PRÈS DE SEPT DECENNIES PLUS TARD
Eric Fuchsmann : “ La voix de Louise ne doit pas s’éteindre…” Au moment d’écrire, c’est la chanson de Goldmann qui revient en mémoire… «Elle s’appelait Sarah»… L’histoire est ici celle de Louise, Louise Pikovsky. Elle n’avait pas huit ans, elle en avait quatorze et elle vivait à Boulogne Billancourt durant la deuxième guerre mondiale avant de mourir à seize ans. À Auschwitz.
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OR NORME N°37 Horizons
OR D’ŒUVRE
Texte et photos : Véronique Leblanc
L’histoire de cette adolescente au destin brisé a rattrapé Eric Fuchsmann, un de ses petits cousins, aujourd’hui strasbourgeois. Il n’avait jamais entendu parler d’elle, pas plus qu’il n’avait conscience de toute une part de l’histoire de sa famille. Il nous en parle autour d’une bande dessinée intitulée Si je reviens un jour en hommage aux derniers mots écrits par Louise avant d’être arrêtée par la police française en janvier 1944. C’est chez sa sœur Nicole qu’Eric a entendu parler pour la première fois de Louise. Fervente généalogiste, son aînée avait été contactée par Stéphanie Trouillard, journaliste à France24, spécialiste des deux guerres mondiales. Elle-même s’était vue confier en 2016 une bible et des documents retrouvés dans une vieille armoire du lycée Jean-de-Lafontaine à Paris. Parmi ces documents figuraient six lettres adressées par Louise à sa professeure de Lettres classiques, Mademoiselle Malingrey. « Je connaissais le nom de Pikovsky, raconte Eric, c’était celui de ma grand-mère venue de Russie avec ses enfants pour rejoindre son mari à Paris, mais en lisant ces lettres, j’ai découvert l’existence de la famille de son frère Abraham qui m’était jusqu’alors inconnue. La profondeur de ce qu’avait écrit cette jeune fille m’a bouleversé. D’un coup, la tragédie de la Shoah a pris chair. » SIX LETTRES D’UNE PROFONDEUR ÉTONNANTE Les lettres que Louise, descendante du grand Rabbin de Colmar, adresse à son enseignante catholique sont effectivement étonnantes. Dans l’une, la jeune fille propose le prêt des « Lettres pastorales » de son aïeul enclin à ses yeux à « trop glorifier » sa religion mais qui avait pour excuse de « s’adresser à des coreligionnaires », elle s’interroge sur la
place des femmes dans sa communauté, voudrait « pouvoir lire, lire, en ne s’arrêtant que pour penser à ses lectures ». Louise croit « fermement en Dieu » mais s’insurge « contre toutes ces pratiques établies dans d’autres temps et qui n’ont aucune raison d’exister maintenant ». « Comment peut-on voir des luttes entre des gens qui croient en un seul Dieu et à qui on enseigne l’amour de son prochain ? » s’interroge-t-elle. L’adolescente souffre de « ne pas pouvoir comprendre de toutes petites choses » que personne ne lui explique, elle doute, questionne sa professeure et finit par se ranger à ses arguments. « Vous m’avez convaincue… Je crois que Dieu nous aide, mais je ne crois pas qu’Il nous écoute. Je crois qu’Il nous réconforte par nous-mêmes puisque la prière nous réconforte et que sa justice s’exerce encore par nous -mêmes puisque, lorsque nous croyons, nous cherchons avec sincérité la voie du bien, nous sommes heureux ». La question de la joie hante Louise, la joie de vivre, de « voir clair », de voir la lumière du soleil, de respirer l’herbe dans les champs, celle du « devoir que l’on a à faire chaque jour » et de sentir « qu’on tient une place dans sa famille ». « La joie de lire, de comprendre » ajoute cette jeune fille singulière