LA RÉFORME DE L'ÉMISSION
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distincte du bénéfice commercial. Il faut que l'argent « devienne la clef du marché au lieu d'en être le verrou ». L'argent doit être une route et non une barrière. Son rôle est de favoriser les échanges, de les rendre meilleur marché, et non de les gêner ni de les rendre onéreux. Il va sans dire que la monnaie ne peut pas constituer à la fois un moyen d'échange et un moyen d'épargne, un aiguillon et un frein. L'adoption de la monnaie de papier avec son étalon propre est indispensable pour permettre à l'État de régler la quantité de numéraire en circulation. Mais cette mesure ne suffit pas. C'est pourquoi je propose de séparer complètement le moyen d'échange du moyen d'épargne. L'épargnant dispose de tous les biens de la terre ; pourquoi devrait-il précisément choisir la monnaie ? La monnaie n'a tout de même pas été créée afin qu'il fût possible d'épargner. L'offre subit une contrainte directe, inhérente aux marchandises : il faut soumettre la demande à la même pression, si l'on veut que l'offre ne soit pas en état d'infériorité par rapport à la demande, dans le débat au sujet du prix (1). La pression qui s'exerce sur l'offre domine la volonté des détenteurs de marchandises : ceci fait de l'offre un objet parfaitement mesurable ; de même la demande devra être isolée de la volonté du possesseur de numéraire, pour devenir, elle aussi, pondérable. Connaissant le niveau de la production, on sait quel est celui de l'offre : connaissant le stock de numéraire, on saura dès lors quel est le niveau de la demande. Cette réforme peut se réaliser facilement, en donnant à la monnaie un besoin inhérent de circuler. Il n'existe d'ailleurs aucun autre moyen. C'est la seule façon de débarrasser la circulation monétaire des entraves que lui opposent l'appât du lucre, la spéculation, les paniques, de même que les troubles économiques de toutes sortes. Le fait de contraindre le numéraire à circuler mobilise l'entièreté de l'émission monétaire, il crée une circulation ininterrompue, régulière, et que rien ne peut arrêter, c'est-à-dire une demande régulière et ininterrompue. La régularité de la demande supprime les arrêts de la vente et la pléthore de marchandises. L'offre elle-même n'en devient que plus régulière. Désormais elle ne varie plus qu'en raison de la production des marchandises. Le courant du fleuve se régularise, quand la pente se répartit de façon égale. Alors de faibles variations de la quantité de monnaie émise suffiront pour que la demande suive de près les moindres changements que la nature pourrait imprimer à la production. Si l'on refuse de contraindre l'argent à circuler, il est impossible (1) Celui qui n'a pas encore rejeté le préjugé de la valeur ne comprendra pas le bien-fondé de cette revendication.