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+ SAMI TCHAK « Nous ne sommes pas sortis de la logique coloniale » La force jeune ! Aux sources de l’afrobeat L’uranium fait son come-back L’AFRIQUE DANS LE MONDE Démographie, compétition stratégique, développement durable, dette, soft power… Les 10 données qui vont marquer notre futur. N°440 - MAI 2023 L 13888 - 440 H - F: 4,90 € - RD INTERVIEW CRÉATION TV Nigeria BBY, deux ans déjà par Zyad Limam CÔTE D’IVOIRE Bola Tinubu Le « faiseur de roi » devenu président France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3 000 FCFA ISSN 0998-9307X0w BANDE DESSINÉE BUSINESS 75 % DE LA POPULATION A MOINS DE 35 ANS Un dossier spécial de 32 pages OUM KALTHOUM Une femme puissante

BBY, DEUX ANS APRÈS

Il avait 93 ans. Une vie sur presque un siècle. Béchir Ben Yahmed nous a quittés le lundi 3 mai 2021, il y a déjà deux ans, aux premières lueurs de l’aube, celle de la journée mondiale de la liberté de la presse, comme un ultime message. Victime des suites d’un Covid-19, dans un Paris entre deux confinements. BBY est parti fidèle à lui-même, conscient d’aborder son ultime voyage, passant des coups de fil à ses amis, cherchant à avoir les idées claires, à être « debout ». Jusqu’au bout.

C’était un homme à part, qui a su dépasser ses frontières, qui a vu grand, parfois trop, un homme fort, soucieux de son pouvoir, de son autorité et de sa liberté. Il a mené une vie de journaliste, d’éditorialiste et d’entrepreneur, cherchant à s’extraire des contraintes, menant sa barque souvent envers et contre tout.

BBY ne croyait pas beaucoup à la postérité de l’œuvre. Il se disait que l’humanité avance, que les gens oublient vite… Il avait déjà perdu beaucoup de ses amis, de ses compagnons du siècle justement, des personnalités souvent flamboyantes et qui, pourtant, semblaient comme disparues quelque part dans un livre d’histoire, rangé sur l’étagère.

Pourtant, l’œuvre de BBY est toujours là, présente. Il a été l’homme d’une grande idée, improbable, certainement « infaisable ». Un concept unique, à l’aube des indépendances. Faire un hebdomadaire pour toute l’Afrique, pour tout un continent à peine sorti des nuits coloniales. C’est l’aventure d’Afrique Action et de Jeune Afrique. Et aussi celle d’Afrique Magazine, créé en décembre 1983.

Il aura été lui-même un acteur de l’histoire, l’un des tout premiers à incarner ce concept révolutionnaire, puissant, d’une Afrique libérée, au cœur du monde, en charge de son destin. L’un des premiers tisserands du panafricanisme réel, avec cette idée que tous les peuples, au nord et au sud du Sahara, malgré leurs différences, partageaient un destin commun face aux puissances dominantes. Il aura été le seul patron de presse tunisien, arabe et africain de son époque à se construire une audience internationale, à être lu et écouté aux quatre coins de la planète. Un militant de l’émancipation des « Suds » qui aura dépassé ses frontières, inspiré des centaines de jeunes journalistes. Une œuvre justement sur près de six décennies qui a contribué à la prise de conscience d’une multitude d’entre nous.

édito

Ces fameux éditos, les « Ce que je crois » sont là, la plupart encore avec acuité. BBY n’hésite pas à y être iconoclaste, à assumer son contre-regard et sa subjectivité. Avec cette curiosité étonnante qui peut l’entraîner sur tous les chemins, la science, la géopolitique, la démographie, la religion, la fin de vie…

BÉCHIR BEN YAHMED

Et puis, il y a le livre aussi, J’assume, sorti en juin 2021, toujours dans le tumulte des années Covid. À la fois des mémoires et une tentative d’autoportrait. Un BBY tel qu’il est, soucieux de « dire » avec ses sincérités, ses contradictions, ses ambiguïtés. Un roman personnel également, celui d’un entrepreneur aussi perspicace qu’aventureux, qui pensait que seule la persévérance pouvait mener au succès.

Et il y a surtout ce témoignage historique, ce regard incisif, « sans fausse diplomatie », sur le monde tel qu’il était, tel qu’il est, et tel qu’il pourrait devenir. Ce livre reste indispensable, pour les jeunes et les moins jeunes. Au fil des pages, on revit les indépendances, les espoirs et les désillusions de l’Afrique contemporaine, les convulsions du monde, on retrouve ceux qui ont fait et qui font notre histoire. Bourguiba, Houphouët- Boigny, Lumumba, Che Guevara, Hô Chi Minh, Senghor, Foccart, Mitterrand, Omar Bongo, Hassan II, Alassane Ouattara, et tant d’autres… On se sent partie prenante du récit, de cette Afrique en mouvement.

J’ASSUME Les Mémoires du fondateur de Jeune Afrique, éditions du Rocher.

Le temps passe certainement. Mais l’œuvre de BBY reste. Dans cette époque bouleversée, où les libertés sont constamment remises en cause, Béchir Ben Yahmed nous rappelle l’importance du témoignage, du métier de journaliste, de la nécessité de la librepensée et de la libre expression. Dans cette époque où le développement et l’émergence des « Suds » restent une bataille largement inachevée, il nous rappelle toujours, aujourd’hui encore, l’importance de l’ambition, de l’indépendance et de la souveraineté. ■

AFRIQUE MAGAZINE I 440 – MAI 2023 3

N°440 MAI 2023

TEMPS FORTS

30 L’Afrique et le monde : 10 tendances qui vont marquer notre futur par Cédric Gouverneur

38 Nigeria : The new president! par Cédric Gouverneur

84 Sami Tchak : « Nous ne sommes pas sortis de la logique coloniale » par Astrid Krivian

90 Nadia Hathroubi-Safsaf et Chadia Loueslati : Oum Kalthoum, une femme puissante par Astrid Krivian

98 Aux sources de l’afrobeat par Jean-Marie Chazeau

104 En Arabie, les trésors d’Al-Ula par Catherine Faye

DÉCOUVERTE

45 CÔTE D’IVOIRE

La force jeune par Dominique Mobioh Ezoua, Philippe Di Nacera et Jihane Zorkot 46 Une exigence nationale 50 Mamadou Touré : « Accompagner vers l’autonomie »

54 Denise Kouadio et Ibrahim Diarrassouba : « Sensibiliser et nous rassembler » 58 À la source de l’emploi 60 Le phénomène

Afrique Magazine est interdit de diffusion en Algérie depuis mai 2018. Une décision sans aucune justification. Cette grande nation africaine est la seule du continent (et de toute notre zone de lecture) à exercer une mesure de censure d’un autre temps

Le maintien de cette interdiction pénalise nos lecteurs algériens avant tout, au moment où le pays s’engage dans un grand mouvement de renouvellement. Nos amis algériens peuvent nous retrouver sur notre site Internet : www.afriquemagazine.com

4 AFRIQUE MAGAZINE I 440 – MAI 2023
VINCENT MICHÉAGRÉGORY COPITETFINABRR O’REILLY/NYT/REDUX/RÉA
+ SAMI TCHAK « Nous ne sommes pas sortis de la logique coloniale » La force jeune ! Aux sources de l’afrobeat L’uranium fait son come-back L’AFRIQUE DANS LE MONDE Démographie, compétition stratégique, développement durable, dette, soft power… Les 10 données qui vont marquer notre futur. N°440 MAI 2023 13888 440 F: 4,90 € RD INTERVIEW CRÉATION TV Nigeria BBY, deux ans déjà par Zyad Limam CÔTE D’IVOIRE Bola Tinubu Le « faiseur de roi » devenu président – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 ––BANDE DESSINÉE 75% DE LA POPULATION A MOINS DE 35 ANS Un dossier spécial de 32 pages OUM KALTHOUM Une femme puissante AM 440 COUV Zyad.indd PHOTOS DE COUVERTURE : BRUNO LÉVY POUR JA - SHUTTERSTOCK - KOLA SULAIMON/AFP - DR - FRANCESCO GATTONI
P.30
»
de l’école
!
EN
chemins de Vincent Michéa
PARCOURS Rania Berrada par Astrid Krivian 29 C’EST
? Mon mari est-il normal ? par Emmanuelle Pontié 78 PORTFOLIO World Press Photo
: Une si sombre année par Zyad Limam
CE QUE J’AI APPRIS Conti Bilong par Astrid Krivian 120 VIVRE MIEUX
: Les allergies se multiplient par Annick Beaucousin 122 VINGT QUESTIONS À… Wifa par Astrid Krivian
des « repats
62 La bataille
64 En action
3 ÉDITO BBY, deux ans après par Zyad Limam 6 ON
PARLE C’EST DE L’ART, DE LA CULTURE, DE LA MODE ET DU DESIGN Les
26
COMMENT
2023
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Alerte
P.06

P.78 P.90 P.98

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Jean-Marie Chazeau, Philippe Di Nacera, Catherine Faye, Cédric Gouverneur, Aude Jouanne, Dominique Jouenne, Astrid Krivian, Camille Lefèvre, Élise Lejeune, Dominique Mobioh Ezoua, Luisa Nannipieri, Sophie Rosemont, Jihane Zorkot.

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AFRIQUE MAGAZINE I 440 – MAI 2023 5 110 L’uranium fait son come-back 114 Teva Meyer : « Il manque un réseau électrique transnational » 116 Prêt record du FMI en soutien à la croissance ivoirienne 117 Des vaccins ARN messager « made in Africa » 118 Le Naira fait tanguer le Nigeria 119 Fortune : Nigérians et Sud-Africains font la course en tête par Cédric Gouverneur BUSINESS EVGENIY MALOLETKA/ASSOCIATED PRESSDRKEEWU PRODUCTIONS

ON EN PARLE

C’est maintenant, et c’est de l’art, de la culture, de la mode, du design et du voyage

« VINCENT MICHÉA : LE CIEL SERA TOUJOURS

BLEU », Galerie Cécile Fakhoury, Paris (France), du 12 mai au 17 juin. cecilefakhoury.com

Étude pour Le Grand Retour des copines #3 2021.

6 AFRIQUE MAGAZINE I 440 – MAI 2023
VINCENT MICHÉA

EXPOSITION

LES CHEMINS DE VINCENT MICHÉA

Avec un NOUVEAU SOLO kaléidoscopique à la galerie Cécile Fakhoury, à Paris.

DU PHOTOMONTAGE à la peinture, en passant par la photographie et l’objet imprimé, Vincent Michéa n’a de cesse de nous conter Dakar, sa ville de cœur. Surtout son ciel, toujours bleu, et son esthétique, à la croisée des mondes modernistes et vernaculaires. Dans la nouvelle exposition qui lui est consacrée par la galeriste franco-ivoirienne Cécile Fakhoury, à Paris, une sélection de ses portraits se répond et s’articule autour de la capitale sénégalaise, dont l’architecture le fascine. Bien connu de la scène ouest-africaine et occidentale, cet artiste du réalisme et du symbolique, de la liberté et de l’émotion, vit entre Paris et Dakar depuis le milieu des années 1980. À la fois irrévérencieux, joyeux et mélancolique, son travail échafaude une passerelle entre les deux cités qu’il habite, et qui l’habitent. Un rôle de passeur et de transmetteur, qui s’accorde à la philosophie des talents représentés par la galeriste, dont le langage plastique s’affranchit des frontières et refuse la stigmatisation géographique. ■ Catherine Faye

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VINCENT MICHÉAGREGORY COPITET
Étude pour Quand on arrive en ville #1, 2022.

HOMMAGE

LE GOÛT DE LA LECTURE

L’autrice DÉCLARE SON AMOUR

aux librairies du monde entier. Et à leur rôle fondateur.

« C’EST EN RÉACTION à un monde qui a cessé de se soucier de l’écrit que la librairie Diwan a été fondée. Elle est née le 8 mars 2002 – qui est aussi, par coïncidence, la Journée internationale des droits des femmes. » Ce jour-là, à Zamalek, au nord de l’île cairote de Gezira, Nadia Wassef, sa sœur Hind et son amie Nihal inaugurent la première librairie moderne et indépendante d’Égypte. Vingt ans après, elle compte une dizaine de succursales et 150 employés. Persévérant à travers les ralentissements économiques, une révolution, un coup d’État militaire, une répression de la liberté d’expression et une pandémie, ce lieu de connaissance, d’échange et d’ouverture, est devenu une véritable institution. Dans ce récit haut en couleur, au pays de Naguib Mahfouz et de Nawal El Saadawi, l’histoire de cette caverne d’Ali Baba de la lecture nous est contée, portée par les diverses significations de son nom, Diwan. Recueil de poésie, lieu de réunion, divan… Tout un monde. ■ C.F.

SOUNDS

À écouter maintenant ! Ils ont beau puiser leur inspiration dans le high life comme dans l’afrobeat, les multi-instrumentistes Damien Tesson et Julien Gervaix vivent en France. Avec le duo Ireke, ils s’illustrent dans une mixture joyeuse, solaire et indéniablement funky, et élargissent leur prisme en convoquant des voix familières et aimées, telles celles de Pat Kalla et de Sana Bob, pointure du reggae burkinabé.

Ireke Tropikadelic, Underdog Records

Depuis son décès en 2006, l’aura d’Ali Farka Touré n’a pas faibli. Entre autres grâce à son fils, Vieux Farka Touré, qui veille à préserver la flamme de cet imposant héritage. Après l’avoir exploré dans Les Racines, il produit aujourd’hui un Voyageur proposant neuf inédits. Lesquels ont été enregistrés, souvent en toute improvisation, entre 1991 et 2004. Dès l’ouverture, le superbe « Safari », la guitare et la voix de l’artiste malien résonnent, emballant nos cœurs et nos tripes.

Alfa Mist

Variables, ANTI-

Depuis 2015, ce compositeur et rappeur britannique impose, au fil de disques sans cesse plus exigeants, un jazz à la fois fidèle aux traditions (notamment swing ou hard bop) et en quête de réinvention. Pour cela, il creuse la voie du hip-hop et livre un nouvel album épatant d’hybridité comme de cohérence. Si Variables est très intime, Alfa Mist n’en invite pas moins d’autres artistes, comme le Sud-Africain Bongeziwe Mabandla, dont le timbre habille à merveille le titre « Apho ». ■ Sophie Rosemont

ON EN PARLE 8 AFRIQUE MAGAZINE I 440 – MAI 2023
Ali Farka Touré Voyageur, World Circuit
❶ ❷ ❸ ANDREW MASONDR (4)
NADIA WASSEF, La Libraire du Caire, Stock, 360 pages, 22 €.

COMÉDIE MUSICALE

OUIDAH SIDE STORY

Dans le dernier film de Jean Odoutan, des ENFANTS DES RUES DU

TAMBOUR TAM-TAM A FAIT

FORTUNE à Paname, et le chantier de la rutilante maison qui l’attend à Ouidah suscite des envies de départ chez quatre enfants qui vivent dans la rue. Âgés de 12 à 14 ans, plus ou moins orphelins, sans les papiers nécessaires pour aller à l’école, ils sont suivis de près par la caméra de Jean Odoutan pour une comédie musicale en mouvement, au rythme de leurs menus larcins mais aussi de leur prestation en quatuor, chantant et dansant pour obtenir quelques francs. « Voilà les chapardeurs ! », « Les p’tits Macron ! » entend-on sur leur passage. Quelques flash-back en noir et blanc nous racontent l’origine de leur malheur, mais le réalisateur (qui a lui-même connu la rue) nous montre surtout la vitalité et la bonne humeur de ces gamins. À tel point que lorsque le drame menace de survenir, on a du mal à y croire. Le fondateur du festival Quintescence et de l’Institut cinématographique de Ouidah, réalisateur notamment de La Valse des gros derrières (2002), signe une nouvelle charge sociale et burlesque, près de quinze ans après le tournage de son dernier long-métrage, Pim-Pim Tché : Toast de vie ! Il lui a fallu des années d’écriture et des mois de travail auprès de ces jeunes pour mettre au point cette comédie rythmée par la tchatche et les percussions corporelles. Ces petits aventuriers aux pieds nus rêvent d’ouvrir une concession Peugeot sur les Champs-Élysées, et une femme chante soudain

« Brigitte Bardot, Bardot ! », mais tout au long de cette épopée de quartier un peu chaotique, on est bien au Bénin, entre rap et culte vaudou ! ■ Jean-Marie Chazeau

LE PANTHÉON DE LA JOIE (France-Bénin),de Jean Odoutan. Avec Jérémie Ahouansou, Jacob Gbetie-Marcos, Jean-Phlorique Anato, Carl Tchanou. En salles.

AFRIQUE MAGAZINE I 440 – MAI 2023 9 DR (2)
BÉNIN rêvent d’exil en chantant et en dansant pour quelques pièces…

LITTÉRATURE

LEYMAH GBOWEE Résistance pacifique

Onze ans après sa première publication, L’AUTOBIOGRAPHIE de la Libérienne, prix Nobel de la Paix en 2011, reparaît.

L’ÉLAN D’UNE SEULE FEMME peut bouleverser l’existence de bien d’autres. Rien ne prédisposait pourtant Leymah Gbowee, issue d’une famille modeste, mère célibataire de quatre enfants à 25 ans, victime de violences masculines, sans diplôme, à devenir l’une des plus importantes militantes pour les droits des femmes et la paix. Née en 1972 à Monrovia, dans un pays fondé en 1822 par l’American Colonization Society (ACS) afin d’y installer des esclaves noirs libérés, et premier État africain à devenir une république indépendante en 1847, cette femme au destin tumultueux a eu une vie hors du commun. En 1989, lorsque des rebelles armés, dirigés par l’ancien membre de gouvernement Charles Taylor, fondent sur la capitale, mettant le pays à feu et à sang, sa vie bascule. Massacres de masse, viols, enfants soldats, anarchie, prolifération d’armes de guerre deviennent le quotidien du pays. À 27 ans, face à la barbarie du dictateur, elle décide de se lever, de multiplier les mobilisations non violentes et de faire entendre la voix des filles, des mères, des épouses, criant leur désespoir et leur désir

de réconciliation. Dès lors, la pierre angulaire de son engagement se dessine : les femmes sont la clé de la résolution des conflits et stimulent l’édification de la paix. Tenace, devenue leadeuse, elle conduit des milliers de femmes dans des sit-in ininterrompus, des grèves conjugales, menace même de se dévêtir publiquement. Le féminisme sans frontière de cette « Femen » avant l’heure salue avant tout la sororité. Couronnée, en 2011, du prestigieux prix Nobel de la Paix, avec la présidente libérienne Ellen Johnson Sirleaf et la militante et journaliste yéménite Tawakkol Karman, elle a élargi son combat à toutes les questions des droits des femmes. « Quand j’ai commencé, on ne pouvait pas parler publiquement des mutilations génitales, du mariage des mineures, de l’éducation des filles, du contrôle des naissances, de l’homosexualité… », confiait-elle en 2016 au quotidien Le Monde. Son récit (paru pour la première fois en France en 2012) est un vrai soulèvement pour l’avenir des petites et jeunes filles. À travers l’histoire et l’engagement d’une femme au courage hors norme. ■ C.F.

LEYMAH GBOWEE, Notre force est infinie, Belfond, 352 pages, 21 €.

ON EN PARLE 10 AFRIQUE MAGAZINE I 440 – MAI 2023
DR
FLORENCE BROCHOIRE/SIGNATURES

MÉMOIRES

D’INTÉRÊT NATIONAL

Rouen, Honfleur, Le Havre… Trois ports normands qui ont participé à la TRAITE ATLANTIQUE et l’esclavage entre 1750 et 1848.

MÉCONNU, ce pan de l’histoire normande l’est à plusieurs titres. L’idée que l’on se fait d’un port négrier est avant tout celle d’un grand port, comme à Nantes ou à Bordeaux, et ceux du littoral normand ne sont pas toujours associés à l’Atlantique. De plus, le milieu négrier y était très français, alors qu’ailleurs, un tiers des armateurs étaient étrangers. Enfin, les bombardements du Havre en 1944 en ont fait disparaître les traces. Organisée simultanément dans trois lieux distincts, cette exposition s’inscrit donc dans une volonté de restitution et de transmission. Et se décline en trois chapitres. Dans un dialogue entre documents d’archives, objets et œuvres. Au Havre, le rôle des individus et la manière dont ils se sont retrouvés impliqués. À Honfleur, l’angle maritime, le déroulement des différentes étapes de la navigation et les lieux qui la ponctuent. Et à Rouen, l’étude de l’impact du commerce triangulaire sur le développement économique du territoire et dans la vie quotidienne de toutes les strates de la population normande et des personnes mises en esclavage. ■ C.F. « ESCLAVAGE, MÉMOIRES NORMANDES », musée industriel de la Corderie Vallois, Rouen / musée Eugène Boudin, Honfleur / hôtel Dubocage de Bléville, Havre (France), du 10 mai au 10 novembre.

esclavage-memoires-normandes.fr

ON EN PARLE 12 AFRIQUE MAGAZINE I 440 – MAI 2023
DR (3)
Attribué à Pierre Nicolas Selles, Portrait de Joseph-Armand Coudre Lacoudrais (1751-1789), fin du XVIIIe siècle. Panorama de la ville de Honfleur, de l’église Saint Léonard à l’extrémité du Cordon Royal, XVIIIe siècle.

CINÉMA

UNE HISTOIRE DE FOU

Dans les montagnes de Kabylie, un homme est mis au ban de son village parce que jugé trop différent. Des paysages sublimes, un suspens familial et une ODE SUBTILE À LA TOLÉRANCE : un premier film âpre, mais qui fait du bien.

C’EST L’HISTOIRE d’un fou qui ne l’est pas vraiment…

Il s’appelle Koukou, il a 20 ans et vit en Kabylie, dans un village de haute montagne, à 1 300 mètres d’altitude, sans vraiment travailler, mais toujours prêt à rendre service. Hommes et femmes y semblent là depuis des siècles, mêmes gestes et mêmes vêtements, alors que lui porte short et T-shirt et a laissé pousser ses cheveux. Doux et rêveur, il est considéré comme anormal par les anciens. C’est ainsi que le comité des sages du village décide de le faire interner dans un hôpital psychiatrique, après qu’il a ouvert la cage d’un oiseau pour lui rendre sa liberté. Mais le scénario ne s’attarde pas dans cet asile, et la seule intervention d’un médecin à l’écran sera simple et finalement bienveillante. Il faut dire que Koukou reçoit le soutien de son frère, Mahmoud, parti gagner sa vie en ville – comme de nombreux autres jeunes adultes du village –, où il est instituteur. De retour dans les montagnes, révolté par cette décision prise avec la complicité de leur père, celui-ci tente de s’opposer à la figure paternelle, qui terrorise déjà sa mère

et sa sœur. Pas facile de faire face, seul, à la morale et à l’ordre établi… « Ce village est un cimetière », constate-t-il. « Il est malade, il ne nous ressemble pas », disent de Koukou les villageois pour se justifier. C’est vrai que lorsque les femmes ramènent sur leur dos de lourdes charges de bois ramassées à des kilomètres à la ronde, c’est lui qui les aide, alors que les hommes restent au village à jouer aux dominos… L’exode rural, le poids de la tradition, l’ennui, et la place des femmes dans les sociétés conservatrices sont autant de thèmes subtilement abordés, rendant aussi hommage à la culture berbère : sa langue, ses chants, les couleurs brodées et fièrement portées par les filles et les épouses… Ce premier long-métrage d’Omar Belkacemi, réalisateur algérien formé à l’Institut maghrébin de cinéma, à Tunis, est un habile dosage de poésie et de philosophie, dans de superbes et rugueux paysages doucement engloutis par une mer de nuages. ■ J.-M.C. RÊVE (Algérie),d’Omar Belkacemi. Avec Mohamed Lefkir, Kouceila Mustapha, Latifa Aissat. En salles.

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FESTIVAL DE CANNES

EN HAUT DE L’AFFICHE

Kaouther Ben Hania

« JE SUIS INSTINCTIVE et je me passionne pour des sujets différents », confiait Kaouther Ben Hania à Afrique Magazine en 2020. C’était à l’occasion de la sortie de L’Homme qui a vendu sa peau, premier film tunisien nommé aux Oscars, tourné entre Bruxelles et Tunis dans le milieu de l’art contemporain, avec Monica Belluci et Yahya Mahayni, comédien syrien couronné du prix d’interprétation masculine à la Mostra de Venise ! La jeune quadragénaire volontaire, native de Sidi Bouzid et qui a étudié le cinéma à Tunis et Paris, n’en revendique pas moins ses racines, où elle a d’abord puisé la matière de récits donnant toute leur place aux femmes. Sa première fiction, présentée à Cannes en 2014, Le Challat de Tunis, était un documentaire parodique qui pistait un agresseur balafrant les postérieurs féminins. Deux ans plus tard, après une incursion au Québec (Zaineb n’aime pas la neige, Tanit d’or aux Journées cinématographiques de Carthage en 2016), elle revenait sur la Croisette avec La Belle et la Meute, film coup de poing adapté du livre de Meriem Ben Mohamed, Coupable d’avoir été violée. La voici cette fois en compétition pour la Palme d’or face à de prestigieux aînés, comme Nanni Moretti ou Wim Wenders, avec Les Filles d’Olfa, qui suit une mère confrontée à la radicalisation islamiste de ses adolescentes. « Un film à la lisière de la fiction et de l’essai, un engagement humain, humaniste et féministe », a souligné le délégué général du festival, Thierry Frémaux, en annonçant la sélection officielle. L’audacieuse cinéaste n’a pas fini de nous surprendre. ■ J.-M.C.

ON EN PARLE 14 AFRIQUE MAGAZINE I 440 – MAI 2023
PHILIPPE QUAISSE/PASCODR

Ramata-Toulaye Sy

UN PREMIER FILM À 36 ANS, et la voici directement en lice pour la Palme d’or ! La réalisatrice née à Paris (de parents sénégalais) a d’abord été scénariste, diplômée en 2015 de la FEMIS, prestigieuse école de cinéma parisienne. Elle a notamment cosigné le scénario de Notre-Dame du Nil, tourné au Rwanda par l’écrivain afghan Atiq Rahimi et sorti en 2020, avant de passer derrière la caméra pour un court-métrage, Astel : l’histoire d’une jeune fille de 13 ans qui garde des vaches avec son père et va être bouleversée par sa rencontre avec un berger, dont les images et la mise en scène ont impressionné les jurys de nombreux festivals. Pour son premier long, la cinéaste est retournée dans la même région isolée du Fouta-Toro, au Sénégal : Banel & Adama y montre deux amoureux de 18 et 19 ans qui, dans leur village reculé, vivent presque coupés du monde. Il est introverti et discret, alors qu’elle est passionnée et rebelle. Normal, Ramata-Toulaye Sy a toujours à cœur d’interroger la place des femmes dans la société contemporaine. De formation littéraire, très inspirée par des autrices afro-américaines comme Maya Angelou et Toni Morrison, ou africaines telle Chimamanda Ngozi

Adichie, elle porte aussi un grand soin visuel à ses réalisations. En retournant dans les paysages arides du nord de son pays d’origine, elle a choisi de filmer à nouveau des Peuls, parce qu’ils « s’expriment davantage avec leur regard, leur corps et leurs mouvements, que par la parole ». L’idéal pour une proposition de cinéma qui s’annonce visuellement très forte. ■ J.-M.C.

AFRIQUE MAGAZINE I 440 – MAI 2023 15
PHILIPPE QUAISSE/PASCODR
DEUX LONGS-MÉTRAGES DU CONTINENT en compétition pour la Palme d’or, dont un film tunisien pour la première fois depuis 1970 ! Un doublé d’autant plus rare qu’il concerne des RÉALISATRICES qui ont en commun de porter haut le récit intime de femmes d’aujourd’hui…

Ci-contre, Fagadaga, du Sénégalais Yoro Mbaye et ci-dessous, la Tunisienne Charlie Kouka.

INITIATIVE

SUR LA CROISETTE, LE CINÉMA DE DEMAIN

Le

PROGRAMME D’ACCOMPAGNEMENT à la création de l’Institut français voit cette année quatre lauréats africains.

LE FESTIVAL DE CANNES est le rendez-vous des stars et des paparazzis, mais c’est aussi une terre d’opportunités pour ceux qui rêvent de percer dans le cinéma. Comme les 10 cinéastes débutants qui participent à La Fabrique Cinéma, un programme de l’Institut français qui se déroule durant l’événement : valorisant les talents des pays du Sud et émergents, celui-ci a permis à de nombreux films d’arriver jusqu’en salles et d’être sélectionnés dans de grands festivals. Cette année, pour sa 15e édition, quatre des 10 lauréats qui bénéficieront d’un accompagnement personnalisé sont africains : le Sénégalais Yoro Mbaye et la Tunisienne Charlie

Kouka, qui travaillent à leur premier long-métrage, Fagadaga et Le Procès de Leïla, ainsi que l’Égyptienne Nada Riyadh et le Nigérian Michael Omonua (c’est d’ailleurs la première fois que le programme sélectionne un cinéaste de ce pays), qui visent, eux, la réalisation de leur deuxième, Moonblind et Galatians Ils seront marrainés par une productrice d’exception : la Tunisienne Dora Bouchoucha. En activité depuis 1994 et véritable référence, elle est reconnue pour son engagement en faveur du cinéma d’auteur et son rôle dans la promotion des cinémas arabe et africain. Ils n’auraient pas pu souhaiter mieux ! lescinemasdumonde.com/fr ■ Luisa Nannipieri

La Fabrique Cinéma se déroulera durant le Festival de Cannes, du 17 au 26 mai.

Ci-contre, Moonblind, de l’Égyptienne Nada Riyadh, et ci-dessus, le Nigérian Michael Omonua.

16 AFRIQUE MAGAZINE I 440 – MAI 2023 DR (4)PHOTO PERSONNELLEDR

DRAME

L’acteur incarne le principal adjoint d’un collège très respecté, prêt à tout pour que son fils réussisse son premier examen…

OBLIGATION DE RÉSULTAT

Encore un beau rôle, tout en raideur et autorité, pour ROSCHDY ZEM.

D’ORIGINE MAGHRÉBINE, le principal adjoint d’un collège de l’est de la France, très respecté, est prêt à tout pour que son fils réussisse son premier examen… Sévère, droit, et quelque peu rigide, il est incarné par Roschdy Zem avec toute la raideur et l’autorité nécessaires. Vivant seul avec son ado (scolarisé dans son établissement), séparé de sa femme enseignante dans le même collège, il fréquente d’autres personnages secondaires, mais ô combien importants pour apporter complexité et respiration à ce film parfois raide : son frère, socialement à la dérive, et la principale, admirative

de son adjoint et passionnée de littérature. Jusqu’où le mensonge auquel il va devoir recourir va-t-il l’entraîner ?

C’est tout le suspens de ce long-métrage habilement réalisé et solidement interprété, qui évoque bien des sujets dans l’air du temps, comme les transfuges de classes ou l’intégration des immigrés, sans tomber dans les pièges du film à thèse. Et sans donner de réponses toutes faites non plus. ■ J.-M.C. LE PRINCIPAL (France), de Chad Chenouga. Avec Roschdy Zem, Yolande Moreau, Hedi Bouchenafa. En salles.

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ON EN PARLE

Célèbre dans le monde entier, la chanteuse malienne N’OUBLIE PAS SES RACINES et ses nobles combats. En témoigne son lumineux nouvel album.

« MES TEXTES sont connectés à l’Afrique, confie-t-elle. L’amour que je lui porte est tant compris que réciproque… Même si mon franc-parler peut être difficile à entendre. » Revenir sur le fabuleux destin de Fatoumatou Diawara prendrait des pages. Après une enfance chaotique, elle a vite trouvé son chemin dans la performance et la musique : elle a incarné la sorcière dans la comédie musicale Kirikou et Karaba, été l’une des révélations du film d’Abderrahmane Sissako, Timbuktu, ou encore collaboré avec le duo électro Disclosure et le jazzman Herbie Hancock. Sans oublier Matthieu Chedid et Damon Albarn, invités sur ce nouvel album inclassable, où se croisent mélodies mandingues, jazz, pop et afrobeat : « Depuis mes débuts, j’ai toujours voulu fusionner la musique traditionnelle malienne à d’autres styles, sans dénaturer cet héritage culturel… au sein duquel j’ai voulu inviter mes frères Matthieu et Damon, qui m’ont toujours accueillie sur scène ou en studio. C’était à mon tour de leur ouvrir mon univers musical. » A aussi été conviée la chanteuse nigériane Yemi Alade, avec laquelle elle partage le goût du travail : « Elle représente la pop africaine contemporaine et respecte beaucoup son image. Je voulais l’encourager à persister dans cette voie. »

« Pour être célèbre, il faut travailler, comme nos anciens. Je suis une femme qui met la main à la pâte », rappelle la chanteuse, dont l’épatant talent transparaît sur chaque titre de London KO. « Un disque me demande des années d’investissement. Car les messages comptent. J’ai été une enfant avant d’être une femme, puis une mère. J’ai traversé bien des épreuves pour imposer ma féminité, afin qu’elle soit respectée par des hommes dans un monde qui ne nous facilite guère la tâche.

Il faut savoir ce que l’on fait, où l’on va, être capable d’être un leader, avoir de la substance. Ce n’est pas parce que je vis en Europe que c’est facile pour moi… Et cela, j’ai besoin de le partager pour sensibiliser la jeunesse. »

« La musique ne ment pas et ne peut se dédier au seul divertissement », rappelle-t-elle de sa voix ensorcelante. Les inégalités sociétales, les mutilations génitales, le besoin de solidarité, la reconnaissance d’un patrimoine ancestral… Tout ceci est abordé dans ce dernier album, qui, aussi universel soit-il, offre le meilleur des passeports à son royaume coloré, mais tout en complexités : « Je souris beaucoup, mais cela ne doit pas être trompeur. Mon combat de femme n’a jamais cessé. » ■ S.R.

FATOUMATA DIAWARA LA MUSIQUE NE MENT PAS

ON EN PARLE 18
FUSION

FATOUMATA DIAWARA, London KO, 3ème Bureau/ Wagram. En concert à la Salle Pleyel le 24 mai.

ALUN BE

MUSIQUE

NAÏSSAM JALAL

LA VOIX QUI PANSE LES BLESSURES

GUÉRIR UN MONDE soumis aux plus cruelles absurdités : telle est la mission de la compositrice et flûtiste franco-syrienne avec Healing Rituals.

RITUEL DU VENT, du soleil, de la rivière ou, superbe conclusion, de la brume. Avec des rythmiques mesurées, chaque morceau de ce neuvième album subtilement orchestré offre une proposition pour aller mieux. Née de parents syriens en banlieue parisienne, Naïssam Jalal a étudié la musique classique avant de s’aventurer dans d’autres territoires sonores, notamment celui du nay au Grand Institut de musique arabe de Damas, puis de se former auprès du violoniste égyptien Abdo Dagher. Depuis, on connaît son parcours sans fautes, son travail pour le quintet Rhythms of Resistance, sa Victoire du Jazz en 2019… Aujourd’hui, ce neuvième album s’impose comme un antidote à l’adversité. Cultivant une musique apaisante, répétitive et laissant place à moult respirations pour encourager à se ressourcer, Healing Rituals panse les blessures, tant psychiques que physiques. Y compris celle de Jalal elle-même, puisqu’elle l’a composé au sortir d’un séjour en hôpital… Une réussite d’une humilité qui en impose. Et hautement réconfortante. ■ S.R.

NAÏSSAM JALAL, Healing Rituals, Les Couleurs du son/L’Autre Distribution.

RÉCIT

Héros en culottes courtes

Un portrait sans concession des liens que l’on tisse pour échapper à son destin.

ORIGINAIRE de Sierra Leone, Ishmael Beah s’est fait connaître avec son autobiographie en 2007 (Le Chemin parcouru : Mémoires d’un enfant soldat, Presses de la Cité), traduite dans plus de 40 langues. Au plus près des enfants victimes de la guerre et des gamins des rues, cet ambassadeur pour l’Unicef et membre engagé de Human Rights Watch met en scène cinq orphelins s’improvisant un foyer dans une carcasse d’avion abandonnée, relique du chaos et de la guerre qui

ROMAN

Soif d’idéal

Les tourments d’un jeune tunisien à la recherche de sa place dans le monde. SON RÊVE : faire carrière dans le milieu artistique, à Paris. Seulement, pour Oualid, qui vit à Nabeul, dans la péninsule de l’est tunisien, à la fin des années 1990, l’illusion est de courte durée. Dans cette France, qu’il voit comme un pôle culturel et artistique, comme Rome le fut pour les peintres de la Renaissance, il va prendre conscience de l’absurdité du monde, de quelque chose de défaillant dans les relations entre les êtres. À l’aune de sa grande découverte littéraire, l’œuvre de Samuel Beckett,

ISHMAEL BEAH, La Petite Famille, Albin Michel, 320 pages, 22,90 €.

a ensanglanté la région. Une communauté de sort et de survie, qui crée des liens indéfectibles entre ses membres. Seulement, dans ce pays d’Afrique jamais nommé, mais qui ressemble furieusement à celui de l’auteur, l’équilibre de la petite famille de cœur chancelle lorsque l’aîné, Elimane, fait la connaissance d’un curieux protecteur et que la jeune Khoudiemata n’a d’yeux que pour les gens des beaux quartiers. Un second roman poignant. ■ C.F.

AYMEN

GHARBI, Le Centre d’appel des écrivains disparus, Asphalte, 160 pages, 18 €.

notamment Fin de partie, symbole du tragique de la condition humaine. Dans le centre d’appels pas comme les autres où il échoue à Tunis, le voilà engagé pour incarner son mentor, cette hot-line permettant de converser avec de grands auteurs disparus… Après Magma Tunis et La Ville des impasses, ce roman d’apprentissage témoigne du souci d’épanouissement intellectuel et de l’aspiration à la liberté. ■ C.F.

20 AFRIQUE MAGAZINE I 440 – MAI 2023 SEKADR (2)

POP-UP STORE

Le Maroc s’invite aux Galeries Lafayette

DANS LE CADRE de leur opération « Méditerranée Mania », les Galeries Lafayette s’associent à la Maison de l’artisan du Maroc pour mettre en valeur la culture marocaine. Jusqu’au 28 mai, un pop-up store dédié à l’artisanat du royaume chérifien prendra ses quartiers au deuxième étage du célèbre grand magasin du boulevard Haussmann, à Paris : Mlle à Marrakech, qui a soigné la sélection d’accessoires, tapis, et objets déco, ainsi que la mise en scène immersive du corner, propose 20 marques qui revisitent l’héritage du pays. Comme Bouchra Boudoua et Chabi Chic, avec leurs céramiques aux couleurs flamboyantes, Noun Design, qui présente entre autres ses coussins amazighs, design et durables, et ses amusantes tables basses, Hendiya et ses produits pour le soin du corps, à base d’huile de figue de barbarie, ou encore Kessy Beldi et Heirloom, qui proposent un art de la table alliant tradition et modernité. Une partie de cette offre est à retrouver également dans le magasin des Champs-Élysées. ■ L.N.

PAULO ANDRADEDR (2)
En mai, le GRAND MAGASIN PARISIEN propose une immersion dans l’artisanat du royaume chérifien.
POP-UP STORE MLLE À MARRAKECH, Galeries Lafayette Haussmann, Paris (France), jusqu’au 28 mai. haussmann. galerieslafayette.com Une vingtaine de marques de décoration revisite l’héritage du pays.

La pièce maîtresse est une magnifique robe jaune à volants et un couvre-chef imposant en forme de cornes de vache Ankole, animal vénéré dans le pays.

MASA MARA, FLOWER POWER

Dans sa collection « SILENCE THE GUNS », le Rwandais Nyambo MasaMara invite à faire la paix avec le passé traumatisant.

COLORÉE, PUISSANTE ET ÉVOCATRICE, « Silence

the Guns » (« Faites taire les armes ») est la huitième et dernière collection signée Masa Mara. Un label créé en 2017, au Cap, par le designeur et visual artist rwandais Nyambo MasaMara : Eli Gold, de son vrai nom, aime se servir de ses pièces pour affirmer son identité panafricaine et prendre position sur des sujets qui lui tiennent à cœur. Né au Rwanda au début des années 1990 dans une famille multiculturelle, il devient un réfugié pour échapper au génocide et grandit dans huit pays différents (République démocratique du Congo, Ouganda, ou encore Burundi), avant de s’installer en Afrique du Sud à 12 ans. Cette collection parle de ses démons et revient sur un trauma d’enfance – qui n’est pas seulement le sien. Mélangeant mode et art, il cherche à le dépasser à travers les motifs imprimés, qu’il dessine lui-même : « Les couleurs et les fleurs de cette collection représentent la gentillesse et la beauté de notre continent natal, notre désir de guérir

et changer la narrative », explique-t-il. « C’est aussi une invitation au reste du monde, pour qu’il nous accompagne dans ce changement. Mettons fin aux violences qui tourmentent tant de communautés en Afrique. Nous sommes une génération nouvelle, prête à lutter contre la discrimination, la brutalité et la division. » Voici donc défiler sur la passerelle des hommes en uniformes fleuris, moulants et chatoyants, avec des fusils peints en rose et jaune fluo. Les cols et les pochettes des chemises militaires intègrent des robes déstructurées et des habits deux-pièces non genrés, participant au jeu de détournement. Tout a été réalisé au Cap, à partir d’un mélange de coton et de textiles synthétiques locaux. Pièce maîtresse de la collection, une magnifique robe jaune à volants et un couvre-chef imposant en forme de cornes de vache Ankole – symbole d’un animal vénéré au Rwanda et clin d’œil au pseudo du créateur, Nyambo étant un autre nom du bovin. masamara.co.za ■ L.N.

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MODE
Ci-dessus, les hommes défilent en costumes militaires fleuris et chatoyants. Ci-contre, le styliste Nyambo MasaMara.
HLALANATHI RADEBE (3)

DANS LES PAS

D’ARMANDO CABRAL

ARMANDO CABRAL a été l’un des mannequins les plus demandés au monde dans les années 2000 : à 21 ans, il travaillait déjà avec Louis Vuitton et Balmain. Aujourd’hui, il est à la tête d’un label de chaussures de luxe qui mixe l’expertise de la manufacture européenne à la culture de son pays d’origine. Né en Guinée-Bissau en 1982, il a grandi à Lisbonne et parcouru le monde, puis s’est lancé dans l’entrepreneuriat en 2008, après avoir arpenté des centaines de podiums dans des chaussures aussi magnifiques qu’inconfortables. La marque, à son nom – qui a ouvert il y a peu une boutique dans le Rockefeller Center, à New York –, propose des créations classiques mais confortables pour hommes (quelques-unes sont unisexes). Certaines paires sont confectionnées avec du Pano di Pinti, un tissu principalement produit par deux peuples en Guinée-Bissau, les Papel et les Manjaques – dont est issue la mère du créateur –, et véritable symbole socioculturel du pays. Chaque pièce a son histoire et son identité, lesquelles s’expriment via des motifs inspirés par la nature, les animaux et les événements traditionnels, reflétant toute la richesse de la terre natale du designeur. shop.armando-cabral.com ■ L.N.

DESIGN
L’ex-mannequin star guinéen s’est reconverti dans la CHAUSSURE DE LUXE, créant des pièces classiques et confort avec une touche inimitable.
DR (2)

SPOTS

EN ROUTE POUR LA CUISINE LATINE

Champagne et ceviche vont de pair à JOHANNESBOURG, alors qu’à NAIROBI, un

réinvente les saveurs du monde.

AVEC SES 400 M2 qui rendent hommage à l’art nouveau à l’africaine et invitent à s’évader de la jungle urbaine de Johannesbourg, Zioux (à prononcer « zoo ») est l’un des bars à cocktails et champagne les plus cool de la ville. Inspirée par les saveurs du Mexique et du Pérou, la carte, très produits de la mer, s’allie parfaitement aux boissons. On y propose du ceviche, bien sûr, en version saumon avec sauce ponzu, ou au lampris avec sauce matcha et radis. Ainsi que sa variante péruvienne, le tiradito, au saumon du Cap, avec lait de coco et truffes, ou à l’espadon, avec câpres et piment habanero jaune. Mais aussi des tacos et des plateaux de fruits de mer. En dessert, la goyave pochée au sirop de jalapeño, avec gelée d’hibiscus, est un must. Des plats vibrants de goût, à partager sans modération. zioux.com

Les saveurs d’Amérique latine s’invitent aussi chez Cultiva, une table de la banlieue pavillonnaire de Nairobi. Imaginée en 2019 comme un restaurant pop-up, elle propose une cuisine « de la ferme à l’assiette », avec des recettes piochées autour du globe mais rigoureusement

réalisées à partir d’ingrédients locaux. Le concept du fondateur, le chef équatorien Ariel Moscardi, a si bien marché qu’il s’est agrandi après la pandémie. Le restaurant peut désormais accueillir jusqu’à 210 personnes, dans une ambiance agro-industrielle adoucie par une déco chaleureuse et végétale. Ici, pas de carte fixe : le chef s’adapte à la production disponible. Même le ceviche varie en fonction de la pêche du jour. Une adresse expérimentale et créative. Compte Instagram : @cultivakenya ■ L.N.

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DR (3)
chef équatorien
Le Cultiva propose une cuisine « de la ferme à l’assiette ». La carte du Zioux, adresse chic, se concentre sur les produits de la mer.

ARCHI

Entre histoire et modernité

La réhabilitation d’un ancien PALAIS D’ANTANANARIVO par la Fondation H pourrait aider à faire renaître le centre-ville de la capitale malgache.

LES NOUVEAUX LOCAUX de la Fondation H à Antananarivo, inaugurés en avril dernier, n’ont pas seulement une portée culturelle pour la capitale malgache. L’architecte allemand Otmar Dodel, qui vit à Madagascar depuis dix-sept ans et a conçu le projet, espère faire de l’ancien palais construit en 1912 pour accueillir la Direction centrale des postes et télégraphes un moteur de renaissance pour le centre historique de la « ville des milles ». Travaillant avec des artisans locaux, il a profité des deux ans de chantier pour parfaire la formation de ses équipes sur des techniques de construction traditionnelles presque disparues. Dans l’optique de valoriser ces beaux bâtiments en briques et bois, il a retrouvé

les plans d’origine et réhabilité les façades, les portes, et même les descentes d’eau, au plus près de ce qu’elles étaient au départ. Mais les traces des précédentes « vies » de la structure n’ont pas été entièrement effacées. Certaines intégrations, comme celles en béton des années 2000, ont toute leur place dans le nouveau musée. L’annexe a en revanche été remplacée par un bâtiment contemporain et aéré. Le contraste entre histoire et modernité, briques rouges et murs blancs, est saisissant. Tout comme l’effet créé par la baie vitrée qui sépare le patio et la rue. Une invitation aux passants à s’approprier un lieu ouvert à tous, qui accueille aussi un café et une bibliothèque. fondation-h.com ■ L.N.

THIERRY
FABIO

Rania Berrada

DANS SON PREMIER ROMAN, LA JOURNALISTE

dresse le portrait poignant et juste d’une jeune femme marocaine en quête de liberté, affrontant les carcans du patriarcat et l’arbitraire de l’administration. par Astrid Krivian

’est l’histoire d’une femme qui attend : après un homme, après des décisions administratives, après un oncle qui pourrait la faire venir en Europe pour qu’elle suive des études… Issue d’un milieu modeste, Najat rêve de quitter sa ville d’Oujda, dans la région de l’Oriental, pour devenir chercheuse en biologie. « La tendance à partir y est plus forte que dans d’autres villes du pays. Pendant longtemps, Oujda a été le parent pauvre des politiques économiques de développement au Maroc. Pour les femmes, le moyen de se rendre en Europe était d’épouser un homme », indique Rania Berrada, qui a des attaches familiales dans cette commune. Inspiré d’une histoire vraie, Najat ou la survie retrace le chemin sans cesse semé d’embûches de son héroïne, qui encaisse les coups du sort, se désespère parfois, se relève toujours, tente de braver les carcans du patriarcat. Le récit évoque notamment la frustration des jeunes diplômés dans le Maroc contemporain, leur révolte face au manque criant d’opportunités professionnelles, exprimée lors du Mouvement du 20 février, en 2011. En France, Najat fera l’expérience de la ghorba (l’exil), coincée dans une situation ubuesque, dans l’attente de ses papiers : « Active et volontaire pour s’intégrer, elle subira la lenteur et la rigidité des procédures administratives. »

Pour écrire ce premier roman, Rania Berrada a troqué sa casquette de journaliste pour celle d’écrivaine pendant un an : « La meilleure année de ma vie. » Née en 1993 à Rabat, où elle a grandi, elle a un véritable coup de foudre pour Paris lors d’un voyage familial, à 9 ans. « Cette ville m’appelait. Je n’avais alors qu’une hâte : partir m’y installer. » Sa première claque littéraire ? Voyage au bout de la nuit, de Céline, qu’elle dévore à 16 ans. « Un événement fondateur. Je sentais que l’auteur avait pris un vrai plaisir. Écrire pouvait être un exercice agréable. » Après sa scolarité au lycée français de la capitale marocaine, elle poursuit des études d’économie à la Sorbonne, à Paris. En parallèle, un atelier d’écriture hebdomadaire lui met le pied à l’étrier. Et par hasard, elle s’initie au journalisme, en animant une émission sur une radio étudiante. Elle se prend au jeu, passe les concours des écoles et intègre l’École des hautes études en sciences de l’information et de la communication (CELSA).

Une fois diplômée, elle multiplie les expériences, les contrats de pigiste en presse écrite, radio, télévision, Web : « Comme beaucoup de journalistes débutants, j’étais un couteau suisse, couvrant tous les domaines. »

En mal d’adrénaline, elle qui espérait partir en reportage au bout du monde bâtonne des dépêches, un peu désillusionnée. Puis rejoint le média en ligne Brut, pour lequel elle couvre l’actualité de sa terre natale : « Par ce métier, jamais routinier, on rencontre des personnes de milieux très différents. J’aime ce grand écart, ce côté caméléon : assister à un gala, puis enchaîner sur une manif. » Ses sujets témoignent de l’effervescence et de la richesse de la scène culturelle : « Musique, arts plastiques, cinéma, mode… Les Marocains sont novateurs et portent leur création à l’échelle internationale. C’est très stimulant de le vivre de l’intérieur ! » ■

PARCOURS 26 AFRIQUE MAGAZINE I 440 – MAI 2023  C
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Najat ou la survie Belfond, 336 pages, 20,50 €.
XXXXXXXXXXX CHLOÉ VOLLMER-LO
«Comme beaucoup de débutants, j’étais un couteau suisse, je couvrais tous les domaines.»

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MON MARI EST-IL NORMAL ?

Réunion entre femmes plutôt mûres dans une capitale d’Afrique centrale. Elles sont mariées, aisées, et devisent sur les relations conjugales, et surtout… extraconjugales. Toutes savent que leurs maris batifolent. « On n’y peut rien, c’est comme ça. Le tout, c’est qu’ils mangent et dorment à la maison, sinon ça veut dire que c’est grave ! » lance l’une d’entre elles. Elles n’aiment pas non plus que les maîtresses les appellent pour les insulter, du genre : « Je suis avec ton mari, laisse-le partir, il va te quitter de toute façon, je suis enceinte. » Même si c’est très fréquent… L’une d’entre elles reste silencieuse, et les copines se moquent d’elle en riant. Du coup, gênée, elle sort du silence : « Moi, mon mari est fidèle, il est tous les soirs à la maison. Le problème, c’est que tout le monde se demande s’il est normal. C’est quand même la honte. Je l’encourage à sortir, espérant qu’il donne un peu plus une image de "mâle" à l’extérieur, qu’il ait des copines. Mais il n’y a rien à faire ! » « C’est qu’il t’aime ! » plaisante une autre. Éclat de rire général.

En gros, les hommes doivent fréquenter d’autres femmes, mais jusqu’à un certain point. Ce qui compte, c’est la réputation. Les messieurs peuvent s’afficher en public avec une « petite cousine », bras dessus, bras dessous. En revanche, leurs femmes, non. Même si elles avouent avoir des aventures. « Beaucoup plus qu’on croit ! » renchérit l’une d’entre elles. Mais ça ne doit absolument pas être public. « Un jour, mon mari m’a surprise par hasard avec un autre homme. Il m’a immédiatement demandé : "Qui est au courant ?" Si ça ne sait pas "dehors", ce n’est pas si grave ! »

L’essentiel, c’est que le mariage et le statut social de Madame, mère des enfants officiels, comme la virilité de Monsieur ne soient pas remis en question. « Après plusieurs années de mariage, on est surtout des amis, des complices. On essaye de ne plus divorcer pour des affaires de ce genre. Et c’est bien comme ça. On reste une femme respectable », conclut l’une d’entre elles, la cinquantaine.

Car là-bas, avant d’être un couple, on appartient à un groupe social, familial, avec ses codes et ses coutumes, et cela semble être le plus important. De quoi hérisser le poil des féministes occidentales. Sûrement. « Mais si l’équilibre est à ce prix, tant mieux ! » lance une dernière convive. Autres cieux, autres mœurs, certes. Et tout cela évoluera peut-être, au fil des générations. Quand les femmes s’empareront davantage du pouvoir économique aussi. Mais en attendant, on peut relancer le débat (ancestral sur le sujet) sur qui a raison et qui a tort. Moi, je n’ai finalement pas la réponse. Et vous ? ■

AFRIQUE MAGAZINE I 440 – MAI 2023 29
EMMANUELLE
DOM
PAR
PONTIÉ C’EST COMMENT ?

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