BRICE BAUER Il n’a pas voulu que Strasbourg s’éteigne
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OR NORME N°37 Horizons
OR D’ŒUVRE
Texte : Véronique Leblanc
Photos : Alban Hefti
L’homme au violoncelle, en corps à corps avec la cathédrale, seul ou presque dans l’infini du parvis. Certains d’entre nous l’ont entendu jouer en ces jours inouïs du confinement, d’autres l’ont découvert au gré d’un reportage ou d’un post Facebook… Brice Bauer est musicien de rue et il l’est resté. Obstinément. « C’est mon métier », confirme-t-il lorsqu’on le rejoint en ce premier mercredi de juin, jour 2 du déconfinement. « Je m’en suis rendu compte quand je me suis retrouvé face à ce vide immense décrété à la mi-mars. Ne pas jouer me vidait de ma substance, la musique m’habite et elle me permet de gagner ma vie comme je l’ai répété aux patrouilles de police. Pendant sept ans, je m’étais construit un rythme, des horaires de travail et d’un coup tout a été anéanti ». Brice s’est obligé à « revenir » dans la ville malgré la réglementation. Parce qu’il ne voulait pas que Strasbourg « s’éteigne », parce qu’il a refusé de perdre son âme sur le front du Covid-19.
‘‘ Tout cela a donné du sens à ma démarche et m’a rendu confiance. Je ne voulais surtout pas que l’on pense que j’étais dans la provocation ou le défi. ”
Il lui a fallu marcher. Beaucoup. Pour trouver un public, jouer pour quelques-uns, souvent des familles avec enfants qui s’autorisaient une sortie après le goûter. « Place du château, un petit bonhomme de trois ans a entendu un extrait du premier prélude de Bach et ça lui a tellement plus que ses parents lui ont offert le disque… Des riverains sont descendus de chez eux pour me remercier… Sur les quais, les gens me disaient : “allez-y, jouez !” » Il y a même une patrouille de la police nationale qui m’a lancé : « on en a besoin ! »… « Tout cela a donné du sens à ma démarche et m’a rendu confiance, raconte Brice, je ne voulais surtout pas que l’on pense que j’étais dans la provocation ou le défi. Les gens m’attendaient et je venais. Comme si j’étais devenu une ultime représentation culturelle ». LA PEUR D’INSULTER LE SILENCE « La scène parfaite de la cathédrale » où il joue depuis sept ans était belle à l’image et les photographes sont nombreux à avoir saisi la poésie des instants où il s’y est arrêté. Elle s’est révélée rétive au musicien. « Je n’arrivais pas à capter l’attention et j’avais l’impression de mal jouer sur ce parvis vide, raconte-t-il. La crainte de mettre la santé des gens en danger pour quelque chose qui n’avait pas de sens se réveillait. C’était plus simple dans des lieux moins vastes. » Et le silence ? Comment fait-on avec ce nouveau venu dans la ville quand on est musicien ? « J’avais parfois peur de le briser, de l’insulter. J’ai essayé de jouer avec lui, de l’inclure, de faire en sorte que ma musique coule de source dans ce silence à l’ampleur inédite. Ça m’a obligé à inventer d’autres mélodies en puisant largement dans ma formation classique. J’ai repris les Suites de Bach que j’avais laissées tomber. » Et que dire des cloches de la cathédrale sur lesquelles il improvise depuis des années ?