LA GARANTIE ET LA COUVERTURE
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représentatif — peut protéger la monnaie contre les gâcheurs, les dupeurs, les voleurs, en supposant, bien entendu, que les gouvernements sachent user de leur pouvoir, ce qui malheureusement n'a jamais été le cas jusqu'ici. Ce que nous avons dit de la monnaie de métal s'applique naturellement aussi à la monnaie de papier. La matière constituant cette dernière n'offre aucune garantie ni au détenteur de la monnaie elle-même, ni au porteur de créances (traites, emprunts d'État, pensions, loyers, fermages, assurances sur la vie, hypothèques, obligations). Sous ce rapport, la monnaie de papier est un peu moins sûre que celle de métal. La différence est d'ailleurs minime. En revanche, la loi protège plus fermement la monnaie de papier. Nous avons vu que, sans violer la loi, et en invoquant les théories monétaires courantes, l'État peut, d'un coup de marteau, réduire les pièces à ce qu'elles étaient à l'origine; qu'il peut retirer aux pièces d'or leur privilège monétaire; que la perte de ce privilège entraînerait, pour les pièces d'or, une chute de prix ; qu'il n'existe aucune loi obligeant l'État à dédommager de ce préjudice les détenteurs de pièces d'or, et que, si l'État accordait un dédommagement, il agirait, non pour se conformer à la loi, mais uniquement par souci d'équité. La probité se définit d'ailleurs différemment, selon la classe sociale qui l'invoque (1). La monnaie de papier se trouve, vis-à-vis de la loi, dans une position toute différente. L'État ne peut pas ôter aux billets leur privilège de monnaie, sans dédommager les détenteurs. L'État a reçu quelque chose en échange de la monnaiepapier qu'il a émise ; et ce « quelque chose », il le doit au porteur : la restitution s'impose ; c'est incontestable, à quelque point de vue qu'on se place. La meilleure preuve de cette obligation est qu'on ne pourrait trouver d'autre argument que l'évidence même de ce devoir. Lors de la démonétisation de l'argent, l'État dédommagea (2) les propriétaires de thalers ; il reprit ces pièces, en échange desquelles il délivra de la monnaie nouvelle. Le droit à compensation n'avait aucun fondement juridique ; mais on trouva en dehors de la loi assez de raisons pour agir de la sorte. L'État n'avait-il pas, en levant les impôts, obligé les citoyens à se pourvoir de thalers ? Pour être en mesure de payer ses contributions, le paysan avait dû échanger sa vache contre des thalers. Le paysan avait acquis le métal blanc, non qu'il en eût besoin lui-même, mais parce que l'État en exigeait. L'État s'était chargé d'écouler ces thalers. Un dédommagement s'imposait. (1) Les gros propriétaires allemands demandèrent à l'État de renchérir la nourriture du peuple, en élevant des barrières douanières. Ils obtinrent satisfaction. La classe ouvrière demanda de faire baisser le coût de la vie en supprimant les tarifs douaniers. Elle essuya un refus catégorique. (2) Il était, et il demeure contraire à la théorie de la monnaie métallique, que les propriétaires pussent essuyer un dommage quelconque du fait de la démonétisation u métal blanc.