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SPÉCIAL L’AFRIQUE AU FRONT

interview

Kako Nubukpo « Une grande leçon pour les dirigeants » L’ancien ministre de la Prospective et de l’Évaluation des politiques publiques du Togo plaide pour « la construction d’une autre Afrique », une fois la crise du Covid-19 surmontée. Pour cet économiste atypique, pourfendeur du CFA, celle-ci pourrait « accélérer des signaux faibles », catalysant en peu de temps des tendances lourdes qui, sinon, auraient pris une décennie : émergence de nouvelles élites, relocalisation de la production, industrialisation… propos recueillis par Cédric Gouverneur AM : Le confinement vous paraît-il possible dans une économie africaine dominée par l’informel ? Kako Nubukpo : Il est impossible en Afrique : dans les habitats,

les cours sont souvent communes, donc génératrices de promiscuité. Le mimétisme avec l’Occident, alors que le contexte est différent, ne me semble pas judicieux : dans les pays riches, où une part importante de la population est âgée (et donc à risque), le confinement répond à la problématique de la régulation des services de santé, afin d’éviter leur saturation. En Afrique, cela n’a pas grand sens, puisque, de toute façon, les services en question ne sont pas équipés… Il semblerait plus rationnel de miser sur l’information des individus, les gestes barrière, et sur la jeunesse de l’Afrique (40 % de la population a moins de 15 ans et 65 % moins de 30 ans). Le Ghana a levé le confinement le 20 avril. Ce n’est pas l’observation de la pandémie en Afrique qui a incité les dirigeants à confiner, mais l’observation de ses effets en Chine et en Europe ! C’est, une fois encore, cette « extraversion » que je dénonce dans d’autres domaines : les priorités mises à l’agenda africain viennent toujours de l’extérieur… Vous appelez à tirer profit de cette crise afin de dessiner « une autre Afrique » sur le plan économique.

Avec cette crise, on s’est rendu compte – et pas seulement en Afrique ! – de notre dépendance quasi exclusive à la Chine. La fermeture des frontières a désorganisé les circuits d’approvisionnement, créant des pénuries… On aurait pu promouvoir l’offre locale, mais on a préféré tout importer. À l’avenir, le premier axe est donc de développer les circuits courts. On pourrait booster l’agriculture périurbaine, un potentiel non utilisé qui permettrait d’approvisionner les villes. Le deuxième axe est de bâtir une 38

économie sans grand usage de carbone. Contrairement aux économies très avancées d’Europe, qui doivent se réinventer sans carbone, l’Afrique peut se diriger vers une industrialisation plus propre : elle a un énorme potentiel dans les énergies éoliennes, photovoltaïques, le petit hydroélectrique… Il faut redécouvrir le physicien nigérien Abdou Moumouni Dioffo, qui a donné son nom à l’université de Niamey, et qui travaillait déjà sur ces questions dans les années 1970. Quels seront les effets en Afrique de l’effondrement des cours du pétrole ?

Le moratoire sur la dette est le bienvenu à court terme, afin de ne pas éroder encore davantage la faible marge budgétaire d’États tels que le Nigeria, l’Algérie ou l’Afrique centrale. Les autres pays, non producteurs de pétrole, et donc importateurs nets, ont eux davantage de marge de manœuvre… Le Fonds monétaire international (FMI) aide désormais les États africains à renforcer leurs systèmes de santé, alors que ses plans d’ajustement structurel ont, à l’inverse, eu pour effet des coupes budgétaires…

Le FMI joue au pompier pyromane : ces trente dernières années, au nom du dogme de l’équilibre des finances publiques et connaissant pourtant l’étroitesse de la base fiscale des États africains, cette institution a empêché le continent d’avoir une vraie politique de développement. Désormais, à l’occasion de la crise du Covid-19, le FMI fait son aggiornamento intellectuel… tout en pilotant l’agenda 2030 sur les objectifs du développement durable ! Un discours macroéconomique orthodoxe se double d’un discours sectoriel onusien. On doit gérer les contradictions et les incohérences des politiques publiques. Cette crise du Covid-19 AFRIQUE MAGAZINE

I

404 – MAI 2020


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