10. Angkor Vat, devatâ, première galerie, première moitié du XIIe siècle.
Monsieur Malleret obtenait ainsi un équipement digne du groupe de monuments le plus important du monde. Lorsque les travaux ont cessé à Angkor peu après 1970, la Conservation disposait d’un équipement considérable, en partie d’origine militaire et d’un personnel spécialisé.
points brillants dus aux mains les plus expertes. Enfin, le nombre très restreint des éléments fondamentaux de l’architecture, l’éternelle répétition des motifs, favorisaient la tâche d’unification : l’évolution du décor était liée seulement au caractère de chaque époque, selon qu’on se trouvait en période d’incubation, d’épanouissement, de cristallisation ou de déclin.
L’ORNEMENTATION Les bas-reliefs C’est le triomphe de l’art khmer, où l’architecture, nous l’avons vu, n’est que la mise en œuvre d’un rituel. Bien loin de distraire l’attention de l’ensemble de la composition, de la géométrie des lignes et des volumes, l’ornementation souligne et rehausse chaque forme mais sans la dominer ; par elle, la rigide ossature des profils et des masses s’anime de tout le chatoiement des lumières et des ombres, tout est en communion de vie. Cadre, scènes à personnages et décor réalisent l’accord parfait. Aucun monument khmer n’a la froideur ni la sécheresse d’une épure, et c’est à la sculpture ornementale, mode d’expression plastique de l’esprit créateur, qu’il le doit. Même dispensée à profusion comme en certains temples où pas un pan de mur ne reste nu, elle n’est ni déformante, ni de mauvais goût et ne fait fonction de remplissage. Comme les prêtres, architectes et sculpteurs ne sont que les desservants d’un même culte traditionnel, ils font œuvre pie avec une égale abnégation, tout en restant anonyme et impersonnel. L’artiste travaille selon un concept d’abstraction, et ce qu’il exécute est à base de constante répétition : l’art réside en ce que cette répétition n’engendre pas la monotonie mais le rythme. Pratiquement, c’était la seule solution possible : car il ne suffit pas d’une ordonnance royale pour faire ciseler des kilomètres carrés de murs par des milliers de sculpteurs. L’artiste véritable est un être d’exception, dont l’activité se greffe sur celle du maître d’œuvre. Il était libre sur des thèmes imposés de moduler ses variations, mais entre l’ébauche gravée au trait sur la pierre et les derniers coups de ciseau, il lui fallait avoir recours à toute une équipe de praticiens, d’artisans spécialisés travaillant sur des poncifs et ne pouvant donner cours à leur fantaisie qu’en des détails infimes. Chacun ayant sa tâche bien définie et, si l’on peut dire, son « rayon », pouvait atteindre à une suffisante habileté manuelle à défaut de maîtrise : le Khmer d’ailleurs était trop idéaliste pour s’arrêter à quelques imperfections qu’il tenait pour secondaires tant que la valeur d’intention restait intacte. Parfois, de véritables artistes se révélaient et c’était la prodigieuse réussite d’un Bantéay Srei : partout, on gardait une apparence d’unité, rehaussée de quelques
Si l’artiste khmer parvient parfois à s’évader de la rigidité des principes qui le dominent et à laisser transparaître sa personnalité, c’est évidemment sous la forme narrative des bas-reliefs. Échappant aux combinaisons strictement ornementales de l’arabesque, il peut, sur des sujets tirés de la mythologie ou de l’histoire, des légendes épiques ou de l’ethnographie, sinon se laisser aller à l’émotion, du moins se rapprocher du mouvement, de la nature et de la vie. Il est d’ailleurs probable, sans qu’il en reste rien aujourd’hui, qu’à côté de ces pages de pierre, qui rappellent à certains égards les tapisseries de notre Moyen Âge telles que celle de la reine Mathilde à Bayeux, des fresques peintes dans le même esprit venaient animer la froide nudité des murs intérieurs des sanctuaires. Sauf à Bakong où, sur le gradin supérieur de la pyramide, nous avons mis au jour quelques rares vestiges d’un déploiement de bas-reliefs à ciel ouvert, il semble que jusqu’au XIe siècle, les Khmers se soient contentés de la représentation de quelques scènes sur les champs très limités de linteaux ou de frontons ; les plus remarquables se trouvent sur les tympans de Bantéay Srei. Par la suite, l’habitude s’est conservée pour les frontons, qui sont tantôt à composition unique, tantôt à registres superposés ; les Khmers, ignorants des lois de la perspective, avaient choisi ce dernier mode d’expression pour indiquer les plans successifs, le registre inférieur figurant le premier plan. Au Baphûon, apparaissent des bas-reliefs par étagement de panneaux sur pans de murs étroits : c’est une succession de tableautins qui, quoique d’inspiration légendaire, sont à tendances naturalistes d’ailleurs naïvement exprimées. À Angkor Vat au contraire, ce sont, sur les douze à treize cents mètres carrés de murs de la grande galerie extérieure, d’énormes compositions en rapport avec la belle ordonnance du monument ; les parois sont entièrement couvertes, sans un vide, sans un repos, formant un tout ou divisées en registres selon la nature des sujets traités qui en font soit des pages débordantes de vie, soit de sévères images hautement stylisées, toutes taillées à fleur de pierre. Au Bayon enfin, tout au moins à la galerie extérieure, nous quittons les sujets légendaires pour les récits tirés
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