L’enfant derrière le miroir

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Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada. Baldé, Mariana Djelo, 1994 - L’enfant derrière le miroir. Roman québécois et conte. ISBN : 978-2-925028-11-6 (version papier) ISBN : 978-2-925028-12-3 (version PDF) ISBN : 978-2-925028-13-0 (version EPUB) © Copyright 2020, Mariana Djelo Baldé. Tous droits réservés pour tous les pays. Aucune partie de ce livre ne peut être reproduite sous quelque forme que ce soit sans la permission écrite de l’auteure. Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés. Écrit par : Mariana Djelo Baldé Révision et Coaching d’écriture : Suzie Champagne Remaniement du texte : Éliane Cayer, Cahiers Marins Conception graphique et mise en page : Amadou B. Baldé Crédit photo de la couverture : Doro Saiz Illustration de la couverture : Mariana Djelo Baldé Crédit photo de la 4e couverture : BEN C.K. Illustration des separateur: GarryKillian / Freepik Dépôt légal — Bibliothèque et Archives Canada, 3e trimestre 2020 Dépôt légal — Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 3e trimestre 2020 Éditeur : Escapade Répit Bonheur 164 Nicole Saint-Jérôme (Québec), Canada J7Y 3T9 Téléphone : 514 771-6483 Site web : www.escapaderepitbonheur.com © 2020 Escapade Répit Bonheur Marquis Livre : www.marquisbook.com Première impression : juillet 2020, imprimé au Québec, Canada Distribué au Québec par Distribulivre


MARIANA DJELO BALDÉ

ET SI C’ÉTAIT VOUS?



Cher lecteur, Puisse les histoires derrière ces pages vous permettre d’aller à la redécouverte de cet enfant qui sommeille en vous. Je souhaite aussi que cette évasion puisse vous rappeler que vous êtes la personne la plus importante au monde.



Table des matières Avant-propos

Pourquoi choisir le bonheur ? Comment lire le livre ?

Prologue

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Première partie : un voyage à l’intérieur de soi

Quels sont ces doux souvenirs d’enfance ? Quels sont nos objets porte-bonheurs ? Chère école de la vie… qu’apprend-on ? Quelles sont nos valeurs les plus importantes ? Courir, toujours courir ? Il est où le bonheur ? Que regardons-nous exactement dans le miroir ?

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Deuxième partie : la grande réconciliation !

La mystérieuse lettre L’amitié commence avec soi-même Le syndrome du « pas tout à fait » Ubuntu : je suis, parce que nous sommes En plein vol

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Troisième partie : le livre de maman

Le conte et moi Conte 1 : la cavalière de la pluie Conte 2 : hakuna matata et l’arbre amoureux Conte 3 : Malaïka, l’enfant miracle Conte 4 : Maisha, l’enfant oignon et la marâtre Conte 5 : la femme du futur

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Remerciements 164



Avant-propos

Pourquoi choisir le bonheur ? Une maman, c’est le bonheur à l’état pur, et mon vœu le plus profond, en écrivant ce livre, c’est de pouvoir l’offrir à ma mère tout simplement. À l’âge de 6 ans, j’étais une enfant curieuse, espiègle et observatrice. Je voulais tout savoir, tout apprendre et surtout comprendre ce qui se passait dans la tête de ma mère. Son personnage, c’est-à-dire sa personnalité et son rôle de mère, m’a toujours fascinée. Aussi douce qu’elle puisse être, elle ne pouvait pas passer une seule journée sans s’inquiéter de tout et de rien. Un jour, je lui ai demandé si elle était heureuse et elle m’a répondu : « Ma fille, tu fais mon bonheur. » Hélas, cette réponse ne m’avait pas convaincue et, ce jour-là, je me suis fait la promesse de lui offrir le bonheur en cadeau par tous les moyens. À cet âge, il est difficile pour un enfant de bien cerner le concept du bonheur. Il le cherche dans tout et partout. Si jamais il ne le comprend pas, il fait appel entre autres à l’imaginaire, donc à la créativité. Pour l’adulte, ce n’est pas aussi simple que cela. Une fois adulte, les remises en question commencent. Par exemple, on se demande: « Quel est le sens de la vie ? » Vient alors la question essentielle que je me suis souvent posée concernant le bonheur : « Comment offrir le bonheur quand on n’est pas heureux ? » 9


L’ENFANT DERRIÈRE LE MIROIR

Dans la quête de ce fameux bonheur, en ce qui me concerne, j’ai fait une rencontre qui a changé ma vie : celle de l’enfant derrière le miroir. J’ai découvert une enfant créative, profonde et touchante. Cette rencontre m’a bouleversée à jamais. Cette enfant a donné un sens à ma vie. Si le bonheur avait des yeux, je pense que ce serait ceux de maman et son cœur serait, lui, celui de l’enfant derrière le miroir. Ma mère n’est pas grande de taille, mais elle a un grand cœur, immense comme l’univers. Tout le monde l’appelle Nènè, ce qui signifie maman en langue africaine. Lorsqu’elle n’est pas à la cuisine, elle est derrière sa machine à coudre. C’est une femme occupée. Elle était ma mère, mais également la mère de tous les enfants du quartier. Elle cuisinait presque pour nous tous et prenait soin de nous lorsque c’était nécessaire. C’était une belle femme aux formes généreuses. Les regards qui se tournaient sur son passage en disaient long. Ses longs cheveux noirs, difficiles à tresser parce qu’ils glissaient dans les fils, la rendaient à la fois imposante et gracieuse. Danseuse et chanteuse, elle inventait une nouvelle chanson à chacun de mes anniversaires. L’imagination fertile, volontaire et engagée, elle initiait différentes activités dans le quartier pour aider les amies ainsi que nos voisines. Tout le monde l’écoutait, tout le monde la consultait. Ma mère est de nature nostalgique. Elle sentait qu’elle avait du potentiel à revendre et elle voulait aider, sans pourtant avoir nécessairement les moyens financiers. Et pour ça, elle pouvait en pleurer. Ma mère n’est pas grande de taille, mais elle a un grand cœur et je l’aime tant. Je suis convaincue qu’écrire sur le bonheur est une belle façon de se rappeler qu’il est propre à chacun. Certains diront qu’il n’existe pas. C’est parce que ceux-là n’ont pas encore rencontré l’enfant qui se cache derrière le miroir. 10


AVANT-PROPOS

En lisant ce livre, je souhaite, cher lecteur, que vous n’oubliez jamais une chose : vous êtes la personne la plus importante de votre vie. Peu importe quelle partie de la planète vous habitez, ce bonheur est aussi en vous. Voilà !

Comment lire le livre ? Comme vous le constaterez au cours de votre lecture, j’ai divisée ce livre en trois parties distinctes. La première partie fait référence celle du voyage vers l’intérieur de soi. Elle introduit l’état d’esprit du personnage principal, représenté par l’adulte. D’une part, elle nous permet de participer à sa réflexion puis, d’une autre, à vivre sa découverte avec son enfant intérieur. De plus elle comprend sept chapitres distincts. Chacun commence par une question que se pose l’adulte. C’est aussi une question à laquelle le lecteur est invité à répondre. Aussi, des jeux sont proposés pour rendre cette démarche interactive et plus ludique. La deuxième partie, quant à elle, nous dévoile en bref le rôle que joue l’enfant dans la vie de l’adulte. À la différence de la première partie, celle-ci ne contient pas beaucoup d’échanges entre l’adulte et l’enfant. Pour finir, dans la troisième partie, vous trouverez des contes que j’ai inventés pour ma mère et qui sont l’illustration imagée de situations de vie. Les leçons de ces contes sont utiles à l’adulte tout comme à l’enfant. Bonne lecture ! Djelo

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L’ENFANT DERRIÈRE LE MIROIR

Prologue

Par cette froide journée d’hiver, où le thermomètre indiquait moins vingt degrés Celsius, valise à la main, nous sommes entrées, l’enfant et moi, dans le taxi afin d’entamer un voyage d’une importance capitale à nos yeux. — Bonjour, Madame. Où allons-nous ? a demandé le chauffeur de taxi comme à l’accoutumée. — Déposez-nous à l’aéroport. Il n’a pas démarré tout de suite, attendant une autre personne que moi parce que j’avais dit « déposez-nous ». Lui ne savait pas qu’elle était déjà dans la voiture cette autre personne, car seule moi pouvais la voir. J’ai souri et je lui ai fait gentiment signe de démarrer. — Bien, Madame. Assise derrière le chauffeur, me voilà en direction de l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau de Montréal. Je retournais enfin voir ma mère en Afrique. Après avoir passé plus de 10 ans dans la séduisante ville de Montréal, j’aurais espéré un retour plus joyeux, mais j’accueillais les circonstances telles qu’elles étaient. J’avais tant attendu ce moment. Je l’avais tant rêvé même. Je m’imaginais cette Afrique que j’avais laissée derrière moi, celle où les valeurs les plus importantes étaient la solidarité, le partage et le respect. La voilà l’Afrique authentique à laquelle je pensais chaque soir avant de m’endormir, celle qui me manquait plus que tout au monde. 14


PROLOGUE

Une Afrique où la solidarité et le partage étaient un réflexe en raison de nos liens sociaux très solides, venant des grandes familles qui se fréquentaient et se soutenaient régulièrement. Une Afrique où l’enfant était éduqué par la communauté, ce qui forgeait le respect. Pas cette Afrique qu’on nous montrait à la télé avec des guerres, la misère et la famine. Dire que quelques heures auparavant, j’arrosais une plante et je me retrouvais maintenant dans un taxi pour m’envoler vers l’Afrique. Cela est arrivé suite à l’appel que j’avais subitement reçu. L’on m’annonçait que ma mère venait d’être hospitalisée d’urgence. Ses terribles douleurs à la tête s’étaient aggravées dernièrement et sa tension, elle, avait augmenté d’un cran. J’avais les yeux plongés dans le vide, car j’avais déjà pleuré toutes les larmes de mon corps. Avec tous nos moments passés au téléphone, elle m’avait toujours rassurée que tout allait pour le mieux. En réalité, toutes les fois où nous nous étions parlé, rien n’allait pour elle, mais elle demeurait muette, sans doute pour ne pas m’inquiéter. De mon côté, je m’amusais à lui raconter des histoires qui semblaient lui faire du bien. Je lui avais même promis d’écrire un livre pour elle, que je lui lirais chaque fois qu’elle en aurait besoin. Cela m’a pris des années pour réaliser cette promesse. Maman y tenait et elle me le rappelait souvent. Ce livre était à présent là et je m’apprêtais à lui en faire la surprise dans quelques jours. Hélas, j’étais en route vers l’aéroport, à le serrer très fort dans mes bras jusqu’à ce que j’arrive et que je puisse enfin le lui remettre. En y repensant, j’aurais préféré de meilleures circonstances. En arrivant à Montréal il y a dix ans, un oncle qui y vivait depuis vingt ans m’avait donné à l’époque un conseil que j’ai bien écouté : « Ici, seul le travail paye », m’avait-il dit. J’y avais cru et je l’avais appliqué à la lettre. Cela ne m’avait pas vraiment aidé, car à force d’investir toute mon énergie dans le travail, je m’étais longtemps oubliée, y compris la promesse que j’avais faite à ma mère. 15


L’ENFANT DERRIÈRE LE MIROIR

À Montréal, je m’étais créé ma petite place. Du moins, j’avais dû me former et forger mon mental pour la prendre cette place. Il y a eu une période de ma vie où les choses n’allaient pas du tout. J’avais des problèmes au travail et dans la vie en général. J’évitais d’inquiéter maman avec tous mes tracas. Alors, je m’enfonçais dans le travail, jour et nuit, sans relâche. La routine s’était chargée de me rendre la vie misérable. Je n’avais plus rien pour moi. De douleurs musculaires, en passant par l’insomnie et le manque de motivation à la perte de concentration, le médecin que j’avais consulté m’avait conseillé de me reposer, sans quoi je courais définitivement à ma perte. Au travail, ils n’avaient pas eu d’autres choix que de me laisser partir. Isolée de tout, dans mon studio, les conversations téléphoniques avec ma mère et les soirées d’insomnie où je me parlais à moi-même étaient devenues ma nouvelle routine. Sous le poids du travail sans relâche, j’ai découvert la signification du mot épuisement. Tout ceci a été une révélation pour moi, car j’y ai fait une rencontre qui a transformé ma vie. En réalité, nous avons tous fait une rencontre qui a un jour influencé, dans un sens comme dans un autre, notre vie à jamais. Cette rencontre nous brise avant de nous forger. À travers elle, nous apprenons à reprendre le contrôle de notre vie afin de nous réaliser pleinement, et ce, dans toutes les sphères. À elle seule, elle nous rappelle que nous sommes la personne la plus importante du monde. Ce dont je parle ici, c’est la rencontre avec l’enfant au fond de nous qui y reste tapi pendant que nous grandissons. Cet enfant, il est à l’intérieur et il nous regarde, puis nous observe, avec toute son innocence, avec la force et l’amour nécessaires à notre bien-être. C’est le reflet de nous-mêmes, de ce que nous sommes en venant au monde, avant que la vie et les expériences ne nous changent. Et si je devais lui donner un nom, ce serait l’enfant derrière le miroir. Chacun d’entre nous finit toujours par le rencontrer à différents moments de sa vie. Aussi mystérieux que cela puisse paraître, il se 16


PROLOGUE

pointe le bout du nez au moment où l’on s’y attend le moins. Pendant que je repensais à toute cette histoire dans l’embouteillage du trajet vers l’aéroport, j’ai constaté que le chauffeur cherchait à croiser mon regard à travers le rétroviseur. On aurait dit qu’il voulait me demander de quoi parlait le livre que je tenais si fort contre mon cœur comme s’il s’agissait d’un véritable bébé. Et si j’avais à lui répondre, je lui dirais que derrière ce livre, il y a l’histoire d’une adulte qui a vu sa vie prendre un tournant majeur grâce à une rencontre. Celle avec l’enfant derrière le miroir. Une rencontre décisive…

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PREMIÈRE PARTIE

UN VOYAGE À L’INTÉRIEUR DE SOI


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L’ENFANT DERRIÈRE LE MIROIR

1 Quels sont ces doux souvenirs d’enfance ?

T

ous les matins, je me réveillais en pensant à un proverbe généralement africain. Ceux que ma mère me disait et répétait si souvent au cours de mon enfance. Ce matin-là, le proverbe qui m’était venu à l’esprit disait : « Celui qui ne sait pas où il va doit retourner d’où il vient. » À dire vrai, je n’avais plus vraiment l’impression d’être sur la bonne voie ces derniers temps. Je pensais follement qu’en retournant en Afrique, je me sentirais probablement moins perdue. Voilà que je me mettais à réfléchir au point d’avoir de terribles maux de tête et un mal de dos atroce. Bonjour l’angoisse ! Avec mes cheveux décoiffés et ma démarche de petite vieille, je n’avais envie de rien faire. C’était comme cela depuis maintenant 3 semaines. Nous étions en novembre. À Montréal, c’était l’hiver! 10 centimètres de neige au cours des derniers jours ! N’ayant pas de télévision, je passais mes journées dans mon petit appartement, seule 20


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avec mes douleurs. J’observais les petits bonshommes accrochés sur le mur. Ils étaient en bois et venaient tout droit de l’Afrique, plus précisément du Bénin. En les regardant, je me suis demandé si l’un d’eux voudrait une gorgée de ma tasse de thé au gingembre. Aucune réaction de leur part ! J’ai abandonné le projet, sachant que je délirais probablement. À la place, j’ai appelé maman pour prendre de ses nouvelles. — Allô ! Maman ? Maman ? Es-tu là ? Au bout d’un moment qui a paru une éternité, elle m’a répondu : — Bonjour, ma fille. J’ai entendu, au loin, comme le son d’une voix cassée, signe de fatigue. C’était bien la voix de ma mère. Elle était sûrement encore malade et, malheureusement, un océan nous séparait. Malgré son état, elle était contente de me parler. Je lui ai raconté ma journée. Je lui ai décrit la neige. Dans l’espoir de la faire rire, je lui ai parlé avec un accent québécois, bien qu’à son avis, le mien eût légèrement changé au fil des dernières années. Maman m’a demandé au bout d’un moment : — Est-ce que leur accent est causé par le froid ? — Cela fait partie de leur authenticité. C’est un peu comme nos accents en Afrique, lui ai-je dit d’un air complètement perdu. — Ma fille, je m’inquiète pour toi. Est-ce que tu es heureuse là-bas au Canada ? Songeuse, j’ai repensé au bonheur et à la promesse que je lui avais faite quand je n’étais qu’une enfant. — Le bonheur… Lequel ? Celui que je t’ai promis ? Je finirai par te l’écrire ce livre. C’est une promesse ! — Ma fille, tu sais que le plus grand bonheur d’une mère, c’est de voir son enfant s’épanouir et réaliser ses rêves. Rien qu’à entendre ta voix, cela me comble de bonheur. Pour le livre, tu dois savoir que celui qui passe à l’action est toujours meilleur que celui qui fait des promesses, m’a-t-elle expliqué dans 21


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sa sagesse. Après d’autres questions usuelles, elle m’a dit au revoir et m’a promis de me rappeler le lendemain. Elle devait certainement se reposer elle aussi. Si seulement elle savait… Pour ma part, parmi mes nombreux rêves, je caressais celui d’écrire un livre et de le lui offrir pour immortaliser nos souvenirs partagés ; ces contes et histoires invraisemblables que je lui inventais et qui la faisaient tant rire quand j’étais enfant, un jour, elle les tiendrait dans ses mains. Tâche difficile, car le thème était sur le bonheur. «Comment écrire sur le bonheur si je n’ai pas l’impression d’être heureuse moi-même ?» ai-je longtemps pensé en mon for intérieur. Cela faisait donc des années que je reportais l’écriture de ce livre pour maman, faute d’être heureuse. Ce matin-là, j’ai évité de la retenir longtemps au téléphone. Elle s’endormait, alors j’ai raccroché le cœur serré. Maman était tout pour moi. Elle tombait tout le temps malade et cela m’inquiétait énormément. De mon côté, les choses n’allaient pas bien non plus, mais je ne pouvais pas le lui dire de peur d’aggraver sa situation. Elle s’inquiéterait. À 29 ans, c’est dans l’ordre des choses. On ne veut pas inquiéter sa mère à tout moment, on veut plutôt lui offrir des instants de bonheur impérissables. J’aimerais tant pouvoir être à ses côtés. Hélas, l’Afrique était si loin et si proche à la fois. Heureusement qu’à Montréal, dans la ville où je m’étais installée, l’Afrique était partout : dans le sourire des gens, dans les coins de rue et dans les conversations avec les chauffeurs de taxi. Contrairement à d’autres quartiers où c’était plus froid, ici les gens étaient serviables, polis et ouverts d’esprit. On se croirait là-bas, malgré la neige. Mes souvenirs de l’Afrique me réchauffaient le cœur quand il faisait froid. Ces sourires, ces éclats de rire, ces jeux, ces couleurs chaudes restées vivaces dans ma tête constituaient la couette qui me couvrait. 22


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Nous avons tous ce rapport avec nos souvenirs d’enfance, qu’on aime se rappeler lors de nos retrouvailles. Et vous, faites-vous comme moi ? Quels sont vos plus beaux souvenirs d’enfance ? Si vous les inscrivez dans les marges de ces pages, je peux vous garantir que quelques années plus tard, vous serez surpris de ce que vous aurez écrit. Je repensais à la conversation avec maman et à l’écriture du livre sur le bonheur que je lui avais promis il y a déjà belle lurette. Je me questionnais sur la raison qui m’avait conduite à lui faire cette promesse. Voilà ! Cela me revenait ! Je devais avoir environ 6 ans lorsque cela était arrivé. Ce jour-là, je l’avais entendue pleurer. D’abord tout doucement, en silence, puis, n’en pouvant plus, elle avait éclaté en sanglots. Je m’en souviendrai toute ma vie. Je revenais de l’école, toute excitée à l’idée de lui présenter le livre de conte que j’avais emprunté à la seule bibliothèque de la ville. Ce livre racontait l’histoire de Hansel et Gretel. J’étais pressée que maman me la lise. Hélas, la découverte que j’avais faite était bouleversante pour l’enfant que j’étais… Maman ne savait pas lire! Elle ne l’avait malheureusement pas appris au cours de sa jeunesse. Du moins, pas en français. L’enfant que j’étais ne trouvait pas cela grave. Elle était de nature si sensible que cela l’avait rendue triste. C’est là qu’elle s’était mise à pleurer. La voyant ainsi, ce jour-là, je m’étais accrochée à son pagne et j’avais aussi pleuré. Nous avions laissé libre cours à nos émotions en symbiose. Pour nous consoler, elle avait dit ceci : «Ne pleure pas. Ne t’en fais pas ma fille. Ce n’est rien. Cela ira.» Je l’entendais encore me dire : «Si seulement j’avais appris à lire le français, j’aurais été capable de lire tant d’histoires pour toi et avec toi.» Pourtant, elle avait tort de penser cela, car elle ne savait peut-être pas lire en français, mais heureusement, elle racontait les plus belles histoires au monde, des histoires que vous ne lirez sûrement jamais dans un livre. 23


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Maman avait réussi à me transmettre des valeurs fondamentales telles que l’humilité, le pardon et le partage. Elle disait que tout un chacun a toujours quelque chose à nous apporter. Pour cela, il faut être à l’écoute pour saisir les précieux trésors que transportent les personnes de bonne volonté. Témoin de cette situation que j’avais créée, je lui avais fait cette promesse: « Nènè, ne pleure pas. Ne pleure plus. Un jour, j’écrirai des livres, mais surtout, je t’en écrirai un. Tu n’auras même pas besoin de le lire, car chacune des pages te rendra hommage et chaque histoire parlera de toi. » Avec le magnifique sourire, rare comme l’arc-en-ciel qui s’était dessiné sur ses lèvres, elle m’avait répondu d’une voix teintée d’espoir: « Que Dieu te bénisse, ma fille. J’attendrai ce livre jusqu’à mon dernier souffle. Il fera mon bonheur. » Me remémorant ce souvenir important de ma vie, mon état de fatigue ne m’aidant en rien, j’ai ressenti l’envie folle d’écrire ce livre. Il fallait absolument que j’écrive ce livre. Hélas, je manquais d’inspiration et j’avais de la difficulté à me concentrer.

*** Les heures ont passé. J’étais encore assise dans le sofa du salon, en manque d’inspiration. Je savourais lentement un thé au gingembre, tout en chant onnant une petite mélodie que j’avais inventée. Elle me rappelait maman. Je la chantais habituellement lorsque je faisais face à un obstacle. « Neneyooo Neneyooo Neneyoooo Nene Kamora » (Maman, maman, maman, maman, es-tu là ?) «Neneyooo Neneyooo Neneyoooo Nene Kamora » (Maman, maman, maman, maman, es-tu là ?) Soudain, pendant que je chantais, j’ai entendu une voix au loin. Effrayée, je me suis demandé qui cela pourrait être et, de toute

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UN VOYAGE À L’INTÉRIEUR À L’INTÉRIEUR DE SOI

façon, je préférais ne pas savoir. La voix a poursuivi de plus belle : « Je suis l’enfant dont tes pleurs brisent le cœur. » — Où es-tu alors ? ai-je demandé timidement. — Je suis là. Je suis dans chaque miroir que tu prends pour te regarder, a répondu l’enfant. Alors, je me suis posée devant le miroir et j’ai observé. Là, tout a commencé en me dévisageant attentivement. Mes cheveux décoiffés depuis le matin, les traits de la fatigue sur le visage représentaient mon reflet, puis j’ai subitement eu comme un flash. Moi en petite fille et le sourire que j’avais enfant et dont tout le monde parlait. Mon imagination me jouait-elle des tours? Plusieurs questions se sont alors mises à me tourmenter, dont la plus mystérieuse : «Comment était-ce possible ?» Alors, je lui ai posé la question : — Pourquoi ne puis-je pas te voir ? L’enfant a ri de bon cœur avant de me dire : — Ferme les yeux. J’ai exécuté sa demande. J’ai fermé les yeux et je les ai ouverts à nouveau. Rien. Je ne la voyais pas. Quand j’ai regardé dans le miroir, il n’y avait que moi. Personne d’autre. Je ne contemplais que mes cheveux en bataille, mon air inquiet et moi. Étais-je en train de devenir folle ? — Ah non ! a lancé la voix de l’enfant en se moquant. Je suis bien réelle. Je suis toi et tu es moi. Quand tu te vois, c’est moi que tu vois. Mais vu que tu es tout le temps occupée à faire des affaires de grandes personnes, comme te plaindre pour tout et pour rien, tu m’as mise au placard. Devenir adulte et faire face à des responsabilités, ce n’est pas cesser de croire au plaisir et au bonheur que tu avais lorsque tu étais enfant. Ce n’est pas cesser de rêver et d’imaginer un monde plus enthousiaste. Si seulement tu pouvais me laisser revenir dans ta vie, tu te porterais mieux. Je t’accompagnerais dans tes défis quotidiens. Enfants, nous étions inséparables. Tu étais moi et j’étais toi. Un jour, tu as grandi et tout a changé. Lorsque tu es devenue adulte, je t’ai 25


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interpellée plus d’une fois, mais tu es demeurée muette. Sans aucun résultat, je me suis résignée à croire que tu ne voulais plus de moi.

Soudain intriguée, j’ai interrompu la voix tout doucement : — Comment peux-tu être moi ? Ce n’est pas possible! Qui es-tu en vérité ? Je ne me rappelle pas de toi. Montre-toi. Peut-être que je te reconnaîtrais si je te voyais ? Elle a ignoré ma requête, m’expliquant plutôt que le jour où j’ai voulu commencer l’écriture du livre de maman, elle était la petite voix dans ma tête qui me poussait à continuer, malgré mes mille et une choses à l’agenda. — Que s’est-il passé ce jour-là ? — Tu voulais écrire, mais tu manquais d’inspiration. J’étais la voix qui a commencé par te demander de te remémorer tes souvenirs d’enfance. Tu m’as répondu que tu n’en avais pas besoin et que tu voulais plutôt écrire un livre sur le bonheur et non sur de simples souvenirs. Quand j’ai voulu insister, cela t’a agacée. Tu es donc partie dans la salle de bains pour te débarbouiller et, en regardant dans le miroir du lavabo, tu as crié : «Sors de ma tête !» J’ai exaucé ton vœu… Depuis, je suis restée enfermée dans le miroir. — Je ne comprends toujours pas. Je t’entends, mais je ne peux pas te voir… — Pour arriver à me voir, il faut que tu écoutes ce que j’ai à te dire. Qu’est-ce qui m’arrivait en vérité ? J’entendais une voix qui me disait que je l’avais enfermée dans un miroir, une voix d’enfant qui me disait qu’elle était moi. Pourtant, je n’étais plus une enfant. J’avais vingt-neuf ans. J’hallucinais. Rester cloîtrée dans mon appartement ne me réussissait pas. Je ferais mieux d’aller prendre l’air.

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UN VOYAGE À L’INTÉRIEUR À L’INTÉRIEUR DE SOI

— Ce matin, a continué l’enfant, je t’ai entendue te poser la question suivante : «Quels sont nos doux souvenirs de l’enfance?» Je vais te répondre. Les meilleurs souvenirs sont ceux vécus avec maman. Ce qui les rend magiques, c’est le fait qu’ils se sont tous déroulés dans un endroit précis. Laisse-moi te parler de ce lieu. De là d’où je viens, tout a une valeur. À cet endroit, on trouve des gens qui n’ont pas grand-chose, mais ils sont heureux. Grand-mère, par exemple, je m’en souviens, elle disait : « Tu ne dois pas manger devant les étrangers sans partager d’abord avec eux. Sinon, ils te mangeront. » Certes, quelle idée farfelue ! Pourtant, ce genre d’histoires fait partie des plaisirs de l’enfance. Dans cet endroit, nous avons tout en commun. Cette enfance bercée de croyances et de superstitions qui, souvent, tirent leur source des contes et légendes qui nous entourent. En ce qui me concerne, lorsque j’avais une mauvaise note à l’école, grand-mère me faisait comprendre que mes échecs scolaires avaient leur raison d’être. Et quelle raison ! J’avais échoué à cause de la jalousie d’une tierce personne. Ce dernier avait pris mon intelligence pour la transmettre à un autre, me disait gentiment grandmère pour me réconforter. Je viens de là où l’on perçoit le surnaturel comme étant quelque chose de si naturel. Un endroit où les chances peuvent être confisquées. Avoir grandi là-bas, c’est aussi avoir reçu des enseignements passant par un éventail de croyances. Une mosaïque est disponible pour tous les goûts, pour chaque thème et autour de chaque domaine de la vie. Par exemple, celles tournant au tour du respect, j’en ai tel lement en tendu parler. À savoir, toute personne qui croise les jambes devant son aîné pourrait risquer de voir ses jambes collées pour le restant de sa vie. Aussi, nous n’avons pas le droit de balayer la nuit ni de se peigner les cheveux, car c’est considéré comme un rituel servant à appeler les mauvais esprits, mais nous risquons surtout de faire du bruit et de perturber le sommeil de nos ancêtres. 27


L’ENFANT DERRIÈRE LE MIROIR

Tu entendras aussi que jouer avec les cailloux porte malheur et que verser de l’eau chaude à terre peut réveiller les morts. Quelquefois, lorsque nous jouions mes frères et moi et que je m’amusais à attacher l’un d’eux, grand-mère m’interpellait et disait : «Une personne que l’on attache deviendra voleuse plus tard et celui qui commet cet acte en devient le responsable.» Lorsqu’elle disait cela, je riais aux éclats. Chez nous, tout a un sens, un but, un motif et même s’il n’y en a pas, on lui en trouve un. À cet endroit, la culture a été marquée par les superstitions. Là-bas, tout s’anticipe et s’explique avec facilité. Il n’y a pas de récréation inutile. Tout est enseignement dans cette école qu’on appelle La Vie. Voilà d’où je viens, a conclu l’enfant avant de se taire à nouveau.

*** Après son intervention, je n’ai rien dit et elle non plus. Ce fut le silence total pendant plusieurs minutes. Je me sentais mêlée et chamboulée par ce qui était en train de se passer entre elle et moi. J’en ai profité pour reprendre un instant mes esprits lorsque soudain, elle a repris la parole. Elle m’a parlé doucement. J’ai saisi l’occasion pour lui demander de me raconter d’autres souvenirs d’enfance qu’elle avait vécus. Quelque chose en mon for intérieur m’a dit qu’il y avait dans son histoire quelque chose de connu, mais j’ignorais quoi pour l’instant. — Tu ne m’écoutais pas. Tu réfléchissais aux questions que tu voulais me poser pendant que je te parlais. Tu le fais tout le temps, d’ailleurs. Réalisant qu’elle me parlait depuis toujours et que je ne l’écoutais pas, j’ai baissé les yeux, honteuse. — Pardonne-moi. L’enfant a accueilli avec bienveillance mes excuses, mais a poursuivi en me partageant une de ses sagesses. 28


UN VOYAGE À L’INTÉRIEUR À L’INTÉRIEUR DE SOI

— Pardonne-toi à toi-même. Celui qui n’écoute pas n’apprend pas. Comment puis-je te parler de mes souvenirs d’enfance, alors que je suis moi-même une enfant ? N’entend que sa voix, je l’ai questionnée. — Quel âge as-tu ? — Tu poses tout le temps des questions. Nombreuses sont les questions que je me posais effectivement à son sujet. Soudain, sa voix a interrompu mes pensées. Elle a ajouté, comme si elle lisait en moi : «J’entends les questions auxquelles tu es en train de penser. Pour une fois, fermons la fenêtre d’interrogations.» Elle m’a dit au revoir et m’a fait la promesse de revenir un autre jour. Elle ne le savait peut-être pas, mais je l’attendrais comme quand on attend devant sa fenêtre que l’hiver finisse tellement notre rencontre m’avait touchée au plus profond de mon être. Je me suis endormie sous le bruit de ses pas que j’entendais au loin, comme une douce mélodie. C’était comme s’il me souhaitait bonne nuit.

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2 Quels sont nos objets porte-bonheur ?

L

e matin, en me réveillant, je me suis sentie comme ce proverbe africain qui dit : « Un homme sans culture ressemble à un zèbre sans rayures. » En effet, un zèbre sans rayures n’en est pas un. J’avais l’impression de ne pas avoir de points de repère et donc rien à offrir à la société, car je ne savais pas grand-chose de ma culture d’origine. Ce matin-là, je ne faisais que penser à l’enfant qui m’avait rendu visite l’autre jour. J’avais même rêvé d’elle. Dans mon rêve, elle me racontait une autre histoire et, au moment où elle allait me montrer son visage, je m’étais réveillée. Comme un rituel matinal, j’ai appelé maman. Sa belle énergie remplaçait le café du matin. Elle semblait aller beaucoup mieux que la dernière fois que nous nous étions parlé… Elle m’a raconté les histoires du quartier dans lequel j’avais grandi. Elle m’a expliqué que le fils de la voisine, celui qui avait fait 30


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ses études au Canada, s’était fiancé à la fille de maman Binta, une autre voisine. Comme d’habitude, c’était à maman que revenait le contrat de confectionner les vêtements des futurs mariés. En Afrique, c’étaient de belles tenues traditionnelles que nous confectionnions pour de telles occasions. Ces dernières étaient portées durant la cérémonie de mariage ou pour de grands évènements. Par exemple, en Afrique de l’Ouest, il était question d’un bazin blanc, un tissu composé de coton. C’était par la brillance de son tissu, son dessin et sa texture qu’on reconnaissait un bon bazin. Au cours de la discussion avec maman, j’ai ressenti dans sa voix une petite inquiétude. — Mama, je sens quelque chose dans ta voix. Que ne me dis-tu pas ? — Je n’ai pas bien dormi, ma fille. Je me sentais très seule et j’avais mes terribles maux de tête habituels. Maintenant que je te parle, je vais beaucoup mieux. Pour la réconforter, je lui ai suggéré de sortir de la maison la prochaine fois que cela arriverait. Ensuite, je lui ai dit de mettrela cassette de musique qu’elle aime tant, celle qui lui tient compagnie dans ses moments de solitude. Cette cassette, elle l’avait reçue de son père. Elle m’a annoncé que la radio était vieille et qu’entre-temps, elle avait cessé de fonctionner. Je lui ai promis de lui en acheter une autre et elle m’a répondu que de m’écouter lui procurait beaucoup de plaisir. À un moment, je me suis demandé si je devais lui parler de ma rencontre de la veille avec l’enfant derrière le miroir. Je me suis dit que c’était trop tôt. Nous avons raccroché. Je suis retournée à mes occupations quotidiennes. Pendant que je nettoyais la cuisine, j’ai repensé à l’enfant et à notre discussion. Était-ce réel ou avais-je tout inventé? J’étais de plus en plus confuse. Pourtant, je pensais à elle tellement elle me magnétisait. Je me demandais ce qu’elle faisait. 31


L’ENFANT DERRIÈRE LE MIROIR

J’ai repensé aussi à Maman et à son histoire de radio. J’en conservais de beaux souvenirs. Lorsque j’avais 8 ans, j’assistais maman pendant qu’elle confectionnait des vêtements. Elle me demandait de lui ramener sa radio qu’elle aimait tant. Belle, grande, elle faisait vibrer tout le quartier. C’était un de nos moments préférés, passées ensemble où nous étions si proches. Entre chaque morceau, elle me racontait une tranche de sa vie, ce qui me permettait de mieux la connaître. À travers ce qu’elle me disait, je réalisais la chance que j’avais parce qu’être son enfant était un réel privilège. Ces moments passés avec elle nous transportaient et nous transformaient mes frères et moi. La cassette que j’avais l’habitude de choisir racontait des histoires en langue africaine. Maman adorait me les traduire. C’était magique. Cet objet qu’était la cassette avait su se tailler une place de choix dans notre vie et nos cœurs. Elle avait été complice de nos moments heureux comme des plus tristes. Un véritable porte-bonheur. Quand j’y pense, j’en deviens nostalgique. Nous avons tous un objet particulier que nous considérons comme porte-bonheur, ou qui est le symbole d’une époque heureuse. Il devient donc pour nous un objet auquel on s’accroche, témoin ou outil d’un bonheur à trouver. Cher lecteur, vous pouvez ici prendre le temps de vous rappeler le vôtre, de penser aux souvenirs que cela vous évoque ainsi que de vous remémorer la foi que vous avez accordée à ce porte-bonheur. Le temps passait et, étrangement, l’enfant me manquait de plus en plus. J’étais couchée au sol, sur le tapis, pour l’attendre bien sagement. Hélas, elle ne se présentait pas. J’ai décidé de me servir un thé au gingembre bien chaud, que je savourais calmement en espérant un signe. Soudain, j’ai entendu quelqu’un tousser. C’était elle ! Elle toussait. C’était l’enfant derrière le miroir. J’étais si heureuse! De son côté, elle ne semblait pas bien. 32


UN VOYAGE À L’INTÉRIEUR À L’INTÉRIEUR DE SOI

— Aïe ! Aïe ! Cela pique. Je n’aime pas le gingembre. L’air surpris, je l’ai interrogée : — Comment sais-tu que cela pique alors que je suis celle qui le boit ? — Tu as recommencé avec tes questions ! a répondu l’enfant sur un ton plus ferme sans être pour autant brusque. — Où étais-tu passée ? Je t’ai attendue toute la journée, lui ai-je dit en maugréant. — J’étais là, avec toi. Je t’ai entendue parler avec maman. Pourquoi est-ce que tu l’appelles maman, d’ailleurs ? Je préférais quand tu l’appelais Nènè. — Comment sais-tu que je l’appelais Nènè ? — Je le sais, c’est tout. Je sais aussi que tu lui as fait la promesse de lui offrir le bonheur. Mais, en grandissant, tu as choisi de lui écrire un livre sur le bonheur. Moi, de mon côté, je suis allée à la recherche du bonheur. — Ah oui ? Où ça ? — J’ai d’abord assisté au spectacle des idées. Ensuite, je suis allée voir la rivière de lait, celle-ci m’a suggéré de rencontrer le Temps. Je l’ai écoutée attentivement, car j’avais l’impression que cette enfant avait une certaine sagesse et semblait connaître la vie, peutêtre même mieux que moi. Je l’ai questionnée avec curiosité. — As-tu finalement compris ce qu’est le bonheur ? Est-ce que tu as pu l’offrir à Nènè ? — Oui, j’ai compris le bonheur grâce à ma rencontre avec le Temps. Hélas, je suis restée coincée dans ce miroir trop longtemps. Avec le temps, j’y ai perdu ma valeur petit à petit. Je n’ai donc jamais pu retourner de là d’où je viens pour offrir le bonheur à maman. Intriguée de ce qui avait bien pu se passer, j’ai demandé à l’enfant de me raconter sa quête du bonheur. J’ai cherché le plus grand miroir de la maison afin de pouvoir l’écouter avec une attention particulière. 33


L’ENFANT DERRIÈRE LE MIROIR

Comme il était près du salon, je me suis assise devant avec mon thé et je l’ai écoutée attentivement. — Avant de te raconter ma quête du bonheur, j’aimerais à mon tour répondre à la question que tu as posée plus tôt : «Quel est notre objet porte-bonheur ?» À mon âge, il est difficile d’être nostalgique d’un quelconque objet. Tous les jours, je pouvais jouer avec quelque chose de nouveau. Par exemple, je jouais avec des billes ou je fabriquais un cerf-volant. La nostalgie, c’est surtout pour les grandes personnes. Pour ma part, plus qu’un objet porte bonheur, Nènè est le plus beau cadeau que j’ai pu recevoir au monde. Je suis si chanceuse d’être son enfant. Chez nous, on dit Nènè. Dans d’autres langues africaines, vous pouvez aussi l’appeler Zaidi, Mama, Umi, Nma, Yayeboye. Ce sont là d’autres façons de dire maman selon les langues du pays. Quand elle est triste, Nènè a l’habitude de dire: «Ne t’en fais pas mon enfant. Ce n’est rien. Cela ira.» Pour ma part, je trouve toujours un moyen de la faire sourire. Par exemple, lorsque je l’accompagnais au marché, je lui disais: «Regarde les tomates. Elles rougissent, car elles sont timides. Achetons-les. Elles seront contentes de rencontrer la famille de légumes que nous avons déjà dans le réfrigérateur.» Quelquefois, lorsqu’on traversait les rues, je l’interpellais sur des tas de choses. Par exemple, sur les poubelles : «Nènè, les poubelles du quartier m’ont confié leurs frustrations. Elles trouvent qu’on ne les valorise pas assez. Elles sont là, mais les gens continuent à jeter des ordures par terre. » Curieuse, je questionnais aussi : «Nènè, pourquoi les gens font-ils cela ? » Elle avait répondu que les gens ne sont pas suffisamment sensibilisés et qu’ils ne prêtent pas attention. Elle a toujours eu une façon particulière de répondre. Parfois, lorsque je la regardais, j’avais l’impression d’y voir une profonde sagesse. Celle-ci n’était rien comparée à sa beauté. À mes yeux, elle était la plus belle femme au monde et je l’adorais. 34


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Ses longs cheveux étaient d’un noir d’une fine brillance. Elle mettait du beurre de karité pour leur soin quotidien. Parfois, elle me laissait lui en étendre sur son dos et j’adorais faire ça. Nènè est issue de l’ethnie Peuhle, aussi appelée Foulani, Fulbhe, etc. C’est un peuple originaire de l’Égypte pharaonique qui est devenu nomade. On les retrouve le plus souvent en Afrique de l’Ouest. Brave et talentueuse, Nènè n’est pas grande de taille, mais son cœur est immense. De plus, elle a le regard innocent, comme celui d’un enfant. Tout chez elle est magique. Je me souviens que mes frères et moi adorions la regarder faire la vaisselle. Les assiettes et les marmites étaient des instruments de musique tellement leur bruit était mélodieux à nos petites oreilles. Quand il pleuvait et que Nènè était sous la pluie pour une quelconque raison, on avait l’impression que ses mouvements et ses gestes étaient comme des pas de danse et que le bruit des gouttes sur le toit applaudissait le spectacle. On aurait dit qu’elle dansait avec la pluie et cela nous enchantait.

*** Même si je l’entendais toujours, j’ai commencé à somnoler. Il était tard. L’enfant m’a dit au revoir et m’a promis de revenir un autre jour, sans me mentionner le moment précis comme la dernière fois. De toute façon, j’allais l’attendre et je savais qu’elle viendrait, comme le beau temps arrive après la pluie. Dans mon quotidien, être assise dans mon sofa avec mes migraines, c’était comme le temps de la pluie. Si jamais elle persistait, tout comme Nènè, je deviendrais sa cavalière. Je danserais avec elle jusqu’au retour de l’enfant. Quelle idée ! pensais-je en souriant mi-éveillée, mi-endormie. Je me suis endormie paisiblement sous le son de ses pas que j’entendais au loin, comme une douce mélodie qui me souhaitait bonne nuit.

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3 Chère école de la vie… Qu’apprend-on ?

A

ujourd’hui, en me réveillant, je me suis sentie comme ce proverbe africain : « Il est dur d’être pauvre, mais il est encore plus dur d’être seul. » En effet, à force de rester isolée de tout, je commençais à me sentir terriblement seule. D’autant plus que l’enfant ne venait que lorsque cela lui plaisait. Parfois, les journées de pluie semblaient interminables. On développe facilement cette tendance de tout remettre en question et donc de s’isoler petit à petit. Ce matin, j’ai eu une forte pensée pour maman. Elle me manquait de plus en plus. Récemment, elle m’avait annoncé qu’elle suivait des cours de français. Elle voulait apprendre à lire et écrire le Français maintenant qu’elle allait mieux. Comme cela, elle pourrait lire ellemême le livre que je lui avais promis. J’ai décidé de l’appeler. Au téléphone, pourtant, elle avait l’air d’être soucieuse. Quand je lui ai demandé la raison, elle m’a répondu: «Si seulement j’avais étudié la langue française plus tôt, je t’aurais assistée dans tes 36


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travaux scolaires.» Elle avait tort de penser cela, car lorsque j’étais au primaire, c’était elle qui m’aidait à réussir. La logique des travaux scolaires n’est aucunement liée à une question de langue. Je me souvenais surtout de combien j’avais des difficultés à me concentrer. Pour y remédier, ma mère me racontait des histoires d’après la matière pour laquelle je devais réviser, ce qui m’aidait à tout coup. Pour les mathématiques, elle utilisait des bâtonnets. Dans ses histoires, les noms des personnages étaient des chiffres. C’était sa façon de m’enseigner l’essentiel. Avec le temps, mes résultats scolaires s’étaient améliorés grâce à elle. Une fois, le professeur de l’école m’avait demandé d’expliquer un exercice que j’avais réussi à mes camarades. Je m’étais précipitée vers lui pour lui susurrer à l’oreille : «Maman ne voudra pas venir pour raconter les histoires devant toute la classe.» Ce dernier, un sourire aux lèvres, m’avait répondu : «Je suis certain que toi-même, tu peux le faire.» Debout, devant la classe, j’avais alors raconté une des histoires de maman avec des personnages pour expliquer l’exercice. Depuis ce jour, le professeur l’a instaurée dans ses techniques d’enseignement. Avant chaque cour, à tour de rôle, l’élève qui le souhaitait pouvait conter une histoire de son choix. Nous écoutions tous attentivement. Par la suite, en petits groupes, nous partagions notre compréhension de l’histoire et nous nous prenions parfois pour les personnages de celle-ci. À la fin, le professeur nous expliquait alors les valeurs et les leçons qu’on pouvait en tirer, leur pertinence et les applications qu’on pouvait en faire dans la vie. C’était donc un peu grâce à moi, et surtout à maman, que l’outil du conte nous avait permis de renforcer nos liens dans la classe et d’apprendre autrement, tout en développant notre capacité d’écoute et de concentration. Cela avait permis d’augmenter la moyenne générale des notes de la classe. Grâce à ma maman, les cours étaient devenus plus faciles à intégrer pour les élèves, car le plaisir était au rendez-vous. À partir de ce moment-là, j’ai développé une relation particulière avec le conte. 37


L’ENFANT DERRIÈRE LE MIROIR

Une histoire d’amour entre le conte et moi était ainsi née sur les bancs de l’école, en dehors également. Les tomates, les oignons, les poubelles, les casseroles, la pluie, je donnais vie à tout autour de moi pour interagir avec.

*** Il était présentement 20 heures et l’enfant me manquait terriblement. Elle ne s’était pas encore pointée au cours des derniers jours. Nos conversations étaient devenues de plus en plus intéressantes au fur et à mesure que le temps passait. J’avais parfois du mal à saisir le sens de certaines de ses phrases, comme lorsqu’elle avait dit : « Tu commences à te souvenir. Bientôt, tu te souviendras peut-être de moi.» Cela avait éveillé toutes sortes d’émotions en moi, mais j’ignorais encore pourquoi. Chose certaine, les histoires qu’elle me racontait me faisaient du bien, tel un baume sur mon cœur. J’éprouvais de moins en moins de difficultés à m’endormir. L’autre soir, par exemple, j’ai apprécié lorsqu’elle a dit qu’on pouvait avoir plus d’une mère si on le désirait. D’après elle, une mère, ce n’est pas seulement la personne qui donne la vie, mais aussi toutes celles qui prennent soin de nous comme le ferait une mère. Toutes ses femmes sont là pour guider, conseiller et prêter une épaule chaleureuse pour pleurer et essuyer nos larmes. Toutes celles qui s’inquiètent quand il le faut et encouragent également quand il est nécessaire. Ce sont ces personnes que nous rencontrons sur notre chemin et qui nous procurent affection et amour quand le vide s’installe. L’enfant avait bien raison sur ce point. Sa sagesse me surprendra toujours. Ce soir-là, à la place du thé au gingembre, je me suis préparée un jus de feuilles d’Hibiscus communément appelé «jus de bissap» ; une façon de prendre soin de l’enfant que le gingembre faisait tousser. Pour nommer ce jus, il existe différentes appellations dans le monde entier. Les plus répandues sont les suivantes : 38


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agua de Jamaica au Mexique, foléré au Cameroun, Ngai Ngai au Congo, etc.J’aime mon jus de bissap sucré. J’allais prendre le temps de le boire en espérant que se manifesterait à nouveau cette fameuse enfant qui était derrière le miroir. J’étais si curieuse de connaître la suite de son histoire. Peut-être qu’elle finirait aussi par me dire comment nous nous connaissions, elle et moi, comment elle pouvait à la fois être moi tout en étant à part, pourquoi j’étais capable de l’entendre me parler et répondre à mes questions. Justement, je venais d’entendre quelqu’un parler dans ma tête. Le jus de bissap faisait son effet. Cette voix, j’en étais convaincue, c’était la sienne. Elle m’a parlé. — Merci pour le jus de bissap, s’est exclamée l’enfant, toute joyeuse. — Attends de pouvoir le goûter. Tu pourras me remercier après, lui ai-je dit avec humour. — Cela fait si longtemps que je suis enfermée dans ce miroir. Je commence à être fatiguée. Je t’en prie, aide-moi à sortir d’ici. Il faut que j’aille retrouver Nènè. Elle ne va pas bien, a dit soudainement l’enfant avec tristesse. — Pour lui offrir le bonheur. C’est cela ? lui ai-je demandé amicalement. — Oui, entre autres. — Le bonheur. Puisque tu l’as rencontré, à quoi ressemble-t-il ? — Je te répondrais à condition que tu m’aides à sortir du miroir. Je ne veux plus être enfermée de la sorte. En échange, je veux être avec toi et t’accompagner dans ton cheminement. Si tu me laisses sortir, je te promets de t’aider à écrire le livre que tu veux offrir à Nènè. Même si j’ignorais encore comment j’allais m’y prendre pour la sortir de là, je me suis engagée envers elle d’un ton solennel pour l’aider à sortir de sa cachette. 39


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— Marché conclu. Parle-moi alors de ta quête. Par où a-t-elle pu bien commencé ? L’enfant a commencé à me raconter. Encore une fois, plus je l’écoutais, plus je me laissais transporter.

*** À l’école de la vie, je n’étais et je n’ai toujours été qu’une enfant. Quand je t’ai entendue te poser la question pour savoir ce qu’on apprend à l’école de la vie et que j’ai écouté ta réponse, j’ai trouvé que tu avais répondu pour nous deux sans le réaliser encore toimême. Cependant, sache que l’enfant que je suis n’a pas eu besoin d’aller dans une école appelée la vie. Autour de moi, tout était vie et enseignements. Il y avait Nènè, puis les idées… Ah les fameuses idées! Elles sont si malines celles-là, si tu savais. Tu m’as demandé de te parler de ma quête du bonheur. Mais qu’est-ce que le bonheur ? C’est là, la vraie question. Il m’a fallu tenter de le découvrir avant de vouloir l’offrir à Nènè. Donc, un jour, j’ai pris la décision de questionner mes idées. Elles se multipliaient tellement dans ma tête que je voulais y trouver des réponses. Elles et moi avions l’habitude de converser. Elles devaient connaître ce qu’est le bonheur. Dans mon imagination, elles avaient produit un spectacle qui s’intitulait : «Il est là mon bonheur.» Je le connaissais ce spectacle. Je l’avais vu plusieurs fois, mais je ne le comprenais pas tout à fait. Dans celui-ci, les idées présentaient plusieurs scènes. Je vais te décrire celles-là : la mode, la culture, les personnes inspirantes. Avant chaque scène, l’animateur, Monsieur Micro, vêtu d’une veste de couleur indigo, faisait une entrée majestueuse. Les idées, elles, étaient habillées de multiples façons, comme on peut en trouver en Afrique. Des matières et des couleurs différentes qui s’harmonisent si bien une fois assemblées. Du tissu bogolan du Mali à l’odeur du lépi de la Guinée, en passant par le pagne wax en Côte d’Ivoire, des bijoux de perles et de cauris du Togo et, enfin, le tissu kente du 40


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peuple Ashanti au Ghana. Il y en avait pour tous les goûts. Au-delà d’un simple spectacle, c’était l’art, la culture et l’histoire de tout un continent ainsi ouvert au monde qui s’ouvrait à moi. Je revois ce groupe d’idées, décorées de bijoux dont les couleurs semblaient en harmonie avec leurs états d’esprit. Était-ce cela le bonheur ? Cet élan de spontanéités qui se mélangent pour faire un ensemble cohérent. Les idées de ce spectacle défilent, font voyager, transportent et inspirent. Elles éduquent en vérité au sujet de l’Afrique, là où est née l’histoire de l’humanité, le berceau d’une multitude de peuples et de traditions dont les valeurs sont communes : la solidarité, le partage et l’entraide. Pour la deuxième scène, c’était au tour de la culture de se présenter à moi. Les idées avaient habillé sur scène une petite table avec du Ndop, un tissu emblématique du Cameroun qui était utilisé autrefois pour habiller les loges des rois pendant les cérémonies officielles. À cette table, les hôtes devaient donc être importants. On leur avait servi du thé de Kinkéliba. Les idées avaient surnommé cette rencontre le Kinkéliba des écrivains. Les rois étaient les plumes des traditions de plusieurs époques. Plusieurs plumes ont alors pris place sur la scène à leur tour. Elles se sont levées l’une après l’autre pour s’offrir un Kassala, une tradition orale qui célèbre l’identité de la personne qui s’exprime. Ces écrivains devaient se présenter ainsi pour mettre à la fois en avant leurs prouesses et leurs états de service, tout en décrivant différents univers rencontrés dans leurs parcours. Ainsi, on voyageait avec eux dans plusieurs espaces et instants. C’est la poésie guerrière, engagée, apanage des illustres personnages en Afrique qu’elle représentait. Enfin, la troisième scène était dédiée aux personnes inspirantes qui ont existé et qui ont édifié beaucoup de gens. Les idées ont dressé le portrait de quelques-unes d’entre elles. Cette scène se nommait la parade des absents. C’était un défilé de gens qui ont marqué l’histoire du berceau de l’humanité. Ainsi, dans cette parade, il y avait des héros traditionnels tels que Soundiata Keita, le roi de l’empire mandingue 41


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au Mali, des héros modernes tels que Nelson Mandela, le promoteur de la paix, sans oublier des reines, héroïnes, guerrières et femmes cheffes qui ont, elles aussi, marqué l’histoire de leurs peuples. Abla Pokou, par exemple, la reine qui avait sacrifié son fils pour sauver son peuple et qui était devenue par la suite la fondatrice du peuple baoulé en Côte d’Ivoire. Ces personnages étaient des monuments qui méritaient d’être célébrés à travers le temps pour ne jamais être oubliés, d’autant plus que souvent, par souci de modernité ou de différence, nous nous étions séparés d’eux et il était temps de se réconcilier avec eux. C’était cela le spectacle des idées. À chaque fois que je voulais apprendre quelque chose de nouveau, il me suffisait de fermer les yeux et je pouvais prendre part au spectacle de mes idées. Elles semblaient venir d’un univers lointain pour prester dans ma tête. De cet univers, j’étais persuadée qu’il y avait toutes les réponses à toutes les questions qu’on pouvait se poser. Un jour, peut-être que moi aussi, je pourrais monter sur scène pour inspirer des gens à mon tour. Cette récréation des idées faisait-elle partie du bonheur ou semblait-elle aller partout sans contrôle ? À quoi me sert-elle ? Ce sont là ces mémoires porteuses de réponses que je veux rassembler pour faire le bonheur de Nènè ! Non, elle mérite quelque chose de plus ! Alors, il me fallait aller plus loin que le spectacle des idées pour le trouver. J’ai alors pris la décision d’aller demander à mon amie la rivière de lait. Elle était remplie de connaissances, elle aussi. Le lait de la vie, la rivière qui coule d’ici et là, abreuvant des terres sur son passage pour les fertiliser. Peut-être qu’elle pouvait me renseigner avec clarté puisqu’elle a tant coulé et tant nourri des territoires distincts. Alors, rendez-vous avec la rivière de lait. Quelle imagination cette enfant ! Où avait-elle appris tout cela ? Dans le miroir où elle disait être enfermée ? De plus en plus curieuse, je l’ai bombardée de questions. 42


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— Qui es-tu exactement ? Tu m’intrigues au plus haut point. Il y a une certaine sagesse dans ce que tu dis. Pour ton âge, c’est surprenant. Sans même y réfléchir, elle m’a répondu spontanément : — Je suis toi. Tu es moi. Ensemble, nous sommes. Cette manière de me répondre était si désarmante et, en même temps, sa réponse restait énigmatique… J’oubliais qu’elle ne répondait pas toujours aux questions avec simplicité. Elle répondait sans vraiment répondre. Elle répondait et suscitait plus de questions encore. — Quand tu dis, lorsque tu avais 6 ans, cela veut-il dire que tu en as beaucoup plus maintenant ? Quel âge as-tu ? lui ai-je demandé en toute simplicité. — J’ai le même âge que toi. Elle m’a répondu avec enthousiasme alors que je n’en étais pas du tout convaincue vu que sa voix semblait si jeune. Donc, j’ai insisté… — Comment cela se peut-il ? Tu as une voix d’enfant ! me suis-je exclamée, étonnée. — Ce n’est pas ma voix. C’est mon cœur qui te parle depuis le début. Le cœur ne vieillit pas. Il est le même jusqu’à la mort. J’ai eu du mal à saisir le sens de ce qu’elle venait de dire, mais je savais que quelque chose de mystérieux était sur le point de s’éclaircir tout doucement. Prise de fatigue, j’ai pourtant commencé à m’endormir. Comme à son habitude, elle m’a gentiment dit au revoir et m’a fait la promesse de revenir un autre jour, sans spécifier lequel. Elle le savait sûrement maintenant que, fidèle à mes habitudes, je l’attendrais impatiemment comme la chenille attend le jour d’être papillon. Si elle ne venait pas vite, j’essaierais de m’envoler vers le spectacle des idées, avec l’espoir de la croiser. Ce soir-là, je me suis endormie avec, comme chaque fois qu’elle s’en allait, la douce mélodie du bruit de ses pas qui s’éloignait et qui me souhaitait bonne nuit. 43


4 Quelles sont nos valeurs les plus importantes ?

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ujourd’hui, en me réveillant, je me suis sentie comme ce proverbe africain qui dit : «La vie est parsemée de difficultés que chacun doit apprendre à surmonter.» Ce matin-là, j’avais de la difficulté à quitter mon lit. Mon dos restait collé à mon matelas et ma tête restait enfoncée dans mon oreiller à cause du poids de mes migraines. Pour me motiver, j’ai appelé maman. Elle a décroché et m’a fait remarquer aussitôt que cela faisait plusieurs jours que je l’appelais tôt le matin, dès mon réveil. Aussi loin qu’elle s’en souvenait, sa fille n’était pas une personne matinale. C’était peut-être pour cette raison que j’avais tout le temps de la difficulté à sortir de mon lit. Je ne respectais pas mon horloge biologique ou peut-être que mon horloge était inversée. Je vivais la nuit et le jour 44


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m’était pénible. C’était ce que je me disais pour me rassurer pendant que ma mère a poursuivi notre conversation, paraissant inquiète : — Ma fille, es-tu sûre que tout va bien ? — Oui, maman. Et encore plus lorsque j’entends ta voix. — Je suis ta mère, ne l’oublie pas. Je peux entendre ce que tu ne me dis pas. — Oui, maman. Je le sais. Tu sais tout et tu vois tout. Tu es une bonne magicienne ! Sur un ton humoristique, elle m’a dit au revoir et je l’ai entendu rire avant de raccrocher le téléphone. Si seulement elle pouvait tout voir, alors elle aussi sentirait la présence de l’enfant et ma fatigue qui continuait de peser sur moi depuis des semaines. C’était affreux ! Depuis un certain temps, je pouvais à peine sortir faire des activités. Je ne voulais pas que mon entourage me voie dans cet état. Ils me savaient habituellement joyeuse et là, j’étais préoccupée par ces rencontres mystérieuses et peut-être que ça se voyait vraiment. Je me demandais parfois si je me parlais toute seule et je me questionnais si j’allais bien finalement. Bizarrement, j’étais heureuse de ne pas être seule et je me réjouissais de la présence de l’enfant derrière le miroir qui me tenait compagnie. J’étais reconnaissante de l’avoir rencontrée. Elle me redonnait des forces à chaque rencontre. Elle me remontait le moral et me faisait croire que tout était possible. Seulement, je n’avais pas encore trouvé l’inspiration pour écrire le livre promis à maman. Peut-être qu’avant de vouloir offrir le bonheur, il faut commencer par être heureux. Pour cela, il est essentiel de savoir ce qui nous rend heureux. Très souvent, ce sont les choses qui sont importantes pour nous et qui nous motivent qui font toute la différence. Celles-ci peuvent être de plusieurs ordres. Pour certains, cela peut être de fonder une famille, tandis que pour d’autres, c’est de réussir dans la vie personnelle et professionnelle. Chacune repose 45


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sur des valeurs fondamentales. En effet, quels que soient nos choix, nos actions et nos décisions, les valeurs jouent un rôle essentiel. Les comprendre permet de mieux nous connaître et de créer une meilleure interaction avec notre environnement. En faisant cela, on obtient chaque jour une meilleure version de nous-mêmes. Cher lecteur, vous aurez compris que ma réflexion d’aujourd’hui traite des valeurs. Lesquelles vous croyez le plus ? Notez-les ! Quels sont leurs impacts sur votre vie ? Analysez-les ! Les réponses à ces deux questions ont la fonction de toujours vous valoriser. J’espère que le défi portant sur les valeurs vous aura permis d’en apprendre plus sur vous-même et de renforcer votre mission de vie, car les deux sont étroitement liés dans le processus de notre croissance.

*** Il commençait à se faire tard et l’enfant ne s’était toujours pas manifestée. Ce soir-là, je n’ai pas consommé de thé. À la place, j’ai écouté de la rumba congolaise. Cette rythmique originaire d’Afrique centrale qui, à travers des guitaristes solistes, nous faisait généralement voyager dans les univers inconnus de nos plus belles sensations. Cette musique avait bercé mon enfance parce que mes parents en jouaient, et mon père aimait me raconter sa jeunesse et les influences qu’il avait reçues de cette musique. Ma mère, tant qu’à elle, m’avait appris les pas et je m’amusais à l’imiter. À présent, je n’avais qu’une hâte, converser avec l’enfant derrière le miroir de cette époque. Je me suis mise à chanter dans l’espoir qu’elle allait me répondre. Justement, la voilà ! Elle venait d’apparaître, mais ne me montrait toujours pas son visage ! Je n’avais accès qu’à sa voix, comme d’habitude. J’étais debout. Je dansais. Je l’attendais. Je l’ai entendue : — Peux-tu arrêter ta musique ? Je commence à avoir mal aux oreilles, a crié l’enfant à mon grand étonnement. — Qui n’aime pas la Rumba ? lui ai-je répondu, souriante.

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— Ça fait 20 fois que tu répètes la même musique. Tu aimes la répétition. Ma chère, il est temps d’avancer, a-t-elle insisté. Ensuite, elle m’a demandé ce que je voulais exactement. Je ne comprenais pas où elle voulait en venir. Ce soir-là, elle devait être de mauvaise humeur. Donc, j’ai évité de lui poser des questions. J’ai arr arrêté la musique et j’ai allumé une bougie, espérant que ça nous permettrait de nous détendre. Hélas, elle était déjà partie… Un silence s’est installé, peu à peu. J’ai commencé à prier tout doucement, en essayant d’envoyer de bonnes vibrations afin de trouver les forces nécessaires pour l’aider à sortir du miroir. Les yeux fermés, concentrée dans ma prière, je l’ai entendue revenir. Elle sanglotait. J’ai alors eu l’impression que mon cœur saignait en l’entendant pleurer de la sorte. J’aurais aimé la prendre dans mes bras pour la consoler. Je ne pouvais pas, car je ne la voyais pas. J’ai essayé de lui dire que tout irait bien. Rien n’a changé et elle a continué de pleurer. Je lui ai réitéré la promesse de trouver une solution pour la sortir du miroir. Elle a arrêté tout doucement de pleurer. J’ai ouvert la discussion, en espérant qu’elle serait disposée à me parler. — Parle-moi de tes valeurs et de ce qui est important pour toi, l’ai-je questionnée gentiment. Un silence s’est à nouveau installé.Puis, je l’ai entendue me parler : — C’est la première fois que tu m’inclues dans une de tes méditations. Cela m’a fait du bien ! Je ne comprenais pas sa réaction et les raisons pour lesquelles elle disait cela. Je ne la connaissais même pas avant. J’ai pris place, assise par terre auprès du miroir du salon, jetant des coups d’œil de temps en temps dans le miroir en espérant la voir. Elle ne s’est pas montrée, mais m’a parlé. J’ai tendu l’oreille pour mieux entendre. Sa voix s’était un peu étouffée par les larmes. — Tu aimes poser des questions auxquelles tu peux répondre toi-même, mais tu te refuses de le faire. — Que veux-tu dire par là ? 47


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— Quelles sont les valeurs les plus importantes chez les grandes personnes comme toi ? Par grandes personnes, elle voulait probablement parler des adultes. Alors, je lui ai répondu : — Je ne sais pas. Tout ce que je sais, c’est que moi, je ne crois plus en rien. J’ai tellement de choses à gérer… — Il doit quand même y avoir des idées ou des principes en lesquels tu crois. N’est-ce pas ? — J’imagine que tous, nous croyons à l’amour, le respect et la gratitude… Elle a soupiré et, après un court silence, elle m’a dit : — Crois-tu en l’amour ? Toi, qui as oublié de t’aimer toi-même… — Ce n’est pas aussi simple que cela. Grandir, c’est faire des choix. Pour aller de l’avant et sortir de ma situation, j’ai choisi de m’affirmer. Ce qui n’est pas une mauvaise chose en soi. Mais, sans doute, cela m’a enlevé une certaine sensibilité que j’ai dû confondre avec la faiblesse. Mes envies et mes désirs ont alors été négligés pour laisser place au travail acharné et à la conquête du monde. Ce n’est donc pas si facile de lutter et de s’aimer au même moment. Heureusement, aujourd’hui, j’ai vu les dégâts que ça peut causer de s’oublier, de refuser de se donner soi-même des moments de qualité parce qu’on n’arrête pas de compter et de mesurer. Je dois faire des compromis et je pense être en mesure d’y parvenir. D’autre part, être adulte, c’est souvent vivre des contradictions. Ce n’est pas parce qu’on croit au respect, par exemple, que nous ne sommes pas parfois désagréables vis-à-vis des gens qui nous entourent. — J’ai l’impression que vous, les grandes personnes, aimez compliquer les choses simples. Quand on est un enfant, on ne se complique pas la vie. On est ouvert à recevoir et à être enseigné. Voilà tout ! Laisse-moi sortir de ce miroir et je te l’enseignerai. 48


UN VOYAGE À L’INTÉRIEUR À L’INTÉRIEUR DE SOI

J’étais agacée par cette demande. Je ne savais même pas comment je l’avais enfermée dans un miroir et encore moins comment faire pour l’en sortir. Craignant que la conversation ne prenne une tournure à laquelle je n’étais pas prête, je lui ai demandé avec fermeté et douceur à la fois : — Assez parlé de valeurs ! Passons à autre chose. Il est tard et je ne voudrais pas manquer la suite de ta quête du bonheur pour ta Nènè. Que s’est-il passé après le spectacle des idées ? Elle a soupiré et accepté de fermer la discussion portant sur les valeurs, puis elle m’a raconté la suite de son histoire de quête. — Après le spectacle des idées, puisque je n’avais toujours pas compris ce qu’était le bonheur, j’ai poursuivi ma route pour le découvrir. En fait, Nènè m’avait dit un jour : « Celui qui apprend à être droit dans la vie va loin parce qu’il finit toujours par trouver ce qu’il cherche. » C’est ce que j’ai fait à partir de ce moment-là. Je m’étais mise à marcher tout droit devant moi à la rencontre de la rivière de lait. Sur la route, j’ai fait de belles rencontres, comme celle avec Ekoko, un poisson complexé dont le rêve était d’épouser la plus belle femme du village. Aussi, il y a celle du Caméléon à la recherche de son identité pour connaître sa véritable mission dans la vie. Un jour, tu te souviendras de toutes ces histoires… Ces rencontres ne m’avaient pas empêchée de continuer ma route, car rien n’était plus important que ma quête de comprendre le bonheur pour l’offrir à Nènè. J’ai continué à marcher tout droit pour trouver ce que je cherchais. J’avais tellement soif et il ne me restait plus d’eau. Je me suis mise à désespérer. Des larmes ont commencé à perler sur mes joues. Je me croyais complètement perdue. Puis, au loin, j’ai entendu le bruit d’une rivière qui coulait. J’ai accéléré le pas, me hâtant d’aller étancher ma soif. Lorsque j’ai vu une rivière apparaître au loin, j’ai été surprise de son éclat par-delà les branches. En arrivant, j’ai découvert un flot blanc non transparent. C’était du lait. La fameuse rivière de lait était là. Me laisserait-elle boire un peu de son lait ? C’était elle 49


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que j’étais venue rencontrer et, prise par la soif, j’avais besoin de boire avant de lui parler. Je me suis remise à pleurer à chaudes larmes. — Pleures-tu uniquement parce que tu as soif ? m’a demandé la rivière. Que c’est étrange ! a-t-elle renchéri. — Pour quelle autre raison devrais-je pleurer ? lui ai-je demandé, surprise de son explication. — Par amitié, petite ! C’est là qu’elle m’a raconté son histoire. Selon elle, elle était devenue une rivière pour avoir beaucoup pleuré. Étant toujours triste, elle avait perdu ses amis les plus précieux, car elle n’était jamais là lorsqu’on avait besoin d’elle, trop occupée à se plaindre de son sort. Il est vrai qu’une amie absente la plupart du temps n’avait aucune utilité. Pourtant, elle avait beaucoup à offrir, mais, trop prise par ses inquiétudes quotidiennes, elle n’était utile à personne, à commencer par elle-même. Toutes les facultés qu’elle avait et qui auraient pu soulager les gens autour d’elles, elle avait mis le cadenas de l’amertume dessus. Elle était dotée de facultés particulières. Elle était même capable de guérir les gens de sa seule présence, mais elle s’est laissée ensevelir sous une tristesse permanente. C’était lors d’un soir de pleine lune, alors qu’elle pleurait encore à sa fenêtre, se morfondant d’une situation qui n’en valait pas la peine, qu’elle a fâché la lune qui a décidé de la changer en rivière pour qu’elle coule tout le restant de sa vie. Ainsi, vu qu’elle faisait couler ses larmes constamment, la lune avait décidé de faire d’elle une rivière de lait, douce comme le miel et intarissable. En coulant, elle porterait sa douceur tout le long de son parcours afin que les autres puissent en profiter. Triste histoire. Presque méritée, même. De mon côté, j’avais encore soif et je lui ai demandé si je pouvais boire un peu de son lait. Grâce à sa générosité, elle m’a laissée me servir deux fois de suite. Je n’avais jamais rien bu d’aussi désaltérant. Après avoir bu, je lui ai demandé ce qu’elle avait à m’enseigner parce que les idées m’avaient 50


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envoyée vers elle. Elle m’a répondu que toute la leçon qu’elle avait à me donner résidait dans son histoire. Le reste, je devrais aller vers le Temps pour obtenir des réponses. Lorsque j’ai voulu traverser, elle m’en a empêchée. — Tu sais, lui ai-je dit, si tu ne me laisses pas traverser, j’ai une amie qui va s’inquiéter et serait triste de ne plus me revoir. — Qui est-elle ? a demandé la rivière avec curiosité. — Elle a plusieurs noms qui veulent tous dire la même chose : maman. — Comment est-elle ? — Elle brille comme le soleil. Elle est douce comme la nuit. Elle répare les cœurs brisés. Elle est magique ! — Tu es chanceuse de l’avoir comme amie. Si je te donnais mon cœur, pourrais-tu lui demander de le réparer pour moi ? Depuis longtemps, je ne suis pas capable de garder mes amis. Je me sens terriblement seule. Sa demande m’a touchée et je lui ai dit : — Ma belle rivière, tu es si pure. Ton lait est si bon. Il te suffit de le rendre accessible à tous et de le partager sans attendre quoi que ce soit en retour. Donne tes bienfaits à ceux qui en ont besoin. Ne te plains plus de ton sort. Sois l’amie disponible de tout le monde et tu verras que tu seras moins seule. — Par où commencer ? a insisté la rivière. — Nènè dit souvent : «L’amitié commence avec soi-même.» Accepte-toi telle que tu es et tu verras que tout le monde t’acceptera à leur tour. Moi, déjà, je suis ton amie, lui ai-je répondu avec enthousiasme. Ma nouvelle amie la rivière était si contente qu’elle s’est mise à danser avec joie. Nous nous étions même mises à danser ensemble. C’était magnifique. J’aurais tant voulu que Nènè soit là pour joindre la danse. Elle lui aurait appris de meilleurs pas de danse que moi. La rivière m’a remerciée de l’avoir réconfortée, puis elle m’a laissée traverser. Elle m’a conseillé d’aller voir le Temps. 51


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*** Cette enfant devenait de plus en plus attachante. Je pourrais l’écouter pendant des heures. Ses histoires fantastiques donnaient envie d’être dans son monde. Cela me changerait de mon sofa et de mes migraines, de cette douleur de dos et de la solitude que je m’étais créée, comme une bulle dont je n’en sortais presque plus si elle était à côté de moi.Je ne pouvais pas m’empêcher de poser d’autres questions, tant cette dernière histoire de la rivière de lait avait piqué ma curiosité. — À quoi ressemble une danse avec une rivière de lait ? Comment cela se peut-il ? L’enfant a ri de bon cœur avant de répondre à ma question : — Imagine-toi un instant jouer avec les vagues en essayant de les éviter. Voilà. Puis, comme pour faire diversion, l’enfant s’est mise, à son tour, à me poser des questions sur le Temps : — As-tu déjà rencontré le Temps ? Comment est-il ? Pourquoi passe-t-il aussi vite ? Est-il ton ami ? Qu’est-ce qu’il t’a volé une fois devenu grand ? Sur quoi porterait ta conversation avec lui si tu venais à le rencontrer ? Voudrais-tu que je lui porte un message pour toi si je le rencontrais ? Je lui ai répondu avec sincérité que l’on ne m’avait jamais posé ces questions auparavant, questions que je trouvais pourtant importantes. J’allais donc prendre le temps d’y réfléchir avant de lui répondre. À mon tour, je lui ai demandé : — Puis-je te poser une question ? — Vas-y, m’a-t-elle répondu avec gentillesse. — Pourquoi ne parles-tu jamais de ton père ? — Pour moi, mon père et ma mère sont une paire, un peu comme la paire de chaussures que nous portons à nos pieds. Mon père et 52


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ma mère sont ce que je suis. Mes valeurs et mon éducation sont la somme des deux. Quand j’étais enfant, mon père était un modèle pour moi, à un point tel que, sans faire exprès, j’ai commencé à plus lui ressembler. Et c’est ainsi que ma mère est devenue cette femme exceptionnelle dont je parle souvent pour lui rendre hommage. Sur les traces de mon père, j’ai découvert la force de ma mère qui a contribué à ce qu’il est devenu. Comme toutes ces femmes dont on parle peu, mais qu’on résume dans la phrase : « Derrière un grand homme se cache une grande femme. » J’ai décidé que ma mère ne se cacherait plus. Alors, j’en parle ouvertement à tous ceux et celles qui croisent ma route. Elle a décidé de me conter une histoire s’intitulant : «Les chaussures de mon père.» C’était celle d’un enfant qui héritait des chaussures de son père. Elles s’avéraient être magiques et le faisaient voyager dans plusieurs endroits. Bien qu’elle fût magnifique, il était tard. Je ne faisais que bâiller. Voyant que notre conversation était terminée, comme à son habitude, elle m’a dit au revoir et m’a fait la promesse de revenir un autre jour me rendre visite, sans spécifier lequel. Aujourd’hui, elle n’en doutait plus, elle savait que je l’attendrais avec beaucoup d’amour et de bienveillance, comme un ours et son miel. Je me suis endormie sous le bruit de ses pas réconfortants que j’entendais au loin. Cette douce mélodie qui me souhaitait bonne nuit chaque fois qu’elle s’en allait.

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5 Courir, toujours courir ?

A

ujourd’hui, en me réveillant, je me suis sentie comme ce proverbe africain qui dit : « Toute promesse faite est une dette.» En effet, la promesse d’écrire un livre sur le bonheur pour maman commençait à peser de plus en plus lourd sur ma conscience. Il était venu le temps pour moi de payer cette dette avec un taux d’intérêt plus élevé. Cela signifiait qu’il me fallait écrire le livre de maman avec un contenu qui saurait la surprendre, car elle l’attendait depuis très longtemps. Ce matin-là, après l’appel téléphonique quotidien avec elle, j’ai décidé de sortir pour la première fois après avoir passé de longues semaines à la maison. Cela m’a fait un bien fou. Je me suis acheté de nouvelles bougies saveur lavande, une robe et un paquet de crayons de couleur pour faire une activité avec « mon » enfant derrière le miroir. Cela faisait plusieurs semaines que j’avais fait sa rencontre et notre 54


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relation était de plus en plus solide. Les histoires qu’elle me racontait me donnaient des idées pour écrire le livre de maman. J’essayais de m’approprier son univers particulier comme source d’inspiration à écrire. Elle était dans ma tête déjà, ça ne devrait pas être difficile. En échange, je devais l’aider à sortir du miroir. Comment ça allait se faire ? Je ne le savais pas encore. Pour l’instant, sa compagnie m’était précieuse et c’était tout ce qui importait. J’essayais de me persuader qu’elle existait vraiment. Après tout, nos échanges remplissaient mes journées et je me sentais moins seule. Cette promesse était de loin la plus difficile à respecter jusqu’ici. Comment pouvait-on faire sortir quelqu’un d’un miroir ? Si je me confiais à quelqu’un, il penserait que j’étais en train de devenir folle et il me suggérerait de rencontrer un psychiatre. Nous étions déjà en décembre. C’était bientôt la période des fêtes. La neige avait tout embelli sur son passage. Dehors, les gens s’échangeaient des sourires. Le temps des fêtes s’y prêtait et c’était si agréable ! J’ai décidé de faire un tour dans la boutique d’une amie. Elle était contente de me voir. Nous avons discuté autour d’un bon verre de crémasse, ou kremas en Créole. C’était une boisson alcoolisée d’une texture douce et crémeuse originaire d’Haïti que j’adorais. Mon amie venait d’Haïti et elle tenait une boutique près de la rue Saint-Hubert. Je l’appelais Muse et d’autres fois l’éléphant. Elle était une pièce incontournable au sein de la communauté. Si inspirante, on comptait tous sur elle. C’était notre éléphant, une personne solide et forte, imposante et si douce. Cette femme d’une quarantaine d’années était aussi mère de 2 merveilleux enfants. Elle et moi, nous nous inspirions mutuellement. C’était ma sœur de cœur ! Au cours de notre brève conversation, je me suis sentie coupable de ne pas être présente pour elle autant que je l’aurais souhaitée. — Muse, pardonne-moi de ne pas donner de nouvelles depuis plusieurs semaines. — Ne t’inquiète pas, ma chérie. Les amies savent pardonner. 55


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— Merci beaucoup. Mais quel est le sens du pardon pour toi? lui ai-je demandé, confiante qu’elle me donne une réponse sage et juste comme à l’accoutumée. — Le pardon, c’est la libération de l’âme et le secret de la tranquillité. L’acte de pardonner, c’est une forme d’humilité. Lorsqu’on cause du tort à une personne, en lui demandant pardon, on fait du bien à son cœur et, parallèlement, on se fait du bien à soi-même. La gratitude va de pair avec le pardon. — Pourquoi y a-t-il donc des gens qui ne demandent pas pardon? — Parce qu’ils ne connaissent pas encore les vertus du pardon. Ces personnes ne savent pas que c’est une façon de se libérer soi-même et de connaître la tranquillité d’esprit. Pendant que je m’apprêtais à lui poser ma prochaine question, une cliente nous a interrompues. J’ai assisté, en silence, à leur conversation, mais je les ai observées avec intérêt. La cliente a commencé la conversation : Cliente : Bonjour, Madame. Je cherche un cadeau original à offrir à ma mère. — Qu’est-ce qui lui plairait ? — Quelque chose de simple, car c’est une femme qui n’est pas vraiment compliquée. — Alors, offrez-lui ce que vous avez de plus précieux. La dame a semblé hésitante, mais lui a tout de même posé la question qui lui brûlait les lèvres : — Si c’était vous, qu’auriez-vous offert à votre mère ? — Je lui offrirais mon amour. Je lui exprimerais ma gratitude. Ma mère, plus je l’aime, plus je m’aime. — Merci de m’avoir aidée. Puisque j’aime écrire, alors je prendrai une de vos plus belles cartes et je lui exprimerai ma gratitude par un poème que je vais essayer de créer uniquement pour elle.

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Pendant que mon amie servait sa cliente, je repensais à ma propre mère et à la fameuse promesse que je lui avais faite : celle de lui offrir le bonheur en lui écrivant un livre qui parlerait d’elle. La conversation que je venais de suivre m’inspirait énormément. J’ai regardé ma montre. Il était tard. J’ai pris congé de mon amie pour aller retrouver une autre si chère à mon cœur, l’enfant derrière le miroir. — Muse, il faut que j’y aille. Je suis si contente d’avoir partagé ce moment avec toi. Merci infiniment ! — Merci à toi d’être venue. Prends du temps pour toi. Surtout, repose-toi. C’est si précieux. Tu n’as pas encore d’enfants et tant de responsabilités… Profite, ma chérie… Et n’oublie pas. Quand rien ne va, souris ! Souris très fort… Nous nous sommes fait la bise, puis j’ai quitté la boutique. Je m’en allais, ravie de cette petite sortie qui m’avait fait du bien. J’aurais tant voulu lui parler de ma rencontre avec l’enfant derrière le miroir, mais pour l’instant, je gardais ce secret pour moi. Elle n’avait pas tort quand elle me disait de profiter et de me reposer. Certes, je n’avais pas encore d’enfant, mais pour moi, l’enfant derrière le miroir me procurait le désir de prendre soin d’elle, comme si elle était la chair de ma chair. Sur le chemin du retour à la maison, je me suis arrêtée un bref instant et j’ai observé autour de moi. J’ai regardé les passants. Ils avaient l’air si pressés. Où couraient-ils ? On passe tellement de temps à planifier l’avenir. Pourtant, la seule chose dont on a la certitude, c’est le moment présent. Comme l’a dit l’enfant, une fois : «Le temps est une denrée rare.» Elle avait raison. Surtout de nos jours ! Aujourd’hui, je n’avais fait que courir. Dans ma vie, je courais tout le temps. Comme poussée par un objectif devant moi, je courais sans cesse. Le temps ne semblait jamais suffire. Je courais, mais pourtant, il me restait toujours des choses à faire, des rendez-vous manqués, des retards et des reports. J’étais persuadée que je n’étais pas 57


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la seule à faire ça. Nous pourrions ouvrir un agenda et y réserver une plage horaire rien que pour nous. Et lorsque ce moment-là arriverait d’en profiter au maximum, le savourerions-nous vraiment ?

*** Me voilà rentrée à la maison. Ce soir-là, je comptais cuisiner. J’ai décidé de préparer un plat que j’adore, le «Tiepboudièn». C’est le plat national du Sénégal. Il est fait à base de riz, avec du poisson, des légumes et de la sauce tomate. Pour me mettre une petite ambiance, j’ai écouté du Toumani Diabaté, l’un des plus grands joueurs de Kora. Cet instrument de musique à cordes est originaire du Mali. Maintenant que le riz était prêt, j’ai dressé la table et j’ai installé un miroir en face de moi. Oui, nous dînerions en tête-à-tête elle et moi! Et j’ai attendu. Elle ne s’est pas présentée. J’ai nettoyé le miroir afin de m’assurer qu’elle comprendrait que je réclamais sa présence. Rien. J’ai mangé en jetant de temps en temps des coups d’œil au miroir. J’ai prêté l’oreille pour l’entendre. J’ai même diminué la musique de Toumani Diabaté. Elle n’était toujours pas là. Je pourrais appeler le 911, mais pour leur dire quoi ? Ils penseraient que je suis folle si j’expliquais : «Depuis quelque temps, je converse avec une enfant qui se cache dans un miroir. Nous avions rendez-vous, mais elle ne s’est pas présentée». Ils me prendraient définitivement pour une cinglée. Je les imaginais déjà me répondre avec l’accent québécois : «Madame, s’t’une blague ? Une enfant dans le miroir ? Avez-vous pris un coup ? Consommée une substance ? Voulez-vous qu’on envoie une ambulance ? Avez-vous de la famille par icitte ? Quelqu’un qui pourrait venir rester avec vous ou on vous place à l’hospice?» J’ai frotté à nouveau le miroir. J’ai tapé trois coups dessus comme quand on frappe à la porte. J’ai pris tous les miroirs de la maison, puis je les ai tous mis devant moi. Je la cherchais dans tous les miroirs. Je la cherchais elle, mais, hélas, c’était moi que je voyais quand je les regardais. 58


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Avant, je m’inquiétais de parler avec une forme de présence invisible. Maintenant, j’avais peur de ne plus l’entendre. Je refusais même de penser à l’idée de croire qu’elle n’avait jamais existé et que tout cela se passait juste dans ma tête. J’ai allumé les bougies que j’avais achetées un peu plus tôt dans la journée, puis je me suis mise à méditer. J’ai fermé les yeux et j’ai prié en espérant qu’elle allait m’entendre. J’ai demandé que nous puissions être à nouveau réunies. Une larme a coulé sur ma joue, puis deux. Je les ai effacées et je me suis même mise à chanter. «Neneyooo Nenenyooo Neneyoooo Nene Kamora» (Maman, maman, maman, maman, es-tu là ?) Soudain, j’ai entendu une voix dans ma tête qui reprenait ma chanson. C’était la voix de l’enfant, j’en étais convaincue. «Neneyooo Nenenyooo Neneyoooo Nene Kamora» (Maman, maman, maman, maman, es-tu là ?) Elle était là. Elle était de retour. Quelle joie! Quel bonheur! Je lui ai demandé pourquoi elle avait autant hésité à se manifester. — Je voulais juste te manquer. Je voulais que tu démontres vraiment que tu as besoin de ma présence. Ta prière était sincère cette fois-ci. Tu m’as même rendue triste avec tes larmes et tes inquiétudes. — Je me suis tellement habituée à toi que je me sens deux fois plus seule qu’avant quand tu n’es pas là. J’aimerais que tu sois réelle et que tu sois mon enfant. — Je ne suis pas ton enfant. Je suis toi, enfant. J’ai soupiré. Et j’ai observé un petit silence. Tout ça était tellement mystérieux. Mon cœur avait envie d’y croire, mais ma tête, elle, s’affolait. Elle m’a reparlé. — Merci pour le paquet de crayons de couleur que tu nous as acheté. — Je voulais qu’on fasse des dessins ensemble. 59


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J’avais envie de lui demander la suite de son aventure et de sa rencontre avec le Temps. Son histoire nous connectait tellement. Pourtant, j’étais plus à l’aise de la considérer comme étant extérieure à moi, comme une personne à part entière et complètement séparée. De plus en plus curieuse, je lui ai demandé de me montrer son visage. Elle a refusé. Mais, pour une fois, elle m’a expliqué ses raisons. — Si je te montre mon visage, tu vas m’oublier. Tu vas oublier tout ce que j’ai partagé avec toi jusqu’à présent. Je perdrais ma valeur. Je n’ai pas un visage que tu ne connais pas. Je suis toi, mais je ne peux pas me montrer sans briser le lien qui nous lie. C’est en restant dans ton imaginaire que je te suis plus utile. Vois-tu l’air que tu respires ? Je me suis résignée à ne pas la voir. Et je lui ai demandé de continuer son histoire. Je me suis installée et je l’ai écoutée. — Après ma rencontre avec la rivière de lait, elle m’a conseillé que pour comprendre le bonheur, il fallait que j’aille chez le Temps, car selon elle, il possède toutes les réponses. C’est donc ce que j’ai fait. Me voilà à courir à la quête du temps. J’ai marché droit devant moi. En réalité, j’ai couru plus souvent que je n’ai marché. À un moment, j’ai commencé à être fatiguée. J’ai donc décidé de me reposer un peu sous un arbre. Je reprenais tout doucement mon souffle et, bercée par le bruit des oiseaux et emportée par l’air frais, je me suis assoupie. Dans mon demi-sommeil, j’étais interpellée par une voix de femme. Étais-je en train de rêver ou était-ce réel ? — Je suis la Nuit, a dit la voix de la femme. — Comment ça, la Nuit ? ai-je demandé. — Je suis la Nuit qui vient après et avant le jour. Je porte les étoiles et la lune. Je veille sur le sommeil et le repos. C’était la première fois que cela m’arrivait de voir la Nuit. Elle était grande et charmante. Elle était vêtue d’une longue robe noire 60


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parsemée d’étoiles. Avec son allure, elle défilait devant moi dans toute sa splendeur. — Quelle élégance! Que vous êtes majestueuse! Comment vous saluer ? Ansoma comme chez les Malinkés ? Ambolang comme chez les Fangs ? Ou Djarama de chez les Peuls ? — Un bonjour suffira ! J’ai une préférence pour la simplicité… Elle n’avait probablement pas apprécié que je lui dise bonjour en différentes langues africaines. — Vous êtes si belle ! ai-je repris. On dirait Nènè. — Le plus important, c’est ce que j’ai à te dire. Ce n’est pas ma beauté, mais mon message qui est l’essentiel. Qui est donc cette Nènè avec laquelle tu me compares ? Je suis la Nuit. Je suis unique. Je n’ai nulle égale. — Nènè n’est pas la nuit, mais elle est unique. Elle n’est pas grande, mais elle est majestueuse. C’est elle qui veille sur mon repos et sur mon sommeil depuis ma naissance, de jour comme de nuit. Elle est donc un peu comme vous. C’est ma mère. — Ah ! Je vois. Moi, je suis la mère du monde. La mère de toutes les mères. En effet, la Nuit veillait sur nous tous, y compris le Temps. Avec l’éclat de ses étoiles, elle guérissait les plaies du Temps et l’aidait à aller mieux. — Des plaies, vous dites ? l’ai-je questionnée, songeuse. — Le Temps est chaque fois blessé par tous ceux qui jouent avec les heures, les minutes et les secondes comme si elles n’avaient aucune importance. Aussi par ceux qui passent leur temps à reporter les choses à faire. Ces derniers sont les plus coupables. Ils amputent le Temps quand ils ne l’utilisent pas ! Pourquoi, vous les Hommes, vous ne savez pas être davantage reconnaissants ? Pourtant, il est le seul qui se donne aussi généreusement. — Comment cela se peut-il ? lui ai-je demandé, curieuse. 61


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— Chaque jour, chaque minute, chaque seconde est semblable au battement de votre cœur et est un cadeau du Temps, a expliqué la Nuit. — S’il est aussi généreux que cela, pourquoi passe-t-il aussi vite ? Pour me répondre, la Nuit m’a raconté une tranche de vie du Temps. — Lorsque le Temps n’était encore qu’un enfant comme toi… Autrefois, le Temps ne vivait pas dans le même village que celui des hommes et quand il s’ennuyait, il me demandait comment était la vie dans le village des hommes. Alors, je lui parlais toujours des tueurs de temps, ceux qui ne rendent pas leurs journées productives. Un jour, il a décidé de partir à la rencontre des habitants du village pour leur expliquer l’intérêt de faire bon usage du temps. Hélas, au lieu de l’écouter, les gens se sont mis à lui jeter des pierres et il est revenu à la maison, tout confus. — À quoi ressemble le Temps ? lui ai-je demandé. — Le Temps ne ressemble à rien que je ne puisse te décrire. Sa mémoire est celle de l’éléphant, sa beauté est celle du soleil, son parfum est celui des saisons, sa couleur alterne entre le clair et l’obscur. Le Temps ne marche ni ne vole. Il ne rampe ni ne saute. Je ne comprenais pas tout ce qu’elle me disait, car avec la nuit, c’était rarement clair. Elle a continué : — Un jour, le Temps s’est présenté sous une forme mystérieuse, enchanteresse. Les villageois se sont exclamés en voyant sa beauté à la fois délicate et brute, féerique et subliminale. Ils l’ont accueilli avec ferveur et se sont rassemblés pour l’écouter. Il s’est présenté à eux comme le messager du présent, leur annonçant que le présent était un cadeau dont ils devaient tirer tous les bienfaits chaque fois qu’il serait là. Les hommes l’ont écouté en acquiesçant, mais à peine venait-il de partir qu’ils ont continué à ramener toutes leurs priorités au lendemain, ce futur qu’on ne connaît, malheureusement ou heureusement, pas. 62


UN VOYAGE À L’INTÉRIEUR À L’INTÉRIEUR DE SOI

Le Temps a été très remonté et il a décidé, depuis lors, de ne plus épargner personne. C’est alors que je me suis réveillée. Le souvenir de cette rêverie était encore palpable dans mon souvenir. J’en étais si intriguée que je me demandais pourquoi la Nuit tenait à m’avertir du conflit entre le Temps et les hommes. Allait-il répondre à ma question maintenant ? Que ferais-je si je n’apprenais pas ce qu’était le bonheur ? J’aurais donc fait tout ce chemin pour rien ! Nènè seraitelle condamnée à rester toujours triste ?

*** Sur ces mots, l’enfant derrière le miroir a arrêté de parler tout doucement. Je savais qu’elle était encore là, mais plus rien. Silence total. J’ai donc décidé de ranger le restant du riz dans le frigo, je me suis fait un thé au jasmin et je l’ai apporté dans ma chambre pour l’y déguster. J’ai bâillé. L’enfant a brisé son silence juste pour me dire au revoir. Un moment, j’ai failli lui demander ce qui l’avait préoccupée tantôt, mais je me suis ravisée. Comme à son habitude, elle m’a fait la promesse de revenir, toujours sans spécifier d’instant précis. Je connaissais désormais le rituel. Je l’attendrais, comme une femme enceinte attend avec impatience de voir l’enfant qu’elle porte. Je me suis endormie sous le bruit de ses pas que j’entendais au loin, cette douce mélodie qui me souhaitait bonne nuit lorsque l’enfant derrière le miroir s’en allait.

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6 Il est où le bonheur ?

A

ujourd’hui, en me réveillant, je me suis sentie comme ce proverbe africain qui dit : « Ce que tu ignores vaut parfois mieux que ce que tu sais. » Je ne savais pas vraiment ce qui m’arrivait avec cette histoire d’enfant coincée dans un miroir par ma faute et qui me parlait. À travers ses histoires, je pouvais comprendre certaines choses et j’essayais de l’imaginer sans jamais réussir à me convaincre qu’elle était moi, mais d’un autre âge. Au plus profond de moi, je sentais que derrière ces univers poétiques et imagés se cachait une âme sensible et belle, mais surtout sage. Tellement sage que je ne pouvais pas croire que c’était une enfant, encore moins que c’était moi enfant. À son âge, certes, j’avais l’imagination fertile et abondante, mais j’étais vraiment une enfant. Elle, c’était une âme sage avec une voix d’enfant qui me tenait compagnie. J’ignorais si tout cela était vrai, mais j’avais la certitude de l’entendre et je me rappelais encore 64


UN VOYAGE À L’INTÉRIEUR À L’INTÉRIEUR DE SOI

toutes les histoires qu’elle m’avait racontées. Ce matin-là, j’étais en pleine forme et j’ai appelé maman, comme tous les matins, mais cette fois-ci avec beaucoup d’enthousiasme. — Bonjour, maman. Comment avancent tes cours de français ? — Ah, ma fille ! Que cela me fait du bien d’entendre ta voix. J’ai fait beaucoup de progrès en lecture. À notre dernière séance, le professeur nous a dit de chercher un livre de contes pour pratiquer la lecture à la maison. J’aurais pu lui dire que j’en avais déjà un et qu’il a été écrit par ma fille, mais je ne sais même pas où tu en es avec la rédaction de tes histoires. — Tu sais, maman, écrire un livre n’est pas aussi facile que je le croyais. Il faut beaucoup de réflexions, il faut être structuré, discipliné et travailler de façon assidue, lui ai-je expliqué pour me justifier de ne pas avoir encore terminé l’écriture. — Ma fille, écoute ton cœur. Écoute aussi ce que le silence a à te dire et écris. C’est seulement ainsi que tu écriras quelque chose qui te ressemble vraiment. De toute façon, tu es ma fille chérie. Je prendrai ce que tu me donneras et je l’apprécierai, car cela viendra de toi. Après, on s’est parlé d’autres choses rapidement et, avant de raccrocher, elle m’a promis de me rappeler le lendemain, car elle devait partir faire les courses. J’ai décidé de faire la même chose de mon côté. Aujourd’hui, j’avais envie d’acheter une plante, puis de m’asseoir, de boire du thé et de me détendre. Je savais bien que ce serait difficile de me détendre parce que j’étais de plus en plus préoccupée par ma relation particulière avec cette enfant imaginaire. Cela me semblait être une éternité que je n’avais pas eu de ses nouvelles. Elle me manquait terriblement, comme si elle était ma propre fille. Ressentir cela m’avait rapproché de ma mère. De nos échanges, j’ai appris à revoir mes priorités. Par exemple, aujourd’hui, je pense un peu plus à moi et lorsque je n’apprécie pas une situation, je change ma façon de la regarder tout simplement. 65


L’ENFANT DERRIÈRE LE MIROIR

Lorsque j’attends l’autobus et qu’il est en retard, au lieu de m’énerver, je prends ce moment pour contempler la nature et imaginer ce à quoi peuvent penser les passants. Cela me procure une certaine paix avec moi-même. C’est aussi grâce à elle que j’ai fini par trouver l’inspiration nécessaire pour entreprendre l’écriture du livre que j’avais promis à maman et qu’elle me réclamait souvent d’une manière discrète. Plus souvent qu’autrement ce serait un livre abordant le bonheur à travers des contes, ceux qu’elle m’avait racontés alors que je m’endormais paisiblement. L’authenticité de l’enfant a conquis mon cœur à tout jamais. Je suis devenue, j’en suis convaincue, une meilleure version de moi-même. Notre rencontre a transformé ma vie. Je l’intégrais désormais dans mes choix. Par exemple, je sortais acheter une plante pour lui faire plaisir. Elle était mon amie et, entre amis, on aime se faire plaisir.

*** Depuis qu’elle était apparue dans ma vie, je ne voyais plus les miroirs de la même façon. Quand je me coiffais, quand je me maquillais et même quand je passais devant une vitrine, j’observais attentivement. J’avais tendance à me dire qu’elle allait apparaître subitement quand je ne me sentais pas observée de l’autre côté de mon reflet. Pour lui parler, je m’asseyais devant un miroir et j’essayais d’entrer en contact avec elle. Comme ce soir-là où, revenue de mes courses, je me suis assise devant un miroir, j’ai posé mes deux mains dessus, j’ai rapproché mes lèvres et j’ai parlé tout doucement : « Belle petite fille, es-tu là ? C’est moi, ton amie ! Tu sais ? Celle à qui tu as partagé tes histoires fantastiques, le spectacle des idées, la rencontre avec la rivière de lait, celle avec la Nuit et celle qui attend patiemment que tu lui racontes ta rencontre avec le Temps. Mon amie, où es-tu ? »

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UN VOYAGE À L’INTÉRIEUR À L’INTÉRIEUR DE SOI

Pas de réponse. J’ai pensé qu’elle travaillait ma patience de plus en plus, mais je ne lui en voulais pas du tout. La définition du bonheur se trouvait avec le Temps et j’étais impatiente de la savoir. Nous avions des définitions différentes du bonheur qui, parfois, peuvent varier d’un individu à l’autre et, des fois, chez la même personne. Peu importe la définition, ce qui est important, c’est comment on intègre cela dans notre vie. Un exercice que l’on peut faire et qui peut servir à nous guider, c’est décrire son idée du bonheur et la façon dont cette description fait partie de notre vie.

*** Pendant que je faisais le défi sur le bonheur moi aussi, j’ai entendu un léger bruit. Elle était là ! Je le savais. Je le sentais. J’étais si contente que mon cœur s’est mis à battre plus vite. Elle ne disait rien. Ce n’était pas bien grave, car je sentais enfin sa présence. Pour l’instant, cela me suffisait. J’ai pris un coussin et je me suis installée devant le plus grand des miroirs de mon appartement, celui du salon devant lequel j’ajustais mes tenues avant de sortir. Elle ne disait toujours rien et moi non plus. Toutes les deux, nous laissions place au silence de façon volontaire. Nous essayions même de l’apprivoiser. Le silence nous parlait et parlait pour nous. Alors, nous écoutions attentivement au moment où il a semblé nous dire : « Vous voilà enfin réunies. N’estce pas là le plus grand des bonheurs ? » C’était donc le temps de la réconciliation. Alors, j’ai essayé de ne faire qu’un avec l’enfant pour nous réconcilier, la sortir du miroir et même si je ne la voyais pas, je souhaitais qu’elle fasse partie de mon univers pour toujours. À ce moment-là, elle a interrompu le silence. — Avant notre réconciliation officielle, il faudrait que je finisse mon histoire. Il faut que tu comprennes comment je me suis retrouvée à être enfermée dans ce miroir. C’est seulement après cela que je pourrai être complètement libre…

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L’ENFANT DERRIÈRE LE MIROIR

— Je ne comprends pas. Que veux-tu dire ? lui ai-je demandé gentiment, mais intriguée. — Récapitulons. Un jour, il n’y a pas si longtemps que ça, tu as décidé de te souvenir de moi. Alors, tu m’as enfin entendu derrière le miroir. Tu m’as parlé de ton projet de livre pour ta mère et moi de ma quête du bonheur pour Nènè. Nous nous sommes promis mutuellement de nous entraider. Même s’il n’est pas tout à fait abouti, tu as réussi à commencer ton livre. De mon côté, je suis encore enfermée dans ce miroir même si j’existe enfin pour toi. Nous en avons fait du progrès. Laisse-moi te raconter comment et pourquoi cela est arrivé après avoir fini de te parler de ma rencontre avec le Temps. — Est-ce que c’est là que tout s’arrête ? ai-je demandé, soudainement très angoissée. — Je ne sais pas. Cela dépendra de toi. Rien qu’à l’idée de la perdre, j’étais déjà confuse… Je ne comprenais plus rien. Je la sentais contrariée. Alors, j’ai repris mes esprits et je l’ai écoutée attentivement. Après avoir rencontré la Nuit qui m’avait paru sympathique, j’allais enfin rencontrer le Temps. Le grand moment était arrivé. Grâce à lui, j’allais enfin comprendre ce qu’est le bonheur pour l’offrir à Nènè. Ma toute première question a été longue, car elle était composée de toutes mes interrogations. À croire que je voulais toutes les réponses d’un coup, comprendre tout ce qui me dérangeait et guérir toutes les questions qui me donnaient des maux de tête : « Pourquoi les enfants du berceau de l’humanité ne cessent de pleurer ? Ils disent, par exemple, que ma couleur de peau dérange. Que dois-je répondre ? Ils m’ont aussi fait du mal et ils continuent de couper les fleurs des autres petites filles. Pourquoi ? J’en pleure encore et pourtant on m’avait dit que seul le temps me guérirait. Dis, pourrais-tu coudre ce que l’on m’a enlevé ou peuxtu leur dire d’arrêter de détruire les autres ? Ils disent que tous les enfants ont droit à l’éducation. 68


UN VOYAGE À L’INTÉRIEUR À L’INTÉRIEUR DE SOI

Chez nous, en Afrique, nous attendons encore pour que ce soit accessible à tous. Quand vont-ils passer ? Nous ont-ils oubliés au passage? Depuis, je n’ai que mes idées pour me tenir compagnie lorsque Nènè n’est pas là. J’ai eu faim avec mes frères et nous devions attendre qu’elle revienne du marché avant de manger. Est-ce normal ? Elle revenait parfois les mains vides et nos ventres restaient affamés. Un jour, elle a envoyé père à sa place. Il est parti tenter sa chance dans le grand marché de la vie pour que nous puissions survivre. Depuis qu’il est parti, il n’est jamais revenu. Où est-il à présent ? L’as-tu emporté avec toi ? On dit de toi que tu es un voleur de vie, que tu emportes les gens loin de leurs proches. J’ai du mal à penser que c’est de ta faute, je m’accroche au souvenir des moments que tu nous as accordés, maman mes frères et moi, de profiter de père. » Le Temps m’a observée sans broncher pendant que je parlais. Mais il me donnait plus l’impression d’être distrait. Je venais de décharger devant le Temps toutes mes angoisses. Alors, je me suis mise à pleurer. Le ciel est devenu gris et il s’est mis à pleuvoir. La rivière de lait, les idées et leur spectacle, la Nuit, je les ai tous vus venir me consoler. À cet instant, la seule chose que je voulais, c’était de rentrer à la maison et d’oublier cette histoire de quête du bonheur. Pleurer dans les jupes de Nènè et me faire consoler par elle était ma priorité. Je pleurais, mais heureusement la Nuit, les idées et la rivière de lait me consolaient. Mais le Temps restait dans un silence ininterrompu qui m’a paru une éternité. Puis, il a déclaré d’un ton solennel : « Ceux qui pensent que le berceau de l’humanité ne doit pas pleurer doivent savoir que c’est son droit le plus absolu, car même à sec, la rivière garde son nom (proverbe africain). Va donc dire à cette génération à laquelle tu appartiens que le chien a beau avoir quatre pattes, il ne peut pas emprunter deux chemins à la fois (proverbe africain). Aussi, tu expliqueras à cette société corrompue où la couleur est restée un prétexte que Là où l’on s’aime, il ne fait jamais 69


L’ENFANT DERRIÈRE LE MIROIR

nuit (proverbe africain). Enfin, tu diras à ceux qui continuent de couper les fleurs des petites filles que, au nom d’une tradition, ces petites filles peuvent devenir femmes autrement. Depuis longtemps, je les vois mutiler des petites filles sous de faux prétextes, en s’acharnant sur leur nature et en abusant de leur innocence et de leur faiblesse d’enfants. Depuis longtemps, on a fait croire à des parents ignorants que l’excision était nécessaire, brisant la nature et le bien-être de près de cent trente millions de femmes. Maintenant, je veux que tu leur dises que cela doit cesser, car il ne leur appartient pas de changer la nature puisque tous ces cris et pleurs d’enfants ne sont et ne seront jamais impunis. Moi, le Temps, je peux être long à réagir, mais je finis toujours par guérir ce que mon silence a laissé croire que j’acceptais. Toutes les injustices du monde, causées par de sombres interprétations et déductions, seront inévitablement condamnées au tribunal du temps », puis il s’est tu. Après un moment de silence où j’ai tenté de comprendre tout son r aisonnement, il a repris et m’a demandé : — Est-ce tout ? — Non, ai-je murmuré timidement. Je suis venue apprendre ce qu’était le bonheur pour être capable de l’offrir à Nènè que j’aime plus que tout au monde. J’ai fait un très long chemin pour cela et j’ai besoin de réponses. — Et qui a dit que le Temps avait réponse à tout ? — La Nuit m’a dit que ma quête s’arrêterait lorsque je verrais le Temps et que là, j’aurais ma réponse. Il a attendu un moment et m’a dit : — Les hommes aiment mettre le bonheur loin et passent beaucoup de temps à le chercher. Ils vont d’une méthode à l’autre. Pourtant, le bonheur, c’est aussi ce qu’on a tout près de soi, mais qu’on ignore tout au long de sa vie. Retourne chez toi et cherche le bonheur de Nènè le plus près de toi, et tu seras en mesure de le lui procurer. 70


UN VOYAGE À L’INTÉRIEUR À L’INTÉRIEUR DE SOI

Un jour, une belle enfant qui devenait adulte avait cessé d’avoir confiance en elle, de rêver et de s’amuser. Elle avait cessé de sourire et de vivre les bonheurs à sa portée pour courir derrière des projets, des ambitions. Habituellement, ce qui arrive dans ce cas, c’est que le passage de l’enfant à l’âge adulte devient difficile. Cette adulte avait la chance d’écouter l’enfant en elle qui essayait de la prévenir, mais agacée et sans le savoir, elle s’est enfermée dans un miroir. D’une seule parole, elle a emprisonné son meilleur reflet au-delà de la glace. C’est dans le monde imaginaire du miroir que l’enfant est restée, avec des souvenirs, des idées et des concepts qui lui parlent. Elle est restée persuader que le bonheur existe. Elle a alors décidé d’aller à sa recherche… Cette enfant et cette adulte, c’est toi. Hélas, pendant que tu cherchais le bonheur dans le monde du miroir, l’adulte a continué à grandir trop vite. Trop occupée par les réalités de la vie, tu as été oubliée et cet oubli t’a maintenue enfermée derrière le miroir. Tu ne pourras retourner offrir le bonheur à Nènè que par la volonté de cette adulte que tu es maintenant devenue. Lorsque l’adulte et l’enfant seront réconciliées, le bonheur sera retrouvé. Et il n’est pas loin de Nènè. Quand le Temps a cessé de parler, je suis restée consternée, à me dire que j’avais fait un long chemin pour rencontrer le Temps, me rendant finalement compte que c’était le temps de grandir qui m’avait séparée du bonheur. Ce bonheur qui n’était autre que Nènè elle-même.

*** L’enfant venait de finir de me conter sa rencontre avec le Temps. Au final, triste histoire. Si je comprenais bien, toute cette histoire était de ma faute. Je lui ai posé la question : — Suis-je donc la raison pour laquelle tu es restée enfermée dans le miroir ? 71


L’ENFANT DERRIÈRE LE MIROIR

— Oui. Je voulais que tu comprennes que tu m’écartais de plus en plus de ta vie, que tu ne t’amusais plus et que tu étais trop préoccupée tout le temps. Et tu t’es énervée contre tout ce que je te disais et que tu entendais dans ta tête. Devant un miroir, tu as hurlé que tu voulais que je te laisse tranquille. Le miroir m’a aspirée. Je ne pouvais plus le traverser à ce moment-là. Tu as continué à grandir loin de tout ce que j’étais. À ton âge, tu concevais le bonheur autrement. Tu n’y croyais souvent plus. Parfois, je t’entendais pleurer pour des raisons que je ne comprenais pas. Je voulais t’aider, mais je ne pouvais rien faire pour toi, car tu ne pensais plus à moi. Plus tu m’oubliais, plus tu me condamnais à rester enfermée derrière le miroir. Heureusement, un jour, tu t’es remise à penser fort à moi et j’ai pu te parler à nouveau. — Que puis-je faire à présent pour t’aider ? — Je ne suis qu’une enfant. Je ne peux rien te dire. À toi de choisir, a-t-elle dit en bâillant. Sa petite voix était remplie de fatigue. Ce soir, elle ne promettait pas de revenir. Elle avait tout dit. J’étais bouleversée, effondrée même. Elle m’a dit au revoir. Elle ne le savait peut-être pas, mais je l’attendrai toujours. Je me suis endormie, le cœur peiné, sous le bruit de ses pas que j’entendais partir au loin, sans savoir si je les entendrais à nouveau le jour venu.

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7 Que regardons-nous exactement dans le miroir ?

A

ujourd’hui, en me réveillant, je me suis sentie comme ce proverbe africain qui dit : « La nuit dure longtemps, mais le jour finit toujours par arriver. » En réalité, depuis l’autre soir, je souffrais terriblement. Le départ de l’enfant avait laissé un immense vide dans mon cœur. Chaque soir, je m’endormais le cœur serré avec l’espoir que le lendemain serait meilleur que la veille, mais la douleur demeurait malgré toute ma bonne volonté à la faire taire. Ce matin, j’ai appelé maman avec l’espoir qu’elle puisse, à son tour, me remonter le moral. Pendant notre brève conversation, je lui ai posé une question qui lui a paru étrange : — Maman, lorsque tu te regardes dans le miroir, que vois-tu ? — Mon âge, a-t-elle répondu en souriant. Et toi ? Tu regardes quoi dans ton miroir ? 73


L’ENFANT DERRIÈRE LE MIROIR

Je ne lui ai pas répondu immédiatement afin de garder mon secret toujours intact. — Ma fille, est-ce que tout va bien ? — Oui… C’est juste que ces temps-ci, je suis un peu triste. Mama, puis-je te demander autre chose ? — Tout ce que tu voudras, mon enfant. — Que dirais-tu à une personne qui veut apprendre à demander le pardon aux autres ? — Il est essentiel de commencer par se pardonner soi-même. — Comment se pardonner soi-même permet de demander pardon aux autres ? — L’acte de se pardonner est un remède. C’est comme une infusion que l’on prend pour aller mieux. — Qu’arrive-t-il lorsqu’on pardonne à une personne, mais qu’on n’oublie pas la faute commise ? — Cela veut juste dire que ton pardon n’est pas sincère. — Comment sait-on qu’un pardon est sincère ? — C’est un processus naturel qui dépend de la conscience qu’on a du tort causé ou subi par soi ou l’autre. Je n’étais pas certaine d’avoir bien cerné. J’ai continué à la questionner pour recevoir un peu de sa sagesse. — Comment prendre conscience du tort causé ou subi ? — Lorsqu’on demande pardon à une personne, c’est parce qu’on reconnaît qu’on lui a fait du mal avec nos paroles et nos actions, n’estce pas ? Mais si demander pardon à cette personne qu’on a offensée nous fait mal, cela veut dire qu’on ne considère pas le tort causé. Il n’y a donc pas de pardon si la faute n’est pas reconnue et s’il n’y a pas un ajustement de nos actions et de notre comportement. Quand on pardonne, ce ne sont que des paroles vaines. Il faut surtout se faire confiance et avoir l’humilité de demander pardon. — Est-ce qu’on devrait faire confiance à une personne que l’on connaît à peine ? 74


UN VOYAGE À L’INTÉRIEUR À L’INTÉRIEUR DE SOI

— La confiance, c’est très important, m’a-t-elle dit naturellement. — Quoi donc ? — Lorsqu’on connaît une personne, on doit s’imaginer qu’elle a de bonnes valeurs à l’intérieur d’elle. À première vue, tu dois la voir comme étant une feuille blanche qui va se remplir au fur et à mesure que vous allez évoluer dans votre relation. Il faut éviter le contraire, donc de juger à première vue. — Tu en parles comme si c’était facile. Est-ce le cas ? — Cela devrait même être un devoir ! — As-tu un exemple concret à me partager ? lui ai-je demandé. — Que font deux enfants qui se rencontrent pour la première fois? Même si je tentais de comprendre sa question, à vrai dire, avec mes yeux d’adulte, je l’ignorais. — Dis-le-moi. — Ils jouent ensemble, rient et partagent leurs jouets sans se poser de questions. — Je vois… lui ai-je dit en pensant soudainement à l’image de deux enfants en train de jouer ensemble. Un silence de quelques secondes s’est installé avant que je laisse échapper un soupir. Je lui ai dit au revoir, mais avant de raccrocher, maman m’a demandé : — Ma fille, pourquoi m’as-tu posé la question sur ce qu’on voit quand on regarde dans un miroir ? Qui y a-t-il ? Je suis curieuse. Je suis restée muette comme une taupe, car je ne savais pas quoi répondre. Il était encore trop tôt pour lui parler de ma rencontre avec la mystérieuse enfant du miroir. Je ne tenais surtout pas à l’inquiéter. Voyant que je ne répondais pas, elle m’a dit : «Ma fille, celui qui brise quelque chose a la capacité de le réparer. Je sais que tu y arriveras.» Elle a raccroché et m’a promis de me rappeler plus tard. À ma question, je n’avais pas eu de réponse. Je voulais comprendre si ce que le miroir nous renvoyait comme reflet pouvait être porteur de messages. Comme ma mère qui y voyait son âge et moi qui y cherchait une 75


L’ENFANT DERRIÈRE LE MIROIR

enfant que j’y aurais enfermée. Beaucoup d’entre nous sont interpellés par leur propre image que leur renvoie le miroir. Ils y voient quelque chose qui leur est propre, qui leur dit quelque chose d’une certaine façon et les poussent parfois à changer. Les femmes se maquillent et se coiffent devant le miroir, tandis que les hommes se rasent la barbe et s’ajustent la moustache. Le miroir donne de nous un certain jugement. Moi j’y ai retrouvé ma part d’enfant. Et vous, cher lecteur ?

*** J’ai passé une bonne partie de ma journée dans le lit et l’autre devant les différents miroirs de la maison… Toujours à la recherche de l’enfant. Hélas, elle ne s’était plus manifestée depuis la dernière fois. Il était tard. Je n’avais pas sommeil. J’ai entendu un bruit. Je me suis précipitée vers le miroir. Ce n’était pas elle. C’était plutôt mon cellulaire qui vibrait dans mes poches. Maman me rappelait, avec un air inquiet. — Bonsoir, ma fille. Je viens de me réveiller et j’ai pensé à toi. Pourquoi ne dors-tu pas ? À Montréal, il est tard… — Je n’y arrive pas, lui ai-je répondu désespérément. — Je suis ta mère… Tu peux tout me dire, a-t-elle insisté gentiment. J’hésitais. Mais j’avais besoin de parler. Qui d’autre que ma mère pouvait me comprendre ? Alors, je me suis avancée. — Tu sais, maman, j’ai récemment fait la rencontre d’une enfant dont l’imagination fertile est telle que quand je parle avec elle, j’ai le sentiment d’être à une fête à laquelle je suis la seule invitée. — C’est drôle, elle me fait penser à toi. D’où vient-elle ? m’a-telle dit en riant. — Elle vient d’un endroit où les chances ont été confisquées, lui ai-je dit simplement. — Comme c’est étrange. J’ai déjà entendu cette phrase quelque part. 76


UN VOYAGE À L’INTÉRIEUR À L’INTÉRIEUR DE SOI

Curieuse, je lui ai demandé : — Où donc ? — Tu sais, ma fille, je vais te raconter une petite histoire. Je ne l’ai jamais dit à personne jusqu’à présent. Ce matin, lorsque tu m’as parlé de miroir, j’ai repensé à des souvenirs. Ma mémoire s’est rappelé certaines choses. Malgré l’heure tardive, je me suis assise confortablement dans mon lit. Je l’ai écoutée avec intérêt. — Un jour, je devais avoir 29 ans à l’époque, je venais d’apprendre le décès de ton grand-père. Ma vie a complètement basculé, car j’avais le sentiment de tomber dans le néant. Je passais mes journées à me lamenter sur mon sort. J’allumais la radio et je faisais jouer sa cassette préférée à répétition. Un matin, pendant que je l’écoutais, j’ai entendu la voix d’un enfant. Je n’en croyais pas mes oreilles. Elle venait tout droit de la radio. Elle disait : «Ouvre la radio et laisse-moi sortir. Je suis fatigué de loger dans cette cassette. Tout est triste ici.» Toute étonnée, je me demandais ce qui se passait. J’ai cru qu’on avait enregistré autre chose sur ma cassette. Mais lorsque je l’ai sortie de la radio, j’ai vu comme dans un rêve un enfant en sortir. Il m’a demandé de lui dessiner l’avenir sur un bout de papier. J’étais tétanisée. Était-il réel ou était-ce plutôt le fruit de mon imagination ? Qu’est-ce qui m’arrivait ? L’enfant a insisté : « Dessine-moi l’avenir sur un papier.» Il était obstiné en plus d’être mystérieux, ce qui m’a mise en colère. Je me faisais donner des ordres par un enfant sorti tout droit d’une radiocassette. Tu connais ta maman. Quand il s’agit d’oser, je deviens intraitable. Je me suis mise tellement en colère que j’ai pris le morceau de papier et je l’ai déchiré sous ses yeux. Et il a disparu. En tout cas, j’ai repris mes esprits en transpirant. Voilà qu’un autre jour où j’étais assise dans la cour seule parce que vous étiez tous à l’école, le même enfant est revenu me voir. Je l’ai vu rentrer dans la maison et j’ai même cru que c’était un enfant du quartier tellement il semblait réel. C’est quand 77


L’ENFANT DERRIÈRE LE MIROIR

il s’est approché que je l’ai reconnu. Pour te dire combien je me suis inquiétée, j’ai commencé à me gratter la tête, j’avais des picotements dans les cheveux et je pensais que j’hallucinais. Sans me saluer, il m’a dit : «Il est temps de pardonner à ton père d’être parti plus tôt. Maintenant, dessine-moi l’avenir. Puis, un silence s’est installé. Je n’entendais plus maman. — Allô ? Allô, maman ? C’est mon téléphone. Il s’est éteint. Je me suis précipitée pour le brancher et je l’ai rappelée aussitôt. — Mama, je suis désolée, ça a coupé. Que s’est-il passé ensuite? Qui était cet enfant ? Lui as-tu fait son dessin ? — Cet enfant était différent de vous et de ceux que je croisais. D’habitude, les enfants s’adressaient à moi avec plus de gentillesse, mais celui-ci s’adressait à moi comme s’il était mon égal. Un enfant impertinent. De quel droit me parlait-il du décès de mon père? Et qu’est-ce qui lui faisait croire que j’en voulais à mon père d’être parti si tôt ? C’est à ce moment que j’ai ressenti une douleur au cœur à l’évocation du décès de mon père. J’avais encore mal. Mon papa chéri me manquait encore et c’était avec douleur que je pensais à sa mort. Je m’étais dit plusieurs fois que s’il m’aimait vraiment, il serait resté à mes côtés. À qui m’avait-il laissée en partant ? Je lui en voulais pour toutes les souffrances que j’avais subies et cet enfant le savait. J’ai versé une larme et j’ai soupiré. J’ai regardé l’enfant et je lui ai dit : «Je vais t’appeler Fouta Bobo, ce qui veut dire l’enfant du village. Tu es magique. Tu as lu dans mes douleurs et tu m’as dit le fardeau que je devrais déposer pour avancer. Dans un village, les âmes sages font ce que tu viens de faire, c’est-à-dire aider les vivants à se soulager de leurs peines et avancer. Merci, Fouta Bobo. Je vais te faire ton dessin.» C’est ce jour-là que cet enfant a transformé ma vie à tout jamais. — Comment cela ? Que veux-tu dire par là ? ai-je demandé, intriguée plus que jamais. 78


UN VOYAGE À L’INTÉRIEUR À L’INTÉRIEUR DE SOI

— Elle, c’était une fille, voulait que je lui dessine l’avenir sur un morceau de papier pour qu’elle puisse ramener son père parti trop tôt à son goût. Elle m’a dit : « Si je te parlais de mon père, peut-être que tu saurais comment dessiner l’avenir. » — Qu’avait-elle dit sur son père ? ai-je poursuivi afin de ne pas faire durer le suspense trop longtemps. — Elle m’avait dit : « Mon papa était un homme joyeux. Il gagnait sa vie en faisant rire les autres. Parfois, cela ne payait pas et il rentrait les mains vides. Du moins, si tu regardais avec les yeux, tu verrais que ses mains étaient vides, mais si seulement tu acceptais de regarder avec le cœur, tu aurais cru qu’on avait tout alors qu’on n’avait rien. C’était un père qui valait de l’or pour tout le rire qu’il donnait aux autres sans n’avoir aucune récompense. À un certain moment, le métier de papa ne rapportait toujours pas et il est parti tenter sa chance dans la capitale. Hélas, la veille de son départ, de terribles maux de tête l’ont emporté prématurément. Depuis, mon papa n’est plus là. Il n’a pas eu le temps de nous dire au revoir. Il est parti beaucoup trop tôt, emportant avec lui les rires de tout un village. Si seulement tu acceptais de me dessiner l’avenir, j’y rajouterais mon papa avec un travail plus rentable afin qu’il ait une meilleure place et qu’il soit toujours présent pour moi et pour tout le village. » Maman a arrêté de parler et je l’ai entendue renifler. Elle pleurait à chaudes larmes. — Ne pleure pas, maman, s’il te plaît. Tu vas me faire pleurer aussi, ai-je murmuré. — Je ne pleure pas, ma chérie, je suis enrhumée, a-t-elle répondu en reniflant encore afin que je ne m’inquiète pas de son état. — Ne sois pas triste. Ce n’est qu’une histoire… N’est-ce pas ? — Ce n’est pas juste une histoire. C’est mon histoire, ma fille. Mon père, ton grand-père, est parti sans avoir eu le temps de nous faire rire une dernière fois, a-t-elle dit, le cœur serré par toutes les émotions ressenties. Il est parti avec nos rires. C’était lui qui nous 79


L’ENFANT DERRIÈRE LE MIROIR

les suscitait. Quand tu étais petite, tu devais avoir deux ou trois ans, il te disait que tu étais sa chérie et toi tu te fâchais et tu répondais qu’il était vieux et nous riions tous. Toutes ces ambiances ont été enterrées avec lui et c’était devenu difficile de rire par la suite, même quand tu inventais des histoires d’oignons qui parlaient. Tu me le rappelles tellement. — J’adorais vraiment Baba. Il nous faisait tellement rire quand il se raclait la gorge et on courait dans la maison en pensant qu’il voulait s’amuser à nous faire peur, alors qu’il était vraiment malade. Je me rappelle des personnages qu’il formait avec nos pâtes à modeler et il leur donnait des noms. L’évocation de mon grand-père nous a laissées songeuses un moment, maman et moi, jusqu’à ce que je bâille. Maman m’a dit au revoir et on s’est promis de se rappeler le lendemain. Ce soir-là, je me suis endormie en pensant à mon amie, l’enfant derrière mon miroir, en me demandant si c’était Fouta Bobo, l’enfant de l’histoire de maman qui revenait pour mon tour, comme un génie de la famille. Maman avait donc fait cette rencontre mystérieuse aussi. Et je ne lui avais même rien dit. Et mon enfant à moi, pourquoi ne revenaitelle plus ? Je me suis mise à prier et à lui parler pour la supplier de revenir. Et tandis que je glissais dans un sommeil profond, j’ai essayé de lui choisir un nom pour lui donner vie, comme maman avait fait.

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DEUXIÈME PARTIE

LA GRANDE RÉCONCILIATION !



8 La mystérieuse lettre

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n me réveillant le lendemain, il n’était plus question de proverbe. C’était le moment de poser des actes concrets pour ajuster ma vie. L’enfant manquait à l’appel depuis des jours qui me semblaient être des mois. Cela faisait trop longtemps que je n’avais pas eu de ses nouvelles. Elle me manquait terriblement et ce n’était pas en attendant qu’elle se manifeste que je comblerais le vide qu’elle avait créé dans mon univers par son absence. J’ai donc décidé de faire comme si elle était là et de lui parler. J’allais l’appeler Bobo Djina, ce qui veut dire «enfant esprit». En arrosant la plante que j’avais achetée pour elle, comme je le faisais maintenant chaque matin, je lui ai parlé :

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L’ENFANT DERRIÈRE LE MIROIR

— Bobo Djina, ta plante pousse. Je l’arrose chaque matin pour étancher ses soifs de la nuit. Parfois, je la sors avec son pot sur le balcon pour lui faire prendre l’air. En faisant la vaisselle et le ménage, j’ai raconté à Bobo Djina ce que je voulais faire de ma journée et je l’ai avisée de mes rendez-vous. — Bobo Djina, je vais sortir faire des courses et profiter pour aller faire un câlin à Muse. J’ai tellement hâte de lui parler de toi. En cherchant ce que je devais porter, j’ai demandé à l’enfant quelle couleur choisir, si je devais inventer une combinaison ou si je m’habillais de manière classique. — Bobo Djina, je pourrais faire un mélange de bogolan et de soie. Qu’est-ce que tu en penses ? Parallèlement, les appels avec maman ont diminué, car mes journées étaient maintenant remplies. J’avais repris la routine. Que dire ? J’avais recommencé à travailler. En plus, plusieurs aspects de ma vie s’étaient améliorés comme par enchantement. Par exemple, je m’étais inscrite à un cours de psychologie à l’université pour comprendre davantage mes émotions et comment y faire face. Je m’étais inscrite à la gym pour garder la forme physique. Ce matin, après mon cours à l’université, j’ai décidé de discuter avec mon professeur, un psychologue renommé. Je lui ai parlé de ma rencontre avec l’enfant dans l’espoir qu’il me donnerait des conseils judicieux. Ce dernier m’a expliqué : «Peut-être que cette enfant derrière le miroir dont tu parles n’est rien d’autre que ton enfant intérieur. En chaque adulte vit un enfant qui ne demande qu’à être écouté. Lorsqu’il est oublié et refoulé, il peut se manifester par la maladie, une situation difficile ou une fatigue physique et morale extrême. Comme tous les enfants, il ne demande qu’à être aimé et faire partie de notre vie, qu’on l’accueille ou non. En étant à l’écoute de ses besoins, tu sauras comment guérir ses blessures afin qu’ensemble, vous bâtissiez une relation de confiance fondée sur l’amour réciproque, le respect, la tolérance et l’ouverture d’esprit de 84


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vous accepter l’une et l’autre.» Mon professeur n’avait pas tort en totalité. Cela dit, je n’irais pas jusqu’à penser que l’enfant derrière le miroir était moi-même. Dans mes souvenirs, je n’avais pas eu une enfance facile alors que pour elle, il en était tout autrement. L’enfant derrière le miroir semblait si sûre d’elle, alors que j’avais longtemps manqué de confiance en mes pleines capacités. Elle était même brave et déterminée. C’était bien le contraire de l’enfant que j’avais été à l’époque. Je suis revenue à la réalité en entendant la voix du professeur qui ne m’avait pas quittée. — Cette enfant et toi avez besoin l’une de l’autre, a-t-il dit avec une certaine compassion. — Comment faire ? Elle ne me parle plus depuis des semaines… — Il te faut réparer ce qui a été brisé entre vous, mais aussi soigner ses blessures. Théoriquement, tout cela était bien beau, mais dans la pratique, il en était autrement. Alors, j’ai questionné à nouveau mon professeur : — Par où commencer ? — Commence par lui demander pardon, a-t-il conclu en toute simplicité avant de retourner à ses occupations. J’ai remercié mon professeur pour ses précieux conseils, semblables à ceux de ma mère, concernant le pardon.

*** Suivant les conseils de mon enseignant, j’ai décidé de rédiger une lettre d’excuses destinée à l’enfant derrière le miroir. J’allais me prêter au jeu et lui écrire à cette enfant qui «se trouvait en moi» et qui, pourtant, m’ignorait depuis. Si jamais elle finissait par réapparaître, je lui lirais la lettre. Et ce jour, peut-être ferions-nous connaissance et deviendrions-nous de véritables amies qui ne se quitteraient plus. J’ai donc pris un stylo et du papier et je me suis mise à écrire seulement avec mon cœur :

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«Chère enfant qui vit en moi Bobo Djina, Je n’ai pas qu’un vague souvenir de toi. Surtout après tous les périples que tu m’as racontés. Mais par exemple, je ne me souviens plus vraiment si tu préférais jouer avec les poupées ou grimper aux arbres. Tu changeais tout le temps d’idées. À la fois active et créative, tantôt ici et tantôt là. Un jour, c’était bleu et un autre jour rose. Que dire ? À toi toute seule, tu étais tout un univers! J’ai peine à croire comment tu as pu survivre à toutes les persécutions que tu as subies. Qu’en ce moment même, tu te trouves quelque part, peut-être égarée au plus profond de ma personne ou enfermée dans un miroir par ma faute, me rend perplexe. Mais tu es là, je le sais. Je t’ai parlé et je t’ai écoutée. Je t’écris ces quelques mots, pour te demander pardon. Pardon pour ce que tu as subi, la souffrance, les mauvais traitements et l’abandon. Pardon pour n’avoir pas été considérée telle que tu étais, de t’être sentie mal lorsque rien n’allait bien. Dans ma demande de pardon, je voudrais t’exprimer tout mon amour, puis ma gratitude à ton égard et toute mon admiration. Sans ton courage précoce et ton intelligence, je ne serais pas celle que je suis aujourd’hui. Parce que tu as été forte tout au long de mon enfance, parce que tu as inventé des contes pour me préserver de la peine, tu m’as permis de grandir en m’apprenant la résilience. Grâce à toi, je n’ai plus peur d’exister, je n’ai plus peur d’être ce que je suis. Si ma lettre te semble bizarre et décousue, sache que je l’ai écrite avec le cœur. J’ai tant à te dire encore et si peu de place pour t’écrire ce soir. Sache que je t’aime. Pardonne-moi, chère enfant. Je suis vraiment désolée d’avoir refusé ton aide et de t’avoir enfermée dans un miroir malgré moi. Pour tous les matins du monde, tous les soirs du monde. Pour tout ce que le temps peut encore nous offrir, je te supplie, pardonne-moi… 86


LA GRANDE RÉCONCILIATION !

Pardonne-moi : D’avoir subi des intimidations à l’école sans réagir et de t’avoir fait pleurer. D’être tombée follement amoureuse et de t’avoir oubliée. D’avoir ri et profité des plaisirs de la vie et de t’avoir ignorée. D’avoir laissé l’enfant créative et insouciante pour devenir l’adulte occupée et préoccupée. D’avoir cru les histoires de TOUT LE MONDE et non les tiennes, alors que s’il y avait une seule personne qui voulait mon bien, c’était toi. De n’avoir pas saisi la chance que tu m’offrais et de m’être égarée en suivant tout le monde. Dans ma valise des essentiels que je devrais emporter dans tous mes voyages, je voudrais t’y retrouver pour ne plus jamais vivre sans toi. Si là où il y a l’amour, il y a le pardon, je veux te dire, ma chère enfant, que je t’aime d’un amour inconditionnel. Signé, l’autre toi. »

*** Après avoir fini d’écrire ma lettre d’excuses, je me suis demandé où je pourrais la déposer si jamais elle décidait de venir la lire pendant que je n’étais pas là ou pendant que je dormais. J’ai choisi de la poser à côté de la plante, sa plante. J’ai plié la lettre et l’ai posée sur les petites branches qui poussaient déjà sur cette plante que j’arrosais chaque matin avec bienveillance. Comme ça, elle serait bien visible. J’ai éteint les lumières et je suis partie me coucher. Écrire cette lettre m’avait un peu soulagée, mais en même temps, tous ces souvenirs et toutes ces situations que je lui avais infligées malgré moi me rendaient triste. Des sanglots étaient déjà dans ma gorge quand mon téléphone a vibré. 87


L’ENFANT DERRIÈRE LE MIROIR

C’était maman! Elle m’appelait encore une fois au bon moment, comme si elle me ressentait à distance. — Ma fille, je viens de faire un rêve bizarre qui m’a réveillée en sursaut. Je t’ai vue seule sous un arbre. Tu pleurais et je voulais te parler et te prendre dans mes bras, mais je n’y arrivais pas. Qu’est-ce qui ne va pas ? Je suis ta mère, je peux tout ressentir par rapport à toi et ce n’est ni un ni deux océans qui vont me séparer de toi. Alors, je t’en supplie, explique-moi. — Oui, maman. Je sais que tu sais tout et entends tout. Tu as toujours été une véritable magicienne. Rien qu’à l’entendre, j’avais le sourire aux lèvres. Sa voix me réconfortait. Maman était définitivement une magicienne. Je lui ai expliqué que j’avais perdu une amie très chère à mes yeux. Inquiète, elle m’a demandé : — Que lui est-il arrivé ? — Elle a disparu. Elle ne me parle plus. Avant, je n’avais que toi. Aujourd’hui, je l’ai elle aussi. Elle me tient compagnie lorsque cela ne va pas. Maman, avec un soupir, m’a consolée : — J’ai d’abord cru que ton amie était décédée. Ne t’en fais donc pas. Je suis certaine qu’elle reviendra bientôt. Mais, tu sais, l’amitié la plus importante, c’est avec soi-même. Mets là en pratique et tu verras qu’elle opérera vraiment ! C’est d’elle que tu as besoin d’abord. Je ne veux pas te voir comme dans le rêve à pleurer toute seule. D’accord ? Sur ces mots, elle m’a dit au revoir. Je me suis donc endormie paisiblement sur les dernières paroles de maman : « L’amitié la plus importante, c’est celle avec soi-même. » Elle avait toujours raison. Je devrais commencer par là. En sombrant dans les bras de Morphée, j’ai murmuré à moi-même : « Demain, tout commence. »

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9 L’amitié commence avec soi-même

A

vec le temps, il y a des habitudes qui ne changent pas, comme arroser la plante chaque matin ou appeler maman à mon réveil. Ce matin, dans notre conversation, maman avait encore insisté sur le fait que «l’amitié commence avec soi-même.» Cette phrase méritait toute mon attention. Elle suscitait en moi un désir profond de célébrer chaque instant de ma vie, chaque acte de ma journée, aussi banal soitil. Je le ferais par amitié pour moi-même et par amitié pour chacune des tâches qui seraient de ma responsabilité. Arroser une plante que j’avais achetée pour l’enfant ne suffisait pourtant pas à rendre son souvenir permanent. J’ai continué de faire comme si elle était là et je parlais seule, en imaginant que je lui parlais à elle. J’ai même décidé que chaque semaine, je ferais une activité qui nous serait dédiée. À chacun de ces rendez-vous, je continuerais à faire semblant de lui parler comme si elle était vraiment là. D’ailleurs, qui saurait qu’elle 89


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était là de toute façon à part moi dans mon esprit ? Être avec l’enfant me facilitait l’exécution du conseil de maman concernant l’amitié : «L’amitié commence avec soi-même.» Quoi de mieux que d’être amie avec moi-même enfant ? Quoi de mieux pour m’apprécier moi-même et me sentir moins seule que d’apprécier la part la plus belle de ma vie : mon enfance ? Pour raviver la petite fille qui était en moi, je pourrais faire du bricolage, dessiner et écouter des comptines.

*** À mon retour du travail, j’ai croisé ma voisine d’origine indienne. Vêtue d’un sari (vêtement emblématique en Inde) bleu et doré, elle m’a regardée d’une façon particulière. Elle m’a parlé pour la première fois : — Il y a quelques mois, vous étiez différente. Personne ne vous rendait visite. Maintenant, vous organisez souvent des fêtes chez vous. L’air inquiet parce que j’avais peur de la déranger, je l’ai questionnée timidement : — Le bruit vous dérange-t-il ? — Avant, nous n’avions jamais vu quelqu’un vous rendre visite. Pourtant, vous sembliez occupée avec des conversations tous les soirs. On aurait parfois dit que vous parliez à vous-même. Curieuse, je lui ai demandé ce qu’elle avait entendu. Elle a répondu : — Difficile à dire… Parfois, vous chantiez. Parfois, vous pleuriez. Vous racontiez des histoires des fois. Vous parliez même dans des langues inconnues, peut-être des langues africaines. Un jour, nous vous avons même entendue applaudir, ce qui nous a étonnés. Vous disiez, je me rappelle : « Danse, belle rivière. Danse. Nous avons trouvé cela bien étrange… Ne comprenant pas où ma voisine voulait en venir, je lui ai posé la question : — Madame, que voulez-vous me dire ? Que j’ai l’air d’une folle ? Avec un air timide, elle m’a répondu : 90


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— Au début, nous nous inquiétions un peu, ma famille et moi, je vous l’avoue. Petit à petit, cela est presque devenu un moment que nous partagions en famille. Chaque soir, nous attendions que vous commenciez. Les enfants avaient hâte de connaître la suite de chacune des histoires que vous vous racontiez en écoutant les oreilles collées au mur. Heureusement, ici, ce n’est pas insonorisé. Par exemple, la petite fille qui est allée à la recherche du bonheur pour l’offrir à sa mère nous a particulièrement touchés. Vous parliez de vous, n’est-ce pas ? Après qu’elle eut fini, j’ai décidé de faire semblant et de ne pas reconnaître tout ce qu’elle racontait. — Je ne vois pas de quoi vous parlez. Vraiment, Madame. En vérité, j’étais bouleversée. Comment cela se fait-il qu’elle et toute sa famille aient entendu mes histoires avec l’enfant du miroir ? N’étaient-ce pas uniquement des conversations dans ma tête? Parlais-je à haute voix ? Entendaient-ils eux aussi l’enfant du miroir? Avec douceur, la dame a continué de plus belle : — Avant, chez nous, a repris la voisine, les seuls bruits qu’on entendait chaque soir étaient les coups violents que me portait mon mari. Ensuite, vous vous êtes installée dans l’appartement à côté du nôtre et tout a changé. Vous nous avez fait voyager en Afrique pour notre plus grand bonheur. À travers les conversations avec votre mère, que vous appelez tous les matins, nous avons fini par réaliser la chance que nous avions d’être une famille. Cela nous a rapprochés. Un de ces soirs où vous avez parlé du Temps qui reprochait aux hommes les violences contre les petites filles, mon mari m’a demandé pardon pour toute la violence qu’il exerçait à mon égard et celui des enfants. Je lui ai dit que ce n’était rien et que je l’aimais quand même. Depuis, il est devenu moins agressif envers nous. Il a même choisi ensuite d’apprendre le théâtre pour libérer ses frustrations de vie. C’est toute une thérapie pour lui. Il a décidé ensuite qu’on ouvre 91


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notre propre centre culturel. Toute la famille s’est investie dans le projet. Nous avons travaillé fort et nous allons l’inaugurer bientôt. — Ah oui ? Je suis contente pour vous. Félicitations ! lui ai-je dit en essuyant les larmes qui voulaient sortir à cause de ce qu’elle avait subi et de l’émotion de les savoir plus heureux finalement. — Merci, a-t-elle répondu. Dans ce centre, a-t-elle poursuivi, nous proposons des ateliers d’écriture et de théâtre aux familles en situation de vulnérabilité. Je vous attendais pour vous remercier. Nous vous disons «dhanyavaad». Cela veut dire «merci» en hindi. C’est grâce à vos histoires que no us en sommes là, ma famille et moi. Nous voudrions vous inviter à l’inauguration de notre centre et, si ça vous tente, vous pourriez faire un spectacle de conte.Toutes les histoires que vous avez si bien racontées, vous devriez les partager avec d’autres familles. — Je vais y réfléchir, ai-je répondu, encore émue de tout ça, mais n’y croyant toujours pas. Elle m’a tendu l’affiche d’inauguration de leur centre, intitulé Centre Culturel Chikitsa. L’inauguration tombait bizarrement le jour de ma fête. — Que veut dire Chikitsa ? me suis-je empressée de lui demander. — Ça veut dire guérison, a-t-elle répondu. Dites-moi quand vous aurez pris votre décision par rapport à notre proposition de faire des spectacles au centre, s’il vous plaît. Vous serez payée, m’a-t-elle dit en partant tout doucement. La voisine venait à la fois d’embellir ma journée en me faisant voir combien toute cette histoire était merveilleuse et en me faisant poser des questions sur ce qu’elle avait entendu d’autre. Ils devaient quand même me prendre pour une folle dans sa famille. J’étais tout de même contente d’apprendre que les histoires de l’enfant derrière le miroir les avaient aidés, mais je refusais de croire que je me parlais à moi-même et à haute voix. Certes, l’enfant existait bien dans ma tête, alors comment cela se faisait-il que c’était moi qui racontais 92


LA GRANDE RÉCONCILIATION !

à haute voix tout ce qu’elle me disait ? Ou peut-être que l’enfant venait réellement et que comme elle disait être moi, on se parlait, mais les autres entendaient uniquement ma voix ? Ou bien je me parlais et me répondais toute seule ? J’étais confuse. Très confuse, même. En entrant dans mon appartement, j’ai fait la promesse d’élucider tout cela. Aussi mystérieux que cela puisse être, il devait bien y avoir une réponse… Comment ? Je ne savais pas encore, mais je finirai bien par le trouver.

*** Ce soir-là, j’ai veillé un peu sur le balcon. J’ai contemplé les étoiles en repensant à la Nuit. J’essayais de les compter une à une. N’y arrivant pas vraiment, je les ai toutes invitées à venir entendre une histoire que je souhaitais leur raconter. C’était l’histoire d’une adulte qui n’avait jamais perdu l’espoir de retrouver une amie qui lui était chère. À peine ai-je commencé l’histoire que je baillais sur ma chaise. Prise d’une soudaine et drôle de fatigue, je me suis endormie en essayant de continuer mon histoire aux étoiles, sans avoir la force de me lever et de regagner ma chambre. En bâillant une fois de plus, je me suis surprise à parler aux étoiles comme l’enfant, leur promettant de revenir finir l’histoire que j’avais entrepris de leur raconter ce soir. Je me suis vue m’éloigner des étoiles comme elle, avec des bruits de pas qui sonnaient comme une douce mélodie leur souhaitant bonne nuit.

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10 Le syndrome du « pas tout à fait »

A

ujourd’hui, c’est le jour de mon anniversaire. J’ai trente ans. Toute une passerelle s’est définitivement installée entre la jeunesseinsouciante et l’âge adulte. À cet âge, on a peur de faire le bilan. Pourtant, il s’avère maintenant nécessaire. À cet âge, on a le droit de se sentir comme des proverbes africains. En voici quelquesuns qui expriment mon état d’esprit actuel. «Aller doucement n’empêche pas d’arriver. » Pour moi, cela veut dire que dans la vie, il faut prendre le temps de bien faire les choses. Cela m’a pris des années avant de trouver l’inspiration pour écrire ce livre. Pourtant, il est presque achevé. Les autres proverbes illustrant mon état d’esprit se chamboulent dans ma tête : «Traverse la rivière avant d’insulter le crocodile» ou «Si tu ne veux pas que la sauce brûle, elle ne va pas cuire.» En effet, nous avons tous en tête des phrases qu’on se répète pour s’encourager dans des moments spécifiques. 95


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Les miennes, pour mes trente ans, me proposent d’agir et de ne pas craindre les risques, d’avancer sans crainte et d’aller jusqu’au bout. Je me les répète comme des devises pour continuer mon trajet.Cher lecteur, vous avez les vôtres. Les déterminer et les répéter vous permettront de rester focalisés sur vos objectifs. À trente ans, nous sommes dans un entre-deux. C’est ce que j’appelle le syndrome du «pas tout à fait. » On est mûr, mais pas tout à fait. On est libre, mais pas tout à fait. On est vieux, mais pas tout à fait. À cet âge, on est adulte. Juste adulte. On peut l’assumer, ou continuer de faire semblant et de l’ignorer. Être adulte, c’est être mature, ou encore, pas tout à fait. Pourquoi faiton une crise de la trentaine ? Parce que justement, passé trente ans, le « pas tout à fait » peut vite devenir préjudiciable. Après avoir construit une passerelle entre l’enfance et l’âge adulte de vingt à trente ans, il faut désormais la traverser pour devenir l’être responsable de ses expériences et des choix que l’on a faits dans le passé. Ce matin, maman a été la première à me souhaiter joyeux anniversaire. «Ma fille, j’aimerais t’offrir beaucoup de choses. Hélas, je n’ai que des prières et des souhaits pour toi. Ils sont sincères et je les prononce avec tout l’amour qu’une mère peut avoir pour son enfant. » Elle m’a portée dans son ventre. Aujourd’hui, je veux la porter toute ma vie et toujours l’honorer. Même à 30 ans, je demeure l’enfant de ma mère, c’est-à-dire sa petite fille chérie. En parlant avec elle, j’ai jeté un coup d’œil à l’affiche de la soirée d’inauguration du centre culturel Chikitsa de mes voisins indiens. Le thème de la soirée était : «Il est là mon bonheur.» Ce nom me rappelait seulement maintenant le nom du spectacle des idées dont l’enfant m’avait parlé. Le hasard ne semblait vraiment pas exister. D’une façon ou d’une autre, tout était lié. Et si tout cela avait une raison d’être ? Et si l’enfant derrière le miroir était en plus derrière toutes ces coïncidences ? Et si c’était elle qui m’avait guidée jusqu’ici? Voudrait-elle que je monte sur scène pour raconter une 96


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de ses histoires ? Peut-être même que ce serait finalement elle qui parlerait à travers moi ? Cette idée me plaisait. J’étais tentée de me prêter au jeu. J’avais décidé d’y croire. Ce soir, elle et moi avions rendezvous sur cette scène pour inspirer notre auditoire. J’ai appelé ma voisine pour lui dire la bonne nouvelle. Elle n’a pas décroché. Je lui ai laissé un message : «Je serai là ce soir et je veux monter sur scène pour une improvisation. J’y crois. Ce sera même mon cadeau d’anniversaire que je m’offre, à moi de moi.» Je me suis mise devant le miroir de mon salon pour préparer les grandes lignes de la prestation et commencer à m’entraîner. «Toute bonne improvisation est une improvisation préparée», disait mon père. Mon téléphone a sonné, réponse de ma voisine : «Nous avions déjà prévu votre passage.» Sur le répondeur, j’ai entendu des éclats de joie. J’ai éclaté moi-même de rire. Tout était donc déjà prévu. On verra bien ce soir.

*** En arrivant à la soirée d’inauguration du Centre, la famille indienne était à l’accueil : le père, la mère et les enfants. Ils remerciaient tout le monde d’être là, comme si c’était une fête familiale. Ils étaient ravis de me voir arriver. Les deux enfants, huit et six ans, évitaient mon regard et se cachaient timidement derrière leurs parents. Ma voisine m’a prise par la main et m’a entraînée vers les loges, m’expliquant tout de suite le déroulement de la soirée. Son mari nous a rattrapées pour me faire une accolade, puis m’a dit : — Je voudrais m’excuser pour tout ce que tu sais que j’ai fait subir à ma famille par ignorance et te remercier infiniment pour ta présence et ton aide indirecte, mais bienveillante dans ma vie. J’étais sous le choc. Pourquoi me disait-il cela ? Je lui ai répondu avec timidité : — Je n’ai rien fait exprès, Monsieur. Cependant, je suis contente que tout aille mieux. Ne me remerciez pas. Soyez fier de vous-même 97


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et de votre famille. Mes paroles ont semblé lui faire du bien. C’était tout ce qui comptait en fin de compte. Il m’a encore remerciée et m’a laissée aller aux loges avec sa femme et est retourné à l’accueil. Dans le couloir des loges, j’ai entendu les conversations des artistes et les battements de mon cœur. C’était la pression, car je n’avais jamais fait cela auparavant. Je me suis installée dans ma loge et j’ai entrepris de m’apprêter. Devant un miroir. C’était drôle quand même. Je m’apprêtais à conter sur scène l’histoire entendue d’une enfant qui vivait dans le miroir et qui, depuis trop longtemps, ne se manifestait plus. J’ai observé un moment mon reflet dans le miroir et je lui ai dit : «Où que tu sois, j’aimerais te dire que je vais conter à l’assistance toute notre histoire et j’espère que cela leur sera utile.» C’était l’heure de monter sur scène. Les battements de mon cœur se sont accélérés. On dirait qu’ils s’étaient donné une mission : me déstabiliser ! Je ne me laissais pas faire pour autant. J’allais vaincre mon trac en me jetant à l’eau dès que je serai sur scène. M. Frank Toutou, l’animateur de la soirée, a annoncé mon nom. Mon cœur ne battait plus, il tambourinait. J’ai fermé les yeux et j’ai inspiré un grand bol d’air. Je repensais au spectacle des idées, celui que m’avait raconté l’enfant. Ce spectacle où les idées défilaient et dansaient se produisait maintenant dans ma tête. Je me suis alors dit que si des idées pouvaient danser comme elle l’avait raconté, alors j’allais faire danser les miennes aussi. Cela m’a aidée à oublier ma peur. Je gérais enfin mon tract. J’ai avancé sur scène. J’ai fermé les yeux, mais cette fois-ci, à cause des projecteurs. J’ai respiré une fois de plus profondément. J’imaginais l’enfant derrière le miroir. Elle était là avec moi. Elle m’accompagnait sur scène.Tout à coup, j’ai entendu une musique. C’était le son d’une Kora, instrument de musique africaine que jouaient les conteurs mandingues pour raconter les histoires des générations passées et leurs gloires. Ce son m’envoûtait un peu et enchantait mon esprit à la fois. J’ai ouvert les yeux. J’ai regardé le 98


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public m’accueillir sous les acclamations. Au bout d’un moment, celles-ci se sont arrêtées et ils m’ont regardée. Ils n’attendaient que moi. J’étais donc la seule vers qui étaient rivés tous ces regards. J’entendais encore le son de la Kora, mais il n’y avait aucun bruit dans la salle, aucun joueur de Kora sur scène ou caché quelque part. On aurait dit que la musique venait plutôt de l’intérieur. Elle était dans ma tête. Par où allais-je commencer ? En attendant que l’enfant décide de se manifester pour conter ses histoires, j’ai danser pour commencer. Quelle danse allais-je faire ? J’ai décidé de danser celle de mes émotions, celle de maman aussi. Je leur ai dansé ma vie dans sa plus simple expression. J’imaginais aussi la vie des familles devant moi. Alors pour eux, je la leur dansais. Ils ont applaudi. Pourtant, je dansais sur une musique dans ma tête. J’ignorais ce qu’ils avaient compris, mais j’étais touchée de recevoir leurs applaudissements. Mes gestes et mes pas de danse sans musique, chacun les savourait en s’imaginant un rythme dans sa tête. Un rythme exclusif sur lequel s’accordaient mes pas et mouvements. Je dansais pour chacun d’eux, en fonction de ce qu’ils s’imaginaient. Le son de la Kora guidait chacun de mes pas. J’ai fermé à nouveau les yeux. Je dansais encore quand tout à coup, j’ai entendu une voix. Elle était petite et douce. Elle s’est jointe à la musique de la Kora dans ma tête. L’enfant derrière le miroir était de retour, et ce, pour mon plus grand bonheur. Je l’entendais à nouveau. Enfin ! Elle m’a dit tout bas : «Vas-y ! Je crois en toi. Raconte-leur le bonheur. Il est en toi.» À cet instant, j’ai choisi de croire que l’enfant et moi, nous ne formions plus qu’un seul être. Nous étions désormais unies. Enfin unies. L’honneur de raconter l’histoire lui revenait. Je lui ai dit de parler. Et pendant qu’elle parlait à travers moi, les applaudissements du public se sont joints à sa narration, applaudissant et criant à chacune des idées imaginaires de l’histoire. Ils étaient emportés, presque en transe. Certains versaient des larmes de joies, tandis que 99


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d’autres restaient tout simplement émerveillés. L’enfant a entonné son superbe chant : « Neneyooo Nenenyooo Neneyoooo Nene Kamora » (Maman, maman, maman, maman, es-tu là ?) « Naaaaaaaa Naaaaaaa Naaaaaaa Nena Kamora » (Maman, maman, maman, maman, es-tu là ?) Autrefois, je chantais cette mélodie lorsque je me sentais vulnérable. Ce soir, l’enfant et moi, nous la chantions devant un public constitué essentiellement de familles vivant en situation de vulnérabilité. Ils chantaient avec nous à leur tour. « Neneyooo Nenenyooo Neneyoooo Nene Kamora » (Maman, maman, maman, maman, es-tu là ?) « Naaaaaaaa Naaaaaaa Naaaaaaa Nena Kamora » (Maman, maman, maman, maman, es-tu là ?) Sur scène, je n’étais plus moi. J’étais l’enfant du miroir. J’étais l’enfant miracle. J’étais Bobo Djina, l’enfant esprit.

*** La prestation touchait déjà à sa fin. L’animateur est revenu sur la scène. Touché par l’histoire, il m’a demandé : «D’où vous vient autant de créativité ?» Je me suis prêtée au jeu. J’ai demandé à l’enfant de répondre à ma place : «Cette créativité vient de loin, mais surtout de l’intérieur. Chacun de nous peut le faire. Il suffit de rentrer en contact avec l’enfant qui sommeille en chacun de nous. Dans chaque cœur de l’adulte que nous sommes, il y a un enfant qui sommeille. Notre vie d’adulte dépend de la relation que nous entretenons avec lui. Il symbolise la mémoire de notre enfance. Retracer cette enfance en se posant les bonnes questions permet de guérir les blessures qui persistent et d’écrire une nouvelle page de notre histoire. Il est temps 100


LA GRANDE RÉCONCILIATION !

que ce soit au tour de l’enfant en soi de raconter sa version de votre histoire. N’ayez aucune crainte, elle ne dévoilerait rien qui puisse vous mettre mal à l’aise. Sa version de l’histoire, c’est toujours la meilleure version de vous-même. Comme vous l’avez constaté, c’est une histoire magique et féerique. » L’animateur m’a remerciée, puis les spectateurs ont été envoûtés par mon message. Une certaine énergie était palpable dans l’ambiance de la salle. Je suis redescendue de la scène. Mais je restais fébrile, contente même, ou dans une sorte de reconnaissance entière. C’était indescriptible. Un infini sentiment de gratitude emplissait tout mon être. C’était peut-être cela le bonheur ? En tout cas, j’étais heureuse du retour de l’enfant. J’étais surtout heureuse pour elle, du fait qu’elle s’était exprimée autant pour d’autres personnes que moi et qui avaient apprécié son spectacle. Les autres artistes étaient éblouissants de talents, eux aussi. Leurs performances étaient remarquables. Avant de rentrer à la maison, je me suis dirigée vers les toilettes. Émue, j’ai pleuré de joie devant le miroir plein de poussière. À cet instant, j’ai entendu quelqu’un tousser. Je reconnaissais cette façon de tousser. C’était celle de l’enfant derrière le miroir. Elle était là. Elle me demandait de fermer les yeux. Je me suis exécutée. Soudain, je l’ai entendue me dire : «Regarde-toi. C’est nous.» J’ai enfin ouvert les yeux et ce que j’ai vu m’a émue au plus profond de mon âme. Je me voyais moi, mais mes yeux semblaient différents. Le reflet dans le miroir avait l’air distinct de moi. Ces yeux me fixaient profondement avec intensité. Je reconnaissais ce regard. C’était le mien il y avait presque vingtcinq ans de cela. J’ai éclaté en sanglots. J’étais à la fois émue, éblouie et perturbée. Je venais de voir le visage de l’enfant, fusionné au mien. Sa personnalité était vivace dans mon regard et nous formions un seul être. C’était la première fois depuis le début de notre relation que j’avais ce genre de sensation. J’étais dans tous mes états, en 101


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sanglots, un mélange de joie et de douleur. La joie de la voir ainsi que la douleur de l’avoir abandonnée. — Pourquoi tu pleures ? m’a-t-elle demandé au bout d’un certain moment qui me parut être une éternité. — Tu m’as manqué. Et je pleure de joie parce que je m’en veux de t’avoir abandonnée. — Lorsque je disais que j’étais toi, c’était pour de vrai. Chaque adulte a un enfant au fond de lui. Certains disent que c’est juste la mémoire de l’enfance. Pour d’autres, leurs enfants intérieurs ne sont que les sièges des émotions et ils disent souvent s’amuser comme un enfant, rire et pleurer comme un enfant lorsque leurs émotions sont actives. Pour toi, je suis l’enfant derrière le miroir parce que c’est dans un miroir que tu as enfoui qui je suis, et quand tu te regardes dans un miroir, tu ne te regardes pas. Tu ne fais que voir la personne que tu veux être selon les occasions. Tu t’étais enfermée toi-même dans ces différents personnages qui ne sont pas moi, qui ne sont pas toi. Tous ces masques, tu les as portés. Avant même que je ne puisse lui poser une autre question, elle a disparu. À ce même moment, j’ai entendu quelqu’un cogner à la porte des toilettes. «Madame, cela fait une demi-heure que la porte des toilettes est bloquée. Personne ne peut rentrer à cause de vous. Nous allons appeler la sécurité si vous ne libérez pas le lieu.» Je ne me souvenais pourtant pas avoir bloqué la porte. Avec quoi l’aurais-je fait ? D’ailleurs, je n’avais que mon sac avec moi au moment où j’y étais entrée. Tout ceci était si étrange. Je suis sortie et j’ai vu un groupe de femmes me dévisager. La propriétaire du centre, avec un clin d’œil complice à mon endroit, leur a expliqué : «Elle a l’habitude de se parler à elle-même. C’est peut-être comme cela dans leurs cultures. » J’ai décidé d’ignorer leurs propos qui fusaient dans tous les sens. J’avais trop de choses plus importantes à faire, comme de célébrer le retour de l’enfant auprès de moi. Cette discussion avec elle dans les toilettes venait de marquer mon existence. C’était mon plus beau 102


LA GRANDE RÉCONCILIATION !

cadeau d’anniversaire. Ma seule inquiétude était de ne pas savoir si l’enfant était toujours dans le miroir ou si elle en était désormais sortie. D’autant plus qu’en disparaissant, je n’avais pas entendu ses pas s’éloigner comme d’habitude.

*** De retour à la maison, j’ai repensé à toute cette soirée. J’étais satisfaite de la journée, du spectacle et de comment les gens avaient été heureux. J’étais contente pour mes voisins et du succès de leur soirée d’inauguration. Pourtant, assise dans mon sofa, je me posais encore des tas de questions. L’enfant s’était-elle manifestée, car elle avait lu ma lettre d’excuses ou parce que je lui avais laissé toute la place ? J’ai choisi de croire que c’était parce qu’elle avait lu la lettre et accepté de me pardonner. Je me suis mise à faire défiler dans ma tête mes trente années de vie. Je voyais passer des images et des scènes entières, comme un film. Les âges m’offraient un véritable spectacle époustouflant.Je voyais passer les âges et les images correspondantes. Je voyais tout. J’entendais tout. Tout cela était à couper le souffle. Dans une des scènes, j’ai vu l’inscription «Dessine-moi l’avenir», puis “SIX ANS” qui, comme un personnage, s’est mise à parler. Elle me partageait son récit. SIX ANS : Mon rêve, c’est d’offrir le bonheur à maman. Un jour, je le sais déjà, j’irai à sa recherche. Si jamais je grandis trop vite, il faudra rappeler à l’adulte que je deviendrai que j’avais ce rêve avant lui. S’il arrivait que je ne puisse pas réaliser le rêve, ce serait à elle de le faire. Vous lui direz aussi que je ne serai pas loin pour l’encourager. Je serai toujours tout près d’elle. Je suis le lieu où sont logées ses émotions. Après SIX ANS, voici DIX-HUIT ANS.

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DIX-HUIT ANS : Ton rêve n’a pas de plan précis. Tu te demandes où tu vas aller chercher le bonheur ? J’ai DIX-HUIT ANS. Je peux t’assurer qu’à cet âge, avec les responsabilités, les chagrins et les échecs, le bonheur peut être douloreux. Vaudrait mieux ne pas le chercher. Il ne se laisse pas saisir. Quand tu penses que tu l’as, il s’envole. Tu ne sais pas s’il est dans la liberté. Quand tu décides de quitter la maison et de vivre seule, tu ne sais pas s’il est dans l’autre pour qui tu ressens de l’amour et qui te promets monts et merveilles parce que c’est cet autre qui te brisera le cœur. Après l’intervention de DIX-HUIT ANS, toutes les années suivantes se mirent à paniquer. C’est à ce moment précis que TRENTE ANS a pris la parole pour clôturer la cérémonie des âges. Après tout, c’était son jour à lui. Il s’excusa auprès de tous. TRENTE ANS : Chacun de vous s’est fait une idée sur le bonheur. Vous l’avez cherché à l’extérieur, vous avez cru qu’il était dans des rêves, qu’il était dans des accomplissements et des succès. Vous avez tout fait pour le trouver partout, sauf là où il est en vérité : en vous. Tous les âges ont applaudi cette déclaration. Leurs applaudissements me berçaient, comme une douce mélodie qui me souhaitait bonne nuit. Cet anniversaire, je m’en souviendrai toute ma vie… Il était le début de ma deuxième vie, celle où je marchais main dans la main avec l’enfant, mon bonheur.

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11 Ubuntu : je suis, parce que nous sommes

C

e matin, il n’y avait ni proverbe ni plante à arroser. Il n’y avait pas de conversations que les voisins écouteraient. Toutes ces histoires avaient forgé ma personnalité et rétabli ma confiance en moi-même et j’avais pu enfin finir le livre que j’avais promis à ma mère. Son titre était simplement «Le Livre de Maman», auquel j’ai ajouté en sous-titre : «Il est là mon bonheur.» Parce que ce livre est le résultat de ma double mission, celle de l’adulte qui veut écrire des contes pour tenir compagnie à sa mère, laquelle a fait l’effort d’apprendre le français pour le lire, et celle de l’enfant que j’étais et qui a promis de partir à la recherche du bonheur pour le lui ramener. Maman n’allait pas bien ces derniers temps. Je m’inquiétais. J’ai d’ailleurs reçu un appel qui a bouleversé tout mon programme de la journée. Elle était hospitalisée, car sa tension artérielle avait monté 105


L’ENFANT DERRIÈRE LE MIROIR

d’un cran. Les médecins craignaient pour sa santé et disaient qu’elle devait subir une opération. J’ai déjà pleuré toutes les larmes de mon corps. Pour mes 30 ans, je voulais lui faire une surprise. Lui annoncer que son livre était enfin prêt. Celui que je lui avais promis, le bonheur qu’elle avait toujours attendu. Offrir le livre à maman devenait plus urgent que jamais. J’étais persuadée que ce livre allait lui procurer le plus grand des biens. J’espérais même qu’elle trouverait dans ces histoires un remède à ses maux. Au fond de moi, j’y croyais. Les circonstances actuelles de son état de santé m’obligeaient à prendre aussitôt un billet d’avion pour aller la retrouver. Elle ne le savait pas encore. Au travail, ils m’ont dit que si je partais, je perdrais mon poste. Ce n’était pas grave. Mes priorités étaient ailleurs pour l’instant. Du travail, j’en trouverais bien à mon retour. J’étais décidée à aller la retrouver coûte que coûte! Je m’en allais retrouver maman pour lui remettre mon livre de contes et, surtout, inspirée par l’enfant derrière le miroir.

*** Me voici donc dans un taxi, en direction de l’aéroport PierreElliott-Trudeau de Montréal. Mon chauffeur de taxi était un monsieur d’une soixantaine d’années à l’allure sportive, pas très grand et musclé. Il portait une chemise de couleur dorée avec une coupe afro. Il avait un accent aussi apaisant qu’authentique. Il était Haïtien. Il conduisait calmement et sereinement. Avec l’âge, certainement qu’il avait acquis l’expérience. — Êtes-vous Haïtienne, Madame ? m’a-t-il demandé aimablement. — Non. Je suis Africaine, lui ai-je répondu. — C’est pareil ! a-t-il répliqué avec un grand sourire. Tous les Haïtiens sont originaires d’Afrique. Haïti, c’est «l’Afrique des Amériques», a-t-il conclu. — Vous avez raison, en effet.

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LA GRANDE RÉCONCILIATION !

Il a continué de me parler et m’a brièvement raconté son histoire sur la façon dont il est arrivé à Montréal et pourquoi il aime son travail de chauffeur de taxi. Cela lui permettait de parler avec les gens puisqu’il vivait seul. Son histoire m’a touchée. J’avais de la sympathie pour lui. À mon tour, j’ai décidé de lui raconter la mienne. Je lui ai parlé de l’enfant derrière le miroir, en lui expliquant que j’avais fait la rencontre d’une petite fille qui était devenue mon amie et que notre rencontre m’avait totalement transformée. Par curiosité, il m’a demandé : «À quoi ressemble-t-elle ?» Je ne lui ai pas répondu. Je ne savais pas quoi répondre. Devais-je dire qu’elle me ressemble ? Devais-je dire que si j’avais un enfant, il lui ressemblerait ? Mon silence face à sa question s’éternisait. — Madame, vous croyez encore au bonheur ? a-t-il repris pour changer de sujet. — N’est-ce pas le but de toute vie ? — Vous ne répondez donc jamais directement alors, a-t-il dit en riant. Si jamais vous cherchez le bonheur, croyez mon âge avancé, je vous conseille de prendre un miroir et de vous questionner. Votre reflet vous dira tellement de choses vraies que vous finirez par avoir vos réponses. De la même façon que si je vous dis que vous avez une tache sur le visage, vous prendriez un miroir pour vérifier. C’est comme ça que le miroir vous donne les réponses sur votre bonheur. Au début, il se peut que cela prenne un peu plus de temps. Surtout, pour réussir, il faudra que vous vous parliez doucement. Que vous preniez le temps de vous apprivoiser. Je l’ai écouté attentivement, mais j’ai choisi volontairement de ne pas répondre. Sans rien ajouter, il a allumé la radio et a mis une musique provenant d’Haïti. Je lui ai parlé d’un groupe qui s’appelait « Zenglen Kompa ». C’est un ami qui me l’avait fait découvrir et j’adorais. Le monsieur m’a appris que ce dernier était l’un des groupes musicaux haïtiens les plus populaires au monde. 107


L’ENFANT DERRIÈRE LE MIROIR

Dans sa voix, on aurait dit que son pays lui manquait terriblement. Pour en être sûre, je lui ai demandé : — Monsieur, entre Haïti et le Canada, lequel de ces pays portezvous le plus dans votre cœur ? — Madame, séparer ces deux pays, c’est un peu comme si vous me demandiez de choisir entre ma femme et ma mère. C’est un choix difficile, car on les aime jalousement toutes les deux. De façon différente, certes. C’est tout. J’ai souri et l’ai laissé profiter de la belle musique qu’il savourait pleinement. Assise sur la banquette arrière, j’ai également profité de ce moment avec moi-même. J’avais pleinement confiance que tout irait bien pour maman. Ce monsieur venait de m’enseigner une belle leçon de vie et je savourais cette sagesse. Cela me faisait penser à combien l’enfant avait une place de prédilection dans mon cœur, mais que cela n’enlevait absolument pas celle de maman. Toutes deux, à leur façon, incarnaient le bonheur, mais différemment. Ma mère m’avait donné la vie, et l’autre, elle lui en avait donné un sens. Elle avait fait naître en moi le désir de m’améliorer, de grandir et de me réaliser pleinement. Elle me manquait terriblement, de même que ses histoires qui donnaient des conseils, désignaient les défauts à corriger et les qualités à conserver, tout en passant parfois par des réflexions sur la croissance personnelle, la spiritualité, l’estime de soi, le rêve et la gratitude. Grâce à elle, j’avais pu écrire pour maman. D’une part, il y avait dans ce livre un désir de célébrer et de rendre hommage à cette femme qu’est ma mère. D’une autre, il y avait aussi ce besoin de rappeler à tous que derrière chaque miroir, il y a un enfant qui n’attend que vous. Tous ces contes que j’offrirais bientôt à maman étaient là pour retrouver le bonheur, à partir de notre enfant derrière le miroir. Voilà ce qui était magnifique. Le chauffeur m’a interrompu alors que j’étais à nouveau perdue dans mes pensées : 108


LA GRANDE RÉCONCILIATION !

— Madame, retournez-vous chez vous en Afrique ? — Oui, cher Monsieur, je m’en vais retrouver ma mère et lui offrir le bonheur. — Nos ancêtres viennent du Bénin, de la Guinée et du Congo. Si l’on souhaite connaître l’Afrique, quel pays conseillerez-vous de visiter en premier ? — Quel que soit le pays de votre choix, vous y trouverez ce que vous recherchez. — Merci, Madame, je vais y penser. Au passage, vous m’avez l’air jeune ! Profitez de la vie ! Lorsque vous ne savez plus où vous allez, souvenez-vous d’où vous venez, de qui vous êtes, de ce que vous êtes devenue et du chemin parcouru. Ce précieux conseil a trouvé un écho en moi et m’a rappelé mes racines africaines qui prenaient vie, même si je vivais à Montréal.

*** Nous voilà arrivés à l’aéroport. Le chauffeur s’est garé derrière une voiture bleue. Nous attendions que les passagers déchargent les valises en toute sécurité. — Madame, j’espère que vous pourrez continuer à vous reposer durant votre vol. — Merci, ai-je dit en payant la course. Je suis descendue, de même que le chauffeur. Il m’a aidé en sortant mes valises. Je lui ai dit au revoir en le remerciant de son agréable compagnie pendant le trajet. C’est lorsque je suis entrée dans le hall de l’aéroport que j’ai senti un grand vide m’envahir. Je ne retrouvais plus mon livre. J’ai fouillé dans mon sac. Il n’était pas là. Prise de panique, j’ai laissé mes valises et je suis sortie précipitamment en espérant que mon livre soit tombé pendant que j’avais pris mes valises. Dehors, il n’y avait rien. Rien au sol, rien à côté. J’ai posé des questions aux agents de l’aéroport qui guidaient les véhicules. Ils n’avaient rien vu. Qu’avais-je fait de la seule copie du livre de 109


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maman? Qu’allais-je faire ? J’étais là à me poser mille questions et à retenir mes cris et mes larmes lorsque j’ai entendu une voix familière dire : «Madame !». C’était mon chauffeur qui m’appelait. Il s’était rendu compte que j’avais laissé le livre dans son taxi et avait fait demi-tour pour me le rapporter. Quel soulagement ! Quel homme bienveillant ! Il m’a remis le livre, que j’ai serré à nouveau si fort contre mon cœur en remerciant chaudement le chauffeur. — De rien, Madame. Je suis revenu parce que le livre semblait important pour vous. Vous l’aviez contre votre cœur durant tout le trajet. Vous ne l’avez déposé que pour ouvrir votre sac et me payer. Je ne pouvais faire autrement que de courir vous le ramener. — Je vous remercie infiniment. Sincèrement, merci! lui ai-je encore dit pour lui témoigner ma gratitude. — Mais, dites-moi, de quoi parle ce livre au juste ? m’a-t-il demandé avec curiosité. — Ce livre parle à ma mère. Il est pour elle et j’espère qu’il fera son bonheur, lui ai-je dit tout en continuant de serrer le livre contre ma poitrine. En quittant le chauffeur qui venait presque de me sauver la vie en ramenant le livre, je me suis dit que j’avais eu beaucoup de chance. Je ne savais pas ce que j’aurais fait si je n’avais pas retrouvé le livre ni ce que j’aurais dit à ma mère en la voyant. J’ai retrouvé mes bagages et, en serrant bien mon livre dans mon sac à main, je suis partie d’un pas soulagé vers les agents de l’aéroport pour faire mes formalités. Comme j’étais en avance, j’allais même pouvoir prendre un café avant l’embarquement. Les agents devaient certainement se demander pourquoi cette jeune femme souriait constamment et si elle n’était d’ailleurs pas suspecte. J’étais heureuse, voilà tout ! Et surtout motivée parce que maman allait pouvoir lire son livre. Il était désormais fini. J’allais le lui offrir et elle serait si heureuse de l’avoir 110


LA GRANDE RÉCONCILIATION !

enfin qu’on le lirait ensemble. Grâce à ma présence auprès d’elle, elle se rétablirait rapidement. Si elle est trop fatiguée, nous inverserons les rôles et ce sera à moi de lui lire une histoire pour qu’elle s’endorme. C’est parce que j’entrevoyais tout cela que le sourire ne quittait plus mon visage. Pourtant, j’avais transpiré à force de courir partout pour retrouver mon livre, j’avais eu des sueurs froides et mes cheveux avaient perdu leur splendeur. Les formalités étaient finies. Avant d’aller prendre un café et de m’envoler ensuite vers l’Afrique, j’allais me refaire une petite beauté. Les toilettes étaient situées non loin du Café, dans la zone des embarquements. Plusieurs voyageurs étaient assis tout en attendant d’être appelés. Certains étaient en famille, d’autres en couples et d’autres voyageaient en solo comme moi. Parmi ceux qui étaient seuls, des écouteurs blancs dans les oreilles indiquaient clairement ceux qui étaient au téléphone avec des proches ou ceux qui écoutaient de la musique pour passer le temps. Je ferai certainement pareil, mais avant, je devais faire un tour aux toilettes. En entrant dans celles pour femmes, j’ai croisé une jeune femme et sa fille qui en sortaient. La jeune enfant était toute mignonne avec ses grands yeux et ses cheveux bouclés. Elle sautillait tout en marchant et sa maman essayait de suivre son rythme. J’ai trouvé le s pectacle si beau que je n’ai pu m’empêcher de leur sourire à mon tour. Je me suis mise à penser à l’enfant du miroir, que je n’avais pas revue depuis mon anniversaire, et je me demandais d’ailleurs quand j’en aurai moi-même. Être en couple ne me réussissait pas avant parce que j’avais du mal à être moi-même et à m’investir dans une relation. Je trouvais presque l’idée encombrante et risquée avec toutes les histoires que j’avais vécues en amour. Bizarrement, cette fois-ci, je me sentais nouvelle, légère et déterminée à faire les choses de la bonne façon. « Je devrais y réfléchir attentivement », me suis-je dit 111


L’ENFANT DERRIÈRE LE MIROIR

en tirant la chasse. En me lavant les mains, j’ai regardé dans le miroir la jeune femme que j’étais devenue. Je me suis lavé le visage pour me rafraîchir un peu et, en levant la tête pour regarder mon reflet dans le miroir du lavabo, j’ai été surprise de tomber sur un visage familier qui n’était pas apparu depuis mon anniversaire. Ce visage me souriait à son tour. C’est là que j’ai entendu sa douce voix à laquelle je m’étais habituée ces deniers temps. L’enfant était là et elle me souriait à nouveau. Elle était là dans le miroir. J’allais bientôt partir pour aller voir ma maman et je la revoyais dans un miroir. Il n’en était plus question. — Je veux vraiment que tu sortes du miroir, lui ai-je dit gentiment. Elle continuait de sourire. — Je veux que tu viennes avec moi pour aller voir Nènè, ai-je repris de plus belle. Tu ne peux plus être dans un miroir, je ne veux plus que tu apparaisses et disparaisses sans que je ne sache comment te parler quand je veux, et que je m’inquiète si tu vas bien parce que je n’ai plus de tes nouvelles. — Si tu le veux, alors tu peux, a-t-elle répondu sur un ton très énigmatique. — Je ne veux que ça. Je veux que tu reviennes dans ma vie. Je le souhaite de tout mon cœur. Viens et partons pour l’Afrique. Nènè nous attend. — Alors, mets tes deux mains contre le miroir et dit : « Ubuntu, Ubuntu, Ubuntu. » Je n’ai pas hésité une seconde. J’ai mis mes deux mains à plat contre le miroir et j’ai dit la phrase en fermant les yeux, comme pour lui donner plus de force. — Ubuntu ! Ubuntu ! Ubuntu ! ai-je presque crié dans les toilettes de l’aéroport Pierre-Elliot-Trudeau. Les frissons qui ont parcouru tout mon corps à ce moment-là, la sensation que j’ai eue d’être subitement remplie de chaleur, me faisaient vibrer comme jamais. Était-ce réel ou magique ? En ouvrant 112


LA GRANDE RÉCONCILIATION !

les yeux et en regardant, la chair de poule sur mes bras, j’ai compris que quelque chose venait réellement de se passer. Mon reflet dans le miroir me le confirmerait, puis j’ai vu dans mes yeux un éclat d’innocence que je n’avais pas observé depuis bien trop longtemps. Mes yeux étaient purs, mon regard, doux. On aurait dit la petite fille qui sautillait tantôt et que sa mère essayait de rattraper. Cette candeur dans mon regard m’a confirmé que j’avais réintégré l’enfant et qu’elle n’était plus dans le miroir. — Que veut dire UBUNTU ? lui ai-je demandé. — Je suis, parce que nous sommes, a répondu une voix dans ma tête. Cette voix était plus distincte que d’habitude. Elle résonnait clairement dans ma tête, comme si elle était vraiment en moi. — C’est une expression inspirée d’une philosophie africaine, humaniste et solidaire. Elle est la définition la plus excellente de la solidarité, de l’entraide et du partage. Je suis ce que je suis grâce à ce que nous sommes tous. C’est en étant ensemble que nous existons toutes les deux. — J’existe désormais parce que tu es revenue en moi, ai-je murmuré affectueusement. — Et maintenant que je suis revenue en toi et que tu existes entièrement, tu vas pouvoir t’ouvrir aux autres et te rendre disponible pour faire partie du grand tout.

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12 En plein vol

A

ssise dans l’avion, j’ai regardé à travers le hublot les lumières scintillantes des ailes de l’avion qui venait de décoller. Les lumières de Montréal s’éloignaient à grande vitesse, alors que je m’envolais vers ma mère. Montréal était différent de l’Afrique. On peut vite s’y sentir seul même lorsqu’on est entouré. Les gens passent et se dépassent. Ils sont pris par le temps, quand ils ne courent pas après. Je retournais retrouver la terre chaude de l’Afrique, ses océans, ses plages et ses paysages colorés qui avaient contribué à faire de moi celle que j’étais. Je retournais en Afrique voir ma famille en emportant avec moi l’expérience et le style de Montréal, le rythme et la culture québécoise. À l’intérieur de moi, vivait désormais une enfant que j’avais abandonnée pour devenir et être adulte. Pour devenir adulte, j’avais fait grandir et transformer son corps, j’avais remplacé ses dents et affiné ses traits. Pour être adulte, j’avais abandonné ses 115


L’ENFANT DERRIÈRE LE MIROIR

jeux et ses joies pour en inventer des nouveaux. Tout ce qu’elle me demandait, c’était de garder un peu d’elle et de sa magie pour conserver en moi l’innocence et l’harmonie, le sens du bonheur et du lâcher-prise; tout cela pour mon propre bien. Préoccupée par d’autres choses et poussée par un extrême désir d’indépendance, je l’avais sortie de ma vie volontairement et tout le reste n’avait plus été pareil jusqu’à maintenant. C’était dans la douleur que j’avais compris que je me trompais sur toute la ligne, mais aussi parce que j’avais eu la deuxième chance de parler à nouveau avec l’enfant. Je regardais désormais, toujours à travers le hublot, des nuages pourtant invisibles dans la nuit depuis le sol et je revoyais ces dernières expériences mystérieuses que j’avais vécues et qui m’avaient reconstruite petit à petit, ainsi que ces histoires de contes si sages qui m’avaient réconciliée avec cet univers où je me sentais toujours si bien. C’était dans ces espaces fantastiques que j’aimais créer mes réalités. Pourtant, pour devenir une grande personne, j’avais laissé tout ça de côté pour courir après la vie. Moi qui, dans mon imagination, pouvais donner vie aux légumes, aux âges et au temps, j’avais fait la course contre la montre, comme tout le monde. Toutes ces histoires inventées qui avaient toujours fait le bonheur de ma mère, ces histoires pour lesquelles elle avait appris à lire le français, ces histoires qu’elle attendait maintenant que je les lui rapporte dans un livre. C’était dans la redécouverte de l’enfant que j’avais appris à me reconnecter à moi-même et à écrire ces histoires pour Maman. Maintenant qu’elle faisait à nouveau partie de moi, combien d’histoires serais-je capable d’inventer ? J’ai souri et me suis dit que j’étais chanceuse. Chanceuse d’avoir eu une nouvelle occasion de me refaire et de repartir à la rencontre de moi-même pour me ressouder avec mon être intérieur. Dans le repli sur soi que j’observais à ce moment-là, j’avais eu la bonne idée de considérer l’appel de cet enfant, certainement poussée par la curiosité. 116


LA GRANDE RÉCONCILIATION !

Il est possible que peu de gens répondent à l’enfant quand il revient dans leurs vies, parce que cela ne leur semble pas réaliste. Pourtant, c’est bien ce qu’il faut faire, se rappeler comment de petits riens font de grands bonheurs pour l’enfant. Combien pour l’enfant toute souffrance est éphémère, mais que toute joie est à conserver. Assise dans ce siège d’avion, le nez contre le hublot, je pensais à l’Afrique, celle qui m’attendait avec Nènè. Je retournais vers elle entière. Avec l’enfant qu’elle aimait et l’adulte qu’elle n’avait jamais cessé d’aimer. En attendant nos retrouvailles, qui arrivaient à grand pas, j’ai ouvert le livre de maman et je me suis laissé bercer par l’univers des contes qu’on y retrouvait.

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À ma mère, celle que j’appelle affectueusement nènè. La muse de mes créations, ma meilleure amie. Merci de m’avoir offert le plus beau cadeau au monde : la vie.


TROISIÈME PARTIE

Le livre

DE MAMAN



Le conte et moi

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’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours aimé raconter des histoires oralement. Déjà petite, pour toutes les questions auxquelles je n’avais pas de réponses, j’en créais une de toutes pièces. Étant une artiste dans l’âme, pour chaque difficulté, je me consolais dans l’écriture ou le dessin. Par exemple, un jour, je devais avoir 6 ans, alors que je vivais encore en Afrique, plus précisément en Guinée, ma mère voulait que je l’aide à préparer le repas. Je devais couper les oignons. Pour échapper à cette tâche, je lui ai dit : «Nènè, les oignons sont tristes. Ils iront mieux dans une semaine. Rendus là, nous pourrons les cuisiner.» Donc, je créais des histoires pour chaque aspect de ma vie. Il y en avait même pour l’école. Je me souviens entre autres de la journée des parents. Ce jour-là, chaque enfant devait faire une courte présentation de ses parents. On pouvait entendre des enfants dire : «Mon père est médecin. Il soigne les personnes.» Ou bien : «Ma

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mère est architecte. Elle construit des maisons.» Quand mon tour est arrivé, je me souviens que j’avais dit que ma mère était couturière. Je n’avais pas pu m’empêcher de leur dire qu’elle avait une machine à coudre, que j’avais baptisée Fatoumata, et que cette dernière racontait des histoires. Le lendemain, comme par hasard, ma mère avait reçu plusieurs commandes. Était-ce un miracle ou juste les mots et l’innocence d’un enfant qui avaient opéré comme par magie ? De plus, dans les sociétés africaines, d’où je viens, le conte est une école vivante dont la mission est celle de transmettre les valeurs et l’histoire d’une génération à une autre. Très tôt déjà, maman nous racontait, à mes frères et moi, des histoires qui nous faisaient rêver. Nous faire voyager à travers les réalités du temps, voilà l’importance du conte, favorisant ainsi la connaissance de notre culture et élargissant notre imagination. Quand nous étions assis autour d’elle, juste avant de nous raconter, elle disait que le plus grand héritage qu’elle voulait nous léguer était ce qu’elle nous transmettait à l’oral depuis fort longtemps. Elle espérait qu’un jour, nous serions à notre tour capables de narrer à nos enfants aussi bien qu’elle le faisait depuis notre enfance. Aujourd’hui, avec un pas de recul, je comprends que la plupart de ses contes n’étaient rien d’autre que des enseignements qu’elle voulait nous transmettre et une façon de véhiculer un message important de l’école de la vie. Toute une école qui avait pour fonction de nous éduquer à la compréhension de la vie. Maman voulait que je reprenne le relais de la narration. À la différence des contes que j’avais entendus jusque-là, elle voulait que je puisse transmettre les enseignements que la vie m’apprendrait au fur et à mesure. Sans oublier, évidemment, de parler de là d’où je viens. Doux continent aux multiples histoires, véridiques et fantasmées, vous l’aurez deviné, je viens de l’Afrique : le berceau de l’humanité, l’origine de l’histoire. Avec l’âge, les occupations et les nombreux 122


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divertissements à l’ère du numérique, hélas, ce rituel du conte a presque perdu sa place. Les jeunes n’ont plus le temps d’écouter des histoires, étant toujours sur les réseaux sociaux. Certains parents, quant à eux, se sont presque déresponsabilisés de ce rôle de transmission orale. Quelles en sont les causes spécifiques ? Elles sont nombreuses… À mon humble avis, il y a le rythme de la vie et la perte de contact avec l’enfant en soi. En effet, avec le temps, la vie perd sa magie lorsque l’enfant en soi ne participe pas à sa construction. L’enfant est créatif, il vit d’imagination et ne s’inquiète pas du lendemain. Son innocence le protège des principales préoccupations de la vie et il se laisse facilement aller à la véritable magie. De ce fait, pour redécouvrir cet enfant, l’approche par le conte peut s’avérer être d’un grand apport. En ce sens, on peut dire que le conte est un outil d’éducation, de libération, d’expression et d’élévation de la personne que nous sommes. Parmi ses nombreux bénéfices, il nous permet dans ses éléments constitutifs (lieux, personnages, chants, etc.) de tisser des liens, de renforcer le sentiment d’appartenance à un groupe, d’augmenter notre estime de soi, entre autres. Dans les pages qui suivent, on découvre des histoires contées par l’enfant. Ces histoires donnent de précieux conseils, interrogent nos défauts et glorifient nos qualités, en passant par une réflexion sur la croissance personnelle, la spiritualité, l’estime de soi, le rêve et la gratitude. Ainsi, le conte par l’enfant, pour l’adulte que nous sommes, nous transporte vers un tout autre univers. Quel que soit votre parcours ou vos origines, vous pourrez vous y retrouver. Dans ces pages, il y a forcément une phrase ou une pensée qui exprime une morale et qui saurait inspirer, motiver à aller de l’avant dans la pleine réalisation de vos rêves, même les plus fous… Ce que j’écris ici a été d’une grande aide pour ma mère. C’est pour cela que j’appelle cette partie du livre «Le livre de maman», pour que lorsqu’elle les entendra, elle se rappelle notre histoire, nos échanges 123


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vécus, mais aussi toutes ces histoires que j’inventais pour la faire rire, donc tout ce qui faisait son bonheur. Et moi, il est là mon bonheur, de rassembler ici mon imaginaire d’enfant en souvenir d’elle, mais également pour servir d’autres mamans et leurs enfants.

Les soirs, par exemple, je me rappelle, lorsqu’elle ne réussissait pas à s’endormir à cause de ses terribles maux de tête, je lui contais une histoire pour l’apaiser. Alors, à son tour, comme une enfant, elle s’endormait paisiblement. Chez nous, en Afrique, la formule d’ouverture d’un conte diffère selon le pays ou l’ethnie à laquelle on appartient. De ma grande mère, j’ai conservé le terme Taali-yoo, en langue africaine. Cette formule, le lecteur l’utilise avant de débuter son histoire. Ceux qui écoutent répondent par Taalaatee, qui est la réponse à l’appel du conte et qui peut vouloir dire en français Raconte. -Taali-yoo signifie C’est l’histoire. -Taalaatee signifie Raconte.

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La cavalière de la pluie

Je voudrais t’offrir un cadeau pour ta gentillesse. Je l’ai mis dans l’histoire qui suit. Sauras-tu le retrouver ? Taali-yoo ! Taalaatee Taali-yoo… Talaateyoo

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’est l’histoire d’un village, d’une culture et d’une femme. Le lieu où s’est passée cette histoire, dont personne n’a jamais entendu parler jusqu’à présent, porte le nom de Mamou. À l’époque, le village de Mamou était le symbole parfait de joie de vivre. Tout le monde prenait plaisir lorsque jouaient kora, flûte pastorale et djembé (instrument de musique appartenant à la famille des tambours).

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Chaque soir, tous les villageois se retrouvaient sur la place publique pour festoyer. Parmi ceux-ci, elle était là, cette superbe femme toujours joyeuse et elle dansait. Avant chacune de ses prestations, les instruments de musique prenaient plaisir à la décrire. Pour la kora, ses yeux brillaient comme des étoiles. La flûte, quant à elle, trouvait que sa chevelure était noire comme la nuit et le djembé, lui, se contentait de rappeler que sa peau était aussi lisse que de la soie. De leur côté, les villageois trouvaient que ses formes étaient semblables à celle d’une guitare et qu’elle avait une allure de gazelle. Cette femme s’appelait Fouta Bobo. Belle comme la reine de Saba et douce comme une mère, elle aimait danser plus que tout au monde. On aurait même dit que sans la danse, elle n’aurait aimé rien faire d’autre puisque c’était sa véritable passion. Il y avait quelque chose de spécial chez cette femme. Lorsqu’elle dansait, on avait l’impression que ceux qui l’entouraient rajeunissaient et revivaient leurs plus beaux souvenirs. Parmi eux, il y avait le chef du village, un homme qui affirmait n’avoir aucun intérêt à s’amuser, danser ou faire de la musique. Il était trop sérieux et ne participait jamais aux joies et danses du village qui l’agaçaient au plus haut point. Voyant que la situation ne changeait guère, il a décidé d’interdire la danse, ainsi que les chants et la musique au village. La danseuse fut même chassée, comme une sorcière, et accusée d’être la cause du désordre dans le village avec ses pas de danse et ses instruments de musique. Voilà ! Au désespoir de tous, Fouta Bobo a été chassée du village pour avoir soi-disant troublé la paix, accompagnée, pour seuls amis, de son djembé, sa flûte et sa kora. Elle a quitté le village et, ne sachant où aller, s’est avancé vers la forêt. Lorsqu’elle est arrivée dans la forêt, épuisée de fatigue et distraite, elle a égaré par erreur ses amis, les instruments. Pauvres instruments ! Sans la danseuse, ils perdraient leurs pouvoirs magiques, eux aussi. 126


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Depuis, dans le village de Mamou, les hommes se contentent d’aller au champ et les femmes passent leurs journées entières à la cuisine. Au désespoir de tous, tout est devenu trop sérieux, point de divertissement. Le soir, la place publique, qui était jadis un lieu d’ambiance, demeurait vide. Par contre, tout cela n’était rien comparé au grave problème qu’allaient rencontrer les habitants du village de Mamou. Étrangement, depuis le départ de la femme, il avait cessé de pleuvoir! Depuis le départ des instruments de musique et de Fouta Bobo, la pluie avait cessé de tomber. Évidemment, sans pluie, il n’y avait pas de récolte, rien à manger, rien à boire et donc pas de vie. Pauvre village ! Ah ! Pauvres villageois de Mamou ! Si seulement vous les aviez vus, si tristes et si désespérés. Ils mourraient de faim. Les enfants n’allaient même plus à l’école, car ils avaient trop faim et pas assez d’énergie pour étudier. Les femmes et les hommes avaient tellement prié. Si seulement vous les aviez vus, ils étaient devenus maigres à force de ne manger que les fruits secs qui leur restaient. Voyant cela, le chef du village a fait appeler les griots et leur a ordonné d’aller à la recherche de la pluie pour lui demander pourquoi il avait cessé de pleuvoir à Mamou. Les griots se sont donc mis en marche à la recherche de la pluie. Ils ont décidé de commencer par demander aux insectes, dont la porte-parole était Madame la fourmi YaQuoiMême. Celle-ci semblait encore plus inquiète qu’eux et leur a expliqué : « Hier, toute la communauté des insectes était présente à une réunion où nous avons parlé de la situation inquiétante du village de Mamou. Il faut absolument que la pluie revienne, car nous risquons tous de disparaître. Allez donc voir les arbres, on sait tous que les arbres attirent la pluie. » Ils ont donc quitté les insectes pour aller voir Iroko, le plus vieux des arbres. Lorsqu’ils sont arrivés chez Iroko, celui-ci les a invités à prendre du thé. Les griots du roi étaient surpris et en colère de voir que ce 127


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dernier avait de l’eau pour faire son thé, alors que leur propre chef n’en avait pas assez pour se laver. — C’est donc vous qui avez volé la pluie. Comment osez-vous? ont dit les griots en colère. — Connaissez-vous cet adage qui dit qu’après la pluie vient le beau temps ? Vous, les villageois de Mamou, semblez l’avoir oublié. Toutes les fois où la pluie est passée chez vous, vous n’avez fait que vous plaindre. Pas de pluie, pas de beau temps. Et comme chaque fois qu’il pleut, vous vous plaignez, et qu’en plus, vous avez banni la bonne humeur du village, elle a bien fait de vous oublier. Il ne pleut que là où il y a la joie et la bonne humeur. Ces paroles étaient blessantes pour les griots, mais elles étaient justes. L’un des griots a questionné l’arbre dans l’espoir de mieux comprendre : — Où avez-vous donc trouvé de l’eau pour faire votre thé ? — Nous, les arbres de la forêt, nous n’avons aucun problème avec la pluie. Si j’étais vous, j’irais voir quelques membres de la famille de la pluie. Allez voir Kitoko, le soleil, Chikwangue, l’éclair et enfin, Alloco, le vent. Ils en savent plus que nous sur le sujet. Avant de reprendre la route, les griots ont accepté l’invitation de l’arbre à prendre le thé. Ils l’ont dégusté pleinement, eux qui n’en avaient pas bu depuis fort longtemps et ont fait la promesse à Iroko de ne pas en informer leur chef, de crainte qu’il ne s’en prenne à lui. Il les a remerciés, car si jamais cela se savait que les arbres avaient de l’eau jusqu’à en faire du thé, ils seraient tous abattus le lendemain et là, ce serait un autre problème que devraient subir les habitants du village de Mamou qui souffraient déjà assez avec l’absence de la pluie. C’est ainsi que les griots ont pris la route vers Kitoko, le soleil, Chikwangue, l’éclair et Alloco, le vent, dans l’espoir d’obtenir des nouvelles de la pluie. Ils ont marché des jours entiers et des nuits sans s’arrêter. Une semaine s’est écoulée, puis un mois et ils ont continué malgré tout à rechercher la pluie. C’était après avoir marché 128


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trente-trois jours au total qu’ils sont enfin arrivés chez Kitoko, le soleil. Ils lui ont dit : — Toi qui illumines nos journées. Toi qui es souvent présent lorsque la pluie nous rend visite, sais-tu pourquoi il ne pleut plus à Mamou ? — Je ne sais pas. Je ne peux donc rien vous dire à ce sujet. Prenez ce djembé que nous avons trouvé dans la forêt. Je pense qu’il vous sera très utile. C’est un djembé bien étrange et mystérieux. Il raconte une histoire triste, celle d’une femme qui se sent terriblement seule, car elle a été chassée par ses proches. Il ne fonctionne peut-être plus mais vous sera utile, qui sait ? Les griots ont pris le djembé et poursuivi leur chemin. Ils ont marché des jours et des nuits en entier. Encore une fois, la semaine et les mois se sont écoulés à la vitesse de l’éclair. Toujours pas de pluie. Ils sont enfin arrivés chez Chikwangue, le vent. Ils lui ont dit : — Toi qui siffles avant que la pluie ne passe, sais-tu pourquoi il ne pleut plus chez nous à Mamou ? Au lieu de leur souffler la réponse à l’oreille, le vent s’est mis à tourbillonner avant de répondre à ses visiteurs : — Je ne sais pas. Je ne peux donc rien vous dire. Prenez cette flûte que nous avons autrefois trouvée dans la forêt. Elle vous sera d’une grande aide. C’est une flûte bien étrange. Elle raconte une histoire triste, celle d’une femme qui se sent terriblement seule depuis qu’on l’a chassée de son village. Elle ne fonctionne plus, mais vous sera peut-être utile, qui sait ? Malgré la fatigue, les vaillants messagers du chef ont décidé de tenter une ultime chance auprès de l’éclair. Ils ont marché des jours et des nuits, durant une semaine, puis un mois, lorsqu’ils sont enfin arrivés chez Alocco, l’éclair. — Toi qui nous as jadis tant effrayés afin qu’on apprenne à respecter la pluie, sais-tu pourquoi il ne pleut plus chez nous à Mamou ? ont demandé les griots, désespérés et au bord de l’épuisement. 129


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— Je ne sais pas. Je ne peux donc rien vous dire. Mais prenez cette kora que nous avons autrefois trouvée dans la forêt, vous ne le regretterez pas. C’est une kora bien étrange. Elle raconte une histoire triste, celle d’une femme chassée de son village. Elle ne fonctionne plus, mais vous sera peut-être utile, qui sait ? Une nuit, déçus et fatigués, les griots ont commencé à se demander s’il n’était pas mieux de retourner à Mamou. Au moins, malgré la famine du peuple, ils seraient réunis. C’est à ce moment même que quelque chose de mystérieux s’est produit. La Nuit s’est adressée à eux. C’était la première fois qu’une telle chose se produisait. Elle s’est adressée à eux en ces mots : « Mes amis, ne désespérez pas. Dans quelques instants, une vieille femme recouverte d’un voile passera près de vous. La longueur de son voile est comme celle d’un fleuve. Parfois, lorsqu’elle joue avec le vent, on peut apercevoir ses cheveux. Ils sont verts et également touffus comme les feuilles d’un arbre. Aussi mystérieuse qu’un hibou, elle a des pattes puissantes et musclées. Elle s’en sert souvent pour chasser. Elle a tellement passé du temps dans la forêt que sa peau est semblable aux écorces d’un arbre. Faites ce qu’elle vous demandera pour le bien de votre village, car en elle réside la solution à vos problèmes ainsi que la clé de vos inquiétudes. » La Nuit n’eut même pas le temps de finir que la mystérieuse femme apparue comme par enchantement devant les griots qui n’y croyaient toujours pas leurs yeux. Comme quoi la nuit porte conseil ! Au départ, les griots, après avoir entendu toute la description de la femme, ont été effrayés. Ils se sont cachés derrière un arbre pendant un moment dans l’espoir de se protéger. Voyant que la femme ne bougeait toujours pas, l’un d’eux, le plus courageux, a pris la parole : — Nous avons besoin de vous, ma bonne dame, lui a-t-il dit en la suppliant du regard. — Pourquoi donc ? a-t-elle demandé, surprise. N’êtes-vous pas les griots du village sans pluie ? 130


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Les griots se sont regardés d’un air étonné, mais ils savaient que la vieille femme devait savoir quelque chose qu’eux ignoraient encore. Ils ont donc décidé de la ramener auprès du chef de Mamou. C’est ainsi que les griots et la vieille femme ont marché et marché des jours et des jours, ne prenant même pas le temps de se reposer la nuit. Ils ont marché une semaine, puis un mois. Un beau jour, ils sont enfin arrivés à Mamou. Sans tarder, elle a demandé au chef du village de réunir tous les villageois sur la place publique. Le chef, en regardant la femme droit dans les yeux et croyant avoir compris comment faire venir la pluie au village, s’est exclamé d’un ton enjoué qui ne lui ressemblait pas : — Que le djembé résonne ! Que le son majestueux de la flûte nous fasse voyager ! Que la mélodie de la kora adoucisse les cœurs ! Hélas, à sa grande tristesse, il a constaté qu’aucun des instruments n’exécutait les ordres, car ils avaient perdu leurs pouvoirs magiques d’antan. À la place, ceux-ci se sont plutôt mis à raconter une histoire triste à l’ensemble des villageois réunis, celle d’une femme qui pleurait la perte de ses amis, les instruments. Touchée par l’histoire, l’étrangère qu’avaient ramenée les messagers du chef a embrassé les instruments et leur a susurré à l’oreille : « Vous êtes capables. » Les instruments, en symbiose, ont demandé à l’étrangère de danser pour eux afin de leur témoigner toute sa gratitude et réaffirmer son amitié. Elle s’est exécutée naturellement, elle qui avait la danse et le rythme dans le sang depuis toujours. Animée par le rythme du djembé, le son majestueux de la flûte et séduite par la douce mélodie orchestrée par la kora, elle dansait encore et toujours de plus belle, comme si le temps ne s’était jamais arrêté. À chaque mouvement, elle rajeunissait et tout autour d’elle reprenait enfin vie. Ses pas de danse racontaient l’histoire du village de Mamou d’autrefois, du temps où le peuple était joyeux. 131


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Lorsqu’elle levait les mains au ciel, les feuilles des arbres prenaient part au spectacle en s’envolant dans les airs. Lorsqu’elle frappait des mains, nuit et jour s’alternaient. Ce jour-là, elle a dansé les émotions des villageois. Elle a dansé leurs tristesses face à la situation. À chaque mouvement brusque de son corps, cela voulait dire qu’elle dansait la colère du chef du village. Enfin, comme une toupie, elle tournait ses reins pour danser l’espoir. Sa danse a duré des jours. Aussi mystérieux que cela puisse paraître, les instruments jouaient tous seuls. Ils étaient maîtres de leurs propres talents, bien qu’on eût dit qu’ils étaient rattachés à l’étrangère. Elle dansait encore et encore, comme si elle n’avait jamais cessé de danser de sa vie. Elle continuait de danser et virevoltait dans tous les sens, et voilà que le ciel s’est mis subitement à changer de couleurs, pour le plus grand bonheur de tous. À ce moment, savez-vous ce qui s’est passé ? Il s’est mis à pleuvoir, mais une pluie différente de celle que nous connaissons aujourd’hui. Une pluie sucrée, une pluie de lait et pleine d’émotions. Certains villageois sont partis chercher des gobelets et se sont mis à boire comme jamais ils ne l’avaient fait auparavant, tout en acclamant le beau spectacle de l’étrangère qui leur rappelait quelqu’un, mais sans toutefois pouvoir l’identifier concrètement. « Qui était-ce ? » se demandaient-ils, mais à ce moment-là, ils avaient trop faim pour y réfléchir sérieusement. Au même instant qu’il s’était mis à pleuvoir avec abondance, des centaines, voire des milliers de bananes plantains, ont poussé comme par enchantement. Les villageois sont partis cette fois-ci chercher leurs plus belles marmites pour recueillir ce cadeau du ciel d’une valeur inestimable à leurs yeux. Pendant ce temps, d’autres revivaient leurs plus beaux souvenirs à travers les pas de la danseuse qui leur rappelait de plus en plus quelqu’un de familier. Elle continuait de danser, encore et encore. 132


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Soudain, le chef du village est entré, lui aussi, dans la danse, ce qui en étonnait plus d’un à cause de son air sérieux habituel. Tout le monde dansait allègrement. Ils dansaient à nouveau, puis dansaient des pas jusqu’à l’infini. Les villageois étaient contents. Tous riaient et d’autres pleuraient de joie. La femme, voyant que même le chef du village avait rejoint la danse, avait enfin laissé tomber son voile. Des voix se sont exclamées en découvrant que c’était Fouta Bobo, la danseuse du village, l’amie des instruments de musique et, enfin, la cavalière de la pluie. Ce jour-là, les villageois et le chef du village ont compris que la vie ne se résumait pas seulement aux travaux champêtres, mais aussi à des pas de danse au village. Depuis, tous les instruments du monde racontent une histoire. Laquelle connaissez-vous? Tendez l’oreille et écoutez leur douce mélodie et rythme endiablé. Peu importe, après la pluie, le beau temps et quand les deux s’entremêlent, cela crée un arc-en-ciel…

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Hakuna Matata et L’arbre Amoureux Je voudrais t’offrir un cadeau pour ton courage. Je l’ai mise dans l’histoire qui suit. Sauras-tu le retrouver ? Taali -yoo ! Taalaatee Taali -yoo… Talaateyoo

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’est l’histoire qui parle d’un arbre, d’un philtre magique et d’un marabout. Elle se déroule dans un petit village qui s’appelait Sipopo, où les arbres se faisaient rares. Il n’y en avait presque pas. Pourtant, nul n’en connaissait la raison. Cela n’était rien comparé à la tristesse du couple qui y vivait. Ces derniers ne pouvaient pas avoir d’enfants ! Cela était si douloureux pour eux, qu’ils avaient cessé de s’aimer depuis longtemps, laissant toute place à la tristesse.

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Il est fort probable que le désir d’avoir un enfant était la seule chose qui les maintenait ensemble. Il était de coutume dans ce village de consulter un marabout pour régler chaque problème. Jusqu’à présent, chaque marabout qu’ils avaient rencontré avait un remède miraculeux. Malheuresement, aucun de ces marabouts rencontrés n’avait réussi à trouver de solution à leur problème. Un jour, ils sont partis chez un des marabouts les plus populaires de la contrée. Il s’appelait Hakuna Matata, une expression africaine qui signifie « il n’y a pas de problèmes ». On raconte que ce dernier, en plus de pouvoir résoudre tous types de problèmes, possédait un don très spécial. Par exemple, lui seul pouvait communiquer avec les ancêtres et chaque nuit, c’était chez lui qu’allait dormir le soleil. Notre couple, qui en avait entendu parler, a décidé d’aller chez lui y tenter leur chance. Lorsqu’ils sont arrivés, ce dernier les a accueillis dans sa case (maison en Afrique). L’intérieur éteint peint en un jaune si brillant qu’on aurait cru que le soleil y avait laissé des traces. — Ohhhhhhhhhhh Hakuna Matata, s’est exclamée la jeune femme en contemplant sa grandeur. — Je suis Hakuna Matata… Que puis-je faire pour vous ? — Aidez-nous. Cela fait des années que nous cherchons désespérément à recevoir en cadeau de l’univers, un enfant. Le mari a ouvert son sac rempli d’or pour lui montrer qu’il était prêt à payer le prix qu’il fallait pour exaucer son désir. Le grand Hakuna Matata leur a remis des cauris et un philtre à base d’herbes. Ensuite, il leur a dit : — En retournant chez vous, prenez ce philtre, renversez quelques gouttes derrière vous et buvez-le reste. Surtout, assurez-vous qu’en le faisant, personne ne vous ait vus. Lorsque vous aurez fini, un grand mur, aussi haut que le mont Kilimandjaro, se dressera derrière vous. Il renfermera tous vos soucis, vos malchances et vos tristesses pour 136


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toujours. Ils disparaîtront et laisseront place à un nouveau souffle de vie, a-t-il expliqué avec sagesse. — À quoi servent donc les cauris ? a demandé la femme, intriguée. — Vous devrez les transporter avec vous partout où vous irez et ne jamais les montrer à qui que ce soit. Je vous mets en garde contre Mami Wata, la femme qui vit dans les eaux. Si jamais elle apprend que vous avez en votre possession des cauris, elle fera tout pour les récupérer, car ce sont les accessoires avec lesquelles elle s’habille. Si jamais elle les récupère, vous verrez tous vos espoirs tombés à l’eau. Donc, méfiez-vous et prenez garde. Nos deux amis ont remercié le grand Hakuna Matata et repris la route pour retourner à leur maison. Lorsqu’ils sont arrivés au cœur de la forêt, le mari a voulu exécuter le rituel du philtre. Sa femme, elle, a proposé qu’il fallût d’abord que personne ne les voie et a suggéré d’attendre pour être plus discrets. Ce dernier a refusé catégoriquement. Il a pris le philtre de ses mains avec une telle force que la bouteille s’est ouverte d’elle-même et s’est renversée par terre en entier. Soudain, comme l’avait prédit le marabout, un immense mur, aussi grand que le mont Kilimandjaro a poussé au cœur de la forêt. Malheureusement, ce dernier s’était dressé entre eux. Ils étaient donc séparés l’un de l’autre. Seule la femme se retrouvait du bon côté pour retourner à la maison. Elle s’est mise à pleurer, ne comprenant pas ce qui venait de se passer. Elle pleurait si fort qu’un arbre non loin de là s’est empressé de la consoler. L’arbre lui a chanté une belle chanson que les hommes entonnaient à leurs enfants : « Hakuuu Hakuuu, Hakuna matata. » « Il n’y a pas, il n’y a pas, il n’y a pas de problèmes. » « Hakuuu Hakuuu, Hakuna matata. » « Il n’y a pas, il n’y a pas, il n’y a pas de problèmes. » La femme a reconnu la mélodie de la chanson. Même si elle connaissait une autre version. Elle a remercié l’arbre pour son acte 137


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de bienveillance à son égard. Ce dernier lui a conseillé de garder espoir et, surtout, de conserver son bon cœur et d’avoir la foi, car les miracles existent pour celui qui croit de tout son cœur. Ce que la femme voulait à ce moment par-dessus tout, c’était de retrouver son mari qu’elle aimait plus que tout au monde. La femme a décidé de reprendre la route. Elle a marché pendant un jour et s’est rendue finalement compte qu’elle était perdue. Elle ne savait plus par où aller. La seule chose qu’elle voyait, c’était l’arbre qui l’avait consolée la veille. On aurait dit que ce dernier la suivait toujours, comme le ferait n’importe quel compagnon de route. Cela devait être à cause du bruit que faisaient les cauris dans ces poches, a pensé la femme. Lorsqu’elle a décidé de s’en débarrasser, mystérieusement, une rivière est apparue et l’arbre a disparu sur-le-champ. De la rivière, une étrange femme est sorties. C’était Mami Wata, la femme des eaux. D’une beauté époustouflante, ses cheveux étaient longs jusqu’aux pieds et noirs comme le charbon. Sa taille était d’une telle finesse que quiconque aurait succombé à son charme. Son corps, quant à lui, était décoré de coquillages. — Femme ! Te voilà malheureuse et seule. Donne-moi tes cauris et j’exaucerai le vœu que mon cher Hakuna Matata n’a pas pu t’offrir. — Esprit des eaux, puis-je faire plus d’un seul vœu ? a-t-elle demandé, désespérée de ne pas savoir si c’était de revoir son mari ou d’avoir un enfant qui lui importait le plus. — Impossible ! Tu mourras si jamais tu en fais un deuxième. À ce moment, la femme s’est souvenue du conseil du Marabout à l’effet qu’il ne fallait pas qu’elle écoute la femme des eaux, car celle-ci était malhonnête et ne tenait jamais parole. — Alors, femme. Quel est ton vœu ? a-t-elle lancé à nouveau avec une voix de plus en plus envoûtante. — Je voudrais que mon mari et moi soyons à nouveau réunis et si possible qu’on puisse avoir un enfant. 138


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La sirène lui a demandé de lui remettre les cauris pour que le vœu puisse être exaucé. Hélas, que de tromperie ! Elle lui a remis les cauris, mais au moment où la femme des eaux aurait dû répondre à sa demande, elle a disparu, la brave femme se retrouvant à nouveau seule. Désespérée, elle s’est remise à pleurer de toutes ses forces. Elle avait presque tout perdu. Par chance, il ne lui restait que les quelques gouttes dans le philtre que leur avait remis le marabout. Pendant qu’elle pleurait, l’arbre est apparu à nouveau et s’est mis à la consoler en chantant : « Hakuuu Hakuuu, Hakuna matata » « Il n’y a pas, il n’y a pas, il n’y a pas de problèmes. » « Hakuuu Hakuuu, Hakuna matata » « Il n’y a pas, il n’y a pas, il n’y a pas de problèmes. » La femme, abattue, commençait à regretter d’avoir confié leur destinée à un soi-disant devin. À présent, elle n’y croyait plus. Elle avait perdu la foi en tout. Elle est donc retournée s’asseoir à côté du mur où elle avait perdu son mari et l’arbre l’a suivie tel un véritable compagnon de route. Voyant la femme si désespérée, l’arbre a fait apparaître une maison pour la femme afin qu’elle y reste. À l’intérieur de cette maison, il y avait tout le confort possible. La femme s’y est installée et s’est fait la promesse qu’en guise de gratitude, elle irait chaque matin voir comment allait l’arbre. Elle profiterait de ce moment pour lui donner à boire. Les mois ont passé et la femme commençait à prendre de l’âge. Elle devenait fatiguée. Elle n’avait pas pour autant oublié son désir de devenir mère et celui de retrouver son mari. Un jour, elle a oublié de se réveiller pour donner à boire à l’arbre, qui était devenu son seul et unique ami. Ce dernier, qui ne l’avait pas vue, s’est mis à pleurer. Il pleurait et grondait si fort que le mur aussi grand qu’une montagne qui avait poussé là il y a longtemps s’est écroulé. Le bruit de l’effondrement était si fort qu’il a réveillé la femme d’un seul coup. En sursaut, celle-ci a couru pour étreindre 139


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l’arbre de toutes ses forces, comme s’il s’agissait de la prunelle de ses yeux. Ensuite, elle a constaté que le mur n’y était plus et son mari non plus. La femme est tombée à genoux et a éclaté en sanglots. Le mur était tombé, mais son mari n’était pas derrière. L’arbre, témoin de la situation, s’est mis aussi à pleurer toutes les larmes de son corps. On aurait dit qu’il ressentait la tristesse de la femme, comme s’ils ne formaient qu’un. La femme était touchée par les pleurs de l’arbre et, pour le consoler, lui a chanté une berceuse que les femmes de son village chantaient au nouveau-né lorsqu’ils pleuraient. « Makun makun Bebe o makun » (Ne pleure pas, ne pleure pas, mon bébé, ne pleure pas.) « Makun makun Bebe o makun sa » (Ne pleure pas, ne pleure pas, mon bébé, calme-toi.) « Mun de kera Bebe la makun » (Ne pleure pas, ne pleure pas, mon bébé, ne pleure pas.) « Fosi ma kera Bebe la makun sa » (Ne pleure pas, ne pleure pas, mon bébé, ne pleure pas.) Cette berceuse vient originairement du Mali. Ensuite, la femme est retournée dans la maison pour prendre de l’eau afin que cela puisse soulager son ami, l’arbre. Cependant, elle était si vieille et fatiguée qu’à la place de la bouteille d’eau qu’elle avait l’habitude d’utiliser, elle a pris celle du philtre que lui avait donné autrefois le marabout Hakuna Matata. Elle est allée le verser sous les pieds de l’arbre. Tout à coup, quelque chose de magique s’est produit. L’arbre a disparu et, à la place, un homme est apparu. La femme s’est effondrée 140


LE LIVRE DE MAMAN

en larmes de joie, elle n’arrivait pas à le croire. Cet homme n’était nul autre que son mari. Il n’avait pas changé. Lui, il avait gardé sa jeunesse et sa beauté intacte. Elle n’en revenait toujours pas. Après tout ce temps, il était là devant elle et elle pouvait le serrer dans ses bras. N’y croyant toujours pas, elle se dit que ce devait sûrement être un mauvais tour de Mami Wata, la femme des eaux. Elle avait tort. C’était bel et bien son mari qu’elle avait perdu autrefois. Tout à coup, l’homme lui a parlé : — Femme. Pourquoi as-tu peur ? N’as-tu pas souhaité que nous soyons à nouveau réunis ? — Comment ? s’est exclamée la femme. Est-ce réellement toi ? — Comment le saurais-tu si tu oses à peine me regarder ? Hier, j’étais un arbre et aujourd’hui, je suis devenu un homme. Plusieurs années sont passées et toi, tu n’as jamais cessé de penser à moi. Tu me donnais à boire à travers l’arbre. Je ne suis jamais parti mon amour. J’étais là, avec toi, tout près de toi, mais dans une apparence toute autre. Le philtre était si fort qu’il m’a transformé en arbre. J’étais cet arbre qui te suivait pas à pas pour te protéger. J’étais celui que tu venais étreindre de toutes tes forces chaque fois que tu te sentais seule. À tes yeux, j’étais bien plus qu’un arbre. J’étais toute ta vie et le centre de ton univers. On dit que l’eau est la vie. Toi, tu m’as donc donné la vie. Digne d’une mère, tu m’as aimé comme si j’étais ton propre enfant. Merci. Merci, femme. Touchée par les paroles de l’homme, la femme a couru le prendre dans ses bras. Ce dernier lui a donné un baiser d’une telle passion que tout à coup, elle a rajeuni, comme si le temps qui les avait séparés n’avait jamais existé. Plus il la serrait dans ses bras, plus elle retrouvait sa jeunesse et sa beauté d’autrefois. Elle était si belle que l’homme n’en revenait pas. Il s’estimait chanceux de l’avoir pour femme. Enfin, Ils étaient à nouveau réunis et cette fois, encore plus 141


L’ENFANT DERRIÈRE LE MIROIR

unis que jamais. Ils sont retournés chez eux. En souvenir de leur aventure, le couple a planté un arbre derrière leur maison. Avec beaucoup d’amour, tous les matins de leurs vies, ils ont donné à boire à cet arbre. On aurait dit que plus ils donnaient à boire à l’arbre qu’ils avaient planté à deux, plus leur amour grandissait. Depuis, ils n’ont plus fait appel à un marabout pour régler leurs problèmes d’infertilité. Au fond d’eux, ils continuaient à garder l’espoir qu’un jour, un miracle viendrait de lui-même. Ils étaient convaincus que de leur union sincère naîtrait l’enfant qu’ils avaient tant désiré depuis de longues années. On peut se demander si le philtre que leur avait remis le grand Hakuna Matata contenait véritablement des vertus pour avoir un enfant ou plutôt pour inspirer l’amour. Cette histoire nous rappelle que le but d’une vie, c’est aussi d’aimer et de croire que les miracles existent malgré toutes les épreuves rencontrées. À présent, les piliers de leur relation étaient fondés sur l’amour, le respect, l’entraide, la foi et non sur la magie d’une quelconque tierce personne. Au plus profond de leur être, ils gardaient espoir d’assister un jour à un miracle.

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Malaïka, l’enfant miracle

Je voudrais t’offrir un cadeau pour ta patience. Je l’ai mis dans l’histoire qui suit. Sauras-tu le retrouver ? Taali -yoo ! Taalaatee Taali -yoo… Talaateyoo

L

’histoire raconte le miracle qu’a connu le couple qui habitait à Sipopo. Dans ce petit village, on raconte que l’amour qu’ils avaient l’un pour l’autre était aussi grand et immense que même la mer en était jalouse. Hélas, cet amour cachait un désir non comblé. Le couple caressait depuis plusieurs années le désir, d’avoir un enfant. Pour se consoler, ils avaient planté un arbre derrière leur maison et lui donnaient à boire chaque jour. Voyant que la situation ne changeait 143


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point, une profonde tristesse commençait à les envahir petit à petit tous les deux. Le mari s’était mis à voyager dans l’espoir de trouver une solution, sans faire appel à la magie. Cette décision a été un coup difficile pour leur couple. Par chance pour la femme, il a fini par revenir, mais bien plus tard. Un beau jour, quelqu’un est venu cogner à la porte du couple. C’était la première fois qu’ils recevaient une visite. À leur grande surprise, la femme a découvert une vieille dame toute ridée, mais souriante, vêtue d’un étrange pagne orné de coquillages. Étrangement, la vieille lui rappelait la femme des eaux qu’elle avait rencontrée autrefois. — Qui êtes-vous ? Que puis-je faire pour vous ? a d’abord demandé la femme, méfiante et intriguée de recevoir une telle visite. — Mon enfant, a répliqué la vieille. Vois-tu ? Je ne suis qu’une pauvre mendiante et j’espérais que dans cette maison, il y aurait au moins une âme généreuse qui aurait pitié de moi. La femme, qui avait un cœur grand comme l’univers, lui a donné à manger une assiette remplie de maïs bouilli. Comme accompagnement, elle lui a servi des brochettes de pattes de grenouille, des beignets au crabe frit et des roses sans épines. « Tout un festin pour une pauvre mendiante », a-t-elle pensé de bon cœur. La vieille avait un tel appétit qu’on aurait dit qu’elle pouvait avaler toute une maison. Lorsque la femme lui a tendu un verre d’eau, cette dernière en a demandé un seau entier, qu’elle a bu comme un ogre. Avant de partir, la femme lui a fait un présent. — Vous me paraissez bien triste ! s’est exclamée la vieille après avoir mangé le repas qui lui avait été servi. Laissez-moi vous offrir ceci, ce sont des graines. J’ai vu que vous avez un énorme arbre derrière votre maison. Prenez les graines et semez-les au pied de l’arbre que vous aimez tant. Elles réussiront à guérir vos maux, pourvu que vous gardiez toujours votre générosité intacte. 144


LE LIVRE DE MAMAN

La mendiante lui a remis des graines très étranges, l’a remerciée pour sa générosité et a disparu aussitôt. N’ayant pas compris ce que l’étrangère avait voulu dire, la femme a pris les graines et les a semées sur-le-champ au pied de l’arbre. Lorsqu’elle est retournée le lendemain à l’endroit où elle les avait semées pour les arroser, elle fut étonnée de voir que l’arbre qui était là au départ était devenu gigantesque. Surprise, elle s’est approchée pour voir si c’était bien le même et à ce moment-là, elle a découvert un petit berceau d’où elle entendait un enfant pleurer. «Un enfant, un enfant», s’est-elle écriée en laissant couler des larmes de joie sur ses joues. Mais de peur qu’on ne l’entende, elle a pris l’enfant et l’a amené à l’intérieur de sa maison. Sa joie ne fut pas de longue durée, car l’enfant refusait de manger et pleurait très souvent, bien que la femme fît tout son possible pour le calmer. Elle est même partie à la recherche de la vieille qui lui avait remis les graines, en espérant que celle-ci puisse l’aider. Mais rien ! Sans succès. Ne sachant plus quoi faire, elle a ramené l’enfant à l’arbre, là où elle l’avait trouvé. « Que c’est étrange ! » s’est-elle écriée. Près de l’arbre, l’enfant ne pleurait plus. C’est ainsi qu’elle a compris qu’elle ne serait qu’une seconde mère pour l’enfant et que l’arbre, lui aussi, avait son rôle à jouer puisqu’il était en quelque sorte le parent de cet enfant. Les années ont passé et le mari est enfin revenu de son long voyage en découvrant une jolie petite fille que sa femme lui faisait croire qu’ils avaient eu en cadeau de l’univers pendant son absence. Il avait vieilli et sa femme, elle, avait conservé sa beauté naturelle grâce à la présence de l’enfant dans sa vie. Heureuse de retrouver son mari, la femme l’a serré dans ses bras et il s’est mis à rajeunir et à redevenir aussi jeune qu’auparavant. L’amour est revenu, la tristesse a pris congé et l’espoir s’est transformé en l’enfant qu’ils avaient. Elle venait d’avoir 6 ans. Belle comme un cœur, elle incarnait l’amour et la joie de vivre à l’état pur. En voyant l’enfant, le mari a 145


L’ENFANT DERRIÈRE LE MIROIR

sauté de joie. Le voilà heureux de réaliser son rêve le plus précieux ! Les voilà enfin réunis. Leur vœu le plus cher s’était réalisé. Ils avaient tant désiré cet enfant. Hélas, dans la vie, aucun bonheur ne dure éternellement. Sachant que quelque chose était mystérieux, une nuit, discrètement et en silence, il a suivi sa femme qui avait pris l’habitude de se lever pour ramener à l’arbre l’enfant qui pleurait souvent à la tombée de la nuit. Voilà qu’il a découvert la place de l’arbre dans la vie de leur petite, qui n’avait pas encore de nom malgré les années qui s’étaient écoulées. Furieux, il n’était vraiment pas ravi à l’idée de partager l’enfant avec quelqu’un d’autre, surtout un arbre. Le lendemain, sans dire un mot, l’homme est allé chercher la plus grande hache qu’il avait et a tenté de couper l’arbre. Malgré toute sa volonté, l’homme ne réussissait pas à le couper en entier. Il a essayé pendant plusieurs jours, mais en vain. Hélas ! C’était le même nombre de jours qu’il a fallu à l’enfant pour tomber malade. La mère, qui était là à observer la scène discrètement, a fait le rapprochement et a compris que l’arbre était étroitement rattaché à l’enfant d’une façon ou d’une autre, aussi mystérieux que cela puisse paraître. Le couple, désolé de leur attitude, a ramené l’enfant à l’arbre et s’est excusé auprès de ce dernier en disant qu’ils n’avaient eu aucune intention malveillante, ni envers l’arbre ni envers l’enfant. Ils ont avoué qu’ils n’avaient égoïstement pensé qu’à eux dans de pareilles circonstances. En réalité, l’arbre n’avait fait que partager avec eux une bénédiction tombée du ciel, soit celle d’être parents. Ils aimaient la petite plus que tout au monde, mais, pour sa sécurité, ils étaient prêts à la ramener là où ils l’avaient trouvée au besoin, si tel était le souhait de l’arbre. Les voilà de nouveau malheureux sans l’enfant avec eux. La maison était vide et leurs cœurs abandonnés. Le temps a passé et le vide qu’avait laissé la petite n’était toujours pas comblé.

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LE LIVRE DE MAMAN

Un beau jour, ils ont entendu quelqu’un frapper à la porte. Le mari a ouvert. La femme a reconnu la mendiante. Elle lui a offert à boire cette fois, sans même que celle-ci l’eût demandé. À sasurprise, la vieille mendiante n’était pas seule, une petite fille se tenait à côté d’elle. Elle avait décoré les cheveux de l’enfant avec d’étranges coquillages. Étrangement, les coquillages lui rappelaient quelque chose qu’elle affectionnait tant. « Que c’est étrange, on dirait l’adorable enfant que nous avons perdu par égoïsme », ont-ils tristement pensé en observant les superbes yeux de l’enfant. La vieille mendiante a souri et dit : — C’est bien elle. Vous avez retenu la leçon. Elle est à vous. Je n’en doute pas, vous prendrez bien soin d’elle dorénavant. Soudain, l’enfant, avec un air timide, a chuchoté à voix basse, puis à haute voix : — Papa et maman, merci de m’avoir tant désirée et tant attendue. C’était la première fois que notre cher couple entendait ces mots sortir de la bouche de l’enfant. Touchés, ils ont versé quelques larmes et serré la petite dans leurs bras avec bienveillance. Cette petite fille était le plus beau miracle qu’ils avaient jamais vu. Le couple, surpris, s’est exclamé de plus belle : — Comment pouvons-nous vous remercier ? Nous ne connaissons même pas votre nom. La vieille a disparu après leur avoir répondu ceci : — Toutes les créatures des eaux ne sont pas toujours de mauvaise foi. Un jour, l’amour vous a quittés pour aller se loger dans les eaux, car vous avez préféré la remplacer par la tristesse et la solitude. Ces derniers m’ont demandé de prendre leur place. Je suis comme l’espoir. Si je vous l’avais dit plus tôt, vous ne m’auriez pas cru. La vie vous donnera tout le temps des occasions pour apprendre à me connaître. C’est à vous de les saisir. Pourvu que vous gardiez votre bonté et générosité, quelle que soit la situation. 147


L’ENFANT DERRIÈRE LE MIROIR

Les parents, heureux et contents de ce qui venait de se passer, ont pris la petite et ont couru manifester leur joie à l’arbre. Hélas, il n’y était plus. C’était comme s’il n’avait jamais existé. Le couple venait de vivre un véritable miracle. Cet enfant en était un. C’est pourquoi ils ont décidé de l’appeler Malaïka, ce qui signifie ange en langue africaine. Le couple avait tout pour être heureux. Mais surtout, ils l’avaient elle : Malaïka, leur miracle éternel.

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Maisha, l’enfant oignon et la marâtre

Je voudrais t’offrir un cadeau pour ta bienveillance. Je l’ai mis dans l’histoire qui suit. Sauras-tu le retrouver ? Taaliyoo ! Taalaatee Taliyoo… Talaateyoo

C

’est l’histoire de Maïsha, une petite fille, orpheline de mère. Sage et pleine de vie, tels étaient les adjectifs qui décrivaient cette enfant au visage angélique. Au moment où cette histoire commence, Maïsha venait d’avoir 7 ans. À chacun de ses anniversaires, elle avait droit à un cadeau que lui avait laissé sa défunte mère en héritage. À l’âge de 5 ans, c’était une cassette où elle pouvait entendre des comptines que lui chantait sa maman. À 6 ans, c’était le don de parler la langue des plantes. 149


L’ENFANT DERRIÈRE LE MIROIR

Enfin, lorsqu’elle eut 7 ans, son père lui a annoncé qu’elle avait des cheveux magiques. Le pouvoir des cheveux était que si un jour, il lui arrivait quelque chose de vraiment grave, il lui suffisait de couper une mèche et celle-ci irait prévenir le père, quel que soit l’endroit où il se trouvait, du danger que courait sa fille. Maïsha aimait son père plus que tout au monde et ce dernier l’aimait à son tour, car Maïsha était la seule chose qui lui restait. Il avait trouvé consolation en cette enfant qu’il chérissait tant et elle était le centre de son univers. Les années ont passé et la petite Maïsha, dont le prénom signifie «vie» en langue africaine, avait grandi. Cette enfant était la définition même de la vitalité parce qu’elle débordait d’énergie. Curieuse, gaie et toujours prête à aider son prochain, on la respectait énormément. Tous les deux étaient heureux, jusqu’au jour où le père a décidé d’épouser une femme qui allait devenir la nouvelle maman de la petite. Au départ, Maïsha était ravie à la simple idée d’avoir quelqu’un avec qui jouer lorsque son père s’absentait, entre autres, pour travailler. Hélas ! Il venait de choisir une femme qui allait le rendre malheureux. Comme pour marquer sa méchanceté, sa peau était comme celle d’un poisson et ses cheveux ressemblaient à du foin. De plus, elle avait l’esprit sombre. Terriblement méchante, elle n’aimait pas la petite qui, pourtant, bénéficiait de toute l’attention et de l’amour du père. En l’absence de ce dernier, elle maltraitait l’enfant et lui demandait de faire toutes les corvées domestiques de la maison. Un jour, le père est parti en voyage et la belle-mère a profité de son absence pour maltraiter l’enfant avec encore plus de corvées. Elle l’envoyait même chercher des fagots de bois tard dans la nuit, sans lui donner une torche pour éclairer sa route. Pour s’assurer que l’enfant ne reviendrait pas, elle a pris la forme d’un oiseau et l’a suivie discrètement. À sa grande surprise, elle a découvert le pouvoir de ses cheveux. Ceux-ci illuminaient la route de l’enfant tout le long de la corvée. 150


LE LIVRE DE MAMAN

La belle-mère n’en revenait pas ! Aucune de ses tentatives pour faire disparaître la petite n’avait fonctionné jusqu’à présent. Elle a alors décidé de la prendre par les sentiments. Un jour, elle a dit à l’enfant : « Fais-moi plaisir, laisse-moi te coiffer tes beaux cheveux dorés. » Maïsha n’osait pas refuser, surtout si cela pouvait arranger les choses avec cette dernière. Après tout, elle ne demandait qu’à être aimée de sa belle-mère. — Pas si vite, s’est écriée lentement la belle-mère. J’ai besoin que tu ailles me chercher la fleur de Lotus. C’est une fleur parmi les plus belles au monde. Elle pousse les pieds dans la boue. Tu accepterais de te salir pour moi, puisque je suis la femme de ton père ? Va me chercher la fleur, s’il te plaît. Par contre, il te faut revenir avant la tombée de la nuit. Sans cette fleur, je ne te coifferai point et tu resteras enfermée pendant très longtemps, a-t-elle dit sur un ton innocent, mais ferme qui ne cachait pas ses véritables pensées. Naïve, l’enfant s’est exécutée et a marché à la recherche de la fleur. Comme à son habitude, la marâtre l’a suivie. Cette fois, elle s’est transformée en une vieille femme. Enfin, la petite est arrivée devant un marécage et a cherché la fleur. Tout à coup, la vieille femme l’a interpellée, assise sur une roche et ayant l’air d’une mendiante. — Jeune fille, où vas-tu aussi tard ? Ne sais-tu pas que c’est dangereux d’être seule à pareille heure ? Est-ce que tu as peur ? Je sais que tu es pressée, mais voudrais-tu aider une vieille et pauvre femme comme moi ? — Que puis-je faire pour vous ? a gentiment demandé l’enfant. — Jeune fille, pourrais-tu me gratter le dos ? J’ai du mal à le faire en ce moment. Vois-tu, je suis très vieille, s’est lamentée la dame. Maïsha a accepté volontiers. Le dos de la vieille était plein de lames et de pus répugnant, mais la brave enfant n’a pas reculé pour autant. En grattant le dos, sa main saignait. Elle a poursuivi jusqu’au bout, coûte que coûte. Après avoir gratté le dos de la vieille femme, elle est repartie chercher la fleur de lotus, qu’elle a cueillie, puis elle est 151


L’ENFANT DERRIÈRE LE MIROIR

retournée à la maison. Ses mains lui faisaient si mal qu’elle s’est mise à pleurer et a coupé une mèche de ses cheveux pour alerter son père. Cette mèche a délivré le message au père. Ce dernier est apparu et a soigné l’enfant immédiatement. Maïsha n’a pas osé lui dire que c’était sa belle-maman qui l’avait envoyée cueillir cette fleur. Le père a demandé de l’aide au vent et ce dernier a ramené l’enfant à la maison, puis il est reparti travailler. Témoin de toute la scène, la belle-mère, irritée et frustrée, a pris la fleur de lotus que lui a tendu l’enfant et l’a écrasée avec ses pieds. Elle a pris le temps de réfléchir, la situation ne pouvant guère continuer ainsi. Il fallait qu’elle s’occupe de la petite sans avoir à se transformer à chaque fois. Un jour, elle a demandé à Maïsha de l’accompagner pour aller puiser de l’eau. Le puits se trouvait à un jour de marche de leur maison. Voilà notre pauvre petite avec un seau sur sa petite tête, ce qui laissait entrevoir ses majestueux cheveux. Pour ne pas les abîmer, Maïsha a voulu attraper le seau autrement. À cet instant, la belle-mère a saisi la paire de ciseaux qu’elle transportait dans ses poches et a coupé tous les cheveux de la pauvre enfant. Ensuite, pour éviter qu’une mèche ne puisse s’échapper pour aller demander de l’aide, elle a mis les cheveux dans un sac et les a brûlés devant l’enfant. Ce geste était cruel, mais ce n’était rien devant ce qui attendait la pauvre Maïsha. Pauvre enfant, elle aurait dû se méfier de cette horrible femme ! Lorsqu’elles sont arrivées au puits, elle a ordonné à l’enfant de vérifier si la corde était bien attachée. L’enfant s’est exécutée et la belle-mère a saisi l’occasion pour la pousser volontairement dans le puits. Un cri profond a retenti, mais, cette fois, personne ne l’a entendu ! Maïsha en est morte et, à côté du puits, une plante d’oignon a poussé. Aux personnes qui voulaient avoir des nouvelles de la petite, la femme racontait qu’elle était en voyage d’une durée indéterminée. Le temps a passé, une semaine, deux semaines, puis un mois et le père était enfin de retour de son long voyage. Constatant que sa fille 152


LE LIVRE DE MAMAN

chérie était absente, il s’est adressé à sa femme : « Elle est où ma petite princesse, ma fille bien aimée… », De plus en plus inquiet, il a insisté : « Elle est où ma Maïsha ? » Hélas, à son grand regret, Maïsha n’y était plus ! La belle-mère, frustrée du fait que son mari ne se souciait point d’elle et ne parlait que de sa fille, s’est mise à crier un amer mensonge : « Ta fille, ta Maïsha, quelle gamine bien insolente ! Depuis ton départ, elle n’a fait que pleurer et nous casser les oreilles… Rien à faire. Elle s’est enfuie et personne ne l’a plus jamais revue. » Pourtant, tous savaient que Maïsha était d’une douceur et d’une politesse exemplaires. Si pure, elle ne ferait aucun mal à une mouche. Si jamais sa fille avait été en danger, il l’aurait su, a-t-il pensé avec la plus grande des tristesses. Le père s’est mis à pleurer de toutes ses forces. Ensuite, il est parti à la recherche de Maïsha dans tout le village et dans toute la forêt, laissant ainsi seule sa méchante femme. Des nuits et des jours entiers filés à chercher la pauvre petite ont passé, et ses espoirs de la retrouver vivante diminuaient de plus en plus. Finalement, il a abandonné et s’est fait à l’idée que sa femme avait probablement raison. Tout cela lui a laissé le cœur vide, car il venait de perdre ce qu’il avait de plus précieux au monde. Ne voulant pas perdre celle qui lui restait, il s’est dit qu’il arrêterait de voyager et qu’il accorderait son temps aux corvées de la maison pour aider sa femme à laquelle il était attaché malgré tout. Il lui a fait la promesse qu’il irait puiser de l’eau tous les jours puisque le puits se trouvait à une journée de marche de leur maison. Au fond de lui, il souhaitait que cela puisse combler le vide qu’avait laissé le départ de Maïsha dans sa vie. Le premier jour, il n’a pas fait attention à la plante d’oignon qui s’y trouvait. Il n’a remarqué cette dernière que le lendemain. Attristé, il a senti une profonde tristesse l’envahir quand il l’a regardée de près. Cette plante lui rappelait sa petite fille qui aimait beaucoup les plantes. Le père s’est souvenu, entre autres, qu’elle disait souvent : « Papa, viens m’aider à arroser les plantes pour qu’elles ne partent pas 153


L’ENFANT DERRIÈRE LE MIROIR

comme maman. » C’est ainsi qu’il a pris l’engagement de l’arroser en souvenir de sa fille, tous les jours où il irait puiser de l’eau fraîche. Le temps a passé et le père prenait du plaisir à arroser la plante d’oignon. Il développait même un lien indescriptible avec cette plante. « Comme c’est étrange, a-t-il pensé, cela semble combler le vide qu’a laissé le départ de mon enfant. » Vint enfin le jour où l’oignon fut mûr. Son feuillage était complètement fané et sec. Avec un pincement au cœur, lorsque le père a voulu le cueillir, quelque chose d’étrange s’est produit. La plante s’est mise à chanter. En réalité, c’était l’âme de Maïsha qui était logée à l’intérieur de la plante. Elle chantait la barceuse qu’elle avait heritée de la cassette que sa defunte mère lui avait laissée. «Tutu gbovi» Allez, petit cabri, «Tutu gbovi» Allez, petit cabri, «Dada me le afea me o» Ta maman n’est pas à la maison, « Papa me le afea me o» Ton papa n’est pas à la maison, «Ao dzedze vinye» Mon pauvre petit, «Bonu bonu kpoo» Fais dodo paisiblement, Cette berceuse est originaire du Togo 154


LE LIVRE DE MAMAN

L’enfant chantait chaque début de phrase et le père répétait après elle. Le père n’en revenait pas. Il en était très ému et, complètement dévasté par la douleur, il a pleuré de toutes ses forces, ne sachant quoi faire et dire pour se faire pardonner de l’avoir laissée avec cette terrible femme. Une fois de retour chez lui, il a chassé sa femme qui refusait de reconnaître les faits pour lesquels elle était accusée. Jusqu’aujourd’hui, personne ne sait ce qui s’est réellement passé avec la belle-mère de Maïsha. Le père a fait tout ce qu’il pouvait pour que son enfant reprenne sa forme originale. Pour cela, il fallait d’abord que le père accepte de pardonner à sa femme tout le mal qu’elle avait fait subir à l’enfant. Il savait que cela allait prendre beaucoup de temps. Il continuait tout de même à passer du temps avec l’oignon et à lui apprendre des choses de la vie, comme il l’aurait fait avec sa propre fille. Le père et la fille n’ont plus jamais été séparés depuis.

C’est pour cette raison que l’on pleure lorsqu’on épluche un oignon. Savez-vous pourquoi ? C’est l’âme de Maïsha qui, à travers sa triste chanson, continue de nous faire pleurer. Elle nous rappelle que les morts ne sont jamais partis. Ils sont dans chaque sourire, chaque réussite, les applaudissements du public, les pleurs d’un nouveau-né et ainsi de suite. Ils ne partent que lorsqu’on les oublie.

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La femme du futur

Je voudrais t’offrir un cadeau pour toutes ces fois ou tu as gardé espoir. Je l’ai mis dans l’histoire qui suit. Sauras-tu le retrouver ? Écoute donc. Taali -yoo ! Taalaatee Taali -yoo… Talaateyoo

C

’est l’histoire d’une femme et d’un village qu’on appelait le village Maudit. Ce village avait été maudit autrefois par des acheteurs à qui les pauvres villageois avaient refusé de vendre leurs terres. Le gardien du village avait les yeux aussi gros que des pamplemousses, passait ses journées assis, car lorsqu’il se levait, il avait deux fois la taille d’une girafe. 157


L’ENFANT DERRIÈRE LE MIROIR

Cet homme était le seul à connaître la raison pour laquelle son village était maudit et la raison pour laquelle aucune femme enceinte ne pouvait enfanter dans le village. Il fallait donc que l’enfant demeure dans le ventre de sa mère au lieu de venir au monde dans un milieu si pessimiste que celui qui se présentait devant lui. Quelle drôle d’histoire ! N’est-ce pas ? Un endroit où les femmes enceintes gardent leurs enfants dans leur ventre et ne peuvent pas donner naissance. Que c’est étrange. Pourtant, c’est ce qui se passait là-bas. Depuis, les habitants du village se réunissaient tous autour du gardien mystérieux du village, celui qui voyait tout avec ces yeux de pamplemousse. Parfois, il chantait des phrases où on pouvait entrevoir de l’espoir : « Bientôt, l’espoir de cette communauté naîtra. En fait, bientôt, tout changera. La joie et la paix seront à nouveau au rendez-vous. » Hélas ! Vivant dans la grande pauvreté depuis des lustres, personne ne croyait à ce changement radical. À cette même période, une des femmes du village est tombée enceinte. Cette femme avait pour habitude d’aller puiser de l’eau tard le soir. Pourtant, elle savait qu’il était désormais interdit à toute femme enceinte de sortir après le coucher du soleil. On disait que le bruit risquerait de perturber le sommeil des ancêtres, ce qui porterait malheur à l’enfant qui allait naître. Un soir, tandis qu’elle était assise sur la natte, le pagne, un vêtement africain qu’elle portait, s’est mis à la provoquer. Oui, il parlait… Cela était tout à fait normal chez elle. Dans ce village africain, les habits parlaient aux femmes. Chacun avait un nom. Celui de la femme s’appelait Petit-Piment. Le vêtement qu’elle portait s’appelait ainsi, car il était le plus vilain de tous, s’était-elle dit en le surnommant. Il n’était pas aussi coloré que ceux des autres. Cela piquait aux yeux, tout comme la sensation que le piment procure en bouche. Petit-Piment aimait le bavardage. Peut-être même un peu trop. Il pouvait parler pendant des jours sans s’arrêter. Ce jour-là, il a dit à la femme : « Hé toi là, avec ton gros ventre ! Voilà le soleil 158


LE LIVRE DE MAMAN

qui est parti se coucher. Tu veux me dire que tu n’as pas envie d’aller puiser de l’eau ! » La femme n’a rien dit et le pagne a continué de plus belle : « Tu as peur de quoi ? Le village est déjà maudit et même si tu restes assise ici, tu n’accoucheras jamais ! » Finalement, la femme, furieuse, a pris la calebasse près d’elle et s’est dirigée vers le puits. Lorsqu’elle y est arrivée, elle a puisé son eau et s’est assurée que personne ne l’ait vue. Sur le chemin du retour, le pagne s’est à nouveau mis à discuter avec elle : « Eh toi là ! Tu es courageuse ! Oh ! Avec ce courage-là, c’est sûr que l’espoir naîtra très bientôt. Le miracle que tu as en toi est l’espoir de tout notre village, de tout un pays, de tout un peuple et de toute une génération. Cet enfant viendra au monde pour rebâtir les cœurs et les espérances. » La femme a décidé de l’ignorer. Arrivée chez elle, elle a posé la calebasse par terre et s’est couchée. Le pagne a respecté son silence et s’est tu. Cette nuit-là, quelque chose d’étrange s’est produit. C’était la première fois qu’une eau s’adressait à une femme. L’eau de la calebasse s’est mise à crier : « Femme ! Réveille-toi ! Ton enfant mourra s’il voit le jour dans ce village. Ce lieu a été maudit par des acheteurs à qui nous n’avions pas voulu vendre nos terres. Par contre, écoute bien ceci. Si tu réussis à lui donner naissance dans un endroit qui respire la paix, tu auras délivré, grâce à cette opportunité, ton village de ce sort maléfique. » Cette fois, la femme a répondu, en sanglot : — Hélas ! Je n’ai nulle part où aller ! a répliqué la femme, à la fois honteuse et désespérée. — Il te faut partir sans que personne ne te voie. L’enfant que tu portes est l’espoir qu’ont les villageois de retrouver leur joie de vivre d’autrefois. De plus, il est la certitude qu’auront toutes ces autres femmes de donner naissance aux enfants qu’elles portent depuis maintenant des mois et des mois. 159


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— Mais où dois-je donc me rendre pour accoucher ? a demandé la pauvre femme, de plus en plus inquiète. — Tu devras trouver derrière la forêt un endroit qui n’a jamais été habité, donc un espace qui respire la pureté. Tu le trouveras en marchant vers là, mais sache qu’à aucun moment, tu ne devras te retourner. Femme ! La route sera longue, mais par la force qui t’anime, tu réussiras, a conclu la voix de l’eau. Elle a pris aussitôt la route et seuls le silence de la nuit et la mélodie orchestrée par les crapauds ont accompagné les pas de la jeune femme, qui pleurait tout ce qu’elle venait de laisser derrière elle pour aller mettre au monde son enfant en toute sécurité. Certes, son village avait tous les problèmes du monde, mais elle l’aimait, car elle y était chez elle. Faire ce premier pas vers l’inconnu était nécessaire, mais inquiétant. Malgré la taille énorme de son ventre et les douleurs physiques engendrées par la fin de grossesse, elle parcourait la forêt le jour et se reposait la nuit. Dès le début de son voyage, elle décrivait tout ce qu’elle voyait à l’enfant qu’elle portait dans son ventre. Le plus étrange, c’était bien la manière dont elle décrivait son environnement. On aurait dit qu’elle voulait que l’enfant imagine le monde autrement. Entre autres, elle a expliqué : « Mon enfant, la terre sur laquelle je marche depuis quelques jours n’a pas de couleurs. Ce sera à toi d’y mettre de la couleur quand tu y marcheras à ton tour. » Des fois, lorsqu’elle pensait à son village et qu’elle se mettait à pleurer, son habit, Petit-Piment, n’hésitait pas à rajouter un peu d’humour pour la réconforter, lui qui devenait ainsi son compagnon de route. Par exemple, devant certains animaux tels que le lion et que la femme gardait son calme, il disait : « Wuèèèèèèè, tu pleures quoi encore ? Wuèèèè, veux-tu que les animaux de la forêt nous mangent ? Si tu continues, moi-même je vais te fuir ! » La femme s’est arrêtée immédiatement de pleurer tout en reprenant ses esprits. Les animaux de la forêt, eux, prenaient tant de plaisir à écouter Petit-Piment qu’ils ont décidé de ne pas manger la femme. 160


LE LIVRE DE MAMAN

Sous le soleil accablant, on pouvait entendre les craquements des branches au sol lorsqu’elle marchait. En chemin, elle s’était faite plein d’amis. Elle avait fait la connaissance d’un escargot du nom de Djadja. Ce dernier lui avait offert une séance de manucure pour la relaxer. La femme commençait à prendre plaisir dans son voyage qui devenait trop long et l’épuisait. Elle sentait que son enfant allait bientôt naître. Elle a donc décidé de mettre un terme à son aventure lorsqu’elle est arrivée au bord d’une falaise qui lui permettait de voir tout ce qu’elle avait décrit à son enfant jusque-là. Elle a senti son cœur battre et la paix que dégageait cet endroit lui a inspiré confiance. Cette fois-ci, lorsqu’elle a voulu parler, ce fut la voix de l’enfant qui a surpris ses pensées. — Mère, a-t-il dit avec tendresse. — Oui, mon enfant ? a-t-elle répondu naturellement. — Depuis le début du voyage, tu m’as décrit tout ce que tu aurais voulu que j’imagine alors que je suis dans ton beau ventre. Tu as fait plusieurs rencontres, mais j’aurais voulu que tu me parles aussi de ces animaux qui m’ont aidé et protégé au cours de ton voyage. Pourrais-tu à présent répondre à ces trois questions pour moi ? — Parle mon enfant. — Quel est l’animal le plus fort de la forêt ? — Ils sont tous forts. Tu sais, chacun a son niveau d’excellence. Mais cette fois, c’est le lion mon enfant, car il n’a reculé devant aucun autre animal lorsqu’il était question de me défendre. La petite voix à l’intérieur du précieux ventre de la mère a poursuivi cette conversation importante : — Quel est l’animal le plus intelligent que tu as rencontré ? — Ne m’as-tu pas entendu ? Ils sont tous intelligents, mais chacun à son degré. Pour ma part, c’est l’éléphant qui m’a le plus impressionné. Il possède une énorme mémoire. Il a même réussi à se souvenir de toute l’histoire de mon village. 161


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En tapant des pieds à l’intérieur du ventre, comme signe de joie, il a poursuivi discrètement — Quel est l’animal le plus rapide ? — Comment ? — Ne t’inquiète pas, mère. Je sais qu’ils sont tous rapides et que chacun a sa propre vitesse. — Bien, mon enfant, tu as bien écouté mes enseignements. Tu comprends vite et cela te sera utile dans ce monde que je juge comme étant immonde. — Mais mère, pourquoi parles-tu ainsi ? Tu seras à mes côtés et nous changerons le monde ensemble. Tu verras, tout ira bien… — Ah mon enfant ! a-t-elle continué, l’air songeur. — Alors, mère, tu n’as toujours pas répondu à ma dernière question, a insisté l’enfant. Après avoir pris un long soupir, elle a poursuivi : — C’est le guépard, l’animal le plus rapide, car il a réussi très bien à me transporter jusqu’à cette falaise en si peu de temps. Cet endroit est précieux pour moi, car c’est là où j’ai pu découvrir ta douce voix. — Mère ? a continué l’enfant de plus belle. — Oui, mon enfant… — Je serai plus forte que le lion, plus intelligente que l’éléphant et plus rapide que le guépard. Je serai la femme du futur. À cet instant, quelque chose s’est produit, les couleurs de son vêtement se sont mises à changer. Le pagne, Petit-Piment, qui était de couleur sombre, est devenu coloré. Des poussières d’étoiles en tombaient. Elle a alors su qu’elle portait en elle un véritable miracle rempli d’optimisme… Le regard lointain, la mère a souri alors que l’espoir, lui, renaissait dans ses yeux, car elle portait celle qui deviendra la femme du futur. 162


Vous êtes la personne la plus importante de votre vie. Peu importe quelle partie de la planète vous habitez, le bonheur est aussi en vous.

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Remerciements Aux ancêtres qui me guident, me soufflent des sagesses africaines avec lesquelles je me réveille chaque matin. Nene et baba, vous êtes une paire de chaussures. Je suis honorée de porter ces belles valeurs que vous m’avez transmise. Le respect, le partage et l’humilité sont devenus les accessoires de ses chaussures que je porte fièrement. Jamais l’un sans l’autre. Vous avez été plus que des parents. Au fil du temps, vous êtes devenu mes piliers et meilleurs amis. À Baidy tu es un cadeau de l’univers. Si i tu étais un livre. Tu serais celui que je voudrais lire tous les matins du monde. À mes frères et sœurs, Hadi, Djoumo, Djogo et Rougui. Je suis honorée d’avoir partagé mon enfance avec des êtres à la fois créatifs, drôles et talentueux que vous. Je vous aime. À ma ma mère mexicaine, Monica Morales et mes 5 frères, merci de m’avoir accueilli dans vos vies et de m’avoir permis de découvrir une si belle et riche culture avec des valeurs d’amour et de bonté. Merci de m’avoir permis d’être cette fille que tu as toujours tant désirée. À Guidioni, johanne, Merry, Géraldine, plus que des coachs, vous êtes les premiers à m’avoir entendu conter. Vous avez cru en ce projet, quand il m’arrivait moi-même d’en douter. Merci tellement. À ma meilleure amie d’enfance, Meryam Mansar pour qui j’ai écrit des contes sur l’amitié. Un jour, je partagerais avec le monde notre conte: 164


« la princesse de casablanca. » Merci de m’avoir accepté comme j’étais au secondaire et de m’avoir appris que la différence s’avère être une richesse. À Suzie, la complice des auteurs. Ce titre n’est pas un hasard. Merci de m’avoir accompagnée durant la fin de cette grossesse et l’accouchement de ce premier cadeau : L’enfant derrière le miroir. À mes amis que j’aime tant. Vous êtes des inspirations vivantes. Dans ce livre plusieurs se reconnaîtront dans certains passages. Vous m’inspirez tellement. Merci de me tolérer, d’accepter de me suivre dans mes aventures et nos mille et un projets. Sans vous, je ne serais pas celle que vous appréciez et qui vous aimes chacun à un degré différent. Vous êtes les plus belles plantes de mon jardin de vie. Je suis véritablement et totalement comblée. Enfin, a toi, Bobo djina, l’enfant qui sommeille en moi. Comme un beau souvenir, tu as réussi à te tailler une place de choix dans ma vie. Sans toi, je n’aurais pas été capable de finir ce livre. Tu as su me rappeler ce que j’avais oublié. Tu m’as réconciliée avec mes origines. Tu ne seras plus l’enfant derrière le miroir, car tu es en moi à présent. Tu inspires chacune de mes créations. À chaque scène, c’est toi qui raconte l’histoire. Grâce toi, je sais quoi espérer du bonheur. Puisqu’il est en chacun de nous. Alors je sais que c’est toi. Merci de me tenir compagnie dans ce long et beau voyage qu’est celui de la vie. Je t’aime. Merci à toi, cher lecteur, d’avoir vécu ce voyage avec moi. Puisses-tu trouver, à ton tour, l’enfant qui sommeille en toi!

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Tôt ou tard, on reçoit l’appel de l’enfant… À l’intérieur de la personne que nous sommes, vit un enfant à redécouvrir. Qu’il soit enfermé derrière un miroir, ou de tout autre objet, tôt ou tard, la personne que nous sommes reçoit l’appel de cet enfant, qui sommeille en chacun d’entre nous… Celui-ci reste le même pendant que nous grandissons. Enfermé au plus profond de nos souvenirs, il nous accompagne en toute innocence, avec la force et l’amour nécessaires à notre bien-être. C’est le reflet de nous-mêmes, de nos rêves avant que la vie et les expériences ne nous changent peu à peu. Tantôt sérieux, tantôt souriant, tantôt triste, tantôt rigolo, il nous raconte, telle une magnifique histoire, nos souvenirs lointains… En ce qui me concerne, l’enfant intérieur s’est pointé le bout du nez, dans l’écriture de ce livre, mais surtout, dans ma quête du bonheur… Ce livre est le résultat de ma double mission, celle de l’adulte qui veut écrire des contes pour tenir compagnie à sa mère, et celle de l’enfant que j’étais et qui a promis de partir à la recherche du bonheur à lui offrir. Ce récit ne laissera personne indifférente de par sa profondeur, les sagesses qu’il enseigne ; un véritable voyage à travers les contes afin de découvrir l’Afrique, berceau de l’humanité, sous un nouvel angle. En cours de route, tisserez-vous des liens avec votre propre enfant ou restera-t-il enfermé derrière le miroir? Permettrez-vous à cet enfant de participer à votre quête du bonheur ? Le voyage commence ici et maintenant...

Crédit photo: BEN C.K

Mariana Djelo Baldé cumule 10 années d’expériences dans le domaine des arts de la scène, l’animation de groupe et l’accompagnement par le biais de l’action artistique. Amoureuse de l’expression culturelle, formée en art-thérapie, elle crée, anime et produit du contenu axé sur le bien-être et la croissance personnelle afin de maximiser le capital humain de chacun. Elle est reconnue par sa créativité et, à ce jour, elle inspire plusieurs milliers de personnes sur les médias sociaux. Elle trace sa vie en s’inspirant de la philosophie africaine Ubuntu : celle de l’entraide,
du partage, de la solidarité, la reconnaissance de l’autre et l’acceptation de soi.

www.escapaderepitbonheur.com


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