FAIRE LA MONNAIE AVEC DU PAPIER
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demande continuelle de ce papier, si l’État n'émettait pas d'autre monnaie. Si l'Allemagne démonétisait l'or comme elle démonétisa l'argent, et si au métal jaune elle substituait le papier, les propriétaires et les producteurs de marchandises devraient se courber sous le joug de la monnaie de papier. Tous sans exception contribueraient à créer, avec leurs produits, une demande de ce papier. On peut même dire que la demande de ce papier serait exactement aussi grande que l'offre de marchandises, laquelle correspond elle-même à la production. Le papier des billets remplit donc entièrement la condition n° 1. Le pétrole, le froment, le coton, le fer ont eux aussi le caractère très net de marchandises. Ces produits de base comptent même parmi les plus importants du marché. Néanmoins, la demande de ces articles est encore loin d'être aussi inconditionnée que la demande de monnaie de papier. Quiconque fabrique des marchandises, quiconque exerce un métier, c'est-à-dire a abandonné l'économie primitive en faveur de la division du travail, crée avec ses produits une demande de moyens d'échange. Toutes les marchandises indistinctement matérialisent la demande de monnaie, c'est-à-dire de monnaie de papier quand l'État n'en émet pas d'autre. Mais tous les propriétaires de marchandises n'achètent pas du fer, du pétrole ou du froment, avec l'argent qu'ils ont obtenu pour leurs produits. Il existe d'ailleurs pour le fer, le pétrole et le froment pas mal de succédanés, alors que la monnaie n'a pour remplaçants que l'économie primitive ou le troc. Ceux-ci ne mériteraient d'être pris en considération que lorsque 90 % de la population actuelle, c'est-à-dire tous ceux qui doivent l'existence à la division du travail, seraient morts et enterrés. La demande de billets prend donc naissance du fait que tous les produits de la division du travail constituent des marchandises. La division du travail, mère des marchandises, est une source intarissable de demande de monnaie. La demande de toutes les autres marchandises est beaucoup moins pressante. L'origine de la demande ne peut évidemment s'expliquer que par le fait que l'objet demandé, la monnaie de papier en l'occurrence, est de quelque utilité à l'acquéreur, non au cédant. (Condition n° 2.) Mais ce rectangle de papier peint, élevé au rang de monnaie, seul instrument d'échange reconnu par l'État, et par conséquent unique moyen possible, ne constitue-til pas un objet utile ? N'est-il donc pas utile, ce bout de papier qui permet à l'ouvrier, au médecin, au maître de danse, au roi et au curé d'échanger leurs produits, entièrement inutiles à eux-mêmes, contre des biens qu'ils puissent utiliser ? Ici, nous devons évidemment considérer, non, comme on le fait d'habitude, l'aspect matériel de la monnaie, le bout de papier, mais-le tout : le papier avec son privilège de moyen d'échange, de monnaie.