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LA MONNAIE MÉTALLIQUE
15. La pierre de touche de la monnaie. Les partisans de l'étalon-or attribuent à celui-ci l'ampleur, tant absolue que relative, de l'essor économique de ces dernières dizaines d'années. Ces millions de cheminées d'usines, dont la fumée s'élève vers le ciel, seraient autant d'autels dressés par les nations, en action de grâces pour le don divin de l'étalon-or. Il faut reconnaître que la monnaie est capable d'engendrer, ou tout au moins de favoriser, l'essor économique. Le numéraire rend les échanges possibles ; sans échanges, pas de travail, pas de bénéfices, pas de commerce, pas de mariages. Que l'échange des marchandises cesse, et c'est la fermeture de toutes les usines. L'assertion des partisans de l'or n'a donc de prime abord rien d'ahurissant. Au contraire. Quand on demande aux industriels, aux armateurs, s'ils pourraient produire davantage avec la main-d'œuvre et l'outillage actuels, la réponse est toujours la même : la production n'est limitée que par l'écoulement des produits. Or, c'est le numéraire qui rend la vente possible. Ou bien impossible. Cela dépend. Rien d'ahurissant non plus, à ce que l'éloge de l'étalon-or contienne un blâme tacite à l'adresse du prédécesseur : le bimétallisme, prévenu d'avoir entravé le progrès économique. La monnaie peut amener le progrès. Elle peut le bannir. On peut attribuer à la monnaie des effets bien plus considérables que quelques années de prospérité ou de crise (1). Depuis l'adoption de l'étalon-or en Allemagne, les propriétaires fonciers se sont plaints de la chute des prix, et des difficultés qu'ils éprouvaient à payer les intérêts de leurs dettes hypothécaires. Il a fallu les tarifs douaniers pour les tirer d'affaire. Sans les droits d'entrée, combien de fermes auraient été vendues aux enchères ! Et qui les aurait achetées ? On aurait vu se constituer la grande propriété foncière, telle que la connut la Rome antique — les latifundia qui ont perdu l'Italie. On le voit, l'affirmation des partisans de l'or n'a rien d'anormal. Il ne manque que la preuve. L'essor économique, en effet, pourrait bien avoir d'autres causes. Les écoles, les inventions techniques, si nombreuses, et leur influence sur le rendement du travail ; la femme allemande, à qui l'on doit une race de travailleurs nombreuse et saine. Les concurrents ne manquent pas pour disputer la palme à l'étalon-or. Donc, il faudrait des preuves. Il faudrait un critérium, un moyen de mesurer la qualité de la monnaie. Il faudrait savoir si l'étalon-or a fourni aux échanges une aide telle, qu'elle suffise à elle seule pour expliquer l'essor économique. (1) Cf. Gesell : • L'Or et la Paix », conférence faite à Berne en 1916.