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LA MONNAIE FRANCHE
tout acheter pour les besoins immédiats, a pour effet que les clients les moins pressés sont amenés à se soucier à temps des marchandises qui pourraient leur manquer. Et ainsi, grâce à la monnaie franche, nous avons finalement atteint ce résultat que ce ne sont plus les négociants qui se chargent d'évaluer les nécessités, mais bien les consommateurs eux-mêmes. C'est un immense avantage pour tous les intéressés. Jusqu'ici, le négociant devait évaluer longtemps d'avance les besoins des acheteurs, pour passer ses commandes. Qu'il pût se tromper, c'est évident. Aujourd'hui l'acheteur évalue lui-même ses besoins, et comme chacun connaît mieux que le commerçant ses nécessités propres, les erreurs deviennent évidemment plus rares. Ainsi le commerçant est devenu un simple messager muni d'échantillons, et le fabricant est sûr que les ordres qui lui viennent du commerçant reflètent, non les vues de celui-ci, mais les désirs exacts du consommateur, le besoin effectif de marchandises. Les commandes sont l'image fidèle des changements qui surviennent dans les goûts et les besoins de la population, et l'industriel peut toujours s'adapter à temps à ces variations. Jadis, lorsque les commandes ne reflétaient que l'opinion personnelle des commerçants, on constatait des revirements subits, et les caprices de la mode nous inquiétaient constamment.La monnaie franche m'épargne ainsi bien des mécomptes. Mais comme le travail de l'industriel est à tel point simplifié, comme le chef d'entreprise est devenu uniquement un technicien et ne doit plus être un commerçant, les profits de l'entreprise se réduisent lentement. Les bons techniciens ne manquent pas, et la direction commerciale d'une entreprise présente peu de difficultés ; tout bon technicien devient un bon chef d'industrie. Par la loi de la concurrence le bénéfice du chef d'entreprise doit rejoindre le niveau du salaire d'un technicien. Désagréable conséquence pour certains industriels qui ne doivent leurs succès qu'à leurs dons d'hommes d'affaires. À cause de la monnaie franche, cette puissance créatrice est devenue superflue au point de vue des échanges ; parce qu'on ne se heurte plus aux difficultés pour l'aplanissement desquelles étaient nécessaires ces qualités de vendeur, tellement rares, et partant si bien payées. Et qui profitera de la chute du bénéfice des entreprises ? Elle trouvera certes sa compensation, soit dans la chute des prix des marchandises, soit, ce qui finalement revient au même, dans la hausse des salaires des travailleurs. Il n'y a pas d'autre possibilité.
L'usurier. Emprunter un parapluie ou un livre n'avait rien de déshonorant, et ne l'est pas plus aujourd'hui qu'hier ; même si on oubliait de rendre ces objets à leur propriétaire, celuici ne vous en voulait pas trop et cherchait lui-même une excuse pour le coupable. Il n'existait clans aucune famille, de comptabilité pour les objets prêtés.