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LA ROBE FAIT SA RÉVOLUTION Sur-érotisée dans les années 90 puis renvoyée au placard par l’avènement du “comfort wear”, elle fait son grand retour chez les créateur·rices. Et s’impose, moulante, transparente ou ultra-courte, comme un nouveau symbole d’affirmation de soi. Décryptage. Par Charlotte Brunel
E
n septembre dernier, le duo de Coperni, alias Arnaud Vaillant et Sébastien Meyer, signait le happening le plus viral des défilés printemps-été 2023. L’objet de tous les désirs ? Une robe vaporisée en direct sur le corps de Bella Hadid grâce à la technologie du Spray-on mise au point par la société Fabrican. Un simple « body painting » ? Non, car au contact de l’épiderme, le liquide – mélange de coton, de fibres synthétiques et de polymères – se transformait peu à peu en tissu, puis en fourreau blanc qui épousait au plus près l’anatomie de la mannequin. La robe spray de Coperni n’est pas la seule à flirter avec l’immatériel. Des « naked dresses » légères comme des souffles aux nuisettes incrustées de détails empruntés à la corseterie, en passant par des secondes peaux fendues de « cut-out »,
cette saison, la robe n’en finit pas de se déshabiller pour accompagner au plus près de la peau la libération des corps. Et ce ne sont pas les chiffres qui diront le contraire. S elon le moteur de recherche Tagwalk, 59 % des 247 créateur·rices ayant défilé cette saison ont utilisé dans leurs collections des références à la lingerie, et 77 % d’entre eux des effets de transparences… UNE TENDANCE QUE L’ACHETEUSE STAR de Bergdorf Goodman, Linda Fargo, a déjà baptisée « body-pride dressing ». N’y voir que l’effet de la nostalgie actuelle pour les années 90 – décennie de la « naked dress » et du porno chic – et pour les très festives et délurées Y2K serait une erreur. Le retour du sexy, comme le chantait si bien Justin Timberlake, s’inscrit dans un mouvement plus général de célébration du corps féminin post-Covid. « Pendant la pandémie, nous nous sommes enfermés dans le “comfort wear”, l’“athleisure”, dans un vestiaire de survie dans lequel la robe n’était pas essentielle, explique Maud Pupato, responsable du marché mode femme luxe et designers au Printemps Hausmann. La sortie de la crise sanitaire a créé un désir pour une mode plus sexy avec des formes moulantes, des jupes très, très courtes comme chez Miu Miu et, cette saison, beaucoup de transparences, qui ont investi jusqu’à l’univers du mariage et de la cérémonie. Aujourd’hui, les femmes
ont envie de montrer leur corps mais de manière différente. C’est-à-dire pour elles-mêmes comme l’expression de leur force et de leur féminité. » Il y a peu, pourtant, l’image de la robe sexy était loin de faire l’unanimité. Trop vulgaire, antiféministe… les mots n’étaient pas assez durs pour dénoncer ce symbole de l’oppression des corps et des esprits. En pleine vague #MeToo, on se souvient des robes noires et austères portées lors de la cérémonie des Oscars 2018 en signe de solidarité au mouvement. « À un moment, les codes de la féminité comme les décolletés, les talons hauts ont été relus comme quelque chose de subi, d’imposé par la société patriciale, analyse Thomas Zylberman, expert mode chez Carlin International. Mais depuis, beaucoup d’artistes, de chanteuses, d’actrices ont œuvré dans le sens d’une féminité exacerbée en retournant l’arme en son contraire : le sexy a changé de statut, il est devenu une forme d’affirmation de soi. » Les créateur·rices ne boudent pas leur plaisir à explorer ce nouveau territoire d’expression et de liberté. Même ceux et celles auxquel·les on s’attendait le moins… Invitée à défiler à Paris en septembre dernier, Victoria Beckham, plus connue pour ses très sages jupes midi et blouses à col lavallière que pour ses robes sulfureuses, présentait ainsi dans l’église du Val-de-Grâce un festival de modèles en mousseline de soie transparente, de • • •