je leur ai répondu qu’à ma connaissance, il n’en existait pas – hormis les scénarios archivés par Boris Eustache. Puis j’ai parlé à Bernard des scénarios que j’avais écrits en 1980-81 ; il m’a demandé de les lire, et m’a pressée de les envoyer à Tristram. 38
Dans la foulée, j’ai demandé à Jean-Hubert Gailliot si Sylvie Martigny et lui-même pourraient lire un autre manuscrit, sorte d’olni achevé avant le confinement, pour m’orienter vers un éditeur. À ma grande surprise, ils se sont déclarés prêts à publier l’ensemble : les scénarios, l’essai et le roman. C’est l’occasion pour vous de rétablir certaines vérités et de montrer que Jean Eustache multipliait les projets… D’aucuns ont insinué que Jean Eustache se serait suicidé parce qu’il se trouvait dans une crise de créativité. Exposer quels projets animaient le cinéaste m’importait davantage que de préserver notre intimité passée, au risque d’essuyer des critiques. J’imagine à la relecture de ces scénarios une émotion particulière. Je n’avais pas relu ces textes depuis que je les avais écrits. J’en ai achevé la présentation, intitulée Pourquoi j’ai écrit certains de mes textes, tout de suite après avoir remanié in extremis et repensé toute l’architecture de Sans plus attendre. Abordée sous un angle technique, la relecture des scénarios s’en est trouvée non seulement allégée, mais enfin possible. Ce sont les scénarios des films qui n’ont pas été tournés, mais on a le sentiment, à les lire, qu’ils constituent des œuvres à part entière. Aujourd’hui, quel regard portez-vous sur ces écrits ? Sans la réaction de mes premiers lecteurs, qui m’ont soutenu que ces textes avaient à leurs yeux une valeur littéraire indépendante de la visée qu’ils avaient eu pour moi, je les aurais gardés par devers moi. Je crois pouvoir jauger la valeur de Sans plus attendre, mais l’intrication de ces autres textes avec mon passé me rend incapable de les évaluer froidement. Dans Pourquoi j’ai écrit certains de mes textes, vous vous interrogez sur la raison qui a poussé Eustache à vous solliciter pour ces scénarios. Vous ne nous donnez pas vraiment la réponse. L’intimité avec un cinéaste peut vous ouvrir les yeux et vous apprendre à voir. Exactement comme l’intimité avec un musicien peut vous ouvrir les oreilles et vous apprendre à écouter. Mais on n’apprend pas plus à cadrer et monter