84
LE SOL FRANC
de résidence. Ils ont vécu la mésaventure du paysan qui se rendit au marché avec une vache et qui, après une série d'échanges, s'en revint avec un canari. C'est pourquoi le propriétaire foncier qui désire vendre doit « attendre l'occasion ». Mais à force d'attendre ici l'occasion de vendre, et là-bas l'occasion d'acheter, le temps passe ; de sorte qu'en général on préfère renoncer aux avantages du changement de résidence. Combien de paysans voudraient vivre à proximité de la ville pour permettre à leurs fds doués de fréquenter l'école ! Que de gens rêvent de fuir la ville pour élever leurs enfants au milieu de la nature virginale! Plus d'un bon catholique, placé par son héritage au milieu d'une communauté protestante, regrette de ne pas habiter dans un canton catholique. La propriété foncière interdit toutes ces satisfactions. Elle enchaîne les hommes comme des chiens. Elle en fait les esclaves du sol. Que de fois celui qui aurait voulu cultiver jusqu'à son dernier soupir la terre où ses ancêtres ont conduit, depuis des temps immémoriaux, la charrue, se voit expulsé par un créancier, par un usurier, ou par le percepteur d'impôts ! Les lois de la propriété foncière le chassent de sa propriété. Tel qui a reçu de son père, sa « part », se voit contraint, pour pouvoir payer celle de ses neuf sœurs, d'hypothéquer sa terre à 90 % ; et finit par succomber sous le faix des intérêts. La moindre aggravation de l'impôt, ou la moindre baisse de la rente foncière (il suffit pour cela d'une réduction de tarif des transports), suffit pour enlever toute possibilité de payer l'intérêt, et pour faire vendre le patrimoine à l'encan. La prétendue détresse de l'agriculture, qui affligea toute la propriété foncière allemande, fut le résultat de l'amoncellement des dettes contractées lors des successions. Sous le régime de la propriété privée, cet endettement est inévitable. L'heureux héritier de la propriété privée s'éreinte, compute et suppute, fait de la politique de cabaret. Sa propriété l'entraîne sans rémission vers l'abîme. Les conséquences sont encore plus désastreuses quand le partage du sol revêt la forme de propriété collective, comme dans le cas de la propriété communale. Impossible à l'ayant droit de vendre sa part. S'il quitte la commune, il perd sa part. Ici les droits de transmission sont remplacés par un impôt de 100 % sur les déplacements. Il est des communes qui non seulement ne. prélèvent pas d'impôts, mais qui distribuent même de l'argent en espèces. Pour ne pas perdre ce revenu, plus d'un habitant reste dans la commune, alors qu'il ne s'y plaît pas à cause du climat, de la politique, de la religion, de la société ou des salaires. Gageons que ces riches communes doivent tenir le record des procès, des querelles et du meurtre. Il est hors de doute que dans ces communes les salaires sont plus bas que partout ailleurs. Car la liberté ' de choisir sa profession selon les dons personnels, cette liberté si