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Prophètes et théoriciens de la guerre mécanisée par Mathias André
L’
entre-deux-guerres connait une vague d’effervescence intellectuelle dans les armées qui ont participé au premier conflit mondial. Chez les vainqueurs, comme chez les vaincus, les milieux militaires s’interrogent avec passion sur le caractère que revêtira la prochaine guerre. Dans ce climat de réflexions et d’expérimentations, l’un des débats les plus animés concerne la place et le rôle des armes nouvelles au sein des forces armées et, plus fondamentalement, l’impact de la mécanisation sur le déroulement des batailles futures. L’interrogation essentielle qui alimente les discussions peut alors se résumer comme suit : la guerre de demain sera-t-elle à nouveau un affrontement de masses d’infanterie et d’artillerie soutenues occasionnellement par l’action des chars et de l’aviation – en somme, une réédition de la guerre précédente – ou verra-t-elle, au contraire, des flottes de véhicules blindés tous terrains et d’aéronefs dominer les champs de bataille, reléguant de facto les armes traditionnelles dans un rôle secondaire1? À cette deuxième représentation de la guerre future, est généralement associé un noyau d’officiers progressistes, qualifiés de « prophètes de la guerre mécanisée », dont les représentants les plus notables dans l’entre-deux-guerres sont J.F.C. Fuller et B.H. Liddell Hart en Angleterre, Mikhaïl N. Toukhatchevski en URSS, Oswald Lutz et Heinz Guderian en Allemagne, Charles de Gaulle en France, Francesco Saverio Grazioli et Adolfo Infante en Italie et enfin Adna R. Chaffee aux États-Unis. L’historiographie d’après-guerre, empreinte des récits pro domo rédigés par plusieurs d’entre eux, a fait de ces penseurs des génies incompris, bridés par l’inertie et le conservatisme de leur haut-commandement respec-
1 Robert M. Citino, Armored Force: History and Sourcebook, Westport, Conn., Greenwood Press, 1994, p. 31.