LES MOUVEMENTS DE FONDS
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14. Les mouvements de fonds « sans numéraire » [V]. Une question se pose, qui trouble bien des esprits : quand on considère les mouvements de fonds sans numéraire, sans argent comptant, qui se pratiquent aujourd'hui, comment faut-il se représenter cette monnaie immatérielle, cette pure monnaie de compte, et son rôle dans la formation des prix ? Pour bien des gens cette question relève de la métaphysique. Pour eux, en l'occurrence, le mark cesse d'être la marchandise palpable que constituaient les pièces et les billets. Les sommes figurant dans les livres de comptabilité représenteraient des grandeurs entièrement abstraites. Mais alors, comment se fait-il qu'on puisse à l'aide d'une simple abstraction, commercer, marchander, spéculer, bref, faire tout ce qui généralement détermine les prix ? Dans les comptes de l'organisme central fonctionnant sans numéraire, on n'hésiterait même pas à supprimer le mot « mark », celui-ci devenant superflu. En traçant un chèque, on se contente d'indiquer un chiffre. « 50 au débit du compte de A.» Un nombre dont l'unité ne représente aucun objet concret. Un chiffre sans consistance, pour régler les achats et les procès. Effrayant I L'esprit humain ne saisit que ce qui se limite dans l'espace et dans le temps. Les mouvements de fonds sans numéraire ne constituent un mystère, que parce que nous ne parvenons pas à les déterminer dans le temps et dans l'espace. Il est indispensable de s'en faire une idée claire. Prenons le cas le plus simple. Supposons que la Reichsbank retire de la circulation tout le numéraire, qu'elle le détruise, et qu'elle ouvre à chacun un compte pour le montant des billets rentrés. Dès lors, le montant total des comptes est égal au montant des billets antérieurement en circulation. La Reichsbank détruit les presses à billets. Le droit d'émettre des billets (des chèques) passe aux titulaires des comptes, qui exercent ce droit dans les limites de leur avoir en compte. Le monopole des billets est désormais partagé, contingenté, transmis au public. Ce monopole continue néanmoins d'appartenir à la Reichsbank, en ce sens que, sans son consentement, le montant total des comptes ne peut augmenter ni diminuer d'une unité. Ce n'est au fond que l'extension du système actuel. En effet, actuellement le droit d'émission est aussi contingenté. Les banques des États du Sud de l'Allemagne partagent le monopole d'émission avec la Reichsbank (1). A ces banques viennent s'ajouter tous les porteurs de billets de la Reichsbank. Mais le droit total d'émission de ces comptes n'est pas plus élevé que le montant des billets qui étaient en circulation. Peu importe que les papiers émis par les titulaires des comptes s'appellent des chèques ou des billets de banque. Le billet de banque n'est d'ailleurs rien d'autre qu'un chèque de banque. (1) Écrit en 1919.