Chronique du temps qui passe Par Nicolas Comment
NICOLAS COMMENT NOUS PARLE DE SES RENCONTRES. ÉPISODE 7 : ARIELLE BURGELIN, MUSE D'HELMUT NEWTON Chère Arielle, Merci de votre belle et longue lettre. Et pardonnez mon temps de réponse. Les fêtes qui nous arrachent au quotidien en nous plaçant de force devant des mets d’exception et sous des lumières inhabituelles m’interdisaient jusqu’alors la concentration. J’ai toujours redouté ces soirées en famille où l’on sort à minuit dans un jardin plein de givre pour digérer en respirant un peu l’air glacé. On expire alors un trait de buée blanche sur une branche de houx ou un brin de gui pareil à celui qu’un membre de la fanfare de l’Armée du Salut offre à Jack l’Éventreur dans le final de l’acte 8 de la Lulu de Pabst ; ce, juste après qu’il eut avisé un arbre de Noël en procession dans une ruelle pleine de brume, à Londres, l’hiver, la nuit. Ce soir, tout dort dans la campagne blanche, sous l’absence d’étoiles. Dans la chambre où je commence cette lettre, observant quelques rares flocons briller à travers la croisée de ma fenêtre, seule éclairée aux alentours, je songe à la neige – noire – qui tombait de votre frange, il y a quarante ans, sur vos lèvres charnues, vos yeux charbon, vos anguleuses joues et vos seins épanouis. Cette « neige négative », comme un talc de nuit, déposé sur une photographie d’Helmut Newton : Arielle After Haircut (1982). Ces dernières heures, mon esprit était accaparé et dissipé par la situation d’un ami ayant perdu sa femme, le grand amour d’une vie, l’avant-veille de Noël. Une muse, elle aussi, un poète également… 114
Disparue en quelques jours. Sauvage, brune tout comme vous, mais espagnole (plutôt qu’italienne) et dont la puissance d’incarnation se situait presque au pôle opposé de la vôtre, sur ce vaste damier noir et blanc ou s’avancent et disparaissent comme des pions les icônes : l’histoire de la photographie. Vous étiez grippée, lorsque je suis venu vous visiter le 28 octobre dernier. J’aurais presque dû m’en inquiéter, avec ce foutu variant Delta qui sévissait alors dans nos rues. Mais vous ne m’avez en rien effrayé, vous qui toute votre vie (je vous cite de mémoire) avez « fait peur aux hommes »… Près de la station de métro Felix Faure, j’avais erré autour d’une église et d’un parc avant d’emprunter les marches d’un large escalier à révolution de marbre et rampe de cuivre, menant à votre appartement. Quelques jours auparavant, sur les réseaux, tandis que je vous interrogeais sur votre collaboration avec Helmut Newton, vous m’aviez expliqué vouloir définitivement garder le silence sur cette période de votre vie, sur ces images et sur cet homme. Je vous avais répondu que je comprenais parfaitement votre souhait de rester mystérieuse ; et puis, de vous-même, vous étiez revenue vers moi en me relançant, très amicalement. Tout à coup prête à vous « ouvrir » comme vous me l’écrivez joliment dans votre lettre, me proposant un rendez-vous. Mais j’ignorais encore que vous me parleriez « pour la première fois »… « Avant que je ne disparaisse », ajoutiez-vous.