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© Internazionale 1993 éditions Jean Maisonneuve, Paris, pour le texte et les plans © Internazionale 2010 Editoriale Jaca Book SpA, Milan pour l’édition du livre d’art et l’introduction de Gilles Béguin © Suzanne Held, Paris, pour les photographies en couleurs Titre original de l’ouvrage : Angkor En couverture : Bayon, tours à visages, galerie du deuxième étage Conception graphique de la couverture : Jean-Marc Barrier Ouvrage publié avec le concours du Ministère français chargé de la Culture – Centre National du Livre ISBN : 9782754104623 Dépôt légal : octobre 2010 © 2010 éditions Hazan pour l’édition française www.editions-hazan.com
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SOMMAIRE
Introduction LE GUIDE D’ANGKOR REVISITÉ 7 Première partie NOTIONS PRÉLIMINAIRES 15 Les sources de renseignements sur l’ancien Cambodge 16 L’histoire 18 Les religions 23 Les monuments d’Angkor 32 L’architecture 35 La construction 38 L’ornementation 43 Les sculptures en ronde-bosse 50 Chronologie des monuments 52 L’œuvre de l’École française d’Extrême-Orient 54 Deuxième partie LES MONUMENTS 59 ANGKOR VAT 63 D’ANGKOR VAT À ANGKOR THOM 99 Ta Prohm-Kel 99 Phnom Bakheng 99 Baksei Chamkrong 106 Thma Bay Kaek 108 Prasat Bei 108 ANGKOR THOM 109 Le Bayon d’Angkor Thom 109 Monument 486 146 La Place Royale d’Angkor Thom 147 Terrasse des Éléphants 148 Terrasse du Roi Lépreux 154 Tep Pranam 162 Prah Palilay 163 Enceinte du Palais Royal Phiméanakas 165 Baphûon 172 Prasats Suor Prat 182 Les Kléang 183 Prah Pithu 188
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LES MONUMENTS DU PETIT CIRCUIT 191 Monument 487 191 Thommanon et Chau Say Tevoda 191 Spéan Thma 203 Chapelle de l’hôpital 203 Ta Keo (ou Ta Kev) ou Prasat Keo 203 Ta Nei 209 Ta Prohm 211 Kutiçvara 229 Bantéay Kdei 229 Srah Srang 239 Prasat Kravan 242 LES MONUMENTS DU GRAND CIRCUIT 247 Pré Rup 247 Prasat Léak Néang 252 Mébôn oriental 255 Ta Som 262 Krol Kô 268 Néak Péan 268 Prasat Prei 274 Bantéay Prei 274 Prad Khan 274 Krol Damrei 296 LES MONUMENTS HORS CIRCUIT 297 Bantéay Srei 297 Bantéay Samrè 317 Groupe de Rolûos 327 Bakong 329 Prah Kô 342 Lolei 354 Phnom Krom 362 Phnom Bok 364 Baray occidental 365 Prasat Ak Yom 365 Mébôn occidental 366 Beng Méaléa 370 NOTES 372 PRÉFACE DES PRÉCÉDENTES ÉDITIONS DU GUIDE DE MAURICE GLAIZE 373 Extrait de la préface de la 1re édition 373 Préface de la 4e édition 373 GLOSSAIRE DES MOTS USUELS 375 BIBLIOGRAPHIE 377 INDEX DES NOMS DE SITES ET DE MONUMENTS 379
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Introduction LE GUIDE D’ANGKOR REVISITÉ Gilles Béguin
MAURICE GLAIZE, L’UN DES « PÈRES » D’ANGKOR Maurice Glaize (1886-1964) marque d’une manière incomparable la renaissance d’Angkor. Petit-fils du célèbre peintre Auguste-Barthélémy Glaize et fils de l’architecte de la Ville de Paris, Ferdinand Lambert Glaize, Maurice, après de brillantes études secondaires, entre dans la classe de l’architecte Henri Deglane à l’École des beaux-arts. Des opportunités de carrière le portent en Asie du SudEst comme architecte et directeur de l’agence du Crédit Foncier et de l’Union immobilière à Phnom Penh de 1928 à 1930, puis comme architecte en chef à Saigon de 1931 à 1934. À la suite de la Grande Dépression, le Crédit Foncier ne renouvelle pas son contrat. En 1935, à la mort de Georges Trouvé, conservateur des Monuments d’Angkor, il brigue sa succession. Le contrat qu’il obtient des autorités de Hanoi ne lui octroie que des revenus très modestes, lui permettant difficilement d’élever dignement ses quatre enfants. Malgré de lancinants problèmes financiers personnels, il consacre toute son énergie à sa nouvelle tâche. Il reste à la tête du site neuf ans, de 1936 à 1945. Son action sera interrompue par l’occupation japonaise. Les Français du Cambodge sont alors rassemblés à Phnom Penh en mars 1945. Maurice Glaize embarque pour la France en 1946. Malgré des pressions de l’École française d’Extrême-Orient, il ne devait plus revenir au Cambodge. Il termina sa carrière à La Rochelle, œuvrant à la reconstruction de la ville gravement touchée par les bombardements de la Seconde Guerre mondiale. Lors de son séjour à Angkor, aux tracas dus à la modestie de son traitement s’ajoutaient les aléas des crédits alloués à la restauration des sites quoique ceux-ci aient connu des augmentations notables au fil des ans : 15 000 piastres en 1937 ; 25 000 en 1938 ; 30 000 en 1939 ; 50 000 en 1943 ; 100 000 en 1944. Cette année-là, 425 manœuvres s’activaient sur dix chantiers à la fois. L’action de Maurice Glaize fut considérable. On lui doit ainsi le remontage de Bantéay Samrè (1936-1944), la presti-gieuse restauration de Néak Péan (1938-1939) et la résurrection du Bakong (1936-1943). D’autres chantiers de moindre envergure retinrent également son attention dont, à Rolûos, à une quinzaine de kilomètres de Siemréap, le Phnom Krom ; au nord-est d’Angkor, le Phnom Bok en 1939, et, à l’ouest de l’antique cité, le monument au centre du Mébôn occidental de 1939 à 1942. Il débuta également trois grands chantiers qui furent conduits à terme par ses successeurs : le Prah Khan d’Angkor, le Bayon et la chaussée nord d’accès à Angkor Thom.
Les travaux pour la consolidation du Baphûon étaient programmés sur l’exercice 1944 mais des pluies diluviennes entraînèrent l’effondrement de la colline le 16 septembre 1943. Le sauvetage des bas-reliefs et la numérotation des blocs furent entrepris sans délais en vue de sa réédification. Le procédé du remontage des monuments avec les pierres originelles, remises en place en fonction de leur forme, tel un gigantesque puzzle (anastylose), avait été mis au point par les Néerlandais à Java au début du XXe siècle. Henri Marchal (1876-1970) introduisit cette méthode au Cambodge, ressuscitant le charmant temple de Bantéay Srei. Maurice Glaize sut adapter et développer cette technique à grande échelle, redonnant forme aux édifices, lisibilité aux espaces et aux élévations. La longue série d’articles érudits rédigés par Maurice Glaize constitue un pan incontournable de la bibliographie des études khmères. Le Guide d’Angkor tranche parmi ces publications savantes. Il lui fut commandé par l’éditeur saïgonnais Albert Portail, le guide précédent rédigé par Henri Marchal en 1928 étant devenu caduc depuis la nouvelle chronologie des monuments établie entre autres par Philippe Stern (1895-1979). L’intime connaissance des monuments que possédait Glaize fit de cet ouvrage un chef-d’œuvre : facilité de consultation, clarté de l’exposé, érudition sérieuse mettant avec aisance à la portée du grand public les résultats les plus récents de la recherche. L’ouvrage fut rédigé rapidement mais paru avec retard, les produits chimiques nécessaires à la photographie manquant en raison des difficultés d’approvisionnement occasionnées par la Seconde Guerre mondiale. Le guide fut finalement imprimé en 1944. Il s’imposa d’emblée comme le « bréviaire » de tout visiteur d’Angkor et de tout étudiant en art khmer, comme l’atteste ses nombreuses rééditions. L’ouvrage traite du site d’Angkor mais également de deux autres sites importants : Bantéay Srei et le groupe de Rolûos. LE CADRE GÉOGRAPHIQUE Le Cambodge moderne, appelé Kampuchéa, d’une superficie de 180 000 km2, se situe à l’est du golfe de Siam entre le 10e et le 15e parallèles. Le pays est bordé à l’est par le Viêtnam, au nord par le Laos, au nord-ouest et à l’ouest par la Thaïlande. Il est traversé par le Mékong, l’un des grands fleuves d’Asie, qui conditionne son histoire et son économie. Le cœur du royaume angkorien occupait un territoire beaucoup plus vaste, englobant la Cochinchine en aval du
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Fig. 1. Maurice Glaize (EFEO).
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Mékong, le sud et le centre du Laos, et le nord-est de la Thaïlande. Dans sa plus vaste expansion, l’empire khmer s’étendait sur des contrées encore plus lointaines. Le climat tropical, soumis au rythme des moussons, alterne une saison sèche, marquée par une chaleur étouffante de mars à avril, et une saison humide, aux pluies violentes de septembre à octobre. Cette pluviosité très irrégulière au cours de l’année conditionne la vie agricole. Le sud, marécageux, se prête naturellement à la riziculture intensive. Plus au nord, la côte est bordée par le Phnom Kravanh (les Cardamomes). À l’ouest, ces montagnes qui culminent à 1 700 mètres et, au nord, la chaîne des Dangrek isolent le centre du pays constitué par un large plateau gréseux, caractérisé par la présence du Grand Lac. Cette véritable mer intérieure obéit à un phénomène cyclique original. En octobre, le Mékong situé en aval, grossi par la fonte des neiges au Tibet et gonflé par les pluies, reflue par le Tonlé Sap jusqu’au lac. Le Grand Lac déborde alors de ses berges et couvre quatre fois sa superficie en saison sèche, 10 000 km² au lieu de 2 300 km². Plus de 6 000 km² de plaines et même de forêts sont ainsi fécondés par ses flots. Au reflux des eaux, des milliers de poissons offrent aux populations de véritables pêches miraculeuses. Cette inondation récurrente a permis le creusement d’un réseau d’irrigation extrêmement performant, autorisant la mise en culture du centre du pays. À un premier peuplement de type australoïde, succéda, à l’époque néolithique, des groupes venus de la péninsule indonésienne, puis, comme dans d’autres pays d’Asie du Sud-Est continentale, des populations môn venues du nord. UN MOT D’HISTOIRE La période préangkorienne Comme la plupart des pays d’Asie du Sud-Est, les territoires qui allaient constituer le Cambodge connurent durant des siècles une lente imprégnation de la civilisation indienne. En effet, à partir du Ier siècle environ, la navigation saisonnière, grâce à la connaissance des alizés, permet le développement du commerce international. Marchands du sous-continent et, à leur suite, aventuriers et religieux, vont peu à peu transformer les communautés locales qui possédaient déjà un brillant artisanat du bronze. Des royaumes indianisés, fruits de cette colonisation pacifique, lente et profonde, vont peu à peu émerger, adaptant nombre de traits de la civilisation indienne à leur génie
culturel propre. Les chroniques chinoises constituent les seules sources de renseignements pour les périodes anciennes. Elles désignent ainsi par le terme Fou-nan (Funan) une entité politique, peut-être une confédération de cités marchandes, s’étendant sur le sud du Cambodge actuel, le delta du Mékong, une partie du bas Ménan, et le nord de la péninsule malaise (Ier-VIe siècle). En Cochinchine, des fouilles sur le site Oc-èo, à l’emplacement d’une ville portuaire quadrillée de nombreux canaux, témoignent, par des vestiges variés, de contacts commerciaux avec les civilisations les plus lointaines, de Rome à la Chine. Durant cette longue période, la statuaire conservée atteste de l’introduction des religions indiennes, peut-être parvenues successivement : bouddhisme au VIe siècle, vishnouisme (style du Phnom Da), au VIIe siècle, et çivaïsme. Au VIIe siècle, les Chinois nomment le pays Tchen-la (Zhenla). Cette nouvelle désignation s’explique peut-être par le développement des plateaux de l’intérieur des terres, dû à des aménagements hydrauliques d’envergure, permettant une meilleure irrigation des terres. C’est dans cette nouvelle région, au cœur du pays (Tchen-la de terre), que le roi Içanavarman (r. 616-vers 635) fonde sa capitale sur le site de Sambor Prei Kuk. Comme à l’époque de Fou-nan, seule la brique est utilisée pour l’édification des bâtiments. Le VIIIe siècle, mal connu, semble correspondre à l’hégémonie des puissants souverains Çailendra du centre de Java. Les débuts de la période angkorienne Jayavarman II (r. vers 790-apr. 830) libère son pays du joug étranger et fonde la puissance khmère. Il donne à ce nouvel État une forte assise religieuse. Il instaure ainsi en 802, au centre du pays, sur la colline du Phnom Kulên, un rituel complexe entourant le lingâ divin, phallus sublimé du dieu Çiva, protecteur du roi et du royaume. Cette « théocratie » se perpétuera sous des avatars divers jusqu’à la fin de l’empire. Après plusieurs résidences, Jayavarman installera sa cour sur le site de Rolûos, au nord du Grand Lac, peut-être dans une région d’où sa famille était originaire. Le nom de cette cité, Hariharâlaya, fait référence à une forme supérieure de Çiva, incluant Vishnou, le second dieu important de l’hindouisme, comme l’une de ses hypostases. Le règne d’Indravarman I (r. 877-apr. 889) voit la mise en place des fondamentaux de la civilisation khmère. Le monarque ordonne d’immenses travaux d’irrigation, entre autres un grand bassin près de la capitale, l’Indratatâka,
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« le Bassin d’Indra », qui va permettre un développement sans précédent de l’agriculture sur les hauts plateaux. Issu d’une branche collatérale de la famille royale, il se devait de témoigner de sa légitimité au trône. Un temple à ses ancêtres, aujourd’hui appelé Prah Kô, est dédicacé en 879. Dorénavant, les ancêtres du souverain, identifiés après leur mort à une divinité brahmanique, reçoivent un culte particulier dans des sanctuaires constitués de plusieurs cellas groupées dans une enceinte. Au centre d’Hariharâlaya, Indravarman élève le premier « temple-montagne » de l’architecture khmère, le Bakong (881), pyramide à gradins parementée de grès, afin d’accomplir le rituel royal. Chaque bouleversement dynastique ou changement de capitale, même lorsque celle-ci se trouvait dans le voisinage immédiat de la précédente, nécessiteront désormais l’édification de semblable « temple-montagne », l’une des formes les plus originales de l’architecture khmère. Depuis cette époque, le programme architectural idéal d’un souverain khmer comportera tout à la fois des travaux d’intérêt public sur une échelle ambitieuse, l’aménagement d’un temple à ses ancêtres et l’édification d’un « temple-montagne ». L’un des fils d’Indravarman lui succéda. En 889, il reçut l’ondoiement royal et prit le nom de Yaçovarman (r. 889-apr. 910). Grand bâtisseur, il édifia entre autres, au centre de l’Indratatâka, un temple à ses parents décédés, Lolei. À une vingtaine de kilomètres au nord d’Hariharâlaya (Rolûos), sur le site d’Angkor, il édifia une nouvelle capitale à laquelle il donna son nom Yaçodharapura, la « Ville Séjour de la Gloire ». En son centre, afin d’abriter le phallus divin, palladium du royaume, une colline d’une soixantaine de mètres de haut fut aménagée en « temple-montagne », le Bakheng (907), peut-être une représentation symbolique du mont Kailâsa, demeure mythique du dieu Çiva. Les sanctuaires multiples qui en garnissent les terrasses sont totalement édifiés en pierre. Désormais, le grès et, pour les parties moins nobles, la latérite deviennent les matériaux exclusifs des architectes khmers. Deux fils de Yaçovarman lui succèdent à Angkor. Leur pouvoir cependant semble limité par leur oncle, qui, sous le nom de Jayavarman IV (928-av. 940), règne sur un important apanage dont la capitale, aujourd’hui Koh Ker, se trouve à une centaine de kilomètres au nord-est d’Angkor. À Angkor, Harshavarman I (av. 912-apr. 922), aux ressources modestes, fit édifier un sanctuaire charmant, à la fois temple aux ancêtres en l’honneur de Yaçovarman et
de son épouse, et « temple-montagne », connu sous le nom moderne de Baksei Chamkrong. Un jeune prince refit l’unité du pays. Issu tout à la fois d’une branche cadette de la famille royale et des souverains du royaume de Bhavapura, situé peut-être dans la région de Sambor Prei Kuk, site de l’antique cité d’Içanavarman, il prit le nom de Râjendravarman II (944-967). Il ramena la capitale à Angkor, embellit la ville de monuments imposants, aux sculptures archaïsantes renouant, par-delà la sécession de Jayavarman IV, avec l’art raffiné de Yaçovarman. Son activité de bâtisseur semble correspondre aux diverses phases de son règne, au demeurant mal connu politiquement. En 948, il embellit la petite pyramide de Baksei Chamkrong, rendant ainsi hommage à Yaçovarman. Au centre du Baray oriental, il fait aménager une île artificielle, le Mébôn oriental. En 953, il y consacre un temple dont le sanctuaire principal abrite le lingâ « Râjendreçvara », « Seigneur de Râjendra », des chapelles secondaires sont consacrées aux trois grands dieux de l’hindouisme (Trimûrti) et « au bien dans l’au-delà » de ses parents. Quelques années plus tard, au sud du Baray, il aménage le « temple-montagne » de Pré Rup (961), peut-être le centre de sa capitale. Le lingâ ici honoré aura pour nom Râjendrabhadreçvara. La complexité même de son nom montre sa supériorité sur le Râjendreçvara du Mébôn oriental, consacré quelques années plus tôt. Bhadreçvara semble avoir été une forme de Çiva adoré dans le nord du pays et protectrice de la lignée du souverain. Pour la première fois, à Pré Rup, on édifie des « salles longues » dont l’utilisation comme bibliothèque ou sacristie reste discutée par les spécialistes. Un sanctuaire privé, à moins d’une vingtaine de kilomètres au nord-est d’Angkor, constitue peut-être le joyau de l’art khmer (967). Son nom moderne, Bantéay Srei, « le Temple des Femmes », s’explique par la petitesse de ses dimensions et la perfection de son ornementation. Dédié au lingâ « Tribhuvanamaheçvara », « le Grand Seigneur des Trois Mondes », il fut édifié par l’un des personnages les plus importants de la cour, le brahmane Yajnavarâha. Immense lettré comme son jeune frère Vishnoukumâra, il était le fils d’une fille de Harshavarman I. Précepteur de Râjendravarman II, il conféra l’onction royale à son gendre Jayavarman V. Cette figure exceptionnelle, érudite et raffinée, possédait des revenus immenses qui lui permirent de mener à bien cette réussite esthétique absolue, mêlant à l’équilibre des proportions des édifices le raffinement et l’élégance de leur décor sculpté.
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Le long règne de Jayavarman V (968-1001) voit un certain ralentissement des fondations. Les bâtiments que l’on a coutume d’attribuer à ce souverain sont parfois donnés à ses éphémères successeurs immédiats. C’est à cette époque que l’on situe l’aménagement de l’enceinte du Palais Royal et en son centre de la pyramide du Phiméanakas. À l’est du Baray oriental, il convient de citer l’énigmatique « temple-montagne » de Ta Keo, laissé inachevé et à la datation imprécise. Le décès de Jayavarman V marque le début d’une période de troubles dynastiques et de guerres civiles (1002-1010). L’apogée et la renaissance d’Angkor L’un des prétendants au trône, le futur Sûryavarman I (r. 1010-1049), appartient à la lignée de la mère d’Indravarman. Après neuf ans d’âpres combats, il entre dans Angkor en 1010. Dans ses panégyriques, il fera remonter le début de son règne à 1002. Il fonde une dynastie nouvelle se réclamant du soleil. Quoique çivaïte, il se fait un point d’honneur de protéger les diverses religions. Ses conquêtes, particulièrement à l’ouest, agrandissent considérablement l’empire. Il a peu construit à Angkor, préférant Prah Vihéar aujourd’hui sur le plateau thaï, en bordure de la falaise des Dangrek. On lui doit peut-être la première galerie pourtournante de l’architecture khmère, édifiée sur le troisième gradin du Phiméanakas, et le début du creusement du Baray occidental. On ignore ses liens de parenté avec son successeur Udayâdityavarman II (r. 1050-1066), « Celui qui est protégé par le soleil levant », dont le règne, troublé par de nombreuses révoltes réprimées par le général Sangrâma, fut cependant marqué dans la capitale par de somptueux aménagements. Tout d’abord, à l’ouest de la ville, le souverain fit creuser tout ou partie du Baray occidental. Cet immense bassin permettait de doubler les terres irrigables. En son centre, un temple abritait une statue de bronze de Vishnou couché au centre de l’Océan primordial. La tête et le torse du dieu ont été miraculeusement préservés et font aujourd’hui l’orgueil du Musée national de Phnom Penh. Au centre la capitale, il ordonna l’édification d’un nouveau « temple-montagne » qui par sa somptuosité devait éclipser tous ses prédécesseurs : le Tribuvanasûdâmani, le « Joyau de la cime des Trois Mondes » qui porte le nom moderne de Baphûon. Outre ses grandioses proportions, le monument possédait d’élégantes galeries pourtournantes et une abondante sculpture narrative. En partie effondré en 1943, ce chef-d’œuvre de l’art khmer dont la
restauration fut arrêtée à plusieurs reprises pour des raisons politiques, devrait retrouver toute sa splendeur, ces prochaines années. Nous savons qu’Udayâdityavarman récompensa son maître d’œuvre de manière éclatante. Outre le don d’un domaine, il lui conféra l’épithète de « Viçvakarman », nom de l’architecte des dieux. Les souverains suivants, Harshavarman III (r. 1066-?), Jayavarman VI (r. 1080-1107) et Dharanîndravarman I (r. 1107-1113) laissèrent peu de traces à Angkor. Ainsi, Jayavarman VI édifia des complexes nombreux et imposants au nord de l’empire, aujourd’hui en territoire thaï, tels Prah Vihéar et Phimay. Un jeune ambitieux, redoutable chef de guerre, rattaché à la famille royale par les femmes, convoite la consécration suprême. Après un conflit civil que l’on peut supposer sanglant, il prit pour nom de règne une épithète le rattachant à la tradition solaire : Sûryavarman II (r. 1113-apr. 1145). Il n’en rompit pas moins avec l’antique culte royal fondé sur le çivaïsme et instauré par Jayavarman II. Il imposa Vishnou, sa divinité de prédilection, comme dieu suprême garant de la pérennité de l’État. Des guerres de conquête portèrent les frontières de l’empire khmer à des limites inconnues jusqu’alors, jusqu’en Annam et en Birmanie. Paradoxalement, les sources épigraphiques de ce règne glorieux sont quasi inexistantes. Sa nouvelle capitale, un peu au sud de celles de ses prédécesseurs, est marquée par l’immense complexe d’Angkor Vat, temple vishnouite tourné vers l’ouest comme le veut la tradition. Si on ignore son nom ancien, la désignation moderne d’« Angkor Vat », la « Ville qui est un temple », rattache instinctivement le complexe aux temples-villes de l’Inde du Sud. L’immense enceinte extérieure, longue de plus d’un kilomètre et demi, devait abriter les habitations de la cité de Sûryavarman II. Par la perfection de son décor sculpté, la majesté et l’équilibre de ses proportions, la subtilité de son plan et son immensité, Angkor Vat est sans conteste le chef-d’œuvre de l’art khmer. Les inscriptions rares et d’une interprétation confuse qui s’étagent des environ de 1150 à 1181 rapportent une situation politique troublée, marquée par un affaiblissement du pouvoir royal. En 1177, les Chams, dont la confédération de cités s’étendait le long de la côte de l’Annam, prennent Angkor par surprise, la pillent et l’incendient. Un prince, âgé d’une cinquantaine d’années, vivant retiré du monde, prend le pouvoir et, sous le nom de Jayavarman VII, libère son pays. Durant un long règne de plus de trente ans (r. 1181-apr. 1206 ou 1218), il donne sa plus grande extension à l’empire par des campagnes
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militaires foudroyantes. Les inscriptions insistent longuement sur sa généalogie qui le rattache à la plupart des souverains illustres de l’ancien Cambodge. La prise d’Angkor par les Chams annihilait le vieux système magico-religieux hindou sur lequel reposait l’essence même du pouvoir royal. Le bouddhisme du Grand Véhicule (Mahâyâna) constituera désormais le fondement du culte royal garantissant la pérennité de l’État. L’œuvre architecturale immense du souverain témoigne jusqu’à nos jours de sa personnalité complexe, mystique et, aux yeux d’un Occidental moderne, mégalomane. Jayavarman VII bâtit autant que tous ses prédécesseurs réunis. Outre une multitude de fondations nouvelles sur toute la surface de l’empire, la grande majorité des temples anciens, quelle qu’ait été leur orientation sectaire, fut l’objet de réparations, d’agrandissements et d’embellissements. Ce désir effréné de constructions se heurtait cependant à la nécessité de trouver du grès de bonne qualité et à la capacité des ateliers à satisfaire les projets toujours plus ambitieux et souvent fluctuants du monarque. Les praticiens n’hésitent pas à réemployer des matériaux anciens. Certaines parties des temples sont exécutées en « trompel’œil », d’autres manquent de soin dans les finitions ou dans leur ornementation sculptée. Un certain sens du grandiose et de l’effet sauve cependant bien des créations. Leur aspect « théâtral » devait surprendre les contemporains comme il frappe les visiteurs de nos jours. Bien évidemment, Angkor reçoit toute la sollicitude du roi bâtisseur. Trois fondations retiennent plus particulièrement l’attention : Ta Prohm (Çri Râja Vihâra) en 1186 en hommage à la mère décédée du souverain, considérée comme une incarnation de la déesse bouddhique Prajnapârâmita ; Prah Khan (Jayaçrî) en 1191 pour son père, hypostase de Lokeçvara, forme sublimée du bodhisattva Avalokiteçvara, et son annexe Néak Péan (av. 1200), projection symbolique du lac mythique Anavatapta consacré à Avalokiteçvara. La ville elle-même fut reconstruite presque à l’emplacement de la première Angkor, élevée par Yaçovarman I à la fin du IXe siècle. Appelé Jayagiri et aujourd’hui Angkor Thom, elle se présente comme un immense quadrilatère de 12 km de tour, protégé par une enceinte (vers 1200) percée de quatre portes, en direction des quatre orients. Une cinquième issue ouvrait sur une voie processionnelle conduisant au Palais Royal. Ces portes, surmontées de tours à visages étaient précédées de chaussées enjambant de larges douves et flanquées de statues colossales de divinités gardiennes tenant des serpents (nâga) formant une balustrade, aux têtes et capuchons multiples redressés.
Au centre, un sanctuaire gigantesque quoique de plainpied perpétue la tradition des « temples montagnes ». Ses cinquante quatre tours à visages, caractérisés par un sourire stylisé, le fameux « sourire d’Angkor », sont massées de manière ascendante autour de la cella principale. Le temple, originellement conçu selon un plan « en grille », connaîtra vers 1200 un changement de parti important. Plus ou moins maladroitement, on incorporera en son centre un massif colossal, en forme de roue. Le complexe est dédié à une entité suprême, Lokeçvara, « le Seigneur du Monde ». La salle principale abritait la statue du souverain en « Bouddha-roi ». Les multiples salles secondaires étaient consacrées à de nombreux dieux bouddhiques et hindous, réunis dans une vision syncrétique. Après 1200, on aménagea d’importantes terrasses à l’est du Palais Royal. Les conceptions religieuses complexes qui ont présidé à l’édification de ces monuments sont inégalement connues et ont fait l’objet de nombreuses spéculations dont aucune ne s’impose sans discussion. Ainsi, on a souvent interprété les statues colossales bordant les chaussées d’accès à la ville comme les devas et les asuras barattant la Mer de lait primordiale. On y voit plutôt aujourd’hui des dieux secondaires tenant des serpents, équivalents d’arcs-enciel permettant de gagner la ville assimilée à la cité céleste des dieux. Les têtes gigantesques surmontant les portes de la ville seraient celles d’Indra, le roi des dieux. Dans les angles d’ailleurs, figure le protomé triomphal de son éléphant Aîrâvana. Les visages du Bayon, quant à eux, pourraient être ceux de Brahmâ. Dans la cosmologie bouddhique, des Brahmâ multiples habiteraient un monde céleste élevé. Dans ce contexte, Brahmâ lui-même, lors d’assemblées périodiques, enseignerait la loi bouddhique à tous les dieux rassemblés sous son hospice dans une « Salle du bon ordre » (Sudhammasabhâ) – dans cette interprétation symbolique le Bayon lui-même –, tandis que les statues de l’assemblée des divinités garnissaient autrefois les multiples chapelles du temple. Angkor après Jayavarman VII Les inscriptions sont muettes sur la date de la mort de Jayavarman VII. Le règne de Jayavarman VIII (r. 1243-1295) voit tout à la fois une réaction çivaïte au bouddhisme officiel, marquée par le martèlement de nombreuses statues, l’intrusion de la Chine des Yuan sur la scène politique de l’Asie du
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Sud-Est, l’émancipation du pouvoir angkorien des provinces occidentales autour de Lopburi et l’émergence de la puissance thaïe. Les Thaïs pillent d’ailleurs Angkor à deux reprises, en 1353 et 1431. Angkor sera ensuite abandonnée, malgré une éphémère réoccupation de la ville sous le règne de Barom Réachea I (r. 1556-1576). Angkor disparaît peu à peu dans la jungle. L’abbé CharlesÉmile Bouillevaux visite les ruines en 1850, suivi de Henri Mouhot (1826-1867) vers 1860, puis de Doudart de Lagrée de 1866 à 1868, accompagné de Louis Delaporte (1842-1925), le fondateur des études sur les monuments du Cambodge ancien. En 1878, la création de la Mission archéologique de l’Indochine, devenue en 1901 l’École française d’Extrême-Orient, donnait les fondements administratifs et scientifiques à une résurrection de la capitale de l’ancien empire khmer. RELIGIONS L’épigraphie permet de connaître les croyances des anciens Khmers (Ve-XIVe siècle). Selon une tradition originaire de l’Inde du Sud, les textes à contenu historique, philosophique et poétique sont rédigés en sanskrit, les parties traitant de la gestion matérielle des fondations et de questions techniques sont en khmer. Depuis l’époque du Fou-nan, coexistent les deux grandes religions d’origine indienne : le bouddhisme et l’hindouisme, et cette dernière sous ses deux principaux courants : vishnouisme et çivaïsme. Malgré d’importantes zones d’ombre, les inscriptions permettent d’en préciser les particularités. À l’époque du Fou-nan, selon les sources chinoises, le Cambodge était un important centre bouddhique. Bien que le Theravada fût alors prépondérant, le Mahâyâna n’en était pas moins actif. C’est à partir du Fou-nan, que le missionnaire Paramarthâ, originaire d’Ujjain en Inde, partit en Chine en 546. Il appartenait à l’école Yogâcâra (Vijnânavâda), prônant un idéalisme absolu et accordant une place prépondérante à la méditation. Son action devait marquer profondément le bouddhisme khmer. À partir du VIIe-VIIIe siècle, le Mahâyâna devint prépondérant jusqu’aux invasions thaïes de la deuxième moitié du XIIIe siècle. Le bouddhisme reste cependant une religion minoritaire jusqu’aux règnes de Râjendravarman II (r. 944967) et de Jayavarman V (r. vers 968-1001). L’action du maître Kîrtipandita, adepte de l’école Yogâcâra, et l’importation massive de traités indiens furent décisives pour
son développement. Parallèlement, le grand architecte de Râjendravarman II, Kavîndrârimatha, participait d’une secte tantrique, prônant la négation de soi (nairâtmya), un monisme absolu (cittamâtra), l’usage de formules magiques (mantra), de gestes canoniques (mudrâ), et l’utilisation des deux objets rituels fondamentaux du Véhicule de diamant : la « foudre diamant » (vajra) et son complément la clochette (ghantâ). Le Vajrayana est clairement nommé dans une inscription de 1066. Il paraît avoir été particulièrement actif dans un territoire aujourd’hui au nord-est de la Thaïlande et dans la région de Phimay. Sous le règne de Jayavarman VI (r. 1080-1107), le bouddhisme trouve des adeptes jusque dans la famille royale. Jayavarman VII appartenait par son père à une famille bouddhique, il en était de même de ses deux épouses principales. Paradoxalement, les spéculations qui, dans le cadre du Mahâyâna, sous-tendent son immense œuvre de bâtisseur sont inégalement connues, même si les inscriptions soulignent le rôle éminent accordé à Lokeçvara, forme supérieure du bodhisattva Avalokiteçvara considéré comme divinité suprême. Dans la plupart des pays indianisés, le dieu Vishnou est en relation avec le pouvoir royal, protégeant le souverain et sa famille. On suppose qu’il en fût ainsi au Fou-nan. On sait par exemple qu’un prince du Fou-nan, Gunavarman, installa une stèle portant une empreinte de pied de Vishnou (Vishnoupada) dans la plaine des Joncs, en Cochinchine. Les nombreuses représentations de Vishnou retrouvées au Phnom Da sont sans doute liées à la dévotion de Rudravarman, dernier souverain du Fou-nan. À l’époque du Tchen-la, le vishnouisme conserve les faveurs de la cour comme l’atteste une longue inscription de Jayavarman I (2e moitié du VIIe siècle). La secte des Bhâgavata, « Dévots du Bienheureux », appelés également Pâncarâtra ou Satvata, domine alors le vishnouisme angkorien. Elle honore Krisna Vâsudeva comme dieu suprême. La primauté accordée par la cour au vishnouisme durant le XIe siècle et une grande moitié du XIIe ne s’accompagne ni de spéculations religieuses nouvelles, ni de particularités cultuelles mais s’inscrit dans le cadre le plus orthodoxe des conceptions religieuses indiennes. Il n’en est pas de même du çivaïsme qui connaîtra au Cambodge des développements sans précédents sur le sous-continent. Déjà à l’époque du Fou-nan, les textes chinois rapportent que le çivaïsme dominait la vie religieuse. Peut-être avait-il été assimilé à d’antiques cultes locaux comme semblerait le faire croire le culte rendu à Bhadreçvara, aspect de Çiva réclamant des sacrifices
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humains, rendus à cette époque sur le Lingâparvata, montagne qui domine Vat Phu, aujourd’hui au sud du Laos. Au VIIe siècle, des inscriptions mentionnent la présence d’un courant orthodoxe éloigné des ces pratiques excessives, les Pâçupata, qui honorent Pâçupati, aspect de Çiva comme « Maître du bétail », c’est-à-dire « des dévots ». Versés dans l’étude des systèmes philosophiques et grammairiens réputés dans la lignée de Pânini, les Pâçupata devaient dominer le çivaïsme khmer durant deux siècles, jusqu’à l’implantations de sectes nouvelles. 802 constitue une date fondamentale pour l’histoire du çivaïsme au Cambodge. Le rituel établi sur le Phnom Kulên par Jayavarman II (r. vers 790-apr. 830) liera pour plusieurs siècles le pouvoir monarchique à l’hindouisme. Bien que cette liturgie soit basée sur des textes sanskrits venus de l’Inde, l’épigraphie ne permet pas de définir avec exactitude la nature de ces développements originaux du çivaïsme au Cambodge. Deux éléments se complètent : d’une part, un culte particulier à un lingâ, symbole d’une forme supérieure de Çiva dénommée « Devarâja », « Roi des dieux », et sorte de palladium du royaume, et d’autre part, une sacralité particulière entourant la personne du souverain. Certaines inscriptions considèrent le monarque comme une divinité le désignant comme une « portion incarnée de Çiva ». D’autres l’identifient à Indra, le roi des dieux. Toutes en font un « souverain universel » (Cakravartin). L’absence de documentation interdit actuellement de connaître la manière dont ces conceptions s’articulent, leur éventuelle évolution sectaire ou complémentarité symbolique. La prégnance de ces théories
n’en a pas moins sous-tendu la réalisation de monuments immenses mobilisant des moyens considérables que favorisait l’expansion de l’empire à une large partie de l’Asie du Sud-Est continental. L’épigraphie atteste de l’importance de l’ascèse et des pratiques du yoga. Elle laisse pressentir une vie intellectuelle riche, non exempte de querelles philosophiques. À Bantéay Srei, une longue inscription datée de 969 prend la défense des théories monistes du Vedânta contre le dualisme prôné par l’école logique (Nyâya) et par certains textes çivaïtes comme les Âgama. D’autres sources témoignent de la popularité de l’école moniste du sage Çankara sur les autres courants intellectuels du çivaïsme. Le syncrétisme constitue une autre caractéristique de la vie religieuse. Il affecte les deux grands courants de l’hindouisme dès le règne de Yaçovarman (r. 889-vers 900). Des inscriptions considèrent Çiva et Vishnou comme les aspects d’une même divinité. Cette tendance s’accentuera avec le temps. Le bouddhisme s’intégrera dans ces théories fusionnelles. Intellectuellement d’ailleurs, le monisme çivaïte du Vedânta n’était pas si éloigné des conceptions de la Vacuité universelle prônées par le Mahâyâna. Ainsi, une inscription datée de 1067 rapporte l’érection conjointe d’un lingâ, de statues de Vishnou, de Brahmâ et du Bouddha, l’ensemble constituant une véritable tétrade çivaïte (çaivi caturmûrti). Cette tendance au syncrétisme ne constitue pas un phénomène isolé en Asie du Sud-Est. Java, aux époques de Singhasâri (1222-1293) et de Majopahit (1293-vers 1520), connaissent un phénomène semblable encore plus marqué.
1. Prah Khan d’Angkor, Râvana (?) retenant de ses dix mains le col d’un « serpent-balustrade », accès est, 1191.
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PREMIÈRE PARTIE NOTIONS PRÉLIMINAIRES
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2. Lokeçvara, grès, fin XIIe-début XIIIe siècle. Provenance : Prah Khan d’Angkor (Musée national, Phnom Penh).
LES SOURCES DE RENSEIGNEMENTS SUR L’ANCIEN CAMBODGE Nos connaissances sur l’ancien Cambodge proviennent de trois sources : l’interprétation des bas-reliefs, les récits des voyageurs chinois et la lecture des inscriptions sur pierre. Rien ne subsiste en effet des manuscrits, tant sur peaux teintées où l’on écrivait à la craie, que sur feuilles de latanier dont les caractères gravés au trait étaient noircis au tampon : ces matières essentiellement périssables n’ont pu résister ni à l’incendie, ni à l’action de l’humidité ou des termites. Les bas-reliefs Les scènes sculptées sur les bas-reliefs, principalement au Bayon, où beaucoup d’entre elles se rapportent à des représentations de la vie courante, se retrouvent à peu près exactement, dès que l’on y prête vraiment attention, dans les manifestations actuelles de l’existence campagnarde : celle-ci n’a guère évolué. On y reconnaît les mêmes types d’habitations, les mêmes charrettes ou pirogues, les mêmes instruments de culture, de chasse ou de pêche et de musique, les mêmes coutumes et métiers manuels. Les chroniqueurs chinois Parmi les ouvrages des chroniqueurs chinois, le plus complet et celui qui présente les meilleures qualités descriptives est celui de Tcheou Ta-Kouan qui, en 1296, peu après les premières guerres avec les Siamois et au début de la période de décadence, accompagnait à Angkor une ambassade sino-mongole. Ces « Mémoires sur les coutumes du Cambodge », traduites par Paul Pelliot et publiées dans le Bulletin de l’École française d’Extrême-Orient de 1902, permettent de se faire une idée des conditions de vie de l’ancien Cambodge à la fin du XIIIe siècle. Voici comme il décrit les habitants : « Les habitants sont grossiers et très noirs. Qu’ils habitent dans les lointains villages des îles de la mer ou dans les rues les plus fréquentées, c’est tout un. Il faut arriver jusqu’aux personnes du palais et aux femmes des maisons nobles pour en trouver beaucoup de blanches comme le jade, ce qui doit venir de ce qu’elles ne voient jamais les rayons du soleil. En général, les femmes comme les hommes ne portent qu’un morceau d’étoffe qui leur entoure les reins, elles laissent découverte leur poitrine blanche comme le lait, se font un chignon et vont nu-pieds ; il en est ainsi même
parmi les épouses du souverain. Le souverain a cinq épouses, une de l’appartement privé proprement dit, et quatre pour les quatre points cardinaux. Quant aux concubines et aux filles du palais, j’ai entendu parler d’un chiffre de 3 000 à 5 000, divisées en plusieurs classes, mais elles franchissent rarement leur seuil. Toute famille qui a une belle fille ne manque pas de l’amener au palais. Au-dessous sont les femmes qui font le service du palais, il n’y en a pas moins d’un ou deux mille. Elles sont mariées et vivent un peu partout. Mais sur le haut du front elles se rasent les cheveux, et marquent cette place de vermillon ainsi que les deux côtés des tempes. Ces femmes seules peuvent entrer au palais ; toutes les personnes au-dessous d’elles ne le peuvent pas. Les femmes du commun se coiffent en chignon, mais n’ont ni épingle de tête, ni peigne, ni aucun ornement de tête. Aux bras elles ont des bracelets d’or, aux doigts des bagues d’or ; les femmes du palais en portent toutes. Hommes et femmes s’oignent de parfums composés de santal, de musc et d’autres essences. Tous adorent le Bouddha. » Les inscriptions L’épigraphie, d’un caractère beaucoup moins anecdotique, a fourni sur le Cambodge d’autrefois, notamment sur son histoire, une documentation autrement sérieuse, et, marchant de pair avec les études des historiens d’art, a permis de rattacher à quelques repères précis la chronologie des monuments. Inséparable des noms de Barth, de Bergaigne, de Kern et d’Aymonier, puis de Louis Finot et de George Cœdès qui se sont consacrés à leur tâche avec des méthodes empreintes d’une discipline rigoureuse, cette science a pris peu à peu, grâce à de nombreuses découvertes, une importance capitale. Les inscriptions – dont les plus anciennes remontent au VIIe siècle – relèvent de l’ère dite « çaka », originaire de l’Inde centrale, en retard de 78 ans sur l’ère chrétienne : elle fut introduite dans l’Insulinde et en Indochine par les astronomes hindous. « Dès le début, nous dit M. Cœdès, elles attestent l’emploi simultané de deux langues : une langue savante, le sanskrit, réservée aux généalogies royales ou princières, au panégyrique des fondations de monuments ou des pieux donateurs ; une langue vulgaire, le khmer ou cambodgien, réservée au dispositif de la fondation et à l’énumération des serviteurs et des objets donnés aux temples. Les textes sanskrits sont
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3. Angkor Thom, échiffres de l’escalier menant à l’entrée du Palais Royal, Terrasse Royale, partie centrale, après 1200.
exclusivement rédigés en vers : ce sont des compositions auxquelles les indianistes donnent le nom de Kâvya. » Le sanskrit a cessé d’être la langue savante en usage en Indochine lorsque, vers les XIVe-XVe siècles, les religions brahmanique et bouddhique du Mahâyâna ou Grand Véhicule eurent été remplacées par le bouddhisme du Hinayâna ou Petit Véhicule : la langue employée est devenue le pâli, également d’origine hindoue. Quant au vieux khmer, M. Cœdès a fait remarquer qu’« il différait beaucoup moins du cambodgien actuel que la langue de la Chanson de Roland ne diffère du français ». Les inscriptions étaient gravées au burin en lettres d’au moins un centimètre de hauteur, tantôt sur des stèles, tantôt sur les tableaux des baies des sanctuaires. Les stèles, dont l’emplacement paraît avoir été variable dans les différents monuments, étaient généralement abritées dans un édicule spécial : constituées par des dalles rectangulaires à deux faces inscrites ou des bornes à quatre faces, elles étaient en pierre dure et polie, fixées au sol ou sur un socle par un tenon. Beaucoup ont été trouvées en pleine campagne. Les textes figurant sur les piédroits des baies en couvraient parfois la majeure partie. Vers la fin de la période classique, l’habitude est venue de relater en une ou plusieurs lignes l’érection de la statue – dieu ou personnage divinisé – qui garnissait chaque sanctuaire, soit en réservant une place unie dans le décor à fleur de pierre, soit en en raclant une partie : de même pour l’identification de certaines scènes de bas-reliefs. Beaucoup de blocs enfin portent des caractères grossièrement taillés qui devaient être des marques de chantier. L’HISTOIRE C’est au début de l’ère chrétienne que certains textes d’auteurs chinois font allusion au Fou-nan, dénomination première de ce qui devait être plus tard le royaume du Cambodge : État bien peu évolué, puisqu’au IIIe siècle, « les gens du pays étaient encore nus ». Mais par sa situation géographique, c’était l’escale naturelle entre l’Inde et la Chine, et le contact avec les deux grandes civilisations asiatiques devait assurer sa transformation rapide en le marquant de leur double influence. Du IIIe au VIIe siècle, le royaume nettement hindouisé du Fou-nan – dont M. Cœdès rattache les traditions dynastiques à la cour des Pallavas et situe la capitale dans la région du Ba Phnom, partie sud-est du Cambodge actuel – avait acquis un grand développement territorial. Riche
et puissant, il entretenait avec la Chine des relations suivies, dont témoigne l’envoi de nombreuses ambassades. Vers le milieu du VIe siècle cependant, certains troubles éclatèrent dans quelques États feudataires, et le plus puissant d’entre eux, le Tchen-La ou Kambuja (Cambodge proprement dit), après avoir proclamé son indépendance, s’agrandit peu à peu au détriment du Fou-nan, s’empara de sa capitale et finit par l’absorber entièrement après trois quarts de siècle de lutte, du vivant du roi Içanavarman. Celui-ci, monté sur le trône vers 615, régna jusque vers 644, fondant la nouvelle capitale d’Içanapura (probablement Sambor Prei Kuk, près de Kompong Thom). Peu après, et durant tout le VIIIe siècle, le royaume se scindait en deux États rivaux, le Tchen-la d’eau comprenant la Cochinchine et le bassin inférieur du Mékong au sud de la chaîne des Dangrek, et le Tchen-la de terre correspondant aux territoires situés au nord de celle-ci jusqu’au haut Laos. Le Tchen-la d’eau eut à souffrir durant cette période d’invasions parties de Java et de Sumatra, où l’empire malais de Crivijâya avait acquis une certaine puissance. Ce fut d’ailleurs de Java où il semble avoir vécu en exil, que vint, au début du IXe siècle, le prince qui devait rétablir l’unité du royaume et instaurer la période dite angkorienne. Se réclamant des anciennes dynasties, il régna sous le nom de Jayavarman II et, proclamant l’indépendance du Cambodge vis-à-vis de Java, se mit en quête d’une capitale qui se trouverait non plus dans le bassin inférieur du Mékong mais dans la région nord du Grand Lac ou Tonlé Sap. Après quelques tribulations successives dans la plaine, il jeta son dévolu sur la chaîne du Mahendra (Phnom Kulên) qui, avec son vaste plateau oriental de 10 000 hectares, offrait des conditions de défense remarquables contre toute attaque : ce fut donc là qu’il établit, en l’an 802, le siège de son État, jetant les bases d’un culte nouveau, celui du dieu-roi ou Devarâja, par l’érection sur la pyramide de Rong Chen du premier Lingâ royal. Après cinquante années de règne qui lui avaient permis de pacifier l’ensemble du pays, Jayavarman II, rebuté sans doute par les difficultés d’accès et de mise en culture de la résidence qu’il avait choisie et par son éloignement du Grand Lac, redescendit sur la rive nord de celui-ci et mourut en 850 à Hariharâlaya, région de Rolûos, qu’adoptèrent également son fils, puis son neveu Indrayarman I. Ce dernier, construisant la pyramide artificielle de Bakong, premier monument de grès, y fonda en 881 le lingâ Çri Indreçvara. Dans les toutes dernières années du IXe siècle, son fils Yaçovarman, jugeant sa puissance suffisamment assise et soucieux de faire œuvre durable, renonça définitivement
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aux agglomérations à caractère de bourgades errantes pour créer la véritable « puri » aux limites précises, parée de tout le prestige d’une capitale digne de ce nom : ce fut Yaçodharapura, le premier Angkor, dont le « Vnam Kantal ou Mont Central » des inscriptions, identifié depuis les passionnantes recherches de M. Goloubew avec la colline du Phnom Bakheng, servait de base au lingâ Çri Yaçodhareçvara, idole maîtresse du royaume. Pendant les siècles de gloire et de combats qui suivirent, Angkor devait rester la capitale, sauf une interruption de vingt-trois ans de 921 à 944 après que le roi Jayavarman IV eut émigré à Chok Gargyar (Koh Ker), à une centaine de kilomètres au nord-est. Son neveu Râjendravarman revint à Angkor et « restaura la sainte cité demeurée longtemps vide », édifiant les temples du Mébôn oriental et de Pré Rup, et partant en guerre contre le Champâ dont il brûla le temple de Po Nagar. Il semble qu’aux environs du XIe siècle, époque où furent édifiés notamment les monuments de Ta Keo et du Phiméanakas, puis du Baphûon, les limites de la ville aient été quelque peu modifiées et, par un léger décalage vers le nord, cessant d’avoir le Phnom Bakheng pour centre, aient correspondu sensiblement dès lors au tracé du futur Angkor Thom. Ce fut au cours de cette période qu’une dynastie étrangère, peut-être d’origine malaise, s’empara du trône : l’usurpateur Sûryavarman I, fervent bouddhiste, agrandit bientôt le royaume de toute la partie méridionale du Siam ou Dvâravati. La première moitié du XIIe siècle est dominée par le règne d’un des plus grands souverains du Cambodge, Sûryavarman II, dont la prodigieuse réalisation architecturale d’Angkor Vat devait marquer l’apogée de l’art khmer classique. Après s’être allié aux Chams contre les Annamites, il se retourna contre eux, remportant une victoire éclatante qui lui donna une portion du Champâ. La revanche ne devait pas tarder à se produire : une période assez trouble suivit la mort du roi, survenue après 1145, un usurpateur s’empara du pouvoir, puis en 1177 une attaque brusquée des Chams se termina par la chute et l’incendie d’Angkor, suivis d’une dévastation générale. L’envahisseur, chassé par Jayavarman VII, couronné roi en 1181 à l’âge de 55 ans environ, subissait à son tour une défaite complète sur son propre sol. Le Champâ fut placé
sous la domination khmère, gouverné par le beau-frère du vainqueur, et ce dernier, poursuivant ses conquêtes, étendit bientôt sa puissance jusqu’à Vientiane sur le Mékong et l’est du bassin du Ménam. Parallèlement, et déployant une activité prodigieuse, Jayavarman VII relevait le Cambodge de ses ruines, reconstruisait sa capitale, Angkor Thom, en l’entourant d’une haute muraille coupée de cinq portes monumentales, réédifiait sur des plans nouveaux le temple central du Bayon, sanctuaire dédié au Bouddha, bâtissait ou restaurait en les complétant les monuments du Prah Khan, de Ta Prohm, Bantéay Kdei et tant d’autres de moindre importance, dotait le pays de nombreux hôpitaux. Un tel effort, venant après des luttes sanglantes, ne pouvait qu’épuiser toutes les ressources et les énergies de la nation : aussi, dès le début du XIIIe siècle, après la mort du dernier grand roi, le peuple khmer tomba dans l’inertie, et ses princes se laissèrent peu à peu dépouiller par leurs voisins thaïs de leurs anciennes conquêtes, puis de leur patrimoine. Déjà en 1296, le voyageur chinois Tcheou Ta-Kouan signale cette pression grandissante, qui devait provoquer au XVe siècle l’abandon d’Angkor et l’installation des souverains cambodgiens sur les rives du Bas Mékong. Ce serait sortir du cadre de cette notice que de résumer l’histoire du Cambodge depuis cette époque. La période écoulée entre le XVe siècle et les temps modernes n’a, en effet, presque rien à fournir à l’histoire archéologique proprement dite. La région de Siemréap et de Battambang, qui avait été annexée sans droits par les Siamois, fut restituée au Cambodge en 1907. L’année 1907 n’est pas seulement une date politique importante : c’est depuis cette restitution que les savants et les architectes français, encouragés par les souverains qui se succédèrent sur le trône, ont pu, par des recherches méthodiques et par une précise anastylose, faire revivre les antiques témoins d’une civilisation glorieuse. À Sa Majesté Norodom Sihanouk Varman, qui dirigea personnellement de longues et difficiles négociations, le Cambodge doit d’avoir retrouvé, en novembre 1953, la plénitude de son indépendance. Depuis lors, on n’a jamais vu se démentir l’intérêt que le chef de l’État et le gouvernement cambodgien ne cessent de porter à la conservation des monuments anciens et à l’histoire d’un grand passé.
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TABLEAU CHRONOLOGIQUE CAMBODGE
DES ANCIENS ROIS DU
NOM DU ROI
Bhavavarman I Mahendravarman Içânavarman I
FILIATION
NOM POSTHUME DATES DU RÈGNE I. DYNASTIES DU FOU-NAN (de ? aux environs de 545) II. LUTTE ENTRE LE FOU-NAN ET LE TCHEN-LA (vers 545 à 627) 598 frère du précédent environ 600-615 fils du précédent environ 615-635
CAPITALE
Icânapura (Sambor Prei Kuk, près de Kompong Thom)
TCHEN-LA UNIFIÉ (627 à la fin du VIIe siècle) 639 av. 657, apr. 681 IV. SCISSION TCHEN-LA D’EAU - TCHEN-LA DE TERRE (VIIIe siècle) III.
Bhavavarman II Jayavarman I
V.
PERIODE ANGKORIENNE (IXe au XVe siècle)
Jayavarman II
Parameçvara
802 vers 850
Jayavarman III Indravarman I Yaçovarman I
fils du précédent neveu de Jayavarman II fils du précédent
Vishnuloka Içvaraloka Paramaçivaloka
854-877 877-889 889-vers 910
Harshavarman I Içânavarman II Jayavarman IV Harshavarman II Râjendravarman
id. frère du précédent beau-frère de Yaçovarman I fils du précédent beau-fils de Jayavarman IV fils du précédent neveu du précédent
Rudraloka Paramarudraloka Paramaçivapada Brahmaloka Çivaloka
vers 910, apr. 922 925 921-940 942-944 944-968
Jayavarman V Paramaviraloka Udayâdityavarman I Jayaviravarman Suryavarman I usurpateur Paramanirvânapada Udayadityavarman II petit-neveau du précédent Harshavarman III frère du précédent Sadaçivapada Jayavarman VI usurpateur Paramakaivalyapada Dharanîndravarman I frère du précédent Paramanishkalapada Sûryavarman II petit-neveau du précédent Paramavishnuloka Yaçovarman II parent du précédent Tribhuvanâdityavarman usurpateur occupation Cham Jayavarman VII fils de Mahâ paramasangata pada Dharanîndravarman II Indravarman II fils du précédent Jayavarman VIII Parameçvarapada Çrindravarman gendre du précédent Çrindrajayavarman Jayavarmaparameçvara
968-1001 1001-1002 1002-1010 1002-1049 1049-1066 1066-1080 1080-1107 1107-1112 1113-1145 (?) vers 1160 1165-1177 1177-1181 1181 vers 1210 apr. 1210-1243 1243-1295 1295-1307 1307-1327 1327
Indrapura (env. de Kompong Cham) Hariharâlaya (Rolûos) Amarendrapura (Ak Yom ?) Mâhendraparvata (Phnom Kulên) Hariharâlaya (Rolûos) id. Yaçodharapura (1er Angkor Phnom Bakheng) id. id. Chok Gargyar (Koh Ker) id. Yaçodharapura (1er Angkor) id. id. id. 2e Angkor (?) id. id. id. id. id. id. id. 3e Angkor (Bayon) id. id. id. id. id.
ABANDON D’ANGKOR EN 1432
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4. Umâmaheçvara, grès, 967. Provenance : gopura ouest, première enceinte, Bantéay Srei (Musée national, Phnom Penh).
LES RELIGIONS Le syncrétisme est à la base de toute l’histoire religieuse de l’ancien Cambodge : depuis l’époque du Fou-nan jusqu’au XIVe siècle coexistèrent le brahmanisme et le bouddhisme, les deux grands cultes originaires de l’Inde, importés en Indochine au plus tard vers le début de l’ère chrétienne et, aux temps angkoriens, l’architecture comme l’épigraphie témoignent fréquemment de cette dualité. Il semble que la plupart des rois khmers, sans chercher à imposer au peuple leurs croyances personnelles, aient fait preuve d’un large esprit de tolérance. Sylvain Lévi fait d’ailleurs remarquer que les deux religions, étrangères au pays, devaient davantage séduire les milieux aristocratiques en tant que manifestations d’une culture élégante et raffinée qu’elles ne pénétraient profondément les masses. De nos jours encore subsiste une caste de prêtres portant le cordon brahmanique, les « Bakou », qui tout en pratiquant la religion officielle, jouent un rôle important, ont la garde de l’Épée sacrée et président à certaines fêtes traditionnelles. Toutefois, cette sorte de fusion des deux cultes n’excluait pas de temps à autre des accès de fanatisme qui se traduisaient par la mutilation systématique des idoles de pierre, bûchées à coups de ciseau ou retaillées sous forme de divinités de la doctrine adverse : c’est ainsi que la stèle de Sdok Kak Thom mentionne que « le roi Sûryavarman I dut lever des troupes contre les gens qui arrachaient les saintes images » et qu’au XIIIe siècle, une violente réaction çivaïte s’acharna contre les œuvres pies de Jayavarman VII. S’il est probable qu’au Fou-nan, où les plus anciens vestiges archéologiques relèvent du bouddhisme, cette religion ait précédé le brahmanisme, ce fut sans doute sous la forme du Hinayâna ou Petit Véhicule, mais de langue sanskrite, plutôt que du Mahâyâna ou Grand Véhicule : ce dernier, qui n’apparut d’une façon certaine qu’à la fin du VIIe siècle, devait triompher à l’époque angkorienne parallèlement au brahmanisme officiel, le plus souvent prédominant. À l’aube du IXe siècle, l’avènement de Jayavarman II, venu de Java, et l’établissement de sa capitale dans la région nord du Grand Lac, devaient marquer l’instauration d’un culte nouveau, qui se perpétua jusqu’au déclin du royaume khmer : celui du Devarâja ou roi des Dieux (c’est-à-dire Çiva), figuré par un lingâ considéré comme une incarnation du Dieu. Dès lors, le véritable dieu n’est autre que le roi, ou plus exactement « le moi subtil du roi ou l’essence de la royauté », résidant dans un lingâ considéré comme une incarnation du dieu Çiva.
Placé sur un « temple-montagne » ou pyramide à gradins érigé au centre de la capitale, ce lingâ devait être adoré au lieu même de la résidence du souverain, et l’inscription de Sdok Kak Thom nous donne la filiation de toute une famille de prêtres qui, pendant plus de deux siècles, fut chargée de veiller à l’observation du nouveau rituel spécialement établi. Parallèlement existait au Cambodge le privilège de l’apothéose, dont pouvaient bénéficier non seulement le roi, mais certains personnages de haute lignée, parfois même de leur vivant : d’où l’apparition des « noms posthumes » indiquant le lieu de séjour céleste des rois défunts, chacun étant assimilé au dieu de son choix. Par analogie, vers la fin du XIIe siècle, le roi bouddhiste Jayavarman VII, pour assurer la pérennité de ce culte symbolique du Devarâja, n’hésitait pas à instituer au Bayon, temple central d’Angkor Thom, le culte similaire du Bouddha-roi, matérialisé par la statue-portrait que l’on a retrouvée brisée au fond d’un puits et que l’on a pu reconstituer : cette forme d’adaptation ne devait pas avoir de lendemain, et dès le XIIIe siècle, après un retour du çivaïsme, le bouddhisme du Grand Véhicule, de langue sanskrite, était remplacé par le Petit Véhicule, de langue pâli, auquel le Cambodge est resté fidèle. Doctrines hindoues « Alors que pour les autres groupes humains, nous dit Sylvain Lévi, les sens sont les témoins et les garants irréfutables, pour l’Hindou ils ne sont que des maîtres d’erreur et d’illusion… Le monde des phénomènes, mensonger et haïssable, est régi par une loi fatale, implacable : l’acte est la résultante morale d’une série incommensurable d’actes antérieurs et le point de départ d’une autre série incommensurable d’actes qui en seront les effets indéfiniment transformés… La vie considérée sous cet aspect apparaît comme la plus effroyable des peines, comme une éternelle perpétuité de personnalités fausses, à prendre et à quitter sans connaître jamais le repos. Le souverain bien ne peut être dès lors que la Délivrance, l’acte sublimé d’où sont éliminées toutes les forces causatives et qui anéantit à tout jamais pour un système donné la puissance créatrice de l’illusion. » Tel est le cadre où devaient évoluer les deux grandes religions de l’Inde. Au Cambodge, où elles furent introduites, il paraît évident que, sous leur forme transcendante, elles ne pouvaient toucher qu’une élite, et qu’elles n’ont jamais pénétré profondément les masses.
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Brahmanisme Le brahmanisme, qui apparaît dans l’Inde plusieurs siècles avant notre ère, dérive lui-même du védisme, basé sur l’adoration des forces et phénomènes de la nature. Son rituel, fixé par les « Brahmana », est fortement teinté de symbolisme et se rattache à un polythéisme particulièrement touffu. Au sommet est la « Trimûrti », trinité suprême qui synthétise « les trois états actifs de l’âme universelle et les trois énergies éternelles de la nature : Brahmâ, l’activité, est le créateur ; Vishnou, la bonté, est le préservateur ; Çiva, l’obscurité, est le destructeur » (Madrolle). Brahmâ Dans l’Inde comme au Cambodge, Brahmâ, malgré sa suprématie apparente de créateur du monde, n’a jamais été une divinité de premier plan. Il est représenté avec quatre bras et quatre visages opposés deux à deux, symbole de sa domination sur toutes les régions de l’espace, et parfois assis sur un lotus dont la tige sort du nombril de Vishnou dormant sur les flots. Son épouse (« çakti ») ou énergie féminine est Sarasvatî, et sa monture l’oie sacrée ou « hamsa », « dont le vol puissant symbolise l’ascension de l’âme vers la libération » (Paul Mus). Vishnou et Çiva, par contre, sont prédominants. Après avoir été, durant la période préangkorienne, associé à Vishnou dans la même image, par moitié selon un plan vertical, sous le nom de Harihara, Çiva a d’abord nettement prévalu, tandis qu’à partir du XIe siècle et jusqu’à l’époque d’Angkor Vat, il se voyait supplanté par l’autre dieu. Vishnou Vishnou, protecteur de l’univers et des dieux, est généralement représenté debout, avec un seul visage et quatre bras portant comme attributs le disque, la conque, la boule et la massue. Son épouse est Lakshmî, déesse de la beauté ; on la voit souvent entre deux éléphants qui, la trompe levée, l’aspergent d’eau lustrale. La monture du dieu est l’oiseau solaire Garuda, à corps d’homme, serres et bec d’aigle, ennemi dès sa naissance des nâgas ou serpents, en tant que génie de l’Air contre génies des Eaux. Vishnou, sous forme du brahmane nain Vamana, franchit en trois pas le Ciel, la Terre et un Espace intermédiaire pour assurer aux dieux la possession du monde. Entre chaque période cosmique (Kalpa), tandis que le monde est en sommeil, le dieu lui-même s’endort, couché sur le
serpent Ananta que portent les flots de l’océan. Au réveil, il s’incarne à nouveau, homme ou animal, et triomphe des forces du mal, instaurant chaque fois une ère nouvelle : ce sont les « avatars » ou descentes du dieu sur la terre, dont les principaux sont au nombre d’une dizaine. Avatars de Vishnou Sous la forme de la tortue, Vishnou participe au fameux épisode dit du « Barattement de la Mer de lait » tiré du Bhâgavata Pourâna et fréquent en iconographie : les dieux et les démons s’y disputent la possession de l’amrita, liqueur d’immortalité, et la tortue y sert de base à la montagne constituant le pivot. En tant qu’homme-lion (Narasimha), Vishnou déchire de ses griffes le roi des Asuras, Hiranaya-Kasipu, qui avait voulu se faire rendre les mêmes honneurs que le dieu. Mais ce sont surtout les deux incarnations humaines de Râma et de Krishna qu’ont chantées les poètes de l’Inde, fournissant aux sculpteurs pour la décoration des murs et des frontons une mine inépuisable de sujets. Les deux principales épopées, le Râmâyana et le Mahâbhârata, nous dit Keyserling, « sont pour les Hindous ce qu’a été pour les Juifs chassés de leur pays le Livre des Rois : la chronique des temps où ils étaient grands sur la terre et de plus en rapports quotidiens avec les puissances célestes ». Ils raffolent des légendes, car ils « n’ont aucun sentiment de la vérité historique, pour eux le mythe et la réalité ne font qu’un. Tantôt la légende est jugée réalité, tantôt la réalité est condensée en légende. Les faits, par eux-mêmes, sont tout à fait indifférents ». Krishna reste très humain. C’est grâce à un échange d’enfants qu’il échappe à la mort dès sa naissance, menant une existence bucolique dans la forêt. D’une force herculéenne, il entraîne un pesant mortier de pierre auquel sa mère l’avait attaché, renversant deux arbres au passage, puis adolescent d’une grande beauté, séduit bergers et bergères, les protégeant de l’orage, eux et leurs troupeaux, en soulevant d’un seul bras le mont Govardhana. Dans sa lutte contre l’asura Bâna, il triomphe, monté sur Garuda, puis, sur la prière de Çiva, lui laisse généreusement la vie. C’est sur l’intervention des dieux, qui le supplient de purger le monde du démon Râvana, que Vishnou s’incarne en Râma, fils du roi d’Ayodhyâ. Vainqueur d’une épreuve de tir à l’arc où il s’agissait de tuer un oiseau placé derrière une roue en mouvement, il obtient la main de la belle Sîtâ, fille adoptive du roi de Mithila. Chassé ensuite par son père, il va avec son frère Lakshmana, vivre en ascète dans la forêt en
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5. Bantéay Srei, combat de Bhîma et de Duryodhama, épisode du Mahâbhârata. Krishna, avatar de Vishnou et son frère Balarama figurent en bas à gauche. Fronton, grès, 967. Provenance : porte est du gopura ouest, deuxième enceinte (Musée national, Phnom Penh).
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Fig. 2. Lingâ.
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compagnie de son épouse : ils y sont en butte aux attaques des râkshasas. Sîtâ, d’abord sauvée des mains de l’un d’eux, Viradha, est enlevée par leur roi Râvana, particulièrement redoutable avec ses têtes et bras multiples, qui l’emporte dans l’île de Lankâ (Ceylan), tandis que les deux frères poursuivaient une gazelle enchantée au pelage d’or. Alertés par le vautour Jatayus qui vient d’assister au rapt, ils entreprennent de reconquérir Sîtâ, rencontrent le singe blanc Hanuman qui les mène vers son roi Sugrîva : ils trouvent celui-ci se lamentant dans la forêt pour avoir été dépossédé de son trône par son frère Vâlin, et font alliance avec lui. Valin est tué d’une flèche par Râma au cours de la lutte, et Sugrîva, à la tête de son armée, part à l’attaque de Lankâ. Hanuman, envoyé en reconnaissance, retrouve Sîtâ au bosquet d’Açoka où elle est gardée par les râkshasis (démons femelles) et reçoit d’elle un anneau qui prouvera à Râma le succès de son entreprise. Il repart, non sans avoir incendié le palais de Râvana, et les singes, après avoir construit une digue pour franchir le bras de mer qui les sépare de leurs ennemis, entament la lutte aux multiples épisodes : c’est la mêlée furieuse dominée par le duel entre Râvana, au char tiré par des chevaux à tête humaine, et Râma, luimême monté sur un char ou sur les épaules d’Hanuman. Un fils de Râvana, Indrajit, expert en magie, maîtrise Râma et Lakshmana au moyen de flèches qui se changent en serpents et s’enroulent autour d’eux, mais Garuda, fondant du ciel, les délivre. La victoire reste finalement à Râma, qui retrouve la malheureuse Sîtâ ; celle-ci, soupçonnée d’impureté, est soumise à l’épreuve du feu. Innocentée par cette ordalie, elle est solennellement remise par le dieu du feu, Agni, à son époux, qui remonte enfin sur le trône de ses pères1. Çiva Dans la Trimûrti, c’est Çiva qui, ayant Brahmâ à sa droite et Vishnou à sa gauche, doit en définitive être considéré comme la divinité suprême, dont les autres ne sont que l’émanation et le reflet. Tantôt – bien plus dans l’Inde qu’au Cambodge où l’on s’abstient de le présenter sous un jour macabre, obscène ou terrible – c’est le grand dévastateur, le génie de la tempête et des puissances destructives, tantôt c’est le dieu tutélaire et bienveillant, le dieu qui féconde et qui crée. C’est aussi le premier des ascètes qui va nu, le corps frotté de la cendre des feux de bouse, vivant d’aumônes et pratiquant la méditation, source de perfection.
Sous sa forme humaine, il est le plus souvent à un seul visage, avec un troisième œil placé verticalement au milieu du front, les cheveux relevés en chignon portant le croissant, parfois aussi à têtes multiples. Ses bras sont également en nombre variable, son attribut principal est le trident et son torse est barré du cordon brahmanique. Il règle le destin des mondes par sa danse, au rythme effréné de la « tândava ». Sa çakti ou énergie féminine est, elle aussi, douce ou féroce : douce, c’est Pârvati, déesse de la Terre, ou Umâ la Gracieuse, que l’on voit fréquemment assise sur ses genoux tandis qu’il trône sur le mont Kailâsa ou chevauche le taureau sacré (Nandin), sa monture habituelle ; féroce, c’est Durgâ la Batailleuse qui, aidée de son lion, terrasse le démon buffle. Le culte de Çiva n’en est pas moins réservé surtout à sa représentation symbolique, la puissance créatrice figurée par le « lingâ » : précisons qu’il n’y a pas lieu d’insister sur le caractère phallique de cette image qui, pour des esprits orientaux, domine de beaucoup les humaines questions sexuelles. Le lingâ est un fût cylindrique de pierre soigneusement polie, aux arêtes arrondies au sommet, devenant à la base de section octogonale, puis carrée. C’est, d’après la légende, le fourreau de Vishnou (octogonal), puis celui de Brahmâ (carré) protégeant la terre du contact du pilier sacré qui, descendant du Ciel comme une colonne de flamme, serait venu se ficher dans le sol. Seule la partie cylindrique saillit du piédestal, recouvert d’une dalle légèrement creusée (snânadronî) terminée par un bec formant une rigole et toujours orienté vers le nord ; le prêtre l’arrosait d’eau lustrale qui, s’épandant alentour, symbolisait pluie et fécondité pour l’ensemble du territoire. De l’union de Çiva et de Pârvati sont nés deux fils, Skanda, dieu de la guerre, dont la monture est le paon ou le rhinocéros, et Ganeça, dieu de l’initiative, de l’intelligence et du savoir. Très populaire au Cambodge, il est à tête d’éléphant et corps d’homme plutôt obèse, ceint du cordon brahmanique. Le plus souvent assis, il plonge sa trompe dans une écuelle qui repose dans l’une de ses mains, tandis que de l’autre, il tient la pointe d’une de ses défenses brisée ; sa monture est un rat. La légende nous dit que, beau jeune homme à l’origine, un jour qu’il montait la garde devant la porte de sa mère, il voulut empêcher son père d’entrer : furieux, celui-ci le décapita, mais sur les instances de Pârvati, consentit à ce qu’il s’appropriât la tête du premier être vivant qui se présenterait : et ce fut un éléphant…
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6. Mébôn oriental, Indra, roi des dieux, sur sa monture, l’éléphant Airâvata, linteau, porte est, sanctuaire central, 953.
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Indra et quelques divinités secondaires Indra. Ancien dieu supérieur du védisme, Indra est resté la principale des divinités secondaires. Il siège au paradis, sur le sommet du mont Meru, et, armé du foudre ou « vajra », fomente les orages générateurs de pluies bienfaisantes. Sa monture est Airâvata, l’éléphant blanc issu du Barattement de la Mer de lait, généralement à trois têtes. Kâma. Kâma, dieu de l’amour, est un bel adolescent à l’arc de canne à sucre et aux flèches de boutons de lotus. Son épouse est Rati et sa monture le perroquet. Yama. Seigneur de la loi ou juge suprême, qui préside aux enfers : il est monté sur un buffle ou porté par un char traîné par des bœufs. Kubera. Dieu de la richesse, il est nain et difforme : il commande aux « Yaksha » ou « Yéaks », géants grimaçants aux yeux proéminents et aux crocs saillants ; on les trouve notamment comme dvârapâlas ou gardiens aux portes des sanctuaires, armés d’une massue. Enfin, ce sont d’innombrables demi-dieux, répandus à profusion dans la décoration des temples : entre autres, les deva bienfaisants, éternellement en lutte avec les asura, ogres et démons – les apsaras, nymphes célestes, dansantes ou volantes, nées du Barattement de la Mer de lait et animant le ciel d’Indra de leurs ébats : ce sont aussi les devatâ des bas-reliefs lorsqu’elles sont au repos, richement parées et tenant des fleurs, les nâgas, stylisation du cobra polycéphale, descendants du Nâgarâja, ancêtre mythique des rois khmers, et génies des Eaux. Bouddhisme du Mahâyâna ou Grand Véhicule Ce serait une erreur de croire que le bouddhisme ancien ait éliminé les différentes divinités du panthéon brahmanique : bien au contraire, il les a assimilées pour la plupart, mais en leur affectant un rôle subalterne vis-à-vis du Bouddha : conquête d’ailleurs plus apparente que réelle, et qui devait devenir bientôt dans l’Inde une cause de faiblesse. « Le Grand Véhicule, nous dit Mme de Coral-Rémusat, développe l’aspect surnaturel du Bouddha ; il l’entoure de
tout un panthéon de bodhisattvas ou futurs Bouddhas, puis de Dhyani-Bouddhas ou Bouddhas de Contemplation. À la croyance au Nirvâna, préconisée par le Hinayâna, les mahâyânistes ajoutent une suite infinie de Paradis, “Terres pures” où les âmes renaissent selon leurs mérites. » Le « Lotus de la Bonne Loi », livre canonique, donne la genèse de la formation de ces bodhisattvas, qui sont les saints de la nouvelle religion : parvenus au seuil même du Nirvâna, par la connaissance, ils diffèrent leur propre délivrance pour se consacrer au salut des autres hommes en les enseignant. Au Cambodge, c’est Avalokiteçvara ou Lokeçvara, fils spirituel du Dhyani-Bouddha transcendant Amitâbha, dont il porte l’image sur son chignon : il personnifie, comme l’a fait remarquer Paul Mus, « la notion de providence, étrangère au bouddhisme primitif ». C’est « le Seigneur du Monde », dont émanent tous les dieux, et lui-même dieu de bonté et de miséricorde, accessible à tous les humains, une réplique masculine de Kouan-Yin, autre figure dominante du bouddhisme d’Extrême-Orient. Ses attributions sont parfois comparables à celles de Çiva. Assis ou debout sur un lotus épanoui qui l’élève au-dessus du monde, il a généralement quatre bras – ses attributs sont alors le flacon, le livre, le lotus et le rosaire – mais le nombre en peut varier, de deux à six, douze et au-delà. Le visage porte souvent l’œil frontal, et les têtes peuvent être multiples et étagées. Dans l’architecture vivante des tours du Bayon, par ses quatre visages orientés aux quatre points cardinaux, il étend sa protection sur toutes les régions de 1’espace. Lokeçvara est aussi représenté paré de bijoux, ou « irradiant » : une multitude de petits êtres émanent alors de son corps – bouddhas, divinités ou demi-dieux –, l’engainant de ce que Louis Finot a pu comparer à une cotte de mailles constituée par des figurines accolées. Dans la Trinité bouddhique, le Bouddha est assis au centre, entre Lokeçvara et sa forme féminine, la Prajnapârâmita ou Tarâ, tous deux debout : celle-ci, « la Perfection de Sapience », est elle aussi à quatre bras, avec Amitâbha sur le devant de son chignon.
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7. Angkor Vat, parinirvâna du Bouddha, style thaï d’Ayuthia, XVIe siècle ou plus récent, sanctuaire central.
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Le Bouddha Toutes les représentations plastiques relevant de la religion bouddhique sont caractérisées par une attitude de méditation : le visage est empreint d’une sérénité souriante et les yeux restent entièrement baissés ou mi-clos. Le Bouddha, rarement debout ou couché, est le plus souvent assis, les mains faisant un des gestes rituels ou « mudrâ ». Debout c’est « l’absence de crainte », les bras le long du corps et pliés au coude, mains dressées, paumes en avant. Assis « à l’indienne », les jambes parallèles et superposées et les pieds dans leur prolongement, c’est « la méditation », avec les mains à plat dans le giron – ou « la charité », avec la main droite allongée devant la cuisse, paume en dessus – ou le geste « attestant la Terre », de même nature mais paume en dessous – « l’enseignement » enfin, avec les mains ramenées contre la poitrine, un doigt de l’une entre le pouce et l’index de l’autre. Le Bouddha est vêtu de la robe monastique découvrant l’épaule droite limitée parfois par un simple trait dans la pierre. Le sommet du crâne est marqué par une bosse recouverte par les bouclettes de la chevelure et traitée souvent en véritable chignon : c’est l’« usnisha » qui, à l’époque de l’influence siamoise, se termine par une flamme, en même temps que l’ovale du visage s’allonge démesurément. Le lobe de l’oreille est fortement distendu et percé, mais sans bijou. On trouve cependant quelques exemples du « Bouddha paré », portant le diadème et les insignes de la royauté : il est alors considéré comme « souverain du monde ». Cette conception répond à la légende de Jambupati, un roi qui par orgueil refusait de rendre hommage au Bouddha, celui-ci lui apparaît alors dans toute sa splendeur. Le Bouddha est assis tantôt sur un socle figurant un lotus épanoui, tantôt sur les replis du corps du nagâ Mucilinda, abritant sa méditation sous le déploiement de ses têtes multiples, dressées derrière sa nuque. Chacun sait que les Bouddhas n’apparaissent sur la terre qu’à de longs intervalles. Le Bouddha historique, Çâkyamuni, fondateur de la religion qui nous occupe, vivait aux VIe-Ve siècles avant notre ère et était de haute lignée, fils du roi des Çâkya et de la reine Mâyâ-Devi ; son nom était Siddhârta. Ses parents, à qui l’on avait prédit son sort futur, voulant l’en détourner en lui évitant tout contact avec les réalités de la vie, lui faisaient mener à l’intérieur du palais une existence toute de plaisirs. Marié déjà et père d’un enfant,
il découvrait bientôt, au cours de promenades, l’existence de la décrépitude, de la souffrance et de la mort par la vue d’un vieillard, d’un malade et d’un cadavre ; la rencontre d’un ascète achevait de le décider à quitter le monde. S’enfuyant une nuit du palais en abandonnant sa famille et tous ses biens, il menait dès lors la vie errante des ermites, devenait le disciple des brahmanes, mais devant la vanité de leur enseignement, s’adonnait bientôt aux pratiques de l’ascétisme le plus sévère. Affaibli par cette épreuve et sentant qu’elle ne le rapprochait pas du but, il renonçait aux macérations outrancières, s’engageait dans la « voie moyenne » et, par la seule puissance de la méditation, échappant à la tentation et au déchaînement des forces du mal, parvenait enfin à l’illumination et à la qualité de Bouddha. Renonçant à entrer aussitôt dans le Nirvâna et connaissant désormais l’enchaînement des causes et des effets et la voie qui conduit à l’anéantissement de la douleur, il décidait de « faire tourner la Roue de la Loi » en prêchant sa doctrine : enseignement qu’il devait pratiquer pendant quarante quatre ans et poursuivre jusqu’à sa mort. Les principaux épisodes représentés au Cambodge par les sculpteurs sont : le « Grand départ », où, accompagné de son fidèle écuyer Chandaka, le futur Bouddha quitte son palais sur le cheval Kanthaka, tandis que les quatre Lokapâlas ou « gardiens du monde » amortissent de leurs mains le bruit de ses sabots – la « Coupe des cheveux », tranchés d’un coup d’épée lors du renoncement à la vie du monde – l’« Offrande des animaux dans la forêt », l’« Offrande de Sujâtâ », jeune fille qui apporte au sage un bol de riz, l’« Offrande des Lokapâlas », dont il réunit les quatre bols en un seul pour montrer qu’il ne fait aucune différence entre leurs dons – la « Soumission de l’Éléphant Nâlâgiri », enivré par les ennemis du Bienheureux et rendu furieux – la « Méditation sous l’arbre de la Bodhi », en l’espèce le banyan ou Ficus religiosa – l’« Assaut de Mâra » et de son armée de démons, que la Terre, prise à témoin des mérites acquis par le saint ascète, extermine en les noyant dans le flot jailli de la torsion de ses cheveux, symbole de l’abondance des libations offertes dans le passé – la « Tentation charnelle » par les filles de Mâra, parées de toutes les séductions. La mort et l’entrée dans le Nirvâna sont traduites par la représentation du Bouddha couché sur le flanc droit, l’un de ses bras collé au corps et l’autre replié sous la tête. Enfin, les fidèles adorent encore aujourd’hui des empreintes du pied du Bouddha, dont les stries, gravées de signes variés, entourent l’emblème central de la Roue ou « chakra ».
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8. Ta Prohm, fromager.
LES MONUMENTS D’ANGKOR Sens et destination Le dégagement des monuments, en précisant la disposition des bâtiments et leur structure, a fait abandonner définitivement l’hypothèse émise autrefois par quelques auteurs insuffisamment documentés, d’après laquelle certaines au moins des constructions de pierre avaient le caractère d’habitations réservées au souverain, aux princes ou aux hauts dignitaires. Des quinconces de tours jointes ou non par des galeries étroites et obscures, ponctuées de vestiges indubitablement cultuels, ne constituent pas un palais ; tout au plus les salles longues ceinturant parfois le cœur des édifices, elles aussi bâties en dur mais faites de matériaux moins nobles, plus larges du fait qu’elles étaient couvertes en bois et tuiles, et non plus en pierre, peuventelles être considérées comme des lieux de repos. Le fait que Tcheou Ta-Kouan, dans la relation de son voyage, ne mentionne pas que le Palais Royal ait été construit en pierre alors qu’il l’indique pour les autres monuments, tendrait à prouver qu’il était fait de matériaux légers, comme tous les locaux à usage d’habitation. « Les tuiles des appartements privés, dit-il, sont en plomb, celles des autres bâtiments sont en terre et jaunes… Les longues vérandas, les corridors couverts sont hardis et irréguliers, sans grande symétrie… Les habitations des princes et des grands officiers ont une autre disposition et d’autres dimensions que les maisons du peuple. Tous les communs et logements excentriques sont couverts de chaume ; seuls le temple de famille et l’appartement privé peuvent être couverts en tuiles. Le commun du peuple ne couvre qu’en chaume et n’oserait employer les tuiles. » Il est acquis que les édifices de pierre que nous voyons à Angkor et dont le schéma architectural obéit à des règles rigoureuses et constantes d’ordonnance et de symétrie, répondaient à des fins monumentales. Satisfaisant seuls au concept de pérennité, imprégnés de symbolisme, ils constituaient l’armature de la capitale et des agglomérations suburbaines faites de matériaux périssables : armature incontestablement religieuse, puisque chacun de ses éléments n’est qu’une floraison de sanctuaires répondant à la multiplicité des dieux et des personnages divinisés ; rien d’autre que ces saintes demeures n’était jugé digne de survie. Les monuments de pierre sont des temples en tant que monuments élevés en l’honneur de divinités. Leur nombre et leur importance peuvent nous surprendre et paraître
hors de proportion avec la superficie occupée par la ville et ses faubourgs, comme avec la densité de la population, quelle qu’ait été la ferveur religieuse des Khmers. C’est qu’avec notre mentalité d’Occidentaux, nous sommes naturellement portés à voir en tout édifice réservé au culte l’équivalent de nos églises et de nos cathédrales. Celles-ci, répondant à un besoin de foi général, aux sentiments de piété de la masse, étaient l’œuvre de tout un peuple, qui s’y réunissait pour prier et pratiquer les rites. Les temples khmers, au contraire, n’étaient pas des lieux de culte public : œuvre personnelle des rois ou d’une aristocratie, ce n’étaient que des fondations pieuses destinées dans l’esprit de leurs auteurs à accumuler des « mérites » qui pouvaient d’ailleurs rejaillir sur tous les participants. Ces réalisations grandioses, obtenues à force de prestations qui sans doute n’étaient pas toujours volontaires, absorbant une bonne part de l’activité de tout un peuple et le vidant jusqu’à la moelle en s’ajoutant aux charges militaires, l’écrasant d’impôts et d’obligations de toute nature, paraient chaque règne d’un nouveau fleuron. Mais si, grâce à cet effort gigantesque, le culte du dieu-roi et de tous ceux qui avaient mérité l’apothéose pouvait se dérouler dans un cadre digne de lui, la foule n’était pas admise à honorer ses dieux au sein même de leurs demeures, réservées aux officiants. Avides en tout temps des cérémonies traditionnelles dont parlent les inscriptions, les fidèles, groupés dans les enceintes extérieures, se prosternaient au passage des idoles et des reliques momentanément offertes par les prêtres à leur adoration, déambulaient en procession dans le sens rituel du « pradakshinâ », qui garde toujours à sa droite l’emplacement sacré, ou le sens inverse du « prasavya » réservé aux cortèges funèbres. Dans le Cambodge actuel, les monastères ou « pagodes » bouddhiques comprennent, outre le « vihâra » ou temple ou entouré de « sema » (bornes sacrées), une salle publique de réunion beaucoup moins monumentale et les logettes réservées aux bonzes : il est permis de supposer qu’autour du temple de pierre de la période angkorienne existait la même cité de modestes habitations et de locaux destinés aux assemblées des moines comme aux laïcs pour les pratiques ordinaires du culte. Tcheou Ta-Kouan, parlant des bonzes qui « se rasent la tête, portent des vêtements jaunes et se découvrent l’épaule droite » tout comme aujourd’hui, mentionne que « leurs temples peuvent être couverts en tuiles, que l’intérieur ne contient qu’une image, tout à fait semblable au Bouddha Çâkyamuni ; elle est vêtue de rouge. Faite d’argile, on l’orne de vermillon et de bleu : c’est la seule image des temples. Les Bouddhas
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des tours sont au contraire différents ». Ce texte confirme le caractère ésotérique des monuments de pierre et leur destination culturelle. M. Cœdès, se basant sur certaines découvertes épigraphiques, n’a pas hésité à déclarer « que les principaux temples, ceux qui ont une origine royale, sont des temples funéraires, des mausolées, et, dans une certaine mesure des tombeaux, si l’on admet que des cendres y aient été déposées sous la statue représentant le défunt sous l’aspect divin. Il ne s’agit pas de temples publics ou de lieux de pèlerinages, mais des dernières demeures où les souverains du Cambodge trônaient sous leur aspect divin, comme dans un palais ». La mise au jour dans plusieurs édifices de cuves de pierre qu’il assimile à des sarcophages, l’a finalement amené à conclure que les monuments d’Angkor étaient à la fois des temples et des mausolées, « dernière demeure d’un être qui jouissait, dès son vivant, de certaines prérogatives divines, et que la mort avait achevé d’assimiler à un dieu, le palais funéraire dans lequel reposaient ses restes mortels, mais où se dressait aussi sa statue le représentant sous les traits d’un dieu ». Dans l’état actuel de nos connaissances, nous pensons qu’il est raisonnable de nous en tenir à cette double affectation, mais en faisant prédominer nettement la notion de panthéon sur celle de nécropole. Toutefois, la destination réelle de ces cuves continue à être controversée et certains archéologues pensent qu’elles pouvaient servir à conserver des offrandes. Implantation, structure et symbolisme En chaque monument d’Angkor se retrouvent des préoccupations d’ordre symbolique visant à en faire une représentation réduite de l’univers : étagement de terrasses figurant le Meru, demeure des dieux, chaînes de montagnes de ses enceintes, océans de ses douves, réalisant une sorte de maquette dûment orientée. L’astrologie était à la base de toute implantation qui répondait à des fins magiques. L’architecte, aidé du prêtre ou prêtre lui-même, se livrait lors du choix de son emplacement à une véritable « interprétation de l’espace », et c’était face aux quatre points cardinaux qu’il érigeait son édifice à quatre portes, l’est demeurant, à de rares exceptions près, la direction maîtresse et les diagonales du carré joignant les points collatéraux. Cette prédominance de l’est, sorte de glorification du soleil levant, peut être considérée comme la survivance du culte solaire en honneur dans toutes les anciennes civilisations, et qui, le prenant à son lever en son maximum de puissance, qui correspond au solstice d’été, le suit durant toute sa course de lumière : l’ambulation rituelle du pradakshinâ
selon le pourtour du temple ne serait autre que la traduction vivante de ce périple. Certaines recherches savantes toutes récentes tendraient même à prouver que le choix de la situation respective de la plupart des monuments d’Angkor correspondrait à une sorte de jalonnement de la trajectoire solaire selon des alignements solsticiaux. Le temple-type de l’architecture khmère est le « temple-montagne », dont les gradins superposés en nombre variable et suivant une loi de réduction proportionnelle constante, auraient pour fonction d’envelopper une pyramide. C’est le Mont Céleste ou Meru, érigé selon l’axe du monde (lequel est souvent accusé par un profond puits central) servant de piédestal à l’idole du dieu-roi : symbole d’élévation depuis la base où le fidèle se prosterne et prie, jusqu’au faîte où l’officiant s’adresse directement aux dieux et où siège l’âme même du souverain divinisé. Tantôt la pyramide est couronnée d’un sanctuaire unique, tantôt d’un quinconce de tours évoquant les cinq sommets du Meru ; parfois aussi d’autres édicules en garnissent les gradins. Dans tous les cas, des enceintes carrées ou rectangulaires viennent enclore à la base les bâtiments secondaires – les cycles de montagnes entourant le mont cosmique et séparés par des mers, représentées ici par des bassins-fossés. Le double principe de l’étagement et des enceintes successives est chez les Khmers à l’origine de toute réalisation architecturale. Bien des fois cependant, principalement dans les monuments de moindre importance de la période préangkorienne ou des débuts de l’art classique, l’idée d’élévation s’exprimait par le simple exhaussement des bâtiments sur une terrasse, où se présentaient comme sur un plateau tantôt un sanctuaire isolé, tantôt un ou deux alignements de tours. Vers le début du XIe siècle, l’apparition des galeries couvertes joignant entre eux les sanctuaires des angles ou pourtournant le groupe central, coupées par des pavillons d’entrée ou « gopura » selon les quatre axes, constituait des préaux intérieurs et accentuait le caractère privé des édifices du culte : souvent même d’autres galeries sur piliers, avec ou sans bas-côtés à demi-voûte, partageaient la cour en quatre secteurs, ou bien, accusant seulement la direction de l’est, s’élargissaient en salles longues accolées au bâtiment principal, flanquées de part et d’autre d’édicules dits « bibliothèques », ouvrant à l’ouest. Peu à peu, principalement au moment de l’extension du bouddhisme, qui pousse à la vie conventuelle, le temple devenait monastère, le même système de cloîtres fermés par des galeries se répétant en chaque enceinte concentrique. Le plus souvent le dispositif à étagements faisait place à celui d’un ensemble réglé de plain-pied où la notion d’élévation n’était plus figurée que par la succession des galeries séparatives et la prédominance du sanc-
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tuaire central. L’axe est-ouest s’accusait de plus en plus, devenait une enfilade presque ininterrompue de salles et de vestibules, voie sacrée vers le cœur du monument. Dans les derniers grands ensembles tels que Prah Khan et Ta Prohm, un foisonnement de constructions annexes venait encore compliquer le plan, qui ne gardait plus rien de sa belle simplicité primitive : mus par un véritable sentiment d’« horreur du vide », les Khmers accumulaient les rajouts et ne savaient plus voir grand. L’ARCHITECTURE Tandis qu’au Cambodge les descendants directs des bâtisseurs d’Angkor, stupéfiés par la grandeur de l’effort accompli par leurs ancêtres, donnaient aux monuments une origine divine et en attribuaient la construction à Indra et à son fils Viçvakarman, l’architecte céleste, il était de bon ton en Occident, à la suite des révélations d’un Mouhot découvrant Angkor Vat en 1860, d’affecter un certain mépris pour cet art étrange dont on appréciait surtout le charme romantique de mines aux prises avec la forêt. Longtemps, les manuels d’histoire de l’art le passaient sous silence, et ceci en cette seconde moitié du XIXe siècle qui s’est révélée comme l’une des périodes les plus pauvres en réalisations architecturales de qualité. Dans les milieux cultivés, on admirait davantage l’effort ornemental et d’incontestables réussites de détail que la valeur des ensembles, et l’art khmer était tenu pour un art mineur, à la remorque de celui de l’Inde ; un grand poète comme Paul Claudel ne voyait dans les tours d’Angkor Vat que « cinq ananas de pierre frangés de flammes ». Cette incompréhension venait à la fois d’une connaissance insuffisante des grands monuments d’Angkor et de l’habitude bien occidentale de rapporter toute chose à ses propres sentiments. L’esprit français pour sa part est épris de raison, de logique et de vérité, soucieux de la technique et de la valeur intrinsèque de chaque forme : il tend d’autre part à instituer une sorte de hiérarchie de l’art. En Orient, au contraire, la perfection importe peu. Le corps architectural est à base d’expression spirituelle, et le temple angkorien, fait de conventions et de symboles, n’est que la traduction d’une idée, d’une force supérieure aux simples préoccupations de l’esthétique. C’est, matérialisé dans la pierre, le panégyrique du dieu-roi sous forme de cantate à trois voix – mage, architecte et sculpteur : c’est une oblation. Si nous nous plaçons au point de vue de l’architecte, fort de l’inexorable épreuve du temps, nous sommes fondé à reconnaître que les Khmers, en bâtissant Angkor Vat, en aménageant la Place Royale d’Angkor Thom et l’admi-
rable perspective de Prah Khan, de son allée de bornes et du lac de Néak Péan, en creusant les deux Baraï et le Srah Srang, ont prouvé qu’ils connaissaient l’art des belles ordonnances et réalisé un ensemble unique dans le monde entier. C’est une suite de « bonheurs » préludant aux conceptions d’un Le Nôtre et des grands urbanistes des temps modernes. Angkor Vat, comparable aux plus vastes compositions des temps passés, répondant à toutes les exigences d’un « parti » de plan mûrement établi, atteint à la perfection classique par la sobriété monumentale de ses éléments dûment équilibrés, et la conscience exacte des proportions ; c’est une œuvre de puissance, d’unité et de goût. Le conformisme de l’art khmer est indéniable : l’Inde est à l’origine, mais son action est plus fécondante que créatrice. Par elle se sont imposés l’idée directrice et le cadre, des traditions, des contraintes ; mais en faisant siennes toutes ces « recettes », le Khmer y a mêlé sa propre substance et, dans l’exécution, a gardé un rôle capital. Le constructeur des temples hindous n’a pas le respect du schéma architectural et se laissant emporter par la fièvre plastique, empâte sa composition, déconcerte par l’outrance du décor. Le sculpteur khmer, au contraire, garde le sentiment de la mesure, et, travaillant toujours en taille directe sur des pans de murs préalablement bâtis, se soumet à la discipline imposée par l’architecture, accuse l’idée maîtresse et souligne les formes par le réseau de ses moulures et de l’ornementation au lieu de nuire à leur pureté ; il ne donne libre cours à sa fantaisie et à sa verve que dans le détail, souvent infime. Par l’Inde sont venus aussi quelques thèmes de la Grèce et de Rome, d’Égypte et d’Assyrie, des réminiscences d’art arabe ou français du Moyen Âge ; ailleurs, ce sont des inspirations venues de Chine, et, par une sorte de prescience, jusqu’à certains éléments que l’on retrouve dans les styles Renaissance, baroque ou rococo. Malgré les influences subies, l’art khmer n’en garde pas moins, nous l’avons dit, une forte personnalité ; elle apparaît jusqu’en ses insuffisances, ses pauvretés ou ses défauts, ou ce que nous jugeons comme tels en notre mentalité d’Occidentaux. S’il serait injuste de lui tenir grief d’un manque de spaciosité intérieure qui nous choque mais reste inhérent à la nature même des bâtiments, nous ne pouvons nous empêcher d’être rebutés par l’absence de vérité d’édifices qui, répondant à de pures spéculations de l’esprit, dépassent rarement le stade de l’apparence et de l’impression ressentie. Le plus souvent, l’extérieur ne donne qu’une idée imparfaite, sinon mensongère, de la structure interne : étages fictifs – proportions truquées – notion de la nécessité de l’arc, mais appareillé comme un mur et défiant les lois
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de la pesanteur – envolées d’ogives barrées par des plafonds de bois à hauteur de corniche – débauche d’escaliers trop raides qu’il faut gravir à quatre pattes, les pieds posés de biais – discordances entre le plan et la façade – simili voûtes, fausses portes et baies murées – assemblages et coupes de pierres relevant de la technique du charpentier… Ce manque de sincérité dans les moyens d’expression, l’Asiatique ne s’y arrête pas, n’en souffre pas ; nous aurions mauvaise grâce à nous montrer plus exigeants que lui et à troubler par ces misères notre juste appréciation de l’ensemble. Les éléments constitutifs Toute l’architecture khmère repose sur les notions d’axe et de symétrie, impliquant nécessairement la répétition des éléments. Le prasat L’élément fondamental est la tour-sanctuaire ou « prasat », abritant l’idole en sa cella de plan carré. Dûment orientée, elle communique avec l’extérieur parfois par deux ou quatre portes, plus souvent par une seule baie ouvrant à l’est, les autres faces étant murées de fausses portes. Le plan peut devenir cruciforme par l’adjonction
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d’avant-corps formant vestibules, qui apparaissent vers la fin du Xe siècle. Des perrons d’axe, généralement précédés d’une marche décorative dite « en accolade », accèdent au prasat, édifié sur un socle pouvant reposer lui-même sur un terrasson. L’étage principal, couronné d’une corniche, a ses piles d’angle à simple ou double redent sculptées ou non de divinités dans des niches. Chaque porte est cantonnée de colonnettes portant linteau, bordées elles-mêmes de pilastres surmontés d’un fronton. Au-dessus, des étages fictifs, presque toujours au nombre de quatre, reprennent le principe de réduction proportionnelle des temples à gradins, avec répétition des mêmes éléments qu’à la base, tandis qu’à l’intérieur les assises de pierre disposées en encorbellement constituent une sorte de cheminée à ressauts, que cachait d’ailleurs un velum ou plafond de bois. Un motif de couronnement à pétales de lotus ferme le tout, d’où saillissait une hampe de métal (trident ?). À chacun des ressauts d’étage, la silhouette extérieure s’anime d’antéfixes qui sont souvent aux angles des maquettes de prasat ; ainsi la tour-sanctuaire trouve-t-elle en elle-même son propre décor, affirmant son caractère de temple en réduction. Les tours à quatre visages de l’époque du Bayon (fin du XIIIe siècle) sont une simple variante du prasat.
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Les galeries Les galeries pourtournantes réunissant les prasats constituent les enceintes successives, que l’on a coutume de numéroter en partant du centre du monument. Simples, elles sont bordées de deux murs dont l’un peut être plein, et éclairées par des baies libres ou garnies de balustres tournés, toujours en nombre impair. Au-dessus de la corniche, elles sont couvertes en forme de voûte à section ogivale plus ou moins surbaissée, masquée intérieurement par un plafond de bois. L’extrados, crêté d’une ligne d’épis ou de petites niches décoratives, imite fréquemment les bombements parallèles de la toiture en tuiles à canaux, terminés par un rang de pétales de lotus. Formant cloître, les galeries peuvent aussi s’ouvrir plus largement sur une face en remplaçant le mur par un alignement de piliers ; ce dispositif, qui n’apparaît guère qu’au début du XIIe siècle, s’adjoint bientôt une seconde rangée de piliers formant bas-côté, couvert en demi-voûte, avec poutre (étrésillon) joignant les points d’appui. Dans les galeries axiales, tout mur disparaît, et le passage central est à double bas-côté. Les enceintes et gopura Lorsqu’elles ne sont pas limitées par des galeries, les différentes enceintes sont marquées par de simples murs à chaperon. Dans tous les cas, il existe sur chaque axe un pavillon d’entrée ou « gopura » dont le corps central, de plan généralement cruciforme, s’accompagne fréquemment de vestibules, de porches, d’ailes latérales et d’entrées secondaires, prenant dans certains cas un développement considérable, surtout sur la face réservée au passage principal. Extérieurement, ces gopuras se silhouettent sous forme d’une ou de trois tours comparables à celles
Fig. 3. Type de prasat khmer.
des sanctuaires, ou d’une croisée de nefs à quatre pignons traités en frontons. Bâtiments annexes Quelques temples présentent, reliés au sanctuaire central par un vestibule de jonction, une salle longue voûtée avec avant-corps à l’est, les parois latérales étant elles-mêmes percées d’une porte encadrée par des fenêtres ; ce dispositif se retrouve dans les monuments de l’Inde. Dans la partie orientale de la première enceinte, de part et d’autre de l’axe principal, deux bâtiments de même nature, ouvrant seulement à l’ouest à l’inverse des sanctuaires et faiblement éclairés par des fenêtres gisantes, reçoivent le nom de « bibliothèques ». Bien qu’une inscription, trouvée au Prasat Khna, semble justifier cette appellation, ces bâtiments, dont l’implantation est certainement rituelle, doivent plutôt, à notre avis, représenter des sortes de sacristies où se trouvaient enfermés, outre les livres sacrés, les divers objets du culte. Lorsqu’il n’existe qu’une de ces bibliothèques, elle se trouve du côté sud. Bien que le plan intérieur soit simplement rectangulaire, l’extérieur donne l’impression d’une nef à double bascôté, une fausse demi-voûte recouvrant la majeure partie de l’épaisseur des murs, surmontée d’un étage d’attique fictif. Le berceau de la voûte se termine par des frontons. À l’intérieur de la dernière enceinte des temples importants de la fin du XIIe siècle, du côté de l’est – on en voit un au nord de l’axe principal à Prah Khan et à Ta Prohm –, des bâtiments, plus larges que de coutume grâce à un système audacieux de voûtes à double courbure, servaient de « gîtes d’étape avec du feu ». Longtemps appelés « dharmaçâlâ », ils sont mentionnés par T Tcheou Ta-Kouan : « sur les grandes routes, il y a des lieux de repos analogues
Fig. 4. Voûte et galerie voûtée.
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à nos relais de poste ». L’inscription de Prah Khan parle de cent vingt-et-un gîtes d’étape jalonnant les anciennes chaussées du royaume, dont cinquante sept d’Angkor à la capitale du Champâ (chaussée de l’est, passant par Beng Méaléa et Prah Khan de Kompong Svay), ce qui correspond à des relais espacés de 12,5 km en moyenne. En dehors de ces trois types particuliers de bâtiments, on trouve dans les enceintes successives toute sorte de constructions dont le caractère utilitaire s’affirme par la nature des maçonneries et surtout les toitures de tuiles sur charpente en bois, dont on retrouve les vestiges. C’étaient principalement, sur tout le pourtour, une suite de salles longues ou galeries, lieux d’habitation ou de retraite pour les desservants – la foule des laïcs attachés au service du temple étant sans doute logée dans des paillotes aux alentours –, magasins et dépôts, abris pour les fidèles. Abords des monuments Chaque temple en principe était entouré d’une ceinture de bassins-fossés qui, nous l’avons dit, représentait l’océan de ce microcosme ; ce pouvait être aussi un efficace moyen de défense. Au droit de l’entrée principale, ou même sur plusieurs axes, des lions ou « dvârapâlas » armés de massues faisaient office de gardiens. Puis, franchissant les douves, une large chaussée dallée s’étendait, parfois, sur plusieurs centaines de mètres, bordée de nâga balustrades sur dés – motif essentiellement khmer –, coupée de perrons latéraux, accompagnée parfois d’une vaste terrasse cruciforme propre aux cérémonies et danses rituelles, encadrée de pièces d’eau ; ailleurs, c’était une allée de bornes décoratives menant à quelque « baraï ». LA CONSTRUCTION « Au Cambodge, nous dit Henri Parmentier, il semble que la construction ait été une nécessité ennuyeuse qu’on bâclait le plus possible pour réaliser au plus vite la seule chose qui comptât, la forme, plus ou moins imposée par la tradition. » Il est de fait que les Khmers, spécialisés de tout temps dans l’architecture en bois, où ils se montraient fort habiles, ont fait preuve, dans l’art de bâtir en dur, de touchantes incapacités techniques, ignorant jusqu’aux rudiments de la stéréotomie. Trop souvent, les blocs de pierre n’étaient ni équarris ni réglés en hauteur par assise et les joints verticaux, filant du haut en bas d’un édifice sans aucun chevauchement, comme aux tours du Bayon, créaient de véritables plans de rupture. La masse des gros murs n’était pas homogène, le corps principal étant revêtu d’un parement simplement accolé, souvent fort mince et fait d’un matériau différent. Les porches ou galeries à larges travées voyaient tout le poids des frontons ou des voûtes réparti sur de longues architraves monolithes, reposant sur les piliers et qui, pres-
que invariablement, se brisaient sous l’excès de la charge. Partout, les erreurs et malfaçons sont flagrantes, sans que les corrige aucun chaînage autre que quelques ancrages d’une pierre à l’autre, en certains cas critiques, au moyen de fers plats en double té. Des encorbellements excessifs et l’emploi d’un matériau mixte dans la construction des voûtes, comme l’usage aux Xe-XIe siècles de poutres de bois doublant les linteaux de grès, ont provoqué maints éboulements. Constamment, la pierre est traitée comme le bois, avec les mêmes assemblages, et sans tenir compte du fait qu’elle ne peut travailler à la traction. Et, pourtant, l’ensemble a tenu, malgré les injures du temps et du climat. Tous ces défauts qui nous troublent ou soulèvent notre réprobation, les Khmers, en tant qu’Orientaux peu soucieux des pauvretés de détail, les toléraient sans que leur œil ni leur esprit en fussent choqués ; leur appréciation générale sur la qualité de l’œuvre ne s’en trouvait certainement pas modifiée. Les matériaux Les temples anciens du Cambodge sont construits soit en grès, soit en brique, plus ou moins combinés avec la latérite. Le grès. En cambodgien, « thma phok » ou pierre de boue, de couleur variable, est, à l’exception du grès rose, particulièrement dur, employé notamment à Bantéay Srei, une pierre tendre et peu résistante. Le grès gris surtout, qui domine, se décompose et devient friable sous l’action des agents atmosphériques, se brise sous l’effort des racines et, souvent posé en délit, se dégrade par lamelles : il garde rarement l’intégrité de ses profils et de son décor, ses faces nettes et ses arêtes vives. Son poids est de deux tonnes à deux tonnes et demie au mètre cube. D’importantes carrières à ciel ouvert ont été retrouvées à flanc de coteau entre le temple de Beng Méaléa et l’extrémité sud-est de la chaîne du Phnom Kulên, à une quarantaine de kilomètres d’Angkor. Le transport devait se faire partie par voie d’eau, partie à l’épaule ou par halage sur rouleaux : les trous ronds de quelques centimètres de diamètre et de profondeur que l’on voit plus ou moins régulièrement répartis dans les monuments sur la plupart des blocs étaient sans doute destinés au logement de chevilles en bois serrées par des liens végétaux, ou des ergots métalliques, des sortes de louves, dispositifs permettant les différentes manipulations de la pierre au cours de la mise en œuvre. Ces trous, en qui la légende voit les empreintes des doigts d’Indra, étaient obturés par la suite au moyen de tampons de grès taillés à la demande ou de bouchons de mortier. Le grès, employé avec parcimonie au début et presque uniquement pour les motifs d’entourage des baies et les fausses portes, devait fournir peu à peu la totalité des éléments de la construction, à l’exception toutefois des blocages intérieurs de murs épais, des bâtiments à caractère utilitaire et de certains dallages.
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La brique, utilisée dans tous les édifices d’art primitif, puis dans de nombreux temples de la première moitié de la période classique (IXe-Xe siècle), était fabriquée sur place et fort bien cuite, au point de pouvoir supporter la ciselure et d’être employée dans l’établissement de voûtes à encorbellements successifs. Son moule était variable, pouvant aller de 22 12 4 cm à 30 16 8,5 cm et même au-delà. Généralement d’un rose pâle, il semble qu’en élévation elle ait été laissée rarement apparente, étant de préférence recouverte d’un enduit au mortier à base de chaux : c’est dans la pâte de ce dernier qu’était sculpté le décor, sur fond de brique préalablement dégrossi en cas de forts reliefs. La latérite ou « baï kriem » (riz grillé) est une pierre poreuse, d’un ton brun-rouge, qui présente certaines analogies avec notre meulière. Abondante dans le soussol de la partie méridionale de la péninsule indochinoise, elle se taille facilement au sortir de terre et durcit à l’air : malheureusement, certains blocs subissent une décomposition qui les rend friables, ce qui n’a pas manqué de provoquer bien des éboulements. Matériau de remplissage, la latérite, qui supporte le travail de mouluration, a été aussi employée dans la construction des murs de soutènement de temples à gradins, des bâtiments utilitaires, des piles de ponts, des murs d’enceinte et des dallages de cours. Le bois, choisi parmi les essences les plus dures, servait, même dans l’architecture monumentale de la période classique, à l’édification de certains éléments extérieurs légers se combinant avec la pierre. À l’intérieur des bâtiments, on en faisait des poutres de soutien ou de doublure, des charpentes de toits, des portes à pivots à deux vantaux – dont l’emplacement des crapaudines reste souvent visible dans les pierres de seuils –, des dais abritant les idoles, des panneaux de revêtement de murs et plafonds richement sculptés : quelques vestiges de ces derniers, ornés de fleurs de lotus épanouies, plus ou moins rongés par l’humidité et les termites, étaient encore en place à Angkor Vat lors des travaux de déblaiement et des fragments de poutres subsistent dans ce temple comme en plusieurs autres monuments. Les tuiles des toitures des bâtiments annexes, dont on a retrouvé au cours des fouilles de nombreux spécimens, étaient d’excellente qualité. En terre cuite ordinaire ou vernissées, avec talons d’accrochage, elles étaient de deux sortes : les unes plates à rebords formant canaux, les autres courbes formant couvre-joints. C’est le type de couverture dit en « tuiles romaines ». Le faîtage était marqué d’une ligne d’épis, et, au bas de chaque versant, des tuiles d’about se retroussaient en pétales de lotus ou autres motifs à décor. La mise en œuvre Les fondations. Les monuments d’Angkor étant construits sur un sol résistant de sable argileux, les fondations étaient
réduites à leur plus simple expression : une ou deux assises de latérite, reposant parfois sur une couche de pierraille pilonnée. Peu de tassements se sont produits ; sauf sur quelques parties en remblai. Les soubassements. Ils existent partout, souvent unis et couronnés d’un simple bandeau en tant que murs de soutènement des gradins d’une pyramide – abondamment moulurés et ornés comme soubassements de terrasses portant ou non des constructions : ils deviennent alors un des éléments les plus remarquables de l’architecture. Le soubassement khmer a ceci de particulier qu’il reste indépendant du mouvement d’expansion verticale du bâtiment qu’il porte : c’est une base, un plateau, dont émerge comme de la terre même le Meru céleste, c’est la composante horizontale du système. Celle-ci s’affirme par la mouluration qui possède un axe de symétrie horizontal schématisé par un bandeau médian entre deux doucines opposées. La symétrie s’exprime jusque dans le détail de l’ornementation, où seuls les rangs de pétales de lotus sont invariablement tournés vers le haut. Les murs. Qu’ils fussent en grès, en brique ou en latérite, les murs étaient à joints vifs, sans interposition de mortier : pour la brique seule, une sorte de colle végétale dont la formule reste inconnue venait renforcer la liaison. Dans une architecture où toutes les phases du travail de mouluration et de sculpture se déroulaient sur une maçonnerie déjà montée, il importait de se rapprocher le plus possible du monolithe par l’adhérence parfaite des lits et des joints verticaux, rigoureusement dressés et rendus filiformes. Ce résultat était obtenu au moyen du rodage de chaque bloc par frottement contre les pierres en contact tant de l’assise précédente que de celle en cours de pose : un bas-relief du Bayon (galerie intérieure, face ouest, moitié sud) donne des indications précieuses sur le détail de cette opération. L’épaisseur des murs est essentiellement variable, mais toujours très supérieure aux limites imposées par la résistance des matériaux ; des largeurs d’un mètre à un mètre cinquante ne sont pas rares, et il n’y a guère que les murs de clôture à être construits en parpaings. Il est vrai que, fréquemment, un même mur, d’aplomb sur sa face interne du sommet à la base, correspond extérieurement aux décrochements d’éléments fictifs ; d’autre part, chacun n’est le plus souvent que la juxtaposition d’un parement et d’un blocage, ce qui en diminue la cohésion. Il est à remarquer que les cadres des portes ménagées dans les murs de façade ou de refend, et dont les éléments sont traités à assemblages droits ou d’onglet comme le bois, ont toujours leur traverse basse en saillie sur le dallage : l’existence de ces seuils élevés, qui rend la visite des temples si fatigante, devait correspondre à l’idée d’accuser le caractère d’espace clos de chaque cellule et d’augmenter le nombre des sanctuaires en compartimentant à l’extrême les galeries, plutôt qu’à des nécessités d’ordre technique.
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9. Angkor Thom, devas, chaussée de la porte sud, vers 1200.
Les escaliers. Le temple à gradins est l’« escalier du ciel » : peut-être ce symbole suffisait-il à justifier le côté abrupt de pentes aménagées sous un angle de 45 à 70°, à moins que les degrés de pierre fussent une simple réplique des échelles de meunier des habitations de bois, où l’absence de contremarches permet au pied de se poser quelle que soit la raideur. Quoi qu’il en soit, les dimensions respectives de la marche et de la contremarche sont inversées par rapport à celles de chez nous, et ce dispositif – où l’escalier, se présentant toujours de front encastré dans le soubassement et sans paliers intermédiaires, transforme la montée en véritable escalade – confirme qu’il n’était pas destiné aux évolutions d’une foule, mais seulement à l’usage de quelques officiants. Du point de vue monumental, l’avantage est certain : le carré de la base n’ayant pas à s’étaler démesurément en surface, l’édifice entier se dresse vers le zénith dans un élan qu’on ne retrouve nulle part ailleurs. Les voûtes. Le problème de la voûte conditionne l’un des aspects du temple khmer, comme d’ailleurs de toute architecture religieuse d’inspiration hindoue : c’est l’absence de toute grande salle, inutile puisqu’il n’y a lieu d’abriter aucune assemblée de fidèles. Seule la voûte à claveaux autorise de grandes portées : pratiquée depuis l’Antiquité dans les pays occidentaux, elle était connue jusqu’en Chine. Il peut donc paraître extraordinaire que les Khmers du IXe au XIIIe siècle l’aient ignorée, alors qu’ils employaient l’appareil à joints rayonnants dans des revêtements de puits circulaires, par exemple au Mébôn occidental. Peut-être faut-il voir plutôt dans cette abstention quelque raison rituelle, ou le respect du dicton hindou que nous rapporte Henri Parmentier : « les voûtes appareillées n’ont pas de repos, seules les voûtes encorbellées dorment »… La voûte khmère, qui ne donne point de poussée sur ses points d’appui tant qu’aucun mouvement ne se produit dans ses éléments, n’est que la continuation des murs par surplombement jusqu’à leur rencontre dans l’axe de l’espace couvert. Les assises sont donc à joints horizontaux et encorbellements successifs, coiffées au sommet par une dalle à cheval sur les deux parois. L’intrados, de forme ogivale généralement assez élancée, est laissé brut lorsqu’il est masqué par un plafond de bois à hauteur des naissances : il est au contraire parfaitement dressé lorsqu’il doit rester apparent et recevoir un décor, notamment dans les demi-voûtes des bas-côtés de galeries. L’extrados est forcément beaucoup plus aplati, se rapprochant du plein-cintre, et sa courbe sert de gabarit à la masse du fronton. Dans les bâtiments de plan cruciforme, l’intersection des deux berceaux se fait normalement par voûtes d’arête, et pour les « prasat » de plan carré on applique le principe
des voûtes en arc de cloître, mais souvent interrompues par des parties verticales correspondant aux ressauts des étages fictifs extérieurs. Délais d’exécution On ne possède aucun renseignement sur les moyens d’exécution dont pouvaient disposer les Khmers pour la construction de leurs temples. Les bas-reliefs donnent seulement quelques indications sur les opérations de rodage des blocs de pierre, sans qu’y figure le moindre appareil de levage – nous en sommes donc réduits aux hypothèses. À en juger par les conditions actuelles de nos travaux, où notre outillage mécanique se réduit à quelques palans, les Cambodgiens ont dû conserver les méthodes de bâtir de leurs ancêtres. Fort habiles à dresser avec de simples bois coupés dans la forêt et serrés par des liens végétaux les échafaudages les plus hardis, qui mettent en valeur leurs qualités de grimpeurs, ils soulèvent – en s’encourageant de la voix comme tous bons Orientaux – les charges les plus pesantes, les portent à l’épaule suspendues à deux perches ou bambous, les halent à grande hauteur sur des rampes en rondins. Il est donc permis de supposer que le levage se faisait de même autrefois au moyen d’échelles ou de plans inclinés, peut-être avec l’aide de treuils ou de cabestans. Georges Groslier s’est livré à des études très poussées sur le temps nécessaire à la construction d’un grand temple du nord-ouest du Cambodge, Bantéay Chhmar : ses évaluations, basées sur le raisonnement et la logique plutôt que sur des faits précis, le conduisent à un délai d’exécution d’une cinquantaine d’années et en tout cas, au minimum, de trente deux à trente cinq ans : nous serions assez tenté d’adopter ce dernier chiffre, qui correspond sensiblement à la durée du règne de Sûryavarman II, constructeur d’Angkor Vat : le style très homogène de ce monument autorise en effet à le considérer comme ayant été édifié sans interruption et sous une direction unique. La thèse de Georges Groslier est d’autre part un argument péremptoire contre l’attribution au seul roi Jayavarman VII, qui régna quelque vingt ans, de la totalité des temples dits « du style du Bayon », où abondent les preuves de nombreux remaniements et qui manquent singulièrement d’unité. Moyens d’exécution des travaux L’amélioration du matériel de la Conservation d’Angkor, commencée avant 1955, a été amplifiée par l’attribution d’un lot considérable mis à la disposition de l’École française au départ de l’armée française.
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10. Angkor Vat, devatâ, première galerie, première moitié du XIIe siècle.
Monsieur Malleret obtenait ainsi un équipement digne du groupe de monuments le plus important du monde. Lorsque les travaux ont cessé à Angkor peu après 1970, la Conservation disposait d’un équipement considérable, en partie d’origine militaire et d’un personnel spécialisé.
points brillants dus aux mains les plus expertes. Enfin, le nombre très restreint des éléments fondamentaux de l’architecture, l’éternelle répétition des motifs, favorisaient la tâche d’unification : l’évolution du décor était liée seulement au caractère de chaque époque, selon qu’on se trouvait en période d’incubation, d’épanouissement, de cristallisation ou de déclin.
L’ORNEMENTATION Les bas-reliefs C’est le triomphe de l’art khmer, où l’architecture, nous l’avons vu, n’est que la mise en œuvre d’un rituel. Bien loin de distraire l’attention de l’ensemble de la composition, de la géométrie des lignes et des volumes, l’ornementation souligne et rehausse chaque forme mais sans la dominer ; par elle, la rigide ossature des profils et des masses s’anime de tout le chatoiement des lumières et des ombres, tout est en communion de vie. Cadre, scènes à personnages et décor réalisent l’accord parfait. Aucun monument khmer n’a la froideur ni la sécheresse d’une épure, et c’est à la sculpture ornementale, mode d’expression plastique de l’esprit créateur, qu’il le doit. Même dispensée à profusion comme en certains temples où pas un pan de mur ne reste nu, elle n’est ni déformante, ni de mauvais goût et ne fait fonction de remplissage. Comme les prêtres, architectes et sculpteurs ne sont que les desservants d’un même culte traditionnel, ils font œuvre pie avec une égale abnégation, tout en restant anonyme et impersonnel. L’artiste travaille selon un concept d’abstraction, et ce qu’il exécute est à base de constante répétition : l’art réside en ce que cette répétition n’engendre pas la monotonie mais le rythme. Pratiquement, c’était la seule solution possible : car il ne suffit pas d’une ordonnance royale pour faire ciseler des kilomètres carrés de murs par des milliers de sculpteurs. L’artiste véritable est un être d’exception, dont l’activité se greffe sur celle du maître d’œuvre. Il était libre sur des thèmes imposés de moduler ses variations, mais entre l’ébauche gravée au trait sur la pierre et les derniers coups de ciseau, il lui fallait avoir recours à toute une équipe de praticiens, d’artisans spécialisés travaillant sur des poncifs et ne pouvant donner cours à leur fantaisie qu’en des détails infimes. Chacun ayant sa tâche bien définie et, si l’on peut dire, son « rayon », pouvait atteindre à une suffisante habileté manuelle à défaut de maîtrise : le Khmer d’ailleurs était trop idéaliste pour s’arrêter à quelques imperfections qu’il tenait pour secondaires tant que la valeur d’intention restait intacte. Parfois, de véritables artistes se révélaient et c’était la prodigieuse réussite d’un Bantéay Srei : partout, on gardait une apparence d’unité, rehaussée de quelques
Si l’artiste khmer parvient parfois à s’évader de la rigidité des principes qui le dominent et à laisser transparaître sa personnalité, c’est évidemment sous la forme narrative des bas-reliefs. Échappant aux combinaisons strictement ornementales de l’arabesque, il peut, sur des sujets tirés de la mythologie ou de l’histoire, des légendes épiques ou de l’ethnographie, sinon se laisser aller à l’émotion, du moins se rapprocher du mouvement, de la nature et de la vie. Il est d’ailleurs probable, sans qu’il en reste rien aujourd’hui, qu’à côté de ces pages de pierre, qui rappellent à certains égards les tapisseries de notre Moyen Âge telles que celle de la reine Mathilde à Bayeux, des fresques peintes dans le même esprit venaient animer la froide nudité des murs intérieurs des sanctuaires. Sauf à Bakong où, sur le gradin supérieur de la pyramide, nous avons mis au jour quelques rares vestiges d’un déploiement de bas-reliefs à ciel ouvert, il semble que jusqu’au XIe siècle, les Khmers se soient contentés de la représentation de quelques scènes sur les champs très limités de linteaux ou de frontons ; les plus remarquables se trouvent sur les tympans de Bantéay Srei. Par la suite, l’habitude s’est conservée pour les frontons, qui sont tantôt à composition unique, tantôt à registres superposés ; les Khmers, ignorants des lois de la perspective, avaient choisi ce dernier mode d’expression pour indiquer les plans successifs, le registre inférieur figurant le premier plan. Au Baphûon, apparaissent des bas-reliefs par étagement de panneaux sur pans de murs étroits : c’est une succession de tableautins qui, quoique d’inspiration légendaire, sont à tendances naturalistes d’ailleurs naïvement exprimées. À Angkor Vat au contraire, ce sont, sur les douze à treize cents mètres carrés de murs de la grande galerie extérieure, d’énormes compositions en rapport avec la belle ordonnance du monument ; les parois sont entièrement couvertes, sans un vide, sans un repos, formant un tout ou divisées en registres selon la nature des sujets traités qui en font soit des pages débordantes de vie, soit de sévères images hautement stylisées, toutes taillées à fleur de pierre. Au Bayon enfin, tout au moins à la galerie extérieure, nous quittons les sujets légendaires pour les récits tirés
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de l’histoire du règne et les scènes de la vie courante. Ces reliefs, traités plus en volume et dans un style familier, sont une source inépuisable de renseignements sur les coutumes des anciens Khmers, peu différentes de celles des Cambodgiens d’aujourd’hui. Situés comme à Angkor Vat, dans la partie du temple accessible au public, ils étaient faits pour lui. C’est là que l’artiste, inspiré par une force supérieure, s’efforçait d’associer le peuple à ses propres pensées, de l’initier, de l’élever jusqu’à lui : c’était la « propagande » du moment. On ne peut quitter la série des bas-reliefs sans mentionner le grandiose revêtement de la Terrasse des Éléphants d’Angkor Thom ; sur un développement de près de 400 mètres, ces animaux, sensiblement grandeur nature, sont représentés de profil, participant à des scènes de chasse et traités de façon beaucoup plus réaliste que de coutume. Certains panneaux sont sculptés de beaux garudas en atlantes, et, immédiatement au nord, la double paroi à redents de la Terrasse dite « du Roi Lépreux » montre en plusieurs registres des alignements de femmes au visage très pur qui constituaient les cours des rois, des êtres fabuleux qui hantent les flancs du mont Meru : ces divers basreliefs sont du style du Bayon.
variantes dans les gestes des bras ; la stylisation est poussée à l’extrême, et l’usage du poncif n’est pas douteux. Généralement à échelle réduite, rassemblées en longues files comme à Prah Khan ou par motifs remarquablement composés de deux ou trois comme sur les piliers du Bayon, les apsaras par milliers, vêtues seulement d’un pagne léger moulant les cuisses et dont les pans voletaient derrière elles, sont couvertes de bijoux et des plus étincelantes parures de tête : isolées du monde par un lotus épanoui ou volant en plein ciel, elles sont le symbole divin de la joie. Les dvârapâlas sont figurés debout, armés d’une lance ou d’une massue, sur les pilastres flanquant l’entrée des sanctuaires de certains temples comme Prah Khan : dieu d’un côté, au sourire bienveillant, Yaksha de l’autre, au caractère menaçant, représenté de façon assez puérile par le rictus sinistre du visage et la contraction des traits, ils ont pour mission de chasser les influences néfastes. D’autres fois, abrités dans des niches sur les piles d’angle des prasat, ce sont de puissants guerriers à l’aspect plus humain et conscients de leur force comme à Prah Kô, ou les charmants éphèbes de Bantéay Srei.
Devatâs, apsaras, dvârapâlas
De toutes les manifestations d’activité de l’art khmer, celle-ci, mieux que toute autre, témoigne de la puissance d’adaptation du sculpteur et de son extraordinaire prolixité. Il rechigne à laisser nue la moindre surface et dévore littéralement la muraille, mais de l’excès même de ce foisonnement naît une impression de grisaille qui met en valeur les centres d’intérêt, et dont la complication n’apparaît que dans une étude de détail, sans porter préjudice à la netteté des formes et des profils. Quand un pan de mur est entièrement couvert, c’est tantôt par un revêtement régulier de motifs géométriques ou d’ornementation pure comme à Bantéay Srei, tantôt par la combinaison de quelques parties de décor avec un arrièreplan végétal traité de façon presque naturaliste, comme en certains points du Prah Khan. Comme toujours, les éléments types sont peu nombreux, et leur emploi est à base de répétition, mais non de redites : l’évolution est continue et les incidentes se multiplient au cours des siècles. Dans l’ordre végétal, l’inspiration vient du lotus : boutons, pétales ou fleurs épanouies, donnant naissance à toutes les variétés de rosaces – parfois aussi, surtout en la première époque, de la délicate ombelle du lotus bleu, rappelant le lotus d’Égypte. Puis c’est la gamme des feuillages en crosses, dérivés de la feuille d’acanthe, s’étirant en flammes, s’enroulant en volutes, formant hampes ou succession de rinceaux, si proches de notre Renaissance, et parsemés de figurines ou d’animaux. Enfin, jugulant toute fantaisie par l’emploi de quelques formes géométriques simples, le décorateur épuise toutes
Ce sont des bas-reliefs à personnages isolés ou groupés, ciselés parfois en pleine muraille ou sur fond de décor, mais le plus souvent abrités dans des niches. Nymphes célestes, dont le caractère hiératique s’accommode si bien de la présentation de front, les devatâs garnissent en tout temps les redents des sanctuaires puis, au XIIe siècle, les parois des salles et galeries : Angkor Vat les prodigue par centaines, tenant le visiteur sous le charme de leur sourire toujours empreint de sérénité. La fraîcheur de leur jeune corps au torse nu, la grâce de leurs gestes souples et de leurs doigts fuselés tenant un lotus ou jouant avec des cordons de fleurs, font oublier la lourdeur des jambes, toujours sacrifiées, et la gaucherie de leurs pieds présentés de profil, faute d’avoir su traiter les raccourcis. D’échelle au moins demi-nature, parées de nombreux bijoux, des devatâs diffèrent selon l’époque par le drapé de leur longue jupe ou « sarong », et la prodigieuse variété de leurs coiffures et des tiares ou diadèmes « mukuta ». La danse liturgique, qui tenait une si grande place dans le rituel – la stèle de Ta Prohm parle de 615 danseuses vivant dans l’enceinte de ce temple – devait fournir au sculpteur l’occasion de s’évader de la rigidité habituelle des attitudes représentées et d’exprimer le mouvement. Mais alors que la danse cambodgienne pouvait permettre de traduire toute la gamme des sentiments humains, l’apsaras apparaît toujours sur la pierre dans une même pose dérivant de celle du personnage volant, d’ailleurs à peu près impossible à tenir, avec seulement quelques
L’ornementation murale
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Fig. 5. Évolution du linteau jusqu’au XIIe siècle.
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11. Bantéay Srei, fausse porte, façade sud, sanctuaire central, 967.
les possibilités que peuvent offrir le cercle, le losange et le carré associés par bandes ou par panneaux. Sur les murs ou piliers intérieurs et les tableaux des baies, principalement au XIIe siècle, de fines ciselures à fleur de pierre viennent animer la sévérité des galeries : personnages en prière dans des niches, feuillages légers et tout un déroulement de galons et de frises à pendeloques, véritable travail de tapisserie. Les colonnettes Destinées à porter le linteau, les colonnettes sont d’une façon générale à section ronde dans l’art primitif (VIIeVIIIe siècle), rectangulaire dans le style du Kulên (première moitié du IXe siècle), puis octogonale dès le début de l’art classique. Entre leur base sculptée d’un petit personnage dans une niche et leur chapiteau, le fût est cerclé de bagues moulurées en nombre variable, séparées par des nus et frangées de feuilles décoratives. Le nombre et l’importance des bagues vont en augmentant de la fin du IXe siècle – époque où se rencontrent les plus beaux spécimens – jusqu’au XIIIe siècle, tandis que les nus se rétrécissent et que les feuilles se multiplient et s’amenuisent jusqu’à disparaître totalement. Les linteaux C’étaient, avec les colonnettes, les seules parties en grès sculpté dans les prasat en brique de la première époque. Le décor, venant directement de l’Inde et dérivant de l’architecture en bois, se composait essentiellement d’une sorte d’arc méplat rehaussé de médaillons, caché aux extrémités par des « makaras » – monstres marins composites à trompe – tournés vers le centre, et laissant tomber une série de pendeloques. Par la suite, les makaras faisaient place à des motifs en crosses végétales, le feuillage gagnait de plus en plus, transformant l’arc en véritable branche, et donnait dans le style du Kulên, avec parfois la réapparition des makaras, quelques pièces de tout premier ordre. C’est à cette époque qu’apparaît au centre et placé haut dans le linteau le motif d’origine javanaise de la tête de Kâla, monstre dévorant armé de deux bras et censé représenter un aspect de Çiva – le Temps qui détruit toute chose – dont l’emploi devait se généraliser dans les siècles suivants 2. Dans l’art classique, la branche de feuillage s’impose définitivement : horizontale ou sinueuse, parfois coupée aux quarts par un motif ornemental, interrompue au centre par quelque personnage surmontant généralement la tête
de Kâla, elle fait saillie sur un fond de feuilles flammées et de crosses végétales, crachée souvent par des lions et terminée par des nâgas polycéphales. Les linteaux du style de Prah Kô (fin du IXe siècle), où le décor s’agrémente de multiples petits personnages, sont parmi les plus intéressants, particulièrement développés en hauteur et couronnés par surcroît d’une petite frise. Au XIIe siècle, on rencontre quelques linteaux où la branche est à brisures multiples, puis celle-ci disparaît complètement, l’axe vertical devenant un axe de symétrie pour l’ornementation, faite de longues feuilles flammées émanant de larges crosses, tandis que la tête de Kâla s’abaisse progressivement. Les pilastres Exécutée d’abord sur fond de brique en enduit au mortier de chaux, dont il nous est resté quelques rares éléments, la décoration des pilastres ne devait connaître son plein développement qu’avec la généralisation de l’emploi du grès. Flanquant chaque porte et supportant le fronton, les pilastres formaient de longues bandes verticales appelant de toute évidence la superposition de motifs identiques. De leur base à leur corniche, toutes deux moulurées, ils pouvaient se couvrir de rinceaux, faits d’une série de crosses végétales, souvent baguées et prenant toute la largeur du panneau jusque vers le milieu de la période classique, puis sans bagues et bordées latéralement de petites feuilles, la fantaisie de l’artiste ne s’exprimant que par l’adjonction de petits personnages et d’animaux participant de l’enroulement des crosses. Simultanément, et quelle que fût l’époque, se trouvait le type « à chevrons », dont chaque élément se composait d’un motif central surmonté d’un fleuron formant pointe et d’où descendaient deux retombées de feuilles symétriques. Le motif central s’accompagnait fréquemment d’une petite niche à arc trilobé abritant une figurine, ou bien, surtout à partir du XIe siècle, d’une hampe de feuillage. Au XIIe siècle, époque où s’affirmait le goût pour les bas-reliefs, de véritables petites scènes à personnages garnissaient la partie inférieure du pilastre au-dessus de la mouluration de base. En certaines époques, et principalement à celle du Baphûon (XIe siècle), la hampe de feuillage devient motif principal et envahit toute la surface du panneau, donnant un mouvement purement ascendant, en « arête de poisson ». Parfois aussi apparaissent des superpositions de motifs en forme de lyre (styles du Bakheng et d’Angkor Vat), ou de losanges (fin du IXe siècle).
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Les fausses portes Les trois fausses portes d’un prasat étaient la réplique en pierre de la porte en bois de l’entrée est : faites de deux vantaux séparés par la barre de fermeture à gros boutons carrés, elles étaient traitées en chacun de leurs panneaux dans le même esprit que des pilastres, mais encadrés d’une riche mouluration de plus en plus envahissante au cours des siècles. Au IXe siècle, des sortes de mascarons (têtes de lion ou autres) marquaient le milieu de chaque vantail, correspondant sans doute aux motifs porte-anneaux des portes véritables.
les bas-reliefs des murs, les épisodes représentés sont tantôt d’une seule venue, tantôt à registres superposés – formule qui prévaut dans le style du Bayon. On ne peut omettre de mentionner, aux Xe et XIe siècles (Koh Ker, Bantéay Srei, Prah Vihéar), quelques frontons de forme triangulaire d’une grande valeur décorative. Ce n’est qu’un rappel de l’architecture en bois, conditionné par les toitures en tuiles à deux versants antérieures à l’apparition de la voûte : les deux lignes divergentes s’y enroulent aux extrémités en larges spirales3. LES SCULPTURES EN RONDE-BOSSE
Les frontons Les animaux Pour tout esprit méditerranéen, l’idée de fronton implique celle de la figure géométrique du triangle, qui ferme et qui assoit : c’est le couronnement rigide et implacable du temple grec. Le fronton khmer classique au contraire, simple ou à encadrements superposés, aboutissement de la forme ogivale de la voûte des galeries, participe du mouvement ascendant du prasat : loin d’être inerte, il aspire de bas en haut ce qui se trouve au-dessous et s’élance vers le ciel, servant de base aux autres frontons décroissants qui marquent les ressauts des étages. Sans rien garder de la sécheresse des lignes, il s’enveloppe des souples ondulations de l’arc polylobé du nâga stylisé, dont le corps se dentelle de feuilles flammées, et dont les têtes elles-mêmes se recourbent et se redressent à chaque extrémité. La composition des scènes du tympan vient accentuer encore l’impression d’envol. Au début toutefois, alors que le fronton de brique, recouvert d’enduit et pauvrement décoré de quelques motifs isolés (réductions d’édifices et personnages), était quelque peu sacrifié au linteau de grès, sa forme était toute différente. Né de l’arc en fer à cheval des monuments indiens, il constituait un large panneau rectangulaire à redents, plutôt surbaissé. Souvent réalisé en grès dès la fin du IXe siècle, son tympan se couvrait d’un décor végétal à grandes volutes formant composition unique, tandis que son encadrement, traité en méplat, se terminait par des têtes de makaras divergentes. À partir du Xe siècle, le makara fait place au nâga polycéphale craché par la tête de Kâla, puis celle-ci disparaît à l’époque du Baphûon (milieu du XIe siècle), tandis que l’arc se bombe, marquant une certaine tendance au réalisme ; au XIIe siècle enfin, le nâga est à nouveau craché par une tête de monstre, rappelant cette fois la tête de dragon. La silhouette générale s’est exhaussée dès l’apparition de la galerie voûtée, adoptant définitivement la formule de l’arc polylobé de proportion très élancée. Parallèlement, on voit apparaître dès le Xe siècle certains tympans à scènes à côté de ceux à décor végétal, qui ne subsistent que jusqu’au début du XIIe siècle : comme sur
Le nâga, stylisation du cobra, est doté de plusieurs têtes disposées en éventail, toujours en nombre impair et allant généralement de trois à neuf. Venant de l’Inde, il figure dans la légende à l’origine du peuple khmer et est le symbole de l’eau. Constamment représenté dans l’art, il a pris en tant que nâga balustrade, motif entièrement nouveau, une importance capitale. Au début – notamment à Bakong (fin du IXe siècle) –, le corps s’allonge directement sur le sol, et les têtes, très massives, donnent une singulière impression de puissance. Par la suite, le corps est surélevé sur des dés, et les têtes, d’abord simplement diadémées, sont de plus en plus largement crêtées, soit de tresses flammées comme à Angkor Vat ou Prah Palilay, soit d’une auréole continue et purement ornementale comme à Beng Méaléa : en cette période (première moitié du XIIe siècle), le col est nu et d’une courbe parfaite. Peu après – par exemple à Bantéay Samrè –, le nâga est craché, comme aux bordures des frontons, par une sorte de dragon, une tête de Kâla apparaît sur la nuque, et un petit garuda sur la crête axiale. Dans le style du Bayon, ce dernier élément devient dévorant, le nâga n’est presque plus qu’un accessoire, chevauché par un garuda énorme : même supérieurement exécuté comme à la terrasse du Srah Srang, le motif perd toute simplicité de ligne, devient lourd et confus. Aux portes d’Angkor Thom et de Prah Khan, le nâga porté par les devas et les asuras n’offre aucune particularité nouvelle ; mais sur certains ponts d’anciennes chaussées khmères, probablement d’époque tardive, les têtes du nâga protègent une image du Bouddha. Les deux nâgas aux queues enroulées de Néak Péan, dépouillés de toute ornementation, s’apparentent par leur nudité même au nâga Mucilinda, abritant de ses têtes éployées la méditation du Bouddha. Le lion. Les lions, gardiens des temples dont ils ornent l’entrée de part et d’autre des perrons, sont, à vrai dire, assez médiocres. Inconnus dans la faune indochinoise, ils
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imposaient au sculpteur l’obligation de s’inspirer seulement de thèmes venus de l’Inde, de Java ou de la Chine, sans recours direct à la nature. Philippe Stern a démontré que leur évolution, du IXe au XIIIe siècle, était liée au soulèvement progressif de l’arrière-train et à la stylisation de plus en plus accusée de la crinière. Dans le style de Prah Kô (fin du IXe siècle), le lion, franchement assis et d’allure très ramassée, ne manque pas de caractère. De suite après, au Phnom Bakheng, bien que la tête demeure caricaturale avec sa gueule énorme et ses yeux exorbités, la proportion s’améliore grâce à l’allongement du corps. Simplement accroupis vers la fin du Xe siècle, ils se dressent de plus en plus sur leurs quatre pattes, cambrés à l’excès, tandis que leurs formes deviennent plus grêles ; dans le style du Bayon, la tête est de plus en plus grimaçante et parfois tournée de trois quarts. D’une façon générale, la queue, prise dans la masse, court tout du long de l’échine ; dans le cas contraire, où elle était peut-être en métal, elle a disparu. Le « gajasimha » ou « lion-éléphant » est une variété de lion avec trompe assez peu répandue. L’éléphant. On ne le rencontre guère en ronde-bosse qu’aux angles des gradins de quelques pyramides de la première moitié de l’époque classique – Bakong, Mébôn oriental, Phiméanakas –, sa taille allant en décroissant progressivement à chaque étage comme tous les éléments de l’architecture ; il marque donc, face à l’extérieur, les quatre points collatéraux. Sculpté de façon assez réaliste dans un seul bloc de pierre, il porte un harnachement complet avec clochettes et grelots. On peut citer également comme ronde-bosse les trois têtes accolées garnissant les angles rentrants des portes monumentales d’Angkor Thom : les trompes descendant verticalement et cueillant des touffes de lotus sont d’un heureux effet décoratif. Le taureau. Le taureau sacré Nandin, en tant que monture de Çiva, est couché face aux entrées de quelques sanctuaires consacrés à ce dieu. Lorsque le prasat est à quatre baies libres, comme au Phnom Bakheng – et à Bakong, où devait exister un sanctuaire initial en matériaux légers –, le Nandin est placé aux quatre points cardinaux, symbolisant le pouvoir de son maître sur toutes les régions de l’espace. À Prah Kô, il en existe devant l’entrée unique des trois sanctuaires de la première rangée : on en rencontre également plus ou moins mutilés, à Bantéay Srei, Ta Keo et Chau Say Tevoda. Le Nandin est porteur d’une bosse comme le zébu ; assez exactement reproduit au IXe siècle dans une pose naturelle, les jambes antérieures repliées sous le corps, il se soulève ensuite de plus en plus sur l’une de ses pattes, tandis que ses proportions deviennent beaucoup plus grêles et sa ligne de moins en moins satisfaisante. Il est généralement paré d’un collier de grelots ou d’orfèvrerie.
La statuaire Bien des visiteurs s’étonnent de ne voir dans les monuments qu’un nombre infime de statues : c’est qu’il a été reconnu impossible de les y laisser en raison des déprédations et des vols. Les plus belles pièces trouvées dans les fouilles ont donc été envoyées dans les musées de Phnom Penh, Hanoi, Saigon, le surplus étant conservé dans un dépôt. On a beaucoup médit de la statuaire khmère qui, parmi des milliers d’autres simplement honorables, n’a fourni que quelques œuvres vraiment remarquables, susceptibles de satisfaire pleinement notre goût d’Occidentaux et de donner, comme les chefs-d’œuvre de la Grèce antique, le sentiment de la perfection. C’est que le génie plastique tel que nous le comprenons implique chez l’artiste, en sus de l’inspiration, le sens esthétique, une technique supérieure, et l’affirmation d’une personnalité : ce qui chez les Khmers faisait la force de la sculpture ornementale et assurait sa réussite devait nécessairement nuire à nos yeux à la qualité de la statuaire. L’art khmer, c’est l’idée en quête d’une forme. L’artiste ne s’inspire pas de la nature, ne s’efforce pas de représenter le mouvement et la vie, d’exécuter une « belle chose » : partant d’un type fixé dans l’abstrait, il cherche à l’exprimer dans le domaine du réel avec une mentalité de visionnaire, et selon la formule de l’immobilité plastique chère à sa race. Son œuvre est un acte de foi, de foi plus collective qu’individuelle, où chacun puisse retrouver ses propres émotions ; le chef-d’œuvre naît de l’intensité de cette flamme intérieure qui l’inspire, de sa communion spirituelle avec la divinité. D’où la pauvreté – pour lui absolument sans importance – de certains détails, et l’accoutumance à tant d’aspects qui nous étonnent : personnages fantastiques et composites, dieux à bras multiples et têtes étagées. De là aussi la puissance d’expression de tant de visages et leur calme beauté, véritable rayonnement de l’âme aspirant à la sérénité bouddhique. Il est normal que plusieurs des pièces jugées par nous les plus remarquables soient celles datant de la période de début de l’art khmer allant jusqu’au IXe siècle, où le sculpteur s’efforçait de rendre exactement la vérité anatomique : nous citerons entre autres l’admirable statue de Çiva à huit bras, avec arc de soutien, du Phnom Da (Province de Ta Keo) qui se trouve au musée de Phnom Penh entourée de deux acolytes ; le Hari-Hara de l’Asram Maha Rosei (musée Guimet) ; le Hari-Hara du Prasat Andet, d’une élégante pureté de ligne (musée de Phnom Penh) ; plusieurs Vishnous du Phnom Kulên. Une des caractéristiques de cette époque est la coiffure en mitre cylindrique, et l’on ne retrouve nulle part, dans cet art essentiellement chaste, le caractère forcené, délirant et obscène de certaines sculptures de l’Inde. Dès la fin du IXe siècle, où l’on rencontre, notamment à Bakong et au Phnom Bakheng, quelques superbes corps
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de femmes d’une grande sobriété d’expression, le sculpteur s’oriente vers la stylisation et une forme d’hiératisme de plus en plus rigide et conventionnelle, qui d’ailleurs ne manque pas de puissance. Puis, de la fin du Xe siècle (Bantéay Srei) à l’époque d’Angkor Vat (première moitié du XIIe siècle), les préférences vont à la statuette, traitée avec plus de souplesse et de douceur dans les visages. Au XIIe siècle enfin, c’est le concept de spiritualité qui triomphe, et tandis que le corps, d’un modelé rudimentaire et campé sur des jambes massives, a souvent la gaucherie d’une ébauche, tout l’effort se concentre dans le reflet de vie intense né de la méditation de l’être. Partout, à côté de divinités féminines pleines de charme et richement parées, se multiplient les images du Bouddha assis sur les replis du corps du nâga et qu’abritent ses têtes en éventail ; on en trouve notamment au Bayon quelques exemples empreints d’un profond mysticisme et véritablement émouvants. Certaines représentations de bodhisattvas, qui passent pour être des statues-portraits de personnages divinisés, s’imposent à l’admiration de tous, et avec des œuvres comme la Prajnapârâmita du Prah Khan (musée Guimet) ou le Lokeçvara irradiant du sanctuaire central de ce même temple, laissé sur place, touchent vraiment au grand art. Le bronze n’a guère livré que des statuettes, exécutées « à cire perdue » et offrant les mêmes caractéristiques que la statuaire : il n’en est pas moins probable qu’il devait exister des pièces beaucoup plus importantes, que la rareté de la matière a fait passer à la refonte. Au Mébôn occidental, nous avons trouvé dans un puits un important fragment (tête et partie de buste) d’un colossal Vishnou couché, plus de deux fois grandeur nature et remontant au XIe siècle : œuvre de qualité, qui prouve que les Khmers, avec les médiocres moyens dont ils disposaient, ne reculaient pas devant un large emploi du métal. Il nous reste à dire quelques mots des piédestaux des statues : moulurés et décorés comme les soubassements des terrasses ou sanctuaires avec un axe de symétrie horizontale, ils supportaient, comme nous l’avons vu pour le lingâ, un plateau à ablutions ou « snânadroni » permettant à l’eau lustrale de se déverser par un bec invariablement tourné vers le nord. Sous la statue, à l’intérieur du piédestal, une pierre cubique généralement à seize ou trente deux alvéoles alignées sur son pourtour, recevait le dépôt sacré, constitué par quelques gemmes ou matières précieuses ; il n’est pas impossible qu’elles aient aussi contenu parfois des cendres du personnage divinisé. Au sommet des tours, à l’intérieur du lotus de couronnement, se plaçait une autre sorte de pierre à dépôts, dalle plate orientée, creusée d’un nombre variable de cavités disposées dans un ordre rituel ; aucune n’a échappé à l’attention des pillards.
CHRONOLOGIE DES MONUMENTS Par l’épigraphie Il est désormais acquis que parmi les vestiges d’architecture khmère retrouvés jusqu’à ce jour, les plus anciens datent du VIe siècle de notre ère, et que les monuments constituant le groupe d’Angkor se succèdent sans interruption de la fin du IXe siècle au début du XIIIe, M. Cœdès a pu, grâce à des découvertes épigraphiques, jalonner de façon précise cette courte période de moins de quatre siècles en dressant le tableau suivant : Groupe de Rolûos Phnom Bakheng Groupe de Koh Ker Mébôn oriental Pré Rup Bantéay Srei Ta Keo Baphûon Angkor Vat Ta Prohm Prah Khan Bayon et muraille d’Angkor Thom
879-881-893 vers 900 931 ± 950 952 961 967 ± 1 000 ± 1 060 première moitié du XIIe siècle 1 186 1 191 dernières années du XIIe siècle
Il est bien évident que ces dates, qui sont celles de fondation ou d’inauguration, n’impliquent pas forcément que chacun de ces temples soit d’une seule venue ; des ensembles comme Ta Prohm, Prah Khan et le Bayon, par exemple, portent des traces manifestes de remaniements ou d’additions qui leur enlèvent tout caractère d’unité absolue. Il n’en reste pas moins que nous nous trouvons en présence de bases chronologiques solides qui, par analogie, fournissent les éléments d’une classification générale, fondée sur l’évolution naturelle des motifs d’architecture et du décor. Jusqu’en 1923, par suite d’une fausse interprétation de l’inscription de Sdok Kak Thom appelant « Mont Central » le monument élevé par le roi Yaçovarman à la fin du IXe siècle au milieu de sa capitale Yaçodharapura, celle-ci avait été identifiée avec Angkor Thom, centré sur le Bayon ; ce dernier était donc considéré comme un temple çivaïte et classé parmi les plus anciens. Cette théorie, longtemps tenue pour une certitude, devait être contestée par Louis Finot, s’appuyant sur la révélation du caractère bouddhique du monument. Une longue controverse s’engageait alors, conduisant successivement Philippe Stern, conservateur adjoint du musée Guimet, à placer le Bayon en la première moitié du XIe siècle, en se basant principalement sur l’étude des différents styles, puis George Cœdès, par ses travaux d’épigraphie, à en
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TABLEAU CHRONOLOGIQUE DES MONUMENTS
ÉPOQUE
MONUMENT
siècle
Sambor Prei Kuk (Kompong Thom)
siècle (2e moitié)
Ak Yum (parties les plus anciennes)
IXe
siècle (1re moitié)
Phnom Kulên
IXe
siècle (2e moitié)
VIIe VIIIe
siècle (fin) ou Xe siècle (début) IXe
Xe
siècle (1re moitié)
Xe
siècle (2e moitié)
XIe
siècle (1re moitié)
XIe
siècle (2e moitié)
siècle (fin) ou XIIe siècle (1re moitié) XIe
siècle (2e moitié) ou XIIIe siècle (début)
XIIe
{
Prah Kô Bakong Lolei Phnom Bakheng
Groupe de Rolûos
DATE DES INSCRIPTIONS
879 881 893 vers 900
Phnom Krom Phnom Bok Prasat Kravan Baksei Chamrong Groupe de Koh Ker Mébôn oriental Pré Rup Bantéay Srei Petit monument derrière Kléang nord Ta Keo Kléang nord et sud Phiméanakas Gopura du Palais Royal Baphûon Mébôn occidental Béng Méaléa Prah Palilay (sanctuaire) Santuaire central de Bakong (?) Prah Pithu (principaux éléments) Chau Say Tevoda Thommanon Bantéay Samrè Prah Khan de Kompong Svay (partie centrale) Angkor Vat Ta Prohm Bantéay Kdei Terrasse du Srah Srang Prah Khan d’Angkor Néak Péan Ta Som Ta Nei Bayon et remparts d’Angkor Thom, portes à visages et Prasat Chrung Terrasses de la Place Royale Prasat Suor Prat Bantéay Prei Prasat Prei Gopura de Prah Palilay
921 931 ± 950 952 961 967 ± 1000
± 1060
1re moitié du XIIe siècle 1186 1191
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attribuer la fondation au roi Jayavarman VII, à la fin du siècle. Cette découverte qui, en 1928, révolutionnait la chronologie en rajeunissant le Bayon de trois siècles et imputant ses imperfections non plus aux tâtonnements du début de l’art khmer mais aux relâchements de sa période de décadence, faisait disparaître bien des anomalies, tant dans le domaine de l’architecture et de l’ornementation qu’au point de vue religieux : la nouvelle théorie peut être considérée aujourd’hui comme généralement admise et paraît définitive. Victor Goloubew ne devait pas tarder d’ailleurs à lui apporter un appui décisif grâce à ses intéressantes recherches sur les capitales successives. Par une véritable intuition, il renonçait à chercher le « Mont Central » de l’inscription à l’intérieur d’Angkor Thom et fixait son attention sur le « temple-montagne » çivaïte du Phnom Bakheng, construit un peu plus au sud sur une colline naturelle. Les fouilles entreprises de 1931 à 1934 faisaient apparaître des vestiges d’enceintes, de gopura, de grandes chaussées axiales et de bassins symétriquement disposés, le tout encadré d’une double levée de terre en forme de carré parfaitement visible sur le terrain et les relevés topographiques. L’emplacement du premier Angkor se trouvait ainsi fixé, indépendant d’Angkor Thom et du Bayon de Jayavarman VII. D’autres fouilles, effectuées en 1936, ont amené M. Goloubew à émettre l’hypothèse de l’existence d’une capitale intermédiaire, datant peut-être du XIe siècle et centrée sur le Phiméanakas ou le Baphûon, sinon sur un premier état du Bayon : elle aurait eu pour limites des fossés à gradins de latérite entre deux levées de terre, suivant à une centaine de mètres le tracé des futurs remparts d’Angkor Thom : d’autres bassins-fossés ont été repérés de part et d’autre des voies principales, ainsi que des caniveaux et vestiges de portes, confirmant une fois de plus l’importance exceptionnelle que prenaient les travaux d’hydraulique chez les Khmers, pour qui l’eau constituait l’élément vital. XIIe
Chronologie d’après les styles C’est à Philippe Stern et à Mme de Coral-Rémusat que nous devons une nouvelle méthode de classification des monuments, basée sur le groupement par styles au moyen de l’étude analytique des thèmes de décoration. Bien qu’il soit nécessaire en ce domaine d’agir avec la plus grande prudence, en raison des fluctuations que peuvent apporter dans l’évolution naturelle d’un art des innovations tentées par le sculpteur, les influences extérieures et les réminiscences d’archaïsme, il semble que la méthode offre ici le maximum de garantie puisque l’artiste khmer ne pouvait pour ainsi dire jamais donner libre cours à son imagination ou à sa fantaisie. Conduisant leurs recherches en liaison intime avec les données de l’épigraphie, nos historiens de l’art rattachent
d’ailleurs tout leur système aux monuments déjà situés de façon précise dans le temps ; ces repères servent de contrôle, et en quelque sorte de canevas à l’étude minutieuse des divers éléments de l’ornementation : colonnettes et linteaux, pilastres et frontons, bas-reliefs et ronde-bosse. « Lorsque la décoration d’un ou de plusieurs monuments, nous dit Mme de Coral-Rémusat, offre des caractéristiques identiques à celles de la décoration d’un édifice daté, on est en droit de conclure que le ou les monuments en question sont approximativement contemporains de cet édifice ; ils sont évidemment antérieurs si leur décoration est moins évoluée, postérieurs si elle l’est davantage. » La filiation des monuments ainsi établie par Philippe Stern et Mme de Coral-Rémusat permet de dresser le tableau figurant en page 53. L’ŒUVRE DE L’ÉCOLE FRANÇAISE D’EXTRÊME-ORIENT Les premiers documents que nous possédions sur les monuments d’art khmer sont, nous l’avons vu, les récits de voyageurs chinois, et notamment de Tcheou Ta-Kouan à la fin du XIIIe siècle, c’est-à-dire avant leur abandon. Par la suite, les ruines d’Angkor ont été signalées à plusieurs reprises, à partir du XVIe siècle, par des commerçants et missionnaires venus d’Occident, mais ce ne fut que dans la seconde moitié du siècle dernier qu’elles commencèrent à fixer l’attention des archéologues et des savants. La relation de voyage du Père Bouillevaux en 1856, les descriptions enthousiastes du naturaliste Henri Mouhot découvrant Angkor Vat en 1860, ouvraient la voie à quelques voyageurs étrangers, tels que l’Allemand Bastian et les Anglais Thomson et Kennedy, puis aux missions officielles de Doudart de Lagrée, Francis Garnier et Delaporte ; ce dernier, rapportant en France quelques sculptures et moulages, les soumettait au grand public lors de l’Exposition de 1878. Parallèlement, le Hollandais Kern, puis Barth et Bergaigne déchiffraient les premières inscriptions sur pierre, tandis que Moura, Aymonier, Pavie, Fournereau et le général de Beylié, parmi tant d’autres, augmentaient considérablement le lot des connaissances acquises. Dès 1898, le Gouverneur général Paul Doumer décidait de coordonner tous ces efforts et de leur donner les directives scientifiques qui leur manquaient ; il fondait donc l’École française d’Extrême-Orient, placée sous le contrôle de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, avec mission d’étudier au point de vue historique, monumental et linguistique, les divers pays de l’Union Indochinoise, d’assurer la protection des sites archéologiques et de dresser l’inventaire des monuments. Sous la direction éclairée de Louis Finot et d’Alfred Foucher, Lunet de Lajonquière, Henri Parmentier, Dufour et Carpeaux s’attaquaient à l’exploration méthodique des édifices du Cambodge.
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Le traité de 1907, en assurant la rétrocession par le Siam des anciennes provinces perdues, permettait enfin de se consacrer résolument et avec fruit à la tâche essentielle : la mise au jour et le sauvetage des monuments de la région d’Angkor. Le premier « conservateur », Jean Commaille, mourait assassiné par des pirates en 1916, après huit années de travaux fructueux menés dans des conditions très dures ; Henri Marchal le remplaçait, suivi en 1932 de Georges Trouvé, disparu lui-même tragiquement en 1935, puis Jacques Lagisquet (1935-1936) et de Maurice Glaize. En même temps, Maître Aurousseau et George Cœdès, succédaient à Finot et à Foucher, avec Parmentier, Marchal et Claeys comme chefs du Service archéologique, tandis qu’en liaison intime avec l’École, Georges Groslier, directeur des Arts cambodgiens, Philippe Stern, conservateur adjoint du musée Guimet, et Mme de Coral-Rémusat faisaient profiter le monde savant de leurs recherches personnelles, à côté de Victor Goloubew, Paul Mus, Henri Mauger et Pierre Dupont. Jacques Lagisquet reprenait le poste de conservateur au départ de Maurice Glaize, en 1946, suivi de Henri Marchal qui l’assurait jusqu’en 1953. Jean Boisselier faisait fonction de conservateur adjoint, puis d’intérimaire. M. Laur, conservateur, continuait les travaux jusqu’en 1959. Une impulsion nouvelle était donnée par le directeur de l’EFEO, Louis Malleret, qui mettait tout en œuvre pour améliorer les méthodes de travail et venait, trois fois par
an, s’assurer de la bonne marche des travaux, au cours de la période de sa direction, de 1950 à 1956. L’EFEO étant dirigée par Jean Filliozat, le poste de conservateur d’Angkor fut confié à Bernard Ph. Groslier, qui continua les travaux avec l’aide de Guy Nafilyan et Jacques Dumarcay jusqu’en 1972, date à laquelle les événements les contraignaient d’abandonner leur poste, mettant fin à la présence française à Angkor. En 1980, l’activité a repris sur le site sous direction cambodgienne avec la collaboration d’une équipe indienne travaillant à Angkor en application d’un accord de coopération avec le gouvernement khmer. Actuellement, une action internationale est envisagée sous l’égide de l’UNESCO. Les méthodes de travail Le domaine archéologique d’Angkor offrait à l’École française d’Extrême-Orient un champ de travail pour ainsi dire illimité. Pendant près de cinq lustres, elle devait se borner à la rendre accessible, débroussaillant, dégageant les bases de ses temples des amoncellements d’humus et de décombres, enlevant et classant les éboulis, parant aux dangers les plus pressants par des mesures d’un caractère provisoire ; tâche colossale déjà puisqu’il s’agissait de rien moins que mater les forces dévorantes de la nature acharnée à détruire l’œuvre des hommes.
Fig. 6. Ancienne méthode de travail, consolidation par étais et liens (EFEO). Fig. 7. Nouvelle méthode de travail, reconstruction par anastylose (EFEO).
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La ruine en effet – sauf en de rares exceptions – n’était pas imputable à l’action brutale de conquérants ou de vandales. Les monuments khmers ont survécu à leur propre civilisation et n’ont péri que de mort lente après abandon, « à coups de siècles », sous l’effort inlassable d’une végétation qui cessait d’être domestiquée, lié à l’humidité du climat tropical comme aux dévastations des termites. Maintenir chaque monument strictement en l’état révélé par les travaux de dégagement, s’abstenir de toute reprise du gros œuvre comme de toute consolidation autre que visible, stabiliser seulement par des étais ou ceinturages aussi laids que précaires les affaissements ou faux aplombs susceptibles de provoquer l’écroulement des maçonneries intéressées ; telles étaient pendant longtemps les directives des maîtres responsables de l’archéologie indochinoise, effrayés par certaines initiatives audacieuses prises en France au XIXe siècle dans le domaine des restaurations de monuments. Sans doute cette méthode, créant de nouvelles possibilités d’étude des ruines, leur permettait-elle de livrer une partie de leurs secrets et de cesser d’être des choses mortes, grâce à la découverte des inscriptions, des basreliefs et des statues ; mais comment voir en ces vestiges disloqués et tronqués, même après dégagement et classement sommaire des éboulis, mieux que des indications, et n’y point sentir un appel à la reconstruction ? L’interprétation totale, celle qui, par la mise au jour et la patiente analyse de tous les éléments, mène à la synthèse architecturale, est la seule qui permette d’approfondir et d’épuiser le sujet ; elle est incompatible avec le chaos. La confusion, le délabrement des ruines interdisent trop souvent au chercheur d’aller au-delà de l’émotion ressentie par son cœur d’artiste ou de poète, tandis qu’en reconstituant un tout avec ses parties éparses, strictement sous la forme antique et par les seuls moyens techniques d’autrefois, il parvient à le faire revivre. Depuis longtemps déjà, en Grèce comme à Java, la méthode dite d’anastylose permettait de régénérer les monuments et de les rétablir en leur intégrité. « L’anastylose, nous dit Balanos, conservateur des monuments de l’Acropole d’Athènes, consiste dans le rétablissement ou relèvement d’un monument avec ses propres matériaux et selon les méthodes de construction propres à chacun. L’anastylose s’autorise de l’emploi discret et justifié de matériaux neufs en remplacement des pierres manquantes sans lesquelles on ne pourrait replacer les éléments antiques. » C’est un véritable « puzzle » dont les pièces du jeu pèsent plusieurs centaines de kilos, parfois des tonnes, et où le maître d’œuvre s’interdit toute réfection de sculpture, de mouluration et de décor, faisant abstraction complète de sa propre personnalité.
Une fois achevés les travaux de dégagement préliminaires, comportant l’enlèvement de toute végétation, les pans de murs encore debout sont démontés par assise, avec numérotage des blocs, puis reconstruits après nettoyage des joints et lits de pose, sous le contrôle de nombreux relevés et clichés photographiques. Parallèlement, les pierres retrouvées dans les déblais, donc provenant des parties hautes écroulées, sont rassemblées d’après leur secteur de chute naturelle, triées par catégories, puis réparties par étages ; ceux-ci sont donc successivement reconstitués au sol avec tous leurs éléments fondamentaux – portes et fausses portes, pilastres et piles d’angle, linteaux, frontons, socles et corniches –, les vides étant comblés par des blocs bruts taillés à la demande. Il ne reste plus qu’à procéder à la reconstruction, en complétant les garanties de sécurité données par la technique ancienne à l’aide de coulis de ciment invisibles dans le blocage intérieur des murs, et de crampons en fer assurant un chaînage correct. L’anastylose, qui convient admirablement à l’art khmer, exceptionnellement traditionaliste et immuable dans la répartition de ses éléments principaux, sans tendances individualistes chez le constructeur, fut introduite au Cambodge par Henri Marchal, au retour d’un voyage d’études à Java où il avait pu se rendre compte de l’excellence de la méthode. Celle-ci, appliquée par lui à Bantéay Srei à partir de 1931 et préconisée par M. Cœdès, a permis de reconstituer déjà dans le groupe d’Angkor le gopura du Prah Palilay, Néak Péan au milieu de ses bassins, les temples à peu près inconnus jusqu’alors de Bantéay Samrè et de Bakong, les Portes de la Victoire, nord et sud d’Angkor Thom – les deux premières précédées de leurs cordons de géants portant le nâga –, maints sanctuaires du Prah Khan, les tours croulantes et le massif central du Bayon, sauvés d’une ruine prochaine. Nous n’ignorons pas que certains, assoiffés de pittoresque et pour qui rien ne compte que le romantisme à gros effets symbolisé par la vision de quelque pan de mur s’affalant sous l’étreinte des racines, regrettent l’état ancien ; nous croyons rester davantage dans la tradition française en recherchant par l’anastylose la « vérité » d’un monument. C’est une œuvre de netteté, mais non de sécheresse, qui respecte partout le cadre de la brousse en faisant de chaque temple une clairière au milieu des bois. Nous laissons d’ailleurs à titre d’exemple quelques ensembles comme Ta Prohm « en l’état de nature » : mais, pour le reste, le côté spectaculaire ne peut primer chez l’archéologue toute autre préoccupation. Du sanctuaire reconstitué mais désert se dégage, selon l’imagination de chacun, autant de lyrisme que de mélancolie, et le travail accompli, d’une précision scientifique qui cadre parfaitement avec nos tendances actuelles, assure la mise en valeur de l’édifice sans nuire à son ambiance.
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Fig. 8. Carte présentant le site d’Angkor, équidistant entre le Phnom Kulên et le Grand Lac.
Note sur la collaboration de l’aéronautique indochinoise aux travaux de l’EFEO à Angkor Dès 1921, l’aéronautique indochinoise s’organisait sous l’impulsion du commandant Glaize. Le commandant Borzecki, le lieutenant Cassé, par leurs collections de clichés aériens, donnent aux archéologues une conception nouvelle des régions prospectées. Le chef du service archéologique, M. Claeys, bénéficie, bien avant la guerre, du même statut que le R.P. Poidebard en Syrie. Certains pilotes, comme le commandant Terrassu, apportent l’appoint de leurs propres observations.
Dans le groupe d’Angkor, les révélations de la photographie aérienne furent particulièrement fructueuses. L’identification des enceintes qui se superposent, les remaniements successifs et les traces de sites abandonnés permirent à V. Goloubew de situer l’emplacement de la première capitale au IXe siècle. Au Grand Prah Khan de Kompong Thom, à Sambor, l’avion a permis le relevé des enceintes, des alignements et des baray – qui donnent à l’archéologie khmère les qualités de composition, d’urbanisme –, des grands ensembles ordonnés suivant des axes et des principes astrologiques insoupçonnés avant l’observation aérienne.
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12. Angkor Vat, vu du sommet du Phnom Bakheng.
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DEUXIÈME PARTIE LES MONUMENTS
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Fig. 9. Carte du Groupe d’Angkor (nouvelle élaboration graphique par Daniela Blandino).
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ANGKOR VAT (La ville qui est un temple)
Date : première moitié du XIIe siècle Roi constructeur : Sûryavarman II (nom posthume : Paramavishnouloka) Culte : brahmanique (vishnouïte) Dégagement par Commaille de 1908 à 1911 De la terrasse même du Grand Hôtel de Siemréap, le groupe central d’Angkor Vat, constitué par un quinconce de tours, se silhouette dans le lointain par sa face latérale sud, à l’extrémité de la large percée rectiligne pratiquée dans la forêt. Que l’on arrive par la grande route directe (6 km de Siemréap) ou par l’ancienne route sinueuse (route Commaille) plus ombragée, ou longe d’abord le quart sud-ouest de la douve remplie d’eau pour accéder au monument par son entrée principale, la chaussée ouest, marquée par un splendide banian et continuée à gauche par la piste du champ d’aviation. Cette orientation à l’ouest, contraire à celle des autres monuments d’Angkor implantés face au soleil levant, n’a pas manqué de soulever maintes controverses, les uns y voyant une simple nécessité topographique, les autres des raisons d’ordre rituel.
13. Angkor Vat, façade ouest, aile sud, troisième enceinte.
Angkor Vat, formant un rectangle d’environ 1 500 m sur 1 300, couvre une superficie de près de 200 hectares en comprenant son encadrement de bassins-fossés larges de 190 m. À l’intérieur de ceux-ci, le mur d’enceinte enferme un espace de 1 025 m sur 800, soit 82 hectares : c’est le plus grand ensemble monumental du groupe d’Angkor. Construit au sud de la capitale (Angkor Thom), Angkor Vat se trouvait compris dans le quart sud-est de l’ancienne ville d’Angkor, Yaçodharapura, édifiée par Yaçovarman I et centrée sur le Phnom Bakheng ; cette ville s’étendait entre la rivière de Siemréap à l’est et la digue du Baray à l’ouest. Le temple pouvait donc à volonté se placer de part ou d’autre de la grande voie d’accès à Angkor Thom, et, si l’on s’en tient aux arguments topographiques, seules les facilités de transport par eau des pierres venant des carrières du Phnom Kulên, données par la proximité de la rivière, pouvaient plaider en faveur de l’orientation à l’ouest ; cette raison ne paraît pas suffisante pour qu’on ait décidé de passer outre à la tradition. Il est donc probable que c’est la destination même du monument qui a décidé de son orientation inhabituelle, pour obéir à des rites spéciaux. Grâce aux recherches de
Fig. 10. Angkor Vat, plan général.
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MM. Finot, Cœdès et Przyluski et du docteur Bosch, chef du Service archéologique des Indes néerlandaises, il semble prouvé qu’Angkor Vat est un temple funéraire et, de plus, le seul exemple de temple funéraire construit de son vivant par le roi fondateur – en l’espèce Sûryavarman II – pour y être divinisé et pour qu’y soient sans doute déposées ses propres cendres. L’orientation à l’ouest est, d’après le docteur Bosch, celle des monuments funéraires indo-javanais, en opposition à celle des sanctuaires dédiés aux divinités, et, dans le rituel brahmanique, le rite funéraire s’accomplit à l’inverse de l’ordre normal : or, à Angkor Vat, dans les galeries à bas-reliefs représentant des défilés, la procession rituelle se fait non point comme de coutume selon le cours du soleil (« pradakshinâ »), en gardant le monument à sa droite, mais en sens inverse selon le « prasavya ». Enfin, en faisant d’Angkor Vat une fondation vishnouïte en s’identifiant non plus à Çiva sous forme du lingâ royal comme ses prédécesseurs mais à Vishnou dont l’association quasi-constante avec l’ouest a été signalée par M. Cœdès, Sûryavarman II devait tout naturellement adopter cette nouvelle orientation. La « tombe de Lou Pan » qu’à la fin du XIIIe siècle, le voyageur chinois Tcheou Ta-Kouan place au sud de la capitale et donne comme mesurant dix « lï » de tour, paraît pouvoir être identifiée avec Angkor Vat, ce qui préciserait dès cette époque son caractère de temple funéraire. Par ailleurs, la légende cambodgienne de Prah Ket Mâlâ fait d’Angkor Vat un palais identique au « ciel des TrenteTrois », élevé par l’architecte céleste Viçvakarman sur l’ordre d’Indra pour un prince que ce dieu avait appelé à lui, puis renvoyé sur la terre vivre une seconde vie ; ce qui signifierait, d’après l’interprétation de M. Cœdès, qu’Angkor Vat fut construit pour servir de demeure à un prince défunt divinisé après sa mort. Description Angkor Vat, isolé de la forêt par ses douves, était, de tous les monuments du groupe, le mieux placé pour échapper à l’envahissement par la grande végétation, et par suite à la ruine. Resté de tout temps un lieu de pèlerinage pour les Khmers, il n’a cessé d’ailleurs d’abriter à l’intérieur de son enceinte, après l’instauration du bouddhisme du Petit Véhicule, des pagodes qui, masquant en partie la façade principale, ont dû être déplacées de façon à ne plus gâter la perspective. Il a fallu effectuer d’importants travaux de débroussaillement, évacuer des cubes énormes de terre amoncelée, et, bien que les bâtiments fussent relativement en bon état, procéder à
de nombreuses consolidations de détail et aussi à la remise en ordre de la grande chaussée axiale. Si Angkor Vat est, de tous les édifices, le plus vaste et le mieux conservé, c’est également le plus imposant et celui qui, de beaucoup, l’emporte par son caractère de grande composition architecturale, comparable aux plus belles créations humaines du monde entier. Par son plan parfaitement affirmé et équilibré, par l’harmonie de ses proportions et la pureté de ses lignes, d’une sobriété qui se rencontre rarement chez les Khmers, par le soin tout particulier apporté à sa construction, il mérite d’être placé à l’apogée d’un art qui, parfois, surprend par sa complexité et ses habitudes de bâclage. Ce temple est celui qui se rapproche le plus de notre conception latine, basée sur l’unité et l’ordre classique nés de la symétrie par rapport à des axes franchement accusés : Angkor Vat est une œuvre de puissance et de raison. Dès 1866, l’Anglais Thomson voyait dans Angkor Vat le symbole du Mont Meru, centre de l’univers. Selon lui, nous signale Mme de Coral-Rémusat, les sept cercles de la tour centrale correspondraient aux sept cercles de rochers du Mont Meru, les trois terrasses du temple aux trois plateformes de terre, d’eau et de vent sur lesquelles repose la montagne cosmique, et le fossé rempli d’eau à l’Océan. Le plan est le seul qui, adoptant une solution mixte, soit parvenu à concilier les deux formules de la pyramide à gradins et du temple de plain-pied formant cloître, étiré selon l’axe est-ouest. Angkor Vat est, en effet, une pyramide à trois gradins, chaque étage étant limité par des galeries à quatre gopuras et tour d’angle ; la terrasse supérieure est carrée, formant quinconce de tours, et les deux autres, concentriques sur trois de leurs faces, deviennent rectangulaires par un allongement vers l’ouest. Les deux esplanades ainsi créées ont permis d’édifier au deuxième étage deux bâtiments de « bibliothèques » et deux autres plus monumentales au premier, flanquant un cloître divisé par des galeries en croix. Les douves Les douves encadrant l’enceinte extérieure du monument (quatrième enceinte en partant du centre), bordées de gradins et d’une margelle moulurée, ont un développement de 5,5 km sur leur pourtour. Elles sont interrompues seulement sur deux axes : à l’est, par une simple levée de terre qui a pu servir autrefois à amener à pied d’œuvre les matériaux venant par la rivière ; à l’ouest, par une chaussée dallée de grès, de 200 m de long et 12 m
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Fig. 11. Angkor Vat, partie centrale.
de large, dont le parement s’ornait de colonnes dégagées portant un encorbellement ; quelques-unes restent visibles, notamment au droit des deux perrons latéraux donnant accès au plan d’eau. Du côté de la route, une terrasse cruciforme surélevée de quelques marches et ornée de lions précédait la chaussée, toutes deux étant bordées de nâgas balustrades. L’enceinte extérieure L’enceinte du temple, faite d’un haut mur en latérite séparé de la douve par une berme d’une trentaine de mètres de largeur, était coupée dans l’axe par un long portique de 235 m composé d’un gopura à trois corps fait d’éléments cruciformes, de deux pavillons d’extrémité servant de passage de plain-pied aux éléphants, et de galeries de jonction. Tandis que les passages extrêmes, fermés vers les galeries par des fausses portes richement décorées, sont à croisée de nefs et pignons, les trois corps du gopura, à libre circulation, sont couronnés de trois tours malheureusement tronquées, la plupart des étages supérieurs à
retraits successifs s’étant écroulés. Les galeries, fermées vers le monument par un mur plein sobrement orné d’une corniche et d’une frise basse d’apsaras sur motifs « en tapisseries », étaient fort étroites (2,20 m) et limitées vers l’extérieur par une rangée de piliers carrés bordée d’un bas-côté à demi-voûte également sur piliers, mais dont il ne reste que quelques vestiges : sa disparition, supprimant une des composantes horizontales, fausse complètement la proportion. L’ensemble, vu de front, sert en quelque sorte d’écran masquant jusqu’au dernier moment à la vue du pèlerin le monument proprement dit, dont il reproduit en géométral la silhouette générale. C’est l’exposition du même thème qui sera développé par la suite avec toutes les modulations qu’il comporte, du mineur au majeur et sans dissonances ; il s’agissait de créer un état d’âme et de doser les effets, et la réussite en ce sens est complète. Dans l’axe, le vestibule occidental, flanqué du côté nord d’un superbe nâga, révèle d’emblée les qualités exceptionnelles des sculptures ornementales d’Angkor Vat ; les
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chapiteaux des piliers et l’architrave sont d’une pureté de profils qui les a fait comparer à l’art grec, et les pilastres, comme le linteau – mieux conservé d’ailleurs sous le porche oriental – sont d’une remarquable finesse. La façade est des galeries confirme cette impression de quasi perfection ; les fausses fenêtres à balustres tournés, surmontées d’une frise de figurines montées sur toutes sortes d’animaux, encadrent sur un fond de décor des devatâs isolées ou par groupes de deux ou trois qui, admirablement conservées, peuvent compter parmi les plus belles du monument. Nous ne ferons que mentionner les gopuras de quatrième enceinte des trois axes secondaires, généralement peu visités mais nullement méprisables ; d’excellente proportion mais restés inachevés, surtout à l’intérieur, ils sont de forme oblongue à croisée de nefs avec bas-côtés et beaucoup moins développés qu’à l’ouest. On y parvient par des sentiers ménagés dans la brousse au droit du sanctuaire central, et la vue du gopura nord sur les douves et la colline du Phnom Bakheng est ravissante. Le monument Plongé dans la pénombre du gopura ouest, le visiteur voit surgir en pleine lumière dans l’encadrement de la porte la perspective incomparable et désormais célèbre dans le monde entier d’Angkor Vat et de sa chaussée. Celle-ci, longue de 350 m et large de 9,40 m hors œuvre, établie en remblai, laisse un passage de 8 m dominant d’un mètre cinquante le sol naturel. Dallée et parementée de grès, elle est bordée de nâgas balustrades sur dés qui, sous le soleil, la frangent d’un jeu d’ombre et de lumière ; de part et d’autre, six perrons formant redent viennent en rompre la monotonie, avec déploiement des têtes de nâgas. Vers le milieu, se faisant vis-à-vis, s’élèvent deux élégantes constructions en longueur, généralement qualifiées de « bibliothèques ». Leur situation dans la partie du temple accessible aux fidèles, leur proportion assez basse comme l’existence de quatre porches monumentaux donnant accès à la grande nef à piliers largement éclairée par de nombreuses fenêtres à balustres, les différencient nettement du type habituel de ce genre de bâtiments ; nous y verrions volontiers des salles publiques de réunion telles qu’il s’en trouve dans l’enceinte des pagodes modernes. La chaussée passe ensuite entre deux bassins carrés : seul celui du nord, qui a gardé son entourage de pierre, est toujours rempli d’eau, et, si l’on se place à son angle nord-ouest, la vue sur le monument qui s’y reflète en entier est de toute beauté. Le temple lui-même se présente en surélévation sur une
vaste terrasse pourtournante qui, avec ses herbages ponctués de palmiers à sucre et largement ombragés par de superbes manguiers, garde toute sa fraîcheur. L’entrée principale est précédée d’une haute terrasse à deux niveaux, de plan cruciforme, dit « Terrasse d’honneur », où se donnaient sans doute les danses rituelles et qui, à l’occasion des fêtes et défilés, servait de tribune au souverain ; sa corniche en encorbellement, reposant sur des colonnes, portait un nâga balustrade. Au-delà, c’est la longue composante horizontale du premier gradin de la pyramide à trois étages ceinturés de galeries. Celles-ci, très étroites et s’étirant sur plus de 1 400 m de longueur totale, formaient une succession de cadres rigides au sanctuaire central, où la cella du dieu ne dépassait pas 5 m de côté. L’absence dans une composition de cette ampleur de tout local d’importance est une des caractéristiques de cette architecture, et les perspectives créées de la sorte nous paraissent parfois quelque peu artificielles ; l’effet n’en reste pas moins grandiose grâce au respect du principe d’unité. La galerie de base – la célèbre galerie des bas-reliefs –, accessible à la masse des fidèles et d’un développement de 187 m sur 215, se présente par son petit côté ; son gopura à trois corps est relié aux pavillons d’angle à croisée de nefs, également munis de perrons, par un passage voûté de forme ogivale de 2,45 m de largeur, à paroi pleine vers le temple et piliers vers l’extérieur, doublé d’un bas-côté à demi-voûte également sur piliers. La grisaille des toitures de pierre superposées, striées en imitation de tuiles à canaux et soutenues par les traits de lumière des piliers, coiffe de deux lignes calmes et continues l’ombre vibrante des travées. Au-dessus se silhouettent les tours d’angle, malheureusement tronquées, de la deuxième enceinte, puis celles du groupe central – ces tours si particulières d’Angkor Vat, paraissant arrondies en ogive comme des tiares grâce à leurs multiples redents, plus élancées que partout ailleurs par le développement extrême du motif de couronnement, dont les trois rangs de pétales de lotus s’ajoutent aux quatre étages en retrait des prasat de type courant, dentelées enfin à chaque ressaut de corniche de stèles et d’acrotères. La galerie de deuxième enceinte, de 100 m sur 115, se trouve réunie à la précédente du côté ouest par un dispositif particulièrement heureux de préau en croix, comme à Beng Méaléa, temple de même style, fait de passages couverts joignant les deux gopuras à trois corps et d’un autre passage transversal ; l’ensemble se trouve placé ici à hauteur intermédiaire entre le premier et le deuxième étage de la pyramide, et la nécessité de gagner à l’abri le niveau
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14. Angkor Vat, façade ouest.
le plus élevé a inspiré à l’architecte l’idée de faire ressauter trois fois ses galeries au droit des emmarchements, avec accompagnement de pignons traités en frontons. C’est une forme supérieure de dynamisme architectural, d’une légèreté qui donne à la construction quelque chose d’aérien. Tandis que les deux galeries extrêmes nord et sud, larges de 2,90 m, sont fermées sur l’extérieur, avec double rangée de piliers sur la cour, les deux branches de la croix, plus développées, sont à nef centrale de 3,15 m de largeur et double bas-côté donnant 7,70 m hors œuvre. Les surfaces restées libres se creusent en quatre fosses à soubassement richement orné et perron unique, où l’on voit tantôt des bassins, tantôt de simples cours en contrebas ; nous pensons pour notre part, étant donné l’absence des gradins formant les parois habituelles des bassins et la présence des sculptures, que, s’il existait un plan d’eau, il ne devait point dépasser la haute marche correspondant à l’assise de base, laissé brute comme le dallage. Les voûtes principales du préau en croix étant, comme partout, masquées par un plafond de bois sculpté à rosaces de lotus épanouis, dont il a été trouvé en place quelques éléments, ce décor se continuait en pierre sur les demi-voûtes laissées apparentes, rehaussé de peintures éclatantes et de dorures comme tout l’ensemble de la décoration ; entablement à frise d’apsaras sous corniche, étrésillons, tympans à scènes des frontons – on y reconnaît entre autres les légendes vishnouïtes du « Barattement de l’Océan » et du « Sommeil du dieu sur le serpent Ananta » –, motifs de base des piliers avec ascètes en prière. Dès cet endroit le visiteur peut se faire une idée du style de cette ornementation de la période classique de l’art khmer, avec ses souriantes devatâs, ses balustres de fenêtre ouvragés comme du bois, ses élégants décors à fleur de pierre d’une discrétion raffinée qui, échappant au danger des ombres trop fortes, animent les murs sans les défoncer. Pénétrant par le passage axial du préau en croix, nous conseillons – après un coup d’œil à droite sur le « Prah Péan » (mille Bouddhas) où avaient été rassemblées diverses statues, dont un grand nombre ont été mutilées entre 1975 et 1980 et d’autres envoyées au musée de Phnom Penh – de suivre la branche nord de la galerie transversale, de sortir par la porte située à son extrémité – sans omettre de se frapper la poitrine au passage, selon le rite du parfait touriste, pour constater l’étrange résonance de son vestibule – et de visiter la « bibliothèque » haut perchée, plus facilement accessible que sa symétrique du côté sud ; on y jouit d’une très belle vue sur les étages supérieurs de la pyramide.
La large cour pourtournante entre la deuxième et la troisième enceinte est d’un aspect sévère, ses longues façades n’étant garnies que de fausses baies en sus des onze perrons de ses gopuras et des tours d’angle. Ses deux « bibliothèques », très développées en longueur et munies, comme dans l’enceinte extérieure, de quatre portes, mais avec seulement deux porches, sont au contraire largement éclairées par des fenêtres à balustres sur les bas-côtés de la grande nef. Revenant à la galerie nord du préau en croix, où l’on a placé dans sa partie ouest une stèle inscrite trouvée vers la brousse et postérieure à la fondation du temple, on peut, tournant de suite à gauche, gagner le deuxième étage par un escalier dont les marches remaniées sont moins glissantes qu’en la galerie axiale. La galerie de deuxième enceinte, d’une largeur de 2,45 m, est à mur plein vers l’extérieur et fenêtres à balustres sur la cour. La pauvreté relative de ses façades, due à l’absence de tout bas-côté, est rachetée par la présence d’innombrables devatâs sculptées en basrelief et dont les coiffures complexes et les parures sont d’une extraordinaire variété. Du pied de la tour d’angle nord-ouest lorsque le soleil est à son déclin, et de l’angle nord-est le matin ou par les soirs de clair de lune, la vue sur le groupe central laisse une impression inoubliable. L’énorme soubassement à deux étages, haut de 13 m, coupé par des cascades de marches dont les quelque 70° de pente, à une seule volée, saillissent à peine sur les alignements de base, est à plan carré comme son quinconce de tours de 60 m de côté, fretté de galeries à gopuras d’axe précédées de porches à piliers. Seules de tout le temple, ces galeries sont ajourées sur les deux faces, percées de fenêtres à balustres d’une part et du double rang de piliers d’un bas-côté de l’autre. Au centre, la tour-sanctuaire, haute de 42 m, s’étayant des quatre renforts de sa croix à double vestibule, pointe à 65 m de la chaussée de départ : c’est la ruée vers le ciel, dans un pétillement de lumière. Faisant le tour de la cour du deuxième étage, on peut admirer certains frontons intacts de la galerie pourtournante, notamment ceux de la porte orientale de la galerie nord et de la porte médiane de la galerie sud, puis – malheureusement de fort loin – ceux des tours d’angle du groupe central, dont les mieux conservés sont au nordest, représentant des scènes de bataille. Sur la face ouest, deux petites « bibliothèques », toujours à quatre portes mais aux fenêtres murées, flanquent l’axe, communiquant de plain-pied par une chaussée en croix supportée par des colonnettes. L’escalier d’accès au troisième étage est ici
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15. Angkor Vat, façade ouest. 16. Angkor Vat, porche central (façade sud), façade ouest, troisième enceinte.
moins raide que les onze autres (environ 50° de pente), mais les personnes sujettes au vertige préfèrent utiliser l’escalier axial sud, où de fausses marches en béton et une rampe en fer rendent l’ascension – et surtout la descente – plus aisées. Au dernier étage, séparé comme le préau en croix en quatre courettes par des galeries axiales à nef de 2,40 m de largeur et double bas-côté, la galerie pourtournante n’a que 2 m. Nous conseillons de la parcourir en entier, tant pour jouir de la vue plongeante sur les toitures successives – malheureusement dépourvues de leurs épis de faîtage, dont aucun n’a été retrouvé intact –, la campagne environnante et la grande chaussée d’arrivée, que sur le groupe central. La nécessité de faire nettement dominer la tour-sanctuaire malgré l’exiguïté de son plan a conduit le constructeur à engraisser celui-ci sur chaque axe de deux porches successifs, dont les superstructures ressautent comme celles des motifs d’escaliers du plan en croix : leurs corniches, comme leurs bas-côtés à demi-voûte, correspondent à autant de coupures horizontales sur les piles d’angle du corps principal, dont l’étirement en hauteur serait sans cela tout à fait disproportionné. Quelques vestiges de sculptures d’excellente facture et très grands d’échelle, subsistent sur les frontons, et des traces d’enduit demeurées dans certains creux laissent supposer que l’ensemble de la tour était peint ou doré. Le sanctuaire était ouvert sur les quatre faces : les moines bouddhistes en prenant possession du temple, en ont muré les baies après avoir expulsé l’idole brahmanique, et sculpté les fausses portes de bouddhas debout. L’entrée sud, ouverte par Commaille en 1908, est restée libre depuis, permettant en 1934 à Georges Trouvé d’accéder au puits central ; celui-ci, creusé en plein sable jusqu’à 25 m de profondeur – niveau correspondant au sol de l’enceinte extérieure du monument – n’a malheureusement pas permis de retrouver le trésor placé sous le piédestal et sans doute pillé depuis longtemps, mais a fait découvrir, à 23 m, le dépôt sacré de fondation, composé de deux feuilles d’or circulaires de 0,18 m de diamètre et 65 g de poids, enchâssées dans un bloc de latérite. Il est à remarquer, pour en finir avec l’étage supérieur, que les bonzes y ont exécuté quelques travaux de réparation regrettables, remplaçant notamment certains piliers ou linteaux disparus par des colonnes provenant d’autres parties du monument.
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17. Angkor Vat, gopura ouest avant les douves (façade ouest).
18. « Nâga balustrade », extrémité de la chaussée ouest.
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19. Angkor Vat, angle d’un des quatre cloîtres, troisième étage.
20. Angkor Vat, sanctuaire central.
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21. Angkor Vat, fronton, face intérieure d’une des portes, galerie du deuxième étage.
22. Angkor Vat, sanctuaire central.
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23. Angkor Vat, bataille de Kuruksetra (détail), épisode du Mahâbhârata, troisième enceinte, galerie ouest, aile sud.
Les bas-reliefs Les bas-reliefs qui, sur 2 m de hauteur et un kilomètre carré de surface totale sans compter deux pavillons d’angle, tapissent le mur de fond de la galerie de troisième enceinte, limite de la zone accessible au public, représentaient des scènes légendaires et historiques pour l’édification des fidèles. Exécutés en taille directe avec des défoncements minimes, ils étaient l’œuvre d’imagiers plutôt que de sculpteurs. Leur facture assez inégale – excellente tant que l’artiste procède par plans bien accusés sans tendances à la ronde-bosse, médiocre lorsque la recherche exagérée du modelé le conduit à ce « style rondouillard et mollet », dont parle Paul Claudel – est due sans aucun doute à des différences de main-d’œuvre. Le visiteur pressé se contentera de parcourir les galeries situées au sud de l’axe principal du monument, et le complément de sa galerie occidentale jusqu’au pavillon d’angle nordouest, particulièrement remarquable. Par contre, le quart nord-est, sans trahir de négligences particulières dans la composition, est d’une exécution bâclée, et M. Goloubew, par la nature de certains motifs, y soupçonne l’intervention de praticiens chinois chargés à une époque tardive de dégrossir un travail préalablement ébauché. L’ordonnance des panneaux révèle par ailleurs deux conceptions différentes : les uns, à composition unique, représentent dans un véritable foisonnement de personnages toutes les phases de combats effrénés ; les autres, sans doute légèrement postérieurs, d’un style beaucoup plus contenu, sont disposés par registres superposés selon la formule qui devait prévaloir dans la seconde moitié du XIIe siècle. Presque tous ont été identifiés par M. Cœdès, et nous les parcourrons selon le sens imposé par le rite funéraire du « prasavya » mais en partant au plus près de l’entrée ouest vers le sud, et non point de l’est vers le nord selon les savantes conjectures du docteur Bosch, basées sur le cours des événements qui ont marqué le règne du souverain divinisé. Tous les sujets traités se rattachent à la légende de Vishnou. Galerie occidentale, partie sud Bataille de Kuruksetra entre les Kauravas (à gauche) et les Pandavas (à droite), tirée du Mahâbhârata, l’une des grandes épopées hindoues, dont elle occupe quatre chants. La composition, d’une seule venue, est calée à la base aux deux extrémités, par un défilé, où se distinguent quelques musiciens, des soldats à pied surmontés de guerriers
marchant au combat, leurs chefs portés par des éléphants ou des chars tirés par des chevaux. Ce n’est qu’au centre que la lutte prend les allures d’une mêlée furieuse, où certains détails – tel un cheval blessé s’écroulant percé de flèches – sont traités avec un réalisme saisissant. On peut identifier de façon certaine : à gauche, Bhisma, chef de l’armée des Kauravas, mourant percé de flèches, et Drona, coiffé non plus du mukuta conique des devas et des héros, mais du classique chignon des brahmanes ; à droite, Arjuna, dont l’écuyer à quatre bras n’est autre que Krishna. On remarquera que, par endroits, le frottement des mains des autochtones ou quelques traces d’anciens laquages donnent à la pierre un aspect de bronze ou de granit poli accusant merveilleusement tous les reliefs. Pavillon d’angle sud-ouest Les quatre branches de la croix sont ornées de scènes sculptées, malheureusement rongées par endroits par les infiltrations dues au manque d’étanchéité des voûtes. 1. Au-dessus de la porte nord – Scène du Râmâyana : Râma tue la gazelle enchantée Marica destinée à faciliter l’enlèvement de Sîtâ par Râvana. 2. Branche nord, paroi est – Krishna, accompagné de Balarama, soulève de son bras droit tendu le mont Govardhana (représenté conventionnellement par des petits losanges accolés) pour abriter les bergers et leurs troupeaux de l’orage déchaîné par la fureur d’Indra. 3. Branche nord, paroi ouest (au-dessus de la baie) – Scène de la légende de Vishnou ; le Barattement de la Mer de lait, d’où devait sortir l’amrita, liqueur d’immortalité que se disputaient les dieux et les démons. À la partie supérieure, les deux disques contenant une figurine représentent le soleil et la lune. 4. Branche ouest, paroi nord (au-dessus de la baie) – Râvana, prenant la forme d’un caméléon, s’introduit dans l’appartement des femmes du palais d’Indra. 5. Au-dessus de la porte ouest – Krishna enfant, entraînant le lourd mortier de pierre auquel l’avait attaché sa mère adoptive Yaçoda, renverse au passage les deux arbres arjuna. 6. Branche ouest, paroi sud (au-dessus de la baie) – Râvana, à têtes et bras multiples, cherche à ébranler la montagne où trônent Çiva et Umâ, son épouse. 7. Branche sud, paroi ouest (au-dessus de la baie) – Çiva, méditant au sommet d’une montagne avec Umâ à ses côtés, est visé par Kâma, dieu de l’amour, qui lui décoche sa flèche de canne à sucre : le dieu, furieux d’être
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Pages précédentes : 24. Angkor Vat, bataille de Lankâ (détail), troisième enceinte, galerie ouest, aile nord.
troublé, foudroie l’imprudent, qui meurt dans les bras de son épouse Rati. 8. Au-dessus de la porte sud – Meurtre de Pralamba (?) et extinction d’un incendie par Krishna. 9. Branche sud, paroi est (au-dessus de la baie) – Scène du Râmâyana. En haut, duel entre les deux frères ennemis Vâlin et Sugrîva, rois des singes : Râma, intervenant dans le combat, assure la victoire de son allié en tuant Vâlin d’une flèche. En bas, mort de Vâlin dans les bras de son épouse Tarâ, coiffée d’un mukuta à trois pointes. Le panneau contigu à la fenêtre et montrant sur plusieurs registres les singes pleurant Vâlin est remarquable par la variété des attitudes et des expressions. 10. Branche est, paroi sud (au-dessus de la baie) – Panneau très ruiné non identifié ; on y distingue au centre un personnage assis s’entretenant avec plusieurs autres audessus de figures d’ascètes. 11. Au-dessus de la porte est – Krishna recevant les offrandes destinées à Indra (?). 12. Branche est, paroi nord – Fête nautique où l’on voit deux jonques superposées surmontées d’apsaras. L’embarcation supérieure porte des joueurs d’échecs, celle du bas des personnages jouant avec des enfants. À droite, un combat de coqs. Galerie sud, partie occidentale C’est la « galerie historique », où se trouve un seul panneau de 90 m de long consacré au roi Sûryavarman II, constructeur d’Angkor Vat, divinisé sous le nom de Paramavishnouloka. La partie de gauche commence sur deux registres : en haut, l’audience royale, jusqu’au trône du souverain, installé sur le mont Çivapâda et reconnaissable à sa grande taille et à la dorure – d’ailleurs de date – qui le recouvre ; en bas, le défilé des dames du palais. Au-delà, c’est le rassemblement de l’armée : les chefs, descendant du registre supérieur, rejoignent leurs troupes, qui passent à la base, fantassins mêlés de cavaliers représentés de front en une sorte de perspective rudimentaire. Tous ces chefs, dont le grade est marqué par le nombre de parasols qui les entourent, se détachent sur un fond de verdure et ont pu être identifiés grâce à 23 petites inscriptions gravées à leur côté. Debout sur des éléphants à la trompe enroulée ou dressée, ils encadrent le roi Paramavishnouloka – le douzième en partant de la gauche – d’une taille supérieure, coiffé du mukuta conique et du diadème, et atteignant de ses 15 parasols le bord supérieur du panneau ; il est armé d’une sorte de lame
25. Angkor Vat, bataille de Lankâ (détail), troisième enceinte, galerie ouest, aile nord. 26. Angkor Vat, Barattage de la Mer de lait (détail), troisième enceinte, galerie est, aile sud.
à manche courbe semblable au « coupe-coupe » des Cambodgiens d’aujourd’hui. Un peu plus loin, le défilé de base perd son caractère militaire pour faire place à un cortège religieux de brahmanes à chignon agitant des clochettes ; c’est la procession du râjahotar ou sacrificateur royal, que l’on voit porté dans un palanquin derrière l’arche contenant le feu sacré, précédée elle-même de musiciens, de porteurs d’étendard et de bouffons. Le défilé reprend ensuite, terminé à l’extrême droite par les Siamois, alors alliés des Khmers, que leur costume étrange – jupes à pendeloques et coiffures garnies de plumes – leur donnant une allure de guerriers océaniens, a fait prendre longtemps pour des « sauvages ». Galerie sud, partie orientale Pour ce panneau, long de 60 m, consacré sur trois registres au jugement des morts par Yama, puis sur deux registres à la représentation des cieux et des enfers, on est encore guidé par de courtes inscriptions, au nombre de 36, dont il ressort qu’il existait 32 enfers et 37 cieux, ces derniers restant d’ailleurs assez dépourvus d’attraits et d’une décourageante monotonie : ce ne sont que palais aériens où les élus, entourés de leurs serviteurs, mènent une existence toute de loisirs dont les joies restent singulièrement « terre à terre ». Les supplices, beaucoup plus variés, étaient par ailleurs passagers, les religions hindoues ne connaissant pas la damnation éternelle, et il est bon de remarquer que les bourreaux, généralement de grande taille, assistés de bêtes féroces, étaient eux-mêmes des damnés. Partant de la gauche, ce sont en haut les deux chemins menant aux cieux, puis en bas le chemin des enfers ; Yama, le juge suprême aux multiples bras, monté sur un buffle, désigne à ses deux assesseurs, les greffiers Dharma et Citragupta, ceux qui doivent, par une trappe, être envoyés aux supplices, parfois d’une cruauté raffinée qui nous paraît disproportionnée avec l’importance des crimes commis. C’est ainsi que les gens qui ont dégradé le bien d’autrui ont les os brisés, que les gourmands sont sciés en deux, que les voleurs de riz sont affligés d’un ventre énorme de fer rougi, que ceux qui ont cueilli des fleurs dans les jardins de Çiva ont la tête lardée de clous, que les voleurs connaissent les atrocités du froid… Séparant les enfers des riches palais des élus, aux draperies somptueuses et survolés par de délicieuses apsaras, court, tout du long de la composition, une frise de garudas en atlantes.
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Galerie orientale, partie sud C’est, tirée du Bhâgavata Pourâna, la grande scène, universellement connue et tant de fois représentée dans l’art khmer, du Barattement de la Mer de lait. Ce panneau à registres, qui s’étend sur près de 50 m avec un axe de symétrie, est, par ce fait même, beaucoup plus stylisé que les autres, les personnages ayant tous la même attitude dans leur effort de traction rythmée. Du barattement devait sortir l’amrita, liqueur d’immortalité, que se disputaient les dieux (devas) et les démons (asuras). Reposant sur la tortue – un des avatars de Vishnou –, le mont Mandara sert de pivot, la corde étant représentée par le serpent Vâsuki, dont les asuras tiennent la tête et les devas la queue. Sur le bas-relief, les asuras, à gauche, sont au nombre de 92, coiffés d’une sorte de casque, et les devas, à droite, 88, portant le diadème à mukuta ; ils sont dirigés respectivement par trois personnages plus grands d’échelle et qui rompent heureusement la monotonie, dont, à l’extrême droite, le singe Hanuman, allié des dieux. Vishnou, représenté une nouvelle fois, mais sous sa forme humaine de Caturbhuja, préside à l’opération qui, d’après la légende, dura plus de mille années : successivement apparaîtront des centaines d’êtres divers tels que l’éléphant blanc Aîrâvana, monture d’Indra, le cheval Uccaihçravas, la foule innombrable des délicieuses apsaras (courant ici en frise sur toute la longueur du panneau), Lakshmî, déesse de la beauté. Puis le serpent vomira le hâlâhala, venin mortel qui couvre les flots, risquant d’anéantir dieux et démons, principalement ceux-ci, placés du côté de la tête ; à la demande de Brahmâ, Çiva se dévouera et boira le poison brûlant, qui le marque à la gorge d’une trace indélébile. Sur la fin jaillira l’amrita, dont s’empareront les asuras ; mais Vishnou, leur apparaissant sous la forme de Mâvâ (l’Illusion), d’une ensorcelante beauté, parviendra à se faire restituer la coupe tant convoitée. Sur le bas-relief, où toute cette phase n’est point relatée, on voit encore à la base, encadrée par deux registres de gardes et de serviteurs attendant près des chars, éléphants et chevaux des acteurs du drame, une réplique du serpent Vâsuki rampant au fond de la mer avant de servir au barattement ; il est entouré de toutes les sortes de poissons et de monstres marins qui, près du pivot, sont happés et déchirés par le tourbillonnement des flots. Galerie orientale, partie nord On remarquera sur le mur, en traversant le gopura est, une grande inscription, de date d’ailleurs récente (début du XVIIe siècle), relatant l’érection d’un monument funéraire
ou « chedei » que l’on voit encore, à demi-ruiné, à l’extérieur de la galerie. Le panneau de bas-reliefs de celle-ci est d’exécution fort médiocre et, comportant un axe de symétrie, représente la victoire de Vishnou sur les asuras. Des deux côtés, sur deux registres à peine marqués, l’armée de ces derniers se dirige vers le centre où, monté sur les épaules de Garuda, le dieu à quatre bras, la face tournée vers le sud, met en fuite ses ennemis après en avoir fait un terrible carnage. Tous les guerriers ont le visage caractéristique des démons, le même casque à cimier, et l’on remarquera, légèrement à droite du motif central, un groupe curieusement monté sur des oiseaux géants. Galerie nord, partie orientale C’est ici, en une mêlée confuse encadrée par des défilés d’armées. la victoire de Krishna sur l’asura Bâna, où la gaucherie de l’exécution atteint son maximum. On y voit successivement, de gauche à droite, monté sur Garuda, Krishna à huit bras et têtes étagées encadré de deux héros ; Garuda éteignant la muraille de flammes qui protège la ville ennemie, et derrière laquelle se dresse, sur un rhinocéros, Agni, le dieu du feu ; quatre répliques du motif initial où, sur la seconde, le dieu n’a que quatre bras ; la rencontre avec l’asura Bâna, aux bras multiples, venant en sens inverse, monté sur un char traîné par des lions grimaçants ; à nouveau, Gauda Krishna et ses deux compagnons victorieux ; enfin, à l’extrême droite, Krishna agenouillé devant Çiva qui, trônant sur le mont Kailâsa avec Pârvati et Ganeça, lui demande de laisser à Bâna la vie sauve. Galerie nord, partie occidentale Nouvelle scène de combat – devas contre asuras – d’un seul tenant et sans aucune division par registres : la facture s’améliore. M. Cœdès voit dans ce panneau « un précieux document iconographique, tous les grands dieux du Panthéon brahmanique y défilant, portant leurs attributs classiques et chevauchant leurs montures traditionnelles ». C’est une série de duels où l’un des 21 dieux représentés lutte contre un asura, dont il ne diffère d’ailleurs que par la coiffure, le tout sur un fond de bataille générale entre guerriers. On reconnaît de gauche à droite, après les sept premiers groupes d’adversaires, Kubera, dieu de la richesse, sur les épaules d’un Yaksha, puis, deux groupes plus loin, Skanda, dieu de la guerre, à têtes et bras multiples, monté sur son paon ; Indra debout sur l’éléphant Aîrâvana aux quatre défenses ; Vishnou à quatre bras sur Garuda, lequel écarte
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27. Angkor Vat, gopura ouest, vue intérieure en direction du nord, troisième enceinte.
28. Angkor Vat, pilastre, gopura ouest, troisième enceinte.
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30-32. Angkor Vat, devatâs.
29. Angkor Vat, devatâ, gopura ouest, troisième enceinte.
de ses quatre membres les chevaux cabrés de deux chars ennemis ; l’asura Kâlanemi, aux têtes étagées, faisant un tourbillon de ses bras armés de glaives ; Yama, dieu de la mort et juge suprême, sur un char attelé de bœufs ; Çiva tirant de l’arc ; Brahmâ sur l’oie sacrée hamsa ; Sûrya, le dieu du soleil, se détachant sur son disque ; Vâruna enfin, dieu des eaux, debout sur un nâga à cinq têtes harnaché comme une bête de trait. Pavillon d’angle nord-ouest Entièrement orné comme son symétrique du sud-ouest, ce pavillon renferme quelques scènes remarquablement conservées et de tout premier ordre. 1. Au-dessus de la porte orientale – Scène du Râmâyana : c’est, sur le mont Malaya, l’entrevue de Râma et de son frère Lakshmana avec le roi des singes Sugrîva en vue de conclure un pacte d’alliance. 2. Branche orientale, paroi nord (au-dessus de la baie) – Le sommeil de Vishnou, couché sur le serpent Ananta et les pieds tenus par son épouse, sous un envol d’apsaras ; en dessous, ce sont les admirables morceaux de sculpture du défilé des neuf dieux venant lui demander de s’incarner sur la terre ; Sûrya sur son char traîné par des chevaux, se détachant sur son disque ; Kubera sur les épaules d’un Yaksha ; Brahmâ sur le hamsa ; Skanda sur le paon ; un dieu à cheval, non identifié ; Indra sur l’éléphant ; Yama sur le buffle ; Çiva sur le taureau Nandin ; un autre dieu sur un lion, non identifié. 3. Branche orientale, paroi sud – Krishna rapportant le mont Maniparvata : monté sur Garuda avec son épouse Satyabhâmâ, le dieu est accompagné de son armée et de serviteurs portant les dépouilles de l’asura vaincu Naraka. La montagne, enjeu de la lutte, est figurée derrière Krishna. 4. Branche nord, paroi orientale (au-dessus de la baie) – Conversation dans un palais, où l’on voit, sous les deux interlocuteurs, deux corps d’hommes allongés sur le ventre puis, sur plusieurs registres, de charmantes scènes de gynécée. 5. Au-dessus de la porte nord – Scène du Râmâyana : tentative d’enlèvement de Sîtâ par le géant Viradha, que Râma et Lakshmana attaquent à coups de flèche, dans un décor de forêt. 6. Branche nord, paroi occidentale (au-dessus de la baie) – Scène du Râmâyana : c’est, fortement rongée par les infiltrations, l’ordalie de Sîtâ, soumise à l’épreuve du feu après sa délivrance pour prouver son innocence et sa pureté. Seuls subsistent, au-dessus de plusieurs registres de singes traités avec beaucoup d’esprit, le bûcher et des silhouettes de
personnages qui doivent être Râma, Lakshmana, Sugrîva et Hanuman : la princesse a complètement disparu. 7. Branche occidentale, paroi nord (au-dessus de la baie) – Scène du Râmâyana : le retour de Râma sur le char Pushpaka, qui servit à le transporter dans Ayodhyâ après sa victoire. Ce char, magnifiquement décoré et attelé de hamsas (oies sacrées), était la propriété de Kubera et avait été volé par Râvana. Là encore, quelques figures ruinées se complètent d’un long panneau vertical de singes en liesse représentés avec humour. 8. Au-dessus de la porte occidentale – Scène du Râmâyana : au milieu d’un groupe de singes, Râma, accompagné de Lakshmana, fait alliance avec le râkshasa Vibhîsana, qui trahit son frère Râvana. 9. Branche occidentale, paroi sud (au-dessus de la baie) – Scène du Râmâyana : entretien de Sîtâ, captive de Râvana, avec Hanuman dans le bosquet d’açokas. La princesse, ayant à ses côtés la râkshasi au cœur tendre Trijatâ, remet à Hanuman l’anneau qui doit prouver à Râma le succès de sa mission ; au-dessous se superposent plusieurs registres de râkshasis. 10. Branche sud, paroi occidentale (au-dessus de la baie) – Scène non identifiée, où l’on voit à la partie supérieure un Vishnou assis à quatre bras, recevant les hommages de gracieuses apsaras qui montent en foule vers lui. 11. Au-dessus de la porte sud – Scène du Râmâyana : Râma et Lakshmana luttent contre Kahandha, « râkshasa au corps immense, à la large poitrine, sans tête, mais ayant un visage sur le ventre ». 12. Branche sud, paroi orientale – Scène du Râmâyana : l’épreuve de l’arc, dont Râma, au centre, sort vainqueur. À la cour du roi Janaka, à côté de Sîtâ richement parée, Râma, dans une détente puissante, décoche sa flèche sur le but proposé (figuré ici par un oiseau perché sur une roue), tandis qu’en dessous sont alignés les autres prétendants évincés. Galerie occidentale, partie nord « Un enchevêtrement inextricable de singes et de râkshasas, nous dit M. Cœdès, s’entredéchirant et se frappant avec des troncs d’arbres ou des quartiers de rocs ; sur ce fond grouillant et confus dont certains détails ne manquent pas d’humour, une série de duels mettant aux prises les principaux chefs des deux partis : au milieu du tableau, un grand râkshasa à dix têtes et à dix paires de bras en butte aux attaques d’un dieu monté sur un grand singe : il n’en fallait pas davantage pour faire reconnaître la bataille de Lankâ dont le récit occupe, presque entier, l’avant-dernier chant du Râmâyana. »
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Cette bataille de Lankâ (Ceylan) qui devait permettre à Râma, avec le concours de ses alliés les singes, de reconquérir la belle Sîtâ, constitue un morceau de sculpture narrative de premier ordre qui, à côté d’excellentes qualités plastiques, mérite une étude détaillée par la fougue extraordinaire des personnages, représentés en pleine action. Vers le milieu du panneau, ou remarquera les principaux adversaires ; d’une part, Rima debout sur les épaules d’Hanuman, entouré d’une grêle de flèches, ayant derrière lui son frère Lakshmana et l’ancien râkshasa Vibhîsana, tous deux debout, dont la calme attitude contraste avec le caractère échevelé de l’ensemble ; d’autre part, le géant Râvana, aux bras multiples et têtes étagées, sur son char de guerre traîné par des lions curieusement stylisés. Entre eux deux un singe furieux, Nila, s’arc-boutant sur les têtes présentées de front de deux sortes de lions attelés à des chars, jette sur son épaule le corps de l’ennemi qu’il vient de terrasser. Un autre, Angada, fils de Vâlin, arrache une défense à un éléphant coiffé d’un mukuta à trois pointes et le culbute avec le râkshasa qu’il portait. Plus à droite, c’est le groupe étincelant de verve d’un autre singe brandissant, en les tenant par les pattes de derrière, deux énormes monstres qu’il vient de dételer. Et tant d’autres duels enfin qu’il est impossible de citer… Une Américaine, dans son enthousiasme pour Angkor, ayant émis le vœu que ses cendres fussent dispersées sur la grande chaussée d’Angkor Vat, satisfaction lui fut donnée au début de 1936 ; ce geste symbolise le pouvoir extraordinaire que peuvent avoir sur certaines imaginations ces vestiges du passé. Quoi qu’on en puisse penser, Angkor Vat mérite plusieurs visites – deux au moins, l’une pour le monument, l’autre consacrée à l’étude des bas-reliefs. Si celle-ci peut se faire dès le matin, où l’éclairage est excellent, l’autre aura lieu de préférence en fin de journée, alors que les tours se
dorent de plus en plus à mesure que le soleil descend sur l’horizon. Parfois, au crépuscule, les chauve-souris – ce fléau des ruines qu’elles empuantissent et qu’elles souillent – sortent par milliers, et c’est un curieux spectacle que de les voir s’élever comme des colonnes de fumée puis se dissiper dans l’atmosphère au gré des vents. Il ne faut point manquer non plus les nuits de pleine lune, ni les séances de danses rituelles sur le parvis ouest faisant revivre à la lueur des torches d’antiques légendes. Ces danses cambodgiennes, où tout est discret et comme contenu, où tous les sentiments, toutes les passions se trouvent en puissance, naissant d’un simple frémissement, se propageant par tout le corps et fusant par les doigts, ces danses illustrent l’architecture de véritables bas-reliefs. Résumé des travaux entrepris postérieurement à 1946 Après un grave éboulement de la galerie des bas-reliefs des Cieux et des Enfers, en 1947, les travaux de remontage ont été entrepris par MM. Marchal et Lagisquet, et terminés en 1950. M. Lagisquet a reconstitué en carreaux de ciment patiné le plafond de cette galerie. Nombreux travaux de consolidation avec anastyloses partielles, notamment aux bibliothèques. Dépose des voûtes de la demi-galerie extérieure de l’aile sud de la galerie ouest du 1er étage pour redressement des piliers. Chaussée ouest. Reprise du mur nord de la chaussée d’accès à Angkor Vat, où les pluies torrentielles avaient ouvert une brèche étendue, et reconstruction dudit mur. Travaux hydrauliques à la douve nord. En outre de nombreuses interventions ont été effectuées par les Français jusqu’en 1972. Depuis 1988, une équipe indienne, présente sur le site, a entrepris d’importants travaux de nettoyage et de consolidation.
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D’ANGKOR VAT À ANGKOR THOM
TA PROHM KEL Date : fin du XIIe siècle Roi constructeur : Jayavarman VII (nom posthume : Mahâ paramasangata pada) Culte : bouddhique Dégagement par H. Marchal en 1919 À 300 m au nord de l’entrée axiale ouest d’Angkor Vat, à hauteur de la première borne kilométrique, on aperçoit à gauche une tour en grès très ruinée. Grâce à la découverte en 1928 d’une stèle portant le texte de l’édit de Jayavarman VII sur les hôpitaux, ce petit monument a pu être identifié comme étant la chapelle d’un des 102 établissements fondés par ce roi soucieux d’œuvres sociales et mentionnés dans l’inscription de Ta Prohm. M. Cœdès nous apprend d’autre part que « Ta Prohm Kel est associé à la légende de Ponâ Krek, le mendiant paralytique dont les membres ankylosés furent dénoués sur l’emplacement de cet édifice par le cheval d’Indra, après quoi il monta sur le cheval qui l’emporta dans les airs ». Passant entre quelques pierres sculptées où l’on reconnaît notamment des représentations du bodhisattva Lokeçvara, le Seigneur de Compassion, on franchit les vestiges d’un petit gopura de grès, puis on atteint le prasat, dont il ne reste debout que l’étage principal et les trois premiers étages fictifs en retrait des faces nord et est, elles-mêmes très disloquées. Ce sanctuaire ouvrait à l’est, avec trois fausses portes, et reposait sur un socle mouluré et orné. Une rigole d’évacuation des eaux lustrales ou « somasûtra », traversait la paroi nord. Le décor, assez abondant et d’une exécution peu soignée, est du style du Bayon, à base de rinceaux avec devatâs aux piles d’angle. On remarquera sur les piédroits de la baie d’entrée de curieux médaillons circulaires ciselés « en tapisserie » : chacun d’eux est gravé d’un personnage d’un dessin assez fruste mais d’une inspiration très vivante et presque caricaturale.
33. Phnom Bakheng, côté est.
PHNOM BAKHENG Date : vers 900 Roi constructeur : Yaçovarman I (nom posthume : Pahramaçi valoka) Culte : brahmanique (çivaïte) Travaux de dégagement effectués en plusieurs fois par H. Marchal de 1919 à 1930 Recherches de M. Goloubew de 1931 à 1934 À 1 300 m au nord de l’entrée axiale ouest d’Angkor Vat et 400 m au sud de la porte méridionale d’Angkor Thom, on aperçoit, à l’ouest de la route, une large saignée dans la forêt escaladant une colline naturelle d’une soixantaine de mètres de hauteur : c’est le Phnom Bakheng, centre du premier Angkor ou Yaçodharapura qui formait un carré d’environ 4 km de côté et dont, venant de Siemréap par la grand-route, on traverse la double levée de terre constituant sa limite sud, 600 m avant d’arriver aux douves d’Angkor Vat. Abandonnant dès son avènement (889) la capitale quelque peu rudimentaire de ses prédécesseurs – Hariharâlaya (Rolûos) située dans la plaine –, Yaçovarman, séduit par la mystique des hauteurs, sut le premier trouver son « Meru » (demeure des dieux) et sa « Gangâ » (le fleuve Gange) dans cette colline du Bakheng et le Stung Siemréap probablement détourné de son cours pour border à l’est la nouvelle ville. Réplique imposante du Bakong de Rolûos, le temple même du Bakheng, magnifié par sa position de choix et se profilant de toutes parts, devait, pour jouer dignement son rôle de socle et d’abri du Devarâja, le lingâ Çri Yaçodhareçvara des inscriptions, idole maîtresse du royaume, s’affirmer davantage dans le sens monumental ; d’où cette première réalisation du quinconce de sanctuaires tout en grès couronnant l’étage supérieur de la pyramide et la multiplication des tours secondaires aux différents gradins. C’est en fin de journée, ou à défaut le matin de bonne heure, que l’on doit monter au Phnom Bakheng, soit directement par sa pente abrupte, soit par le sentier en lacets beaucoup plus doux qui prend à gauche et qu’empruntent les éléphants loués par les touristes – promenade classique et très agréable. Du sommet, on jouit d’une vue étendue sur la plaine, dominée par les deux autres pitons également couronnés d’un temple par Yaçovarman – le Phnom Krom au sud-ouest près du Grand Lac et le Phnom Bok au nord-est se détachant sur la ligne sombre du Phnom Kulên – puis le plan d’eau du Baray occidental, la forêt
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34. Phnom Bakheng, devatâ, tour-sanctuaire centrale.
d’Angkor Thom, et le merveilleux ensemble d’Angkor Vat se dorant au soleil couchant. Nous avons dit dans les « notions préliminaires » comment M. Goloubew avait été amené à identifier le « Mont Central » des inscriptions, centre de la capitale dès la fin du IXe siècle, avec le Phnom Bakheng ; ses fouilles ont révélé notamment l’existence, au pied du Phnom, d’une enceinte rectangulaire en terre de 650 m est-ouest sur 440 nord-sud, coupée de gopuras dont quelques vestiges restent visibles à l’est entre la route et la base de la colline ; des traces analogues sont apparues sur les autres axes, où les escaliers ont gardé leurs marches contrairement à ce qui se passe sur la face orientale. L’art de Yaçovarman dénote le souci constant de rechercher l’effet monumental et d’améliorer la technique de la construction par l’emploi du matériau rare et durable. Mais il faut reconnaître que, dans le détail, sauf quelques éléments puissants, comme les soubassements et corniches, les devatâs des piles d’angle et les colonnettes, il n’a pas su s’affranchir d’une certaine mièvrerie dans le décor et de quelque disparate dans les échelles respectives et l’ordonnance des motifs : on regrette par exemple les linteaux des styles précédents d’une facture si large et vigoureuse au Kulên, plus brillante et touffue mais solide encore à Bakong et Prah Kô. Cette tendance à la finesse et à la minutie provient sans doute des habitudes prises en ciselant dans le mortier les ornements-types des monuments de brique et taillant dans le bois le décor des habitations princières ; pratiques qui font perdre de vue au sculpteur la nécessité de collaborer en volume à l’œuvre de l’architecte. Description Les deux lions encadrant au départ la pente d’accès au plateau supérieur sont parmi les plus beaux et les mieux proportionnés de l’art khmer. Sur le sommet de la butte, où s’étaient établis jadis des bonzes annamites qui n’avaient pas manqué de se livrer à certains travaux d’« adaptation » regrettables, on laisse à droite un édicule dont il ne subsiste que quelques piliers de grès puis, passant près de deux lingâs dont on a fait des bornes, on contourne un abri léger où se trouve une empreinte du pied de Bouddha de date récente et l’on franchit les vestiges d’un gopura qui coupait le mur d’enceinte en latérite ; de part et d’autre de l’axe se trouvent deux bâtiments de grès du type « bibliothèque » aérés par des lignes de trous en losange ; ouvrant primitivement à l’ouest, ils ont été percés par la suite d’une seconde baie sur la face orientale.
Le temple apparaît dès lors comme une superposition de cinq gradins aux faces nues, allant en diminuant progressivement des 76 m de la base aux 47 m de la crête sur une hauteur totale de 13 m ; la sécheresse des lignes est heureusement rompue par la coupure d’un raide escalier d’axe incliné à 70º et flanqué de lions à chaque ressaut, encadré de cascades de petites tours-sanctuaires qui se retrouvent sur les angles. La plateforme supérieure, supportant un quinconce de tours tronquées ou disparues ne se montre pas encore, et la ceinture de tours en brique qui se trouvent à la base de la pyramide, pour la plupart ruinées, ne compte guère. Ces tours en brique, ouvertes à l’est et parfois percées ultérieurement d’une seconde porte à l’ouest, étaient au nombre de 36 et alignées sur un seul rang, sauf de part et d’autre des passages axiaux où elles se trouvaient couplées sur un même socle, atteignant le total de 44. Un grand nombre d’entre elles manquent ou restent incomplètes. On remarquera sur la gauche, devant ces vestiges de tours, deux grands piédestaux retrouvés lors des travaux de dégagement, et dont le décor est d’une finesse remarquable et d’un style très pur. La pyramide du Bakheng est la seule dont l’intérieur ne soit pas constitué par un remblai : on a simplement taillé le roc à la demande, puis on l’a revêtu d’un parement de grès, ainsi qu’on s’en rend compte aux angles nord-est et sud-est où des glissements se sont produits. C’est sans doute à la forme même de ce massif naturel d’ossature que l’on doit l’étroitesse des gradins qui, de moins de 4 m de largeur et encombrés par les petites tours-sanctuaires, ne permettent aucune circulation. Ces prasats, au nombre de 60, sont construits en grès, ouverts à l’est – ce qui les rend sur la face occidentale pratiquement inaccessibles – et restent en épannelage ; ils se composent, comme d’usage, d’un étage principal, de quatre étages fictifs en retrait, et d’un motif de couronnement. L’axe nord-sud du monument était légèrement décalé vers l’ouest, laissant sur le cinquième gradin des bermes d’inégale largeur allant de 5 à 12 m et suffisantes pour le passage des processions. Un mur de soutènement sculpté de 1,60 m de hauteur servait de soubassement au plateau supérieur, de 31 m de côté. Lors du dégagement, cette plateforme était encombrée par un énorme massif en pierres de réemploi, construit par les bonzes et figurant la base d’un gigantesque Bouddha assis dont le torse n’avait pas été dressé. On fut tout surpris, en procédant au démontage, de trouver sous le blocage
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Fig. 12. Phnom Bakheng.
les vestiges d’un quinconce de tours dont il restait malheureusement peu de chose : sanctuaire central de 8 m de côté dont il subsistait l’étage principal, et quatre tours d’angle de 6 m réduites à quelques pans de murs. La silhouette générale de ce temple aux 109 tours demeure donc singulièrement tronquée. La tour centrale, construite avec un soin particulier, était ouverte aux quatre points cardinaux et au pied de la pyramide, on a pu retrouver trois des quatre « Nandin » ou taureaux sacrés (monture de Çiva) qui assuraient au dieu la possibilité de s’envoler vers les quatre régions de l’espace. À l’intérieur, on a extrait du puits qui s’arrêtait au rocher à deux mètres de profondeur, une cuve en pierre rectangulaire de 1,40 m sur 0,80 m et 0,72 m de hauteur, avec trou d’écoulement à la base, qui devait, selon M. Cœdès, avoir un caractère funéraire – sorte de sarcophage ayant contenu les restes mortels du roi divinisé. On remarquera, devant la face orientale de la tour, des trous régulièrement disposés dans le dallage : trace probable d’anciens mâts ou poteaux en bois.
Les quatre autres sanctuaires abritaient un lingâ qui a pu être rétabli sur piédestal ; chacun d’eux s’ouvrait par deux portes opposées. Au point de vue décor, les vestiges qui demeurent témoignent des qualités et des défauts que nous avons signalés plus haut : à côté des puissantes devatâs sous arcature des piles d’angle, surmontées d’apsaras, on appréciera la délicate ciselure des bandes de rinceaux et des pilastres à chevrons ou entrelacs rehaussés de figurines, caractéristiques de ce style. On remarquera également les tympans à faible relief des frontons, de proportion presque carrée et de composition assez confuse, mais solidement calés par les makaras divergents qui terminent l’arc d’encadrement ; ils sont à culot central avec personnage, flanqué de grandes volutes frangées d’une série de petites têtes de divinités – formule qu’on ne rencontre qu’en cette période de l’art khmer. Une inscription est encore visible sur le piédroit oriental de la porte nord datant du roi Jayavarman V (968-1001), donc postérieure au monument, mais rappelant la fondation de Yaçovarman.
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35. Phnom Bakheng, côté est.
36. Phnom Bakheng, tours-sanctuaires, cinquième gradin.
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37. Baksei Chamkrong, côté est.
BAKSEI CHAMKRONG (L’oiseau qui abrite sous ses ailes) Prononcer : Baksei Tiamkrong Date : 947 Roi constructeur : Râjendravarman (nom posthume : Çivaloka) Culte : brahmanique (çivaïte) Dégagement par H. Marchal en 1919 Situé à 150 m au nord de l’ancien escalier axial est du Phnom Bakheng, sur la gauche de la route, ce petit temple apparaît dans un encadrement de beaux arbres sous la forme d’une pyramide à gradins d’excellentes proportions et d’un ton chaud, dû à l’emploi de la latérite et de la brique comme matériaux de construction selon l’usage du Xe siècle. Elle était entourée d’un mur de clôture en brique presque entièrement disparu, et les vestiges d’un gopura aux emmarchements de grès restent visibles à l’est. Cette pyramide, qui mesure 27 m de côté à la base et 15 m au sommet, pour une hauteur totale de 13 m, est en latérite à quatre gradins, obéissant aux lois habituelles de réduction proportionnelle : les trois premiers, très sobrement traités, sont à parement nu, le dernier forme soubassement mouluré pour la tour-sanctuaire. Quatre escaliers, très raides et d’une seule volée, marquent les axes, encadrés à chaque ressaut d’étage par des murs d’échiffre qui interdisent l’accès des différents gradins, d’ailleurs très étroits. Nous engageons les visiteurs qui voudraient monter à la plateforme supérieure à n’aborder ces escaliers qu’avec la plus grande prudence en raison de l’état d’usure de certaines marches. La tour-sanctuaire, construite en brique, comme toujours sans emploi de mortier dans les joints qui restent filiformes, fait 8 m de côté, sur socle de grès mouluré ne laissant qu’une berme de faible largeur. Sa masse, considérable par rapport à celle de la pyramide, semble continuer les lignes ascendantes de celle-ci et s’arrondit au sommet, les étages fictifs en retrait ayant perdu sous l’action de la végétation la netteté de leurs profils. Le sanctuaire ouvre à l’est, avec fausses portes sur les autres faces, seuls éléments de grès avec les colonnettes et linteaux. L’ornementation en est intéressante et soignée : on remarquera les motifs à rinceau sur hampe des larges panneaux de fausses portes, ainsi que les amortissements de la branche du linteau oriental, où un Ganeça chevauche sa trompe (motif que l’on retrouve au Mébôn oriental) ;
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le centre est marqué par un Indra sur éléphant tricéphale, et une frise de petits personnages surmonte le tout. Le décor extérieur en mortier de chaux a complètement disparu ; on voit encore sur le parement de brique des piles d’angle l’ébauche des devatâs, destinée à accrocher l’enduit et éviter les surépaisseurs. L’intérieur de la tour, dont le sol est en contrebas d’un mètre, est bien conservé et montre les encorbellements réguliers de la voûte et les ressauts correspondant aux étages fictifs. Une statue de Bouddha couché de date récente est appuyée à la paroi du fond. Les piédroits de la porte sont inscrits : le texte, datant du règne de Râjendravarman, mentionne notamment l’érection en ce temple, en l’an 947, d’une statue dorée de Çiva, ce qui rend vraisemblable la construction du bâtiment à la même époque. THMA BAY KAEK (La pierre servant à poser le riz pour les corbeaux) Date : X siècle Culte : brahmanique (çivaïte) Dégagement par M. Glaize en 1945 e
Vestige situé entre la douve sud d’Angkor Thom et Baksei Chamkrong, au nord de ce dernier monument, à 125 m à l’ouest de la route : on y accède par une piste charretière qui prend à gauche juste avant d’arriver à l’extrémité de la chaussée de géants de la Porte sud d’Angkor Thom. Il se compose d’une tour carrée en brique complètement ruinée,
à cadre de porte en grès uni et linteau à garuda central et branche à décor purement ornemental : elle était précédée à l’est par une terrasse à gradins en latérite, probablement recouverte autrefois de dalles minces en grès, qui correspond sans doute au rôle attribué à ce prasat par les Cambodgiens. Le principal intérêt de la fouille a résidé dans la découverte, sous le dallage de la cella, d’un dépôt sacré encore inviolé, composé de cinq feuilles d’or disposées en quinconce, dont la plus grande, au centre, était gravée au trait d’un taureau debout, monture de Çiva. PRASAT BEI (Les trois tours) Date : Xe siècle Culte : brahmanique (çivaïte) Dégagement par H. Marchal en 1919 Sur la même piste que le précédent, à 175 m au-delà, donc à 300 m à l’ouest de la route. C’est un groupe de trois tours en brique alignées nord-sud et ouvrant à l’est, juchées sur une plateforme commune aux murs de latérite, de 24 m sur 9,60 m. La tour nord est inachevée et – comme la tour sud – tronquée à hauteur du dessus des portes. La tour médiane, où l’on voit Indra sur éléphant tricéphale au centre du linteau, contient un piédestal avec son lingâ. Le linteau de la tour sud, resté au sol, représente également Indra, mais sa monture est à tête unique, et le linteau de la tour nord n’est qu’ébauché.
Pages suivantes : 38. Angkor Thom, porte sud. 39. Angkor Thom, l’une des faces latérales d’une des portes. 40. Angkor Thom, protomé de l’éléphant Airâvata, Porte de la Victoire.
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ANGKOR THOM
LE BAYON D’ANGKOR THOM Prononcer : Bayonne Date : fin du XIIe siècle ou début du XIIIe Roi constructeur : Jayavarman VII (nom posthume : Mahâ paramasangata pada) Culte : bouddhique Mission d’études : H. Dufour et Ch. Carpeaux (1901-1902-1904) Dégagement par Commaille de 1911 à 1913 Travaux de reprise du sommet du massif central par G. Trouvé en 1933 Anastylose des tours à visages et du massif central par M. Glaize de 1939 à 1946 Parmi les temples d’Angkor, c’est de beaucoup le Bayon qui a posé le plus d’énigmes aux archéologues. Dans les « notions préliminaires », parlant de la chronologie des monuments, nous avons brièvement exposé le débat qui s’était engagé à propos de la datation de sa construction, basée jusqu’en 1923 sur une fausse identification du « Mont Central » mentionné dans l’inscription de Sdok Kak Thom : ce « Mont Central » correspondant au Phnom Bakheng et non plus au Bayon, ce dernier cessait d’être le « temple-montagne » de Yaçodharapura, capitale du roi Yaçovarman à la fin du IXe siècle, pour devenir le sanctuaire officiel de la dernière ville d’Angkor Thom, reconstruite par Jayavarman VII à la fin du XIIe siècle, après avoir été ravagée par les Cham. On cesse d’être surpris que, contrairement à l’usage, un temple de cette importance ait été dépourvu d’enceinte extérieure et de fossé dès que l’on admet que ceux-ci étaient constitués par les remparts mêmes d’Angkor Thom et par ses douves, les portes tenant lieu de gopuras. L’enceinte extérieure Les remparts d’Angkor Thom, dont la face sud se trouve à 1 700 m au nord de l’entrée axiale d’Angkor Vat, forment un carré de 3 km de côté enfermant un espace de 900 hectares. Hauts de près de 8 m, couronnés d’un parapet sans créneaux, ils sont construits en latérite, épaulés à l’intérieur par une levée de terre formant chemin de ronde, tandis qu’un fossé large de 100 m les borde extérieurement, coupé au droit de chaque porte de la ville par une chaussée en remblai. La pente générale des eaux semble avoir été établie à l’intérieur du carré selon une direction générale nord-est–sud-ouest pour aboutir en cet angle
à une sorte d’étang dit « Beng Thom » qui communique avec le fossé extérieur par un groupe de cinq tunnels traversant la levée de terre et la muraille. Les Prasat Chrung Prononcer : Tchroung Aux angles, quatre petits temples, les « Prasat Chrung », renferment une stèle inscrite mentionnant la fondation par Jayavarman VII d’un « Jayagiri grattant de son faîte le ciel brillant et d’une Jayasindhu touchant par sa profondeur insondable au monde des serpents ». M. Cœdès a démontré qu’il ne fallait voir autre chose dans ces deux désignations que celle, quelque peu emphatique selon l’habitude des Khmers, des murailles et des fossés d’Angkor Thom, comparés à la montagne et à l’océan qui entourent la terre. Chacun des Prasat Chrung, du style du Bayon et dédié comme la ville même au bodhisattva Lokeçvara, se composait d’une tour sanctuaire en grès de plan cruciforme orientée à l’est, à double étage fictif en retrait et couronnement de lotus, augmentée de quatre avant-corps. Les murs extérieurs étaient ornés de devatâs dans des niches et de fausses fenêtres à balustres masqués en partie par des stores, et, vers l’est, se trouvait l’abri de la stèle, de plan carré et ouvert sur les quatre faces, voûté en arc de cloître. Un mur d’enceinte percé d’une seule porte du côté est entourait le tout. La visite d’un Prasat Chrung – par exemple, celui de l’angle sud-ouest – peut se faire à pied ou à cheval en saison sèche, en suivant le chemin de ronde si celui-ci est débroussaillé : c’est une promenade sous bois fort agréable (3 km), où, après avoir escaladé le talus au pied même de la porte sud, on en redescend à la porte ouest après avoir contourné le quart de la ville. On peut voir par endroits des vestiges de gradins en latérite mis au jour par M. Goloubew et qui correspondent à l’enceinte de bassins-fossés de l’Angkor Thom du XIe siècle. Les portes d’Angkor Thom La ville, dont les habitations étaient construites en matériaux légers et sur l’agencement de laquelle on dispose de bien peu de renseignements, était centrée sur le Bayon et divisée en quatre secteurs par quatre chaussées axiales probablement bordées de bassins-fossés. Une cinquième voie d’égale importance était axée sur le Palais Royal, se dirigeant vers l’est.
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Fig. 13-14. Bayon, plan et itinéraire de visite.
Cinq portes monumentales correspondaient à ces avenues. Venant de l’extérieur, la traversée de la douve se faisait, ainsi que nous l’avons dit, par une chaussée en remblai, formant pont aujourd’hui du côté nord sur une partie de la longueur, à la suite des travaux d’hydraulique récents. « Des deux côtés, nous dit Tcheou Ta-Kouan, il y a 54 génies de pierre, semblables à des généraux de pierre, gigantesques et terribles. Les parapets sont en pierre, taillés en forme de serpents à neuf têtes. Les 54 génies retiennent de la main le serpent et ont l’air de l’empêcher de fuir. » Si nous nous rapportons aux suggestions de MM. Cœdès et Paul Mus, cette double rampe en forme de nâga serait « une façon de représenter symboliquement un arc-en-ciel qui, dans la tradition indienne, est le trait d’union entre le monde des hommes et le monde des dieux, matérialisé sur la terre par la ville royale ». En y ajoutant les deux rangées de géants, devas d’un côté, asuras de l’autre, les constructeurs ont voulu suggérer le mythe du Barattement de l’Océan effectué de concert par les dieux et les géants pour en extraire la liqueur d’immortalité : la figuration plastique du barattement, effectué avec le fossé pour océan et l’enceinte – plus spécialement la masse de la porte – pour montagne, est une sorte d’opération magique destinée à assurer au pays l’ambroisie de la victoire et de la prospérité. Seuls jusqu’à maintenant ont été reconstitués les cordons de devas et d’asuras de la Porte de la Victoire (porte de la face est axée sur le Palais Royal) et de la porte nord, où les faces grimaçantes des démons, particulièrement expressives, contrastent de façon frappante avec la sérénité souriante des visages des dieux. Les cinq portes, toutes semblables, étaient en médiocre état de conservation : deux d’entre elles, les portes nord et sud, ont été restaurées par M. Glaize de 1944 à 1946, retrouvant avec leurs motifs de couronnement, d’ailleurs inachevés en tant que sculpture, leur véritable aspect. Les meilleurs ensembles se voient à la porte nord et sur la face occidentale de la Porte des Morts (porte est dans l’axe du Bayon, à l’extrémité de la route Dufour), et les plus beaux visages sont à la porte ouest (route Carpeaux). La proportion des baies (3,50 m sur 7 m de hauteur) se trouve faussée par la disparition des linteaux et des frontons : elles étaient munies de portes en bois à deux vantaux montés sur pivot, et d’après les trous encore visibles dans les murs, semblent avoir comporté en outre des barres transversales de fermeture. D’une hauteur totale de plus de 23 m, construites en grès, elles formaient un groupe de trois tours alignées : la principale, à deux visages opposés, était flanquée
de deux autres plus petites à un seul visage, en pénétration, qui correspondaient intérieurement à des renfoncements formant chambres de veille, communiquant chacune avec deux réduits obscurs. L’ensemble répondait de toute évidence à la même abstraction que les tours à quatre visages du Bayon : la puissance royale s’étendant aux quatre points cardinaux. À la base enfin, les quatre angles rentrants étaient amortis par le superbe motif de l’éléphant à trois têtes, dont les trompes descendant verticalement formaient piliers, cueillant des touffes de lotus : ce n’est autre que la monture d’Indra, que l’on reconnaît notamment à la Porte de la Victoire, assis entre deux apsaras et tenant le foudre ou « Vajra ». Cette présence du dieu à l’extrémité de la chaussée d’accès confirme l’hypothèse émise plus haut du nâga symbolisant l’arc-en-ciel, assimilable à l’arc d’Indra. Le Bayon Mille cinq cents mètres de route droite séparent la porte sud d’Angkor Thom du Bayon ; nous conseillons, contournant celui-ci par la droite, d’accéder au monument par sa longue terrasse orientale à redents, garnie de lions et de nâgas balustrades, qui correspond à l’entrée principale ; on y remarquera le type de chaperons de la dernière époque où le motif du garuda tend à absorber celui du nâga, et de part et d’autre, des vestiges d’anciens bassins. C’est le matin que le Bayon se présente dans les conditions d’éclairage les plus favorables ; il ne faut point manquer d’y retourner par les nuits de lune, alors que les contours et les ombres s’estompent, que la pierre et le fond de verdure se composent en parfaite unité de valeur et de ton, que les faces plates et douces prennent une expression pathétique d’où se dégage, comme d’un chœur, une sorte de charme musical. Chaque visage, prodigieusement hors d’échelle, se double de son profil et se multiplie à l’infini, on se sent fondre dans la sérénité de cette paix bouddhique, larve parmi des fantômes. Jadis, nous dit Pierre Loti, il fallait, « en pleine mêlée de ronces et de lianes ruisselantes, se frayer un chemin à coups de bâton. La forêt – poursuit-il – l’enlace étroitement de toutes parts, l’étouffe et le broie : d’immenses figuiers des ruines, achevant de le détruire, y sont installés partout jusqu’au sommet de ses tours qui lui servent de piédestal. Voici les portes : des racines, comme des vieilles chevelures, les drapent de mille franges… » Comme Commaille, qui a effectué les travaux de dégagement, nous sommes les premiers à regretter cet « état
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42. Bayon, gopura est et tour centrale.
de nature » qui contenait en puissance tant de charme. Hélas, « chaque mois, peut-être chaque jour, quelques pierres tombaient. La ruine complète du temple n’était qu’une affaire de temps, et il fallait songer à l’enrayer le plus tôt possible ». Ce qui n’a pas empêché Paul Claudel d’accuser les archéologues d’avoir fait du Bayon « une espèce de jeu de quilles hagard ou de panier à bouteilles ». À moins d’un siècle de distance, le Bayon est l’antipode d’Angkor Vat. Tandis que celui-ci, à l’aise dans ses enceintes successives, réalise selon un plan largement aéré une vaste composition architecturale par l’harmonieux équilibre de ses tours et de ses galeries, l’autre, enclos dans le rectangle de 140 m sur 160 que constitue sa troisième enceinte (galerie des bas-reliefs) donne l’impression d’être comprimé dans un cadre trop étroit. Telle une cathédrale bâtie sur l’emplacement d’un temple de quartier, sa masse centrale est ramassée à l’intérieur de ses deuxièmes galeries de 70 m sur 80, dans une inextricable confusion de blocs amoncelés. De loin, avec la seule composante horizontale de la dernière enceinte en guise de soubassement, ce n’est qu’un entassement de pierres, une sorte de chaos en mouvement à l’assaut du ciel ; de partout, qu’on les prenne en diagonale ou bien de front, les cinquante tours à visages jaillissant de plans différents, donnant cette impression d’escalade. Sur la terrasse supérieure, le calme renaît. Saisi par l’impassibilité de ces faces de pierre, on ne pense plus à la vision d’ensemble, à la confusion du plan : errant de l’un à l’autre de ces 200 visages, loin des proportions usuelles et des canons d’architecte, on est pris par ces images plastiques où l’attention se concentre. Peu à peu le chaos s’ordonne, et l’on s’aperçoit que ce foisonnement de tours est fait d’éléments conjugués groupés au centre en une sorte de gerbe. La bâtisse ne compte plus, mais son symbole. Le Bayon est moins une œuvre d’architecte que la traduction dans le monde des formes des spéculations d’âme d’un grand mystique, le roi bouddhiste Jayavarman VII. Les quatre visages de chaque tour regardant aux quatre points cardinaux sont, en tant qu’images du bodhisattva Lokeçvara, le signe de l’omniprésence. Si, comme le croit d’autre part M. Cœdès, elles sont aussi le portrait même du souverain identifié au dieu ; si, comme le suggère encore Paul Mus, les tours correspondent aux différentes provinces du royaume, leur multiplication devient la marque de la puissance du dieu roi s’étendant à l’ensemble du pays. Par ailleurs, les tours à visages étaient des sanctuaires : de courtes inscriptions gravées sur les piédroits le prouvent, mentionnant un nombre imposant de divinités, tant
brahmaniques que bouddhiques. Dans la tour centrale était érigée une image du Bouddha protégé par le nâga. Retrouvée brisée en 1933 par G. Trouvé au cours d’une fouille de 14 m de profondeur faite dans l’axe de la tour centrale, cette statue de 3,60 m de hauteur a pu être entièrement reconstituée. Remise solennellement à Sa Majesté Sisowath Monivong, roi du Cambodge, le 17 mai 1935, cette pièce de premier ordre a été érigée à nouveau en bordure sud de la route conduisant à la Porte de la Victoire, non loin de la Place Royale d’Angkor Thom, abritée dans un petit pavillon à toit de tuiles. Reste à connaître l’origine de la tour à visages, qui n’a point survécu à Jayavarman VII. Yi-Tsing, religieux chinois du VIe siècle, mentionne à Nalanda (Bengale) des tours en brique couronnées de « têtes de la grandeur d’un homme ». Par la suite, ce fut, sur différentes époques, la caractéristique des représentations de Brahmâ, que l’on crut un temps reconnaître sur les tours du Bayon : c’est toujours la même convention du regard du dieu s’étendant à toutes les régions de l’espace. Description du monument La confusion du plan du Bayon et l’enchevêtrement de ses bâtiments viennent sans aucun doute des remaniements successifs qu’a subi le monument et dont on retrouve les traces un peu partout. Ces changements de parti peuvent d’ailleurs aussi bien avoir été adoptés en cours de construction qu’à des époques différentes, donc correspondre en totalité ou non au règne du seul Jayavarman VII. Dans l’état actuel, le temple se compose d’une galerie extérieure de troisième enceinte, à niveau constant, avec quatre pavillons d’angle et quatre gopuras ; d’une cour pourtournante avec, à l’est, deux « bibliothèques » haut perchées ; d’une galerie de deuxième enceinte à niveau variable, avec quatre tours d’angle et trois tours intermédiaires sur chaque face, celle du centre formant gopura ; d’un système de galeries formant croix redentée, avec tours d’angle et quatre courettes en équerre ; d’une terrasse supérieure suivant à faible distance le contour des galeries en croix qu’elle domine nettement ; d’un massif central circulaire dont la pointe est à 43 m au-dessus des chaussées de la ville, creusé de sortes de loggias, précédé à l’est d’une série de petites salles et de vestibules, flanqué enfin sur les autres axes d’une haute tour. Il semble probable, d’après les recherches de M. Parmentier et divers sondages : 1. Que le bloc central du monument correspondant aux galeries de deuxième enceinte est parti du dispositif
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de galeries en croix redentée entourant un sanctuaire central surélevé ou non, pour être ramené peu après au rectangle par l’adjonction sur un plan intérieur des galeries enfermant les quatre courettes4. 2. Que la terrasse supérieure en croix portant le sanctuaire central a été construite par Jayavarman VII en dernier lieu, après qu’il se fut décidé à faire du Bayon le « templemontagne » d’Angkor Thom, siège du Bouddha-roi. 3. Que le niveau actuel de la cour pourtournante correspond à deux opérations de remblai successives, les soubassements de grès des galeries de deuxième enceinte se continuant, avec parement simplement dégrossi, jusqu’à 2,50 m en contrebas et les fouilles ayant révélé la présence d’un premier dallage en latérite à ce niveau et d’un autre intermédiaire un mètre plus haut. 4. Que les galeries de troisième enceinte et les deux « bibliothèques » ont été édifiées sur ce remblai, donc vers la fin des travaux. 5. Que la cour pourtournante était divisée en courettes par 16 bâtiments aujourd’hui disparus – quatre sur chaque face – dont les assises de base en latérite restent visibles sur le terrain, joignant les galeries II et III au droit de chaque tour de la deuxième enceinte de part et d’autre des tours axiales. Un escalier d’accès à la terrasse supérieure existait primitivement sur chaque axe : celui de l’est a été muré à une époque indéterminée, remplacé par deux autres symétriques, raides et glissants. Des marches en ciment établies sur une faible largeur facilitent la montée au nord, au sud et à l’est (escalier de gauche). Abordant le monument par la terrasse orientale, on pénètre au milieu des piliers du gopura cruciforme de troisième enceinte, à la partie inférieure desquels on remarquera, sculptés en bas-reliefs dans des niches à contour polylobé se détachant sur un fond de décor « en tapisserie », de délicieux motifs à deux ou trois apsaras dansant sur des lotus. De là, tournant à gauche, on entre dans la galerie des bas-reliefs, que l’on suit dans le sens rituel du « pradakshinâ » (en gardant le monument constamment à sa droite jusqu’au gopura sud). Cette galerie était composée d’une nef bordée d’un côté par un mur plein de 4,50 m de hauteur, dont 3,50 m de partie sculptée, de l’autre par une double rangée de piliers formant bas-côté. Sur tout le pourtour les voûtes ont disparu comme celle des pavillons d’angle et gopuras, tous de plan cruciforme.
Le visiteur disposant de peu de temps examinera au passage les bas-reliefs de ce quart sud-est – le plus intéressant –, s’arrêtant au droit de chaque porte ouvrant sur la cour intérieure pour y jouir de la vue sur l’ensemble du monument sous différents aspects. Du gopura sud, où se trouve une curieuse statue de bossu, et dont la porte nord est encore surmontée d’une belle frise d’apsaras à grande échelle, on passe dans la cour pourtournante, que l’on traverse pour pénétrer par la tour-gopura axiale dans le système de galeries à niveau variable. L’axe général nord-sud du Bayon est fortement décalé vers l’ouest, laissant plus d’espace à la partie orientale du rectangle de deuxième enceinte, dont la partie extérieure des galeries, quoique simulant à l’extrados une demi-voûte, correspond intérieurement à une voûte complète abritant une série de bas-reliefs dont la continuité est rompue au droit de chaque tour. Tournant à droite au centre de la tour-gopura, on suit vers l’est la galerie intérieure à bas-côté, apercevant à l’extrémité, dans la tour d’angle sud-est située en contrebas, une statue de Bouddha assis abrité par les têtes du nâga, qui se détache admirablement sur un fond de lumière. Bifurquant vers le nord dès la première tour rencontrée, on continue par la galerie en croix redentée bordée d’un bas-côté à demi-voûte. De celui-ci la vue est bloquée à moins d’un mètre par le mur de soutènement de la terrasse supérieure rajoutée après coup, qui en suit exactement le contour et masque complètement les tympans à scènes de chacun de ses frontons d’angle. On descend dans la courette en équerre de l’angle sud-est et gagne par la tour sud du groupe de trois tours marquant le milieu de la face orientale de la deuxième enceinte le premier escalier qui, sur la gauche, monte à la grande terrasse. Ce parcours donne une idée très nette de l’effroyable complication du plan du Bayon et de ses innombrables dénivellations ; les cours qui devaient exister dans le premier état du monument sont réduites à de véritables boyaux sans air ni lumière, et l’on se sent vraiment très loin de la belle simplicité d’Angkor Vat. Sur la terrasse supérieure, dont on fera le tour complet, on se trouve soudain en plein mystère : où qu’on aille, on se sent dominé et suivi par ces faces aux multiples présences, écrasé d’autre part par la masse du groupe central. Ces tours qui saillissent de partout à des niveaux différents ne sont pas qu’une variante du type habituel des « prasat » carrés à quatre étages fictifs en retrait et couronnement de lotus, avec une face humaine variant de 1,75 m à 2,40 m de hauteur sur chaque axe, sculptée dans la hauteur des deux premiers de ces étages.
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Fig. 15. Bayon, vue aérienne (EFEO).
Ces tours, composées d’une ossature centrale en cheminée qui, généralement, a tenu, et d’un parement simplement accolé sans liaison aucune qui n’a pas résisté à l’action des racines, simplement après dégagement fêlées de haut en bas, les joints verticaux se superposant sans aucun chevauchement : cette malfaçon avait fait se fendre la masse de pierre comme un fruit trop mûr. Démonté et reconstruit par anastylose, le tout, maintenu par des crampons en fer qui demeurent invisibles, a pu être sauvé de la ruine complète qui le menaçait. Le massif central, de plus de 25 m de diamètre à la base, est – chose rare chez les Khmers – de plan circulaire (légèrement ovalisé). Au-dessus de son soubassement mouluré s’ouvrent, sur de petits porches à fronton formant péristyle, des sortes de loggias en triangle ou rectangulaires surmontées d’un étage d’autres cellules, d’ailleurs sans accès possible, éclairées par des fenêtres à balustres, puis, marquant les points cardinaux et collatéraux,
de huit tours à visages dont une seule face est franchement accusée, ceinturant une sorte de chemin de ronde : grossièrement taillées ou martelées après coup, elles étaient peut-être recouvertes d’enduit. Le haut motif de couronnement enfin, de forme imprécise, calé à la base par un dernier péristyle dont il reste bien peu d’éléments, était peut-être, lui aussi, sculpté de quatre visages de pierre comme les tours, à moins qu’il ait simplement servi d’ossature à quelque flèche en matériaux légers. C’est, sans aucun doute, la « Tour d’or » dont parle Tcheou Ta-Kouan comme « marquant le centre du royaume, flanquée de plus de 20 tours de pierre et de plus de 100 cellules de pierre ». Toute cette partie supérieure, absolument croulante, a pu être reprise et consolidée en 1933, après établissement d’échafaudages d’une conception hardie. Au-dessous, l’ossature ayant gardé sa stabilité, il a suffi de réviser les éléments d’architecture qui, venant en parement, lui servaient de contreforts.
Pages suivantes : 43. Bayon, façade est. 44. Bayon, façade sud. 45. Bayon, gopura sud, galerie extérieure, vue vers l’intérieur du temple.
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Pages précédentes : 46. Bayon, gopura est, galerie extérieure, vue vers l’extérieur du temple. 47. Bayon, façade ouest.
48. Bayon, tours à visages, galerie du deuxième étage.
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Pages suivantes : 50. Bayon, visage de l’une des tours, galerie du deuxième étage. 49. Bayon, tours à visages, galerie du deuxième étage.
51. Bayon, visage de l’une des tours, galerie du deuxième étage.
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52. Bayon, visage de l’une des tours, galerie du deuxième étage.
À l’intérieur, la cella obscure, de 5 m de diamètre, est ceinturée d’un étroit couloir : c’est là qu’était érigée la divinité protectrice du royaume, la grande statue du Bouddha mentionnée plus haut et dont les débris ont été retrouvés dans le puits central. On y accède du côté est par une série de locaux cruciformes, dont trois sommés de tours, séparés par de petits vestibules. De part et d’autre, deux bâtiments en longueur, également avec tour, occupent l’emplacement habituel des « bibliothèques ». On remarquera près de celui de la partie nord, en contrebas de la terrasse, à son angle rentrant nord-est, un fronton admirablement conservé qui, longtemps caché et protégé par le dallage, a comme figure centrale un Lokeçvara debout ; ce fut lui qui, le premier, attira l’attention sur le caractère bouddhique du Bayon. L’ornementation, très touffue comme il était d’usage en cette période finale de l’art khmer, reste soignée : à base de rinceaux et de feuillages, elle montre quelques détails charmants de finesse. On remarquera les fausses fenêtres à stores partiellement baissés cachant le haut des balustres – dispositif caractéristique de ce style comme les jupes à fleurs et ceintures à pendeloques des souriantes devatâs, dont la coiffure est faite de petits disques flammés inscrits dans un triangle ; le relief assez accusé a permis de représenter les pieds presque de face. Nous signalons en outre les délicieuses apsaras jumelées qui garnissent les appuis de fenêtres du massif central, et l’intéressant panneau sculpté qui se trouve au-dessus de l’escalier sud d’accès à la terrasse, représentation probable de la légende de « l’Éléphant de gloire », chargé de rechercher l’homme désigné par le Destin pour accéder au trône vacant. Redescendant dans la galerie de deuxième enceinte par le même escalier qu’à la montée (sud de la face est), le touriste pressé pourra se faire une idée des bas-reliefs de ladite galerie en gagnant le renfoncement situé entre la tour axiale est et la tour immédiatement au nord : il y verra la légende du « Roi Lépreux ». Reprenant ensuite la galerie en croix vers l’ouest, il terminera sa visite par le puits couvert, d’une dizaine de mètres de profondeur, qui se trouve à gauche vers son milieu, protégé par un garde-fou. Les bas-reliefs Le Bayon est le seul temple qui possède deux galeries concentriques sculptées de bas-reliefs, la galerie intérieure, dont le décor est achevé, était presque exclusivement réservée à des sujets mythologiques d’inspiration brahmanique, la galerie extérieure au contraire, accessible
à la masse des fidèles, étant consacrée, à côté de scènes de la vie courante, à certains épisodes historiques – défilés et batailles – du règne de Jayavarman VII. Restés incomplets, ceux-ci devaient, au dire de Paul Mus, devenir sous le ciseau du sculpteur de véritables pages de mythologie contemporaine sous l’égide de Lokeçvara, le roi divinisé n’étant lui-même qu’une émanation de ce dernier. De facture assez fruste et souvent naïve, les bas-reliefs du Bayon, moins stylisés et plus profondément ciselés que ceux d’Angkor Vat, sont une source de documentation remarquable par le soin apporté à la représentation des moindres détails et les qualités d’observation dont ils témoignent ; c’est à peu près la seule dont nous disposions pour nous faire une idée des mœurs et des conditions de vie de l’ancien Cambodge. Ils sont du type à registres superposés, le registre inférieur représentant pour les Khmers ignorants des lois de la perspective le premier plan, et le registre supérieur l’horizon. Partant de l’entrée orientale, nous commencerons par la moitié sud de la face est, en gardant le monument à notre droite selon le rite du « pradakshinâ ». 1. Galeries extérieures (3e enceinte) Galerie est, moitié sud C’est, sur trois registres d’excellente facture, un défilé d’armée marchant du sud au nord. Les guerriers, armés de javelots et de boucliers, ont pour la plupart les cheveux courts et la tête nue ; cependant un groupe du registre inférieur porte la barbiche et d’étranges coiffures ajourées sur le sommet du crâne. Des musiciens les accompagnent, dont un petit personnage sautillant frappant de deux baguettes un énorme tam-tam. Ils sont flanqués de cavaliers montant sans selle ni étriers, tandis que les chefs, armés d’arcs ou de javelots, entourés de parasols et d’enseignes sur un fond de forêt, sont assis sur des éléphants guidés par leurs cornacs brandissant le croc habituel. On remarquera, vers la fin du défilé, égayé de charmantes scènes prises sur le vif, le service de ravitaillement de l’armée, dont les charrettes converties à patins latéraux sont exactement semblables à celles encore en usage aujourd’hui. Au registre supérieur, passent trois princesses portées à bras dans de riches palanquins et, à l’autre extrémité, l’arche du feu sacré, que l’on retrouve en la « galerie historique » d’Angkor Vat. Passée la porte de communication avec la cour, le sens de la marche est inversé, et le registre supérieur, où l’on distingue des scènes d’intérieur et quelques ascètes, n’a plus que ses assises inférieures en place. C’est toujours
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la même nature de défilé, mais où les éléphants ne sont plus montés que par leurs cornacs. Les cocotiers sont traités de façon réaliste, et l’on voit à l’extrémité gauche du second registre, attaché à un arbre, un bœuf voué sans doute au sacrifice. Au-delà enfin se succèdent sur quatre registres des scènes d’intérieur. Les toitures des habitations sont figurées avec leurs épis de faîtage, sur lesquels sont perchés quelques oiseaux. Le caractère particulier des coiffures et des costumes des personnages, les objets suspendus au plafond, nous feraient croire volontiers que le sculpteur a voulu représenter des commerçants chinois en pleine discussion d’affaires. Pavillon d’angle sud-est Les sculptures de ce pavillon sont restées inachevées : le premier panneau montre fort bien les méthodes de travail des Khmers. Partant d’un mur préalablement dressé (dont on remarquera l’appareil fantaisiste), ils procédaient par taille directe ; dessin gravé au trait, léger défoncement, mise en volume et fignolage. Deux charmantes apsaras dansent à droite, tandis qu’à gauche sont ébauchées trois tours surmontées d’un trident, celle du centre abritant un lingâ ( ?). Les autres panneaux sont consacrés à des scènes nautiques. Galerie sud, moitié orientale Cette partie – l’une des mieux traitées – relate le combat naval qui, dans le dernier quart du XIIe siècle, mit aux prises les Khmers (représentés avec les cheveux courts) et les Chams (coiffés d’une sorte de fleur de lotus renversée). C’est un enchevêtrement de jonques de guerre à la proue richement ornée, sorte de galères où les alignements des têtes des rameurs sont dominés par les combattants, armés de javelots, d’arcs et de boucliers ; des cadavres sont jetés par-dessus bord, parfois happés par des crocodiles. Le roi de haute taille est assis dans son palais à l’extrême droite, présidant aux préparatifs et donnant des ordres, tandis qu’au-dessous de lui un personnage gambadant rappelle les bouffons qui, à Phnom Penh, lors de la Fête des Eaux, excitent les rameurs. De nombreuses espèces de poissons sont représentées, souvent parmi les arbres – la forêt inondée de la saison des hautes eaux –, reproduisant très fidèlement les caractéristiques de celles que l’on rencontre encore aujourd’hui dans le Grand Lac. Les rives de ce dernier, formant registre de base, dépeignent avec beaucoup d’esprit et de candeur tous les petits événements de la vie quotidienne, scènes de marché, de cuisine en plein air, de chasse ou d’attaque par des fauves. Une femme épouille un autre personnage, telle joue avec ses enfants, telle autre encore pleure sur une malade qui se tord de douleur entre ses bras : à l’extrême gauche, un chasseur se préparant à tirer un buffle tend son arbalète, semblable à l’arme favorite des Cambodgiens actuels. Au-delà de la porte, c’est le tableau de la pêche à l’épervier : une jonque, qui semble montée par des Chinois,
montre son curieux dispositif d’ancre sur poulie, tandis que les occupants d’une autre, beaucoup plus plate, se divertissent à toutes sortes de jeux. À la base, nouvelles scènes familières, dont un combat de corps admirablement composé et d’une grande intensité d’expression. Puis, sans transition, ce sont des scènes de palais : princesses entourées de leurs suivantes, danses, conversations, jeux d’échecs, et en dessous lutteurs et gladiateurs, combat de sangliers. Le tout surmonté d’un personnage couché de haute taille, à peine ébauché : c’était peut-être le roi prenant possession de son palais, selon le rite encore en vigueur de la cérémonie du couronnement. La bataille reprend ; c’est, à la base, l’arrivée des Chams sur leurs jonques de guerre, leur débarquement, et audessus la lutte terrestre contre les Khmers qui, sous forme de géants aux cheveux ras, le torse cerclé de cordes, dominent manifestement. La paix revenue, le roi, assis dans son palais, fête la victoire au milieu de ses sujets exerçant leurs différents métiers : charpentiers, forgerons, cuisiniers préparant un banquet. À l’extrême gauche, la dernière porte franchie, un étroit panneau montre encore trois registres de palabres au-dessus de scènes de lutte. Galerie sud, moitié occidentale Toute cette partie, où le registre inférieur seul a pu être terminé tandis qu’un deuxième reste inachevé, est d’un intérêt médiocre. Ce sont encore des défilés de caractère militaire où les éléphants jouent un grand rôle et qui donnent sur les machines de guerre du temps des indications précieuses : l’une est une sorte de grande arbalète portée à dos d’éléphant et manœuvrée par deux archers, l’autre une catapulte montée sur roues. À l’extrémité ouest, ce doit être le bain des éléphants sacrés, qu’abritent des parasols, menés à la rivière indiquée à la base par un bandeau sculpté de poissons. Galerie occidentale, moitié sud Là encore bien des parties n’ont pas été ciselées. Au registre intérieur, des guerriers et leurs chefs, montés à éléphant, passent devant un fond de forêt et de montagnes (indiquées par de petits triangles accolés) tandis que vers le centre un ascète échappe à l’attaque d’un tigre en grimpant sur un arbre. Au-dessus sont indiquées quelques scènes intéressant la construction des temples ; ouvriers halant un bloc de pierre sur lequel est un contremaître armé d’un rotin, d’autres portent des matériaux, d’autres enfin procédant au rodage des blocs suspendus à un bâti spécial. Plus loin, quelques fragments se rapportant à la vie des ascètes. Au-delà de la porte s’étend le long panneau que M. Cœdès nomme « la guerre civile » : ce sont de larges mouvements de foule évoluant devant toute une ligne d’habitations – figurant peut-être une rue –, hommes et femmes du peuple gesticulant et se menaçant, d’autres armés prêts
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à la lutte. Au-dessus, un personnage agenouillé à qui l’on apporte deux têtes coupées, semble les présenter à la population, et tout en haut un autre en palanquin se dirige vers quelque prince qui l’attend dans son palais. Plus loin, c’est la mêlée furieuse des combattants, guerriers presque nus ayant tous la coiffure habituelle des Khmers et que rien ne distingue les uns des autres : de nombreux éléphants participent à l’action. Galerie occidentale, moitié nord Des guerriers armés simplement de bâtons semblent en harceler d’autres protégés par de petits boucliers circulaires et précédés d’éléphants : ils longent un bassin où l’on voit un énorme poisson avaler un petit quadrupède, une courte inscription l’identifie, précisant que « le cerf est sa nourriture ». Un autre texte plus long, gravé sous une grosse crevette, indique que « le roi poursuit les vaincus en combattant ». Ce bas-relief est malheureusement resté en épannelage dans les parties hautes où devaient se trouver les personnages principaux. Au-delà de la porte, une dernière inscription mentionne qu’« ensuite le roi se retire dans la forêt au moment où il célèbre le saint Indrâbhisaka », ce qui permet à M. Cœdès de dire que « ce défilé paisible dans un décor d’arbres représente le roi allant faire une retraite dans la forêt avant de célébrer le Sacre d’Indra », souvenir d’une vieille cérémonie védique. En queue du cortège se voient des femmes et des enfants ; on remarquera en outre le souverain, toujours d’une taille supérieure à celle des autres personnages, debout sur un éléphant, puis, en tête, l’arche du feu sacré. Galerie nord, moitié occidentale Le mur n’est sculpté qu’à la partie basse, dont certains fragments même ne sont qu’ébauchés. Le premier panneau fait certainement suite au précédent, « les jeux auxquels prennent part des athlètes, des jongleurs, des équilibristes, des chevaux de course constituant évidemment ces réjouissances publiques qui sont un des éléments essentiels de l’Indrâbhisaka » (M. Cœdès). Au-dessus de la scène d’intérieur présidée par le roi, un curieux défilé d’animaux donne une idée de la faune cambodgienne ; à l’autre extrémité, des ascètes sont assis dans la forêt, puis, sur le bord d’une rivière sinueuse, se tient un groupe de femmes auxquelles on apporte des présents, près d’un personnage de haute taille resté à l’état d’ébauche. Passée la porte, nouvelles scènes de combat, où les Chams réapparaissent comme ennemis traditionnels des Khmers. Galerie nord, moitié orientale Le mur est presque entièrement écroulé, sauf à ses deux extrémités, où l’on retrouve les mêmes adversaires aux prises. Les Chams viennent de l’ouest par rangs serrés,
mais cette fois, ce sont des Khmers qui s’enfuient vers la montagne, sans paraître opposer de résistance sérieuse. Toute la partie orientale, très animée, est traitée avec un curieux réalisme. Pavillon d’angle nord-est Défilés de guerriers khmers et d’éléphants sans intérêt spécial. Au centre du pavillon se trouve un très beau piédestal de forme circulaire, d’un type généralement réservé aux statues de Brahmâ ; on n’en peut connaître la provenance, son style étant très différent de celui du Bayon et le plaçant aux environs du Xe siècle. Galerie orientale, moitié nord Dans un grand déploiement de forces, Chams et Khmers s’affrontent à nouveau, formant vers le centre une mêlée furieuse où les éléphants eux-mêmes participent à l’action : l’un d’eux cherche, de sa trompe enroulée, à arracher une défense à la bête qui lui est opposée ; un autre est exceptionnellement représenté de face. Étendards, enseignes et parasols, en nombre incalculable, forment une véritable toile de fond ; on y remarquera, du côté des Khmers qui semblent initialement prendre le dessus, de curieux panneaux grillagés destinés sans aucun doute à arrêter les flèches de l’adversaire sans intercepter la vue. 2. Galeries intérieures (2e enceinte) Nous n’adopterons ici que pour la commodité de la visite le mode habituel de circulation qui, partant de l’entrée principale est, laisse constamment le temple à main droite. Il s’agit en effet non plus d’une galerie pourtournante d’un seul tenant, mais d’une succession de locaux indépendants, cellules et tronçons de galeries nettement séparés. Les divers panneaux de bas-reliefs doivent être considérés comme autant de tableaux et seulement certains d’entre eux ont un sens lié de toute évidence au développement du sujet représenté ; nous le préciserons lorsqu’il sera contraire à celui de notre marche. Galerie orientale, moitié sud 1. Entre deux tours – À droite, ascètes et animaux dans la forêt, en pays de montagnes ; en face (très effacé), scène de palais, présidée par un personnage royal ; à gauche, autre scène de palais, personnage principal à l’état d’ébauche. 2. Petite pièce – À droite, roi dans un palais parmi des ascètes, au-dessus de scènes champêtres et de chasse ; en face, brahmanes autour d’un brasier à l’intérieur d’un temple survolé par des apsaras. 3. Galerie basse – À droite de la porte, princesse dans un palais au milieu de ses suivantes ; grand panneau de face et retour à gauche : défilé d’armée habituel, mais où Khmers et Chams (?) sont mélangés ; personnage royal debout sur un éléphant, précédé de l’arche du feu sacré.
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53. Bayon, apsara, galerie du deuxième étage.
Angle sud-est Guerriers en marche et chef debout sur un éléphant. Galerie sud, moitié orientale 1. Galerie basse – Panneau très corrodé et confus. Défilé de guerriers (Chams ?), lutte entre deux personnages de haut rang, guerriers venant en sens inverse et paraissant de même nationalité. Scène de palais ; on voit ensuite un homme grimpé sur un cocotier, puis un énorme garuda et un gigantesque poisson symbolisant l’Océan dans lequel est censée plonger la base du Mont Meru, représenté comme une montagne peuplée d’ascètes et d’animaux. Reprise du défilé, avec un nouveau personnage de haut rang, devant des façades de palais où des salles vides garnies seulement de quelques accessoires, alternent avec d’autres qu’occupent des princesses respirant une fleur ou se coiffant devant un miroir. 2. Petite pièce – Lutte d’un personnage royal, très grand d’échelle, contre un lion (?) et, à gauche contre un éléphant qu’il vient de terrasser et dont il tient une des pattes postérieures. 3. Entre deux tours – Commençant par le mur en retour de la partie gauche, on voit, au-dessus d’un défilé de guerriers, un roi quittant son palais dont la pièce principale reste vide, garnie seulement de quelques accessoires (arc, carquois et chasse-mouches), tandis qu’une princesse est assise au milieu de ses suivantes. En face et de gauche à droite, c’est une scène de combat, d’ailleurs peu développée, contre un autre prince et son armée, puis un palais au bord d’une pièce d’eau avec un autre bâtiment où quelques personnages entourent un brasier. Vient ensuite un cortège de musiciens et d’hommes portant à l’épaule un trône vide, sortant d’un palais occupé seulement par des femmes, le seigneur étant absent. Au registre inférieur, une princesse se prépare à enfermer un enfant dans un coffre : il semble que celui-ci soit destiné à être précipité dans l’étang voisin. Un pêcheur, monté sur une barque, y jette l’épervier en présence d’une princesse richement parée dont la somptueuse embarcation est auréolée par des apsaras ; de l’étang jaillit un énorme lotus servant de piédestal à quelque idole ou personnage dont l’image a été bûchée, près d’un groupe d’adorateurs qui lui rendent hommage. Il est vraisemblable que cette scène sert de prélude à la légende ciselée sur le panneau de droite en retour et qui a été identifiée : c’est l’histoire de « Pradyumna, fils de Krishna et de Rukmini, jeté à la mer par le démon
Çambara. L’enfant est dévoré par un poisson, que des pêcheurs prennent ensuite dans leur filet et viennent offrir à Çambara. En dépeçant l’animal, les pêcheurs trouvent Pradyumna (qui n’est autre que Kâma, le dieu de l’amour). Une servante de Çambara, Mâyâvati (incarnation de Rati, l’épouse de Kâma), élève en cachette celui qui doit être son époux et qui tuera plus tard Çambara » (G. Cœdès). On voit l’enfant vivant assis dans le ventre du poisson que le roi fait le geste de dépecer, puis présenté à Mâyâvati qui lui tend les bras. Galerie sud, moitié occidentale 1. Entre deux tours – Panneau de droite en retour très effacé : on distingue un personnage couché dans un palais, dont l’épouse, assise à son chevet, semble se lamenter. En face, panneau çivaïte de facture déplorable ; le dieu est représenté deux fois debout, sur un trône, puis sur un lotus épanoui, au milieu de ses adorateurs, dont l’un est allongé sur le sol ; une sorte de coffre ou de reliquaire est porté sur une charrette. À gauche en retour, autre Çiva difforme tenant le trident au-dessus d’apsaras dansant avec accompagnement d’orchestre. 2. Petite pièce – À droite en retour, on voit à la base une scène d’intérieur ; des pigeons sont perchés sur la toiture. En haut, architecture de temple, d’où un Vishnou à quatre bras semble descendre vers un Çiva debout tenant un trident. En face, scène analogue, mais sans personnage à quatre bras. 3. Galerie basse – Apsaras volantes et personnage debout (Çiva ?) ceint du cordon brahmanique, recevant les hommages de brahmanes. Paysage de montagne peuplé de fauves (un tigre dévore un homme) servant de fond à un temple aux portes closes. Des princesses se promènent sur un étang, de part et d’autre d’un charmant groupe de trois apsaras dansant sur des lotus ; au-dessus, c’est sans doute Çiva assis dans son palais céleste au milieu de sa cour. Au-delà, c’est le temple de Çiva (représenté debout), érigé au milieu d’un étang dont les rives sont peuplées d’ascètes et d’animaux ; un tigre poursuit un ascète, tandis que d’autres religieux conversent dans un palais et que plusieurs adorateurs se prosternent devant le dieu. Au centre du panneau, c’est Vishnou à quatre bras, debout, sous forme de statue au bord d’un bassin, entouré d’apsaras volantes : une foule se prosterne, dont un personnage étendu sur le sol, qu’accompagne le même coffre monté sur roues que nous avons mentionné plus haut. Des chevaux figurent
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54. Bayon, trois apsaras dansantes, pilier, gopura, galerie extérieure.
dans le cortège, qui vient d’un palais figuré à gauche et dont l’escalier est gardé par des lions ; un haut personnage paraît y donner des ordres, tandis que de nombreux serviteurs préparent fiévreusement le départ. À l’extrémité, en retour, des princesses se promènent dans un jardin, au bord d’un étang où l’une d’elles cueille des lotus. Nous assistons sans aucun doute à l’organisation de quelque pèlerinage royal au sanctuaire du dieu. Galerie occidentale, moitié sud 1. Galerie basse – À droite, femmes dans un palais dont la salle principale est vide. En face, Vishnou à quatre bras, armé de ses attributs habituels, debout sur garuda et « subjuguant, pour son propre compte ou pour celui du personnage qui se trouve derrière lui, une armée d’Asuras » (G. Cœdès) ; puis scène dans un palais dont une place est vide. 2. Petite pièce – Nouvelle scène dans un palais, avec apsaras dansant aux sons d’un orchestre ; à gauche, femmes nageant et cueillant des lotus dans un étang au bord duquel se tient un ascète ; au-dessus, danses, et tout en haut, scène de lutte à deux personnages et couple enlacé. 3. Entre deux tours – À droite, scène d’adoration du dieu Vishnou à quatre bras, surmontant quelques épisodes de la construction d’un temple, traités de façon plus complète que sur les bas-reliefs de la galerie extérieure : des coolies halent un bloc de pierre glissant sur des rouleaux, d’autres procèdent au rodage des blocs à l’aide d’un système spécial à levier et en effectuent la pose, d’autres enfin transportent des matériaux sous la menace du rotin. En face, nouvelle scène d’adoration de Vishnou, dont la statue se trouve au-dessus d’un orifice d’évacuation des eaux provenant de l’intérieur du monument ; apsaras volantes et foule de serviteurs portant des plateaux. C’est sans doute la cérémonie d’inauguration du temple. Scène nautique, avec joueurs d’échecs dans une jonque richement décorée et entourée de barques, et combat de coqs : même sujet que la « Fête nautique de Dvâravati » du pavillon d’angle sud-ouest d’Angkor Vat. À gauche en retour, sous une scène de palais (Çiva, avec Vishnou dansant sur sa droite), diverses pages de la vie des ascètes, les uns méditant dans des grottes, d’autres nageant parmi des lotus près d’un oiseau qui tient un poisson dans son bec. Galerie occidentale, moitié nord 1. Entre deux tours – À droite en retour, scènes de palais très effacées. En face, sur trois registres, défilé de guerriers, principalement de cavaliers, avec deux hauts per-
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sonnages assis dans leurs chars traînés par des chevaux. À gauche en retour, suite du défilé. 2. Petite pièce – À droite en retour, entretien de deux seigneurs dans un palais, jeunes princesses aux mains de leurs habilleuses, et, sur la gauche, temple abritant un dais dressé sur une pyramide à gradins (pavillon d’incinération ?). En face, au milieu d’une assemblée de brahmanes dont certains entourent une sorte de foyer dressé sous un toit, un archer décoche sa flèche, tandis qu’un autre prépare son arme. 3. Galerie basse – Autre épreuve de tir à l’arc, avec, à gauche un seigneur dans son palais. Le grand panneau est écroulé sur une bonne partie de sa longueur ; il montre le Barattement de la Mer de lait, et ses vestiges présentent d’excellentes qualités plastiques. C’est d’abord une assemblée de brahmanes, puis, sous un vol d’oiseaux et d’apsaras, le corps du serpent avec les asuras du côté de la tête et les devas, aidés du singe Hanuman, du côté de la queue. Une réplique du serpent rampe au fond de la mer, représentée par un registre de poissons. Au centre, le pivot est figuré par une colonne reposant sur la tortue (avatar de Vishnou) ; le fût est enlacé par le dieu sous sa forme humaine à quatre bras, tandis qu’un autre personnage surmonte la scène, comme à Angkor Vat, au-dessus du chapiteau en forme de lotus. On aperçoit les deux disques du soleil et de la lune, ainsi que le flacon destiné à contenir l’amrita, liqueur d’immortalité convoitée par les dieux et les démons. À gauche, un dieu assis sur un oiseau semble vouloir apaiser le groupe d’asuras en bataille qui termine la composition ; leur chef est debout sur une charrette traînée par de superbes lions. Angle nord-ouest Défilé de guerriers. Galerie nord, moitié occidentale 1. Galerie basse – Scènes de palais sur trois registres. Puis, sur deux registres, défilé de serviteurs semblant porter des offrandes et se dirigeant, à la suite d’un personnage de taille plus élevée, vers une montagne peuplée de fauves (éléphants, rhinocéros, nâgas et autres serpents, etc.), coupée par un étang et couronnée par un sanctuaire aux portes closes. On voit ensuite un autre temple plus important, également fermé, dont l’entrée est gardée par deux dvârapâlas. Des ascètes agenouillés semblent recevoir un autre cortège venant de la gauche et mené par deux personnages de haute taille porteurs du trident. Peut-être, viennent-ils de débarquer sur le rivage, car la scène devient nautique,
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avec un groupe de trois jonques richement ornées et de grande dimension, les deux premières montées par des hommes aux cheveux ras et un seigneur tenant le trident, l’autre par des personnages dont la tête est couverte d’une fleur renversée, entourant un couple central et se livrant à toutes sortes de divertissements sous une nuée d’oiseaux. On revient enfin sur la terre ferme où, dans un palais de montagne et parmi les ascètes, traînent plusieurs personnages dont l’un au moins armé du trident (Çiva ?). 2. Petite pièce – En face, sous un vol d’apsaras et très gauchement représenté, c’est Çiva à dix bras dansant le « tândava », qui doit régler le rythme de l’univers ; Vishnou est à sa droite, Brahmâ aux quatre visages à sa gauche, avec Ganeça, tandis qu’au-dessous apparaît un Râhu dévorant. Sur le pan de mur en retour, en haut d’une montagne peuplée d’ascètes, autre aspect de la « Trimûrti » : Çiva assis entre Vishnou et Brahmâ, au-dessus d’un énorme sanglier chargeant. 3. Entre deux tours – À droite en retour, toujours Çiva assis, entouré d’ascètes et de femmes, dont la première doit être son épouse Pârvati ; le taureau Nandin se tient à proximité. En face, dans un paysage de montagnes où des ascètes sont en prière, une femme arrangeant d’un geste gracieux sa chevelure apparaît dans l’embrasure d’une porte, entre un prince ou un dieu et un ascète ; sur le linteau, on aperçoit une sorte de lézard. Ce serait, selon les uns, la légende, déjà représentée à Angkor Vat, de Râvana prenant la forme d’un caméléon pour s’introduire dans l’appartement des femmes du palais d’Indra ; selon d’autres, ce serait la descente sur la terre de la déesse Ganga (le fleuve Gange). Puis c’est la scène également visible à Angkor Vat, de Kâma, dieu de l’amour, décochant une flèche à Çiva qui méditait au haut d’une montagne avec Umâ à ses côtés : le dieu rendu furieux foudroie Kâma, que l’on voit étendu sur le sol, son épouse Rati à ses pieds. Là encore le taureau Nandin est représenté, gravissant la pente. Le panneau se termine par une scène imprécise où un prince siège dans son palais au faîte d’une montagne. À gauche en retour, Çiva monté sur Nandin, d’une exécution très médiocre. Galerie nord, moitié orientale 1. Entre deux tours – À droite en retour, Çiva sur Nandin, avec son épouse Umâ assise sur sa cuisse, passe devant un palais où l’on voit le roi des nâgas, à têtes multiples de serpents ; en bas, danses d’apsaras. En face, il semble qu’on assiste aux préparatifs de l’incinération d’un personnage que l’on voit transporté à bras
57. Portrait présumé de Jayavarman VII. Provenance Krol Romeas, Angkor Thom (Musée national, Phnom Penh).
sur le registre inférieur ; au-dessus, l’urne funéraire et le pavillon crématoire, surmonté d’une tête de Kâla. Puis c’est un épisode de Mahâbhârata : « le duel entre Arjuna et Çiva déguisé en Kirâta, à propos d’un sanglier que l’un et l’autre prétendent avoir tué, et qui n’est autre que le râkshasa Mûka ; Çiva vainqueur se laisse reconnaître et donne à Arjuna l’arme Pâçuputa qui doit lui servir dans ses exploits futurs » (G. Cœdès). À gauche de la porte, personnage assis dans un palais au sommet d’une montagne, entouré de femmes. Puis c’est « la légende de Râvana à demi écrasé par Çiva, sous la montagne qu’il prétendait secouer, bien connue par un bas-relief d’Angkor Vat et où les sculpteurs n’ont eu garde d’oublier le char Pushpaka », attelé de hamsas (G. Cœdès). Sur le panneau en retour, deux scènes de palais superposées. 2. Petite pièce – Défilé sans aucune particularité. 3. Galerie basse – Serviteurs porteurs d’offrandes (?). Puis, au-dessus d’un registre d’ascètes en prière, faisant suite à un bassin parementé en gradins, riche palais dont les trois tours sont surmontées d’un trident, sur un fond de cocotiers : le trône central est vide, et les sanctuaires latéraux abritent les statues de Vishnou et de Lakshmî. Plus loin, c’est Çiva bénissant ses adorateurs sous un vol d’apsaras ; il semble que ce soit un roi, suivi de son armée, qui vienne implorer la faveur du dieu. Défilé habituel de fantassins aux cheveux ras avec musiciens, éléphants et chevaux ; des princesses suivent, portées dans des palanquins, ainsi qu’un énorme coffre et une charrette avec rouf attelé de bœufs. On passe devant des habitations désertées, puis on voit le roi montant dans son char à six roues au sortir de son palais, où des danses ont égayé la soirée des adieux. Angle nord-est Fragments de défilé sans intérêt. Galerie orientale, moitié nord 1. Galerie basse – Grand défilé d’armée, où l’on relève deux sortes de coiffures ; cheveux ras et fleur renversée. En bas passent musiciens, fantassins encadrés de cavaliers, charrette princière tirée par des chevaux et d’autres avec rouf, traînées à bras. En haut, grand char-litière à six roues monté sur hamsas et porté ou tiré à l’épaule, occupé par un prince, entre deux de ses femmes ; princesses en palanquin, entourées d’enfants ; arche du feu sacré (?), trône vide et le roi armé d’un arc assis à éléphant, suivi par deux autres chefs. Passée la porte, un petit panneau montre un prince – peut-être le roi implorant la faveur du dieu avant de partir
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en guerre allongé sur le sol aux pieds de Çiva, près de son trône vide. 2. Petite pièce – Sur un bassin parementé de gradins voguent deux barques entourées de poissons, parmi lesquels on en distingue deux à tête humaine. Des plongeurs semblent à la recherche d’un objet précieux – peut-être le bloc informe que l’on voit au-dessus porté à l’épaule sur une sorte de trône. Un vol d’apsaras et d’oiseaux couronne le tout. À gauche en retour, on voit généralement dans le sujet traité la représentation d’un acte de vandalisme : des iconoclastes semblent vouloir renverser et briser une statue de femme, entourée de cordes sur lesquelles tirent à la fois des hommes et des éléphants. Le docteur Bosch donne une interprétation qui nous semble préférable : « Bien loin de s’efforcer de renverser ou de détruire quelque chose, des gens sont occupés à rendre à une prisonnière le grand service de la délivrer de sa prison. Au-dessus de sa tête, on ouvre le rocher avec des pioches ; les éléphants l’écartent ; en bas, on applique l’ancienne méthode pour fendre la pierre dure : on la chauffe avec du feu, puis on l’arrose avec de l’eau ou plutôt avec du vinaigre. Il semble que la scène se rapporte à une légende d’un type très répandu, racontant qu’un roi ou un prince passe devant une montagne et entend une voix féminine qui chante ou pousse des gémissements ; il fait ouvrir le rocher et délivre la femme (princesse, nâgî, source) qu’il épouse ». Ainsi expliquée, la scène pourrait être en relation avec la précédente, qui représenterait alors la source libérée devenant un objet d’adoration en tant que source curative ; certains même y verraient la suite de la légende du Roi Lépreux, figurée dans l’élément de galerie voisin, et le Çiva du dernier panneau de la galerie basse deviendrait un simple rishi guérisseur, devant lequel se prosternerait le souverain sauvé par lui. Simples hypothèses… 3. Entre deux tours – C’est la « Légende du Roi Lépreux » identifiée par M. Goloubew, et qui doit se lire de gauche à droite. Un roi trône dans son palais, près de son épouse, entouré de sa cour et de danseuses. Il lutte contre un serpent, tandis qu’au-dessous, la foule commente l’événement. Le monstre l’ayant souillé de son venin, il contracte la lèpre ; assis dans son palais, il donne des ordres à ses serviteurs qui descendent un escalier et semblent se précipiter pour aller consulter dans la forêt des ascètes guérisseurs. Des femmes entourant le souverain malade examinent sur ses mains les progrès du mal ; on le voit enfin couché, avec un ascète debout à ses côtés. On remarquera sous la scène de la lutte contre le serpent une pierre mobile servant à boucher l’orifice d’une canalisation intérieure d’évacuation des eaux.
Les abords du Bayon Le quadrilatère de routes qui contourne le Bayon se signale à l’attention, outre les deux énormes statues de Bouddha dorées de très basse époque qui se trouvent au nord et au sud, par deux monuments commémoratifs modernes ; l’un à l’angle sud-ouest est la tombe de Commaille, premier conservateur d’Angkor, assassiné en 1916 par des pirates ; l’autre, à l’angle nord-ouest, est la stèle érigée en l’honneur de Ch. Carpeaux, mort à la tâche en 1904. Si l’on prend d’autre part la route Carpeaux, on trouve à mi-chemin entre le Bayon et la porte ouest d’Angkor Thom, à 200 m au sud de la route, un petit monument non dénommé, classé sous le numéro 486. MONUMENT 486 Date : basse époque, avec éléments de la fin du Xe siècle Culte : brahmanique, puis bouddhique Dégagement par H. Marchal en 1918 Une terrasse en latérite garnie de lions précède une plateforme à usage de terrasse bouddhique, entourée de stèles ou « sema », à l’extrémité de laquelle se voit encore le piédestal qui supportait l’idole. Immédiatement derrière, surélevé sur un triple soubassement mouluré en grès en grande partie démoli, se trouve le sanctuaire principal. Celui-ci, très ruiné, est une construction tardive consacrée au Bouddha, que l’on voit assis sous l’arbre de la Bodhi sur le fronton oriental ; elle semble avoir pris la place d’un ancien prasat brahmanique dont le soubassement initial en latérite a été revêtu de grès dans la hauteur des deux gradins supérieurs. Les colonnettes et linteaux en grès rose, du style de Bantéay Srei (fin du Xe siècle) ont été conservés, plus ou moins retaillés : on reconnaît à l’est Çiva sur Nandin (taureau sacré) et au nord Indra sur éléphant ; ils sont en parfait état et d’une grande finesse d’exécution. La cella, de 2 m sur 2,30 m au centre, est ouverte aux quatre axes et de plan cruciforme. Deux autres sanctuaires d’époque tardive ouvrant à l’est s’alignent sur la tour principale de part et d’autre de celleci, reposant sur le même gradin de base, donc fortement en contrebas : il n’en subsiste, surtout au sud, que quelques pans de murs croulants. Au nord on voit encore en place, au-dessus de la fausse porte occidentale sculptée d’un Bouddha debout à « usnisha » flammée, l’assise de base d’un fronton à Bouddha assis, la fausse porte sud est également restée à peu près intacte. Alentour, plusieurs frontons ont été reconstitués au sol ; ils sont ornés de motifs assez particuliers, notamment
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58. Angkor Thom, Terrasse Royale, partie centrale.
un décor floral stylisé, une énorme tête de Kâla, et une aiguière à bec d’oiseau ; les formes sont partout très molles et les divers éléments singulièrement abâtardis.
Fig. 16. Grande place d’Angkor Thom. Fig. 17. Partie nord d’Angkor Thom.
LA PLACE ROYALE D’ANGKOR THOM De la face nord du Bayon, deux routes parallèles se détachent, de direction nord-sud, encadrant un long rectangle de 720 m sur 80, coupé vers son milieu par la route située dans l’axe de l’enceinte du Palais Royal et conduisant à la Porte de la Victoire (face est d’Angkor Thom). Ces voies desservent l’une, les monuments qui se trouvent à l’ouest de la grande place ainsi formée : Baphûon, Terrasse des Éléphants avec le Palais Royal et son temple, le Phiméanakas, Terrasse du Roi Lépreux, Tep Pranam et Prah Palilay ; l’autre, les monuments situés à l’est : Prasat Suor Prat et les deux Kléang, Prah Pithu. La Place Royale proprement dite, aujourd’hui dégagée des arbres qui l’encombraient, forme une vaste esplanade d’environ 550 m sur 200 qui devait se prêter admirablement aux évolutions des cortèges ou processions et défilés militaires. Dès le règne de Jayavarman VII, constructeur de la Terrasse des Éléphants vers la fin du XIIe siècle, le roi et sa cour pouvaient assister au spectacle du haut de celle-ci, garnie sans doute de riches tribunes édifiées en matériaux légers. En 1296, vers la fin de la période de gloire, le voyageur chinois Tcheou Ta-Kouan nous décrit certaines de ces fêtes en termes instructifs : « En avant du palais on assemble une grande estrade pouvant contenir plus de mille personnes. On la garnit entièrement de lanternes et de fleurs. En face on réunit des montants de bois et on les assemble en des échafaudages élevés. Au sommet on place des fusées et des pétards. La nuit tombée, on prie le souverain de venir assister au spectacle. On fait partir fusées et pétards, les pétards sont gros comme des pierreries, et leur explosion ébranle toute la ville. Chaque mois il y a une fête : au neuvième mois, elle consiste à rassembler dans la ville la population de tout le royaume et à la passer en revue devant le palais ; le cinquième mois, on rassemble les Bouddhas de tous les points du royaume, on apporte de l’eau, et en présence du souverain on les lave. … Quand le prince sort, de la cavalerie est en tête d’escorte ; puis viennent les étendards, les fanions, la musique. Des filles du palais, au nombre de trois à cinq cents, en étoffes à ramages, des fleurs dans les cheveux, tiennent à la main de grands cierges et forment une troupe ; même en plein jour leurs cierges sont allumés. Puis viennent des filles du palais portant les ustensiles royaux d’or
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et d’argent et toute la série des ornements, le tout de modèles très différents. Ensuite il y a des filles du palais tenant la lance et le bouclier, et qui sont la garde privée du prince ; elles aussi forment une troupe. Suivent les voitures à chèvres, les voitures à chevaux, toutes ornées d’or. Les ministres, les princes sont montés à éléphant ; leurs parasols rouges sont innombrables. Après eux arrivent les épouses et concubines du roi, en palanquin, en voiture, à éléphant. Elles ont certainement plus de cent parasols garnis d’or. Derrière elles, c’est le prince, debout sur un éléphant et tenant la précieuse épée. Les défenses de l’éléphant sont enveloppées d’or. Il y a plus de vingt parasols blancs garnis d’or et dont les manches sont en or. Des éléphants nombreux se pressent autour de lui et de la cavalerie le protège. » Ne croirait-on pas voir un de ces défilés représentés sur les bas-reliefs du Bayon ? Pour la visite, nous conseillons de voir le matin les monuments situés à l’ouest de la route principale ; on parcourra la Terrasse des Éléphants, en y accédant par son perron central, puis on verra successivement la Terrasse du Roi Lépreux, le Bouddha de Tep Pranam, Prah Palilay, le Palais Royal avec le Phiméanakas, puis l’on terminera ce circuit par le Baphûon. On réservera de préférence pour l’après-midi les monuments situés en bordure orientale de la place, l’éclairage étant alors beaucoup plus favorable. TERRASSE DES ÉLÉPHANTS Date : fin du XIIe siècle Roi constructeur : Jayavarman VII (nom posthume : Mahâ paramasangata pada) Dégagement par de Mecquenem en 1911 et H. Marchal en 1916 La Terrasse des Éléphants, dans son état actuel, s’étend sur plus de 300 m de longueur, du Baphûon à la Terrasse du Roi Lépreux, mais ses deux extrémités restent fort imprécises dans leur tracé. Elle porte les marques de remaniements et de rajouts. En façade, sur la place, elle présente cinq avant-corps avec emmarchements, dont trois principaux. Le perron sud est encadré des motifs déjà rencontrés aux portes d’Angkor Thom des trois têtes d’éléphants dont les trompes formant piliers cueillent des lotus. Il en est de même aux deux perrons secondaires encadrant le perron central. Celui-ci, très développé, a ses parois latérales, ainsi que les murs de la terrasse proprement dite jusqu’aux perrons secondaires, sculptés de lions et de garudas en atlantes. Sur le dessus, les divers ressauts sont marqués par des lions en ronde-bosse et des nâgas balustrades sur dés avec garuda sur le chaperon, nettement du style du Bayon, sauf quelques-uns d’époque antérieure dépourvus de garuda.
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59. Angkor Thom, divinités atlantes, Terrasse Royale, partie centrale.
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60. Angkor Thom, combat d’éléphants, Terrasse Royale, partie sud dite Terrasse des Éléphants.
Pages suivantes : 61. Angkor Thom, protomé d’éléphants, accès sud, Terrasse Royale.
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L’avancée nord comporte, au lieu d’un escalier axial, deux raides emmarchements symétriquement disposés. Un autre escalier se trouve sur la face latérale nord qui, comme celle du côté sud, est sculptée, partie de garudas et de lions en atlantes, partie de bas-reliefs à registres représentant des scènes de sport ; luttes, courses de chars, jeu de polo – ce dernier étant originaire de l’Inde. Sur la totalité de leur développement, les autres panneaux en façade sont sculptés en haut-relief d’éléphants montés par leurs cornacs, à peu près grandeur nature et représentés de profil dans des scènes de chasse traitées avec un certain réalisme. Ils sont surmontés d’une balustrade en corps de nâga sur dés. Le dessus de la terrasse, d’où l’on voit en contrebas les murs d’enceinte et le gopura oriental du Palais Royal, de construction bien antérieure, est à deux niveaux : berme de 4 m de largeur vers la place et plateforme de 10 m au soubassement sculpté de « hamsas » (oies sacrées). Des constructions en matériaux légers, dépendant du Palais mais sur la nature desquelles on ne peut émettre que des hypothèses, l’occupaient très certainement ; quelques vestiges de blocages en latérite subsistent au droit de l’avancée nord, qui devaient être parementés de bas-reliefs en grès. Un sondage pratiqué sur le dessus de cette même avancée devant ledit massif prouve qu’à cet endroit, il y avait eu remaniement ; on remarquera en effet, dans une sorte de fosse, un panneau sculpté à haut-relief qui ne peut qu’avoir fait partie d’une ancienne façade. Ce morceau de sculpture, vivant et expressif, offre de remarquables qualités plastiques ; il représente un cheval à cinq têtes, cheval de roi abrité par des parasols étagés, entouré d’apsaras et de génies menaçants armés d’un bâton poursuivant quelques personnages à la mine terrifiée, beaucoup plus petits d’échelle. L. Finot et V. Goloubew seraient portés à voir en lui une représentation de Lokeçvara sous la forme du cheval divin Balâha. Au perron secondaire sud du groupe d’escaliers central, un autre sondage montre à l’état de neuf de superbes garudas et lions en atlantes à l’alignement du mur de façade générale : cela semble prouver que ledit perron n’était qu’un rajout. De nouvelles recherches entreprises par M. Marchal, en 1952, ont amené la découverte d’autres bas-reliefs intérieurs, à la Terrasse des Éléphants, à l’extrémité nord. TERRASSE DU ROI LÉPREUX Date : fin du XIIe siècle Roi constructeur : Jayavarman VII (nom posthume : Mahâ paramasangata pada) Dégagement par De Mecquenem en 1911 et H. Marchal en 1917 La Terrasse du Roi Lépreux, située immédiatement au nord de la Terrasse des Éléphants dont elle est séparée par
62. Yama (?), statue dite du Roi Lépreux. Provenance : Terrasse Royale, partie nord dite Terrasse du Roi Lépreux, Angkor Thom (Musée national, Phnom Pen).
un espace libre, est constituée par un massif en maçonnerie d’environ 25 m de côté pour 6 m de haut, formant bastion redenté sur l’alignement général. Ses faces, parementées de grès, sont entièrement sculptées de personnages en assez haut relief juxtaposés et répartis sur sept registres dont le dernier a presque totalement disparu. Il est vraisemblable que ce motif, qui ne se rattache aujourd’hui, tant vers le nord que vers le sud, qu’à des amorces de murs et paraît par suite isolé, n’était jadis qu’un des éléments d’une vaste composition d’ensemble, peut-être agrémentée de bassins, et qui aurait subi divers remaniements. Les travaux de dégagement ont révélé l’existence, à 2 m en retrait de la face extérieure dont il suit tous les redents, d’un second système de murs également sculptés de bas-reliefs de composition identique ; l’intervalle qui les séparait avait été rempli par un blocage en latérite qu’il a fallu démolir au pic. Le fait que certaines sculptures du mur intérieur soient restées à l’état d’ébauche et que son amorce nord-sud vers la Terrasse des Éléphants soit sensiblement à l’alignement de celle-ci, tendrait à faire croire à une simple rectification de tracé, décidée en cours de construction par un souverain peu soucieux des difficultés de main-d’œuvre. Il n’est pas impossible pourtant que ce curieux dispositif réponde à quelque préoccupation symbolique liée à l’idée de Mont Meru, la paroi cachée devant alors représenter la partie de la montagne cosmique s’enfonçant dans le sol, égale à sa partie visible en élévation. Quoi qu’il en soit, les bas-reliefs tant extérieurs qu’intérieurs, d’une présentation volontairement monotone, ne montrent que des alignements de personnages assis représentant, semble-t-il, les divers êtres fabuleux, Nâga, Garuda, Kumbhanda qui hantent les flancs du Mont Meru, figurés par des géants parfois à bras multiples, porteurs de glaives ou de massues, et de femmes au torse nu dont la parure et la coiffure triangulaire à petits disques flammés relèvent du style du Bayon. Pour en apprécier les qualités d’exécution, le visiteur ne manquera pas d’examiner la face nord – la mieux conservée – et son retour parallèle à la route, où s’amorcent quelques scènes de palais traitées dans un esprit quelque peu différent : on y voit notamment un avaleur de sabres et des suivantes curieusement coiffées d’un chignon sur le côté. Revenant ensuite sur la face sud, on pénètre dans le couloir intérieur où le décor, débutant par une frise basse de poissons, d’éléphants et la représentation verticale d’une rivière, se poursuit avec les mêmes éléments qu’à l’extérieur, agrémentés de quelques apsaras :
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63. Angkor Thom, souverain, concubines et gardiens porteurs de glaive, Terrasse Royale, partie nord dite Terrasse du Roi Lépreux. 64. Angkor Thom, ancien et nouveau mur de façade, Terrasse Royale, partie nord.
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65. Angkor Thom, divinités stellaires (?), mur de façade originelle, Terrasse Royale, partie nord.
66. Angkor Thom, personnages féminins, mur de façade originelle, Terrasse Royale, partie nord.
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67. Angkor Thom, divinité et assistantes, mur de façade originelle, Terrasse Royale, partie nord. 68. Angkor Thom, divinité et assistantes, mur de façade originelle, Terrasse Royale, partie nord.
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69. Angkor Thom, le cheval Uccaihçravas, monture d’Indra, le roi des dieux (?), mur de façade originelle, Terrasse Royale, partie nord.
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la sculpture, longtemps protégée, est demeurée dans un état de conservation remarquable. En fin de parcours, des gradins en latérite permettent de gagner le niveau supérieur de la terrasse. Entouré de trois autres statues de petite taille et décapitées, portant la massue sur l’épaule droite, le « Roi Lépreux » se tient assis « à la javanaise », le genou droit levé : reposant sur un simple élément de dallage à l’emplacement même où il a été trouvé et qui correspond peut-être à sa place primitive, il offre la particularité d’être entièrement nu – fait unique dans l’art khmer – mais sans aucune indication des organes sexuels. Il ne porte d’autres signes de lèpre que quelques plaques de lichen et sa célébrité est d’ordre plus littéraire que plastique : d’une facture assez molle et d’un type quelque peu bellâtre, il doit être rangé parmi les œuvres de qualité moyenne sans atteindre au premier rang. Cette statue du « Roi Lépreux », tenue par certains comme une représentation de « Çiva ascète », peut être en définitive – si l’on en croit une courte inscription du XVe siècle gravée sur son socle – un « Dharmarâja ». C’est le nom sous lequel on désigne tantôt Yama, le Juge Suprême, tantôt l’un de ses assesseurs, « Inspecteur des qualités et des défauts » à l’heure du jugement. M. Cœdès estime que la coiffure très spéciale du personnage, faite de grosses torsades partant du front et couvrant la nuque, comme la présence de deux crocs près de la commissure des lèvres, soulignent son caractère démoniaque. Pour lui, « la Terrasse du Roi Lépreux avec ses étages superposés d’êtres fabuleux représente sans nul doute le Meru », et le fait qu’elle occupe au nord du Palais Royal l’emplacement qu’occupe encore à Phnom Penh et à Bangkok le terrain réservé aux crémations royales et princières, et désigné par le terme de « Val Prah Men », du nom du pavillon qu’on y dresse pour placer le bûcher crématoire, l’incline à penser que la Terrasse du Roi Lépreux n’était pas autre chose qu’un Men permanent, ce qui expliquerait pourquoi, « à une époque où l’on se souvenait encore de cette destination, on y a rassemblé des images du Dharmarâja, le dieu des morts ». Après une tentative de vol de la tête du « Roi Lépreux », la statue fut transférée au dépôt de la Conservation, puis au musée de Phnom Penh peu avant 1970 et remplacée par un moulage. De l’angle nord-ouest de la Terrasse du Roi Lépreux, on peut gagner directement par un sentier le Grand Bouddha de Tep Pranam, sans avoir à redescendre par l’escalier situé sur la face sud ni reprendre la route.
TEP PRANAM (Le dieu adorant) Grand Bouddha d’époque tardive (XVe et XVIe siècles) Dégagement par H. Marchal en 1918 À une centaine de mètres au nord de la Terrasse du Roi Lépreux, on aperçoit de la route le grand Bouddha assis de Tep Pranam. On y accède par une chaussée en latérite de 75 m sur 8, suivie d’une terrasse bouddhique, limitée par des « soma » ou stèles doubles placées aux angles et sur les axes. Cette terrasse se termine à l’ouest par une partie cruciforme de 30 m sur 30. Ses murs de soubassement, moulurés, sont en grès ainsi qu’une portion du dallage, et les deux lions qui la précèdent du côté est sont du style du Bayon tandis que les nâgas de ses balustrades sont d’époque plus ancienne. Une stèle inscrite sur ses quatre faces, dont on ignore l’origine exacte, se rapporte à son ancien monastère ou « âçrama » bouddhique (Saugatâçrama) fondé par Yaçovarman vers la fin du IXe siècle ; le texte fixe les divers règlements d’organisation, à peu près identiques à ceux du « Brâhmanâçrama » çivaïte et du « Vaishnavaçrama » fondés par le même roi au sud du Baray oriental. Les bâtiments étaient certainement en matériaux légers, et l’on
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Fig. 18. Bouddha de Tep Pranam (EFEO).
a retrouvé de part et d’autre des vestiges de monuments funéraires ou « cedei », ainsi que deux cuves en pierre. Reposant sur un soubassement mouluré, la statue, toute en grès appareillé, atteint elle-même 6 m ; c’est un énorme Bouddha « attestant la terre », assis sur un lotus. Le corps, où rentrent de nombreuses pierres de réemploi, a l’aspect d’une lourde ébauche, et la tête, dont l’« usnisha » est surmontée d’une flamme, est certainement de basse époque. Immédiatement à l’ouest du Tep Pranam sont les vestiges d’un bassin à gradins de latérite, au bord duquel on a pu reconstituer une autre grande statue de Bouddha debout, faisant le geste rituel de l’« absence de crainte » ; son visage n’a pu être retrouvé. Un autre Bouddha de même époque a été retrouvé au nord-est de la Place Royale. Travaux d’anastylose du Grand Bouddha exécutés en 1950 par M. Marchal. PRAH PALILAY Date : sanctuaire : première moitié du XIIe siècle gopura : fin XIIe-début XIIIe siècle Culte : bouddhique Dégagement par H. Marchal en 1918-1919 Anastylose du gopura par M. Glaize en 1937-1938
Fig. 19. Prah Palilay.
S’engageant derrière Tep Pranam dans le sentier en oblique allant vers le nord-ouest, on parvient au bout de 150 m au pied d’une terrasse royale à deux niveaux d’où l’on joint sur le Bouddha précédant l’entrée, le gopura et le sanctuaire même de Prah Palilay, entourés des fûts élancés de fromagers et de yaos, d’une perspective d’un caractère très particulier et d’un charme prenant. Cette terrasse cruciforme, d’une trentaine de mètres de longueur sur 8,50 m de largeur totale et 6 m à son niveau supérieur, est dans un état de conservation remarquable ; elle constitue l’un des plus élégants spécimens de ce genre d’ouvrages de la période classique, et les nâgas de ses balustrades aux sept têtes largement crêtées sont d’une ligne très pure que n’alourdit aucune surcharge. Deux dvârapâlas ou gardiens, aujourd’hui décapités, la précédaient du côté est, ainsi que deux lions trapus dont il ne subsiste qu’un exemplaire. Une chaussée de 33 m – bordée autrefois de « hamsas » ou oies sacrées, sculptées sur grès comme à la partie supérieure de la Terrasse des Éléphants – joignait la terrasse au gopura. Un grand Bouddha d’époque tardive – longtemps privé de sa tête, retrouvée en 1934 dans les racines d’un arbre – a été érigé devant le monument ; haut de 3,50 m socle compris, il est assis sur un lotus, « attestant la terre », et son « usnisha » se termine en flamme comme au Bouddha du Tep Pranam.
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70. Tour-sanctuaire.
Le mur d’enceinte en latérite, formant un carré de 50 m de côté, est interrompu par un seul gopura, sur la face est. Avant sa restauration en 1937, il n’en subsistait que l’ossature disloquée et branlante, fruit de toutes les malfaçons inhérentes aux bâtisses du style du Bayon. Il se présente aujourd’hui sous l’élégante silhouette d’un bâtiment cruciforme à trois passages, de proportion très élancée, couronné au centre d’une tour carrée à un seul étage, avec voûte en berceau à double pignon. Son principal intérêt vient de ses frontons, sculptés de scènes bouddhiques ayant par extraordinaire échappé aux méfaits des iconoclastes. On remarquera sur la face orientale de l’aile nord « l’offrande des animaux dans la forêt » – éléphants, singes et paons – scène qui serait à l’origine du nom de Prah Palilay par l’altération de « Pârilyyaka », nom du bois où le Bouddha se retira seul en quittant Kosambi. Puis, à l’ouest, le Bouddha assis accueillant « l’offrande de Sujâtâ », et, sur le pignon, la « soumission de l’éléphant furieux Nâlâgiri ». Le sanctuaire, tout en grès, dont la cella carrée de 5 m de côté s’ouvre sur les quatre faces par autant d’avant-corps, repose sur un socle édifié lui-même sur trois étages de soubassement formant 6 m de hauteur totale. Coupés sur chaque axe par un escalier à paliers intermédiaires, ils sont malheureusement très ruinés ainsi que les avant-corps : fait d’autant plus regrettable que leur ornementation, proche du style d’Angkor Vat, est de la meilleure époque classique (première moitié du XIIe siècle). Au-dessus se dresse une haute pyramide tronquée formant une sorte de cheminée aux parements bruts : bourrée de pierres de réemploi, elle constituait certainement un rajout et ne pouvait que servir d’ossature – comme aux tours à visages du Bayon – à quelque revêtement sculpté, sans doute en matériaux légers. À l’intérieur, au-dessus des portes, des poutres en bois dur doublant le linteau soutenaient en partie la maçonnerie : ce qu’il en restait, complètement rongé, a dû être remplacé par des éléments de béton armé sur les faces nord et ouest. Un grand Bouddha de basse époque mais de facture honorable est adossé à la baie occidentale, et près de lui se trouve un fort beau torse de Bouddha debout. D’excellents morceaux de sculpture provenant des frontons ont été mis à l’abri au Dépôt du Bayon, tandis que d’autres ont été disposés à l’entour du monument, représentant tantôt des scènes bouddhiques, tantôt des divinités brahmaniques : on remarquera notamment, de part et d’autre du gopura, à l’intérieur de l’enceinte, un Indra sur éléphant tricéphale et « l’assaut de Mâra et de son armée
de démons » contre le Bouddha, dont l’effigie n’a pu être retrouvée. Ce syncrétisme n’était pas rare chez les Khmers, et l’on peut supposer que si les sculptures bouddhiques de Prah Palilay ont échappé aux accès de vandalisme des successeurs de Jayavarman VII, d’un hindouisme intransigeant, ce fut grâce à la proximité du monastère du Tep Pranam (Saugatâçrama), dont il pouvait fort bien dépendre : le caractère officiel de celui-ci, situé à l’ombre du Palais Royal, peut avoir conféré à ses images saintes une sorte d’immunité spéciale. ENCEINTE DU PALAIS ROYAL PHIMÉANAKAS (Akâça-Vimâna, « palais aérien ») Prononcer Piméanakass Date : fin Xe-début XIe siècle Rois constructeurs : Râjendravarman (nom posthume : Çivaloka) ? ; Jayavarman V (nom posthume : Paramaviraloka) ; Sûryavarman I (nom posthume : Paramanirvânapada) Culte : brahmanique à l’origine Dégagement par Commaille en 1908 et H. Marchal de 1916 à 1918. Creusement du Bassin nord commencé par M. Glaize en 1944 Quittant Prah Palilay par la brèche pratiquée dans la face sud du mur d’enceinte, dans l’axe du monument qu’escaladent de ce côté de beaux fromagers, on chemine pendant environ 200 m dans la forêt : c’est une très agréable promenade, que l’on peut compléter en prenant à gauche, vers l’est, un sentier longeant le mur extérieur de l’enceinte du Palais Royal : à moins de 100 m, on rencontre les vestiges d’un ancien bassin qui devait appartenir à la même composition d’ensemble que la terrasse du Roi Lépreux, et dont la paroi occidentale est sculptée face à l’est d’intéressantes scènes nautiques. Revenant sur ses pas, on pénètre par le gopura occidental de sa face nord à l’intérieur du Palais Royal, dont le mur d’enceinte en latérite, haut de 5 m et fort bien construit, doublé d’un second mur de date plus récente et séparé du premier par un fossé de 25 m de largeur, entourait un vaste rectangle de 250 m sur 600. Les faces nord et sud de cet enclos de 15 hectares comportaient chacune deux gopuras semblables tout en grès dont le mieux conservé est précisément celui que nous traversons. De plan cruciforme, ils se composaient
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d’une tour-passage carrée à étages fictifs en retrait et de deux ailes voûtées en berceau se terminant par des frontons à grandes volutes. D’un décor très sobre et soigné, ils ont toute la pureté de style de l’époque classique : on remarquera, encore en place aux angles des corniches, des réductions d’édifice en parfait état. Le sol que l’on foule en débouchant du gopura et qui correspond sensiblement au niveau de base de la pyramide du Phiméanakas, située au centre de l’enceinte, est de 1,20 m plus élevé que le sol extérieur, la différence étant rattrapée de ce côté par un double soubassement. On peut, si le sentier d’accès en est débroussaillé, se diriger vers la droite, c’est-à-dire vers l’ouest, où se trouve un ancien bassin de 50 m sur 25, à margelle et gradins en latérite, que l’on suppose avoir appartenu à la partie du palais réservée aux femmes : longeant sa face nord, on parvient à une petite terrasse dont le mur de soutènement est sculpté de bas-reliefs montrant un défilé de personnages, d’éléphants et chevaux sous une frise de « hamsas » (oies sacrées). Revenant sur ses pas et continuant vers l’est, ou, si l’on n’a point fait ce détour, tournant de suite à gauche au sortir du gopura, on arrive à l’angle nord-ouest d’un grand bassin de 125 m sur 45, creusé au Xe siècle et comblé deux siècles plus tard lors du vaste travail de remblayage des-
tiné à exhausser l’ensemble du sol de la capitale. Comme il n’avait jamais été curé depuis, il a paru intéressant de rétablir son plan d’eau dans l’état ancien : un sondage effectué sur la face nord avait mis au jour treize gradins en grès, remarquablement dressés, dont sept moulurés et six unis, donnant une profondeur totale de 5,32 m jusqu’au dallage en latérite. Des chaussées dallées le séparaient du mur d’enceinte nord et d’un autre bassin plus petit situé à l’est, d’environ 40 m sur 20 pour 4,50 m de profondeur. Sur ses faces ouest et sud et une faible partie de sa face est, le grand bassin était bordé, au-dessus d’une frise de poissons et de monstres aquatiques, de deux larges et hauts gradins sculptés de bas-reliefs ; en bas, nâgas sous forme animale et sous forme humaine entourés de princesses nâgîs comme à la Terrasse du Roi Lépreux – au-dessus, où la hauteur était variable, garudas mâles et femelles et personnages ailés. Le tout, nettement du style du Bayon, devait être couronné d’un nâga balustrade et servir de tribune au souverain et aux dignitaires de la cour lors des manifestations nautiques qui se déroulaient dans ce cadre merveilleux. Le visiteur, descendant au niveau inférieur, pourra examiner en détail toutes ces sculptures en suivant le côté ouest,
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Fig. 20. Palais Royal d’Angkor Thom.
71. Linteau, gopura d’entrée, Palais Royal.
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puis le côté sud jusque vers son milieu, où quelques blocs de pierre disposés en escalier lui permettront d’accéder au plan le plus élevé. Là se pose l’un des problèmes les plus mystérieux de l’histoire du Palais Royal ; il semble en effet que ces gradins, quelle qu’ait été leur importance décorative, aient eu surtout un rôle utilitaire – celui de maintenir l’énorme masse de remblai qui recouvre avec des épaisseurs inégales la majeure partie du sol primitif à l’intérieur de l’enceinte, principalement dans le voisinage du centre, occupé par la chapelle du Phiméanakas où, atteignant 2,50 m de hauteur, il masquait la moitié environ du gradin de base de la pyramide. Le dégagement de celle-ci par M. Marchal sur tout son pourtour et d’autres fouilles plus récentes à proximité ont révélé l’existence d’un niveau intermédiaire entre le sol actuel et le sol de base, à 0,80 m au-dessus de ce dernier. Le remblai général a donc dû être exécuté au moins en deux fois, et à chacun des niveaux inférieurs – principalement au niveau intermédiaire – correspondent de nombreux vestiges de murs de fondation et de dallages se rapportant sans doute à des corps de bâtiments en matériaux légers, particulièrement sur la face orientale du temple. Celui-ci devait se trouver enserré dans un véritable réseau de constructions peut-être enclavées dans une enceinte spéciale ; le fait est confirmé par la nature des déblais, farcis de débris de briques et de tuiles, et même des traces charbonneuses provenant de la destruction des bois de charpente par le feu. Nous n’avons aucune indication sur la date possible de ces remblais successifs, sauf pour le niveau intermédiaire où furent trouvées deux stèles inscrites de Jayavarman VII qui prouvent que le niveau en question était atteint dès la fin du XIIe siècle ; le dernier stade, donnant le niveau actuel, correspondrait donc au plus tôt aux dernières années du règne de ce souverain. La première stèle, dite « du figuier », est intéressante par la preuve qu’elle donne du syncrétisme religieux pratiqué par les Khmers ; l’arbre de la « Bodhi » y est en effet identifié à la « Trimûrti » brahmanique – Brahmâ pour les racines, Çiva pour le tronc, Vishnou pour les branches. La seconde est « le panégyrique d’une reine qui obtint le nirvâna après avoir répandu autour d’elle de nombreux bienfaits et pratiqué les vertus des ascètes » (V. Goloubew). Dans l’état actuel de la question, il est donc impossible de savoir quelle était à l’intérieur de l’enceinte du Palais Royal la répartition des divers corps de bâtiments, tous en matériaux périssables, et en particulier l’emplacement des appartements privés du souverain. On ne peut dans ce domaine être guidé par des raisons de symétrie : quiconque de nos jours a visité avant ses transformations, en 1942, un ensemble comme le Palais Royal de Phnom Penh peut se faire une idée du désordre résultant de l’occupation
pendant plusieurs siècles d’un même emplacement par toute une lignée de monarques. Ceux-ci ne cherchant plus, comme dans les temples, à faire œuvre durable selon les règles immuables de l’architecture monumentale, agrandissent, bouleversent et modifient au gré de leurs volontés ou de leurs caprices et selon les goûts et commodités de chacun : comment après cela interpréter avec quelque chance de succès l’implantation de vestiges qui se réduisent le plus souvent à quelques fondations de murs impossibles à situer dans le temps ? M. Marchal, se basant sur l’existence de certaines clôtures encore visibles en élévation, a pu cependant diviser l’enceinte royale en cinq zones. Ce sont, de l’est à l’ouest, une cour d’entrée de 70 m de profondeur desservie par trois gopuras – l’enclos royal, de 280 m, comprenant le sanctuaire du Phiméanakas et le grand bassin, desservi par deux gopuras –, la partie réservée aux femmes, de 150 m, avec, au sud, la cour des communs, le tout sans communication avec l’extérieur, une quatrième cour ouvrant sur la précédente et réservée peut-être aux filles de service, une dernière cour enfin, complètement fermée et à destination imprécise. Des indications précieuses sur le caractère de chacun de ces enclos ont été fournies par la nature des objets – bronzes ou poteries – trouvés dans les fouilles et leur sens décoratif, culturel ou utilitaire. Description du Phiméanakas Regardé un instant par certains, avant l’identification du Phnom Bakheng, comme « Mont Central » de la capitale de Yaçovarman vers la fin du IXe siècle, le petit temple en pyramide du Phiméanakas a bien vite repris sa place de sanctuaire de second ordre : autant son plan rectangulaire et son unique prasat s’accordaient mal avec l’idée de Mont Meru, siège du lingâ royal au cœur même de la cité, autant paraît justifié son rôle de chapelle privée à l’intérieur du palais. C’est la « Tour d’or » du voyageur chinois Tcheou Ta-Kouan, laquelle se trouvait « dans les appartements de repos du souverain » – ce qui précise la situation de ceux-ci et explique le nombre élevé de vestiges apparus au cours des fouilles au pied même de la pyramide. « Tous les indigènes, ajoute-t-il, prétendent que dans la tour il y a l’âme d’un serpent à neuf têtes, maître du sol de tout le royaume. Il apparaît toutes les nuits sous la forme d’une femme. C’est avec lui que le souverain couche d’abord et s’unit. Il sort à la deuxième veille, et peut aussitôt dormir avec ses femmes et ses concubines. Si, une nuit, l’âme de ce serpent n’apparaît pas, c’est que le moment de la mort du roi est venu. Si le roi manque une seule nuit à venir, il arrive quelque malheur. » Le Phiméanakas apparaît comme une pyramide à trois gradins de latérite, à hauteurs décroissantes formant un total
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Pages suivantes : 73. Lions de chaque côté de l’escalier est, Phiméanakas, Palais Royal. 72. Phiméanakas, côté est, Palais Royal.
74. Escalier est, Phiméanakas, Palais Royal.
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de 12 m, et de plan rectangulaire : les dimensions sont de 35 m est-ouest à la base pour 28 m nord-sud, et 30 m sur 23 à la plateforme supérieure. Les axes sont largement accusés par des escaliers abrupts encadrés de puissants murs d’échiffre à six ressauts – deux par gradin –, garnis de lions, tandis que des éléphants de petite taille, reposant sur de beaux socles de grès, marquent les angles. Les gradins, inaccessibles et très étroits, sont sobrement moulurés et paraissent presque pélasgiques sous leur maigre couronnement de grès : celui-ci est constitué sur tout le pourtour par une étroite et basse galerie aux fenêtres à balustres, dont les angles sont à peine marqués par de petits pavillons, tandis que les tours passages des gopuras s’accompagnent de deux ailes. Nous voyons là le premier essai – d’ailleurs bien timide – de galerie continue voûtée en grès à l’entour d’une terrasse, ce qui, en accord avec le détail de l’ornementation, autorise à la dater de la fin du Xe siècle ou du début du XIe. Le visiteur, qui aura escaladé la pyramide par son escalier occidental – le seul à peu près praticable – remarquera l’appareil très particulier des voûtes ovoïdes de ces petites galeries d’un mètre sur deux : au lieu d’être faites de deux demi-voûtes accolées, elles sont coiffées par une pierre formant chapeau dont l’intrados est taillé à la demande. Sur la terrasse supérieure formant préau et d’où l’on jouit d’une fort belle vue sur le temple voisin du Baphûon, on distingue encore l’ancien tracé d’une base de bâtiment rectangulaire et, se dressant sur un soubassement en latérite de 2,50 m, les vestiges très ruinés d’un sanctuaire cruciforme en latérite et grès, à quatre avant-corps ouvrant aux quatre points cardinaux : les parties hautes en ont complètement disparu. Cette construction peu homogène doit être le fruit d’un remaniement et a sans doute remplacé, à une époque indéterminée, la « Tour d’or » de Tcheou Ta-Kouan dont les superstructures devaient être en matériaux légers. Il semble qu’un premier état du Phiméanakas ait existé dès le règne de Yaçovarman, car une inscription de 910, gravée sur les piédroits de la baie orientale du sanctuaire actuel, relate l’érection d’une statue de Vishnou-Krishna, invoqué sous le vocable de Trailokyanâtha. Le fait serait d’autant plus naturel que le Phiméanakas se trouve axé sur la chaussée nord du Phnom Bakheng, œuvre maîtresse de Yaçovarman, ce qui expliquerait son implantation quelque peu fantaisiste à l’intérieur de l’enceinte royale actuelle, construite postérieurement, et dont l’entrée principale, du côté est, est fortement décalée par rapport au temple. Ce n’est point toutefois l’opinion de Louis Finot, qui verrait dans les piédroits inscrits du Phiméanakas des pierres réemployées en cet endroit après avoir été transférées d’un des sanctuaires du Phnom Bakheng lors de la désaffectation de celui-ci. Quittant le temple par le sud, on peut, par une brèche percée dans le mur d’enceinte, gagner directement l’entrée
est du Baphûon, au pied du monument en contournant son quart nord-est par un sentier aménagé à cet effet. Mais il est préférable de sortir de l’enceinte royale par son gopura oriental. On verra ainsi successivement sur la droite une élégante terrasse cruciforme en grès, aux encorbellements soutenus par des colonnes – construction tardive puisqu’elle repose sur le remblai – puis, alignés le long du mur nord-sud séparant l’enclos royal de la cour d’entrée, les vestiges de quatre pavillons en latérite et grès, ouverts à l’ouest et très ruinés, probablement plus anciens, enfin, dans l’angle sud-est de l’enceinte, deux constructions en grès de basse époque, dont la plus importante à deux entrées, fenêtres au sud et voûte élargie à profil ondulé, tient à la fois du type habituel des bâtiments dits « bibliothèques » et des abris de pèlerins. L’unique gopura de la face orientale, entrée principale du palais derrière le perron central de la Terrasse des Éléphants, est plus important que ceux des faces nord et sud, car il comporte deux passages latéraux. À l’exception de la partie médiane formant tour, il est voûté en brique, et se signale à l’attention par la pureté de ses proportions, l’élégance de sa corniche intérieure et la qualité de ses colonnettes et de ses linteaux, dont le motif central est une tête de Kâla. Les inscriptions de ses piédroits, datées de 1011 sous le règne de Sûryavarman I, reproduisent le serment de fidélité des dignitaires du royaume, dont le texte est très proche de celui qui était en usage à la cour du Cambodge. BAPHÛON Prononcer : Bapouonne Date : vers 1060 Roi constructeur : Udayâdityavarman II Culte : brahmanique (çivaïte) Dégagement par Commaille de 1908 à 1914 Travaux de protection par H. Marchal de 1916 à 1918 Après les éboulements successifs de 1945, les travaux de restauration entrepris par B.-Ph. Groslier en 1961 n’étaient pas achevés en 1970. Ce monument n’est pas visitable. Le Baphûon, directement accolé à l’enceinte méridionale du Palais Royal, a son gopura extérieur est sur le même axe longitudinal que la Terrasse des Éléphants, qui est d’ailleurs celui de la tour centrale du Bayon, monument situé un peu plus au sud. Les deux ouvrages en contact, de dates différentes, ne se raccordent cependant pas, mais se pénètrent l’un l’autre de façon confuse, sans qu’on puisse se rendre compte du dispositif ancien de jonction. Sur ses trois autres faces, le temple est entouré par un mur d’enceinte mouluré exceptionnellement construit en grès qui, au nord, est devenu mur de soutènement à la suite d’opérations de remblai. Les dimensions de ce rectangle sont de 425 m sur 125.
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Mesurant 120 m est-ouest sur 100 m nord-sud à la base, le « temple-montagne » du Baphûon se trouve enserré entre l’enceinte du Palais Royal et la levée de terre qui, le bordant au sud, constituait vraisemblablement la berge nord du fossé de la capitale de Yaçovarman centrée au IXe siècle sur le Phnom Bakheng. Sa masse considérable en eût fait sans doute un des monuments les plus imposants d’Angkor s’il s’était trouvé plus à l’aise dans un espace moins étriqué : c’est « la Tour de cuivre encore plus haute que la Tour d’or (Bayon) et dont la vue était réellement impressionnante », au temps de Tcheou Ta-Kouan (fin du XIIIe siècle). L’inscription de Lovêk et celle de Prah Ngok, trouvée au pied même du Baphûon, ont permis à M. Cœdès d’identifier celui-ci avec la « montagne d’or » (svarnadri) « ornement des trois mondes », érigée par Udayâdityavarman II au centre de sa capitale et où se trouvait, dans un temple d’or, un lingâ de Çiva « qui devait être associé au culte du Dieu-Roi s’il n’était pas l’effigie du dieu lui-même » : là résidait « le moi subtil et invisible » du souverain. C’est donc vraisemblablement le temple central du second Angkor, capitale intermédiaire entre celles du Phnom Bakheng et du Bayon. Avant son dégagement, le Baphûon n’était qu’une simple colline recouverte par la végétation tant il avait souffert de l’action de la nature et des destructions humaines. Il apparaît aujourd’hui comme un ensemble de constructions croulantes, fretté de soubassements puissants dont émergent à mi-hauteur les gopuras aux murs sculptés de bas-reliefs, miraculeusement conservés. C’est la première réalisation à Angkor du type d’édifice à galeries de pierre concentriques avec tour centrale : fait d’une butte de terre
artificielle maintenue par un blocage de latérite parementé de grès, il n’a pu échapper aux tassements dus à l’action des eaux malgré les précautions prises pour leur évacuation. En bordure même de la Place Royale, une entrée monumentale à trois corps, faite de gopuras cruciformes réunis par des galeries, le tout sur soubassements décorés, laisse présager le dispositif de la face occidentale d’Angkor Vat. C’est la quatrième enceinte en partant du centre du monument, et il n’en reste que quelques pans de murs et piédroits dangereusement déversés ; on y a trouvé trois lingâs, un dans chaque passage. Une chaussée de grès lui fait suite, longue de 200 m, transformée d’abord en une sorte de pont par de longues dalles reposant sur trois rangs de colonnes formant pilots, puis – sans doute à la suite de quelque mécompte – en digue de 5,50 m de largeur par adjonction de deux murs latéraux et remblai général. Une partie de ces terres a été enlevée pour rendre apparent l’ancien dispositif à colonnes. Vers les deux tiers de la longueur, un pavillon cruciforme, extrêmement ruiné et qui devait être garni de bas-reliefs, barre la chaussée : des deux terrasses qui le prolongent au nord et au sud, la dernière conduit à un bassin parementé de 37 m sur 28. Le temple lui-même est constitué par une haute pyramide à cinq gradins de grès qui, contrairement à celles des IXe et Xe siècles, forme un plan en rectangle au lieu d’un carré et superpose des étages de hauteur non plus décroissante mais à peu près constante, sans doute pour que la vue ne soit pas masquée par les galeries. Celles-ci couronnent les premier, troisième et cinquième gradins et la plateforme supérieure domine de 24 m le sol environnant.
Fig. 21. Baphûon, vue d’ensemble, angle nord-est, avant 1945 (EFEO).
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Les murs de soubassement, puissamment moulurés, n’ont pas été sculptés. La galerie extérieure de troisième enceinte a presque complètement disparu, ses matériaux ayant servi, à une époque relativement récente, à ébaucher sur la face occidentale des gradins supérieurs un énorme et presque informe Bouddha couché, fait d’un amoncellement de blocs : on doit se féliciter que le gopura à bas-reliefs situé à mi-hauteur ait été simplement incorporé dans cette maçonnerie sans être démoli. Les tours d’angle ont été rasées, ainsi que la quasi-totalité des gopuras nord et ouest. Pénétrant dans le monument par son entrée est, à trois passages desservis par de raides escaliers, on remarquera à la porte de communication entre la partie centrale et l’aile nord une singulière habitude spéciale à cette période de l’art khmer et qui a causé bien des ruines : celle de creuser le linteau de grès pour y loger une poutre de bois en doublure, dont on voit un élément encore en place, rongé par le temps. Ce gopura, plus important que les trois autres à passage unique, était à tour centrale et ailes doubles, voûtées en berceau. Les façades en étaient abondamment ciselées de rinceaux, de devatâs, de petits animaux traités avec beaucoup d’esprit et de naïveté, et de lotus épanouis inscrits dans des carrés – motif de décor « en tapisserie » que l’on trouve déjà à Bantéay Srei. Dans la large cour pourtournante, on pourra, de l’angle nord-est, constater les effets d’un éboulement récent, puis, passant près des vestiges de deux bâtiments cruciformes à quatre avant-corps du type « bibliothèque », réunis entre
eux jadis, ainsi qu’aux divers passages, par de petites chaussées surélevées sur colonnes comme au deuxième étage d’Angkor Vat – ensemble que l’on retrouve, un peu moins développé, du côté ouest –, on gagnera le gopura sud. Celui-ci, relativement bien conservé, montre en sus du décor déjà signalé de rinceaux, de fleurs et d’animaux, de charmantes devatâs hanchées, puis, en de petits tableaux assez inattendus, un ascète qui paraît s’écarter délibérément de son austérité de vie habituelle. Des marches en ciment rendent plus accessible l’escalier de la face sud dont les degrés richement ornés et très usés, comme sur les autres faces d’ailleurs, sont d’une hauteur vraiment pénible à franchir et gravissent sans palier intermédiaire la valeur de deux gradins. Ce deuxième étage a gardé à peu près complète sa ceinture d’étroites galeries, aux fenêtres sur les deux faces, murées et garnies de balustres vers l’extérieur ; la voûte en ogive surhaussée, contrairement à celle du Phiméanakas, porte un joint axial, et les trumeaux sont traités au point de vue décor comme des pilastres. Les tours d’angle ont disparu, à l’exception de quelques pans de murs soutenus par des étais à l’angle sud-est. Les gopuras sont à tour centrale avec deux étages fictifs en retrait et trois ailes, l’ensemble des parois étant sculpté de remarquables bas-reliefs qu’il importe de regarder en détail (voir la description plus loin). Le gopura sud a conservé presque en entier sa couronne de pétales de lotus, d’une pureté de lignes qui en fait le plus beau spécimen de ce genre de motif aux différentes époques de l’art khmer.
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Fig. 22. Baphûon.
75. Baphûon, côté est.
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76. Baphûon, pavillon à mi-chemin de la chaussée orientale.
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77. Baphûon, pavillon à mi-chemin de la chaussée orientale.
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78. Baphûon, côté est.
La proximité du gradin suivant a fait de la cour intérieure du deuxième étage un véritable boyau, réduit encore par la présence sur chaque face de trois escaliers d’accès au troisième étage, franchissant à nouveau la valeur de deux gradins. Pour éviter la raideur de ces emmarchements, on prendra, de suite à l’ouest du gopura sud, un escalier plus doux aménagé parmi les éboulis du quart sud-ouest de la partie haute de la pyramide. La plateforme supérieure, de 42 m sur 36, a subi de nombreux affaissements, et il reste bien peu de chose de ses gopuras à tour centrale et deux ailes, aux parois ciselées d’un beau décor ornemental animé par quelques figurines. Un vestige de tour à l’angle nord-est, quelques bases de murs et de piliers à l’emplacement des galeries, témoignent seuls de l’ordonnance de ces éléments. Lesdites galeries offraient la particularité d’être séparées en deux selon leur axe longitudinal par une cloison percée de fenêtres à balustres, dispositif que l’on ne retrouve nulle part ailleurs et qui devait donner l’illusion d’une galerie sur piliers, formule encore inconnue à cette époque. La vue sur la chaussée d’accès orientale, sur le Phnom Bakheng au sud et le Phiméanakas au nord, situés sur le même axe, et sur l’ensemble de la forêt d’Angkor, est de toute beauté. On n’admirera pas moins les qualités de l’architecture du soubassement du sanctuaire central, lequel devait être en matériaux légers pour ses superstructures et entièrement doré pour répondre aux descriptions des témoins de l’époque. Ce soubassement est double, l’un de forme carrée enveloppant l’autre de plan cruciforme, tous deux également sculptés avec une maîtrise et une sûreté de goût qui les mettent d’emblée au sommet de l’art classique. L’existence de ce soubassement caché peut être due soit à un changement de parti ayant permis d’augmenter le volume de la tour proprement dite, soit – nous l’avons signalé à propos du Bayon – au souci de souligner sous une forme symbolique le caractère de mont cosmique du temple-montagne assimilé au Meru, celui-ci se continuant sous le sol d’une quantité égale à celle de la partie en élévation.
Krishna, et l’ordre dans lequel les tableaux sont répartis ne correspond ni au pradakshinâ ni au prasavya. La façon dont les panneaux sont disposés semble marquer une intention purement décorative, et le principe qui a guidé les sculpteurs n’est pas en rapport avec la circumambulation. » Ces bas-reliefs, après l’unique essai de sculpture narrative tenté au Bakong à la fin du IXe siècle et poursuivi depuis en scènes isolées sur les linteaux et les frontons, ont adopté le dispositif par panneaux superposés, se lisant généralement de bas en haut comme les registres. Ce sont autant de tableautins habilement traités, d’un réalisme parfois naïf et plein de charme, mêlant la légende aux diverses manifestations de la vie quotidienne : la composition en est toujours très aérée, et les personnages, bien détachés, sont minutieusement représentés. Gopura sud, face sud Du côté ouest, ce sont, à côté de scènes de la vie courante – tigre poursuivant un ascète qui se réfugie au haut d’un arbre, chasseur tuant un oiseau à la sarbacane, taureaux affrontés, ascètes en prière, femme jouant avec un enfant –, des épisodes de l’enfance de Krishna : l’échange d’enfants qui doit préserver de la mort le jeune dieu, le massacre des enfants, Krishna séparant en deux le nâga et luttant contre des taureaux à face humaine. À l’est, scènes de la vie des ascètes, dont l’un tient une tête humaine percée d’une flèche qui semble celle du personnage en prière que l’on voit directement au-dessous : luttes contre des animaux et combats singuliers.
Les bas-reliefs
Gopura sud, face nord À l’est, registre inférieur, scènes de la vie des ascètes : l’un est en train de baratter le contenu d’une jarre, un autre souffre d’une indigestion, un autre encore semble malade ou mourant. Au-dessus, scènes du Râmâyana : combats de singes et de géants, et entrevue d’Hanuman et de Sîtâ assise sous le bosquet d’açokas. Un autre panneau en hauteur se rapporte à la vie de Vishnou, deux fois représenté avec ses attributs habituels. À l’ouest, où le mur est tronqué, scènes dans la forêt avec ascètes, hommes et animaux, combats singuliers.
« À Baphûon, nous dit M. Cœdès, les petites scènes qui ornent les quatre entrées de la galerie intérieure sont tirées du même fonds qu’à Angkor Vat. Si nous recherchons les épisodes du Râmâyana, par exemple, nous en reconnaissons aux quatre porches voisinant à l’est avec des épisodes du Mahâbhârata, au sud avec des scènes de la légende de
Gopura est, face est Au sud, scènes du Râmâyana ; l’ordalie de Sîtâ, épreuve qui doit prouver sa pureté. On y reconnaît la jeune princesse assise sur les genoux de Râma. Sîtâ sur son bûcher, les mains jointes au-dessus de la tête, avec Agni, dieu du feu, à ses côtés, puis Maheçvara sur son taureau. En haut,
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79. Baphûon, combat des singes et des râkshasas à la bataille de Lankâ (épisode du Râmâyana), gopura nord, deuxième enceinte.
80. Baphûon, épisode du Râmâyana, gopura ouest, deuxième enceinte.
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Râma et Sîtâ sur leurs trônes respectifs. Puis c’est un épisode du Mahâbhârata, le duel entre Arjuna et Çiva à propos d’un sanglier, forme prise par le râkshasa Mûka. Au nord, autre scène du Mahâbhârata, que l’on verra représentée plus tard dans la partie sud de la galerie occidentale d’Angkor Vat, mais schématisée ici par la seule action de quelques acteurs principaux : au-dessus d’un groupe de musiciens, c’est le chef des Pandavas partant en guerre contre les Kauravas, puis son duel contre leur chef Bhisma et la mort de ce dernier, que l’on voit tombant de son char, puis mort percé de flèches. On remarquera le hors d’échelle des personnages, plus grands que leurs chevaux, et du corps du vaincu, plus long que le palais qui l’abrite. À côté, ce sont d’autres phases du combat, et de petites scènes dont l’une montre un homme dévêtant une femme en déroulant son « sarong ». Gopura est, face ouest Au nord, capture d’un éléphant sauvage à l’aide d’éléphants domestiques, puis défilé de charrettes et de serviteurs et scènes de la vie des ascètes avec, à gauche, un archer décochant une flèche sur une femme. Plus loin, lutte entre hommes, singe et éléphant. Au sud, au-dessus d’un personnage chassant un tigre, duel à propos d’une femme ou scène de décollation. À droite, hommes aux prises avec des animaux, ascètes dans la forêt, femmes et archers, puis roi trônant parmi ses femmes. Gopura nord, face nord À l’est, scènes du Râmâyana (bataille de Lankâ) : Râma sur son char traîné par des chevaux, Râvana à tête et bras multiples tiré par des monstres à tête humaine ; combat de Râvana contre les singes Hanuman et Nila, de Sugrîva contre un chef râkshasa, de Râvana contre Râma porté par Hanuman ; Sîtâ, captive dans le palais de Râvana, recevant sous le bosquet d’açokas le singe Hanuman et lui remettant l’anneau qui doit prouver le succès de sa mission. Le long de la première fenêtre de la galerie, charmants motifs d’animaux. À l’ouest, à côté de motifs de même nature d’animaux et de figurines, c’est à nouveau la bataille de Lankâ : un des fils de Râvana, Indrajit, lance contre Râma et son frère Lakshmana des flèches magiques qui se changent en serpents et s’enroulent autour d’eux, tandis que les singes, leurs alliés, se lamentent. Garuda, fondant du ciel, les délivre et les guérit en touchant leurs blessures. Râma, monté sur le char Pushpaka attelé de « hamsas » (oies sacrées), rentre à Ayodhyâ après avoir pris congé des
singes. Plus loin, sous deux éléphants affrontés et un ascète barattant, c’est l’alliance de Râma et Lakshmana avec le singe Sugrîva qui, exilé par son frère Vâlin sur le mont Mayala, se lamente. Puis c’est la lutte entre les deux frères et la défaite de Vâlin grâce à l’intervention de Râma qui, de façon peu glorieuse, lui décoche une flèche dans le dos. Gopura nord, face sud À l’est, taureaux et chevaux affrontés, puis à nouveau l’alliance de Râma et de Lakshmana avec Sugrîva. À l’ouest, scènes de luttes, auxquelles participent hommes et animaux ; dans un angle, Sîtâ sous le bosquet d’açokas. Gopura ouest, face ouest Au nord, combats singuliers et animaux, puis, au-dessus de musiciens, guerrier sur un éléphant, précédé d’un archer, et un autre sur son char traversant une volée de flèches. Au sud, toujours au-dessus de musiciens, c’est un personnage faisant tournoyer un éléphant qu’il tient par une patte, et, en haut, un palais aérien soutenu par des « hamsas », où trône un dieu à trois têtes et quatre bras. Puis à nouveau des combats singuliers, dans un char et devant un palais, et Arjuna recevant des armes des mains de Çiva. Gopura ouest, face est Au nord, luttes et combats singuliers, mêlés de quelques animaux. Au sud, mêlées d’hommes et de singes, avec, au centre du panneau, un personnage mourant, très grand d’échelle, soutenu par un minuscule éléphant. Plus loin, combat de sangliers, archer décochant une flèche contre un monstre à tête humaine, et deux remarquables chevaux affrontés. De très importants et successifs éboulements ont nécessité la dépose des gopuras et ce temple est actuellement un vaste chantier. PRASATS SUOR PRAT (Tours des danseurs de corde) Prononcer : Souor Pratt Date : fin du XIIe siècle Roi constructeur : Jayavarman VII (nom posthume : Mahâ paramasangata pada) Dégagement par Commaille en 1908 et H. Marchal en 1919-1920
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Pages suivantes : 81. Prasats Suor Prat dits « Tours des danseurs de corde », vues du sud-ouest.
Les Prasats Suor Prat sont des tours en latérite et grès, d’aspect assez fruste, qui, au nombre de douze, bordent la face orientale de la Place Royale d’Angkor Thom et, en retour, le départ de la route menant à la Porte de la Victoire : elles sont symétriquement disposées par rapport à celle-ci. Nous n’insisterons pas sur le caractère fantaisiste de leur appellation, qui correspond dans la pensée des autochtones à leur utilisation comme supports de câbles tendus de l’un à l’autre pour les évolutions d’acrobates à l’occasion de certaines fêtes. L’explication donnée par Tcheou Ta-Kouan, pour être pittoresque, n’est guère plus satisfaisante : « Que deux familles soient en contestation sans qu’on sache qui a tort ou raison, devant le palais il y a douze petites tours de pierre. Chacun des deux adversaires s’assied sur l’une de ces tours. Au bas des deux tours sont les deux familles se surveillant mutuellement. Après un, deux, trois ou quatre jours, celui qui a tort finit par le manifester de quelque façon, soit qu’il lui vienne des ulcères, des clous, qu’il attrape quelque catarrhe ou fièvre maligne. Celui qui a raison n’a pas le moindre malaise. Ils décident ainsi du juste et de l’injuste, c’est ce qu’ils appellent le jugement céleste. » Le caractère de ces tours reste d’autant plus énigmatique que, percées de fenêtres à balustres sur trois de leurs côtés, elles ne correspondent point à la conception habituelle des sanctuaires, bien qu’on y ait retrouvé quelques statues lors des travaux de dégagement : en fait, on ignore la véritable destination de ces sortes de loggias, réservées aux princes ou dignitaires lorsqu’une manifestation se déroulait sur la grande place. Ces constructions à plan carré étaient en latérite, grossièrement appareillée à l’intérieur, avec deux étages en retrait dont le dernier, couvert en berceau, était à deux pignons. Seuls les encadrements de baies et les linteaux et frontons étaient en grès, mais sont restés en épannelage avec seulement sur quelques frontons l’ébauche d’arcs en nâga surmontés de feuilles flammées à rinceaux garnis de petits lions tels qu’on en rencontre au XIIe siècle. On n’aperçoit aucune trace d’enduit et l’ensemble donne une impression d’inachevé qui ne paraît compatible qu’avec une édification tardive ; des antéfixes sculptées d’ascètes ou de nâgas, peu caractéristiques, ont été trouvées en plusieurs points. Les porches d’entrée, ouvrant vers la place et la route de la Porte de la Victoire et situés en contrebas de l’intérieur des cours, ont été remaniés lors de l’établissement d’une sorte de terrasse surélevée qui les bloquait en partie tout du long de la Place Royale : ces remblais ont dû être faits à la basse époque.
De part et d’autre de la route menant à la Porte de la Victoire, dans l’angle formé par les Prasats Suor Prat, s’étendait un grand bassin de 80 m sur 60, parementé de gradins ; derrière celui du sud, bien conservé, se trouve la terrasse bouddhique aménagée pour recevoir la grande statue du Bouddha découverte par M. Trouvé en 1933 dans le puits central du Bayon. 1955-1956 : Anastylose du Prasat Suor Prat n° 4. LES KLÉANG (Magasins) Prononcer : Kléangue Date : fin du Xe siècle-début du XIe Rois constructeurs : Jayavarman V (nom posthume : Paramaviraloka) ou Sûryavarman I (nom posthume : Paramanirvânapada) Dégagement par Commaille en 1908 et H. Marchal en 1919-1920 En arrière de l’alignement des tours des Prasats Suor Prat et à peu près en face des extrémités nord et sud de la Terrasse des Éléphants, s’allongent, parallèlement au grand côté de la Place Royale, deux imposants bâtiments de grès dont la partie centrale, précédée de porches à l’est comme à l’ouest est flanquée de galeries suivies de pièces annexes en contrebas. Ce sont les Kléang nord et sud, dont l’appellation de « Magasins » correspond bien mal au caractère monumental de ces édifices, à la richesse et à la perfection de leur décor, comme au soin apporté à leur construction. D’une largeur inhabituelle – 4,20 m au Kléang sud et 4,70 m au Kléang nord –, ils donnent plutôt l’impression de sortes de palais, destinés peut-être à la réception de princes étrangers ou de hauts dignitaires de passage. Si, à première vue, les deux Kléang paraissent semblables, ils comportent des différences sensibles et celui du sud, demeuré inachevé, semble également postérieur à l’autre, tous deux restant compris dans le temps entre Pré Rup et le Baphûon (fin Xe-milieu du XIe siècle) et s’apparentant aux gopuras de l’enceinte royale. L’ensemble de leur décoration est légèrement plus tardif que dans le style de Bantéay Srei, et deux inscriptions du Kléang nord datent de Sûryavarman I (1002-1049) tandis que deux autres au Kléang sud reproduisent la formule du serment des fonctionnaires gravée sous le règne de ce même roi (1011) sur les piédroits du gopura est du Palais Royal.
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82. Kléang nord, entrée ouest.
83. Kléang nord, sanctuaire.
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Kléang sud Sur un soubassement simplement mouluré, les murs, de 0,90 m d’épaisseur, à base et corniche ornées, sont entièrement en grès, percés sur les deux faces principales de grandes fenêtres carrées à sept balustres. Les porches est et ouest sont à quatre fenêtres, et la toiture en bois et tuiles a complètement disparu. La grande galerie intérieure, d’un seul tenant, s’étend sur 45 m avec, dans l’axe, deux saillants correspondant aux porches : elle était sobrement décorée d’une frise sous corniche. Les deux petites pièces d’extrémité, en contrebas, se terminaient extérieurement par une fausse porte et s’ouvraient latéralement à l’ouest par une fenêtre, à l’est par une petite baie communiquant avec un système de galeries, partiellement au moins en matériaux légers, entourant un préau intérieur rectangulaire d’environ 50 m sur 30, partagé lui-même en deux par une autre galerie nord-sud ; il ne reste à peu près rien de ce dispositif. Kléang nord Précédé à l’ouest d’une terrasse cruciforme de basse époque, établie sur le remblai, avec balustrade à nâgas de divers styles, le Kléang nord était de masse plus importante et plus soigné d’exécution. Son soubassement, entièrement sculpté, au profil d’une pureté classique à doucines opposées et bandeau médian ciselé de rinceaux, est un des plus beaux de l’art khmer ; ses colonnettes à quatre grands nus au lieu de huit au Kléang sud – ce qui les fait antérieures en date – sont plus robustes, et linteaux et frontons à tête de Kâla sur fond de décor végétal à grandes volutes présentent les caractéristiques des Xe-XIe siècles. Les murs sont plus épais (1,50 m), supportant au nu intérieur un faux étage d’attique qui, reposant sur le profond ébrasement des baies où fut employé le déplorable procédé, courant à l’époque, des poutres de bois en doublure soulageant la pierre, n’a pas manqué avec le temps de provoquer des éboulements. Le grès n’était employé qu’en parement extérieur sur blocage en latérite. Au centre, à une époque plus tardive, la longue galerie à toit de tuiles a été coupée par une construction en maçonnerie formant tour, aujourd’hui en grande partie écroulée, qui l’a divisée en salle médiane carrée de 4,50 m de côté, flanquée de deux autres de 18,70 m sur 4,70 m : on remarquera au passage les poutres en doublure encore en place au-dessus des baies de communication. Dans ces galeries
ont été trouvées deux remarquables statuettes de bronze, l’une de Vishnou, l’autre de Lokeçvara. Vers l’est se déroulait le même dispositif à galeries pourtournantes qu’au Kléang sud, mais ici quelques éléments de leur mur extérieur, à corniche et fenêtres gisantes, ont pu être érigés à nouveau après avoir été retrouvés au sol. Le centre de la cour était marqué par un petit sanctuaire cruciforme se rapprochant du style d’Angkor Vat, à soubassement sculpté, dont il ne subsiste que l’étage principal et qui devait être réuni aux galeries par des passages en matériaux légers formant croix. On remarquera, à l’angle nord-est de la base de la cella de 2 m sur 2, ouverte aux quatre axes sur autant de petits porches, un « somasûtra », conduit d’évacuation des eaux lustrales. Petit monument à l’est du Kléang nord Immédiatement à l’est, on a mis au jour un petit ensemble formant monument complet, ouvert à l’ouest, et que sa parenté de style avec Bantéay Srei fait un peu antérieur aux Kléang. À l’intérieur d’un mur d’enceinte en latérite formant un carré d’une trentaine de mètres de côté et coupé par un minuscule gopura cruciforme de 1,80 m sur 2 m, devant lequel est encore un des lions marquant l’entrée, se dressent les vestiges d’un prasat sur plan carré de 2,10 m de côté, avec trois fausses portes, et de deux bâtiments du type « bibliothèque ». Les piles d’angle du sanctuaire, dont il ne reste que la base, sont ornées de devatâs dans des niches, un peu plus grandes qu’à Bantéay Srei mais de même type ; des réductions d’édifice provenant des angles supérieurs sont déposées à terre à côté du monument. Les frontons des deux « bibliothèques » ont été reconstitués au sol, et l’on a trouvé à l’intérieur de celle du côté sud onze petits lingâs de 0,47 m de hauteur, curieusement alignés sur trois rangs. PRAH PITHU Prononcer : Pitou Date des principaux éléments : première moitié du XIIe siècle Culte : brahmanique, sauf un sanctuaire bouddhique Dégagement par Commaille en 1908 et H. Marchal de 1918 à 1920 On désigne sous le nom de Prah Pithu un ensemble de cinq petits temples et de terrasses situés à l’extrémité nord de la Place Royale du côté est, à peu près en face du
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Fig. 23. Prah Pithu.
Tep Pranam : disposés sans qu’apparaisse un parti général d’implantation, ils sont malheureusement très ruinés, mais leurs hauts soubassements et ce qui reste de leur étage principal – les superstructures ayant disparu – révèlent l’excellente qualité de leur ornementation et les classent dans la meilleure période de l’art classique, celle d’Angkor Vat (première moitié du XIIe siècle). De la route, on accède au premier temple par une élégante terrasse cruciforme à deux niveaux dont les parties en encorbellement sont portées par des colonnes au fût cannelé et surmontées de balustrades à nâgas d’un galbe très pur : on peut la comparer à celle qui précède le monument de Prah Palilay. À la suite, le mur d’enceinte en grès, enfermant un enclos de 45 m sur 40, et dont le chaperon est curieusement traité en imitation de voûte de galerie, est interrompu à l’est et à l’ouest par de petits gopuras à corps central et deux ailes, restés en épannelage. Le sanctuaire, haut perché sur trois soubassements ornés à tore médian dont le total atteint 6 m, est à quatre escaliers d’axe avec un seul palier au niveau du premier gradin. Il comporte une cella centrale carrée de 3 m de côté, ouverte aux quatre faces par autant de vestibules à deux fenêtres et qui contenait un grand lingâ d’un mètre sur son piédestal. Les murs sont tronqués à hauteur du sommet de niches à devatâs qui sont fort avenantes malgré leurs pieds représentés de profil, et entourées de bandes de décor rehaussées de figurines dansantes.
Il est à remarquer que leurs jupes sont ornées de fleurettes, habitude qui se généralisera dans le style du Bayon. Le linteau de la baie occidentale représentait la scène du Barattement de l’Océan, très stylisée. Les colonnettes sont à seize pans, ce qui leur donne un aspect presque cylindrique, et d’une mouluration particulièrement touffue. Le second temple, placé sur le même axe que le premier, était à l’intérieur d’un rectangle de 35 m sur 28 : le mur en grès, construit sur soubassement mouluré, n’avait pas de gopuras, mais de simples portes encadrées de pilastres restés en épannelage. Le sanctuaire, présentant les mêmes caractéristiques de plan que le premier, mais de dimensions plus réduites, n’avait qu’une cella de 2 m, les murs étaient entièrement sculptés, les devatâs, de petite taille et les pieds de face, remplacées par des dvârapâlas de part et d’autre des entrées, et de petites scènes à personnages étaient sculptées sous arcatures à la base des pilastres, selon une coutume fréquente à l’époque d’Angkor Vat. Les colonnettes sont restées inachevées, ainsi que le linteau sud, représentant Krishna debout sur une tête de Kâla ; le linteau nord était consacré au Barattement de l’Océan, et celui de l’ouest montrait, toujours sur une tête de Kâla, la « Trimûrti » brahmanique : Çiva dansant, à bras multiples, entre Vishnou et Brahmâ. Traversant un ancien bassin-fossé, on parvient au troisième temple, situé en arrière des deux autres et désaxé d’une trentaine de mètres vers le nord. Conçu toujours
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selon le même plan, il se trouve juché sur une terrasse d’une quarantaine de mètres de côté pour quatre mètres de hauteur, aux murs de soutènement moulurés coupés par des perrons garnis de lions. Le sanctuaire, à double étage de soubassement mouluré, est très simple, sans aucun décor, avec de fausses fenêtres à balustres : resté inachevé, il semble plus tardif et fut utilisé pour le culte bouddhique. À l’intérieur de sa cella de 2,20 m court une double frise de Bouddhas de basse époque, à « usnisha » flammée, et sur son linteau oriental sont sculptées trois autres représentations du Sage entouré d’adorateurs, le tout probablement postérieur à l’architecture. Des fragments de frontons de bien meilleure qualité – dont une remarquable « Coupe des cheveux » qui se trouve au Dépôt de sculptures du Bayon – ont été trouvés alentour. Continuant vers l’est, on peut, après avoir longé le mur de latérite mouluré d’une terrasse bouddhique entourée de stèles ou « semas », délimitant l’emplacement sacré et bordée de quelques vestiges d’une balustrade à nâgas, jeter un coup d’œil sur un ancien « srah » (bassin) où l’on descendait par un perron gardé par deux petits éléphants en ronde-bosse. Revenant sur ses pas, on trouve au nord du second un quatrième temple qui se distingue des autres par l’absence de toute enceinte et l’existence, à l’est, d’un double vestibule qui en accuse la véritable orientation. La cella carrée, beaucoup plus importante (3,80 m de côté), était sur socle
et double soubassement sculpté et abritait un grand lingâ de 1,50 m dont on a retrouvé la pierre à dépôts à seize alvéoles. Bien que le décor ne soit qu’amorcé sur la face extérieure des murs, on reconnaît les caractéristiques principales de l’époque d’Angkor Vat, et l’ornementation des pilastres, aux éléments en forme de lyre, appartient à ce style. Toujours plus au nord enfin, son socle reposant sur une simple levée de terre, s’élève un cinquième temple qui, très différent des précédents, paraît pouvoir se situer dans le temps entre Angkor Vat et le Bayon. Il se compose de deux corps de bâtiments réunis par un vestibule, le sanctuaire, à l’ouest, étant fermé de ce côté par une fausse porte. Les pilastres sont à rinceaux se terminant en têtes d’oiseau, et la cella, de 3 m sur 3,50 m, à trois nefs fictives, renfermait un lingâ de 0,95 m de haut. La salle principale, en grande partie écroulée, faisait 7 m sur 8, et sur sa face occidentale on voit encore les deux demi-frontons qui flanquaient le vestibule de jonction : au nord, la victoire de Krishna monté sur Garuda sur l’asura Bâna, au sud, les « Trois pas de Vishnou ». La destination de ce temple, qui rappelle par certains côtés les bâtiments d’abri de pèlerins se trouvant à l’entrée de divers monuments, reste énigmatique. On regagnera la route vers l’ouest en longeant au nord un charmant petit étang toujours rempli d’eau qui rappelle certains paysages de France, puis une terrasse cruciforme bordée, comme celle de l’arrivée, de colonnes de soutien.
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MONUMENTS DU PETIT CIRCUIT
MONUMENT 487 (Mangalârtha) Date : fin du XIIIe-début du XIVe siècle Culte : brahmanique Dégagement par H. Marchal en 1924 Ce temple est desservi par une allée forestière de 250 m qui prend vers le sud à 900 m de la Place Royale d’Angkor Thom sur la route conduisant à la Porte de la Victoire. Son principal intérêt réside dans le fait qu’il est le dernier monument d’Angkor daté avec quelque précision : une stèle à quatre faces inscrites le situe en effet vers la fin du XIIIe siècle, apportant quelques renseignements sur la période qui suivit la mort de Jayavarman VII au début de ce siècle : elle mentionne en outre qu’il était dédié à deux personnages divinisés, le Brahmane Mangalârtha, assimilé à Vishnou, et sa Mère. Son architecture, où apparaissent d’ailleurs des traces de réemploi, diffère peu de celle des divers spécimens de la dernière partie du style du Bayon. C’est un sanctuaire isolé, ouvert à l’est et tout en grès, surélevé sur un double soubassement mouluré et orné, que coupent quatre perrons axiaux ; les superstructures ont disparu. De plan cruciforme à quatre avant-corps, il est précédé à l’est d’un vestibule dont les fausses fenêtres sont garnies de stores en partie baissés. Les fausses portes sont simplement moulurées, ainsi que les colonnettes de l’entrée, dont l’un des piédroits est inscrit. La cella, de 2,20 m de côté au centre, abritait les deux statues, dont le piédestal est demeuré en place. Autour du monument, on a pu reconstituer au sol la plupart des frontons : on remarquera du côté est le « Sommeil de Vishnou couché sur le serpent Ananta » ; au sud, les « Trois pas de Vishnou pour conquérir le monde » ; au nord, un « Çiva dansant » à quatre bras portant sa « çakti » assise sur l’une de ses cuisses et entouré d’apsaras, ainsi qu’un linteau du « Barattement de l’Océan » ; à l’ouest enfin, un linteau montrant « Krishna, soulevant le mont Govardhana pour abriter les bergers et leurs troupeaux ».
THOMMANON ET CHAU SAY TEVODA Prononcer : Thommanone et Thiaou Saille Date : fin XIe-première moitié du XIIe siècle Culte : brahmanique Dégagement par H. Marchal en 1919-1920 et de 1925 à 1927 Quittant Angkor Thom par la Porte de la Victoire, située dans l’axe du gopura oriental du Palais Royal, on trouve à moins de 500 m, de part et d’autre de la route dite du « Petit Circuit », deux charmants temples de faibles dimensions – Thommanon à gauche et Chau Say Tevoda à droite – que leur situation comme leurs analogies de plan et de style rendent inséparables. Bien qu’ils ne soient pas datés de façon précise, leur état de ruine laisse subsister suffisamment d’éléments d’architecture et de décoration pour qu’on puisse leur assigner comme limites extrêmes le Baphûon et Angkor Vat : ils appartiennent donc à la meilleure période de l’art classique – fin XIe-première moitié du XIIe siècle – et représentent deux variantes d’un unique thème de composition que l’on retrouve vers la même époque dans les parties centrales de Beng Méaléa et de Bantéay Samrè. Thommanon se compose essentiellement d’un sanctuaire ouvrant à l’est sur une salle rectangulaire, de deux gopuras d’importance inégale à l’est et à l’ouest, et d’une seule « bibliothèque » du côté sud. Franchissant sur une digue le bassin-fossé qui l’entoure, on traverse les vestiges de base en latérite d’un mur d’enceinte enfermant un espace d’environ 45 m sur 60. La tour-sanctuaire à quatre étages fictifs en retrait domine nettement, tant par l’importance de son soubassement de 2,50 m de hauteur, finement sculpté et dont les rinceaux du bandeau médian se rehaussent de figurines, que par la proportion hardie de ses piles d’angle entièrement décorées, montant du fond jusqu’au niveau du sommet des frontons. Il y a quatre avant-corps, dont trois donnant sur des fausses portes que leur ornementation d’une délicatesse extrême classe parmi les plus belles d’Angkor ; les devatâs, très stylisées, ne sont pas moins remarquables. Un petit vestibule réunit, avec une différence de niveau, l’avant-corps oriental à la salle longue, à faux étage d’attique, dont la voûte en berceau se termine par de simili-tuiles d’about à garudas au lieu des pétales de lotus habituels. Son soubassement n’a que 1,80 m, et les murs, au décor beaucoup plus sobre, sont percés chacun d’une porte en sus de l’entrée correspondant au vestibule oriental.
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84. Thommanon, le sanctuaire, vu du sud.
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85. Thommanon, le sanctuaire, vu du sud-est.
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Fig. 24. Thommanon.
Les frontons sont très ruinés : on remarquera, au-dessus de la porte sud, Râvana à têtes et bras multiples cherchant à ébranler la montagne où trône Çiva, et, à l’intérieur, au-dessus de la porte vers le vestibule de jonction, la mort de Vâlin après sa lutte avec Sugrîva. Les dimensions de la salle longue sont de 3 m sur 6 dans œuvre et celles de la cella carrée de 3 m : on a trouvé dans cette dernière un lingâ de 0,95 m de haut. Le linteau oriental du sanctuaire représente Vishnou sur Garuda. Le gopura oriental, très proche de la salle longue avec laquelle il est relié directement par le jeu des soubassements, est à trois passages indépendants, les baies de communication ayant été murées. La tour centrale, de 3 m de côté intérieurement, est à quatre avant-corps, plus un porche vers l’ouest, et son unique étage en retrait est voûté en berceau. Le décor est très sobre, et le fronton oriental n’a été qu’ébauché, tandis qu’au nord, on reconnaît Vishnou terrassant deux de ses ennemis dont il tient l’un par les cheveux ; à terre, du côté sud, a été reconstituée une autre représentation du même dieu. L’unique « bibliothèque », conçue dans le même esprit, est, comme la salle longue, à faux étage d’attique avec fenêtres gisantes murées à balustres : le soubassement n’est que de 1,10 m, et le local de 3 m sur 3,70 m dans œuvre,
86. Thommanon, devatâ.
parementé de latérite, ouvre à l’ouest par un petit porche à deux fenêtres ; une fausse porte le ferme du côté est. De même conception générale, le gopura occidental, composé seulement d’un passage central et de deux ailes sans fenêtres, tranche sur les autres bâtiments annexes par l’absolue pureté de ses lignes et le soin apporté à sa décoration, limitée à quelques points brillants mis en valeur par de grands nus. Son fronton ouest montre Vishnou sur Garuda en lutte contre les asuras, et la base des pilastres est ornée de petites scènes à personnages comme il était d’usage à l’époque d’Angkor Vat ; les fausses tuiles d’about des voûtes représentent de petits lions. Chau Say Tevoda – Dans un état de ruine beaucoup plus avancé, comme en témoignent les nombreux et remarquables fragments de sculpture réunis alentour, ce temple avait le même plan que le précédent, mais avec quatre gopuras et deux « bibliothèques ». Du mur d’enceinte de 40 m sur 50, il ne reste que le soubassement en latérite moulurée, et les gopuras nord et sud, à plan cruciforme, sont presque entièrement rasés au-dessus de leurs soubassements et perrons aux marches sculptées. De même pour les « bibliothèques », ouvrant à l’ouest par un vestibule, et dont quelques pans de murs demeurent seuls debout.
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87. Thommanon, Bhaisajuaguru, aspect de Çiva ascète, fronton sud, gopura ouest.
Le sanctuaire central n’a conservé de ses quatre étages fictifs en retrait qu’une partie de trois d’entre eux, et l’ensemble a moins de grandeur qu’à Thommanon du fait des coupures horizontales des corniches sur les piles d’angle, à hauteur du couronnement de la salle longue. Le parti général d’ornementation, basé sur la suppression des nus, est aussi moins architectural : mais le décor n’en est pas moins remarquable, avec ses devatâs plus animées, ses fausses portes où le rinceau remplace le motif à hampe, ses pilastres à losanges et fleurons, ses bandes de rinceaux rehaussés parfois de petits personnages. Le vestibule de jonction et la salle longue sont revêtus de motifs à fleurons inscrits dans des carrés, ciselés à fleur de pierre comme à Bantéay Srei et au Baphûon. La cella forme un carré de 2,80 m de côté, et la salle longue, dont la voûte est écroulée, fait 6,80 m sur 3,60 m, précédée d’un porche qui communique avec le gopura oriental par un passage surélevé sur trois rangs de colonnes. Ce gopura à trois passages, semblable à celui de Thommanon sauf en ce que les entrées latérales ne sont plus indépendantes de la partie centrale, a reçu le même décor que la salle longue. Une avenue le reliait à la rivière toute proche par l’intermédiaire d’une chaussée surélevée sur trois rangs
Fig. 25. Chau Say Tevoda.
de supports à section orthogonale, postérieure au monument, et d’une terrasse. Des frontons très mutilés deux au moins se rapportent au Râmâyana : au sud du passage latéral sud, c’est le combat de Sugrîva et de Vâlin, à l’est du passage nord, d’autres singes. D’une façon générale, les scènes çivaïtes et vishnouïtes alternent dans le monument, comme on peut le voir sur divers frontons reconstitués au sol du côté sud ; on y reconnaît notamment Çiva et Umâ sur Nandin, des scènes familières et quelques apsaras. Du gopura occidental à corps central et deux ailes où, comme partout dans ce monument, la présence de poutres en bois disposées en doublure a hâté la ruine de la maçonnerie, il ne reste que la partie médiane avec son unique étage en retrait, voûté en berceau. Un Nandin, monture de Çiva, grêle et de facture assez molle, a été retrouvé sur la face sud de la « bibliothèque » nord. Résumé des travaux entrepris postérieurement à 1946 : anastylose du gopura O. de Thommanon par M. Marchal ; du Mandapa et de la bibliothèque sud par M. Laur. Anastylose du gopura O. de Chau Say Tevoda, par M. Marchal. Reprise des travaux d’anastylose du gopura ouest de 1961 à 1966 par B.-Ph. Groslier et G. Nafilyan.
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Pages suivantes : 88. Chau Say Tevoda, vu du nord. 89. Chau Say Tevoda, vestibule nord, sanctuaire.
90. Chau Say Tevoda, devatâ, façade sud, porche ouest, gopura est. 91. Chau Say Tevoda, façade sud, porche ouest, gopura est.
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92. Spéan Thma, vu du tablier.
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Pages suivantes : 93. Ta Keo, vu du sud-est.
SPÉAN THMA (Le pont de pierre) Prononcer : Spienn Thmâ À 200 m à l’est de Thommanon, la route, avant de franchir la rivière qui, à cet endroit, s’est détournée de son cours primitif et dont le lit s’est profondément affouillé depuis l’époque d’Angkor, laisse à gauche les vestiges d’un pont en grès construit sans doute à une époque assez tardive si l’on en juge par le nombre de blocs de réemploi entrant dans la composition de la maçonnerie. L’ancien radier se trouve aujourd’hui beaucoup plus élevé que le niveau des eaux même en période de crue, ce qui montre à quel point le régime hydraulique de la région s’est modifié au cours des siècles depuis la suppression des barrages anciens. L’obligation de voûter par encorbellements successifs comme dans les galeries des monuments contraignait les Khmers à se contenter d’arches très étroites entre des piles massives, ce qui les forçait à doubler la largeur de la rivière au passage des ponts pour obtenir un débit suffisant. Il reste ici les traces de quatorze arches de 1,10 m séparées par des piles de 1,60 m. Le Spéan Thma a été dégagé par H. Marchal en 1920. CHAPELLE DE L’HÔPITAL Date : fin du XIIe siècle Roi constructeur : Jayavarman VII (nom posthume : Mahâ paramasangata pada) Culte : bouddhique Dégagement par H. Marchal en 1920 Passé le Spéan Thma et de suite après le coude de la route vers le sud (borne kilométrique 7) se dresse sur la droite une tour sanctuaire du même type que Ta Prohm Kel (en face d’Angkor Vat) : la découverte d’une stèle reproduisant le texte bien connu de l’édit de Jayavarman VII sur les hôpitaux a confirmé son identification avec la chapelle d’un des 102 établissements fondés par ce roi et mentionnés dans l’inscription de Ta Prohm. Après avoir traversé les vestiges du gopura cruciforme à porche oriental et deux petites ailes, en latérite et grès, on se trouve au pied du prasat, précédé d’une chaussée d’une vingtaine de mètres. Il est à peu près complet, à quatre étages fictifs en retrait, mais assez disloqué : c’est un bâtiment cruciforme, à trois fausses portes, ouvert
à l’est par un vestibule à deux fenêtres et abritant une cella carrée de 2 m de côté. Le décor, à base de rinceaux, est très mou, les devatâs sont fort médiocres et, sur les frontons, l’image du Bouddha a été martelée. Devant la porte se trouve un piédestal de forme assez particulière, à bandes verticales. M. Goloubew a remarqué en outre un fronton « où l’on distingue une représentation du bodhisattva Lokeçvara associée à celle d’un malade, apparemment atteint de lèpre nerveuse, auquel un infirmier s’apprête à masser la main ». TA KEO (ou Ta Kev) (L’ancêtre Keo) OU PRASAT KEO (La tour de cristal) Date : vers l’an 1 000 Roi constructeur : Jayavarman V (nom posthume : Paramaviraloka) ? Culte : brahmanique (çivaïte) Dégagement par H. Marchal et Ch. Batteur de 1920 à 1922 Contournant Ta Keo par ses faces ouest et sud, on abandonne la route du Petit Circuit au croisement correspondant à l’angle sud-est pour prendre à gauche la route Batteur. Le monument apparaît alors encadré de grands arbres dans toute sa masse simple et robuste. Très différent d’aspect des autres temples du fait qu’achevé en tant que gros œuvre, il est resté en épannelage, il se distingue aussi par l’importance inhabituelle que prennent dans l’ordonnance des divers éléments de la pyramide les composantes horizontales : vues de face, les tours elles-mêmes, disposées en quinconce, se silhouettent en un seul groupe en raison de la saillie des avant-corps, qui semblent se rejoindre. On ne sait pourquoi la construction de ce temple, qui eût compté parmi les meilleurs, a été abandonnée peu après le début des travaux d’ornementation : sans doute la disparition du roi fondateur a-t-elle incité son successeur à ne point lui retirer des mérites au point de vue religieux en parachevant son œuvre et la prenant à son compte ; il avait peut-être lui-même en chantier quelque autre création personnelle susceptible de l’intéresser davantage. Quoi qu’il en soit, le style et la qualité des parties décorées suffisent à situer le monument dans le temps, et une étude très serrée, menée parallèlement par Mme de CoralRémusat, MM. Goloubew et Cœdès à des points de vue
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Fig. 26. Ta Keo.
différents, a permis de lui donner comme limites extrêmes Bantéay Srei et les gopuras du Palais Royal d’Angkor Thom : il appartient donc à la période comprise entre la fin du Xe siècle et les toutes premières années du XIe. Des inscriptions relevées sur les piédroits des gopuras orientaux, relatant des donations faites dans le temple mais non sa fondation, sont de 1007. Ta Keo est une pyramide à cinq gradins atteignant une hauteur totale de 22 m : les deux premiers forment soubassement de deux cours pourtournantes ceinturées l’une par un simple mur de clôture, l’autre par une galerie, tandis que les derniers, trop étroits pour permettre la moindre déambulation et édifiés selon la règle habituelle de réduction proportionnelle des divers éléments, ne sont que le gigantesque piédestal artificiel d’un quinconce de sanctuaires. C’est la première réalisation en grès de ce type d’édifice, généralement dédié à quelque personnage divinisé, après celle du temple du Bakheng couronnant une colline naturelle qui lui servait d’ossature. La construction en était par conséquent beaucoup plus délicate et fut menée avec le plus grand soin, au moyen d’énormes blocs de pierre régulièrement taillés et mis en œuvre, selon une technique
94. Ta Keo, côté est.
que l’absence de mouluration et de décor rend parfaitement lisible. La galerie, d’autre part, a dû être à peu près contemporaine du timide essai de galerie entièrement en grès du Phiméanakas ; mais ici il importe de remarquer qu’aucun vestige de voûte en pierre ne subsiste. Il est vraisemblable, à en juger par les nombreux débris trouvés dans les déblais et par l’existence de voûtes en brique posées en encorbellement sur les ailes des gopuras – formule employée à Bantéay Srei comme aux pavillons d’entrée du Palais Royal –, que la galerie de Ta Keo était elle-même couverte avec ce matériau, à moins qu’elle n’ait reçu quelque toiture légère. L’accès au monument par l’est est assuré au-dessus d’un bassin-fossé par une chaussée précédée de lions du style du Bayon et jalonnée de bornes : dans son prolongement existait, en bordure de la pièce d’eau du Baray oriental située à 500 m, une terrasse à deux étages. Le mur d’enceinte extérieur, enfermant un rectangle de 120 m sur 100, était en grès sur soubassement de latérite, et le gopura – tout en grès et partiellement sculpté – à trois passages indépendants avec tour centrale à étages fictifs en retrait : des frontons reconstitués au sol montrent le thème de décoration adopté, purement ornemental.
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95. Ta Keo, façade ouest, gopura est, deuxième enceinte.
De la cour, accessible aux fidèles, la vue de la pyramide était entièrement masquée par la galerie du haut gradin suivant. Sur la face est, de part et d’autre de l’axe, une longue salle de 22 m sur 2,75 m servait sans doute d’abri aux pèlerins : précédée d’un porche à piliers et suivie d’une pièce plus petite, elle était couverte en bois et tuiles et comme ajourée par une série de fenêtres à balustres sur chaque face, de proportion très élancée. La seconde terrasse, dominant la première des 5,50 m de hauteur de son puissant soubassement en latérite moulurée, avait ses quatre gopuras d’axe tout en grès : des marches de 0,40 m de hauteur y accédaient, et, à l’est, la pierre avait reçu un commencement d’ornementation dans les parties hautes. La galerie en grès pourtournante, de 80 m sur 75, large de 1,40 m et dépourvue de portes, était éclairée par des fenêtres vers l’intérieur seulement, la paroi extérieure étant ornée de fausses baies à balustres ; il ne reste aucune trace de voûte ni de toiture, seuls les pavillons d’angle, d’ailleurs peu accusés, étaient voûtés de grès. Sur la face orientale, grâce au décalage de l’axe de la pyramide vers l’ouest, ont été édifiés d’une part, deux bâtiments du même type que les longues salles de repos de la première terrasse, mais beaucoup moins développés et éclairés, d’autre part, deux « bibliothèques » ouvertes à l’ouest, à faux étage d’attique percé de fenêtres gisantes : là encore ne subsistent ni voûtes ni toitures. De la cour on ressent devant les 14 m de hauteur que totalisent les trois gradins de la pyramide proprement dite, une rare impression de puissance : des escaliers, exceptionnellement à largeur constante, les gravissent d’une seule volée avec des marches allant de 0,40 m à 0,30 m de hauteur, tandis que les murets d’échiffre sont à six ressauts. La mouluration à grande échelle, à doucines opposées et gros tore médian, dégage une impression de force que n’amenuisent en rien les éléments de la décoration, exécutée seulement sur la face orientale et passablement dégradée : elle était remarquablement ciselée et composée, à base de grandes volutes flammées et de losanges. Au pied du perron oriental, un Nandin (taureau sacré), aux formes un peu grêles, a été retrouvé, affirmant le caractère çivaïte du temple. La plateforme supérieure, formant un carré de 47 m de côté, est presque entièrement occupée par un quinconce de tours en épannelage, ouvertes aux quatre points cardinaux par autant de vestibules en avant-corps, doublés pour le sanctuaire central. Celles des angles, sur un soubassement de 0,80 m, étaient franchement dominées par la tour centrale, surélevée de 4 m et dont les développements des porches et l’envolée des frontons venaient encore accuser
l’importance. Les cellas intérieures avaient respectivement 4 m et 3,50 m de côté ; remarquablement construites et soigneusement parementées à l’intrados des étages fictifs en retrait, elles n’avaient encore reçu comme décor qu’une élégante corniche intérieure ciselée. Des fragments de piédestaux et de lingâs ont été retrouvés tant à l’intérieur des prasats qu’alentour, ainsi que quelques statues. En raison de son orientation, la visite de Ta Keo doit se faire de préférence le matin, et de bonne heure pour que l’ascension de ses rudes escaliers ne paraisse point par trop pénible. TA NEI Prononcer : Ta Neille Date : fin du XIIe siècle Roi constructeur : Jayavarman VII (nom posthume : Mahâ paramasangata pada) Culte : bouddhique De Ta Keo le visiteur qui en a le temps peut trouver dans l’excursion de Ta Nei prétexte à une agréable promenade à pied dans la forêt : un sentier se dirigeant en droite ligne vers le nord et faisant suite à la route Batteur le conduira directement en 800 m, après avoir franchi plusieurs levées de terre et dépressions, au gopura occidental du temple, situé en bordure ouest du chemin. Le monument, construit à 200 m à l’ouest de la digue ouest du Baray oriental, a été laissé en état et est relativement bien conservé dans l’ensemble ; son style, de la seconde moitié du XIIe siècle, est homogène, les deux gopuras (est et ouest) de l’enceinte extérieure (3e enceinte), dont le mur a disparu, paraissant seuls un peu plus tardifs que les autres corps de bâtiments. Ces deux gopuras, tout en grès et en partie démolis, étaient de petite taille et de plan cruciforme, simplement couverts par une croisée de voûtes en berceau : de construction très fruste, avec devatâs, décor à base de rinceaux et fausses fenêtres à stores, ils se rattachent à la dernière période du style du Bayon ; une corniche ornée court à l’intérieur. On remarquera sur la face est du gopura oriental, relié au temple par des vestiges de terrasse et de chaussée, un curieux fronton demeuré en place : un Lokeçvara debout sur un lotus, au milieu d’apsaras et de personnages volants, domine un registre inférieur d’autres personnages agenouillés et implorants, au ventre énorme. Sont-ce des malades en quête de guérison, ou les damnés « voleurs de riz » qui figurent sur le bas-relief de l’Enfer à Angkor Vat ? Il est malaisé de se prononcer.
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Une chaussée reliait le gopura occidental à un petit porche à piliers de grès coupant le mur de deuxième enceinte, construit en latérite : le tout en majeure partie renversé. Des porches de même nature se retrouvaient sur les faces nord et sud, simulant des gopuras comme les murs euxmêmes simulaient des galeries. En effet, au-dessus d’une porte à l’angle sud-est (face est) et sur le mur plein à l’angle nord-ouest (face ouest) se dressent encore des frontons de grès de forme triangulaire qui, de l’extérieur, semblaient l’about de galeries inférieures dont il ne reste aucune trace : si elles ont jamais existé, ce n’a pu être qu’en matériaux légers, et les architectes khmers nous ont habitués à ces subterfuges. Cette deuxième enceinte, de 47 m sur 55, était bordée au nord et au sud de bassins-fossés. Le temple proprement dit était à quatre gopuras réunis par des galeries avec pavillons d’angle, sanctuaire central, et, à l’est de la cour intérieure, une seule « bibliothèque » du côté sud, le tout formant extérieurement un rectangle de 26 m sur 35. Une modification faite sans doute en fin de travaux a fait reculer la galerie orientale jusqu’au mur de deuxième enceinte, supprimant de ce côté la cour pourtournante et transformant l’ancien gopura est en second sanctuaire isolé à l’intérieur du préau : de 35 m, la longueur est ainsi passée à 46 m. Les gopuras, tout en grès, formaient tour à deux étages fictifs en retrait et couronnement de lotus, et étaient de plan cruciforme. Le sanctuaire central, également en croix mais augmenté de quatre petits vestibules, était à quatre étages, ouvert sur chaque axe, et relié au gopura nord par un passage ; sa cella formait au centre un carré de 2,75 m de côté.
La galerie pourtournante était en latérite pour les murs et à voûtes de grès avec faîtage d’épis accolés. Chacun de ses éléments formait passage secondaire à l’ouest comme à l’est ; côté nord et sud, c’étaient de simples portes sur le préau intérieur, avec fausses portes vers l’extérieur. Les pavillons d’angle, tout en grès, étaient à simple croisée de voûtes et de plan cruciforme, comme le gopura extrême est rajouté après coup qui, lui, n’était pas traité en tour à étages comme les autres gopuras. La « bibliothèque », en grande partie écroulée, ouvrait à l’ouest, précédée d’un vestibule, elle était en latérite et grès. Partout les fausses fenêtres étaient à balustres engagés, sans stores. Les frontons, pour la plupart intéressants et de facture honorable, étaient d’inspiration bouddhique. On remarquera : au gopura sud, face nord, au-dessous d’un registre d’orants, un personnage agenouillé bénissant deux enfants dans un palais entouré d’apsaras ; au gopura nord, face sud, un cavalier de belle allure brandissant une arme, au-dessus de deux registres à personnages ; au sanctuaire central, face nord, un personnage debout dans une jonque entouré de figures volantes portant des parasols, et faisant un geste de bénédiction. Quelques linteaux à terre sont demeurés intacts : à l’intérieur du gopura ouest, ce sont deux personnages présentant des offrandes au-dessus d’une tête de Kâla ; une image du Bouddha est sculptée sur l’un seulement des motifs de la branche, coupée aux quarts ; au pavillon d’angle sudouest, ce sont trois Bouddhas sur tête de Kâla, au centre comme aux deux motifs latéraux. De courtes inscriptions sur des piédroits de baies donnent le nom d’idoles érigées dans le temple.
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Fig. 27. Ta Nei.
Fig. 28. Ta Prohm.
TA PROHM (L’ancêtre Brahmâ) Date : du milieu du XIIe au début du XIIIe siècle (1186) Roi constructeur : Jayavarman VII (nom posthume : Mahâ paramasangata pada) Culte : bouddhique Dégagement par H. Marchal en 1920 « La nature, a dit Aldous Huxley, nourrissez-la trop bien, donnez-lui de fortes doses de cette tonique lumière tropicale, abreuvez-la de pluie tropicale, et la voici hors d’elle-même. » Bien que cette force inlassable de la végétation soit à l’origine de tant d’irréparables désastres, l’École française d’Extrême-Orient se devait de laisser un temple au moins d’Angkor, à titre d’exemple, en cet « état de nature » qui fit jadis l’émerveillement des premiers explorateurs, montrant ainsi par comparaison l’importance de l’effort qu’elle a déjà accompli dans son œuvre de sauvegarde des vieilles pierres. Elle a choisi Ta Prohm, l’un des plus importants, l’un des mieux assimilés par la jungle au point de n’être plus que partie intégrante de cette jungle. Ce n’était à vrai dire qu’un des exemples typiques d’une forme de l’art khmer dont nous possédions déjà d’autres
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spécimens : nous pouvions donc sans trop de regrets faire cette concession au goût de chacun pour le pittoresque et lui permettre de donner libre cours à son émotion comme à ses facultés d’évocation. Notre tâche ici s’est bornée à débroussailler pour rendre la visite possible, puis à surprendre la ruine en cherchant à concilier l’enchevêtrement des lianes et des racines avec la survie des formes et de l’architecture. Nous demandons en échange au touriste de se laisser gagner lui-même par le charme de Ta Prohm, de lui consacrer mieux que quelques instants, et de vibrer sans contrainte au gré de sa sensibilité. Ta Prohm doit être vu soit l’après-midi, soit le matin de bonne heure, et traversé d’ouest en est selon l’itinéraire que nous avons tracé sur le plan : cette précaution évitera au visiteur disposant d’un temps limité de s’égarer, grâce à la simplicité relative d’un trajet jalonné de repères précis. Par contre, celui qui pourra consacrer quelques heures au monument sera susceptible d’errer à l’aventure, en ne perdant jamais de vue que l’axe principal est-ouest est affirmé de bout en bout par une enfilade ininterrompue de salles et de vestibules, presque partout inaccessibles et encombrés par les éboulis mais constituant une excellente base de ralliement. Nous conseillons d’autre part de ne circuler qu’avec la plus grande prudence dans
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les portions de galeries aux voûtes croulantes qui s’écartent des passages fréquentés. Ta Prohm, monastère bouddhique, appartient à la dernière formule des temples khmers, celle où l’ensemble, réglé de plain-pied, n’obéit plus au principe d’étagement, la notion d’élévation n’étant plus donnée que par le jaillissement des tours et du sanctuaire central prédominant de tout un système de galeries concentriques : celles-ci sont au nombre de trois, et l’axe principal est-ouest, matérialisé par une suite de tours et de passages, forme une sorte de voie sacrée jusqu’au cœur du monument. Le sentiment « d’horreur du vide » spécial aux Khmers a malheureusement favorisé l’éclosion sur cette ossature de nombreux bâtiments parasites qui, surtout à l’est, s’épaulent ou s’enchevêtrent sans qu’apparaisse la moindre idée directrice. Deux enceintes successives, marquées par de simples murs, et dont la dernière fait 600 m sur un kilomètre de long, entourent le temple proprement dit : on peut être surpris que celui-ci qui, avec ses trois galeries concentriques, comprenait tous les éléments d’une grande composition, ait été enserré dans un pauvre carré d’une centaine de mètres de côté perdu dans un parc immense de 60 hectares. N’oublions pas cependant que, si l’on en croit l’inscription, 12 640 personnes logeaient à l’intérieur de l’enceinte, dont 13 grands prêtes, 2 740 officiants et 2 232 assistants, parmi lesquels 615 danseuses… Bien qu’on ait cru quelque temps pouvoir attribuer au seul roi Jayavarman VII, au cours d’un règne d’une vingtaine d’années, l’édification des divers temples du style du Bayon, il semble probable aujourd’hui qu’il n’a pu matériellement, en un laps de temps si court, faire davantage que transformer, agrandir et compléter en les marquant de son empreinte des fondations religieuses établies sur des schémas existants. Un monument aussi complexe que Ta Prohm, comme l’a fait remarquer M. Groslier, n’a pas été construit d’un seul jet et porte des traces multiples de remaniements et d’adjonctions : certaines parties, en tant que style, sont aussi proches d’Angkor Vat que d’autres du Bayon. Seule une étude approfondie après dégagement permettrait de classer les divers éléments avec quelque certitude. La stèle de Ta Prohm, inscrite sur ses quatre faces et trouvée dans une section de galerie précédant le gopura oriental de deuxième enceinte, porte la date de 1186, postérieure de cinq ans au sacre du roi Jayavarman VII. Relatant l’érection d’une statue de la mère du roi sous les traits de Prajnapârâmita, la « Perfection de Sapience », considérée comme « mère des Bouddhas », elle classe Ta Prohm dans
la catégorie des temples spécialement consacrés à la gloire des parents divinisés. Après une énumération d’ancêtres et le rappel d’une expédition victorieuse au Champâ, elle attribue au prince l’érection de 260 statues de divinités en sus de celle de son « guru » ou maître spirituel, et la construction de 39 tours à pinacle, 566 groupes d’habitations en pierre, 286 en brique, et 2 702 brasses de murs d’enceinte en latérite ; 3 140 villages et 79 365 personnes étaient affectés au service du temple dont le texte fixe avec un grand luxe de détails les diverses modalités : on y mentionne notamment l’existence de 5 tonnes de vaisselle d’or, 512 lits de soie et 523 parasols, puis après les prescriptions pour la célébration de certaines fêtes, la fondation dans le royaume de 102 hôpitaux. Description Des quatre gopuras de l’enceinte extérieure en latérite, seul celui de l’ouest est en hon état de conservation : c’est – incontestablement du style du Bayon – une tour à quatre visages sur couronne de devatâs en prière, avec deux réduits en aile de part et d’autre : seuls les motifs d’angle à grands garudas ont à peu près complètement disparu. De là, 350 m d’allée percée dans la forêt mènent au gopura IV, précédé d’une terrasse cruciforme formant digue dans la traversée des douves, avec quelques vestiges de lions, de dvârapâlas et de balustrades à nâgas du style du Bayon, à garudas dévorants. Le corps de bâtiment luimême est très ruiné, en latérite et grès, mais les pans de murs élevés qui restent debout témoignent de son importance ancienne. La vue sur la cour intérieure qui lui fait suite vous plonge d’emblée dans le monde de l’irréel : de tous côtés, fusent vers le ciel, dans une pénombre verte de chapelle, les énormes fûts clairs des fromagers, dont les longues jupes à traîne balayent le sol, où serpentent d’interminables racines. Une chaussée-terrasse cruciforme, aux nâgas balustrades du style du Bayon, sert de socle à certains d’entre eux, jusqu’à la proche enceinte de galerie – la troisième en partant du centre du monument. Un seul dvârapâla armé d’une massue garde l’entrée axiale du gopura à trois corps formant passages : très développé en largeur, il a ses murs abondamment ornés et sculptés de devatâs. Tournant à droite, on visitera la galerie à double rang de piliers vers l’extérieur, tandis que l’autre paroi, demeurée pleine, s’ornait de grandes images de trinités bouddhiques abritées dans des niches à faible défoncement, systématiquement détruites par
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Fig. 29. Ta Prohm, itinéraire de visite.
96. Ta Prohm, façade est, gopura ouest, enceinte extérieure, première moitié du XIIIe siècle. 97. Ta Prohm, visage de Lokeçvara (?), gopura ouest, enceinte extérieure.
les Brahmanistes lors des réactions religieuses du XIIIe siècle. Il règne sous ces voûtes admirablement conservées, qui montrent nettement la maîtrise technique des Khmers des encorbellements successifs par assises horizontales, une lumière verte d’une reposante douceur. Revenant à l’entrée latérale sud du gopura III, on débouche à droite sur une large cour pourtournante aux tours coiffées de broussailles ; circulant sur l’étroite berme formée par la saillie du soubassement de la face est du bâtiment, on revient à l’axe, pénètre par l’ouest dans le prasat où repose un Bouddha couché, puis, descendant les quelques marches de son perron sud, traverse la cour en équerre du quart sud-ouest. À l’extrémité de sa branche orientale on pourra pénétrer par sa tour sud dans la cour intérieure d’un petit ensemble ceint de galeries dont le centre est marqué par une tour-sanctuaire précédée d’une salle longue à l’est, vis-à-vis de laquelle se trouve un beau fronton représentant les divinités amortissant de leurs mains le bruit des sabots du cheval du futur Bouddha lors du « Grand Départ ». Revenant à la cour en équerre, on traverse par la petite porte percée dans la moitié sud de sa face ouest la galerie de deuxième enceinte, en latérite et grès, à double rang de piliers vers l’intérieur. Ceux-ci sont étreints par les racines d’un arbre poussé sur la voûte même, et celle-ci paraît
suspendue, soulevée par ces tentacules qui la crochent et pendent jusqu’au sol comme les pattes d’une bête au repos. Remontant vers l’axe, on pénètre par sa porte ouest dans le gopura occidental de première enceinte, que l’on suit à droite vers le sud pour sortir par la seconde baie, précédée d’un petit porche, dans la cour centrale du temple, préau de 24 m de côté. Là, on remarquera qu’une fouille pratiquée à l’angle sudouest a mis au jour un soubassement sculpté de 1,10 m de hauteur, complètement enterré, qui devait autrefois donner à l’ensemble du monument beaucoup plus de légèreté. Un pilier carré à tenon se dresse isolé, support sans doute de quelque petit autel à offrandes en matériaux légers, et un bâtiment du type « bibliothèque », ouvrant à l’ouest par un vestibule, est érigé dans l’angle sud-est. Les parois de la galerie sont entièrement ciselées, comme d’une broderie continue : si l’exécution reste un peu gauche, le décor est charmant, avec ses frises à pendeloques, ses rinceaux animés de figurines et ses devatâs sous niches, dont la coiffure à petits disques flammés inscrits dans un triangle est du style du Bayon ; la voûte elle-même est cannelée de fausses tuiles ornées de motifs à hampe. Formant quinconce avec les tours d’angle fortement accusées, le sanctuaire central, que l’on traverse du sud au nord, détonne par sa masse informe et sans décor :
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Pages précédentes : 98. Ta Prohm, intérieur de la troisième enceinte.
99. Ta Prohm, colonnade extérieure de la troisième enceinte. 100. Ta Prohm, fromager, galerie de la deuxième enceinte.
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Pages suivantes : 101. Ta Prohm, galerie de la deuxième enceinte. 102. Ta Prohm, cloître intérieur.
103. Ta Prohm, sanctuaire central. 104. Ta Prohm, sanctuaire central, détail.
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105. Ta Prohm, fronton, gopura ouest, cour entre la première et la deuxième enceinte.
Pages suivantes : 106. Ta Prohm, apsara, angle sud-est, galerie sud de la première enceinte. 107. Ta Prohm, apsara.
la pierre a été martelée pour accrocher un enduit dont il reste quelques traces et qui devait être peint ou doré ; à l’intérieur, des trous de scellement régulièrement disposés décèlent l’existence d’un revêtement en bois ou en métal. Quittant cette cour par la galerie orientale de sa moitié nord, on s’engage, après avoir admiré la finesse des devatâs des murs, sous une porte curieusement encadrée par les racines d’un arbre. Puis, tournant à gauche dans l’obscure galerie I, on en ressort par la porte nord de sa tour d’angle nord-est, prend vers la droite la galerie II à bas-côté sur piliers, et la quitte vers l’est par un petit avant-corps. Débouchant dans la grande cour de troisième enceinte face à un prasat isolé, on tourne à gauche vers le nord et parcourt le petit ensemble à galerie pourtournante et cour centrale symétrique de celui déjà rencontré au sud de l’axe principal ; revenant vers celui-ci, on passe entre deux rangées de tours jumelées, et près de celle dont le fronton ouest est sculpté d’un registre de personnages féminins à têtes de nâgas, on s’insinue dans un étroit passage conduisant à la stèle, qui se trouve à proximité dans un élément de galerie, non loin d’un fronton représentant sous une scène de palais un personnage domptant un cheval. Ressortant par le même boyau, on escalade à droite quelques éboulis et parvient à la galerie III, que l’on traverse par un vestibule joignant le corps central de son gopura à l’aile nord de celui-ci. Sur l’axe principal, un jeune arbre a poussé sur le cadre même de l’entrée orientale, enveloppant de ses racines avec une symétrie parfaite chacun de ses piédroits. En face s’ouvre l’entrée principale d’un vaste enclos rectangulaire de 20 m sur 30, ceint de hauts murs ornés seulement au nord et au sud de magnifiques fausses portes et formant intérieurement cloître à quatre courettes avec galeries en croix à bas-côtés sur piliers. Cet ensemble, situé en dehors de l’enceinte sacrée et très différent des autres corps de bâtiments, correspondait peut-être
au « Palais Royal » dont parle une stance de l’inscription, à moins qu’il n’eût été réservé aux danses rituelles : des apsaras forment frise au-dessus des baies. On remarquera à l’angle nord-ouest une curieuse fantaisie de la nature : un arbre, chassant les piliers de pierre de la galerie, leur a substitué l’une de ses racines qui supporte tout le poids de l’architrave. Traversant ensuite de bout en bout ce préau en croix malheureusement très ruiné, on parvient à l’important gopura oriental de quatrième enceinte, à plan cruciforme avec piliers intérieurs, quatre ailes et deux passages latéraux : l’énorme dalle de croisée des voûtes est tombée au sol sans se briser. D’un style très sobre assez proche de celui d’Angkor Vat, ce gopura est sculpté sur les deux faces, le long des passages latéraux, de remarquables panneaux de bas-reliefs. Au nord, au-delà d’un mur en latérite, on aperçoit une salle à piliers très rapprochés, analogue à celles de Prah Khan et de Bantéay Kdei, et qui devait porter un étage en matériaux légers : son utilisation reste énigmatique. À la suite, le long et à l’intérieur du mur de quatrième enceinte, s’alignent les vestiges de petites cellules rectangulaires qui se retrouvent sur tout son pourtour. La traversée des douves se fait par une vaste terrasse dallée de grès, à partie médiane cruciforme légèrement surélevée : elle était ornée de lion et de nâgas balustrades dont les chaperons sans garudas sont certainement antérieurs au style du Bayon. Plus loin, au nord de l’axe, un abri de pèlerins du type habituel, à demi écroulé, a ses murs épais garnis de fenêtres à double rangée de balustres : sa toursanctuaire devait être consacrée au bodhisattva Lokeçvara, représenté sur le fronton sud. Un sentier ombragé permet de sortir du temple, dont la cinquième et dernière enceinte se trouve à 400 m vers l’est : son gopura, du même type que celui de l’ouest, se réduit à quelques pans de murs où subsistent les traces des garudas d’angle.
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108. Ta Prohm, apsara, gopura ouest, façade ouest, entrée latérale nord, avant-corps sud, troisième enceinte.
KUTIÇVARA Date : IXe-Xe siècle Culte : brahmanique (çivaïte) Dégagement par H. Marchal et H. Parmentier en 1930 Sortant de Ta Prohm par le gopura est, on prend à droite la route Demasur, puis à gauche celle du Petit Circuit. Le mur d’enceinte extérieure de Bantéay Kdei la borde du côté sud, et peu après avoir dépassé son gopura nord, où l’on a reconstitué au sol un grand fronton montrant la Terre tordant sa chevelure pour noyer l’armée de Mâra, on peut, à 200 m à gauche, traversant quelques herbages et boqueteaux, atteindre à pied les vestiges de Kutiçvara, difficilement accessibles même en saison sèche. Si extraordinaire que cela paraisse, ce petit monument, situé à 500 m à l’est de Ta Prohm et tout près d’un village, n’a été découvert qu’en 1930. Sans grand attrait au point de vue spectaculaire, il présente un intérêt archéologique indéniable en ce qu’il marque le site de Kuti, fondé sous Jayavarman II au IXe siècle et mentionné dans les inscriptions de Bat Chum et de Tep Pranam : on lui avait attribué jusqu’alors l’emplacement même de Bantéay Kdei, où des piédroits de baie en réemploi mentionnent l’érection à Kutiçvara d’un Brahmâ au sud et d’un Vishnou au nord par Çivâcârya, un des prêtres du Devarâja ou Lingâ royal, sous le règne de Râjendravarman au Xe siècle. Le temple se présente sous la forme de trois sanctuaires en brique à demi-ruinés, alignés nord-sud et ouvrant à l’est, sur une petite butte de terre probablement entourée d’un bassin fossé. Celui du centre, très proche de l’art de Rolûos, sur soubassement en brique, est précédé d’un double perron, avec marches de départ en accolade, le premier étant enclos dans des vestiges de murs qui formaient une sorte de salle intérieure vraisemblablement rajoutée après coup. Le motif de la porte est en grès, avec assemblages droits, colonnettes octogonales à quatre nus et linteau presque effacé. La cella carrée de 2,80 m de côté contenait un piédestal à lingâ avec pierre à dépôt sacré. Les sanctuaires latéraux, d’un style légèrement postérieur, étaient sur soubassement de latérite. Sans aucune trace de fausses portes ni de décor sur les faces pleines, ils avaient leurs cadres de baies presque unis, assemblés en partie d’onglet, leurs colonnettes à quatre nus bagués, les linteaux, surmontés d’une petite frise, à branche grêle, grandes volutes terminales et figurines mêlées au décor : leur centre était marqué au sud par un Brahmâ assis et au nord par le motif habituel vishnouïte lié à la scène du Barattement de l’Océan
– le pivot enlacé par le dieu et reposant sur la tortue. L’inscription de Bantéay Kdei se trouve ainsi confirmée : de plus, dans la cella sud, légèrement rectangulaire comme au nord, a été trouvée la statue même de Brahmâ, à quatre faces et quatre bras, debout sur le piédestal circulaire orné de pétales de lotus généralement réservé à ce dieu et que l’on retrouve au Phnom Krom et au Phnom Bok : l’idole, quoique de facture médiocre, a été rentrée au Dépôt. BANTÉAY KDEI (La citadelle des cellules) Prononcer : Bantéail Kedeil Date : du milieu du XIIe au début du XIIIe siècle Roi constructeur : Jayavarman VII (nom posthume : Mahâ paramasangata pada) Culte : bouddhique Dégagement par H. Marchal et Ch. Batteur de 1920 à 1922 Si, sortant de Ta Prohm par le gopura est, on veut gagner directement Bantéay Kdei, la route Demasur, traversant le Petit Circuit, vous conduit directement en 600 m à l’entrée occidentale de ce temple. Celui-ci est un nouvel exemple de l’esprit de confusion – pourtant moindre qu’à Ta Prohm et Prah Khan – qui a présidé à la construction des monuments érigés, transformés ou complétés par Jayavarman VII, et de l’enserrement de l’enceinte sacrée, qui fait ici 63 m sur 50, dans un très vaste enclos (700 m sur 500). On y relève les traces d’au moins deux époques différentes, que l’on peut rattacher aux styles d’Angkor Vat et du Bayon : les rajouts sont évidents, masquant en maints endroits des sculptures existantes, et il semble que les différentes tours sanctuaires n’aient été réunies qu’après coup par tout un système de galeries et de vestibules poussant jusqu’à l’extrême limite l’exploitation de la formule du cloître. Le schéma se réduit à un ensemble de plain-pied à usage de monastère bouddhique comprenant, à l’intérieur de deux murs d’enceinte successifs, deux galeries concentriques dont émerge un véritable foisonnement de tours, précédé à l’est d’un préau en croix. L’état de ruine est très avancé, tant par suite des innombrables malfaçons inhérentes aux constructions de cette époque que par la mauvaise qualité d’un grès très friable ayant tendance à se déliter. Après l’enchantement de Ta Prohm, Bantéay Kdei paraît sans doute d’un charme
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Fig. 30. Bantéay Kdei.
moins prenant que d’autres monuments ; cela est dû surtout à sa présentation qui, après l’enlèvement total de la végétation, a laissé jusqu’ici en l’état ses parties croulantes sans la moindre tentative de restauration. On ne possède aucune précision sur la destination de ce temple, et l’on ignore à qui il fut consacré. Une inscription trouvée dans le gopura occidental de deuxième enceinte a été reconnue comme ayant été gravée sur des pierres de réemploi : datée du règne de Râjendravarman au Xe siècle, elle paraît provenir du temple voisin de Kutiçvara et contient une invocation à Çiva ; elle mentionne en outre l’érection de deux statues, Brahmâ et Vishnou. Les frontons et linteaux de ce monastère mahâyâniste sont intéressants et de facture honorable : certains ont échappé à l’action des iconoclastes lors des luttes religieuses du XIIIe siècle. Une bonzerie y était encore installée au moment du dégagement. Description Le mur d’enceinte extérieure (quatrième enceinte) en latérite est coupé de quatre gopuras exactement semblables
à ceux de Ta Prohm, avec parties hautes à quatre visages et motifs d’angle à garudas. Ils sont de toute évidence de l’époque du Bayon, comme l’étroite terrasse cruciforme qui, du côté ouest, à 200 m de l’entrée, franchit les douves, ornée de lions et de nâgas balustrades à garuda dévorant. Le gopura de troisième enceinte, à plan cruciforme et piliers intérieurs, couvert en croisée de voûtes, paraît plus ancien : il est à trois passages, dont les deux extrêmes, indépendants, se raccordent au mur en latérite de 320 m sur 300. Les parois sont ciselées de façon assez fruste de rinceaux à figurines et de devatâs de grande taille dans des niches ; à l’intérieur court une frise de Bouddhas bûchés par les brahmanistes. Une nouvelle chaussée bordée de nâgas conduit au gopura de deuxième enceinte, coupant la galerie pourtournante constituée extérieurement par un mur en latérite et, sur cour, par un double rang de piliers de grès : certaines parties en ont été murées, ne laissant que le bas-côté pour circuler à couvert. Le gopura, flanqué de deux portes secondaires percées dans le mur de fond de la galerie, forme tour à étages fictifs en retrait, et l’ornementation est du style du Bayon, avec fausses fenêtres à balustres aux
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109. Bantéay Kdei, visages de Lokeçvara (?), gopura est, enceinte extérieure.
Pages suivantes : 110. Bantéay Kdei, gopura est, troisième enceinte.
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111. Bantéay Kdei, lions-gardiens et serpents-balustrades devant le gopura est, troisième enceinte.
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112. Bantéay Kdei, détail d’une des façades, tours dans la première enceinte.
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113. Bantéay Kdei, détail d’une des façades, tours dans la première enceinte.
114. Bantéay Kdei, dvârapâlas.
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115. Bantéay Kdei, apsara.
Pages suivantes : 116. Srah Srang, terrasse de l’embarcadère.
stores baissés et devatâs coiffées de petits disques flammés insérés dans un triangle. La voûte des galeries, construite en latérite et grès, a perdu par ce fait même toute homogénéité et s’est écroulée par parties. Les quatre gopuras de première enceinte, comme les tours d’angle, forment d’importantes tours à étages, réunies par des galeries : cet ensemble paraît antérieur au style du Bayon. Le sanctuaire central, qui porte encore des traces de sculpture, a dû être martelé pour accrocher un enduit de revêtement ; il est à quatre avant-corps, avec cella de 2,75 m de côté dans œuvre où sont encore visibles, reposant sur la corniche, des vestiges de plafond en bois sculpté. Les galeries et les salles qui l’unissent en croix aux quatre gopuras semblent être des rajouts : on remarquera le beau fronton à registres superposés de la face orientale du gopura I ouest et celui de la face sud du gopura I nord, où l’on voit un Bouddha assis au-dessus d’un personnage debout entre deux éléphants. Les deux courettes occidentales formées par la croisée de galeries contiennent chacune un de ces piliers isolés à tenon qui, comme à Ta Prohm et à Prah Khan, devaient supporter quelque autel à offrandes en matériaux légers ou un luminaire. Dans les deux autres, deux bâtiments ouverts à l’ouest, du type « bibliothèque » et du style du Bayon, abritent encore dans leur pièce principale formant tour deux admirables statues de feuilles sans tête ni bras, probablement du Xe siècle et originaires de quelque autre monument : à seins puissants, fortes hanches et fesses plates, elles ont le torse nu et de longues jupes à petits plis verticaux. Les tours d’angle nord-est et sud-est de la première enceinte ayant été réunies à la galerie II, on passe encore entre deux courettes pour atteindre le gopura II, d’où l’on aperçoit, formant silhouette, une statue de Bouddha assis qui se détache admirablement sur le ciel. Au-delà, c’est, comme à Ta Prohm ou Prah Khan, le vaste rectangle d’un préau en croix à quatre courettes servant peut-être de salle de danses rituelles ou de « palais » : comme aux entrées du Bayon, de charmantes apsaras, seules ou par couples, animent les piliers, ciselées à fleur de pierre. Des dvârapâlas traités en bas-relief précèdent l’entrée, entourés de devatâs et les parties hautes ont disparu. Au nord de la chaussée qui fait suite, on retrouve également la même salle à gros piliers rapprochés que dans les deux temples précités et qui, sans qu’on en connaisse la destination, devait porter un étage en matériaux légers. Dans le gopura de troisième enceinte se trouve la statue de Bouddha assis méditant, mentionnée plus haut, d’assez bonne facture. On traverse à nouveau les douves par
une large terrasse à partie centrale cruciforme légèrement surélevée : les nâgas balustrades y sont du style du Bayon et les lions, très trapus, assez particuliers avec leurs pattes arrière traitées de façon décorative. Symétriquement placés au nord et au sud de l’axe principal, on voit encore deux vestiges de bâtiments en latérite et grès, à salle carrée médiane entre deux vestibules, ouvrant à l’est et à l’ouest : celui du sud est plus important du fait du développement de sa partie centrale en croix et de l’adjonction de deux ailes latérales. Ce devaient être de petits sanctuaires, et l’on remarquera, reconstitué au sol au pied de celui du nord, un fronton du « Grand Départ » avec les divinités soutenant de leurs mains les sabots du cheval. La sortie du temple se fait par son gopura est de quatrième enceinte, dont la tour à visages est mieux conservée que les ailes, avec des garudas d’angle assez complets. Résumé des travaux entrepris postérieurement à 1946 : réfection de la porte nord et des voûtes du gopura III est ; réfection totale de la terrasse cruciforme III est ; anastyloses partielles. SRAH SRANG (Le bain royal) Prononcer : Srah Srangue Date : terrasse-embarcadère : fin du XIIe siècle Roi constructeur : Jayavarman VII (nom posthume : Mahâ paramasangata pada) Dégagement par H. Marchal en 1920. Fouilles et travaux de restauration partielle par B. Groslier entre 1963 et 1965 Sortant de Bantéay Kdei par l’est et traversant la route près de la borne kilométrique 11, on accède par quelques marches à une élégante terrasse-embarcadère axée sur ce temple et dominant le plan d’eau du Srah Srang, lequel mesure 700 m sur un peu plus de 300 et, légèrement désaxé lui-même, a sans doute été creusé avant le règne de Jayavarman VII. Il était bordé de gradins en latérite et d’une margelle en grès, et son centre était marqué par un îlot minuscule où quelques blocs de pierre unis devaient servir de support à un templion en matériaux légers. Jamais à sec, le Srah Srang, entièrement entouré de grands arbres, offre aux derniers rayons du jour un des plus beaux points de vue du Parc d’Angkor : d’un calme majestueux, il rappelle singulièrement certaines perspectives
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de Versailles telles que la Pièce d’eau des Suisses ou le Grand Canal. La terrasse, à soubassement de grès mouluré sur assises de base en latérite, devait supporter quelque construction légère qui, à en juger par le plan à double courette, comportait une grande salle rectangulaire à galerie pourtournante. Un escalier axial flanqué de deux lions se divisait en trois branches à palier intermédiaire : cette heureuse disposition à ressaut a permis de répartir les nâgas balustrades de façon particulièrement décorative. L’ornementation, extrêmement riche, reste d’un goût parfait et sans lourdeur malgré la profusion des éléments : de face, un énorme garuda chevauche un nâga tricéphale tandis que d’autres têtes lui servent d’encadrement ; de dos, c’est à nouveau le nâga tricéphale, avec les cuisses de garuda nettement indiquées, ainsi que sa queue très stylisée et ornée de petites têtes de nâga. Le corps du serpent repose sur des dés sculptés de monstres en atlantes. C’est incontestablement le triomphe d’une formule qui reste discutable mais est caractéristique du style du Bayon. PRASAT KRAVAN Prononcer : Kravane Date : premier quart du Xe siècle (921) Roi constructeur : Harshavarman I (nom posthume : Rudraloka) Culte : brahmanique Dégagement par H. Marchal en 1929-1931 et G. Trouvé en 1935. Travaux de restauration par B. Groslier en 1962-1966 Rentrant vers Siemréap par le Petit Circuit, on voit à main gauche, entre les bornes kilométriques 12 et 13, un alignement de cinq tours en briques très écroulées, disposées en biais par rapport à la route : il ne faut point manquer de s’y arrêter, car sous leur impersonnalité apparente, elles cachent une particularité unique dans l’art d’Angkor, celle de sculptures sur brique exécutées à l’intérieur de sanctuaires. Entourées d’un bassin-fossé que l’on a barré dans son angle nord-ouest par une petite digue d’accès, ces tours sont très rapprochées, édifiées sur une même terrasse et ouvrant à l’est. Leur état de ruine vient principalement de la présence ancienne de quelques grands arbres dont
les racines étreignaient la maçonnerie. L’absence de tout perron pour accéder aux seuils fortement surélevés est assez surprenante. Nous conseillons de commencer la visite par le sanctuaire médian, le seul qui soit resté en possession de ses étages fictifs en retrait, parfaitement visibles surtout à l’intérieur où la brique a été mise en œuvre avec un soin remarquable : les joints sans mortier, où l’on mettait une sorte de liant d’origine végétale, sont absolument filiformes. Extérieurement, la face orientale est ciselée de dvârapâlas dans des niches peu profondes, et les pilastres montrent un décor à chevrons et figurines encadrées ; seuls le linteau, surmonté d’une frise de petites têtes alignées, et les colonnettes, octogonales à quatre nus bagués, sont en grès, celles-ci fort bien conservées. Les piédroits sont inscrits, mentionnant en 921 l’érection d’une statue de Vishnou. La cella carré, de 3,50 m de côté, renfermait un lingâ sur piédestal, que devait abriter un velum dont les crochets de suspension en pierre sont encore visibles. À gauche de l’entrée, on voit une grande figure de Vishnou dont les quatre bras portent les attributs habituels – disque, boule, conque et massue – et dont l’un des pieds repose sur un piédestal auprès duquel est assis un personnage en prière, tandis que l’autre foule un lotus épanoui tenu par une femme sur fond de lignes ondulées (les flots de l’Océan) : c’est manifestement une représentation des « Trois pas de Vishnou » destinés à assurer aux dieux la possession du monde. À droite, c’est un Vishnou monté sur les épaules du Garuda, entre deux adorateurs assis. En face, un autre Vishnou à huit bras est encadré de six registres d’orants debout, allant en se multipliant de bas en haut et pour la plupart masculins, le tout surmonté d’une frise d’autres orants plus espacés et d’un énorme lézard. La tour à l’extrême nord, malheureusement tronquée presque à mi-corps des personnages, était également sculptée intérieurement, réplique féminine de la décoration de la tour centrale. Un piédestal y a été trouvé lors du dégagement, orné sur trois de ses faces de figurines en prière en applique sur la plinthe. Les trois autres tours ont leurs parois nues : on voit encore par endroits les vestiges de leurs fausses portes en brique et des fragments de pilastres sculptés à la tour intermédiaire nord. Le linteau le mieux conservé (Vishnou sur Garuda) se trouve à la tour extrême sud. Les dimensions intérieures des tours secondaires étaient de 3 m seulement.
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117. Prasat Kravan, vu de l’ouest.
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118. Prasat Kravan, Lakshmî, mur intérieur nord, sanctuaire nord.
119. Prasat Kravan, Lakshmî, mur intérieur sud, sanctuaire nord.
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MONUMENTS DU GRAND CIRCUIT
PRÉ RUP (Tourner le corps) Prononcer : Prè Roup Date : seconde moitié du Xe siècle (961) Roi constructeur : Râjendravarman (nom posthume : Çivaloka) Culte : brahmanique (çivaïte) Dégagement par H. Marchal et G. Trouvé de 1930 à 1935 Situé à 2,3 km à l’est du croisement du Grand et du Petit Circuit (Srah Srang), de suite après le coude à angle droit que fait la route pour remonter vers le nord, et à 500 m au sud de la digue méridionale du Baray oriental marquée par la borne kilométrique 16, le temple de Pré Rup se présente malheureusement avec un recul insuffisant : il aurait assurément gagné à être laissé solidaire de l’allée de bornes décoratives en grès qui le précédait du côté est. Œuvre de grand style et de proportions impeccables, Pré Rup, construit presque uniquement en matériaux d’un ton chaud (latérite et brique) en un temps où le grès n’était employé qu’avec parcimonie, demande à être vu de bonne heure le matin ou lorsqu’il se dore aux rayons du soleil couchant. Son dégagement, relativement récent,
120. Pré Rup, soubassements du sanctuaire central, côté est.
a coûté de longs efforts, les monuments de brique exigeant des précautions spéciales pour être débarrassés de leur gangue de terre et d’éboulis et de l’enchevêtrement des racines. Toute anastylose étant impossible, les travaux de reprise se sont réduits à quelques raccords de briquetage et des consolidations. Postérieur de peu d’années au Mébôn oriental et de style identique, Pré Rup est la dernière réalisation de « templemontagne » ayant précédé l’apparition des galeries continues, qu’annoncent déjà les enfilades de salles longues ceinturant la base. C’est le « Meru » en tant que pyramide couronnée d’un quinconce de tours dédiées à des personnages divinisés, avec douze petits prasats à lingâ sur l’un des gradins comme à Bakong. L’inscription, après quelques détails sur la généalogie de Râjendravarman, donne la date de fondation (961) et le nom du monument, Râjendrabhadreçvara, qui était celui du lingâ placé dans le sanctuaire central ; puis c’est la désignation des statues placées dans les tours d’angle et dont le culte était lié à celui du roi lui-même (Çiva), d’un de ses ancêtres maternels (Vishnou), de sa tante maternelle (Umâ) et de son demi-frère, le roi Harshavarman (Çiva), fils de cette dernière. Le texte précise que l’essence royale ou « moi subtil » du souverain se trouvait incorporée dans son image, érigée de son vivant.
Fig. 31. Pré Rup.
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Pages précédentes : 121. Pré Rup, côté sud.
Axé sur le Mébôn oriental et dominant la vaste plaine de cultures qu’irriguait le Baray, Pré Rup était certainement le centre d’une importante agglomération – cette « Ville de l’Est » dont parle M. Philippe Stern et qui s’est développée au moment du retour de Koh Ker où avait émigré la capitale de 921 à 944. Cela n’implique nullement d’ailleurs que Râjendravarman en ait fait la Cité royale au détriment de l’ancienne « Yaçodharapura » centrée sur le Phnom Bakheng. On ne sait trop pourquoi les Cambodgiens ont toujours attribué à ce temple un caractère funéraire : le nom même de Pré Rup (« tourner le corps ») rappelle un des rites de l’incinération, où la silhouette du corps du défunt, esquissée avec ses cendres, est successivement représentée selon des orientations différentes. Une grande cuve appareillée située à la base de l’escalier est de la pyramide passe aux yeux de certains pour avoir servi aux crémations, et la légende fait se dérouler dans ce cadre les cérémonies des funérailles du Roi imprudent que sa passion pour les concombres sucrés fit périr sous la lance de son jardinier. Au point de vue architectural, Pré Rup se compose de deux enceintes à quatre gopuras et d’une pyramide à trois gradins étroits conçue comme simple piédestal des cinq tours de la plateforme supérieure. La partie orientale de la dernière enceinte est occupée de façon tout à fait inhabituelle par deux groupes de trois tours alignées symétriquement par rapport à l’axe sur un soubassement commun : l’une d’elles – la première au nord de l’entrée – n’a pas été construite bien que sa plateforme de base eût été préparée, à moins que ses briques n’aient été réemployées ailleurs après démolition. Chaque groupe de trois a sa tour médiane prédominante et beaucoup plus développée que de coutume, avec une cella de 5 m de côté et des étages à très faible retrait, particulièrement élevés : leurs dimensions colossales n’ont pas manqué de provoquer par endroits la chute des parties hautes et l’apparition de larges fissures. La brique est de fort calibre – 30 16 8,5 cm – et posée comme partout sans mortier, avec interposition d’un liant d’origine végétale dans les joints horizontaux après rodage des matériaux. Ces tours, dont il n’est point fait mention dans l’inscription, lui sont d’autant plus vraisemblablement postérieures qu’aucune d’elles n’a été terminée : les fausses portes en grès surmontées de leurs linteaux sont restées en épannelage avec seulement quelques bribes de décor ébauchées. Le linteau le plus complet est celui de la face est de la tour sud, représentant Vishnou dans son avatar de lion déchirant de ses griffes le roi des Asuras qui avait réclamé
122. Pré Rup, devatâ, façade sud, angle gauche, tour sud-ouest.
les mêmes honneurs que le dieu ; les colonnettes, octogonales à quatre nus, dégagent une réelle impression de force. Venant de la route, le gopura d’accès, précédé d’un petit lion du style du Bayon apporté de quelque autre monument, se présente comme très démoli : son corps central en brique entre deux vestibules de grès se compose de trois salles parallèles flanquées de deux passages indépendants, et le mur d’enceinte, de 120 m sur 130, est en latérite. La cour pourtournante n’a gardé que quelques vestiges de longues salles de repos accessibles aux pèlerins : faites de piliers de grès dans la moitié orientale et de murs de latérite aux fenêtres à balustres diversement disposées dans l’autre, elles étaient couvertes en bois et en tuiles. L’enceinte suivante en latérite est coupée par de petits gopuras à une seule salle aux murs de brique précédée d’un vestibule en grès, accompagnés de deux portes latérales percées dans le mur. De longues galeries, réservées aux desservants du temple et ne se différenciant que par leur mode d’éclairage ou d’aération, l’accompagnaient sur tout le pourtour : leurs parois en latérite et les porches à piliers de grès sont restés généralement debout, et de nombreux débris de tuiles ont été trouvés dans les déblais ainsi que des tuiles d’about très décoratives. À l’angle nord-est, un curieux petit édifice de plan carré, fait de grands blocs de latérite, a été entièrement restauré : du type habituel des abris de stèles, il était ouvert aux quatre axes et voûté en « bonnet de prêtre », avec au sol une sorte de cuve à ablutions à écoulement d’eau. La stèle de fondation du temple, à deux grandes faces inscrites, a été retrouvée dans un élément de galerie voisin spécialement aménagé. De part et d’autre de l’entrée axiale est, deux bâtiments ouverts à l’ouest, du type « bibliothèque », étaient traités en tours élevées, à étages rectangulaires en retrait : ils abritaient respectivement une « pierre des neuf planètes » et une « pierre des sept ascètes ». Au centre, entre deux rangées de frêles piliers en grès à tenon, se trouvait la cuve parementée mentionnée plus haut, mesurant 3 m sur 1,90 m : nullement étanche et rainée au bord supérieur, il semble qu’elle ait dû servir de socle à quelque pavillon léger ou statue de Nandin, le taureau sacré monture de Çiva, plutôt que de sarcophage comme le voudrait la légende. Au pied de cette cuve ont été trouvés des fragments de piédestal et de pierre à dépôt sacré avec un grand lingâ, le tout pouvant provenir du sanctuaire central. La pyramide à trois gradins, de plus de 12 m de haut, 50 m de côté à la base et 35 au sommet, a grande allure. Chaque axe est marqué par un escalier à largeur constante tandis que
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les socles d’échiffre garnis de lions assis suivent la loi habituelle de réduction proportionnelle. Les deux premiers gradins, où d’étroites bermes de 4 et 3 m ne permettent aucune circulation, sont en latérite – le premier est le double de l’autre en hauteur – et sont traités en simples murs de soutènement à base et corniche moulurées. Le troisième, tout en grès comme les marches qui s’y trouvent incorporées, apparaît au contraire sous forme de soubassement à axe de symétrie horizontal. Deux escaliers supplémentaires encadrés de lions – simple artifice de composition puisqu’ils sont inutilisables – animent sa face orientale de leurs redents, tandis que douze petites tours sanctuaires à lingâ, ouvertes à l’est, sont érigées sur le pourtour du premier gradin. La plateforme supérieure, où le regard embrasse vers le nord-est le mamelon du Phnom Bock et la chaîne sombre du Phnom Kulên avec vue plongeante sur les tours au premier plan, est nettement dominée par le sanctuaire central, surélevé de plus de 4 m sur un double soubassement de grès mouluré au décor très effacé : ses perrons sont flanqués de lions. La cella, de 4,20 m de côté, n’abrite plus que deux statues de Bouddha debout de basse époque. Les cinq sanctuaires ouvrent à l’est, avec trois fausses portes de grès ciselées de charmantes figurines sur motifs à hampe entourés d’entrelacs ; les linteaux, d’un style un peu mièvre et sans grande originalité, sont médiocrement conservés. Toutes les parties de brique sont restées debout, mais le détail des superstructures a disparu. Les murs étaient revêtus extérieurement d’un enduit au mortier à base de chaux, visible encore par endroits, principalement à la tour d’angle sud-ouest. L’ornementation était ciselée à même l’enduit, sur fond de brique préalablement dégrossi pour les reliefs importants tels que les personnages sous niches. Le style se rapproche des motifs de l’art classique, avec quelques réminiscences d’archaïsme telles que les figurations
de palais et figures volantes surmontant les devatâs. Il est à noter que les personnages garnissant les piles d’angle étaient féminins aux deux tours occidentales et masculins à l’est comme à la tour centrale. On remarquera en outre à la tour d’angle sud-ouest une devatâ à quatre visages et quatre bras – l’épouse de Brahmâ ; sur la face orientale de l’angle nord-est, une autre à quatre bras et tête en forme de hure ; la « çakti » de Vishnou dans l’avatar du sanglier, sur la face occidentale de l’angle sud-ouest. PRASAT LÉAK NÉANG (Sanctuaire de la dame cachée) Prononcer : Léak Néangue Date : seconde moitié du Xe siècle (960) Roi constructeur : Râjendravarman (nom posthume : Çivaloka) Culte : brahmanique Cette petite tour construite en brique d’un format plus petit qu’à Pré Rup, est située légèrement au nord-est de ce monument et à une centaine de mètres à droite de la route. D’une mouluration très sobre, elle ne laisse voir aucune trace de décor ni d’enduit. Les fausses portes sont en brique et la cella, de 2,30 m seulement de côté, ouvre à l’est : une poutre en bois était disposée en doublure derrière le linteau de grès qui représentait Indra sur l’éléphant tricéphale et était surmontée d’une petite frise d’orants. Le texte des inscriptions gravées sur les piédroits de la porte relate quelques donations et donne la date de 960, antérieure d’une année à celle de Pré Rup : ce prasat pouvait donc faire partie, avec d’autres disparus, d’une enceinte extérieure de ce temple.
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123. Pré Rup, Indra sur l’éléphant Airâvata à trois têtes, linteau d’une des petites tours-sanctuaires de la première enceinte.
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124. Mébôn oriental, gopura est.
MÉBÔN ORIENTAL Prononcer : Mébaune Date : seconde moitié du Xe siècle (952) Roi constructeur : Râjendravarman (nom posthume : Çivaloka) Culte : brahmanique (çivaïte) Dégagement et travaux de reprise par H. Marchal et M. Glaize de 1935 à 1939 À 500 m au nord de Pré Rup commence, à la borne kilométrique 16, la grande pièce d’eau du Baray oriental, large de deux kilomètres et longue de sept, entourée d’une levée de terre et marquée aux angles par un abri de stèle. C’est le « Lac oriental » de Tcheou Ta-Kouan et le « Yaçodharatatâka » des inscriptions, creusé sous le règne de Yaçovarman vers la fin du IXe siècle et alimenté par le Stung Siemréap. Cet immense réservoir qui servait de régulateur au cours de la rivière et irriguait toute la plaine, est aujourd’hui transformé en rizières. Sa profondeur ancienne étant de 3 m si l’on en juge par les gradins de latérite entourant l’îlot du Mébôn, son volume d’eau devait être de 40 millions de mètres cubes, et il a fallu sans doute, pour qu’il se trouve en grande partie comblé, quelque cataclysme ou
Fig. 32. Mébôn oriental.
rupture de digue provoquant l’ensablement plutôt qu’un simple et lent colmatage. Quoi qu’il en soit, son centre était marqué par un îlot de 120 m de côté où fut érigé le temple du Mébôn, sur lequel devaient s’axer le pavillon d’entrée principale du Palais Royal d’Angkor Thom et la Porte de la Victoire, qui lui sont postérieurs. Le Mébôn avait toutes les caractéristiques d’un « temple-montagne » symbolisant le Meru, mais la pyramide à gradins étagés qui aurait dû se trouver à l’intérieur de ses deux enceintes concentriques est ici remplacée par une simple plateforme de 3 m de haut portant le quinconce de tours : peut-être a-t-on craint de charger à l’excès une butte de terre de faible dimension complètement entourée d’eau ? L’accès ne pouvant se faire qu’en barque, et nous devons sans doute à cette circonstance, réduisant le mouvement des pèlerins au minimum, une composition beaucoup plus aérée permettant une circulation facile. Plusieurs inscriptions trouvées dans le voisinage et la stèle de fondation datée de 952 – neuf ans seulement avant Pré Rup – nous apprennent l’érection dans les divers sanctuaires du lingâ Çri Râjendreçvara, de plusieurs idoles – Çiva et Pârvati « à la ressemblance des père et mère » du roi Râjendravarman, de Vishnou avec Brahmâ, et de huit lingâs du dieu aux huit formes (dans les huit petites tours
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125. Mébôn oriental, terrasse supérieure, vue du sud.
de la cour pourtournante). Le Mébôn appartient donc à la série des temples consacrés à la mémoire de parents divinisés : une très belle statue de divinité féminine trouvée au cours des travaux de déblaiement et rentrée au Dépôt des sculptures paraît être la Pârvati de l’inscription. Chaque axe est marqué par une terrasse-embarcadère en latérite encadrée de deux lions assis et formant saillie sur le mur de soutènement reposant lui-même sur des gradins. Une berme de 5 m pourtourne le mur d’enceinte extérieur qui, par un heureux système de décrochement, laisse un espace suffisant devant chacun des quatre gopuras. Ceux-ci, en latérite et grès, sans vestiges de voûtes ni de toiture, sont de plan cruciforme et à trois passages, avec porches à piliers de grès au centre. La stèle inscrite se trouve à droite en entrant. Une série de galeries aux murs en latérite percés de fenêtres à balustres diversement disposées et porches à piliers de grès courait à l’intérieur de l’enceinte, servant de salles de méditation ou de repos : c’est, comme à Pré Rup, l’esquisse des galeries continues qui devaient bientôt faire leur apparition dans les monuments. Sauf dans la partie sud, il ne reste que peu de chose de ces bâtiments, qui étaient couverts en bois et tuiles : il semble que leurs matériaux aient été prélevés pour quelque autre usage après démolition. Un mur de soutènement en latérite de 2,40 m de hauteur avec berme de 2 m délimitait l’étage suivant (première enceinte), portant un mur de clôture peu élevé. On ne manquera pas d’admirer aux angles des bermes de première et deuxième enceinte de très beaux éléphants monolithes traités de façon réaliste et montrant les moindres détails du harnachement : les mieux conservés se trouvent au sud-ouest et l’emportent de beaucoup sur ceux de la pyramide de Bakong. Au droit des perrons d’axe flanqués de lions un nouveau rentrant du mur d’enceinte encadre chaque gopura, sauf à l’ouest où la berme a été laissée plus large. Le bâtiment lui-même, en latérite et brique, est très écroulé et formait tour-passage ; le linteau occidental du gopura est représente la lutte de Krishna contre le nâga. À l’intérieur de la large cour de première enceinte, huit petites tours en brique – deux par face – ouvertes à l’est, abritaient un lingâ : leurs colonnettes octogonales à deux nus bagués et leurs linteaux à figurines incorporées au décor de feuillages sont finement traités. Du côté est se trouvaient trois bâtiments rectangulaires en latérite – deux au sud de l’axe qui contenaient l’un une « pierre des neuf planètes », l’autre une « pierre des sept ascètes », et un seul au nord. Ils ouvraient à l’ouest comme les bâtiments du type « bibliothèque » et des vestiges de brique
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126. Mébôn oriental, éléphant, angle de la deuxième enceinte.
127. Mébôn oriental, façade sud, tour-sanctuaire, angle nord-est, terrasse supérieure.
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128. Mébôn oriental, panneau, fausse porte.
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129. Mébôn oriental, linteau, sanctuaire principal.
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demeurés au-dessus des corniches laissent croire qu’ils étaient voûtés avec ce matériau malgré leur largeur. Aux angles nord-ouest et sud-ouest étaient deux bâtiments semblables – tous sans fenêtres – mais ouvrant à l’est. La plateforme supérieure portant les cinq tours était ceinturée par un mur de grès traité en soubassement, sobrement mouluré, de 3 m de hauteur : un autre de 1,90 m mais orné permettait au sanctuaire central de dominer les quatre autres ; des lions garnissaient les escaliers. Chaque tour était en brique, d’un format beaucoup plus petit qu’à Pré Rup – 22 13 5,5 cm – et construite sans mortier selon le mode habituel. Des personnages masculins, sauf pour les deux tours occidentales, étaient ébauchés sur les piles d’angle, le tout étant recouvert d’un enduit sculpté dont parle l’une des inscriptions mais dont il ne reste aucune trace malgré la précaution prise de percer dans la brique des trous circulaires pour accrocher le mortier à base de chaux. Les tours ouvraient à l’est, avec trois fausses portes en grès. Les cellas faisaient respectivement 4 m au sanctuaire central et 2 m aux angles : celle du sud-est contient encore un intéressant piédestal circulaire du type déjà rencontré au Phnom Bok et au Phnom Krom, où il portait une statue de Brahmâ. L’ornementation présente de grandes analogies avec celle de Pré Rup, et toutes les parties de grès sculpté sont remarquables, bien que le décor y reste un peu mièvre et rappelle parfois par sa complexité certains défauts du style baroque. Les fausses portes sont charmantes avec leurs entrelacs et minuscules figurines sur motifs en forme de hampe. Quant aux linteaux qui, presque partout, ont pu être remis en place au cours des travaux, ils sont bien supérieurs à ceux de Pré Rup et traités avec une réelle maîtrise et beaucoup de verve et de variété. On remarquera notamment à la tour centrale : à l’est, Indra sur éléphant tricéphale avec petits cavaliers sur la branche et volutes à figurines crachées par des makaras, sous une petite frise d’orants ; à l’ouest, Skanda, dieu de la guerre, sur son paon, avec alignement de personnages tenant des lotus ; au sud, Çiva sur le taureau sacré Nandin. Puis à la tour d’angle nord-ouest, face est, le curieux motif de Ganeça chevauchant sa trompe transformée en monture ; à la tour d’angle sud-est, face nord, la tête de monstre dévorant un éléphant ; au gopura ouest de première enceinte, face est, Vishnou dans son avatar d’homme-lion déchirant de ses griffes le roi des Asuras qui avait osé se comparer à lui ; au bâtiment d’angle nord-est de première enceinte, face ouest, Lakshmî entre deux éléphants qui, de leur trompe levée, l’aspergent d’eau lustrale.
TA SOM (L’ancêtre Som) Date : fin du XIIe siècle Roi constructeur : Jayavarman VII (nom posthume : Mahâ paramasangata pada) Culte : bouddhique Travaux effectués par H. Marchal en 1930 Venant du Mébôn oriental, on voit Ta Som apparaître sur la droite, peu après la borne kilométrique 13, sous forme d’une tour à quatre visages. De plan cruciforme, ce gopura, flanqué de deux petites pièces, se raccorde au mur d’enceinte extérieure (troisième enceinte) de 200 m sur 240, en latérite, et son fronton occidental montre le bodhisattva debout entouré d’adorateurs. Un gopura semblable se retrouve à l’est avec le même fronton et précédé d’une petite terrasse bordée de nâgas balustrades, le temple ayant double issue. Ta Som, qui se trouve sur l’axe Prah Khan-Néak Péan prolongé, doit à sa faible importance d’être d’une seule venue, et l’on peut le considérer comme un spécimen très homogène des monuments appartenant à la dernière période du style du Bayon : il s’apparente exactement aux enceintes extérieures de Ta Prohm et de Bantéay Kdei. Dans toutes ses parties, les mêmes éléments se retrouvent, fausses fenêtres à stores baissés, devatâs de petite taille d’un type assez fruste et campagnard, décor en broderie à base de rinceaux et de feuillages dispensé à profusion sur les murs. Dans un état de ruine avancé, les divers bâtiments encore debout ont fait l’objet de quelques travaux de consolidation provisoire dans leurs parties croulantes et d’un dégagement sommaire ; la cour intérieure est restée encombrée d’éboulis. L’ensemble, dans son cadre de verdure, dégage beaucoup de charme. Passé le premier gopura, une chaussée bordée de nâgas à grands garudas franchit le bassin fossé. Le mur de deuxième enceinte est en latérite, coupé à l’est comme à l’ouest par un gopura de grès à plan cruciforme avec réduits latéraux, ouvert seulement sur l’extérieur par des fenêtres à balustres. Précédé d’un porche à piliers, il est couvert par une croisée de voûtes en berceau. La première enceinte, de 20 m sur 30, est constituée par une galerie, en latérite et grès comme les pavillons d’angle à croisée de voûtes et fausses portes moulurées. Les quatre gopuras sont entièrement en grès, formant tour à deux étages fictifs en retrait et motif de couronnement : le plan
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Pages suivantes : 130. Ta Som, gopura est, enceinte extérieure.
131. Ta Som, gopura est, deuxième enceinte.
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132. Ta Som, l’un des quatre cloîtres intérieurs.
133. Ta Som, apsara.
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reste le même qu’aux autres enceintes, ainsi que l’ornementation murale. Faisant le tour par l’extérieur, on longera successivement les angles nord-ouest et nord-est – ce dernier est complètement écroulé – puis on pénétrera dans la cour intérieure par la petite porte de la galerie située sur la face sud entre l’angle sud-est et le gopura. En escaladant les blocs qui jonchent le sol parmi les broussailles, on verra à droite les deux bâtiments du type « bibliothèque » ouverts à l’ouest – celui du nord est très en ruine – puis la masse imposante du sanctuaire central, de plan cruciforme à quatre avant-corps : la cella, ouverte sur les quatre faces, avait une corniche ornée et un décor « en tapisserie » à la base des murs. Les tympans sculptés à registres des gopuras ne sont pas sans intérêt, principalement celui de la face sud du gopura nord, où quatre personnages en prière en encadraient un cinquième debout : celui-ci, bûché lors de la réaction brahmanique du XIIIe siècle, était porté comme les autres par un lotus et surmonté de figures volantes. Dans les angles sud-ouest et nord-ouest de la cour étaient érigés deux piliers en grès à tenon semblables à ceux de Prah Khan, Ta Prohm et Bantéay Kdei. KROL KÔ (Le parc à bœufs) Date : fin du XIIe siècle–début du XIIIe Roi constructeur : Jayavarman VII (nom posthume : Mahâ paramasangata pada) Culte : bouddhique Dégagement par H. Marchal de 1922 à 1924 À 2 km environ de Ta Som et peu après la borne kilométrique 11, se trouve sur la droite, à 100 m de la route, le petit temple de Krol Kô, dont le chemin d’accès précède lui-même d’une centaine de mètres le croisement de la route Trouvé conduisant à Néak Péan. Entrant par l’est, on franchit le mur d’enceinte extérieure en latérite (deuxième enceinte) par une simple brèche : un fossé parementé de gradins entoure la cour intérieure (elle-même ceinturée d’un mur en latérite de 35 m sur 25) sur les trois autres faces. De part et d’autre d’un terrasson cruciforme des frontons ont été reconstitués au sol : à droite, deux d’entre eux représentent le bodhisattva Lokeçvara – à qui le temple semble avoir été dédié –, debout au milieu d’adorateurs ; à gauche, c’est, d’inspiration brahmanique, Krishna soulevant le mont Govardhana pour abriter les bergers et leurs troupeaux, avec un autre Lokeçvara. Le gopura en grès, dont les parties hautes sont écroulées, est de plan cruciforme, précédé d’un vestibule à l’est et accompagné de deux petites pièces latérales. À l’intérieur
de la cour, le sanctuaire, assez important, est nettement du style du Bayon, avec décor général en broderie et fausses fenêtres à stores. Une « bibliothèque » ouvrant à l’ouest le précède, au sud de l’axe, construite en latérite et grès avec fausse porte sur la face orientale. L’ornementation reste dans l’ensemble assez fruste et sans intérêt spécial. NÉAK PÉAN (Les serpents enroulés) Prononcer : Néaque Ponne Date : seconde moitié du XIIe siècle Roi constructeur : Jayavarman VII (nom posthume : Mahâ paramasangata pada) Culte : bouddhique Dégagement par H. Marchal de 1922 à 1924 Anastylose par M. Glaize en 1938-1939 Presque en face de Krol Kô, la route Trouvé, longue de 300 m, conduit à l’îlot de Néak Péan, qui n’était autre que le « Mébôn » du Baray de Prah Khan – le « Jayatatâka » de l’inscription, de 3 500 m sur 900 –, les deux monuments étant placés sur le même axe. Cet îlot, de 350 m de côté, était limité par un système de gradins en latérite avec emmarchements sur les axes ; de petits éléphants devaient garnir les quatre angles bien qu’un seul soit demeuré en place, au nord-est. Le roi Jayavarman VII, nous dit la stèle de Prah Khan, a placé le « Jayatatâka » – le « Lac du nord » de Tcheou Ta-Kouan – « comme un miroir fortuné, coloré par les pierres, l’or et les guirlandes. Cet étang, dont l’eau est éclairée par la lumière du prasat d’or coloré par la rougeur des lotus, brille en évoquant l’image de la mare de sang répandu par le Bhâgavata : à l’intérieur il y a une île éminente, tirant son charme des bassins qui l’entourent, nettoyant de la boue du péché ceux qui viennent à son contact et servant de bateau pour traverser l’océan des existences ». Le caractère symbolique de Néak Péan est donc nettement établi. Dès 1877, Delaporte y voyait un édifice consacré au Bouddha parvenu à la gloire du Nirvâna et une succession de bassins lavant les pèlerins de toutes leurs souillures et les menant à la perfection suprême. Depuis les recherches de MM. Cœdès, Finot et Goloubew, on peut reconnaître dans le bassin central une réplique du lac Anavatapta, situé dans la région himalayenne au sommet du monde : vénéré dans l’Inde pour les vertus curatives de ses eaux, il donne naissance aux quatre grands fleuves de la terre par autant de gargouilles sculptées correspondant aux points cardinaux et que l’on retrouve ici avec une légère déformation. « Un plan d’eau et un lotus qui s’en élève, portant le dieu suprême ; c’est le schéma des Terres Pures, étroitement apparenté au thème de Vishnou étendu sur les Eaux :
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et émettant le lotus de Brahmâ. » Cette belle image de Paul Mus pourrait être tenue pour la définition même de cette eau sainte et de son sanctuaire. Au milieu de son Baray aujourd’hui asséché, Néak Péan n’est lui-même qu’une série de « Srah » (étangs) maçonnés ou non, dont les traces ont été retrouvées dans les limites de l’enceinte en latérite. Sa partie architecturale se compose essentiellement d’un grand bassin carré de 70 m de côté, bordé de gradins, au centre duquel se dresse, ceinturé de degrés semblables, un îlot circulaire de 14 m de diamètre au sommet, portant un petit sanctuaire. Quatre bassins secondaires de 25 m de côté le flanquent sur les axes, que marquent quatre chapelles en pénétration dans la berge commune. Deux corps de nâgas cerclent la base de l’îlot circulaire, leurs queues s’enroulant du côté ouest (d’où le nom de « Néak Péan ») et leurs têtes, écartées pour laisser un libre passage à l’est, étant traitées à la façon du nâga Mucilinda abritant les statues du Bouddha : c’est, avec la tête axiale coiffée d’un « mukuta », la représentation des deux grands Nâgarâja Nanda et Upananda, souvent associés dans la littérature indienne au lac Anavatapta. La plateforme supérieure apparaît comme une énorme corolle de lotus épanoui, répétée à la base du prasat par un rang de 16 pétales opposés ceinturés par une gorge, d’un galbe particulièrement heureux. Le sanctuaire bouddhique, dont l’idole a disparu, est à deux étages fictifs en retrait et couronné de lotus, avec frontons consacrés à divers épisodes de la vie du Bouddha – « Coupe des
cheveux » à l’est, « Grand Départ » au nord, Bouddha bûché méditant sous l’arbre de la Bodhi à l’ouest, le tympan sud étant complètement effacé. Le plan est nettement cruciforme, avec porte à l’est, les trois autres ayant été murées après coup par de très beaux panneaux sculptés de grandes images de Lokeçvara, le bodhisattva compatissant. Les travaux d’anastylose, faisant apparaître d’autres transformations, ont révélé que la construction comprenait au moins deux époques : c’est ainsi qu’au sanctuaire même, ouvert primitivement aux quatre points cardinaux, le perron d’entrée a été élargi et le dispositif en croix, au décor banal de devatâs, arrondi par l’adjonction dans les angles rentrants du motif de l’éléphant tricéphale que l’on retrouve aux portes d’Angkor Thom, mais surmonté cette fois d’un lion cabré au lieu de la figure d’Indra. De même, à l’îlot circulaire, un premier système de gradins en latérite et grès avec perron à l’est s’est vu revêtir du parement actuel, orné et tout en grès. Il est possible que ces additions et remaniements aient correspondu, comme le suggère M. Cœdès, à un changement de culte on de destination : Néak Péan, dédié au Bouddha lors de sa construction, n’aurait été voué à Lokeçvara que vers la fin du règne de Jayavarman VII en même temps qu’étaient aménagés ses bassins en vue d’ablutions curatives ou de purification. Quoi qu’il en soit, l’ornementation du prasat initial, et notamment de ses pilastres et frontons, le place dans la fraction du XIIe siècle postérieure à Angkor Vat, et l’unité de style et de conception de l’ensemble du monument l’enclôt en un temps restreint.
Fig. 33. Néak Péan.
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134. Néak Péan, vu du sud-est.
Les quatre chapelles, enrobées dans les gradins du bassin central jusqu’à hauteur de la naissance des frontons, sont traitées dans le même esprit. Chacune s’ouvre sur le bassin secondaire par une baie libre dont l’arc ogival est taillé en plein tympan du mur pignon. Composée d’une nef continue dont la voûte ovoïde en berceau s’orne intérieurement de caissons à lotus avec, au fond, un massif à mi-hauteur servant de chevet à un mascaron de fontaine et de socle à une idole, elle donne extérieurement l’impression d’un corps central à voûte d’arête sur plan carré surmonté d’un pinacle et précédé, selon l’axe principal, de deux avant-corps à pignon, le tout flanqué latéralement sur chaque face de trois avancées du même type mais de moindre importance. Le décor est d’une remarquable finesse, et les scènes à personnages sont sans exception consacrées à Lokeçvara. Les quatre édicules servaient aux ablutions des pèlerins qui, à en juger par les motifs sculptés sur les frontons, en espéraient la guérison de leurs maux ou de leurs infirmités. Accroupis sur un socle circulaire à lotus portant sur le dessus l’empreinte de deux pieds nus, élevés ainsi symboliquement au-dessus du niveau de la réalité physique, ils s’aspergeaient d’eau lustrale crachée par le mascaron mural communiquant avec l’extérieur par une rigole. Celle-ci prenait naissance vers le grand bassin dans une sorte de vasque de pierre, elle aussi en lotus épanoui, surmontée d’un buste féminin adossé aux gradins et où l’officiant pratiquait les rites. Les mascarons – tête d’éléphant au nord, de cheval à l’ouest et de lion au sud – étaient de médiocre facture, à l’exception de la tête humaine de l’est, œuvre d’une réelle maîtrise. À l’intérieur du grand bassin, des motifs de sculpture garnissaient autrefois quatre plateformes axiales formant redent au pied de l’îlot : seuls ont pu être identifiés au sud quelques blocs à lingâs multiples accolés, partie sans doute des « mille lingâs » dont parle l’inscription de Prah Khan, et à l’est, le groupe du cheval Balâha, étudié par M. Goloubew. C’est la forme prise par Lokeçvara en tant que sauveur des hommes : il se dirige vers le sanctuaire comme vers le salut, l’animal volant – dont il manque malheureusement la majeure partie du corps – portant accrochés à ses flancs le marchand Simhala et ses compagnons d’infortune, arrachés après un naufrage à l’île des râkshasis (Ceylan) où ces ogresses avaient coutume de se payer au réveil à coups de croc de leurs complaisances envers leurs hôtes d’un soir. Le groupe suspendu à la queue du cheval est remarquable de composition et de facture.
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135. Néak Péan, Lokeçvara, façade sud, tour-sanctuaire.
136. Néak Péan, le cheval Balâha.
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Jusqu’en 1935, où il fut fauché par un ouragan, le sanctuaire central de Néak Péan était coiffé par un énorme ficus, arbre sacré, qui, par l’extraordinaire déploiement de ses branches, donnait un charme mystérieux à l’ensemble du monument dont il était devenu l’ossature vivante, substituant le fût de ses racines aux piles rigides, encadrant les panneaux sculptés et ombrageant le plan d’eau : il n’avait pas manqué en contrepartie de faire écrouler les superstructures et de disloquer le restant. Sous sa forme rénovée, la valeur de Néak Péan est tout autre, et si la part de la nature n’y est plus prépondérante, l’œuvre des hommes y a gagné en netteté. Situé dans un cadre délicieux, se mirant parfois en octobre ou novembre dans l’eau de ses bassins dont l’alimentation est liée au débit de la rivière voisine, ce temple, qui ne ressemble à aucun autre, est un des plus purs « bonheurs » de l’art khmer et fait immanquablement penser, comme les allées de bornes de Prah Khan dont il dépend, aux conceptions d’un Le Nôtre dans ses compositions décoratives de parcs et de bassins. PRASAT PREI (Le sanctuaire de la forêt) Date : fin du XIIe-début du XIIIe siècle Roi constructeur : Jayavarman VII (nom posthume : Mahâ paramasangata pada) Culte : bouddhique Travaux effectués par H. Mauger en 1934 Peu après la borne kilométrique 9 et juste avant d’arriver à la route Fombertaux conduisant à l’entrée est de Prah Khan, on prend à droite un chemin forestier : à une centaine de mètres apparaît sur la gauche, perché sur une butte de terre, le Prasat Prei. Entouré d’une seule enceinte en latérite en majeure partie écroulée, ce petit temple se composait d’un gopura en latérite et grès, dont il ne reste que quelques pans de murs, puis d’un sanctuaire tout en grès ouvrant à l’est, formant tour à quatre étages fictifs en retrait et précédé d’un vestibule que l’on a restauré. La cella, à trois fausses portes moulurées à l’extérieur, est de plan cruciforme, avec partie centrale de 2,90 m de côté. L’ornementation se rattache sans aucune particularité au style du Bayon (décor touffu, devatâs, fausses fenêtres à stores baissés), et les frontons ont été bûchés. Dans la cour, où se dresse, du côté sud, une « bibliothèque » en latérite et grès très ruinée, avec fausse porte moulurée à l’est, on a trouvé sur son socle une intéressante
charrette attelée de bœufs qui a été transportée au Dépôt de sculptures du Bayon. BANTÉAY PREI (La citadelle de la forêt) Date : fin du XIIe-début du XIIIe siècle Roi constructeur : Jayavarman VII (nom posthume : Mahâ paramasangata pada) Culte : bouddhique À 150 m au nord du Prasat Prei, une porte percée dans le mur d’enceinte extérieure en latérite de Bantéay Prei, en grande partie disparu, donne accès aux vestiges d’une terrasse bordée de nâgas balustrades traversant un bassin-fossé. Un petit gopura tout en grès, couvert en croisée de voûtes et très trapu, présentant toutes les caractéristiques du style du Bayon, interrompait à l’est le mur en latérite de deuxième enceinte, de 75 m sur 65 environ. Plus loin, une galerie de grès de 30 m sur 25 entourait la cour intérieure : ses quatre gopuras, toujours de même style, formaient tour à un seul étage fictif en retrait et motif de couronnement ; ils étaient flanqués de portes secondaires tandis que les angles s’accusaient par de petits pavillons bas. Les murs de la galerie étaient traités très sobrement en tant que décor, et la voûte, de faible portée, en était particulièrement surbaissée. Il ne reste que moitié environ des superstructures de la tour-sanctuaire, à quatre étages fictifs. De plan cruciforme, elle est à quatre vestibules qui, extérieurement, prennent de l’ampleur par la présence de fausses demivoûtes latérales. La cella cruciforme, de 1,90 m de côté au centre, est ouverte aux quatre points cardinaux. Les frontons ont été bûchés, et les fausses fenêtres sont ici à balustres sans stores. Dans le quart sud-ouest de la cour se dresse un de ces piliers isolés à tenon que l’on retrouve dans la plupart des temples de cette époque, et, à l’angle sud-est, à l’emplacement habituel de la « bibliothèque », a été creusée une fosse rectangulaire parementée en latérite dont on ignore l’utilisation. PRAH KHAN (L’épée sacrée) Prononcer : Prah Khane Date : seconde moitié du XIIe siècle (1191) Roi constructeur : Jayavarman VII
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Fig. 34. Prah Khan.
(nom posthume : Mahâ paramasangata pada) Culte : bouddhique Dégagement commencé par H. Marchal de 1927 à 1932, repris avec anastylose partielle par M. Glaize en 1939 Le grand ensemble de Prah Khan, formant un rectangle de 700 m sur 800 entouré de douves, couvre une superficie de 56 hectares. C’est, comme Ta Prohm avec lequel il a beaucoup d’analogies, un exemple typique de la formule adoptée par Jayavarman VII : resserrer dans un espace relativement minime – la troisième enceinte enfermant tous les bâtiments n’a que 175 m sur 200 – tous les éléments d’une vaste composition, transformer la belle simplicité du plan initial en un véritable chaos architectural par un foisonnement de constructions annexes implantées au petit bonheur, enclore enfin le tout dans une vaste zone habitable, couverte sans doute de paillotes et de maisons en bois. Pour Prah Khan, la chose s’explique aisément. D’une part en effet, sur les portes des sanctuaires, de courtes inscriptions,
témoignant de la multiplicité des fondations pieuses et donnant les noms des idoles représentant autant de personnages divinisés, assignent au monument le caractère d’une sorte de temple du souvenir, voire de nécropole. D’autre part, la stèle découverte en 1939 révèle qu’en ce lieu même où il avait remporté la victoire (personnifiée sous le nom de « Jayaçrî »), le roi fonda une ville ayant le même nom : « Nagarajayaçrî ». Il est d’autant plus vraisemblable que Prah Khan ait été une ville que, selon M. Cœdès, le nom ancien de Jayaçrî et le nom moderne de Prah Khan ne font qu’un ; l’épée sacrée, palladium du royaume khmer, portant encore au Siam le nom de Jayaçrî, « Nagara Jayaçrî, qui signifiait en réalité la ville de la Fortune Royale victorieuse, est devenue dans l’usage populaire la ville de l’Épée sacrée, en cambodgien Prah Khan ». Contrairement à ce qui se passe à Ta Prohm ou Bantéay Kdei, autres fondations de Jayavarman VII, les quatre chaussées d’accès franchissant les douves sont ici bordées des mêmes cordons de géants portant le nâga qu’aux portes d’Angkor Thom, dont nous avons étudié
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137. Prah Khan, chaussée d’accès ouest.
Fig. 35. Prah Khan, itinéraire de visite.
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Pages suivantes : 138. Prah Khan, devas et serpent-balustrade, chaussée est, franchissement des douves.
le symbolisme architectural : à Prah Khan comme en la cité lointaine de Bantéay Chmar où il se trouve également, cet élément était la marque d’une ville royale, que confirme encore le parti adopté pour les entrées, qui sont traitées de plain-pied contre l’ordinaire pour permettre le passage des charrettes et des éléphants. Prah Khan, où ne se trouve aucune réplique des tours à visages du Bayon et des enceintes extérieures de Ta Prohm, Bantéay Kdei, Ta Som ou Angkor Thom, et qui par là même doit leur être antérieur, a fort bien pu servir de résidence provisoire à Jayavarman VII pendant la reconstruction de sa capitale, dévastée par les Chams en 1177. En tant que temple, la stèle précise qu’à Prah Khan fut consacrée, en 1191, une statue du bodhisattva Lokeçvara nommée Jayavarmeçvara et qui n’était autre qu’une image du père de Jayavarman VII, Dharanîndravarman, comme Ta Prohm était dédié à sa mère représentée en Prajnapârâmita. Elle nous apprend en outre l’existence de 515 autres statues, d’un des 102 hôpitaux du royaume (il n’a pu être localisé), et d’une maison de repos ou gîte d’étape. Les prestataires et serviteurs étaient au nombre de 97 840, hommes et femmes, dont mille danseuses. Dix-huit grandes fêtes annuelles et dix jours fériés par mois témoignent du goût qu’ont eu de tout temps les Khmers pour les cérémonies religieuses et les loisirs.
Description Prah Khan qui, comme la plupart des autres monuments du règne, n’est pas d’un style homogène, présente les traces de nombreux remaniements et rajouts. Monastère bouddhique, il n’en porte pas moins les marques d’une iconographie brahmanique abondante. Ses galeries concentriques sont au nombre de deux avec également deux enceintes faites de simples murs, le plus rapproché du centre enfermant sur les axes des groupes importants de galeries et sanctuaires qui, préau en croix à l’est, deviennent aux autres orientations de véritables temples en réduction. La visite est aisée depuis que des dégagements récents ont rendu libre la circulation axiale par l’enlèvement des éboulis : de l’est à l’ouest comme du nord au sud, c’est une longue enfilade de porches, de vestibules, de salles et de galeries, et nous conseillons de suivre l’artère centrale en faisant de part et d’autre des incursions aussi nombreuses et profondes que possible. Le temple, envahi par une végétation particulièrement vigoureuse et très ruiné, n’était plus qu’un chaos : les travaux sont menés avec le souci constant de respecter les grands arbres qui assurent à l’ensemble un heureux effet de présentation sans constituer un danger immédiat. Des anastyloses partielles font revivre en même temps
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139. Prah Khan, asuras et serpent-balustrade, chaussée est, franchissement des douves.
140. Prah Khan, tête d’asura.
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141. Prah Khan, porte décorée. Pages suivantes : 142. Prah Khan, bâtiment à étage, deuxième moitié du XIIIe siècle (?).
les divers corps de bâtiments trouvés en suffisant état de conservation et présentant un intérêt spécial par leur architecture ou leur décor. La route Fombertaux menant à l’entrée est aboutit à l’ancienne terrasse qui servait d’embarcadère sur la rive occidentale du « Jayatatâka », grande pièce d’eau de 3 500 m sur 900 axée sur le Prah Khan et centrée par l’îlot de Néak Péan : il ne subsiste des anciens aménagements que quelques assises et gradins en latérite précédés vers l’étang de deux beaux lions à trompe « gajasimha ». La perspective d’ensemble devait être magnifique, répondant au goût naturel des Khmers pour les conceptions grandioses. L’allée de bornes décoratives qui, suivie de la chaussée bordée de géants portant le nâga dans la traversée des douves, conduisait à l’enceinte extérieure, est une des plus belles réalisations d’Angkor et fait irrésistiblement penser aux nobles présentations de Versailles ou du Grand Trianon. Il est seulement regrettable que les alignements de bornes moins écartés que les cordons de géants masquent ces derniers au lieu de les mettre en valeur : faute de composition qu’il eût été facile d’éviter. Longue de 100 m et large de 10, ladite allée se retrouve à l’ouest avec un peu moins d’ampleur, tandis qu’au nord et au sud existent seulement les cordons de devas et d’asuras. Chaque borne avait son corps sculpté de monstres en atlantes et la tête, de section carrée, ornée de quatre niches à Bouddha assis : l’image du Sage, systématiquement bûchée lors de la réaction brahmanique du XIIIe siècle, ne subsiste malheureusement que sur deux d’entre elles, à l’extrémité ouest en retour de part et d’autre de l’axe. Le gopura extérieur de quatrième enceinte est à trois tours, celle du centre à quatre étages fictifs en retrait formant passage de plain-pied et étant plus importante que les deux autres à deux étages et porte secondaire. On y reconnaît d’emblée les caractéristiques du style du Bayon : décor général des murs en broderie à base de rinceaux, devatâs de petite taille, fausses fenêtres à stores en partie baissés. De grands garudas brandissant le nâga, de plus de 5 m de haut, sont adossés au mur en latérite de chaque côté du corps de bâtiment : le même motif – plus développé aux angles où il prend toute son ampleur – est reproduit dans les cinquante mètres sur les trois kilomètres du pourtour. Nous signalons que celui de l’angle nord-est a été remis entièrement en état, accessible de la porte nord en longeant la face extérieure du mur. Une des plus belles œuvres de la statuaire khmère, une Prajnapârâmita agenouillée d’une admirable pureté d’expression, a été trouvée dans ce gopura lors des travaux de
143. Prah Khan, galerie, première enceinte. 144. Prah Khan, gopura est, troisième enceinte.
déblaiement : elle est actuellement à Paris au musée Guimet. Le musée de Phnom Penh en possède une réplique. Au nord de l’allée forestière conduisant à la troisième enceinte s’élève, à peu près intacte, la maison de repos ou gîte d’étape pour les pèlerins mentionnée dans l’inscription. Elle est du même type qu’à Ta Prohm, avec des murs très épais et fenêtres à double rang de balustres ; sa voûte à plusieurs courbures, ondulée comme un arc d’encadrement de fronton, a permis de donner à la salle principale une largeur exceptionnelle : 4,70 m dans œuvre. Une vaste terrasse à deux niveaux, avec lions et nâgas balustrades du style du Bayon, permet d’accéder au gopura à cinq portes qui, sur un front de près de 100 m, aligne ses trois tours et ses deux pavillons extrêmes, le tout relié par des galeries à piliers sur l’extérieur et mur de fond orné de fausses fenêtres à balustres vers la cour. Au sud de l’axe, deux grands arbres jumelés, prenant naissance sur la voûte même de la galerie, en encadrent les vides, s’arcboutant aux pierres et se substituant aux piliers – caprice de la nature aussi fantastique que périlleux… Au-delà, à l’intérieur de la troisième enceinte au mur de latérite, c’est l’habituel préau en croix à quatre courettes entourées de galeries à bas-côtés sur piliers. Certains éléments des demi-voûtes, soigneusement appareillées et parementées, sont encore en place, avec leur ornementation de caissons à lotus épanouis. Au-dessus des baies, des frises d’apsaras d’une élégance et d’une finesse d’exécution remarquables, confirment l’utilisation probable de ce local en tant que salle de danses rituelles. Partant par le nord, on pourra voir, en bordure d’une chaussée à nâgas, la curieuse implantation de piliers massifs et rapprochés qui se retrouvent à Ta Prohm et Bantéay Kdei : par exception, ce sont ici de grosses colonnes – seul exemple à Angkor de fûts cylindriques de cette dimension – qui servaient de pilots à un étage en maçonnerie dont les encadrements de fenêtre ont été reconstitués au sol sans qu’on ait pu retrouver la moindre trace d’escalier d’accès. En vis-à-vis se dressait une longue terrasse surélevée aux murs de soutènement en latérite. Revenant ensuite sur ses pas jusqu’à l’axe principal estouest du monument, on achèvera de traverser la salle de danses rituelles, dont on sortira par une cour enfermant entre ses murs deux « bibliothèques » ouvertes à l’ouest et un pseudo-gopura formant tour. La galerie en croix qui lui succède paraît légèrement postérieure. Son ornementation est d’excellente qualité, tant par ses dvârapâlas et devatâs en haut-relief encadrant les baies que par sa frise sculptée de Bouddhas bûchés,
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145. Prah Khan, cloître intérieur.
séparés par de gracieuses figurines ailées avec garudas d’angle. Au fond, le fronton oriental du gopura de première enceinte, d’ailleurs peu visible dans la pénombre, est de nature assez particulière avec son motif de porte de palais encadrant deux personnages – homme et femme – montés sur socle et richement parés. À gauche, la première courette a été dégagée : elle devait être charmante avec sa galerie de cloître pourtournante ornée de gracieuses devatâs avant qu’une tour demeurée à l’état brut ne soit venue obstruer par un rajout malencontreux la quasi-totalité du préau. La stèle, retrouvée miraculeusement intacte sous un amoncellement d’éboulis, a repris sa place primitive dans l’avant-corps occidental du gopura I : à peu près identique à celle de Ta Prohm, de mêmes dimensions (2 m sur 0,60 m), elle est inscrite sur chacune de ses quatre faces de 72 lignes de l’écriture anguleuse caractéristique de la fin du XIIe siècle. Deux minuscules « bibliothèques », d’une ornementation particulièrement touffue, encadrent le porche occidental, dont on a remonté l’imposant fronton consacré à la gloire d’un roi triomphant. Parmi de grands arbres qui ont pu jusqu’ici être respectés, une vaste salle en croix à piliers dessert les quarts nord-est et sud-est de la cour intérieure, non encore déblayés et encombrés de bâtiments plus ou moins en ruine : ses parois, percées de trous à scellement, devaient être revêtues, comme au sanctuaire central qui lui fait suite, de panneaux de bois ou de métal. Ledit sanctuaire, nettement décalé vers l’ouest, partage la cour en deux sections inégales. Extérieurement, la tour principale, de plan cruciforme à quatre avant-corps, semble avoir été sculptée puis martelée pour accrocher un enduit. Dans son vestibule oriental a été érigée en 1943, après avoir été trouvée dans la brousse voisine, une grande statue de Lokeçvara debout à huit bras, actuellement au musée de Phnom Penh, qui paraît correspondre au « Lokeça nommé Çri Jayavarmeçvara » qui, d’après la stèle de fondation, devait se trouver dans la tour principale, à l’image du père de Jayavarman VII. Incontestablement du style du Bayon, cette sculpture, dont le faciès s’inspire du même concept de spiritualité que la statue agenouillée de princesse divinisée représentée sous l’aspect de la Prajnapârâmita – mise au jour en 1929 dans ce temple et actuellement à Paris au musée Guimet –, paraît être du même artiste : tout l’effet se concentre dans l’expression du visage, qui s’éclaire d’un imperceptible sourire et d’un reflet de vie intense. Le corps, d’un modelé élémentaire et campé sur des jambes
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Pages précédentes : 146. Prah Khan, danseuses, salle des danseuses sacrées (bâtiment Q).
147. Prah Khan, ermites en prière, façade latérale d’une des chapelles dans l’angle sud-ouest du cloître à l’intérieur de la première enceinte.
148. Prah Khan,Vishnou couché sur le serpent Ananta, fronton intérieur est, sanctuaire nord, temple ouest vishnouïte (cloître T), troisième enceinte.
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149. Tarâ ou Prajnapârâmita, portrait présumé de Jayarâjadevî, première épouse de Jayavarman VII, grès, Prah Khan d’Angkor (Musée national, Phnom Penh).
exagérément massives, offre la particularité d’être « irradiant », étant parsemé de figurines du Bouddha tant sur les orteils, les chevilles et les poignets que sur la poitrine, les épaules, et jusque dans les bouclettes de la chevelure. Les deux seules mains qui lui restaient, tenant le disque et le rosaire, ont été brisées et volées en 1945 durant la période d’occupation japonaise. Le sanctuaire central est occupé aujourd’hui par le motif de couronnement d’un stupa dont les éléments ont été trouvés dans les déblais de la cella : d’aspect assez inattendu avec sa flèche très élancée faite de tores superposés (parasols étagés ?), il est sans doute de date tardive. Vue de ce point, la quadruple enfilade de salles et de galeries dans les directions cardinales, avec ses jeux d’ombre et de lumière, est du plus heureux effet. Empruntant les galeries monumentales à double bas-côté qui s’en détachent sur trois axes, le visiteur disposant d’un peu de temps pourra faire une incursion vers le sud où, au-delà de l’allée de géants non encore reconstituée, la perspective s’étend par une longue percée pratiquée dans la forêt jusqu’à la douve d’Angkor Thom – ou mieux encore, vers le nord où les cordons de devas et d’asuras ont été rétablis de part et d’autre de la chaussée aboutissant au kilomètre 8 du Grand Circuit. Le gopura III nord est entouré de fort beaux arbres – des « sralaos » au tronc blanc et cannelé – qui lui font un cadre charmant. Son porche d’entrée principale, précédé de deux énormes dvârapâlas et d’une terrasse cruciforme, est orné d’un intéressant fronton : la scène, représentant une mêlée confuse et pleine de vie, est sans doute un épisode de la bataille de Lankâ (Râmâyana). On remarquera, dans la traversée du petit cloître formant temple complet entre les gopuras II et III, le Ganeça de la tour centrale et, dans sa galerie axiale est, deux beaux frontons d’inspiration brahmanique : le « Sommeil de Vishnou » et « Çiva entre Vishnou et Brahmâ ». Repartant du sanctuaire central vers l’ouest, on visitera les quarts nord-ouest et sud-ouest de la cour intérieure de première enceinte, entièrement restaurés, avec leurs nombreuses constructions implantées sans ordre et parfois
juxtaposées, que M. Cœdès regarde très justement comme autant de « chapelles funéraires, véritables caveaux de famille ». Certaines sont voûtées contre l’habitude en arc de cloître, et le centre est marqué par un de ces piliers isolés à tenon déjà rencontrés dans d’autres temples de même époque et destinés sans doute à porter quelque réduction de prasat en bois contenant des offrandes. Chaque angle de la galerie de première enceinte était marqué par une haute tour à étages fictifs en retrait : celle du sud-ouest a pu être reconstruite. On notera que, sur les murs des deux pavillons symétriques les plus proches du sanctuaire central, les ascètes sous niche du quart nord-ouest ont été respectés tandis qu’au sud-ouest, les images du Bouddha ont toutes été bûchées. Passés les gopuras I et II, on remarquera dans la traversée du petit temple en réduction à galeries de cloître, déjà rencontré au nord et au sud, un fronton représentant « Krishna soulevant le mont Govardhana » pour abriter les bergers et leurs troupeaux de l’orage : il est à signaler que tous les tympans à scènes de cette partie du monument sont consacrés à Vishnou et à ses avatars, comme le voulait l’usage pour les images de ce dieu, dont l’idée paraît intimement liée à celle de l’Occident. L’important gopura de troisième enceinte, s’étendant sur un front de près de 40 m et restauré en totalité, avait son corps central formant croisée de nefs avec voûtes d’arêtes reposant sur des piliers et bas-côtés à demi-voûte : il est assez proche du style d’Angkor Vat, mais son décor extérieur, à base de rinceaux, couvre toute la surface des panneaux, mêlé de nombreuses figurines, ce qui est bien du style du Bayon. Parmi ses frontons, fort bien traités, on peut citer, à l’est, sur une embarcation royale, la « partie d’échecs » que l’on retrouve au pavillon d’angle sud-ouest de la galerie des bas-reliefs d’Angkor Vat ; à l’ouest, un épisode de la bataille de Lankâ (Râmâyana). Le porche occidental a retrouvé ses deux dvârapâlas et sa terrasse d’accès garnie de lions à peu près intacts. Une large saignée pratiquée dans la forêt, créant une perspective très intéressante qui vient accentuer le caractère
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monumental de l’ensemble, permet enfin de sortir du temple par son gopura de quatrième enceinte à trois tours : sa restauration est intervenue juste à temps pour sauver de la ruine ses bâtiments croulants, dont les voûtes ne tenaient plus que par un miracle d’équilibre. La chaussée bordée de géants traversant la douve, complètement bouleversée, a été rétablie dans son état ancien, avec un plein succès du côté asuras, ainsi que l’allée de bornes décoratives aux Bouddhas bûchés qui rejoint la route du Grand Circuit au kilomètre 7. Résumé des travaux entrepris postérieurement à 1946 : nombreuses reprises et consolidations ; anastyloses partielles ou totales, notamment de l’édifice à piliers ronds : reconstruction de l’étage et remise en place des frontons à scènes sur les porches est et ouest. Remontage du porche sud du gopura 35, renversé par la chute d’un gros arbre.
KROL DAMREI (Le parc à éléphants) Huit cents mètres après la borne kilométrique 7 marquant l’entrée ouest de Prah Khan, un sentier sur la gauche de la route mène à Krol Damrei, situé à 75 m dans la forêt. Ce curieux vestige, découvert en 1924, forme une arène elliptique d’environ 45 m sur 55, desservie par deux larges baies aux extrémités du grand axe. Un puissant mur de soutènement en latérite de 3 m de hauteur en fait le tour, contrebuté par un large talus qui devait permettre l’édification de tribunes : leurs poteaux en bois étaient encastrés dans des rainures verticales disposées tous les deux mètres. L’ensemble de ce dispositif, où l’on remarquera vers le nord un conduit d’évacuation des eaux usées, devait constituer un lieu de dressage pour les éléphants.
Fig. 36. Bantéay Srei.
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LES MONUMENTS HORS CIRCUIT
BANTÉAY SREI (La citadelle des femmes) Prononcer : Bantéaille Sreille Date : seconde moitié du Xe siècle (967) Constructeur : Yajnavarâha sous le règne de Râjendravarman II et de Jayavarman V Culte : brahmanique (çivaïte) Dégagement par H. Parmentier et V. Goloubew en 1924 Anastylose par H. Marchal de 1931 à 1936 Le petit temple de Bantéay Srei se trouve à une vingtaine de kilomètres au nord-est du Bayon à vol d’oiseau, à proximité immédiate (rive droite) du Stung Siemréap, rivière qui descend du Phnom Kulên pour aller se jeter dans le Grand Lac. Situé en pleine forêt et d’échelle très réduite, dans une région fort pauvre en vestiges archéologiques, on comprend aisément qu’il ait pu échapper longtemps à l’attention de tous : sa découverte par un officier du Service géographique, le lieutenant Marec, remonte en effet seulement à 1914 et son dégagement complet n’a été décidé qu’en 1924. La complète réussite des travaux d’anastylose qui furent effectués par M. Marchal fit adopter définitivement par notre service archéologique ce mode de restauration des monuments, directement inspiré des méthodes
employées déjà à Java par les archéologues néerlandais. Si la tâche à Bantéay Srei était facilitée par le faible volume des bâtiments et des blocs de pierre, la dureté du grès employé laissant aux profils toute leur netteté, et l’abondance d’un décor remarquablement conservé et partout lisible, le mérite de M. Marchal n’en est pas moindre, car il a dû mener son expérience sur un chantier lointain et difficilement accessible, avec des moyens particulièrement réduits et une main-d’œuvre aussi inexperte que non spécialisée qu’il a fallu former entièrement. En 1941, à la suite des négociations menées par le Japon pour mettre un terme aux hostilités engagées entre la Thaïlande et la France, celle-ci avait pu obtenir que Bantéay Srei fut laissé au Cambodge, quoique situé au nord du 15e degré qui marquait la nouvelle frontière : une enclave triangulaire avait été créée à cet effet dans le territoire de nos voisins. La restitution effectuée fin 1946 par le Siam a rendu cette solution provisoire sans objet. Partant du Grand Circuit vers l’est entre Pré Rup et le Mébôn oriental, à 14 km de Siemréap, une piste – sablonneuse par endroits mais praticable aux automobiles en toute saison à l’exception de trois à quatre semaines, en septembre-octobre, époque des fortes pluies – traverse le coquet village de Pradak pour bifurquer plein nord au
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150. Bantéay Srei, chaussée d’accès à l’est.
milieu de celui-ci, à deux kilomètres du point de départ ; franchissant alors la double enceinte d’un poste de milice, puis, dix kilomètres plus loin, longeant la lisière orientale du village de Khna, où les amateurs de lait de coco pourront se rafraîchir au retour, on parvient au point d’arrêt des voitures après avoir parcouru six autres kilomètres. Mettant pied à terre au bord de la rivière, très encaissée en cet endroit, et que franchit une passerelle pour piétons, on gagne enfin, par la piste de droite à la première fourche qui se présente, l’entrée est du monument, quelque 500 m au-delà. D’aucuns, séduits par le charme très particulier qui se dégage de Bantéay Srei, son remarquable état de conservation et l’excellence d’une technique ornementale voisine de la perfection, n’hésitent pas, parmi tous les monuments du groupe d’Angkor, à lui accorder la primauté : nous croyons pour notre part qu’il est pour le moins inutile de vouloir établir une hiérarchie dans le domaine de l’art et classer des œuvres aussi dissemblables que peuvent l’être Angkor Vat, Bantéay Srei ou le Bayon. De l’avis unanime, Bantéay Srei est un « bijou précieux », le « joyau de l’art khmer », et cet éloge comporte en soi-même la seule critique raisonnable qui puisse en être faite : celle de relever davantage de l’orfèvrerie ou de la sculpture sur bois que du travail de la pierre. La nature même du matériau employé – ce grès rose et dur qui se découpe et se fouille comme le bois – a conduit l’artiste à ne plus tailler en volume : l’échelle réduite de l’ensemble, l’exiguïté des bâtiments dont les nus disparaissent sous une broderie généralisée ont fait d’autre part de ce temple sa propre maquette à demi-grandeur, au détriment du thème d’architecture et du caractère monumental. Les proportions réduites de Bantéay Srei n’ont pas manqué de surprendre et demeurent inexpliquées : c’est une sorte de « caprice » où le détail, d’une abondance et d’une joliesse incomparables, l’emporte sur la masse. Sans doute est-il constant que les sanctuaires suburbains n’atteignent point la grandeur des temples de la capitale, et le Khmer, habitué à voir le Meru dans une pyramide, l’océan dans un bassin-fossé et des chaînes de montagnes dans des murs d’enceinte, tenait-il aisément les petites choses pour grandes : il n’en reste pas moins que toutes les mesures usuelles se trouvent ici faussées, avec des gopuras de l’épaisseur habituelle d’un gros mur et des baies minuscules où le prêtre ne pouvait s’insinuer qu’en rampant. Cette anomalie, particulièrement sensible dans l’enceinte sacrée, a contribué quelque temps, par suite de l’interprétation erronée de certaines données épigraphiques,
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à assigner aux bâtiments du culte une date tardive : on a pu supposer que les trois tours sanctuaires n’avaient été construites qu’aux environs de l’an 1300, en remplacement d’un sanctuaire unique de grandeur normale – du Xe siècle comme les autres enceintes – ayant occupé le même emplacement. Il est acquis aujourd’hui, depuis la découverte en 1936, dans le gopura oriental extérieur de quatrième enceinte, de la stèle de fondation du temple, que Bantéay Srei forme un tout, dont le style s’avère par ailleurs parfaitement homogène. Gravée en 968, première année du règne de Jayavarman V, l’inscription donne, avec la position du soleil, de la lune et des planètes, la date d’avril-mai 967, dernière année du règne de Râjendravarman, sous lequel aurait été tout au moins commencée la construction. Après une invocation à Çiva et à sa « Çaktî », le texte fait l’éloge de Jayavarman V et de son « guru » Yajnavarâha qui fonda Bantéay Srei avec son frère cadet, érigeant dans le sanctuaire central le lingâ de Çiva Çri Tribhuvanamaheçvara. D’autres inscriptions relevées par des piédroits de baies mentionnent l’érection d’un autre lingâ dans le sanctuaire sud et d’un Vishnou dans le sanctuaire nord. Description Le temple s’annonce vers l’est par un gopura de plan cruciforme en latérite, flanqué de deux petites portes latérales, qui devait correspondre à une enceinte extérieure (quatrième enceinte) en palplanches. Son porche oriental à piliers de grès donne, par la finesse ornementale de ses pilastres et de son fronton, à Indra sur éléphant tricéphale, un avant-goût du décor intérieur et de la belle tonalité rose de la pierre employée : l’emplacement des pannes qui portaient la toiture en tuiles reste visible dans la maçonnerie. Une chaussée bordée de bornes décoratives que les éléphants sauvages renversent consciencieusement chaque année conduit à la troisième enceinte : de part et d’autre s’allongent des galeries à mur de fond en latérite et piliers de grès, coupées vers leur milieu par des sortes de petits gopuras desservant, au sud, trois salles longues parallèles orientées nord-sud et, au nord, un seul corps de bâtiment où l’on remarquera le beau fronton où Vishnou, dans son avatar de dieu-lion (Narasimha) tient renversé sous lui, déchirant sa poitrine de ses griffes, le roi des Asuras Hiranyakaçipu qui avait osé se comparer à lui ; au sol, près de l’entrée, une pierre longue représente de face sept divinités féminines sur leurs montures, puis sur les côtés un Ganeça et un personnage non identifié.
Deux autres vestiges de construction se voient encore avant d’arriver à la troisième enceinte : près de celui du côté nord, on a reconstitué au sol le fronton du porche oriental du gopura III est, montrant dans un décor de rinceaux, d’animaux et de figurines, l’enlèvement de Sîtâ, femme de Râma, par le Yéak Viradha. Le temple proprement dit se compose de trois enceintes limitées par de simples murs et mesurant respectivement 95 m sur 110 m, 38 m sur 42 m et 24 m sur 24. La troisième enceinte en partant du centre est constituée par un bassin-fossé pourtournant à gradins de latérite, avec double berme, coupé à l’est comme à l’ouest par une chaussée aboutissant aux deux gopuras. Le mur est en latérite, et le gopura oriental, dont le plan est analogue à celui du gopura IV est, est beaucoup plus important que l’autre : précédé de petits lions, il est à trois passages, et l’on y remarque une marche en accolade d’un dessin charmant, ainsi qu’un piédestal. Le fronton de son porche ouest qui, n’ayant pu être remis en place, a été envoyé à Paris, au musée Guimet, représentait « l’histoire de l’apsara Tilottamâ, créée par les dieux, à seule fin de causer la discorde entre les deux frères Sunda et Upasunda, redoutables asuras qui semaient la désolation dans l’univers ; le sculpteur a reproduit le moment où les deux frères, saisissant l’apsara chacun par une main, s’en disputent la possession » (G. Cœdès). Cette scène, tirée du Mahâbhârata, est d’une composition très simple et parfaitement équilibrée, où les espaces nus laissés entre les personnages figurés sur un même plan mettent merveilleusement en valeur les qualités plastiques de l’ouvrage. La deuxième enceinte, également ceinturée d’un mur en latérite coupé par deux gopuras d’importance inégale, est décalée vers l’ouest par rapport à la troisième. Elle comprend six édifices annexes en latérite dont la couverture en tuiles a naturellement disparu : ce sont des galeries de repos divisées en trois parties, les deux plus longues étant sur les faces nord et sud et les autres flanquant chacun des gopuras. Le gopura est, toujours de plan cruciforme à trois passages, se termine en chacun de ses porches à piliers jumelés par de splendides frontons superposés de forme triangulaire qui suivaient les versants de la toiture et sont un rappel de l’architecture en bois : leurs bandeaux d’encadrement à grandes volutes terminales sont couronnés par des motifs d’une élégance raffinée et fouillés à l’extrême, comme leurs tympans au décor purement ornemental. Des frontons traités dans le même esprit se trouvent à Koh Ker (Xe siècle) et Prah Vihéar (XIe siècle), dans la partie nord du Cambodge cédée en 1941 à la Thaïlande et récupérée fin 1946.
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Un petit Nandin, monture de Çiva, était couché face au temple devant la face ouest du gopura. Les bâtiments de la première enceinte, qui ont fait l’objet d’une anastylose totale, ont pu être restitués jusqu’en leurs moindres détails en leur état ancien. L’intégralité du décor – voire son excès – se trouve encore rehaussée par les innombrables antéfixes et pierres d’angle en forme de prasat qui, dans les tours sanctuaires, dentellent les corniches des quatre étages fictifs en retrait. Ceux-ci, couronnés du « Kalaça » ou vase à eau symbolique, ont une proportion particulièrement élancée dont la vibration sous la lumière fait penser aux surcharges de l’art hindou. Ce n’est plus du tout le monotone « entassement d’uniformités » inhérent à la méthode architecturale des Khmers : pourtant, nulle part ce n’est le chaos, et les profils sont si nets que partout la ligne demeure et qu’on ne sent aucune trace de mauvais goût. Le mur d’enceinte était en brique, comme son gopura ouest, à salle centrale formant sanctuaire flanquée de deux passages : le gopura oriental, tout en grès à passage unique, est tellement réduit en épaisseur qu’un homme ne saurait s’insinuer dans les ailes. De part et d’autre, deux « bibliothèques » ouvrant à l’ouest ont leurs faces longues sobrement traitées en latérite et grès, sous une voûte en briques encorbellées. En face, c’est le groupe central, présenté sur une plateforme commune en simple té, de 0,90 m de haut : il se compose de trois tours sur un même front – rappelant les alignements de Prah Kô, du Phnom Krom et du Phnom Bok –, les deux extrêmes de 8,34 m de haut, celle du centre de 9,80 m avec cellas de 1,70 m et 1,90 m de côté. Par une sorte d’anticipation, selon un dispositif que l’on retrouvera fréquemment au XIIe siècle, le sanctuaire principal est précédé à l’est d’une salle longue, ou plus exactement ici d’une pièce carrée à portes latérales entre un porche et un vestibule de jonction, le tout couvert en brique. Comme dans les « bibliothèques », l’intérieur est aussi nu que l’extérieur est chargé. Bantéay Srei, outre ses formes naines, a ceci de curieux qu’il est à la fois un reflet du passé – mais non point un recul – et une conquête sur l’avenir par ses recherches d’innovation. Par une sorte de raffinement sentimental, il assimile en l’épurant tout ce qui a fait ses preuves – ses affinités avec l’art de Rolûos sont évidentes – mais le soumet à ses propres créations : ce dynamisme est une forme du grand art. L’aménagement du plan, l’étagement de frontons superposés comme la variété des motifs terminaux de leurs arcs d’encadrement, l’apparition des bas-reliefs à scènes sur les tympans, réservés jusqu’alors à la représentation de
personnages isolés le plus souvent figés dans des poses hiératiques, le revêtement mural par carreaux à motifs de rinceaux, la multiplication de têtes de Kâla, traitées dans un esprit purement décoratif, le remplacement des lions sur les murets d’échiffre des perrons par des corps humains à têtes de monstre : tout ceci est la marque d’un renouvellement dont la plupart des éléments se retrouveront durant toute la période classique, traités parfois avec beaucoup moins de maîtrise. Le décor, qui doit être regardé en détail et de très près, est un enchantement. Outre, d’une façon générale, la mouluration aux profils nerveux, les fausses portes, encadrements de frontons et bandes de rinceaux – tellement « renaissance » plusieurs siècles avant la Renaissance en Europe –, nous signalerons à l’attention : Gopura I est Le merveilleux travail de ciselure du linteau est et le motif central du linteau ouest où une divinité à quatre bras et tête de cheval terrasse deux Yéaks qu’elle tient par les cheveux ; le fronton ouest, où la déesse Durgâ à huit bras, aidée de son lion, lutte contre le démon buffle qu’un serpent enserre de ses anneaux. « Bibliothèque » sud Les deux frontons, consacrés à Çiva : à l’est (Râmâyana), c’est le géant Rayana, à têtes et bras multiples, s’efforçant d’ébranler le mont Kailâsa, représenté par une pyramide à gradins comme le Meru des temples montagnes, et se détachant sur un fond stylisé de forêt. Au sommet, trône Çiva tandis que son épouse Pârvati se blottit contre lui dans une pose charmante d’abandon ; les étages sont occupés par des animaux qui s’enfuient effrayés, des personnages à têtes d’animaux et des ascètes. À l’ouest, en une composition analogue, inspirée de Kalidasa, c’est Kâma, le dieu de l’amour, décochant une flèche à Çiva près de qui se tient Pârvati qui lui tend un rosaire en essayant ainsi de le troubler dans ses méditations. « Bibliothèque » nord Les deux frontons, inspirés de la légende de Vishnou : à l’est (Harivamça), c’est la « Pluie d’Indra », pluie bienfaisante, figurée par des traits parallèles, qui tombe sur la forêt stylisée et peuplée d’animaux où passent Krishna enfant et son frère Balarama ; le dieu, monté sur triple éléphant, domine les nuages, représentés par plusieurs lignes ondulées, et, dans l’axe, se dresse le nâga, symbole de l’eau. À l’ouest, c’est le meurtre du roi Kamça par Krishna.
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152. Bantéay Srei, sanctuaire sud. 153. Bantéay Srei, gopura est, première enceinte.
Pages suivantes : 154. Bantéay Srei, mandapa devant le sanctuaire central, vu du sud.
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Pages suivantes : 157. Bantéay Srei, sanctuaire sud. 158. Bantéay Srei, acrotère en forme de lion rugissant, angle nord-ouest de la toiture, bibliothèque, angle sud-est de la première enceinte. 155. Bantéay Srei, bibliothèque, angle sud-est, première enceinte. 156. Bantéay Srei, entrée du sanctuaire sud.
159. Bantéay Srei, devatâ, sanctuaire sud, façade sud. 160. Bantéay Srei, dvarâpala, sanctuaire central, façade sud.
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Pages précédentes : 161. Bantéay Srei, Narasimha, avatar de Vishnou, dépeçant l’impie Hiranyakaçipu, tympan, salle longue nord.
La scène, inspirée du Bhâgavata Purana et du Harivamça, se passe dans un palais qui donne une idée précise de l’architecture en bois des Khmers, montée sur pilots, aux superstructures en retrait comme dans les prasats de pierre : les deux personnages principaux, par leur taille plus élevée que les autres, donnent une apparence de perspective peu fréquente dans la lecture des bas-reliefs. Ces quatre frontons, première apparition des tympans à scènes, sont des œuvres de tout premier ordre : d’une composition supérieure à tout ce qui sera sculpté par la suite, ils témoignent, en un savant dosage de stylisation et de réalisme, d’une véritable maîtrise au point de vue plastique. Nous citerons encore en tant que frontons celui du gopura ouest de deuxième enceinte, face est, qui, remis en place,
162. Bantéay Srei, fronton et tympan au-dessus de la fausse porte nord, sanctuaire sud.
représente le duel des deux singes Vâlin et Sugrîva, allié de Râma, qui se disputaient la royauté (Râmâyana) ; et, provenant du même gopura mais rentré au Dépôt de sculptures de la Conservation d’Angkor, celui de la lutte entre le Pandava Bhîma et le Kauravas Duryodhama (Mahâbhârata) en présence de Krishna à quatre bras et de son frère Balarama armé d’un soc de charrue. Ces deux compositions, très sobres et aérées, sont de la même venue que l’histoire de l’« apsaras Tilottamâ » décrite plus haut. Tours sanctuaires Les délicieuses statuettes de devatâs sous arcatures des piles d’angle des tours nord et sud et les gracieux éphèbes « gardiens » du sanctuaire central : ceux-ci légèrement hanchés et de formes très fines, coiffés d’un chignon cylindrique, tiennent délicatement d’une main un bouton de lotus et leur lance de l’autre ; celles-là également hanchées et le torse nu, jouant avec des fleurs, ont les cheveux plats et sont richement parées. Au-dessus, séparées par un lotus d’une tête de Kâla, des joueuses de cymbales rythment les pas d’une danseuse à large jupe-cloche telle qu’on en voit dans l’art du Bakheng et principalement au Phnom Krom. Parmi les linteaux rehaussés de figurines, on remarquera, au sanctuaire central : au nord, le duel entre les singes Vâlin et Sugrîva, à l’ouest, l’enlèvement de Sîtâ, au sud, un sanglier vu de face qui peut être une allusion au fondateur du temple, Yajnavarâha (« le sanglier du sacrifice »). Au sanctuaire nord, face nord, un dieu pourfend son ennemi de la tête au nombril. Dans le domaine de la ronde-bosse, les fouilles ont amené la découverte de quelques pièces intéressantes, dignes de la sculpture narrative ou ornementale, et, comme le temple même, de petite taille : six statues masculines et féminines en deux groupes trouvées à proximité du gopura est de troisième enceinte ; groupe de Çiva et Umâ provenant du sanctuaire central et figurant au musée de Phnom Penh ; personnages accroupis à corps d’homme et têtes de monstre des perrons ; singes devant l’entrée sud de la salle longue, lions devant la tour sud, garudas devant la tour nord, type négroïde devant la face ouest du sanctuaire central.
Fig. 37. Bantéay Samrè, gopura ouest, façade intérieure, deuxième enceinte (EFEO).
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Fig. 38. Bantéay Samrè.
BANTÉAY SAMRÈ (La citadelle des Samrès) Date : vers le milieu du XIIe siècle Culte : brahmanique (vishnouïte) Débroussaillement en 1930 Anastylose par M. Glaize de 1936 à 1944 La visite de Bantéay Samrè peut se combiner avec l’excursion de Bantéay Srei et doit autant que possible la précéder : le tout se fait dans l’espace d’une demi-journée. Venant du Grand Circuit, la piste, sablonneuse et difficilement praticable en remorque ou à bicyclette, conduit en droite ligne du point situé à 14 km de Siemréap entre Pré Rup et le Mébôn oriental jusqu’au chemin d’accès à la chaussée est du monument : la distance est de 5 km, et la visite se fera de préférence le matin. On laisse sur la gauche dans le village de Pradak, à deux kilomètres du point de départ, la piste de Bantéay Srei, puis on franchit à 1 700 m la levée de terre constituant la digue est de l’ancien Baray oriental ; dépassant 500 m plus loin un premier chemin conduisant à l’entrée nord du temple, on tourne enfin à droite au bout de 300 m au poteau indicateur marquant le croisement des pistes, pour atteindre l’extrémité orientale de la chaussée d’accès. L’auto ira ensuite attendre devant la porte nord.
Les Samrès sont des éléments aborigènes d’origine mal connue : ils peuplaient notamment la région située au pied du Phnom Kulên, et l’on considère les habitants de Pradak comme leurs descendants. Le monument lui-même a sa légende, rapportée de façon fort savoureuse par M. Baradat : elle relate l’accession au trône d’un pauvre cultivateur de souche samrè, du nom de Pou, spécialisé dans la culture des concombres doux, dont il avait reçu les graines de façon surnaturelle. Ayant fait hommage de sa première récolte au Roi, celui-ci trouva les fruits si succulents qu’il s’en assura bien vite l’exclusivité, prescrivant à Pou de tuer tous ceux, hommes ou animaux, qui pénètreraient dans son « Chamcar » (champ). À la saison des pluies, où les concombres se faisaient rares, le souverain, impatient d’y goûter, se rendit lui-même certain jour chez son jardinier ; mais n’étant arrivé qu’à la nuit, il fut mortellement blessé par lui d’un coup de lance, ayant été pris pour un voleur, et enterré comme tel en plein champ. Le roi étant sans descendance directe et les dignitaires du royaume n’ayant pu se mettre d’accord sur le choix de son successeur, on eut recours à l’intervention divine, et ce fut « l’Éléphant de la victoire » qui, chargé de désigner le nouveau roi, s’arrêta dans sa course précisément devant l’homme aux concombres doux, « le salua, trompe basse entre les pattes, s’agenouilla et l’enlaçant d’une trompe flexible, le jucha doucement sur son dos ».
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163. Bantéay Samrè, gopura est, façade extérieure, première enceinte.
Devenu roi, l’homme aux concombres fit rechercher le corps de son prédécesseur, et célébrer les cérémonies funèbres au Mébôn puis le rite de la crémation à Pré Rup. Par la suite, les personnages de la Cour, humiliés d’être gouvernés par un Samrè, ne manquèrent pas de manifester leur opposition en feignant d’oublier les marques rituelles du respect. Le roi, n’ayant pu les fléchir ni par la bonté ni par la violence, quitta le Palais Royal et s’en vint habiter à quelque distance de la cité, à Bantéay Samrè, « où il resta claquemuré comme la tortue-boîte quand, peureuse, elle a rentré la tête dans la carapace ». Là, il faisait comparaître ses ministres, qui continuaient à affecter d’adorer les attributs de la royauté et les emblèmes des anciens rois au lieu du Maître lui-même. Un jour, poussé à bout, il résolut de les punir et ayant fait apporter la chaise percée de son prédécesseur, fit décapiter tous ceux qui cherchaient à l’humilier en manifestant leur dévotion à ce misérable objet en tant que témoin de la dynastie éteinte. Son règne se poursuivit désormais dans le calme parmi ceux qui, conquis par sa bonté, lui étaient devenus fidèles… Bantéay Samrè, envahi par la végétation et encombré d’éboulis provenant de la chute des parties hautes, avait conservé le charme habituel des ruines perdues dans la forêt mais n’était plus qu’un document informe et sans personnalité : l’anastylose en a fait un des plus beaux monuments du groupe d’Angkor et des plus complets, dont l’ornementation, d’une qualité exceptionnelle et fort bien conservée dans l’ensemble, apparaît désormais en son intégrité. C’est un très pur spécimen de l’art classique de la meilleure époque, où le décor, mis en valeur par de grands nus, est fonction même de l’architecture. Venant après la résurrection du charmant temple miniature de Bantéay Srei, ce premier essai de restauration d’un monument important par sa masse a prouvé que la nouvelle méthode était parfaitement au point et que l’espoir que l’on plaçait en elle était fondé. Quoique non daté – aucune inscription n’a pu être retrouvée, comme d’ailleurs dans les autres monuments de même style –, Bantéay Samrè est indubitablement très proche d’Angkor Vat, et probablement un peu postérieur. Ses proportions très élancées, que ne pouvaient laisser prévoir avant les travaux les lignes horizontales de ses bâtiments tronqués émergeant à peine de la verdure, sont impeccables, et le plan intérieur est le même qu’en la partie centrale de Beng Méaléa ou qu’à Chau Say Tevoda, sensiblement contemporains : enceinte de galeries à quatre gopuras, cour pourtournante et sanctuaire central précédé à l’est d’une salle longue flanquée de deux « bibliothèques ».
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Pages précédentes : 164. Bantéay Samrè, gopura ouest, façade intérieure, deuxième enceinte.
Venant de l’est, une chaussée dallée en latérite, longue de 200 m et bordée de nâgas balustrades du style d’Angkor Vat dont il ne reste malheureusement que de rares vestiges, passait entre deux « sras » (étangs), aboutissant à l’un des perrons ornés de lions portés par des colonnettes. À deux niveaux et bordée de nâgas comme devant l’entrée de Prah Palilay, elle était reliée à une autre terrasse s’étalant en largeur de part et d’autre de l’axe et dont le mur de soutènement, d’une richesse et qualité de décor rarement atteintes même à cette époque, se terminait par deux penons : ceux-ci, auxquels font suite deux amorces de retours à angle droit dont ne subsistent que les fondations en latérite ont eux-mêmes disparu, et leur absence, due sans doute à quelque prélèvement tardif de matériaux, nuit considérablement à la majesté de l’ensemble. Cette vaste esplanade qui, à en juger par de nombreux débris de tuiles trouvés dans les déblais, devait être couronnée de constructions légères, s’étendait jusqu’au mur d’enceinte oriental du monument, dont elle masquait le soubassement mouluré, haut de 1,20 m : des fouilles pratiquées dans ce remblai, mettant au jour quelques vestiges de murs d’anciennes terrasses dont le plan général reste incertain, ont prouvé que l’agencement des abords immédiats du temple sur sa face est avait dû être remanié : le mur d’enceinte extérieure en latérite, dans sa véritable proportion de 6 m de hauteur totale, devait être comme sur les autres faces l’une des parois d’une galerie couverte en tuiles se raccordant à un gopura beaucoup plus important que l’actuel avant-corps avec porche ; celui-ci, de proportions minuscules, ne pouvait raisonnablement constituer l’entrée principale d’un temple de l’importance de Bantéay Samrè, et son style est celui du Bayon, postérieur au monument. À l’intérieur, l’impression se confirme : galerie et gopura de deuxième enceinte ont dû être démolis ou rester inachevés du côté est : de plus, une terrasse en latérite a été édifiée jusqu’à affleurement de l’avancée servant de soubassement au gopura I. La galerie de deuxième enceinte, de 83 m sur 77 m, enfermait une cour pourtournante en contrebas ceinturée d’une berme formant portique continu à élégants piliers de grès : ce bas-côté fictif était couvert en tuiles, à double courbure, et le logement des pièces de charpente est encore visible dans le mur. La galerie proprement dite, également à toit de tuiles, n’avait d’ouvertures sur l’extérieur que du côté sud, sous forme de fenêtres gisantes haut placées, tandis qu’elle s’éclairait sur la cour par de nombreuses baies à sept balustres : celles du sud étaient murées.
La hauteur des parois faisait de cette enceinte une clôture très efficace, qui cadre fort bien avec le rôle défensif que lui prête la légende du « Roi des concombres doux ». Les trois gopuras ouest, nord et sud étaient semblables : de plan cruciforme à deux ailes se raccordant aux galeries et deux porches à piliers, ils étaient en latérite et grès et beaucoup plus importants que ceux de la première enceinte. L’anastylose a permis, à défaut de la toiture en tuiles, de restituer leur puissante ossature en maçonnerie. Les tympans à scènes des frontons et demi-frontons, dont la composition s’écarte résolument des poncifs habituels, sont d’un relief très accusé, et les personnages, plus grands d’échelle qu’à l’intérieur du temple, sont également d’une technique différente et témoignent de qualités supérieures au point de vue plastique. Il semble que, comme à Angkor Vat, la dernière enceinte avec ses gopuras n’ait été réalisée que postérieurement au reste du monument, tout en conservant à l’ensemble une incontestable unité. On remarquera surtout les grands frontons sur piliers des porches, qu’il a fallu soutenir par une armature en béton armé : inspirés du Râmâyana, ils relatent différents épisodes de la bataille de Lankâ, où les singes jouèrent un rôle de premier plan. Le panneau le mieux conservé – et l’un des plus beaux spécimens de l’art khmer est celui du gopura nord, face nord : il représente, en haut-relief, se détachant de la mêlée des singes et des asuras, le combat de Râma contre Râvana, tous deux montés sur leur char de guerre. Tous les autres sont à voir : au gopura nord, face sud, c’est la ruée des singes sous le commandement de Râma monté sur Hanuman et de Lakshmana sur Angada. Au gopura sud, face nord, la construction par les singes, à l’aide de quartiers de roc, de la digue qui devait permettre l’attaque de l’île de Lankâ, et, sur le demi-fronton de droite, Vishnou tenant un asura par les cheveux. Au gopura sud, face sud, Hanuman apportant à Râma et Lakshmana blessés par lndrajit le sommet du mont Kailâsa, dont les plantes magiques devaient les ranimer. Au gopura ouest, face ouest, le combat farouche des singes contre les râkshasas, et, sur la face est, Vishnou terrassant deux asuras qu’il empoigne par leur chignon, avec, sur le demi-fronton de droite, un défilé de dieux sur leurs montures : Vishnou à quatre bras sur un lion, Skanda, dieu de la guerre, à dix bras et têtes étagées, sur un paon, Yama, dieu de la mort, sur un buffle. L’enceinte intérieure (première enceinte), de 44 m sur 38, assez pauvrement constituée par une étroite et basse galerie en latérite comme l’autre très surélevée par rapport au sol environnant, est à petits pavillons d’angle, dont
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Pages suivantes : 165. Vishnou combattant deux asuras, épisode du Râmâyana, Bantéay Samrè, gopura ouest, façade intérieure, deuxième enceinte.
la monotonie est heureusement animée par sa crête d’épis de grès que l’on a pu reconstituer par parties : le fait est assez rare pour être signalé. Fermés sur l’extérieur, les éléments en équerre de cette galerie, se raccordant aux quatre gopuras d’axe, étaient dépourvus de portes, ne s’ouvrant sur la cour intérieure que par des fenêtres à balustres dont certaines ont été murées : elles donnent plutôt l’impression de geôles ou de magasins que de lieux de méditation ou de repos. Les travaux ont révélé que ces galeries n’étaient qu’un rajout, ayant pris la place d’un ancien mur d’enceinte dont on a repéré la trace ancienne sur les murs pignons des gopuras. Le trottoir dallé de grès qui les entoure à l’intérieur du préau, avec ses perrons et ses balustrades à nâgas sur dés aux remarquables motifs terminaux à cinq têtes, ne figurait pas non plus au plan initial, car, en arrière de son soubassement aux sculptures inachevées, en est apparu un autre correspondant au tracé des murs des pavillons d’entrée. Il semble que ce « repentir » n’ait pas été d’inspiration très heureuse : le premier dispositif laissait en effet beaucoup plus d’air à l’entour des bâtiments, notamment des deux « bibliothèques » qui se trouvent aujourd’hui littéralement coincées dans les angles. Les dimensions de Bantéay Samrè sont suffisamment réduites pour que, de n’importe quel point de son pourtour, on ait la vision d’ensemble d’un temple complet, aux proportions impeccables et d’autant plus élancées que tous les bâtiments sont juchés sur un haut soubassement laissant la cour en contrebas : sa mouluration, du type habituel à doucines opposées et axe de symétrie horizontal, est d’un décor très fouillé et parfaitement exécuté qui s’agrémente, à la platebande médiane encadrée de boutons de lotus en forte saillie sur le fond, de charmantes figurines ; d’autres se retrouvent en élévation à la base des pilastres d’encadrement des baies où, selon la coutume du XIIe siècle, elles se groupent pour former de véritables petites scènes. Les quatre gopuras sont semblables, avec corps central, à faux étage d’attique et croisée de voûtes, et deux ailes moins développées en hauteur qui, seulement à l’est, forment passages secondaires : ils abritent une salle cruciforme, précédée de vestibules en avant-corps à frontons superposés. Du gopura oriental, un terre-plein à découvert donne accès à la salle longue précédant le sanctuaire central, encadrée par deux vestibules et dotée sur chacune de ses grandes faces d’une entrée en léger avant-corps correspondant à un perron. L’épaisseur des murs, couverts en fausse demi-voûte, a permis de clore les baies d’un double rang de balustres du plus heureux effet ; à l’intérieur, une décoration à faible relief avait été amorcée par endroits.
166. Bantéay Samrè, gopura ouest, façade intérieure, deuxième enceinte.
Le sanctuaire, fortement décalé vers l’ouest et ouvert seulement sur la salle longue, abrite une cella carrée de 3 m de côté. Les avant-corps, dont trois correspondent à des fausses portes, font saillie aux quatre points cardinaux ; leurs doubles frontons s’étagent jusqu’à hauteur de la corniche de l’étage principal, dont les piles d’angle montent de fond. Au-dessus, les quatre étages fictifs en retrait, surmontés d’un couronnement circulaire en lotus coiffé d’un double chapeau d’où saillissait une hampe de bois ou de métal, atteignent 21 m de hauteur par rapport au sol de la cour. Les nombreuses pièces d’accent disposées sur les corniches, accusant les jeux d’ombre et de lumière, donnent à cette tour, plus encore qu’à Angkor Vat, l’aspect d’une ogive ajourée, de courbure élancée et sans sécheresse. Il est à signaler que plusieurs scènes des frontons des étages supérieurs ont été identifiées comme épisodes du Vessantara Jataka : la présence de ces scènes bouddhiques dans un temple vishnouïte et le fait que par endroits certains motifs de sculpture – probablement bouddhiques eux aussi – ont été bûchés, notamment sur les pilastres, donnent une curieuse indication sur l’esprit de tolérance religieuse du fondateur du monument. À l’est de la cour, de part et d’autre de la salle longue, deux élégantes « bibliothèques » s’ouvrent à l’ouest, précédées d’un vestibule formant porche : de proportion très élancée, voûtées en berceau, elles sont à bas-côtés fictifs, faux étage d’attique percé de fenêtres gisantes et pignons formant frontons ; comme au sanctuaire central, l’ornementation de leurs fausses portes est d’une remarquable finesse. Bien que certains soient très effacés et qu’ils soient de valeur inégale, les linteaux des portes et les tympans des frontons des divers corps de bâtiments, à composition unique ou à registres, sont tous intéressants et méritent d’être considérés en détail : peu de temples présentent une iconographie aussi complète dans un tel état de conservation. Nous signalerons notamment : au gopura est, face est, le linteau de l’entrée secondaire sud (Krishna luttant contre le serpent Kalîya), avec son fronton du « Barattement de l’Océan » présidé par Brahmâ et, à l’entrée nord, l’« apothéose de Vishnou sur Garuda » ; sur la face ouest, « Vishnou Trivikrama enjambant le monde » (entrée sud), « Krishna soulevant le mont Govadhna » (entrée nord), et « l’attaque du ciel d’Indra par les Râkshasas » (avantcorps médian) ; au sanctuaire central, les quatre linteaux, presque intacts et d’un relief très accentué, dont celui du sud, où, au-dessus d’une tête de Kâla, Vishnou à quatre bras terrasse deux personnages qu’il tient par les cheveux
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167. Bantéay Samrè, mandapa et sanctuaire central, vus du sud-est.
(motif plusieurs fois répété dans ce temple) ; au gopura nord, face sud, un registre d’apsaras dansant aux sons de la harpe et le groupe de Çiva et Umâ sur Nandin ; au gopura ouest, la conjonction du Soleil et de la Lune (face est) et un alignement de divinités portées par d’étranges montures (face ouest) ; à la « bibliothèque » nord, face ouest, la « naissance de Brahmâ » porté par un lotus dont la tige émane du nombril de Vishnou couché sur le serpent. L’absence de toute devatâ peut paraître singulière : sur deux des étroites piles d’angle du sanctuaire central pourtant on en voit la trace, simplement indiquée au trait sur la pierre, preuve nouvelle que ce temple, comme tant d’autres, est resté inachevé en tant que sculpture. Les fouilles n’ont livré à l’intérieur du temple qu’une seule statue en ronde-bosse, sous forme d’un trône masculin paré et de belle facture, dans la posture assise, et, à l’extérieur de la deuxième enceinte, près de l’angle nord-ouest, quatre grandes divinités debout (dvârapâlas ?) retrouvées brisées et alignées au sol : dans l’ignorance de l’emplacement qui leur était destiné, elles ont été érigées à l’intérieur du gopura voisin II nord. Une belle cuve en pierre – la seule à Angkor qui ait conservé son couvercle –, avec trou percé au sommet de celui-ci et rigole d’écoulement à la base, a également été mise au jour et placée dans la grande salle : M. Cœdès la considère comme une sorte de sarcophage permettant de procéder à l’ablution périodique des restes mortels qui s’y trouvaient enfouis. On a également proposé d’y voir une cuve destinée à recueillir des offrandes ou les eaux ayant servi aux ablutions. À l’issue de la visite, nous conseillons de sortir du temple par le sud et d’en contourner le mur extérieur vers la droite jusqu’à la porte nord, point de stationnement des autos : on pourra ainsi admirer au passage les frontons des trois gopuras de deuxième enceinte, si ce n’est déjà chose faite. À l’ouest, la construction d’une terrasse cruciforme axiale en latérite a été seulement amorcée : à la suite, une avenue de 350 m conduisait à la digue est du Baray, formant sur la dernière moitié de son tracé une large chaussée dallée jalonnée de splendides bornes décoratives en grès dont il reste malheureusement bien peu d’éléments : elle rappelle le dispositif adopté à la chaussée est de Beng Méaléa. GROUPE DE ROLÛOS Le groupe de Rolûos, situé à une quinzaine de kilomètres sud-est de Siemréap, se compose de trois temples, Bakong, Prah Kô et Lolei, datant de la fin du IXe siècle
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168. Bakong, asuras, fragment de relief, façade sud du « temple-montagne ».
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et correspondant à l’ancienne capitale Hariharâlaya dont dérive le nom même de Lolei. Lorsque, arrivant de Java au début du IXe siècle, le roi Jayavarman II prit le pouvoir, il fit à Hariharâlaya – agglomération déjà existante – deux séjours, l’un antérieur à son installation sur le Phnom Kulên (Mâhendraparvata), où fut fondé le culte du Devarâja, l’autre postérieur : il y mourut en 850, au bout de 48 années de règne. Ses successeurs devaient y demeurer jusqu’au début du règne de Yaçovarman, le fondateur du premier Angkor, centré sur le Phnom Bakheng. BAKONG Date : fin du IXe siècle (881) Roi constructeur : Indravarman I (nom posthume : Içvaraloka) Culte : brahmanique (çivaïte) Dégagement commencé par H. Marchal en 1936 Anastylose par M. Glaize de 1936 à 1943
Bakong se trouve à 1 500 m de la route Nationale n° 6 : le croisement, marqué par un panneau indicateur, se trouve à 13 km de Siemréap en se dirigeant vers Phnom Penh, et la piste, d’abord de direction nord-sud dans l’axe même du sanctuaire central qui se profile dans son prolongement, contourne le quart nord-est de la deuxième enceinte du monument pour aboutir à l’extrémité de la chaussée d’accès orientale, devant les vestiges du gopura II. Par sa forme en pyramide – la troisième dans le temps après les timides essais d’Ak Yom au nord-ouest de Siemréap et de Rong Chen sur le Phnom Kulên –, Bakong s’impose comme ayant été le temple central de Hariharâlaya où se pratiquait le culte du dieu-roi. Là seulement, l’idole pouvait s’élever dignement au-dessus des plaines bordant le Grand Lac, où venait de s’affirmer la royauté khmère : il n’est pas impossible d’ailleurs que l’édification de ce « temple-montagne » ait été commencée par Jayavarman II lors de sa descente du Kulên. De tous les temples à terrasses étagées de la région d’Angkor, à l’instar de l’ancienne « ziqqurat » babylonienne,
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169. Le Bakong, vu du nord-est.
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Bakong est peut-être celui qui répond le mieux à l’idée du Meru cosmique à cinq niveaux, correspondant de bas en haut successivement au monde des nâgas, des garudas, des Râkshasas, des Yakshas, puis des Maharajas des quatre points cardinaux avec leur cour. C’est du point de vue structurel la seule pyramide qui, par l’ampleur de ses gradins, rende possible le déploiement des cortèges et processions, et par là même, s’étalant en des proportions plus humaines que l’habituel « escalier du ciel », réponde le mieux à nos canons d’Occident. C’est enfin la première réalisation en grès d’un grand ensemble architectural, et le fait est signalé par le fondateur lui-même, le roi Indravarman, qui l’appelle « la maison de pierre d’Iça ». La stèle inscrite, découverte en 1935 par G. Trouvé, est d’une calligraphie remarquable. Elle relate, après l’invocation et l’éloge du roi Indravarman, la fondation en 881 du lingâ Çri Indreçvara, puis l’érection dans la cour du temple des images des huit corps ou « mûrti » de Çiva – vraisemblablement dans les huit tours en brique entourant la base de la pyramide ou sur les piédestaux qui flanquent les escaliers d’axe. Il est question ensuite d’autres statues dans des « prasats de pierre » et de plusieurs idoles dont certaines avaient leur culte associé à celui de personnages défunts ; on y mentionne enfin le creusement du bassin de Lolei, l’« Indratatâka ». Le temple de Bakong, avant les travaux, n’était plus qu’une butte de terre. Ses constructions de grès, ayant fait l’objet au cours des siècles de destructions systématiques et de remaniements de toute nature, avaient été complètement rasées et leurs pierres dispersées jusqu’au pied même de la pyramide. Rien ne subsistait notamment du sanctuaire central, postérieur aux autres tours, que la marque sur le dallage de la plateforme supérieure du contour extérieur de son socle : sorti du néant, il a repris aujourd’hui, de la base au faîte, sa silhouette intégrale, et cette « résurrection » consacre définitivement l’intérêt tant esthétique que documentaire des méthodes d’anastylose. Les autres monuments restaurés existaient encore, ruinés mais partiellement debout, avec leurs éléments écroulés tombés à pied d’œuvre. Bakong au contraire ne formait plus qu’un chaos, dont on ignorait jusqu’au nombre et à la nature des édifices disparus : ce n’est qu’en groupant les pierres par catégories, selon leur mouluration ou leur décor, qu’on a pu leur assigner leurs places respectives.
Description La piste d’accès au temple, pénétrant à l’intérieur de la troisième enceinte, d’environ 900 m est-ouest sur 700 nord-sud et constituée par un bassin-fossé visible par endroits, laisse à gauche sur la face nord, près de l’angle nord-est, un groupe de trois tours en brique alignées nord-sud dont une seule reste debout : de même, à proximité du gopura oriental de deuxième enceinte, au sud de l’axe principal, se dressent encore quelques pans de murs. Ces vestiges appartiennent à toute une série d’ouvrages en brique généralement très ruinés qui ceinturaient le monument. Ils sont au nombre de 22, à raison de six sur la face ouest, quatre sur chacune des autres faces, et quatre aux angles. La plupart sont constitués par des tours isolées – exceptionnellement en deux points groupées par deux ou trois – ouvrant tantôt à l’est, tantôt face à la pyramide, et sensiblement de l’époque de celle-ci. Leur dégagement a permis de mettre au jour, outre quelques éléments d’architecture d’un grand intérêt (linteaux, colonnettes, marches « en accolade ») et plusieurs lingâs, des statues de Çiva et de Vishnou qui sont de très belles pièces. La deuxième enceinte est constituée par un mur en latérite en partie enterré, de 400 m sur 300, coupé à l’est et à l’ouest par des gopuras cruciformes très ruinés, en latérite et grès, et, au nord comme au sud, par d’autres de même nature mais de proportions plus modestes. Un large et profond bassin-fossé, maintenant à sec, occupe sur tout le pourtour la majeure partie de l’espace circonscrit, dont le surplus abrite sous de grands arbres les constructions légères d’une bonzerie, malheureusement complétées, immédiatement au nord de l’axe, par une pagode moderne dont l’absence n’eut causé aucun regret. La traversée des douves se fait, sur les faces orientale et occidentale, par de longues chaussées-digues ; leur caractère monumental est affirmé par d’énormes nâgas dont le corps repose à même le sol et dont le motif terminal à sept têtes massives donne une impression de puissance tout autre que celle produite par les élégants nâgas balustrades sur dés de soutien dont l’emploi devait se généraliser au XIIe siècle : celui de l’est, côté sud, est le mieux conservé. Du temple tout entier émane d’ailleurs un sentiment de grandeur obtenue par les moyens les plus simples : c’est un art discipliné et sobre fondé sur la logique. Un autre mur en latérite, peu élevé, enclot l’enceinte sacrée (première enceinte), vaste rectangle de 160 m
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171. Bakong, devatâ, tour sud-est. 172. Bakong, escalier nord et tour nord-est.
est-ouest sur 120 m nord-sud. Il est coupé par quatre gopuras, dont ne subsistent que les bases des murs en latérite à soubassement mouluré ; si le plan reste identique – salle cruciforme, deux ailes formant passages secondaires et deux porches à piliers –, ceux de l’est et de l’ouest sont plus développés, et les autres, axés sur la pyramide, sont décalés vers l’ouest. À l’est ont été érigées à l’intérieur, se faisant vis-à-vis, deux grandes statues de Vishnou debout à quatre bras du style du Bayon, donc très postérieures au monument, retrouvées au cours des fouilles. De part et d’autre de l’entrée orientale, continuée par une chaussée jalonnée de bornes, on rencontre successivement : les vestiges de deux salles longues à larges baies garnies de balustres, rigoureusement symétriques, précédées d’un porche et suivies d’une pièce de faible dimension – c’étaient sans doute des galeries de repos ; deux édicules en latérite, dont l’un au sud de l’axe abrite la stèle de fondation du temple ; deux bâtiments en longueur tout en grès, aux murs bourrés de pierres de réemploi et certainement de basse époque, donnant l’impression, avec leur unique baie en avant-corps ouvrant vers la chaussée, de constructions utilitaires à usage de magasins. Les angles nord-est et sud-est de l’enceinte sont occupés chacun par deux bâtiments carrés en brique, juxtaposés, à peu près intacts au sud et, du côté nord, écroulés jusqu’à la naissance des voûtes. Ouverts à l’ouest par une baie percée dans un monolithe de grès, ils ne prenaient jour par ailleurs que par des rangées de trous circulaires ; l’un d’eux – le plus méridional – porte sur les faces extérieures nord et sud de son étage supérieur en retrait sur encorbellement de brique une frise sculptée d’ascètes dans des niches ; la présence d’un fragment d’une pierre des neuf planètes retrouvé dans les déblais apparaît d’autre part comme une des premières manifestations d’un culte qui devait se généraliser par la suite dans les « temples montagnes », symbolisant le Meru. Les angles nord-ouest et sud-ouest ne comportaient qu’un bâtiment de même type, mais ouvrant à l’est et aujourd’hui complètement ruiné. Huit tours sanctuaires en brique (deux par face), jadis sculptées extérieurement dans la pâte d’un enduit de revêtement à base de chaux, se trouvaient réparties à l’entour de la pyramide. Des quatre érigées à l’est de l’axe nord-sud, plus importantes que celles de l’ouest, seule la tour de la face nord reste debout. Les deux de la face est étaient exceptionnellement à double soubassement de grès, mouluré et orné dans le style du monument avec quelques traces de remaniements au motif d’entrée, notamment pour les colonnettes.
173. Bakong, devatâ, tour nord-est. 174. Bakong, dvarâpala, l’une des huit tours-sanctuaires autour de la pyramide.
De plan carré à redents, toutes ces tours, à quatre perrons d’axe formant double volée garnis de lions accroupis à la base, ouvrent à l’est. Les seules parties de grès sont constituées par les encadrements de baies, avec leurs colonnettes à fût cylindrique bagué et richement orné, et les linteaux particulièrement développés en hauteur et surmontés d’une frise, au-dessus desquels les frontons enduits, à personnages isolés dans des niches, devaient faire piètre figure. Portes et fausses portes étaient uniformément taillées dans un énorme bloc monolithe où l’on creusait le vide de la baie, ce qui explique les proportions réduites de celle-ci par rapport à l’ensemble. L’ornementation des fausses portes est remarquable, avec sur chaque panneau un mascaron rappelant sans doute les motifs porteanneau des vantaux de bois. Les linteaux sont, avec ceux du style du Kulên (première moitié du IXe siècle) parmi les plus beaux de l’art khmer : le décor, grassement traité, rehaussé de multiples figurines et d’une grande variété dans le détail, est exempt de toute mièvrerie et reste un décor de pierre ; nous recommandons spécialement ceux des tours occidentales, en parfait état de conservation. Sur les piles d’angle, dvârapâlas et devatâs, en stuc, alternaient selon l’orientation, abrités sous des niches en arcature de palais. Au-dessus, les étages fictifs, en léger retrait, sont devenus informes : ils semblent avoir porté aux angles des corniches des réductions d’édifices en grès, dont plusieurs ont été retrouvées dans les déblais. Presque adossé à la partie méridionale du tour d’enceinte s’étendait un long corps de bâtiment en trois parties formant galerie avec porche axé sur les tours orientales ; complètement démoli, il ne paraît point avoir eu son symétrique du côté nord. La pyramide à cinq gradins, presque carrée et entièrement parementée et dallée de grès, est de 67 m est-ouest sur 65 nord-sud à la base, contre 20 et 18 m au sommet, formant des bermes de 5 à 6 m de largeur. Le dernier étage, lors de l’ouverture du chantier, avait son mur de soutènement en grès recouvert par un blocage en brique et supportait une sorte de hangar en bois contenant quelques fragments de sculptures, l’ancien prasat en pierre ayant été complètement rasé. Un puits central obstrué de terre et de blocs de toute nature, a pu être fouillé par M. Marchal jusqu’à 20 m de profondeur, soit 6 m en dessous du sol extérieur de base, sans rien livrer d’intéressant : une large brèche avait d’ailleurs été pratiquée dans le soubassement du sanctuaire par les chercheurs de trésors pour y accéder latéralement. Les quatrième et cinquième étages étaient fondés sur un épais massif en latérite qui n’a pas bougé, tandis que
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175. Bakong, sanctuaire principal, vu du sud-est.
les trois autres, reposant sur un remblai de terre, se sont enfoncés d’une vingtaine de centimètres. La plateforme supérieure domine de 14 m le sol environnant, et les murs de soutènement des gradins, massifs et trapus, sont à parement uni avec base et bandeau de couronnement sobrement moulurés. Les quatre escaliers d’axe, composés de cinq éléments, obéissant comme les gradins même à la loi de réduction proportionnelle qui donne une illusion de perspective, ont, à chaque palier, une superbe marche de départ « en accolade », entre socles d’échiffre sculptés de dvârapâlas et de devatâs et garnis de lions. À la base, un édicule d’un type très spécial – entièrement reconstitué sur la face nord – précède la première volée, formant redent du gradin dans toute la hauteur du mur de soutènement. Flanqué de deux massifs en maçonnerie qui devaient porter quelque statue monumentale et de gargouilles sculptées évacuant les eaux ruisselant le long des marches, il était complété par un Nandin (taureau sacré) sur socle, couché face au temple : la présence aux quatre points cardinaux de la monture de Çiva symbolisait la puissance du dieu s’étendant à toutes les régions de l’espace et laisse penser que le sanctuaire initial était ouvert aux quatre axes, comme au Phnom Bakheng. Ces édicules ont leur toiture en grès à deux versants faite d’assises horizontales à section triangulaire disposées en encorbellement et couronnée d’une crête d’épis : c’est la transition naturelle entre la couverture en tuiles et le berceau de pierre à génératrice ogivale. On voit également ici la première réalisation en pierre de frontons à personnages : face au sanctuaire, ceux-ci occupent toute la surface, encadrant une petite baie à colonnettes rondes tout à fait inattendue dans l’art khmer, éclairant le comble. Les figures, volantes ou encadrées d’architectures de palais, se détachent sur de larges nus comme les motifs sculptés dans le mortier de revêtement des tympans en brique contemporains ou antérieurs : cette sobriété contraste avec le foisonnement d’ornementation végétale ou humaine qui devait prévaloir par la suite. Les angles des trois gradins inférieurs de la pyramide étaient marqués par des éléphants monolithes de taille décroissante, malheureusement très mutilés. Le quatrième gradin était pour sa part jalonné de douze petits « prasats » en grès abritant un lingâ et régulièrement disposés : bien qu’il n’en subsistât que les assises de base, enfouies dans le remblai, dix d’entre eux ont pu être réédifiés, tout en restant le plus souvent incomplets dans les étages de superstructure : ils sont de l’époque de la pyramide.
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Fig. 40. Prah Kô.
Le cinquième gradin, haut de 1,90 m, présentait sur tout son pourtour, encadrée d’une mouluration finement ornée, une frise continue de bas-reliefs à personnages. Première réalisation de ce genre dans l’art khmer, elle est malheureusement dans un état d’érosion tel qu’on n’y distingue plus que quelques silhouettes animant pour la plupart des scènes de combat ou de palais : quatre ou cinq panneaux mieux conservés – notamment sur la face sud –, dont un groupe d’asuras en bataille, suffisent néanmoins à faire regretter amèrement la ruine de l’ensemble. Le sanctuaire central, contrairement à ce qui se passe dans les autres temples en pyramide, est visible de chaque étage, grâce à la largeur inaccoutumée des gradins. Sa résurrection, malgré l’emploi d’un assez grand nombre de pierres de remplacement mises en épannelage, n’a rien perdu de son caractère d’exactitude, garanti par la similitude des divers éléments constituant les étages superposés. Si l’on étudie le détail de l’ornementation, on se trouve en présence d’un véritable échantillonnage de motifs de styles différents, s’échelonnant de l’art de Prah Kô à celui d’Angkor Vat, sinon du début du Bayon. On est donc autorisé à conclure qu’avec quelques rappels d’archaïsme dont les sculpteurs avaient sous les yeux les modèles à Bakong même ou à Lolei, le prasat devait être postérieur d’environ deux siècles à l’ensemble du monument et ne saurait être en tout cas antérieur au Baphûon (deuxième moitié du XIe siècle). Linteaux, pilastres et colonnettes relèvent de celui-ci, certaines devatâs à cheveux apparents diadémés sont inspirées des modèles du IXe siècle, d’autres enfin, comme les frontons à scènes (Çiva dansant à l’est, Barattement de l’Océan au sud, Sommeil de Vishnou à l’ouest, Lakshmana au milieu des singes, ligoté par les serpents d’Indrajit au nord), se rattachent au style d’Angkor Vat. Du plan primitif d’Indravarman il ne reste, en ce qui concerne le sanctuaire central, que son soubassement : peut-être ce roi n’eut-il pas le loisir d’en effectuer la construction, qui n’aurait été réalisée en dur que par l’un de ses successeurs ; peut-être encore le prasat initial fut-il démoli et rebâti… Quoi qu’il en soit, la tour actuelle, de plan carré à redents et quatre avant-corps dont trois à fausses portes, abritait une cella de 2,70 m de côté ; haute de 15 m, elle était à quatre étages fictifs en retrait, avec de nombreuses acrotères et couronnement de lotus. Parmi les sculptures du IXe siècle retrouvées au cours des fouilles, outre quelques corps de femmes et têtes de divinités séparées tant masculines que féminines, d’excellente facture et très simplement traités, nous signalerons plusieurs exemplaires de statues adossées qui devaient
être encastrées dans la maçonnerie de brique des tours ; fréquentes à cette époque, elles représentent un personnage assis, un genou levé, le torse nu, paré de bijoux. Enfin, on a retrouvé dans la tour en brique écroulée au nord de la face est, un curieux groupe de trois statues taillées dans le même bloc mais dont il ne reste que les corps : mentionné dans l’inscription de la stèle, il représente un Çiva, « Umâgangâpatîçvara, ayant le creux des reins pressé par les lianes des bras d’Umâ et de Gangâ », ses deux épouses. Le corps de la femme située à la droite du dieu, à la longue jupe unie et plate, est de toute beauté, et d’une sobriété et pureté de lignes qu’on ne trouve guère qu’à cette époque ; les mains, plaquées sur la face postérieure des cuisses, sont parfaitement visibles. Il semble que ce groupe aujourd’hui transféré à la Conservation d’Angkor ait eu plusieurs répliques, car on a retrouvé quelques éléments caractéristiques d’un autre semblable et l’ébauche d’un troisième. PRAH KÔ (Le bœuf sacré) Date : fin du IXe siècle (879) Roi constructeur : Indravarman I (nom posthume : Içvaraloka) Culte : brahmanique (çivaïte) Dégagement et travaux divers par G. Trouvé en 1932 Prah Kô, temple funéraire de Jayavarman II et des ancêtres de son deuxième successeur Indravarman, se trouve immédiatement à l’ouest de la piste d’accès à Bakong, à 500 m sud de la route Nationale n° 6. Ses bâtiments, implantés dans la partie orientale du vaste quadrilatère de 500 m est-ouest sur 400 m nord-sud constitué par ses bassins-fossés, n’étaient peut-être que le complément d’un temple-montagne resté à l’état de projet auquel se serait substituée la pyramide de Bakong ; ou encore de quelque édifice en matériaux légers aujourd’hui disparu ayant appartenu à la cité d’Hariharâlaya, capitale d’Indravarman : par exemple, une ancienne résidence royale comme l’a suggéré M. Cœdès. La stèle de fondation du temple, qui se trouve dans le gopura de première enceinte, est admirablement conservée. Après un hommage à Çiva, elle donne une courte généalogie d’Indravarman, puis fait son éloge, en termes pompeux selon l’usage : « le bras droit de ce prince, dit le texte sanskrit, long et rond, terrible dans le combat
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Pages suivantes : 176. Prah Kô, vu du sud-est. 177. Prah Kô, tours-sanctuaires centrale et nord (alignement est).
quand il faisait tomber sur ses ennemis son glaive vibrant, accablant les rois de tous les points cardinaux, et invincible, a pu cependant être toujours apaisé, mais par deux ennemis seulement : celui qui avait le dos tourné et celui qui, désireux de vivre, se mettait sous sa protection » (G. Cœdès). L’inscription fait ensuite allusion au culte du Devarâja ou « dieu-roi » institué sur le mont Mahendra (Phnom Kulên) et se termine en donnant la date de fondation (879) de trois statues de Çiva et de Devi. L’autre face, en khmer, est de 893, sous le règne de Yaçovarman, et prescrit certaines donations à Parameçvara, divinité de la chapelle médiane de la rangée orientale de sanctuaires, et à Prithivindreçvara, dans la chapelle sud. Une autre stèle, datée du début du XIe siècle (1005), fait l’éloge du roi Jayavîravarman, qui régna de 1002 à 1010 et fut évincé par l’usurpateur Sûryavarman I. Le gopura est de troisième enceinte, aux trois quarts écroulé, a son porche à piliers de grès en bordure même de la piste d’arrivée. En latérite, avec fenêtres en grès à cinq gros balustres, il est de plan cruciforme, avec deux ailes formant passages secondaires ; couvert en tuiles, il devait être, à en juger par quelques éléments retrouvés dans les
178. Prah Kô, gardien, façade ouest de la tour-sanctuaire nord (alignement est). 179. Prah Kô, détail d’une fausse porte.
fouilles, à frontons triangulaires à grandes volutes terminales, correspondant aux deux versants de la toiture. Son porche arrière ouvrait sur une chaussée en latérite marquant l’axe de la large coupure du bassin-fossé et flanquée de deux galeries parallèles dont il ne reste que les assises de base. Une petite terrasse précédait le gopura de deuxième enceinte, d’un plan analogue au précédent mais moins étiré en largeur et se raccordant au mur de clôture en latérite, de 97 m sur 94 : il n’avait de fenêtres, à sept balustres, que vers l’extérieur, et l’on remarquera la belle marche « en accolade » de son porche oriental. La cour pourtournante de deuxième enceinte, plus large à l’est, était occupée de ce côté par deux salles longues symétriques, parallèles au mur, avec porches à piliers se faisant vis-à-vis, puis par deux autres perpendiculaires ouvrant à l’est sur une petite chaussée nord-sud. Deux bâtiments formant galeries, entièrement ruinés, s’allongeaient encore est-ouest contre les murs d’enceinte nord et sud, munis d’un porche sur leur grande face principale. Un bâtiment carré en brique enfin, à étage supérieur en retrait, en tous points comparable à ceux de Bakong, est resté debout entre les deux salles longues de la partie sud,
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Pages précédentes :
182. Prah Kô, fausse porte.
180. Prah Kô, lion crachant des rinceaux, stuc, pilastre, angle sud-est de la tour-sanctuaire sud (alignement est).
183. Prah Kô, devatâ.
181. Prah Kô, Surya, linteau, façade est, tour-sanctuaire nord-est (alignement est).
grâce à l’épaisseur considérable de ses murs : ouvrant à l’ouest par un porche, il est aéré par des rangées de trous et orné en haut de figures d’ascètes dégrossies dans la brique, tandis qu’en bas était ménagée toute une série de niches abritant d’autres personnages sculptés dans le mortier de revêtement. Du côté occidental, la cour, très étroite, était occupée par deux longues galeries nord-sud symétriques par rapport à l’axe du monument, marqué par un gopura en partie démoli. Le mur de première enceinte, de 58 m sur 56, était en brique, comme ses deux gopuras, simples bâtiments carrés à salle unique, avec colonnettes cylindriques et beaux linteaux ayant pour motif central Vishnou sur Garuda : le gopura oriental, plus important que l’autre et formant cella de 3,60 m de côté, abrite la stèle de fondation. Trois « Nandin » (taureaux sacrés), montures de Çiva, sont couchés face aux sanctuaires de l’est où le soubassement en grès mouluré, formant plateforme commune, est coupé par trois perrons dont les socles d’échiffre ornés de dvârapâlas et de devatâs sont garnis de lions trapus : un seul emmarchement axial existe sur la face ouest. Les tours sanctuaires en brique, disposées sur deux rangs, sont au nombre de six et d’importance inégale ; sur le front est, la tour médiane, en léger retrait, est prédominante ; tandis qu’en arrière, les trois prasats sont semblables mais moins développés que celui de l’angle nord-ouest de la plateforme qui est désaxé par rapport au sanctuaire correspondant de la première rangée, sans qu’on puisse en deviner la raison. Les six tours, ouvrant à l’est, sont à quatre étages fictifs en retrait devenus assez informes, et étaient revêtues d’un enduit en mortier à base de chaux, remarquablement sculpté et conservé par endroits – principalement à la tour d’angle nord-est – après onze siècles d’existence. Sur la face orientale, les encadrements de baies et motifs de fausses portes sont en grès, avec de splendides colonnettes octogonales qui sont incontestablement les plus belles de l’art khmer, et les mêmes panneaux à mascarons qu’à Bakong. Les cadres sont en quatre parties, assemblées d’onglet comme des pièces de bois, ce qui était encore préférable au système barbare de Bakong, où la porte était percée dans un monolithe. Les linteaux, également en grès, sont de même valeur qu’à Bakong et traités dans le même esprit, mais peut-être avec moins de variété. On remarquera plus spécialement ceux qui surmontent les portes des trois tours, avec leur décor rehaussé de petits cavaliers et de figurines montées sur nâgas,
et ceux, plus sobres mais à l’état de neuf, des fausses portes de la tour médiane, à garuda central tenant la branche, surmontés d’une charmante frise de petites têtes alignées. Les cellas carrées, de 3,40 m de côté et 3,70 m au sanctuaire principal, étaient réservées aux divinités masculines ; aussi les piles d’angle sont-elles ornées de robustes dvârapâlas sous arcature qui, contrairement à ce qui se passe à Bakong, sont en grès et encastrés dans le briquetage ; ils sont d’un style très particulier : celui de l’angle nord-est, face nord, de la tour médiane, a l’air particulièrement imbu de sa puissance, et l’on se sent très loin des graciles gardiens de Bantéay Srei. Les trois tours arrière, réservées aux divinités féminines et de 2,50 m seulement dans œuvre, ont été moins bien traitées : de proportions plus réduites, elles sont entièrement en brique, à l’exception des encadrements des portes et des devatâs des piles d’angle, remplaçant les dvârapâlas, et qui déjà annoncent celles du style Bakheng. Le décor est partout ailleurs ciselé dans l’enduit, même pour les colonnettes, fausses portes – dépourvues de mascarons – et linteaux : pour ces derniers, les motifs étaient d’abord ébauchés dans la brique. Comme à Bakong, plusieurs sculptures de qualité, tant du IXe siècle que du style du Bayon, ont été découvertes au cours des travaux : n’ont été laissés en place qu’un Çiva dans la tour d’angle sud-est et une divinité féminine sans tête dans la tour médiane arrière ; ces statues sont toutes deux de l’époque du monument. LOLEI Date : fin du IXe siècle (893) Roi constructeur : Yaçovarman (nom posthume : Paramaçivaloka) Culte : brahmanique (çivaïte) Le temple de Lolei se trouve implanté dans le prolongement de la piste de Bakong, à 500 mètres au nord de la route Nationale n° 6 : son chemin d’accès, se dirigeant vers le nord-ouest, prend donc sur la gauche de celle-ci en venant de Siemréap, peu après la borne kilométrique 13 et 400 m plus loin que la piste de Bakong. Le croisement est marqué par un panneau indicateur, et la distance à parcourir est de 600 m au travers des rizières, sur une digue généralement praticable aux autos mais dont les passerelles en bois sont souvent en mauvais état.
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Pages suivantes : 184. Lolei, tours-sanctuaires, vues du sud-est.
186. Lolei, devatâ. 187. Lolei, dvarâpala.
185. Lolei, tours-sanctuaires, alignement ouest.
Lolei, comparable comme situation au Mébôn du Baray oriental, formait une île au milieu de l’Indratatâka, grande pièce d’eau de 3 800 m de long sur 800 de large dont le creusement fut commencé, nous disent les inscriptions, cinq jours après le sacre d’Indravarman I, et qui était destinée à l’alimentation en eau de la capitale (Hariharâlaya) comme à l’irrigation des plaines environnantes. La stèle nous révèle que le temple de Lolei était dédié à Indravarmeçvara, en souvenir du père de Yaçovarman : elle constitue, d’après M. Cœdès, la charte de fondation d’une série d’ermitages identiques portant tous le nom de Yaçodharaçrama et construits par ordre du roi l’année même de son avènement. L’aspect du monument est gâté par la présence fâcheuse des diverses constructions d’une bonzerie au milieu desquelles les tours sanctuaires se trouvent encastrées. Les prêtres se sont livrés en outre à un certain nombre de remaniements et de démolitions, principalement dans l’agencement des terrasses, qui rendent peu lisible le dispositif initial. L’ensemble est constitué par deux gradins dont les murs de soutènement en latérite sont coupés par quatre perrons d’axe dont les socles d’échiffre étaient garnis de lions et flanqués de gargouilles évacuant les eaux de la terrasse supérieure. Le premier, d’une largeur totale de 9 m laisse à l’extérieur une berme pourtournante de 2 m limitée seulement par un cordon demi-cylindrique rappelant les corps de nâgas courant à même le sol. Le second, de 90 m est-ouest sur 80 nord-sud, a 2,40 m de hauteur, et sa berme, large de 2,40 m, est limitée par un tour d’enceinte qui, par suite d’opérations de remblai, est devenu mur de soutènement pour la plateforme. Celle-ci portait quatre tours en brique qui devaient reposer sur un soubassement commun, aujourd’hui enterré, et sont disposées sur deux rangs : celles de l’est sont plus importantes, bien qu’elles aient toutes quatre étages en retrait, et l’enduit de revêtement en mortier à base de chaux a presque totalement disparu. La mieux conservée est la tour d’angle nord-est, tandis que celle de l’angle sud-ouest a ses parties hautes écroulées. L’implantation des deux tours nord, axées sur les perrons est-ouest, permet de supposer que le plan initial comportait deux
alignements de trois tours comme à Prah Kô, deux d’entre elles étant restées à l’état de projet ou ayant été démolies, comme les bâtiments annexes s’il y en eut. Toutes les caractéristiques de Prah Kô se retrouvent à Lolei, sauf qu’en ce dernier temple, les portes sont percées, comme à Bakong, dans un monolithe. Les motifs des piles d’angle sont les mêmes – dvârapâlas à la rangée est, devatâs à l’ouest, abrités sous une arcature de palais et sculptés dans un bloc de grès encastré dans le briquetage : le style des devatâs se rapproche beaucoup de celui du Bakheng, presque contemporain ; celle de l’angle nordest, face est, de la tour nord-ouest est remarquablement conservée. Le décor des panneaux de fausses portes, aux multiples figurines, est déjà beaucoup plus menu qu’à Bakong et Prah Kô, et les mascarons ont disparu. Les linteaux valent ceux des deux autres temples, et présentent encore de belles qualités de composition, de facture et de verve, mais plusieurs sont détériorés ou manquants. On remarquera à la tour nord-est, au-dessus de la baie Indra sur éléphant, avec figurines mêlées au décor et branche à nâgas crachés par de petits makaras, puis, côté nord et sud (ce dernier très rongé) une divinité surmontant la tête de Kâla, avec le curieux motif que l’on retrouve à Baksei Chamkrong et au Mébôn oriental de la branche terminée par un Ganeça chevauchant sa trompe transformée en monture ; à la tour sud-est, porte orientale, Vishnou sur Garuda, avec branche à nâgas terminaux, et, au nord, divinité sur tête de Kâla, petits cavaliers et branche terminée par des makaras crachant des lions ; à la tour nord-ouest, le linteau est, à l’ornementation profondément fouillée, surmonté d’une frise minutieusement traitée. Les cellas, de plan carré, sont de grande dimension : respectivement 4,50 m de côté à la première rangée et 4 m à la seconde. Les portes ont leurs piédroits inscrits, et leurs colonnettes, du même type qu’à Prah Kô, se compliquent déjà par la multiplication des feuilles garnissant les nus. 1952 : découverte à Lolei d’un ancien Gopura ayant été enterré dans un remblai, et d’un lion d’échiffre en marche, position unique dans l’art khmer. 1966 : effondrement d’une partie du sanctuaire sud-est.
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PHNOM KROM (La montagne en aval) Date : fin du IXe-début du Xe siècle Roi constructeur : Yaçovarman I (nom posthume : Paramaçivaloka) Culte : brahmanique Travaux de dégagement par M. Glaize en 1938 Nous avons vu à propos du Phnom Bakheng que le roi Yaçovarman avait tenu à couronner d’un temple chacun des trois pitons qui, seuls dans la région d’Angkor, dominaient la plaine : c’étaient, outre le « Mont Central », le Phnom Krom, de 137 m de haut, à 16 km au sud-ouest à vol d’oiseau sur la rive du Tonlé Sap, et le Phnom Bok, à 14 km au nord-est, en pleine zone de rizières. Des trois monuments, celui du Phnom Krom reste le plus complet en silhouette, puisque seuls manquent à la tour centrale les deux étages supérieurs, et aux tours nord et sud le dernier : c’est aussi le plus menacé de destruction prochaine en raison des dommages subis, sous l’action des rafales venues du Grand Lac, par ses murs construits en un grès friable et spongieux ayant tendance au clivage. Aussi n’ont-ils gardé en parement que quelques bribes de décor. L’ascension du Phnom Krom ne s’imposerait peut-être pas par son seul intérêt archéologique mais l’agrément de la promenade est tel et le panorama du Grand Lac et de la plaine environnante si reposant et étendu que nous n’hésitons pas à la recommander, de préférence en fin de journée : c’est, avec celle du Baray occidental, une véritable détente après les fatigues inhérentes à la visite des ruines. Du sommet, si l’on fait abstraction de la présence assez fâcheuse d’une pagode plutôt misérable et de baraquements de la Marine de construction récente, collés
à l’angle sud-ouest du monument, la vue s’étend sans obstacle sur la totalité de l’horizon, embrassant à la période des hautes eaux des surfaces immenses de terres inondées ; vers le sud, les groupements de paillotes, facilement démontables, suivent la marche du flot, établis tantôt au pied de la colline, tantôt à l’extrémité de la route-digue pour former finalement un village lacustre à l’époque des grandes pêches. Le Phnom Krom est accessible en automobile en toute saison du marché de Siemréap ; la route longe pendant 7 km la rive droite du Stung, dont elle suit tous les méandres à l’ombre des cocotiers et des manguiers, en un paysage délicieux de fraîcheur, laissant de nombreuses échappées sur la rivière. Puis c’est sur 4 km la traversée d’une plaine désertique jusqu’à la pointe orientale de la colline, dont on contourne le flanc sud-est, laissant à gauche le chemin d’accès au Grand Lac : toute une série de lacets aux virages assez rudes vous élève enfin jusqu’au sommet. La montée peut également se faire à pied en empruntant, à l’embranchement des deux routes, un escalier qui forme raccourci. Le monument du Phnom Krom est enclos dans un carré d’une cinquantaine de mètres de côté marqué par un mur en latérite soigneusement construit et bien conservé : l’entrée se fait par l’est. Il était à berme extérieure, avec quatre gopuras de plan cruciforme complété par deux petites salles latérales et un porche sur cour : il n’en reste que quelques bases de murs en latérite et piliers de grès. Sur le flanc nord de la colline, le sol semble avoir été préparé pour recevoir un large escalier correspondant à deux « srahs » (étangs) situés dans la plaine, mais l’absence de toute trace d’emmarchement fait douter qu’il ait jamais été terminé. À l’intérieur, il ne subsiste des salles longues pourtournantes en latérite, formant galeries de repos et séparées du mur d’enceinte par un boyau d’un mètre, que les plateformes
Fig. 41. Phnom Krom.
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et assises de base et quelques pans de murs isolés : d’importance diverse, elles sont au nombre de quatre sur la face est et de deux sur les trois autres, variant en largeur de deux à trois mètres dans œuvre ; la symétrie n’a pas été observée à l’est de l’axe nord-sud. La toiture était en bois et tuiles et un fragment de mur montre des vestiges de fenêtres à cinq meneaux en latérite de section rectangulaire. Dans la partie orientale du préau intérieur, quatre bâtiments annexes sont placés de front, couplés de part et d’autre du passage axial et ouvrant à l’ouest. Demeurés debout mais très disloqués, ils font 3,10 m sur 3,50 m dans œuvre, surmontés d’un faux étage en retrait et d’une voûte en berceau terminée par deux pignons. Les deux extrêmes sont en brique, les deux autres en grès et sans décor, avec séries de trous d’aération en losange. Trois tours sanctuaires implantées sur un même axe nord-sud leur font vis-à-vis, présentées sur une plateforme commune ceinturée et dallée de grès avec blocage en latérite. Ce soubassement, mouluré mais non orné, est interrompu sur chaque grande face par trois perrons aux socles d’échiffre garnis de lions. Ces tours, sur plan carré à simple redent, sont d’importance inégale, avec cella de 4 m au centre et 3,40 m pour les deux autres. Écartées d’une dizaine de mètres d’axe en axe, elles sont à deux ouvertures (est et ouest), les seules faces nord et sud comportant des fausses portes. Chacune devait avoir quatre étages de superstructure en retrait, plus un motif de couronnement circulaire : la dominance de la tour médiane joue uniquement sur l’importance des frontons, très surbaissés aux tours latérales et presque carrés à l’autre. Parmi les rares vestiges de décor encore lisibles, nous signalerons l’ornementation touffue des soubassements, avec socles d’échiffre des perrons sculptés du même petit personnage dansant sous arcature que l’on trouve déjà
dans l’art de Rolûos ; les pilastres, traités avec minutie comme les panneaux de fausses portes en une superposition de figurines, de feuillages et d’entrelacs ; la mouluration de base et la corniche, mieux à l’échelle de l’architecture et de conception plus vigoureuse ; les bandes de rinceaux des piles d’angle et les niches à devatâs, celles-ci hiératiques et sereines, au visage légèrement tourné, la taille fine et haut placée, le torse nu avec longue jupe à petits plis verticaux comme au Bakheng : elles s’appuient d’une main sur la hampe d’une sorte de chasse-mouches, tandis que l’autre bras, allongé vers le bas, tient un lotus. Les tympans des frontons – première réalisation importante en grès après celle, plus architecturale que plastique, des édicules de base de la pyramide de Bakong – sont, par la timidité de l’exécution, de simples panneaux « en tapisserie » disposés en applique au-dessus des portes : c’est un semis confus de motifs accolés sans grande parenté ni dominante où l’on devine malgré l’usure de la pierre une divinité centrale juchée sur une hampe et flanquée de deux S de feuillage à grandes volutes, sur fond d’autres feuilles aux courbes capricieuses, frangées d’un rang de petites têtes. De nombreuses antéfixes et réductions d’édifices garnissaient les corniches des étages, dont le curieux motif des ballerines à large jupe-cloche plissée que l’on retrouve en petit dans l’ornementation murale du Bakheng et de Bantéay Srei. La « Trimûrti » de Çiva entre Vishnou (au nord) et Brahmâ (au sud), qu’abritaient les trois sanctuaires, a pu être restaurée en son véritable emplacement : d’un art très fruste, anguleuses et massives, ces statues, d’ailleurs brisées, sont déparées par la largeur disproportionnée des épaules et la lourdeur des jambes. En revanche, les piédestaux sont de toute beauté, principalement celui de la tour sud – socle-type de Brahmâ, d’emplacement rituel : de forme
Fig. 42. Phnom Krom, vue aérienne (EFEO).
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circulaire à décor de pétales de lotus et de « hamsas » (oies sacrées), couronné d’étamines, il contenait une pierre à dépôt sacré cylindrique à seize trous. Une « pierre des neuf planètes », délitée et très effacée, a été trouvée dans le bâtiment annexe en grès au nord et une statue colossale de dvârapâla de 3,20 m de haut, déterrée devant la face orientale de la plateforme aux trois tours : postérieure au monument, elle est de facture honorable et d’aspect imposant avec sa tête de râkshasa curieusement coiffée d’un diadème et d’un « mukuta » à étages avec couvre-nuque. L’état de décomposition de la pierre du monument a malheureusement rendu impossibles tous travaux de reprise et de restructuration. Les statues dégradées par les intempéries ont été transférées à la Conservation d’Angkor. PHNOM BOK (Le mont de la bosse du bœuf) Date : fin du IXe-début du Xe siècle Roi constructeur : Yaçovarman I (nom posthume : Paramaçivaloka) Culte : brahmanique Dégagement partiel par M. Glaize en 1939 Le Phnom Bok, colline escarpée de 235 m de haut, est le troisième piton de la région d’Angkor après le Phnom Bakheng et le Phnom Krom choisi par Yaçovarman pour y ériger ses temples de grès ; par cette occupation systématique des sommets malgré les difficultés de portage et de mise en œuvre de tonnes de pierre qu’il fallait hisser à bras d’hommes le long de leurs flancs abrupts, ce souverain novateur, tout en vouant la capitale au culte du Devarâja ou lingâ royal, plaçait la totalité de ses sujets – lacustres et ruraux – sous l’égide de la sainte « Trimûrti », Çiva, Vishnou et Brahmâ. C’est, dans l’histoire architectonique des Khmers, une véritable trilogie caractéristique d’une époque et d’une exceptionnelle unité. L’ascension du Phnom Bok ne doit être entreprise que par de bons marcheurs ne craignant pas l’escalade en plein soleil de ce roc pelé : il faut l’effectuer de grand matin et se faire accompagner par un guide connaissant bien le sentier de départ. Huit kilomètres de piste sablonneuse – celle de Bantéay Samrè qui, prenant sur le grand circuit entre Pré Rup et le Mébôn, à 14 km de Siemréap, se dirige vers l’est, traversant le village de Pradak et la digue orientale du Baray – vous permettent d’accéder en auto, à condition que la passerelle franchissant le Stung Rolûos soit en état, à la croisée du chemin qui, à gauche, mène à la pointe sud-est de la montagne. De là, un sentier, d’abord ombragé puis gravissant la pente méridionale rocailleuse et dénudée, vous conduit au sommet, découvrant peu
à peu des horizons sans limites que barre seulement au nord la longue ligne du Phnom Kulên : la beauté du paysage vous récompense alors de toutes vos peines. Le monument du Phnom Bok, temple frère de celui du Phnom Krom, est comme lui non daté, nulle inscription n’y ayant été retrouvée : néanmoins leurs différences sont si minimes qu’ils n’ont pu être conçus que par un même cerveau, bâtis sur un plan commun, sculptés par la même équipe d’artistes, et, à quelques années près, de l’âge du Bakheng dont les motifs sont identiques. Les divers bâtiments, dont la disposition est exactement la même qu’au Phnom Krom, avec cette seule différence que les trois tours sanctuaires sont ici d’importance égale, ont été trouvés après débroussaillement extrêmement ruinés et tronqués de leurs étages supérieurs. Toutefois, l’enlèvement des éboulis – achevé à l’est et commencé à l’ouest – a fourni des indications précises sur la nature du décor mural, d’excellente facture et beaucoup mieux conservé, les pierres n’étant pas ici désagrégées par les intempéries. Plusieurs frontons, tous à peu près semblables, ont été reconstitués au sol : quoique mutilés, ils donnent enfin une idée très nette de ces tympans à décor ornemental à fleur de pierre qui caractérisent l’art de Yaçovarman. De proportion presque carrée et de composition assez confuse, mais puissamment calés par les énormes makaras qui terminent l’arc d’encadrement, ces frontons sont à culot central avec personnage, que flanquent de grandes volutes flammées rehaussées de figurines et frangées de petites têtes de divinités en nombre variable. Il est à remarquer que le décor mural des tours nord et sud est resté inachevé. Partout on retrouve les mêmes éléments qu’au Bakheng et au Phnom Krom, avec quelques variantes de détail : c’est ainsi que le visage des devatâs est ici complètement de face et que l’encadrement des niches est plus étriqué ; la complexité des linteaux, de composition banale et mièvre, contraste avec la belle simplicité des colonnettes octogonales à quatre grands nus. Des quatre bâtiments annexes, les deux extrêmes, en brique, sont écroulés, tandis que les deux autres, en grès, sont beaucoup mieux conservés qu’au Phnom Krom. Les galeries en latérite ne sont plus guère visibles que par leurs assises de base, mais le mur d’enceinte est intact. Outre les réductions d’édifices et antéfixes habituelles aux monuments de cette époque, les fouilles ont mis au jour : dans la tour nord, un piédestal brisé à grande gorge avec lingâ, d’un type classé généralement dans la période préangkorienne ; au pied du sanctuaire central, des fragments importants d’une fort belle statue de Vishnou à la personnalité très affirmée, qui paraît postérieure au monument et aux trois têtes des dieux de la « Trimûrti » emportées par la mission Delaporte en 1873 et actuellement à Paris au musée Guimet ; le grand piédestal circulaire qui portait la statue de Brahmâ dans la tour sud, analogue à celui du Phnom Krom.
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À une soixantaine de mètres à l’est du temple, devant lequel a été édifié un pauvre bâtiment de pagode, se trouve creusée une profonde fosse rectangulaire en brique de 12 m sur 8, avec escalier sur sa face orientale : elle devait servir autrefois de citerne. À 150 m à l’ouest, une haute plateforme en latérite, formant un carré d’une dizaine de mètres de côté, portait un énorme lingâ monolithe en grès de 4 m de haut et 1,20 m de diamètre, aujourd’hui renversé et brisé : on reste songeur devant l’effort qu’a pu représenter le transport de cette pièce unique, dont le poids devait dépasser dix tonnes. BARAY OCCIDENTAL Sortant de Siemréap par la route Coloniale 1 bis en direction de Sisophon, c’est-à-dire vers le nord-ouest, on trouve à 12 km un embranchement dont le chemin de droite, se dirigeant vers le nord, vous conduit en 500 m à l’angle sud-ouest du Baray occidental : la vue d’arrivée sur cet immense lac artificiel est splendide, principalement en fin de journée. Le plan d’eau est partout limité par une levée de terre formant digue, garnie de grands arbres, avec pour fond la forêt d’Angkor, sur laquelle se détachent les frondaisons du Mébôn occidental au centre et du Phnom Bakheng à droite ; au-delà, c’est le piton du Phnom Bok faisant silhouette devant la ligne de collines du Phnom Kulên qui barre l’horizon. Au coucher du soleil, le tout se colore de tonalités très douces de pastel. Les travaux d’hydraulique agricole entrepris dans la région, faisant remonter chaque année le plan d’eau du Baray, ont malheureusement noyé les manguiers centenaires qui ombrageaient les bancs disposés au pied de la sala en bois, aménagée en cabines pour les amateurs de natation, et qui devra nécessairement être transférée en un site plus élevé dans un avenir prochain. L’eau du lac est très claire, et le fond de sable en pente douce permet de se baigner dans des conditions fort agréables : il importe cependant de se méfier des herbes qui apparaissent en certaines saisons à quelque distance de la rive. Le Baray formait un vaste rectangle de 8 km sur 2 : au stade actuel de remise en eau, seule la moitié occidentale demeure couverte avec, par endroits, des fonds de 4 à 5 m, le surplus étant à l’état de rizières. Tributaire jusqu’alors, semble-t-il, des seules eaux de ruissellement, il est alimenté depuis la construction d’un barrage établi sur le stung Siemréap non loin du temple de Ta Nei par un système de canaux empruntant la douve nord et une partie de la douve ouest d’Angkor Thom. À en juger par le petit temple du Mébôn qui en marque le centre – de même style que le Baphûon –, le Baray dut être creusé au XIe siècle, sa digue orientale correspondant à la limite ouest de « Yaçodharapura », le premier Angkor centré sur le Phnom Bakheng. C’est, à l’ouest d’Angkor Thom, la réplique du Baray oriental, de dimensions
analogues, creusé à l’est de la capitale vers la fin du IXe siècle sous le règne de Yaçovarman. Des traces d’anciennes chaussées et des vestiges de constructions – bases de murs et piédroits de baies, dallages en brique, débris de tuiles et poteries, bijoux de cuivre – retrouvés à l’intérieur du Baray, prouvent que la région devait être habitée avant l’aménagement du plan d’eau. Une stèle du VIIIe siècle (713) a été mise au jour, délimitant des rizières offertes à une certaine reine Jayadeva, qui paraît être une fille de Jayavarman I. La découverte de quelques pièces sculptées – piédestaux, grande statue de dvârapâla très corrodée, colonnette ronde d’art primitif et de dimensions exceptionnelles – montre même qu’un sanctuaire important au moins a été noyé, qui devait appartenir à la « ville du Baray » de Jayavarman II (IXe siècle) dont parle Ph. Stern. Certains pensent que le Baray occidental, communiquant peut-être avec le Grand Lac par un canal, a pu servir de port aux jonques royales en sus de ses fonctions d’immense réservoir et de vivier. C’est aujourd’hui un excellent point d’amerrissage pour les hydravions. PRASAT AK YOM Prononcer : Ak Youme Date : VIIe au IXe siècle Culte : brahmanique Dégagement par G. Trouvé de 1932 à 1935 Les vestiges du Prasat Ak Yom se trouvent au bord sud du Baray occidental, à environ un kilomètre à l’est de l’angle sud-ouest de celui-ci, où est la « sala ». On ne peut y accéder qu’en sampan depuis l’exhaussement du plan d’eau et à condition que l’emplacement même du monument soit débroussaillé. D’un intérêt médiocre au point de vue touristique, ces ruines, d’ailleurs incomplètement dégagées, sont d’une grande importance archéologique : ce sont en effet les plus anciennes de la région, bien antérieures au premier Angkor. Les travaux de déblaiement ont demandé de gros efforts en raison du cube de terre à enlever : il a fallu faire sauter à la dynamite la digue du Baray sous laquelle les sanctuaires étaient enfouis. Commencé sans doute au VIIe siècle et n’ayant pris son aspect définitif qu’au début du IXe à la suite de remaniements que confirme la présence de nombreuses pierres de réemploi, Ak Yom a dû être en partie enterré lors de l’établissement de la chaussée axiale ouest du premier Angkor (ville du Bakheng), puis disparaître totalement au XIe siècle sous l’apport de terre représenté par la digue méridionale du Baray au moment de l’aménagement de ce plan d’eau. Des inscriptions relevées sur des piédroits de baies et sur une « pierre des neufs divinités » donnent
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respectivement les dates de 609, 704 et 1001 et révèlent que le temple fut dédié au dieu Gambhîreçvara. Sans être encore une véritable pyramide à gradins comme les « temples montagnes » liés au culte du « Devarâja » ou lingâ royal, Ak Yom, avec son étagement à trois niveaux, dont le premier est marqué par un simple mur de brique enfermant un remblai de terre, montre déjà bien des analogies avec ce type de monument. On peut supposer qu’il fut le centre de cette « ville du Baray » qu’a étudiée Ph. Stern et dont il situe la construction entre le départ du roi Jayavarman II du Phnom Kulên et l’avènement d’Indravarman en 877 : plusieurs autres vestiges très nets d’art préangkorien ont été trouvés dans la région environnante. La totalité du monument est en brique, avec seulement l’entourage des baies des sanctuaires en grès. Sur la plateforme de base d’une centaine de mètres de côté, les deux gradins supérieurs étaient dallés de brique, avec murs de soutènement ornés de motifs saillants en applique rappelant les éléments de base des tours. Le deuxième gradin portait quatre sanctuaires d’angle et deux autres intermédiaires sur chaque face, soit un total de douze, et le troisième, un sanctuaire unique très surélevé. Des sondages ont prouvé que ledit sanctuaire, primitivement ouvert à l’est avec trois fausses portes et de même style que la pyramide et les sanctuaires secondaires, devait être couvert à l’origine au moyen d’une charpente en bois dont les poteaux de soutien se logeaient dans des cavités encore visibles dans les murs : ceux-ci furent enrobés par la suite dans une maçonnerie plus épaisse capable de porter une voûte en briques encorbellées, et percés de baies ouvrant aux quatre points cardinaux. La cella carrée, de 5,50 m de côté, contenait un grand piédestal de 2,75 m à pilastres qui portait sans doute un lingâ. Au-dessous un puits aboutissait à une salle souterraine dallée à 12,25 m de profondeur au niveau de la plaine : formant un carré de 2,70 m de côté, elle était voûtée en brique et devait enfermer quelque dépôt sacré. C’est l’existence de ce puits qui, après avoir conduit G. Trouvé à effectuer des recherches analogues au Bayon et à Angkor Vat, lui a permis de mettre au jour le dépôt de fondation de ce dernier temple et le Grand Bouddha qui, dans l’autre, présidait aux destinées du royaume. L’ornementation d’Ak Yom constitue un précieux document d’art primitif : les linteaux, souvent en réemploi, sont de faible hauteur et d’une composition assez simpliste ; ils sont tantôt à médaillons et pendeloques, tantôt à branche et crosses terminales avec envahissement de feuillage. Les colonnettes sont à fût cylindrique au décor relativement chargé, avec perles et feuilles sur les bagues. Des devatâs
hanchées sculptées dans la brique sont encore visibles, notamment au sanctuaire d’angle sud-est, où se trouve également (face est) une remarquable fausse porte : sur les panneaux, de petits lions dans des médaillons circulaires se détachent sur une bande de feuillages aux motifs en croix. MÉBÔN OCCIDENTAL Prononcer : Mébaune Date : seconde moitié du XIe siècle Culte : brahmanique Dégagement et anastylose partielle par M. Glaize de 1942 à 1944 Comme le Prasat Ak Yom, le Mébôn, qui formait un îlot au milieu du Baray occidental, n’est plus accessible qu’en sampan depuis que l’on a relevé le plan d’eau : il est nécessaire pour le visiter de se faire accompagner par un guide5. De l’entrée ouest d’Angkor Vat, on peut, en 4 km de piste rectiligne située dans l’axe même du temple, gagner en automobile le champ d’aviation, puis, traversant celui-ci en direction nord-ouest, atteindre au bout de 1 500 m la digue sud du Baray, aux abords du village de Svay Romiet, où se trouve une pagode, et qui servira de point d’embarquement : le bouquet de grands arbres abritant le monument se trouve à 1 500 m de là. Le Mébôn, qui rappelle en certains points le charmant ensemble de Néak Péan construit un siècle plus tard au milieu du Baray de Prah Khan, était constitué par une levée de terre enfermant un carré d’une centaine de mètres de côté, creusé en bassin parementé de gradins de grès. Le centre est marqué par une plateforme également en grès d’une dizaine de mètres de côté reliée par une chaussée en latérite et grès à la digue orientale ; quelques fragments de nâgas balustrades sur dés ont été retrouvés. La digue pourtournante portait sur chaque face trois petits pavillons d’entrée à deux portes opposées, tout en grès, écartés d’environ 25 m et formant tour à un seul étage en retrait avec gros couronnement de lotus à huit pétales. Malheureusement très délabrés, ils ne forment plus que des tas d’éboulis à l’exception des tours orientales centre et sud qui, croulantes et fortement déversées, ont fait l’objet de travaux de déblaiement et de reprise, et de quelques pans de murs encore debout sur les faces sud (tour médiane), nord (tours médiane et orientale) et est (tour nord). Chaque pavillon, de plan carré, faisait 2,40 m hors œuvre et 1,28 m à l’intérieur. Le style est nettement celui
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Fig. 43. Mébôn occidental.
Pages suivantes : 188. Vishnou couché, bronze, début de la seconde moitié du XIe siècle, Mébôn oriental (Musée national, Phnom Penh).
du Baphûon, avec ses nâgas d’encadrement de frontons au corps lisse et bombé, le décor végétal mêlé de petits animaux des tympans, les pilastres à hampe en « arête de poisson », les bandes verticales des piles d’angle faites tantôt de rinceaux, tantôt de petits animaux disposés par panneaux. Les frontons les mieux conservés sont celui de la face nord (tour orientale), purement ornemental, avec motif à hampes superposées et grandes volutes ; le dessin du linteau de la tour médiane (face est) de la digue orientale, où trois personnages enlacent la branche au centre et aux quarts, est remarquable de souplesse. Les assemblages des cadres de portes étaient partie d’onglet et quelques fragments de colonnettes montrent qu’elles étaient d’un type très rarement employé, à sortes de cannelures verticales. Les tours étaient reliées entre elles par un mur de clôture en grès percé de nombreuses petites baies montant jusqu’à la corniche moulurée et ornée ; le chaperon était curieusement traité en imitation de voûte de galerie avec bande de rive à pétales de lotus. La quasi-totalité de ce mur est renversée, et sa ruine paraît due principalement à l’association malheureuse – fréquente au XIe siècle – de la pierre et du bois par l’emploi de poutres en doublure. La plateforme située au centre du bassin devait porter quelque édifice en maçonnerie ou matériaux légers dont il ne reste aucune trace. Les fouilles effectuées ont décelé la présence d’un puits de section d’abord octogonale de 0,55 m
de côté, puis circulaire d’un mètre de diamètre, au fond dallé de grès à 2,70 m de profondeur et très soigneusement appareillé avec joints rayonnants : une partie du parement avait été arrachée, agrandissant la cavité où fut retrouvée en 1936, sur les indications d’un indigène à qui le Bouddha était apparu en rêve, un fragment important (tête et partie du torse) d’une gigantesque statue de bronze. Celle-ci, qui se trouve au Dépôt de sculptures de la Conservation d’Angkor, est une œuvre unique dans l’art khmer par ses dimensions : représentant un Vishnou couché à quatre bras, autrefois doré et incrusté de pierres précieuses, dont la longueur totale devait dépasser 4 m, elle paraît être de l’époque du monument. C’était là sans doute le « Bouddha couché en bronze, dont le nombril laisse constamment couler de l’eau » que Tcheou Ta-Kouan place, peut-être par erreur, au milieu du « Lac Oriental » et qui paraît pouvoir se rapporter plus aisément au Mébôn occidental qu’à l’autre Mébôn. Immédiatement derrière le puits vers l’est se trouvait une fosse carrée parementée de grès de 2 m de côté. La légende veut qu’en ce lieu, une jeune princesse, fille d’un souverain d’Angkor, ait été happée par un énorme crocodile qui, après son forfait, s’échappa en faisant dans la digue sud du Baray une large trouée que l’on voit encore aujourd’hui à l’ouest du village de Svay Romiet : rejointe et mise à mort, la bête portait en son ventre sa victime toujours vivante.
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Fig. 44. Beng Méaléa.
BENG MÉALÉA (L’étang de Méaléa) Date : fin XIe-première moitié du XIIe siècle Culte : brahmanique Travaux de recherche par J. de Mecquenem en 1913 L’excursion de Beng Méaléa, qui à elle seule demande une journée entière, peut se combiner avec une partie de chasse, la région étant riche en petit et gros gibier et même en fauves : tigres, panthères et éléphants, troupeaux de bœufs et buffles sauvages peuplent la forêt jusqu’au Prah Khan de Kompong Svay à l’est. La piste de Beng Méaléa prend à droite sur le Grand Circuit entre le Prasat Kravan et le Srah Srang, peu après la borne 12 ; empruntant pendant 28 km une ancienne chaussée khmère (un pont à nâgas est encore visible au kilomètre 16), elle rejoint la piste venant de Damdék, qui se dirige ensuite vers le nord, puis vers l’est, traversant le village de Tuk Lich pour aboutir vers l’angle sud-ouest du monument. Le trajet total sur piste, assez pénible et possible uniquement en saison sèche, est de 40 km, demandant environ deux heures d’auto. Les amateurs de brousse peuvent d’ailleurs continuer sur Kompong Thom en passant par le temple de Prah Khan (de Kompong Svay), à condition de camper en ce dernier point.
Nous conseillons d’effectuer la visite de Beng Méaléa en suivant le trajet indiqué en pointillé sur le plan schématique que nous en donnons et qui permettra d’avoir un aperçu des parties les plus intéressantes sans éprouver trop de difficultés. L’entrée se fait par la chaussée ouest, qui prend sur la piste de Koh Ker et où l’on remarquera quelques vestiges de balustrades à nâgas sur dés moulurés dont les motifs terminaux, de toute beauté, sont d’une pureté de lignes rarement atteinte aux diverses périodes de l’art khmer avec leur haute crête continue à légers ressauts, dont le décor « en broderie », très stylisé, est d’une extrême légèreté. Beng Méaléa, l’un des plus grands ensembles de la région d’Angkor puisqu’il couvre à l’intérieur de ses bassinsfossés de 45 m de largeur et 4,2 km de tour une superficie de 108 hectares, est comparable aux temples les plus imposants de la capitale. De caractère nettement architectural, il vaut surtout par la franchise de son parti, l’équilibre harmonieux de la composition et l’effet monumental qui se dégage de ses grandes surfaces nues. Celles-ci, sobrement ornées, s’animent seulement en quelques points choisis qui se trouvent par là même remarquablement mis en valeur : soubassements, bases et chapiteaux, corniches soulignées par une frise à motif unique, tympans des frontons et devatâs sont les seuls éléments d’une ornementation qui partout reste discrète et s’affirme d’excellente qualité.
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Bien que non daté comme la plupart des temples de cette époque, Beng Méaléa, par son style, est postérieur au Baphûon et très proche d’Angkor Vat : c’est en somme le prototype de plain-pied de la formule d’édifice qui, combinée avec le principe d’étagement, devait atteindre son apogée en ce dernier monument. Malheureusement, son état de ruine est tel qu’on peut difficilement l’attribuer aux seules causes de destruction naturelle : quoique d’une construction soignée, il se présente en effet par endroits sous l’aspect d’un véritable chaos d’éboulis à côté de parties absolument intactes, tandis que partout la végétation règne en maîtresse. L’enceinte extérieure correspondant aux douves devait être faite de palplanches. Quatre chaussées axiales, partant des digues ornées de colonnettes traversant le fossé, menaient aux terrasses en croix, également à colonnettes, précédant les gopuras de troisième enceinte : ces longues avenues étaient dallées, avec emmarchements latéraux et balustrades à nâgas. Du côté est, un peu comme au Prah Khan d’Angkor, la chaussée d’abord encadrée de bassins dont l’un, parementé de grès, est toujours en eau, se prolongeait au-delà de l’enceinte extérieure jusqu’à une vaste dépression, sans doute un ancien « Baray » ; celui-ci était dominé par une large terrasse en latérite à trois penons sur les faces est et ouest, précédée de bornes décoratives et surmontée d’une plateforme en grès à courettes intérieures qui, comme au Srah Srang, devait porter un pavillon en matériaux légers. Le temple proprement dit se composait de trois enceintes de galeries à quatre gopuras : la troisième en partant du centre, de 152 m nord-sud pour 181 m est-ouest, avait une grande tour sur chaque axe et aux angles, celle du gopura oriental étant flanquée de deux autres plus petites correspondant aux entrées secondaires. Les enceintes suivantes, concentriques et fortement décalées vers l’ouest pour réaménager du côté est l’emplacement de deux « bibliothèques » et d’un grand préau en croix comme à Angkor Vat, ne comportaient aucune tour. La première enceinte enfin formait à elle seule un temple complet selon la distribution commune à Bantéay Samrè et Chau Say Tevoda, à peu près contemporains : quatre gopuras et pavillons d’angle, deux « bibliothèques », sanctuaire central (complètement écroulé) précédé à l’est d’une salle longue. Au sud, entre les enceintes II et III et de part et d’autre d’une galerie de jonction nord-sud axée sur le sanctuaire
central, étaient édifiés deux ensembles annexes : du côté est, préau en croix à quatre courettes et galeries pourtournantes qui, en partie intactes avec leurs voûtes et bas-côtés en ogive surhaussée, sont particulièrement élégantes de proportion ; du côté ouest, dispositif analogue mais moins développé, à salle centrale et deux courettes. M. de Mecquenem voit en celui-ci un local réservé aux danses sacrées ou aux « lectures à haute voix avec ou sans accompagnement de musique », et dans l’autre, où il a trouvé des traces de caniveaux et des débris de jarres, des salles d’ablutions rituelles. C’est à Beng Méaléa qu’apparaissent pour la première fois les galeries dont les voûtes reposent d’une part sur un mur de fond, de l’autre sur des rangées de piliers : disposition particulièrement propice à l’exécution de bas-reliefs dans les meilleures conditions d’éclairage et de présentation, comme à Angkor Vat et au Bayon. Ici cependant, les parois n’ont pas été sculptées, et l’iconographie se résume aux diverses scènes, pour la plupart vishnouïtes, figurées sur les frontons ou à la base des pilastres selon une coutume constante au XIIe siècle. On reconnaît notamment la « Naissance de Brahmâ » sur un lotus sortant du nombril de Vishnou couché sur le serpent ; le « Barattement de l’Océan » ; « Krishna soulevant le mont Govardhana » pour abriter les bergers et leurs troupeaux de l’orage ; la « Lutte de Krishna contre l’asura Bâna », où le dieu est monté sur garuda et son adversaire sur un char attelé de lions ; quelques épisodes du Râmâyana (bataille de Lankâ), dont l’« Ordalie de Sîtâ », bien conservée et disposée sur trois registres ; « Çiva dansant » entre Brahmâ et Ganeça à sa droite et Vishnou à sa gauche. Sur les linteaux sont représentées les divinités habituelles : Indra sur éléphant tricéphale, Vishnou sur Garuda, Lakshmî entre deux éléphants dont les trompes levées tiennent cette fois non plus des aiguières mais des lotus, Çiva dansant entre Ganeça et Pârvati. Les devatâs ont encore la longue jupe plissée avec chute d’étoffe sur le devant, retenue à la taille par une ceinture à pendeloques, et la coiffure à disque unique et une seule pointe qui annonce celles beaucoup plus complexes d’Angkor Vat. Nous signalerons pour finir que, si l’on veut se rendre à la chaussée est et à la grande terrasse qui se trouve à son extrémité, on peut, par un sentier, contourner la troisième enceinte du monument par le sud.
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NOTES
LES RELIGIONS Nous ne saurions trop conseiller la lecture du Râmâyana. Nous voudrions ici donner une idée de tout le charme qui s’en dégage par ce court extrait de la « Légende de Râma et Sîtâ » présentée par Gaston Courtillier (éditions Bossard, Paris, 1927). Sitâ supplie son époux de l’emmener dans la forêt : « Si tu pars aujourd’hui pour la forêt impénétrable, ô fils de Raghu, devant toi je marcherai foulant les plantes épineuses… Emmène-moi, héros, sans hésiter, il n’y a pas de mal pour moi. Au faîte du palais, sur les chars, à travers les airs, où qu’elle aille, l’ombre des pieds d’un mari passe avant tout. J’ai été instruite par ma mère, par mon père, de tous ces cas. Je n’ai pas besoin qu’on me dise maintenant comment j’ai à me conduire. Oui, j’irai dans la forêt inaccessible, vide d’hommes, pleine de bandes d’animaux variés, l’asile de bandes de tigres. J’habiterai avec bonheur dans la forêt, tout comme dans la demeure de mon père, ne me souciant plus des trois mondes, ne me souciant que de vivre avec mon époux. Toujours obéissante à ta voix, ascétique, soumise, je trouverai ma satisfaction avec toi, héros, dans les bois aux doux parfums. Tu es en effet capable, ô Râma, de me défendre contre tout dans la forêt ; qu’ai-je affaire ici du reste du monde, ô donneur de gloire ? Oui, je marcherai avec toi vers la forêt aujourd’hui, pas de doute ; je ne puis en être détournée, puissant prince, me voici prête. De fruits et de racines je ferai sans cesse ma nourriture, pas de doute ; je ne te procurerai pas de peine demeurant toujours avec toi. Je marcherai devant toi,
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je mangerai quand tu auras mangé. Je désire extrêmement voir rochers, étangs, cours d’eau, partout sans crainte, sous ta prudente protection. Et les étangs de lotus, remplis de flamants et de canards : si bien fleuris, comme je serai heureuse de les voir avec toi, mon héros, en ta compagnie ! C’est là que je ferai mes ablutions, toujours fidèle à mes vœux. C’est avec toi, ô mes longs yeux, que j’aurai du plaisir au comble de la joie ; même pendant cent fois mille années avec toi, je ne connaîtrai pas l’ennui, car même le ciel n’occupera plus ma pensée et même s’il me fallait rester au ciel sans toi, ô Râghava, sans toi, tigre des hommes, je ne m’y plairais pas ! Je m’en irai dans la forêt aux passes difficiles, peuplée de gazelles, de singes, d’éléphants. Je résiderai dans la forêt comme dans la maison de mon père, blottie à tes pieds, respectueuse. Mes sentiments n’ayant pas d’autre objet, mon cœur étant attaché à toi, si je suis séparée de toi, il me faut penser à mourir ; allons, emmènemoi, accueille ma demande : je ne te serai pas à charge par là. » Les éditions A. Maisonneuve ont réimprimé la traduction intégrale du texte du Râmâyana de Valmiki en trois volumes, Paris, 1979.
L’ORNEMENTATION 2 La tête de Kâla est aussi appelée « Tête de Râhu », démon des éclipses. La légende de Râhu est liée au Barattement de la Mer de lait ; le monstre en effet, voleur de l’amrita, liqueur d’immortalité, est dénoncé par le Soleil et la Lune à Vishnou qui, d’un jet de son disque,
lui sectionne le corps en deux ; depuis, chaque tronçon, demeurant immortel, s’efforce, pour se venger, de dévorer le Soleil et la Lune chaque fois que l’un de ces astres passe à sa portée. 3 Pour ce chapitre et le suivant, inspirés directement des études minutieuses de M. Philippe Stern et de Mme de Coral-Rémusat sur l’évolution des thèmes d’ornementation, nous prions le lecteur désireux d’approfondir la question de bien vouloir se reporter à l’excellent ouvrage, abondamment illustré, de Mme de CoralRémusat : L’Art khmer, publié par les Éditions d’Art et d’Histoire, Paris, 1940.
ANGKOR THOM 4 M. Cœdès verrait volontiers dans l’addition des quatre angles de galeries masquant le dispositif en croix une préoccupation analogue à celle qui a fait bloquer au Baphûon par un soubassement rectangulaire le tracé en croix initial : le constructeur aurait voulu souligner par là sous une forme symbolique le caractère de mont cosmique du Bayon, assimilé au Mont Meru qui, dans la cosmologie indienne, se continue sous le sol d’une quantité égale à celle de la partie en élévation.
LES MONUMENTS HORS CIRCUIT 5 Information périmée. Se renseigner sur les points d’accès.
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PRÉFACE DES PRÉCÉDENTES ÉDITIONS DU GUIDE DE MAURICE GLAIZE
Extrait de la préface de la 1re édition (1944) Mon excellent collaborateur Maurice Glaize m’ayant demandé de présenter son livre au public, je le fais d’autant plus volontiers que ce volume, outre son intérêt pour les touristes en quête d’un guide exact et pratique, a le mérite de combler une lacune dans la littérature, déjà copieuse, suscitée par les ruines d’Angkor. Que de fois ne m’a-t-on pas demandé : « Que faut-il lire comme préparation à la visite d’Angkor ? » Le Guide de Maurice Glaize dont plus du quart est consacré à des notions préliminaires sur l’histoire du pays, ses religions, le sens et la destination des monuments, leur architecture et leur ornementation, la sculpture, et finalement sur l’œuvre de la Conservation d’Angkor, ce volume constitue l’initiation à la visite d’Angkor qui manquait jusqu’ici. Par ailleurs, le Guide proprement dit se recommande par ses qualités exceptionnelles. À force de démonter et de remonter les monuments pour en faire l’anastylose, M. Glaize a appris à connaître tous leurs secrets et, comme un professeur d’anatomie, révèle à ses lecteurs tous les détails de leur structure. Mais de plus, au contact quotidien des ruines depuis 1936, il a appris à les aimer, et ses descriptions laissent volontiers percer l’émotion de l’artiste en face d’un coin de galerie éclairé par le soleil du matin, ou à la vue des jeux de la lumière du couchant sur les eaux d’un bassin. Le visiteur, désireux de pénétrer plus avant le secret des monuments et leur histoire, trouvera, aux questions qu’il sera amené à se poser, des réponses exactes et précises. Je puis en cela me porter garant que M. Glaize a lu tout ce qui a été écrit par les épigraphistes et les historiens de l’art khmer au sujet de leurs recherches. Il a su extraire de ses lectures techniques les données essentielles, et les présenter à ses lecteurs sous une forme parfaitement assimilable. Sur ce point, il a fait preuve d’un véritable talent de vulgarisateur, résumant dans un style alerte et vivant des faits épars dans des publications scientifiques. En bref, ce volume est un livre aussi utile comme guide à travers les monuments que précieux comme mise au point et présentation au grand public des résultats des plus récentes recherches. À ces divers titres, il mérite un franc succès que je lui souhaite de tout cœur. George Cœdès Préface de la 4e édition (1993) Publié en 1944 à Saigon, réédité en 1948 et, à Paris en 1963, l’ouvrage de Maurice Glaize, Les Monuments du Groupe d’Angkor, demeure le Guide le plus complet et le plus directement accessible à un très large public, consacré à l’un des ensembles architecturaux les plus prestigieux du monde. Dans sa préface de la première édition, le maître incontesté des études khmères, George Cœdès (1886-1969), alors directeur de l’École française d’Extrême-Orient, écrivait :
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« Le Guide de Maurice Glaize dont plus du quart est consacré à des notions préliminaires sur l’histoire du pays, ses religions, le sens et la destination des monuments, leur architecture et leur ornementation, la sculpture, et finalement sur l’œuvre de la Conservation d’Angkor, constitue l’initiation à la visite d’Angkor qui manquait jusqu’ici… Le guide proprement dit se recommande par ses qualités exceptionnelles. À force de démonter et de remonter les monuments pour en faire l’anastylose, M. Glaize a appris à connaître tous les secrets et, comme un professeur d’anatomie, révèle à ses lecteurs tous les détails de leur structure. Mais de plus, au contact quotidien des ruines depuis 1936, il a appris à les aimer, et ses descriptions laissent percer volontiers l’émotion de l’artiste… En bref, ce volume est un livre aussi utile comme guide à travers les monuments que précieux comme mise au point et présentation au grand public des résultats des plus récentes recherches. À ces divers titres, il mérite un franc succès que je lui souhaite de tout cœur. » Fondé sur une connaissance exceptionnelle des monuments et la qualité d’une vulgarisation de haut niveau, ce légitime succès ne s’est jamais démenti : l’ouvrage de M. Glaize n’est pas moins précieux pour les chercheurs que pour les touristes ou les amateurs d’art les plus exigeants. Si l’on excepte Georges Trouvé, trop tôt disparu, nul n’a mieux connu, « senti » les monuments de la région d’Angkor qu’Henri Marchal et Maurice Glaize. Nul ne les a non plus servis et protégés avec plus de constante abnégation. Mais si H. Marchal a, le premier, recouru à l’anastylose à partir de 1931, pour la reconstruction exemplaire de Bantéay Srei, c’est à M. Glaize qu’il appartint de la généraliser dans le « Groupe d’Angkor ». Nous nous contenterons d’évoquer ici la « renaissance » de Bantéay Samrè ou du sanctuaire de Néak Péan et la « résurrection » de celui de Bakong. Cependant, il n’était plus possible de se contenter de donner d’un ouvrage écrit voilà quelque cinquante ans une simple réédition. En tous domaines trop d’événements sont intervenus, imposant de nécessaires mises à jour. Dans le respect de la pensée de l’Auteur, les responsables les ont voulues le plus discrètes possible. Ces contraintes résultent autant de changements politiques ou d’événements douloureux survenus au cours de toutes ces années que de faits plus directement liés aux monuments eux-mêmes. D’une part, c’était la brusque et rapide aggravation, depuis 1945, de l’état de temples aussi réputés que le Baphûon et Angkor Vat, symbole le plus achevé du « classicisme » khmer. Par contre, vers 1955, la possibilité de recourir à des moyens matériels et des techniques modernes permettait d’accroître l’efficacité de la Conservation qui passait de l’ère des maîtres d’œuvre à celle des bureaux d’étude, des ingénieurs et des techniciens. Sous la direction de B.-Ph. Groslier, des programmes plus ambitieux étaient envisagés et des grands chantiers urgents, naguère inimaginables, pouvaient s’ouvrir. La brutale détérioration de la situation politique en 1975 et l’insécurité devaient ruiner ces espoirs et mettre fin à une activité jamais interrompue depuis la création de la Conservation d’Angkor en 1908. La reprise, avec des objectifs d’abord limités, devait se faire longtemps attendre. Ces faits ne pouvaient être omis dans un Guide dont le but premier est de renseigner le lecteur sur l’état présent du sujet dont il traite. Pour la même raison, soulignons que le progrès des études a sensiblement réduit l’importance longtemps attachée aux notions de « dieu-roi » et de « lingâ royal » et que c’est au cours des années 1960 que Jean Filliozat et George Cœdès lui-même en proposaient des interprétations plus nuancées. Une même évolution s’est produite quant à la symbolique des monuments (spécialement Phnom Bakheng et les temples de l’époque du Bayon) pour lesquels le recours aux textes permet de s’affranchir de spéculations et d’hypothèses trop séduisantes. Tout cela n’a été que sobrement évoqué, le plus souvent par de simples notes. C’est dans le même souci de « mise à jour » qu’à l’illustration photographique primitive, mais vieillie, a été substitué un choix de documents plus récents et plus évocateurs. Jean Boisselier
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GLOSSAIRE DES MOTS USUELS
Açrama, monastère. Airâvata, éléphant, monture d’Indra. Amitâbha, Bouddha d’essence supérieure, représenté sur le chignon des bodhisattvas. Amrita, liqueur d’immortalité, sortie du Barattement de l’Océan. Ananta, serpent sur lequel Vishnou repose au milieu de l’Océan. Angkor, ville. Apsaras, danseuse céleste. Asura, démon, d’une puissance égale à celle des dieux. Avalokiteçvara ou Lokeçvara, bodhisattva compatissant, répondant à l’idée de Providence ; à quatre bras et porte l’amitâbha sur son chignon ; attributs : lotus, rosaire, flacon et livre. Balang, piédestal. Bantéay, citadelle. Baray, pièce d’eau entourée de levées de terre. Beng, étang. Bodhisattva, être en passe de devenir bouddha. Bouddha, le Sage parvenu à la connaissance suprême. Brahmâ, l’un des dieux de la trinité brahmanique, le créateur, généralement à quatre visages, monté sur le hamsa ou oie sacrée. Çaka, ère indienne la plus employée dans les inscriptions, antérieure de 78 ans à l’ère chrétienne. Çakra, la roue du Bouddha, emblème de l’immortalité et de la puissance. Çakti, épouse ou énergie féminine des dieux hindous. Cedei ou stûpa, monument de caractère funéraire ou commémoratif contenant souvent les résidus de l’incinération. Cham, habitant du Champâ, royaume de civilisation hindoue sur la côte d’Annam, antérieurement aux Annamites. Çiva, l’un des dieux de la trinité brahmanique, à la fois créateur et destructeur, monté sur Nandin (taureau sacré), porte généralement l’œil frontal et le croissant sur son chignon, adoré sous forme du lingâ. Çri, çakti du dieu Vishnou (ou Lakshmî). Damrei, éléphant. Deva, Dieu. Devarâja ou dieu roi, essence même de la royauté, censée résider dans le lingâ royal. Devatâ, divinité féminine. Dharmaçâlâ, abri pour pèlerins. Dhyâna-mudrâ, geste de la méditation du Bouddha (mains croisées sur le giron). Durgâ, une des épouses de Çiva. Dvârapâla, gardien de temple (deva ou asura). Ficus religiosa, arbre de la sagesse (religion bouddhique). Fou-nan, nom chinois d’un ancien empire indochinois antérieur au royaume du Cambodge. Gajasimha, lion à trompe.
Ganeça, fils de Çiva, dieu à tête d’éléphant. Gangâ, une des épouses de Çiva (déesse du Gange). Garuda, oiseau divin, à corps humain, ennemi des nâgas et monture de Vishnou. Gopura, pavillon d’entrée des diverses enceintes des temples. Guru, maître. Hamsa, oie sacrée, monture de Brahmâ. Hanuman, chef de l’armée des singes (Râmâyana). Harihara, dieu unissant dans la même personne Hari (Vishnou) et Hara (Çiva). Hayagriva, dieu secondaire de la famille de Çiva, représenté avec une tête de cheval. Hinayâna ou Petit Véhicule, secte bouddhique. Lçvara, un des noms de Çiva. Lndra, dieu brahmanique, maître de la foudre et des orages ; sa monture est Aîrâvana, l’éléphant généralement tricéphale et son principal attribut le vajra (foudre). Kailâsa, l’un des sommets des monts Himalaya, où siège Çiva. Kâla, tête de monstre, censée représenter un aspect de Çiva. Kâli, un des noms de la çakti de Çiva. Kâma, dieu de l’amour. Kô, bœuf. Kompong, embarcadère, village sur une berge. Krishna, avatar de Vishnou. Kubera, dieu de la richesse, nain et difforme, monté sur un Yaksha ou un rat. Lakshmana, frère de Râma (Râmâyana). Lakshmî, épouse ou çakti de Vishnou. Lakshmî Lankâ, l’île de Ceylan, domaine des râkshasas. Lingâ, idole phallique, une des formes de Çiva. Lokapâla, gardien d’un des quatre points cardinaux. Lokeçvara, autre nom d’Avalokiteçvara, le bodhisattva compatissant. Mahâbhârata, grande épopée hindoue. Mahâyâna ou Grand Véhicule, secte bouddhique. Maitreya, futur Bouddha (sorte de Messie). Makara, monstre marin composite, à tête d’éléphant, qui, dans l’ornementation, crache souvent le nâga. Mâra, esprit du mal qui tente le Bouddha. Mén, pavillon léger servant à l’incinération. Meru, montagne, centre du monde et demeure des dieux. Mudrâa, geste symbolique des dieux ou du Bouddha. Mukhalingâ, lingâ orné d’une tête. Makuta ou mokot, coiffure conique placée derrière le diadème. Nâga, stylisation du cobra : serpent mythique généralement polycéphale, génie des eaux, abrite le Bouddha de ses têtes déployées dans la pose de la méditation. Nâgarâja, roi des nâgas.
Nâgî nâga femelle. Nâgî, Nandin, taureau sacré, monture de Çiva. Narasimha, le dieu Vishnou sous forme humaine à tête de lion. Néak-tâ, idole recevant un culte populaire, ou l’abri qui la contient. Nirvâna, anéantissement final, objectif suprême du bouddhiste. Parinirvâna, entrée du Bouddha dans le néant, pose des statues de Bouddha couché. Pârvati, épouse ou çakti de Çiva. Peshanî, meule à rouleau destinée au broyage. Peshanî Phnom, montagne. Phtel, bol. Pradakshinâ, circumambulation rituelle laissant le monument toujours à droite. Prah, saint, sacré. Prah patimâ, feuille de métal estampée en image du Bouddha. Prajnapârâmita, mère mystique des Bouddhas, symbole de la Sagesse. Prasat, sanctuaire en forme de tour. Prasavya, circumambulation rituelle à caractère funéraire, dans le sens opposé à la pradakshinâ. Prei, forêt. Purâna, légendes historiques indiennes. Puri, ville. Râhu, tête de monstre ; démon des éclipses. Râkshasa, démon inférieur s’unissant aux asuras contre les devas. Râkshasî, forme féminine du râkshasa. Râkshasî Râma, avatar de Vishnou (Râmâyana). Râmâyana, grande épopée hindoue, histoire de Râma et de Sîtâ. Rati, épouse de Kâma, dieu de l’amour. Râvana, roi des râkshasas, à têtes et bras multiples. Rishi, ascète brahmanique. Sarasvatî, épouse de Brahmâ, déesse de l’éloSarasvatî quence. Sarong, panneau d’étoffe enroulé autour de la moitié inférieure du corps. Semâ, stèles placées sur Ies axes et aux angles des terrasses bouddhiques et limitant l’emplacement sacré. Seng, lion. Sîtâ, épouse de Râma (Râmâyana). Skanda, dieu de la guerre, fils de Çiva, monté sur un paon ou un rhinocéros. Snânadronî, cuve à ablutions avec bec recouSnânadronî vrant les piédestaux des idoles pour écoulement des eaux lustrales. Somâsutra, canal d’évacuation des eaux lustrales en dehors du sanctuaire. Srah, étang. Srei, femme. Stupa ou cedei, monument de caractère funéraire ou commémoratif contenant souvent les résidus de l’incinération. Sugrîva, roi des singes, détrôné par son frère Vâlin et allié de Râma (Râmâyana).
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Surya, dieu du Soleil, auréolé du disque solaire et monté sur un char attelé de chevaux. Tandava, danse de Çiva séparant les périodes cosmiques de création et destruction des mondes. Tantrisme, secte bouddhique sortie du Mahâyâna. Tarâ, énergie féminine de Lokeçvara, analogue à la Prajnapârâmita. Tchen-la, « D’eau et de terre », ancien nom chinois du Cambodge. Tevoda ou devatâ, divinité féminine. Thom, grand.
Trapéang, mare. Triçula, trident, arme de Çiva. Trimûrti, trinité brahmanique (Çiva entre Vishnou et Brahmâ). Tripitaka, textes sacrés du bouddhisme. Umâ, épouse ou Çakti de Çiva. Ushnisha, protubérance du crâne couronnant la tête du Bouddha. Vajra, foudre, attribut d’Indra. Vâlin, roi des singes, frère de Sugrîva et vaincu par lui avec l’aide de Râma (Râmâyana). Varâha, avatar de Vishnou (sanglier).
Vâsuki, le serpent du Barattement de l’Océan. Vat, pagode. Veda, règles brahmaniques. Viçvakarman, architecte divin, fils de Çiva. Vihâra, monastère. Vishnou, l’un des dieux de la trinité brahmanique, le protecteur, monté sur garuda, a généralement quatre bras, tenant le disque, la conque, la boule et la massue. Nombreux avatars. Yakshas ou Yéaks, génies bons ou mauvais. Yama, dieu de la mort et juge suprême, monté sur un buffle.
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INDEX DES NOMS DE SITES ET MONUMENTS
Agni 27, 89, 179 Airâvata 12, 29, 89, 375 ; ill. 6, 40, 123 Amitâbha 29 Ananta 24, 67, 96, 191, 375 ; ill. 148 Anavatapta 12, 268, 269 Angada 97, 322 Angkor 7, 10, 11, 12, 13, 16, 20, 21, 23, 32, 35, 37, 39, 42, 52, 53, 54, 55, 57, 63, 97, 99, 109, 146, 173, 179, 191, 203, 211, 239, 242, 282, 298, 316, 318, 327, 329, 332, 342, 362, 364, 365, 367, 370, 371, 374, 375 ; ill. 1, 2 ; fig. 9 Angkor Thom 7, 12, 20, 23, 35, 44, 50, 51, 52, 53, 54, 56, 63, 99, 100, 109, 114, 118, 120, 147, 148, 183, 191, 203, 255, 269, 277, 294, 365, 372 ; ill. 3, 9, 38, 39, 40, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69 ; fig. 9, 16, 17, 20 Angkor Vat 11, 20, 24, 35, 39, 43, 44, 48, 50, 51, 52, 53, 54, 63, 64, 66, 88, 97, 99, 100, 109, 118, 120, 133, 138, 144, 165, 173, 174, 179, 182, 188, 189, 190, 191, 194, 203, 209, 212, 224, 229, 270, 294, 298, 318, 322, 323, 342, 366, 371, 375 ; ill. 7, 10, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32 ; fig. 9, 10, 11 Arjuna 80, 144, 182 Avalokiteçvara 12, 13, 29, 375 Ayodhyâ 24, 96, 182 ; ill. 7 Bakong 7, 10, 18, 43, 50, 51, 53, 56, 99, 100, 179, 247, 256, 327, 329, 332, 342, 343, 354, 355, 363, 375 ; ill. 168, 169, 170, 171, 172, 173, 174, 175 ; fig. 39 Baksei Chamkrong 10, 53, 106, 108, 355 ; ill. 37 ; fig. 9 Balâha 154, 270 ; ill. 136 Balarama 80, 303, 316 ; ill. 5 Bâna 24, 89, 190, 371 Bantéay Chmar 42, 277 Bantéay Kdei 20, 53, 224, 229, 230, 239, 262, 268, 277, 282 ; ill. 109, 110, 111, 112, 113, 114, 115 ; fig. 9, 30 Bantéay Prei 274 Bantéay Samrè 7, 50, 53, 56, 191, 317, 318, 322, 323, 364, 371, 375 ; ill. 163, 164, 165, 166, 167 ; fig. 9, 37, 38 Bantéay Srei 7, 10, 14, 38, 43, 44, 50, 51, 52, 53, 56, 146, 174, 183, 188, 197, 203, 206, 297, 298, 302, 303, 317, 318, 354, 363, 375 ; ill. 4, 5, 11, 150, 151, 152, 153, 154, 155, 156, 157, 158, 159, 160, 161, 162 ; fig. 9, 36 Bantéay Thom fig. 9 Baphûon 7, 11, 20, 43, 48, 50, 52, 53, 54, 147, 148, 172, 173, 179, 183, 191, 197, 349, 365, 366, 371, 372, 375 ; ill. 75, 76, 77, 78, 79, 80 ; fig. 21, 22 Baradat 317 Baray occidental 11, 35, 63, 100, 362, 365, 366, 367 Baray oriental 10, 11, 35, 162, 206, 209, 247, 250, 255, 317, 327, 355, 364, 365 Bat Chum 229 ; fig. 9 Battambang 20 Batteur (route) 203, 209 Batteur, Charles 203, 229 Bayeux 43
Bayon 7, 12, 16, 20, 21, 23, 29, 36, 38, 39, 42, 43, 44, 50, 51, 52, 53, 54, 56, 99, 109, 114, 118, 120, 133, 135, 146, 147, 148, 154, 162, 165, 166, 172, 173, 179, 183, 189, 190, 191, 206, 209, 212, 224, 229, 230, 239, 242, 250, 262, 268, 274, 277, 282, 289, 294, 297, 298, 322, 333, 342, 354, 366, 371, 372, 375 ; ill. 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56 ; fig. 9, 13-14, 15 Beng Méaléa 38, 50, 53, 67, 191, 318, 327, 370, 371 ; fig. 9, 44 Bengale 118 Bhâgavata 13 Bhaisajuaguru ill. 87 Bhavapura 10 Bhîma 316 ; ill. 5 Bhisma 80, 182 Bouddha 12, 14, 16, 20, 23, 29, 31, 32, 50, 52, 67, 100, 108, 118, 120, 133, 146, 147, 148, 162, 163, 165, 174, 183, 203, 210, 213, 239, 252, 268, 269, 282, 294, 296, 366, 367, 375 ; ill. 7 ; fig. 18 Brahmâ 12, 14, 24, 27, 89, 96, 118, 135, 144, 168, 190, 211, 229, 230, 252, 255, 262, 269, 294, 323, 327, 363, 364, 371, 375 Çambara 136 Cambodge 7, 9, 11, 13, 14, 16, 18, 20, 21, 23, 24, 27, 29, 31, 32, 34, 35, 38, 42, 54, 56, 118, 133, 172, 297, 302, 376 Carpeaux (route) 114, 146 Caturbhuja 89 Ceylan 27, 96, 274, 375 Cham 11, 20, 21, 109, 134, 135, 136, 277, 375 Champâ 20, 37, 212, 375 Chandaka 31 Chau Say Tevoda 51, 53, 191, 194, 197, 318, 371 ; ill. 88, 89, 90, 91 ; fig. 9, 25 Chine 9, 12, 13, 18, 35, 42, 50 Chok Gargyar 20, 21 Citragupta 88 Çiva 9, 10, 13, 14, 23, 23, 27, 29, 48, 51, 52, 64, 80, 88, 89, 96, 102, 108, 136, 138, 144, 146, 162, 168, 173, 182, 190, 191, 194, 197, 230, 247, 250, 255, 262, 294, 302, 303, 316, 327, 332, 340, 341, 342, 354, 363, 364, 371, 375 ; ill. 87 Cochinchine 9, 13, 18 Cœdès, George 16, 18, 34, 52, 54, 56, 64, 80, 89, 96, 99, 102, 109, 114, 118, 134, 135, 136, 138, 144, 162, 173, 179, 203, 268, 269, 275, 294, 302, 327, 342, 355, 372, 374, 375 Commaille (route) 63 Commaille, Jean 54, 71, 109, 118, 146, 165, 172, 182, 183, 188 Damdék 370 Dangrek 9, 11, 18 De Coral-Rémusat, Gilberte 29, 54, 55, 64, 203, 372 De Mecquenem, Jean 148, 154, 370, 371 Delaporte, Louis 13, 54, 268, 364 Demasur (route) 229 Devarâja 14 Devi 343 Dharanîndravarman 11, 21, 277 Dharma 88
Drona 80 Dufour (route) 114 Dufour, Henri 54, 109, 114 Durgâ 27, 303, 375 Duryodhama 316 ; ill. 5 Dvâravati 20, 138 École française d’Extrême-Orient (EFEO) 7, 13, 42, 54, 55, 56, 57, 163, 211, 374 Finot, Louis 16, 29, 52, 54, 64, 154, 172, 268 Fombertaux (route) 274, 275, 282 Fou-nan 9, 13, 18, 21, 23, 375 France 7, 54, 56, 297 Ganeça 27, 89, 106, 144, 262, 302, 371, 375 Gange 99, 144, 375 Garuda 24, 27, 89, 96, 154, 182, 323, 354, 355, 371 Glaize, Maurice 7, 55, 57, 108, 109, 114, 163, 165, 255, 268, 275, 317, 329, 362, 364, 366, 374, 375 ; fig. 1 Goloubew, Victor 20, 52, 54, 55, 57, 80, 99, 100, 109, 146, 154, 168, 203, 268, 270, 297 Govardhana 24, 80, 191, 294, 323, 371 Grand Canal 242 Grand Lac 9, 18, 23, 99, 134, 297, 329, 362, 365 Grèce 35, 51, 56 Groslier, Bernard-Philippe 55, 172, 197, 239, 242 Groslier, Georges 42, 55, 212 Guimet (musée) 51, 52, 55, 282, 302, 364 Gunavarman 13 Hanoi 7, 51 Hanuman 27, 89, 96, 97, 138, 179, 182, 322 Harihara 24, 51 Hariharâlaya 9, 10, 18, 21, 99, 327, 329, 342, 355 Harivarman 303 Harshavarman I 10, 21, 242 Harshavarman II 21, 247 Harshavarman III 11, 21 Hayagriva 375 Himalaya 375 Hiranyakaçipu 302 ; ill. 161 Içvaraloka 21, 329, 342 Inde 11, 13, 14, 16, 18, 23, 24, 27, 29, 35, 37, 48, 50, 51, 88, 154, 268 Indochine 13, 16, 18, 23 Indra 10, 12, 14, 29, 35, 38, 64, 80, 88, 89, 96, 99, 106, 108, 114, 135, 144, 146, 165, 252, 262, 269, 302, 303, 323, 355, 371, 375, 376 ; ill. 6, 69, 123 Indrajit 27, 182, 322, 342 Indratatâka 10, 332, 355 Indravarman I 9, 10, 11, 21, 329, 332, 342, 343, 355, 366 Indravarman II 21 Indravarmeçvara 355 Insulinde 16
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Jambupati 31 Janaka 96 Java 7, 9, 14, 18, 23, 50, 56, 297, 329 Jayadeva 365 Jayaçrî 12, 275 Jayagiri 12, 109 Jayarâjadevî ill. 149 Jayatatâka 268, 282 Jayavarman I 13, 21, 365 Jayavarman II 9, 11, 14, 18, 21, 23, 229, 329, 342, 365, 366 Jayavarman III 21 Jayavarman IV 10, 20, 21 Jayavarman V 10, 11, 13, 21, 102, 165, 183, 297, 302 Jayavarman VI 11, 13, 21 Jayavarman VII 11, 12, 13, 20, 21, 23, 42, 52, 54, 99, 109, 118, 120, 133, 147, 148, 154, 165, 168, 182, 191, 203, 209, 211, 212, 229, 239, 262, 268, 269, 274, 275, 277, 289 ; ill. 57, 149 Jayavarman VIII 12, 21 Jayavarmeçvara 277, 289 Jayavîravarman 21, 203, 343 Kahandha 96 Kailâsa 10, 27, 89, 303, 322, 375 Kâlanemi 89 Kâli 375 Kalidasa 303 Kalîya 323 Kâma 29, 80, 136, 144, 303, 375 Kampuchéa 7 Kanthaka 31 Kauravas 80, 182 Kavîndrârimatha 13 Khmer 13, 32, 34, 35, 38, 42, 43, 51, 52, 54, 64, 88, 109, 121, 133, 134, 135, 165, 168, 203, 212, 213, 277, 282, 298, 303, 316, 364 Khna 298 Kirâta 144 Kléang nord 53, 147, 183, 188 ; ill. 82, 83 Kléang sud 53, 147, 183, 188 Koh Ker 10, 20, 21, 50, 52, 53, 250, 302, 370 Kompong Cham 21 Kompong Svay 38, 53, 370 Kompong Thom 18, 21, 53, 57, 370 Kosambi 165 Kouan-Yin 29 Krishna 13, 24, 80, 88, 89, 96, 136, 172, 179, 189, 190, 191, 256, 268, 294, 303, 316, 323, 371, 375 ; ill. 5 Krol Damrei 296 Krol Kô 268 Krol Romeas ill. 57 Kubera 29, 89, 96, 375 Kulên 48, 100, 332, 333 Kumbhanda 154 Kuruksetra 80 ; ill. 23 Kuti 229 Lakshmana 24, 96, 97, 182, 322, 342, 375 Lakshmî 24, 89, 144, 262, 371, 375 ; ill. 118, 119 Lankâ 27, 96, 182, 294, 322, 371, 375 ; ill. 24, 25, 79 Laos 7, 9, 13, 18 Lingâparvata 13 Lokeçvara 12, 13, 29, 52, 99, 109, 118, 133, 154, 188, 203, 209, 224, 268, 269, 270, 277, 289, 375 ; ill. 2, 97, 109, 135 Lolei 10, 53, 327, 332, 342, 355 ; ill. 184, 185, 186, 187 ; fig. 9
Mahâ paramasangata pada 21, 99, 109, 148, 154, 182, 203, 209, 211, 229, 239, 262, 268, 274, 275 Mahâbhârata 24, 80, 144, 179, 182, 302, 316, 375 ; ill. 5, 23 Maheçvara 182 Mahendra 18, 343 Mâhendraparvata 21, 329 Majopahit 14 Malaya 96, 182 Mandara 89 Mangalârtha 191 Maniparvata 96 Marchal, Henri 7, 54, 55, 56, 97, 99, 106, 108, 146, 148, 154, 162, 163, 165, 168, 172, 182, 183, 188, 191, 197, 203, 211, 229, 239, 242, 247, 255, 262, 268, 275, 297, 329, 333, 375 Marica 80 Mâvâ 31, 165, 229, 375 Maya 89 Mâyâ-Devi 31 Mâyâvati 136 Mébôn occidental 7, 42, 52, 53, 364, 365, 366, 367 ; fig. 9, 43 Mébôn oriental 10, 20, 51, 52, 53, 106, 247, 250, 255, 262, 297, 317, 318, 355, 367 ; ill. 6, 124, 125, 126, 127, 128, 129, 188 ; fig. 9, 32 Mékong 7, 9, 18, 20 Ménam 9, 20 Meru 29, 34, 39, 44, 64, 99, 136, 154, 162, 168, 179, 247, 255, 298, 303, 332, 333, 372, 375 Mithila 24 Mucilinda 31, 51, 269 Mûka 144, 182 Mus, Paul 24, 29, 55, 114, 118, 133, 269 Musée national de Phnom-Penh 11, 51, 67, 162, 282, 289, 316 ; ill. 2, 4, 5, 57, 62, 149, 188 Nafilyan, Guy 55, 120, 197, 316, 363 ; fig. 21 Nâga 77, 154, 375 Nâlâgiri 31, 165 Nalanda 119 Nanda 269 Nandin 27, 51, 96, 102, 144, 146, 197, 209, 250, 262, 302, 327, 340, 354, 375 Naraka 96 Narasimha 24, 302, 375 ; ill. 161 Néak Péan 7, 12, 35, 50, 53, 56, 262, 268, 269, 274, 282, 366, 375 ; ill. 134, 135, 136 ; fig. 9, 37 Nila 97, 182 Océanie 88 Oc-èo 9 Pâçuputa 144 Pallavas 18 Pâncarâtra 13 Panini 13 Paramarthâ 13 Paramaviraloka 21, 99, 165, 183, 355, 362, 364 Pârilyyaka 165 Parmentier, Henri 38, 42, 54, 120, 229, 297, 374 Pârvati 27, 89, 144, 255, 303, 371, 375 Phimay 11, 13 ; fig. 9 Phiméanakas 11, 20, 51, 53, 54, 147, 148, 165, 166, 168, 172, 174, 179, 206 ; ill. 71, 72, 73 Phnom Bakheng 10, 20, 48, 50, 51, 52, 53,
54, 63, 66, 99, 100, 106, 109, 168, 172, 173, 179, 206, 250, 316, 340, 354, 355, 362, 363, 364, 365, 375 ; ill. 12, 33, 34, 35, 36 ; fig. 9, 12 Phnom Bok 7, 53, 99, 229, 252, 262, 303, 362, 364, 365 Phnom Da 9, 13, 51 Phnom Kravanh 9 Phnom Krom 7, 53, 99, 229, 262, 303, 316, 362, 364 ; fig. 41, 42 Phnom Kulên 9, 14, 18, 21, 38, 51, 53, 63, 99, 252, 297, 317, 329, 343, 364, 365, 366 Phnom Penh 7, 11, 51, 67, 134, 162, 168, 282, 289, 316, 329 Po Nagar 20 Ponâ Krek 99 Porte de la Victoire 56, 114, 118, 147, 183, 191, 255 ; ill. 40 Pou 317 Pradak 297, 317, 364 Pradyumna 136 Prah Ket Mâlâ 64 Prah Khan 7, 12, 20, 35, 37, 38, 44, 50, 52, 53, 56, 57, 224, 229, 239, 262, 268, 270, 274, 275, 277, 282, 296, 366, 370, 371 ; ill. 1, 2, 137, 138, 139, 140, 141, 142, 143, 144, 145, 146, 147, 148, 149 ; fig. 9, 34, 35 Prah Kô 10, 44, 48, 50, 51, 53, 100, 303, 327, 342, 355 ; ill. 176, 177, 178, 179, 180, 181, 182, 183 ; fig. 40 Prah Ngok 173 Prah Palilay 50, 53, 56, 147, 148, 163, 165, 189, 322 ; fig. 9, 19 Prah Péan 67 Prah Pithu 53, 147, 288 ; fig. 9, 23 Prah Vihéar 11, 50, 302 Prajnapârâmita 12, 29, 52, 212, 277, 282, 289, 375 ; ill. 149 Pralamba 88 Prasat Andet 51 Prasat Chrung 53, 109 Prasat Keo 203 Prasat Khan 37 Prasat Kravan 53, 242, 370 ; ill. 117, 118, 119 ; fig. 9 Prasat Léak Néang 252 Prasat Prei 53, 274 ; fig. 9 Prasat Suor Prat 53, 147, 182, 183 Pré Rup 10, 20, 52, 53, 183, 247, 250, 252, 255, 256, 262, 297, 317, 318, 364 ; ill. 120, 121, 122, 123 ; fig. 9, 31 Pusspaka 96, 144, 182 Râhu 144, 372, 375 Rajendra 10 Râjendrabhadreçvara 10, 247 Râjendravarman 10, 13, 20, 21, 106, 108, 165, 229, 230, 247, 250, 252, 255, 297, 302 Râma 24, 27, 80, 96, 97, 179, 182, 302, 316, 322, 372, 375 Râmâyana 24, 80, 88, 96, 179, 182, 197, 294, 303, 316, 322, 371, 372, 375, 375 ; ill. 165 Rati 29, 88, 136, 144, 375 Râvana 24, 27, 80, 96, 97, 144, 182, 194, 322, 375 ; ill. 1 Rolûos 7, 9, 10, 18, 21, 52, 53, 99, 229, 303, 327, 363 Rong Chen 18, 329 Rudraloka 21, 242 Rudravarman 13 Rukmini 136 Sambor Prei Kuk 9, 10, 18, 21, 53, 57 Samrè 317, 318
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Sangrâma 11 Sarasvatî 24, 375 Satvata 13 Satyabhâmâ 96 Saugatâçrama 162, 165 Sdok Kak Thom 23, 52, 109 Siam 7, 20, 54, 297 Siddhârta 31 Siemréap (fleuve) 63, 99, 255, 297, 365 ; fig. 9 Siemréap (village) 7, 20, 63, 99, 242, 297, 317, 327, 329, 355, 362, 364, 365, 370 ; fig. 9 Sihanouk Varman, Norodom 20 Simhala 279 Singhasâri 14 Sisophon 365 Sisowath Monivong 118 Sîtâ 27, 80, 96, 179, 182, 302, 316, 371, 372, 375 Skanda 27, 89, 96, 262, 322, 375 Spéan Thma 203 ; ill. 92 Srah Srang 35, 50, 53, 239, 247, 370, 371 ; ill. 116 ; fig. 9 Stern, Philippe 7, 50, 52, 54, 55, 250, 365, 366, 372 Stung Rolûos 364 Sudhammasabhâ 12 Sugrîva 27, 88, 96, 182, 194, 197, 316, 375 Sujâtâ 31, 165 Sumatra 18 Sunda 302 Surya 89, 96, 376 ; ill. 181 Sûryavarman I 11, 20, 21, 23, 165, 172, 183 Sûryavarman II 11, 20, 21, 42, 63, 64, 88 Svay Romiet 366, 367 Ta Keo (Ta Kev) 11, 20, 51, 52, 53, 203, 206, 209, 211 ; ill. 93, 94, 95 ; fig. 9, 26 Ta Nei 53, 209, 365 ; fig. 9, 27 Ta Prohm 12, 20, 35, 37, 44, 52, 53, 56, 99, 203, 211, 212, 229, 230, 239, 262, 268, 275, 277, 282, 289 ; ill. 8, 96, 97, 98, 99, 100, 101, 102, 103, 104, 105, 106, 107, 108 ; fig. 9, 28, 29 Ta Prohm Kel 99, 203 Ta Som 53, 262, 268, 277 ; ill. 130, 131, 132, 133 ; fig. 9 Tarâ 29, 88, 376 ; ill. 149 Tchen-la 9, 13, 18, 21, 376 Tcheou Ta-Kouan 16, 20, 32, 37, 54, 64, 114, 121, 147, 168, 172, 173, 183, 255, 268, 367 Tep Pranam 147, 148, 162, 163, 165, 189, 229 ; fig. 18 Terrasse des Éléphants 44, 147, 148, 154, 163, 172, 183 Terrasse du Roi Lépreux 44, 147, 148, 154, 162, 165, 166 Thaïlande 7, 9, 13, 297, 302 Thma Bay Kaek 108 Thommanon 53, 191, 194, 197, 203 ; ill. 84, 85, 86, 87 ; fig. 9, 24 Tilottamâ 302, 316 Tonlé Sap 9, 18, 362 Trailokyanâtha 172 Tribhuvanamaheçvara 10, 302 Tribuvanasûdâmani 11 Trijatâ 96 Trivikrama 323 Trouvé (route) 268 Trouvé, Georges 7, 54, 71, 109, 118, 183, 242, 247, 268, 332, 342, 365, 366, 375 Tuk Lich 370
Uccaihçravas 89 ; ill. 69 Udayâdityavarman I 21 Udayâdityavarman II 11, 21, 172, 173 Ujjain 13 Umâ 27, 80, 144, 197, 247, 316, 327, 342, 376 Umâmaheçvara ill. 4 UNESCO 55 Upananda 269 Upasunda 302 Val Prah Men 162 Vâlin 27, 88, 97, 182, 194, 197, 316, 376 Vamana 24 Varuna 89 Vâsuki 89, 376 Veda 376 Vessantara Jataka 323 Vibhîsana 96, 97 Viçvakarman 11, 35, 64, 376 Vijnânavâda 13 Viradha 27, 96, 302 Vishnou 9, 11, 13, 14, 24, 27, 51, 52, 64, 80, 89, 96, 136, 138, 144, 168, 172, 179, 188, 190, 191, 194, 229, 230, 242, 247, 250, 252, 255, 262, 269, 294, 302, 303, 322, 323, 327, 332, 342, 354, 355, 363, 364, 366, 371, 372, 376 ; ill. 5, 148, 161, 165, 188 Vnam Kantal 20 Yaçodharapura 10, 20, 21, 52, 63, 99, 109, 250, 365 Yaçodharatatâka 255 Yaçovarman II 21 Yama 29, 88, 96, 162, 322, 376 ; ill. 62 Yaçovarman I 10, 12, 14, 18, 20, 21, 52, 63, 99, 100, 102, 109, 162, 168, 172, 173, 255, 329, 343, 355, 362, 364, 365 Yi-Tsing 118 Yuan 12
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