134
LA MONNAIE MÉTALLIQUE
il ne démange, ne brûle, ne coupe pas, il est sans vie, c'est l'image de la mort. Pour la monnaie, nous recherchons des matières ayant des propriétés négatives. Le moins possible de propriétés physiques, voilà tout l'aspect matériel que les gens demandent à la monnaie. Chacun est aussi indifférent vis-à-vis de la composition de la monnaie, que le commerçant à l'égard de sa marchandise. Si l'ombre de l'or suffit, on la préfère : témoin l'existence, des billets de banque, et leur popularité. Plus les propriétés d'une substance sont négatives, plus ses avantages sont positifs en tant que matière à monnayer. Voilà tout le secret de la monnaie-papier. On dit que la prédilection universelle pour les métaux précieux a conduit à les adopter comme monnaie. Nous croyons au contraire que c'est l'indifférence générale des producteurs de marchandises à l'égard des métaux nobles qui a permis aux gens de s'accorder sur ce choix. Il est plus aisé de s'entendre à propos d'un objet indifférent et neutre, qu'au sujet d'une chose produisant sur chacun un effet variant avec le caractère. De tous les produits naturels, l'or a le moins de propriétés, le moins d'emplois dans l'industrie et l'agriculture. Il n'est pas de substance qui nous soit plus indifférente que l'or ; voilà pourquoi il a été si aisé d'adopter comme monnaie le métal jaune'. L'industrie utilise l'or pour les bijoux ; mais ceux qui utilisent l'or comme moyen d'échange, les producteurs de marchandises, les ouvriers, les paysans, les artisans, les commerçants, l'État et les tribunaux n'ont pas besoin de bijoux. Les jeunes filles ont pour l'or une certaine prédilection, due bien souvent au caractère monétaire de l'or. Mais ne produisant pas de marchandises, les jeunes filles n'ont pas besoin de moyen d'échange et ne créent donc aucune demande de monnaie. La monnaie, instrument de loin le plus important des relations économiques, complément indispensable de la division du travail, doit avoir d'autres bases que les désirs des citoyens les plus négligeables du point de vue économique, d'autres bases que la coquetterie des jeunes filles. Le rôle que joue la matière composant une monnaie peut aisément se comparer à celui que le cuir d'un football tient aux yeux des joueurs. Ceux-ci ne se" soucient pas de la composition du ballon, ni de son origine. Qu'il soit déchiré, sale, vieux ou neuf, peu importe. Si le football est visible et saisissable, la partie peut commencer. Pour la monnaie, ce n'est pas plus compliqué. Avoir, ou ne pas avoir. On lutte sans relâche pour posséder la monnaie, non que l'on ait besoin du ballon lui-même — je veux dire de la monnaie — ni de sa matière première, mais parce que l'on sait que d'autres s'efforcent de l'atteindre à leur tour, et sont disposés à faire des sacrifices dans ce but. Pour le football, les sacrifices consistent en coups de pied. Pour la monnaie, ils consistent en marchandises. Toute la différence est là. Voici peut-