Le beau : un concept apparemment d’un autre temps. Pourtant, la recherche de la beauté n’est-elle pas ce qui caractérise l’homme et ses productions ? Mais alors, où est-il passé ou en quoi s’est-il transformé ? Nous avons pisté plusieurs « experts » pour tenter de retrouver sa trace. Ils nous éclairent sur le sens qu’ils lui donnent, chacun dans son domaine. Où il est question de regard, d’attention, d’émotion, de surprise. La Cité—Le dossier
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Propos recueillis par Sylvia Dubost
Où est le beau? Didier Laroche Archéologue, architecte, enseignant à l’École nationale supérieure d’architecture de Strasbourg « À l’école, beau est un mot tabou. Ça fait un peu beauf de parler du beau ! Il y a une sorte de consensus autour du fait que ce n’est pas définissable et relatif. Ce n’est pas un critère, donc on parle d’autre chose. C’est maintenant évident mais cela ne l’était pas toujours. En tant qu’historien, ce qui est intéressant c’est de savoir si le beau existe, sur quels critères il repose et ce qui a changé. Dans les époques anciennes et notamment les périodes classiques, on cherchait à définir le beau. Vitruve* dit que l’architecture repose sur trois qualités : la commodité (la justesse par rapport à l’usage), la solidité et la venustas, la beauté. Mais il parle surtout de la beauté, qui passe par plusieurs notions et surtout par l’harmonie. Il y a des livres entiers de Vitruve consacrés aux proportions qu’il faut donner aux choses. Jusqu’au xixe siècle, les architectes s’en sont souciés et cela et a complètement disparu : on vit dans un monde qui n’a plus de proportions. Avec le maniérisme, des artistes comme Michel-Ange et Le Bernin ont essayé d’introduire le mouvement, l’irrégulier, ce qui déroge
à la règle. On savait que la beauté s’appuyait sur des règles canoniques, et on savait aussi que ça faisait un art académique et froid, d’où l’idée de rajouter quelque chose qui fait la différence, qui provoque l’émotion, donne l’idée d’une vibration. On aura le même phénomène dans les années 1920-1930, avec des artistes comme Picasso. Et c’est la même chose en architecture. Dans La complexité et les contradictions de l’architecture, qui a été une bible pour les architectes, Robert Venturi montre pourquoi les bâtiments les plus intéressants ont toujours un petit quelque chose de différent. Même ceux de Mies van der Rohe. Car il n’y a rien de plus barbant que la symétrie. » « Avant les choses étaient belles car on pouvait expliquer leur composition. Maintenant non. Les références sont 50 fois plus éclectiques. La définition est impossible, il y a autant de beautés que d’individus. À l’école, on essaye de donner aux étudiants la compétence, les outils pour qu’ils puissent réaliser ce qu’ils veulent. On devrait leur donner aussi à comprendre les différents systèmes de beauté. En tout cas, chacun la recherche quand même. Mais c’est votre histoire personnelle, on ne vous jugera pas là-dessus. » * Vitruve, architecte romain du Ier siècle avant JC. Penseur et codificateur, son traité en dix livres De architectura a servi de référence pendant de nombreux siècles.