SOCIÉTÉ
Face à la démission, les femmes et les hommes sont-ils motivés par les mêmes raisons ? Dr. Thuc Uyen Nguyen-Thi est chercheuse au Luxembourg Institute of Socio-Economic Research (LISER) et responsable d’un projet de recherche intitulé WorkAgeing, financé par le Fonds National de la Recherche (FNR), sur l’emploi des travailleurs âgés au Luxembourg. Cet article résume l’un de ses travaux portant sur la démission volontaire des travailleurs du secteur privé.
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DR. THUC UYEN NGUYEN-THI DU DÉPARTEMENT MARCHÉ DU TRAVAIL
Dans le contexte d’une pénurie imminente de travailleurs hautement qualifiés au Luxembourg, il est important de s’intéresser à ce qui incite les travailleurs à démissionner. En effet, les travailleurs dotés des meilleures compétences et aptitudes sont ceux qui ont le plus tendance à démissionner. La politique de rétention des salariés dans les entreprises, et en particulier des salariés qualifiés, est un élément crucial de la gestion des ressources humaines. LES RAISONS QUI POUSSENT À DÉMISSIONNER Différentes raisons peuvent amener une personne à démissionner. Nous nous concentrons ici sur deux d’entre elles : les opportunités d’emploi sur le marché du travail et les conditions de travail dans l’entreprise (tels que l’environnement de travail, le soutien des supérieurs, les chances de promotions, l’accès à la formation, etc.). En particulier, nous souhaitons savoir si de bonnes conditions de travail sont en mesure de contrebalancer la présence d’opportunités d’emploi sur la décision de démissionner. Pour cela, nous avons réalisé une étude sur un échantillon représentatif de plus de 7 900 employés travaillant dans
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des entreprises basées au Luxembourg. L’analyse aboutit à trois principaux résultats. Premièrement, les hommes qui perçoivent de meilleures opportunités d’emploi ont tendance à vouloir quitter leur entreprise alors qu’aucun impact a été trouvé pour les femmes. Deuxièmement, les chances de promotion, la communication interne et la reconnaissance du travail par le supérieur réduisent la volonté de démissionner des hommes. Pour les femmes, seule la perception de la justice salariale réduit leur volonté de démissionner. Troisièmement, certaines conditions de travail sont efficaces pour retenir les travailleurs pour lesquels les opportunités d’emploi sont les plus intéressantes. Ainsi, les travailleurs, en particulier les hommes, satisfaits de leurs chances de promotion et de la reconnaissance de leur travail sont moins enclins à la démission, même si leurs opportunités d'emploi sont grandes. LES PRATIQUES MANAGÉRIALES EN LIGNE DE MIRE Ces résultats mettent en lumière le rôle que les managers, via les pratiques managériales, ont à jouer sur la décision
des salariés de démissionner. Certaines pratiques sont, en effet, susceptibles d’influencer négativement la décision des salariés de démissionner en les aidant à se sentir pleinement impliqués dans leur travail. En particulier, des décisions managériales perçues comme étant équitables, favorisent la rétention des salariés dans l’entreprise. Il est donc essentiel que les gestionnaires soient sensibles à la façon dont leurs décisions managériales seront perçues par leurs travailleurs s’ils souhaitent les retenir. De même, la promotion interne peut répondre aux préférences des travailleurs en matière d'avancement au sein de leur organisation, améliorant ainsi leur satisfaction professionnelle et réduisant leur désir de démissionner. L’analyse soutient également l'idée que les hommes et les femmes ne partagent pas les mêmes raisons de démissionner. La décision des femmes de démissionner est moins sensible, que celle des hommes, aux conditions de travail difficiles et à la faiblesse des possibilités d’avancement. Ce résultat sousentend que les politiques managériales de rétention, pour être pleinement efficaces, devraient être différenciées en fonction du genre des employés. ●