Chapitre XVIII : La Légende de Kürsk
Vous souvenez-vous de la première fois que je vous ai parlé de mon village, Kürsk ? Vous rappelez vous des termes que j'avais employé lorsque j'ai fait mention de ce qu'il était devenu ? Ma famille biologique et moi-même résidions depuis plus de six années entières dans ce village. Mes frères et sœurs, quant à eux, sont arrivés plus tard et y sont ainsi restés un peu moins de trois ans. Cette bourgade est en effet aujourd’hui décriée comme maudite. Un hameau fantôme, dans lequel il n’est plus une âme qui vive. Un désert de glace éternel, recouvert d’un manteau blanc qui ne fondra jamais. Je suis responsable de ce qui est arrivé, ce jour là. Je suis responsable du lourd tribu que j’ai fait porter à ce bourg qu’était le mien. Pourtant, c’était un beau village. Il y avait toujours à faire là-bas. La plupart des gens étaient sympathiques, l’endroit était beau et l’air était vivifiant. Le petit style rustique qui en ressortait s’harmonisait à merveille avec l’ambiance chaleureuse et agréable du lieu. Nous nous connaissions tous à peu près. Certains plus que d’autres. Moi, en tout cas, je les connaissais tous. Sur le bout des doigts. Mes six ans étaient déjà bien entamés, alors. Ce village était le mien. Il comptait beaucoup à mes yeux. J’avais la belle vie ici, et je ne voulais pas que cela cesse. Néanmoins, en grandissant, l’envie me prit de rendre cette bourgade plus vivante, d’améliorer le style de vie des habitants, de contribuer au bien-être de ceux que je côtoyais à longueur de journée. J’étais Monsieur S, après tout. Si je voulais inciter Kürsk à mieux correspondre à mes attentes, je pouvais le faire en claquant des doigts. Seulement, il ne fallait pas que cela devienne trop visible non plus. Je n’avais pas envie d’attirer l’attention sur mon petit havre de paix. J’entrepris donc certaines mesures dont seuls Héléna et Leborgne étaient informés. Tout d’abord, je choisis de contribuer à l’alphabétisation des enfants du village. Je voulais qu’ils sachent tous lire, écrire et compter. Je voulais qu’ils apprennent ce qu’était l’histoire de notre monde, afin qu’ils puissent mieux le comprendre. Je voulais qu’ils soient en mesure d’éduquer leurs parents à leur tour. À mes yeux, la connaissance donnée à tous permettrait aux générations futures de s’émanciper. Pour leur offrir toute cette culture, il me fallait trouver un maître. Un généreux instituteur nomade qui nous ferait le plaisir de s’installer à Kürsk pour partager son savoir à ses futurs jeunes élèves. Seulement, je ne voulais pas attribuer une tâche aussi importante à n’importe qui. Je voulais que ce soit le meilleur qui se charge d’une mission d’une telle portée intellectuelle. En mon esprit, il ne demeurait qu’un seul homme capable d’assurer cette responsabilité. Le même homme qui m’avait instruit, indépendamment de sa volonté. Cet homme se nommait Juony. En faisant retracer sa position par mes pisteurs, je parvins à le retrouver. Il était cependant risqué de faire venir un homme comme lui à Kürsk en lui demandant d’assurer ce service au nom du Gant Noir. Il me fallut donc ruser. Ce ne fut pas évident, mais, à force de négociations, il finit par accepter. Il faut dire que je savais quoi lui proposer. Blake m’avait tenu informé des liens étroits qui étaient entretenus entre la Résistance de Rebecca Doclaire et Juony. Apparemment, lui aussi était fermement opposé aux autorisations. Il avait entendu parler de cette organisation rebelle suite à des missives d’un certain Karl, « le philosophe ». Je n’avais alors pas la moindre idée de qui était ce dernier. Ce que je savais en revanche : c’était son nom. Il ne me suffit que de faire référence à lui pour avoir instantanément l’accord du vieil érudit. Il semblait être très proche de ce philosophe. Intrigué de la spontanéité de sa réponse, je chargeai tout de même mes fidèles traceurs d’en apprendre plus sur ce Karl. Seulement, cette fois, presque aucune information utile ne me
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