Fig. 40. Prah Kô.
Le cinquième gradin, haut de 1,90 m, présentait sur tout son pourtour, encadrée d’une mouluration finement ornée, une frise continue de bas-reliefs à personnages. Première réalisation de ce genre dans l’art khmer, elle est malheureusement dans un état d’érosion tel qu’on n’y distingue plus que quelques silhouettes animant pour la plupart des scènes de combat ou de palais : quatre ou cinq panneaux mieux conservés – notamment sur la face sud –, dont un groupe d’asuras en bataille, suffisent néanmoins à faire regretter amèrement la ruine de l’ensemble. Le sanctuaire central, contrairement à ce qui se passe dans les autres temples en pyramide, est visible de chaque étage, grâce à la largeur inaccoutumée des gradins. Sa résurrection, malgré l’emploi d’un assez grand nombre de pierres de remplacement mises en épannelage, n’a rien perdu de son caractère d’exactitude, garanti par la similitude des divers éléments constituant les étages superposés. Si l’on étudie le détail de l’ornementation, on se trouve en présence d’un véritable échantillonnage de motifs de styles différents, s’échelonnant de l’art de Prah Kô à celui d’Angkor Vat, sinon du début du Bayon. On est donc autorisé à conclure qu’avec quelques rappels d’archaïsme dont les sculpteurs avaient sous les yeux les modèles à Bakong même ou à Lolei, le prasat devait être postérieur d’environ deux siècles à l’ensemble du monument et ne saurait être en tout cas antérieur au Baphûon (deuxième moitié du XIe siècle). Linteaux, pilastres et colonnettes relèvent de celui-ci, certaines devatâs à cheveux apparents diadémés sont inspirées des modèles du IXe siècle, d’autres enfin, comme les frontons à scènes (Çiva dansant à l’est, Barattement de l’Océan au sud, Sommeil de Vishnou à l’ouest, Lakshmana au milieu des singes, ligoté par les serpents d’Indrajit au nord), se rattachent au style d’Angkor Vat. Du plan primitif d’Indravarman il ne reste, en ce qui concerne le sanctuaire central, que son soubassement : peut-être ce roi n’eut-il pas le loisir d’en effectuer la construction, qui n’aurait été réalisée en dur que par l’un de ses successeurs ; peut-être encore le prasat initial fut-il démoli et rebâti… Quoi qu’il en soit, la tour actuelle, de plan carré à redents et quatre avant-corps dont trois à fausses portes, abritait une cella de 2,70 m de côté ; haute de 15 m, elle était à quatre étages fictifs en retrait, avec de nombreuses acrotères et couronnement de lotus. Parmi les sculptures du IXe siècle retrouvées au cours des fouilles, outre quelques corps de femmes et têtes de divinités séparées tant masculines que féminines, d’excellente facture et très simplement traités, nous signalerons plusieurs exemplaires de statues adossées qui devaient
être encastrées dans la maçonnerie de brique des tours ; fréquentes à cette époque, elles représentent un personnage assis, un genou levé, le torse nu, paré de bijoux. Enfin, on a retrouvé dans la tour en brique écroulée au nord de la face est, un curieux groupe de trois statues taillées dans le même bloc mais dont il ne reste que les corps : mentionné dans l’inscription de la stèle, il représente un Çiva, « Umâgangâpatîçvara, ayant le creux des reins pressé par les lianes des bras d’Umâ et de Gangâ », ses deux épouses. Le corps de la femme située à la droite du dieu, à la longue jupe unie et plate, est de toute beauté, et d’une sobriété et pureté de lignes qu’on ne trouve guère qu’à cette époque ; les mains, plaquées sur la face postérieure des cuisses, sont parfaitement visibles. Il semble que ce groupe aujourd’hui transféré à la Conservation d’Angkor ait eu plusieurs répliques, car on a retrouvé quelques éléments caractéristiques d’un autre semblable et l’ébauche d’un troisième. PRAH KÔ (Le bœuf sacré) Date : fin du IXe siècle (879) Roi constructeur : Indravarman I (nom posthume : Içvaraloka) Culte : brahmanique (çivaïte) Dégagement et travaux divers par G. Trouvé en 1932 Prah Kô, temple funéraire de Jayavarman II et des ancêtres de son deuxième successeur Indravarman, se trouve immédiatement à l’ouest de la piste d’accès à Bakong, à 500 m sud de la route Nationale n° 6. Ses bâtiments, implantés dans la partie orientale du vaste quadrilatère de 500 m est-ouest sur 400 m nord-sud constitué par ses bassins-fossés, n’étaient peut-être que le complément d’un temple-montagne resté à l’état de projet auquel se serait substituée la pyramide de Bakong ; ou encore de quelque édifice en matériaux légers aujourd’hui disparu ayant appartenu à la cité d’Hariharâlaya, capitale d’Indravarman : par exemple, une ancienne résidence royale comme l’a suggéré M. Cœdès. La stèle de fondation du temple, qui se trouve dans le gopura de première enceinte, est admirablement conservée. Après un hommage à Çiva, elle donne une courte généalogie d’Indravarman, puis fait son éloge, en termes pompeux selon l’usage : « le bras droit de ce prince, dit le texte sanskrit, long et rond, terrible dans le combat
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